Nations Unies

CED/C/23/2

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

18 novembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des disparitions forcées

Rapport sur les demandes d’action en urgence soumises au titre de l’article 30 de la Convention *

A.Introduction

1.En application des articles 57 et 58 du Règlement intérieur du Comité, sont portées à l’attention du Comité toutes les demandes d’action en urgence soumises pour examen par celui‑ci au titre de l’article 30 de la Convention. Le présent rapport résume les principales questions traitées concernant les demandes d’action en urgence que le Comité a reçues au titre de l’article 30 de la Convention, les recommandations qu’il a adressées aux États parties concernés dans des notes relatives à l’enregistrement et la suite donnée à ces demandes depuis la vingt-deuxième session.

B.Demandes d’action en urgence reçues depuis la vingt-deuxième session du Comité

2.Dans le rapport sur les demandes d’action en urgence adopté à sa vingt-deuxième session, le Comité rendait compte des décisions prises et des tendances observées au sujet des 1 491 demandes d’action en urgence enregistrées au 8 avril 2022. Entre cette date et le 23 septembre 2022, il a reçu 49 nouvelles demandes d’action en urgence, dont 46 ont été enregistrées. Une demande n’a pas été enregistrée car les renseignements soumis étaient insuffisants pour établir les faits. Une deuxième demande n’a pas été enregistrée au motif que les faits présentés n’étaient pas constitutifs d’une disparition forcée, telle que définie par la Convention. Une troisième demande n’a pas été enregistrée parce que la disparition présumée n’avait pas été portée à l’attention des organes compétents de l’État partie concerné. Les 46 nouvelles demandes enregistrées concernaient des disparitions en Iraq, au Maroc, au Mexique et en Ukraine.

3.Au 23 septembre 2022, le Comité avait enregistré 1 537 demandes d’action en urgence, comme indiqué dans le tableau. Entre le 1er janvier et le 23 septembre 2022, le Comité a envoyé 48 notes relatives à des demandes d’action en urgence enregistrées, pour suivre l’application de ses recommandations concernant les recherches et les enquêtes sur les disparitions concernées.

Demandes d ’ action en urgence enregistrées au 23 septembre 2022, par État partie et par année

État partie

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022 a

Total

Argentine

-

-

-

-

-

2

-

-

1

-

-

3

Arménie

-

-

-

-

-

1

-

-

-

-

-

1

Bolivie (État plurinational de)

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

-

1

Brésil

-

-

1

-

-

-

-

-

-

-

-

1

Burkina Faso

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

1

Cambodge

-

-

1

-

-

-

-

2

1

-

-

4

Colombie

-

1

1

3

4

3

9

3

2

153

-

179

Cuba

-

-

-

-

-

-

1

3

-

188

-

192

Honduras

-

-

-

-

-

-

14

-

9

2

-

25

Iraq

-

-

5

42

22

43

50

226

103

41

22

554

Kazakhstan

-

-

-

-

-

2

-

-

-

-

-

2

Lituanie

-

-

-

-

-

-

-

2

-

-

-

2

Mali

-

-

-

-

-

-

-

-

1

11

-

12

Maroc

-

-

-

-

1

2

-

-

-

2

2

7

Mauritanie

-

-

-

-

-

1

-

-

-

-

-

1

Mexique

5

4

43

166

58

31

42

10

57

60

23

525

Niger

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

1

Oman

-

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

1

Paraguay

-

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

1

Pérou

-

-

-

-

-

-

-

-

14

-

-

14

Slovaquie

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

1

Soudan

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

1

1

Sri Lanka

-

-

-

-

-

1

-

-

-

-

-

1

Togo

-

-

-

-

-

-

2

-

1

-

-

3

Tunisie

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

-

1

Ukraine

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

3

3

Total

5

5

51

211

85

86

118

248

192

459

77

1 5 37

a Au 23 septembre 2022.

C.Actions en urgence classées, clôturées, maintenues ouvertes ou suspendues afin de protéger des personnes en faveur desquelles des mesures de protection ont été prises

4.En application des critères adoptés par le Comité à ses huitième et vingtième sessions :

a)Une action en urgence est classée lorsque la personne disparue a été retrouvée, mais qu’elle est toujours en détention ; en effet, en pareil cas, la personne est particulièrement exposée au risque de disparaître à nouveau et d’être soustraite à la protection de la loi ;

b)Une action en urgence est clôturée lorsque la personne disparue a été retrouvée libre, quand elle a été retrouvée puis libérée ou quand elle a été retrouvée morte, à condition que les membres de la famille ou les auteurs ne contestent pas ces faits ;

c)Une action en urgence et son suivi par le Comité sont suspendus lorsque l’auteur de la demande d’action en urgence a perdu le contact avec les membres de la famille de la personne disparue et ne peut plus fournir d’informations de suivi ; une action en urgence suspendue peut être rouverte si l’auteur informe le Comité qu’il a repris contact avec les membres de la famille.

5.Au 23 septembre 2022, le Comité avait clôturé 392 actions en urgence, en avait classé 34 et suspendu 103. Au total, 1 008 actions en urgence restaient ouvertes.

6.Le Comité se félicite du fait qu’à ce jour, 428 personnes disparues ont été retrouvées. Il se félicite en particulier du fait que dans 406 cas, la personne concernée a été retrouvée vivante. À cet égard, le Comité souhaite souligner l’issue positive de demandes d’action en urgence enregistrées au cours de la période considérée concernant des cas à Cuba, au Maroc et au Mexique.

D.Faits nouveaux survenus depuis la vingt-deuxième session (au 23 septembre 2022)

7.Tout au long de la procédure d’action en urgence, le Comité entretient des contacts permanents avec les États parties, par l’intermédiaire de leur mission permanente, et avec les auteurs des demandes d’action en urgence. Il peut aussi compter sur la coopération du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et d’autres présences des Nations Unies sur le terrain, qui relaient des informations relatives aux cas et suivent l’application de ses recommandations.

8.Les paragraphes ci-après ne constituent certes pas une analyse exhaustive de toutes les informations reçues au titre de la procédure d’action en urgence, mais ils décrivent les problèmes généraux et particuliers constatés, les tendances observées et les faits nouveaux survenus dans certains des États parties au cours de la période considérée.

1.Tendances générales observées au cours de la période considérée

9.Si les informations reçues dans le cadre de la procédure d’action en urgence confirment des tendances déjà décrites dans les rapports que le Comité a adoptés à ses onzième à vingt-deuxième sessions, elles font également ressortir des tendances nouvelles, qui sont décrites dans les paragraphes ci-après.

a)Défaut de coopération avec le Comité

10.Le Comité est préoccupé par le manque de coopération des États parties qui ne répondent pas à ses demandes d’action en urgence ou à ses recommandations. Il rappelle que les États parties ont l’obligation, en vertu de l’article 30 (par. 3) de la Convention, de l’informer, dans un délai déterminé, des mesures prises pour localiser et protéger la personne concernée conformément à la Convention et, en vertu de l’article 26 (par. 9), de coopérer avec ses membres et de les aider à s’acquitter de leur mandat.

11.Le Comité demeure particulièrement préoccupé par le manque de coopération de l’Iraq, qui n’a toujours pas répondu à la majorité des demandes d’action en urgence enregistrées concernant des disparitions survenues sur son territoire et n’a pas non plus donné suite aux recommandations relatives aux mesures de recherche et d’enquête. Il a déjà indiqué, dans ses cinq précédents rapports à l’Assemblée générale, que l’Iraq ne respectait pas les obligations que lui imposait l’article 30 de la Convention.

12.Chaque fois que l’État partie concerné ou l’auteur de la demande d’action en urgence ne fournit pas d’informations de suivi dans le délai fixé par le Comité, celui-ci lui adresse jusqu’à quatre rappels. Dans son dernier rappel, il fait savoir qu’il pourrait décider de rendre cette situation publique à sa prochaine session, en en faisant état dans son rapport sur les demandes d’action en urgence, puis dans son prochain rapport à l’Assemblée générale.

13.Au 23 septembre 2022, le Comité avait envoyé un dernier rappel sans recevoir de réponse de l’État partie concerné dans 430 cas de demande d’action en urgence : 368 demandes concernant l’Iraq, 61 demandes concernant le Mexique et 1 demande concernant le Mali.

14.Le Comité est également préoccupé par l’absence, dans certains cas, de réponse de l’auteur d’une demande d’action en urgence. Lorsqu’un auteur ne répond pas après que l’État partie a soumis des observations relatives aux mesures de recherche et d’enquête, qui lui ont ensuite été transmises pour commentaires, le Comité lui adresse jusqu’à quatre rappels.

15.Au 23 septembre 2022, le nombre de cas de demande d’action en urgence dans lesquels le Comité avait envoyé un dernier rappel sans recevoir de réponse de l’auteur était de 99 : 77 demandes concernant le Mexique, 13 demandes concernant le Honduras, 7 demandes concernant la Colombie, 1 demande concernant l’Iraq et 1 demande concernant le Pérou. Sans réponse de la part de l’auteur d’une demande d’action en urgence, le Comité ne peut pas assurer le suivi de ses recommandations. Si l’auteur d’une demande d’action en urgence a perdu le contact avec les proches de la personne disparue, ou si cette personne a été retrouvée, il doit en informer le Comité qui, dans le premier cas, suspendra l’action et, dans le second, clôturera ou classera l’action (voir par. 4). De même, si l’auteur n’a rien à ajouter au sujet des mesures de recherche et d’enquête prises par l’État partie concerné, il doit en informer le Comité afin que celui-ci puisse donner suite à la demande d’action en urgence sur la base des informations fournies par l’État partie.

16.Le Comité rappelle que les États parties et les auteurs de demandes d’action en urgence doivent l’informer immédiatement lorsque la personne disparue a été retrouvée.

b)Absence de stratégie adaptée à chaque cas et manque de coordination des procédures de recherche et d’enquête

17.Dans le cadre de son suivi des demandes d’action en urgence, le Comité a continué de faire part de sa préoccupation quant au fait que des États parties n’avaient pas défini et appliqué de stratégie globale pour la recherche des personnes disparues et les enquêtes sur leur disparition, en application des articles 12 et 24 de la Convention. Dans ces cas, il avait précédemment demandé à l’État partie concerné de concevoir et d’appliquer une stratégie de recherche et d’enquête, qui devait être assortie d’un plan d’action et d’un calendrier et faire l’objet d’une évaluation périodique, conformément au principe 8 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues. Cependant, dans la majorité de ces cas, les États parties ont continué de faire état de mesures de recherche et d’enquête isolées et non coordonnées, qui dénotaient l’absence d’une telle stratégie et qui empêchaient ou entravaient l’accomplissement de tout progrès véritable dans la localisation de la personne disparue.

18.Au vu des informations reçues d’États parties, le Comité a continué de constater un manque apparent de coordination des procédures de recherche et d’enquête dans la majorité des cas ayant donné lieu à l’enregistrement d’une demande d’action en urgence. Ce manque de coordination est généralement dû au fait que les autorités compétentes de l’État ne partagent pas les informations et les éléments qu’elles ont recueillis dans l’exercice de leurs mandats respectifs, ce qui entraîne dans certains cas un chevauchement des activités et dans d’autres des lacunes dans l’information, de sorte que les procédures de recherche et d’enquête continuent de stagner et que la localisation des personnes disparues et l’identification des auteurs des faits souffrent de retards inutiles. Dans de tels cas, le Comité continue de souligner l’importance d’assurer une coordination entre les autorités chargées des recherches et celles chargées de l’enquête, de manière que toute information obtenue par l’une de ces autorités puisse être utilisée efficacement et rapidement par l’autre, conformément au principe 13 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues.

c)Obstacles à la participation effective des proches aux recherches et à l’enquête

19.Pendant la période considérée, le Comité a reçu des informations sur les obstacles auxquels se heurtent les proches de personnes disparues qui souhaitent participer effectivement aux recherches et à l’enquête, notamment le manque d’informations sur les mesures prises par les autorités compétentes dans le cadre des recherches et de l’enquête et sur les résultats obtenus.

d)Absence d’approche différenciée

20.Le Comité rappelle que la recherche de personnes en situation de vulnérabilité nécessite des procédures, une expérience et des compétences particulières, qui permettent de répondre aux besoins particuliers des intéressés. Dans les demandes d’action en urgence concernant des femmes, y compris des femmes transsexuelles, il a systématiquement demandé qu’à toutes les étapes, les procédures de recherche soient conduites en tenant compte des besoins particuliers des femmes, par du personnel spécialisé, y compris du personnel féminin. De même, il a demandé qu’une approche différenciée soit adoptée dans les cas de disparition d’enfant, notamment que soit respecté le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant à tous les stades de la procédure de recherche. Cependant, à ce jour, il n’a reçu aucune information des États parties concernés sur la manière dont ces recommandations ont été appliquées dans la pratique.

e)Défenseurs des droits de l’homme

21.Au cours de la période considérée, le Comité a enregistré de nouvelles demandes d’action en urgence concernant des cas de disparition présumée de défenseurs des droits de l’homme et en a assuré le suivi. Il a demandé aux États parties concernés de considérer l’activité de ces défenseurs des droits de l’homme comme motif possible de leur disparition, afin de renforcer les hypothèses procédurales et l’efficacité des activités de recherche. Lorsque les défenseurs des droits de l’homme, leurs représentants ou les conseils des victimes ont demandé des mesures de protection, il a demandé aux États parties concernés de veiller à ce que les activités que menaient les personnes concernées pour connaître la vérité et obtenir justice et réparation soient prises en compte dans l’appréciation des risques et la recherche des mesures de protection appropriées.

f)Disparitions de femmes

22.Pendant la période considérée, le Comité a enregistré un nombre croissant de demandes d’action en urgence concernant des disparitions alléguées de femmes. Il a reçu, en particulier, des allégations concernant la disparition d’une femme victime de violence domestique au Mexique, ces allégations étaient accompagnées d’indices, basés sur les informations contextuelles, donnant à penser qu’il pourrait s’agir d’un féminicide. Il a rappelé qu’un acte illicite, même si, initialement, il n’était pas directement imputable à un État partie, pouvait engager la responsabilité internationale de cet État si celui-ci n’avait pas fait preuve de la diligence voulue pour empêcher que cet acte soit commis ou pour réagir à cet acte conformément aux obligations mises à sa charge par le droit international, en particulier la Convention. Ce scénario pouvait s’appliquer aux cas de féminicides, notamment en raison du degré élevé d’impunité dont jouissaient les auteurs de tels actes dans le pays et du fait que les disparitions de femmes et de filles avaient été utilisées comme moyen de dissimuler des féminicides et d’autres crimes liés à la violence contre les femmes, tels que la violence sexuelle et la traite des personnes.

g)Représailles

23.Le Comité est préoccupé par des informations reçues d’auteurs de demandes d’action en urgence selon lesquelles des représailles seraient exercées, le plus souvent sous la forme de menaces et de réactions hostiles, contre les proches des personnes disparues pour les dissuader de participer aux procédures de recherche et d’enquête ou de les faciliter. Dans le cas de 292 actions actuellement ouvertes, il a demandé aux États parties concernés de prendre des mesures de protection afin de préserver la vie et l’intégrité des personnes concernées et de leur permettre de poursuivre leurs activités de recherche sans subir de violences, d’intimidations ou de harcèlement, conformément aux obligations que font peser sur les États parties l’article 24 de la Convention et le principe 14 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues. Il a également demandé aux États parties concernés de veiller à ce que ces mesures soient prises avec le consentement préalable des personnes ayant besoin d’une protection et fassent l’objet d’un examen à leur demande. Sur les 292 demandes d’action en urgence dans le cadre desquelles le Comité a demandé des mesures de protection, 243 concernaient des disparitions au Mexique.

24.Dans un cas, relatif à une disparition au Maroc, la personne disparue avait été localisée en prison. Toutefois, le Comité a reçu des auteurs de la demande d’action en urgence des informations selon lesquelles les proches de l’intéressé avaient fait l’objet de menaces après l’avoir retrouvé et lui avoir rendu visite en prison. Compte tenu du fait que le Comité contre la torture avait récemment enregistré une communication (no 1136/2022) présentée par la personne anciennement disparue concernant le traitement dont elle faisait l’objet en détention, et avait demandé que des mesures de protection soient prises à cet égard, et afin de coordonner l’action entre les différents organes conventionnels, le Comité a prié les auteurs de la demande d’action en urgence de soulever les allégations de représailles dans le cadre de l’examen de son cas par le Comité contre la torture.

2.Tendances observées en Iraq et au Mexique

25.Pendant la période considérée, l’Iraq et le Mexique étaient encore les deux États parties ayant fait l’objet du plus grand nombre de demandes d’action en urgence enregistrées : à ce jour, 70 % de l’ensemble des demandes d’action en urgence enregistrées concernaient ces deux pays. Toutefois, le Comité a également reçu un nombre croissant de demandes concernant d’autres États parties.

a)Iraq

26.Au 23 septembre 2022, le Comité avait enregistré 554 demandes d’action en urgence liées à des faits survenus en Iraq, ce qui représente 36 % de toutes les demandes enregistrées à ce jour. Il est vivement préoccupé par le fait que, selon les informations reçues, les personnes disparues n’ont été retrouvées que dans 30 de ces cas, soit 5 % de toutes les demandes d’action en urgence liées à des faits survenus en Iraq. Il demeure préoccupé par le fait que, même lorsque les personnes disparues ont été libérées, l’État partie ne l’en a pas informé. Il a exprimé sa préoccupation quant au fait que l’État partie ne l’avait pas informé de ces événements nouveaux dans les notes de clôture ou de classement des demandes en question qu’il lui avait adressées, et a rappelé à l’État partie son obligation de coopérer de bonne foi avec lui, en fournissant rapidement des informations détaillées sur les mesures prises pour rechercher les personnes disparues et, lorsque les recherches ont abouti, sur le lieu où elles se trouvent.

27.Le Comité constate avec préoccupation qu’il y a une corrélation directe entre le manque de coopération de l’Iraq avec la procédure d’action en urgence prévue par l’article 30 de la Convention, dont il est fait état au paragraphe 11 ci-dessus, et la faiblesse alarmante du nombre de personnes disparues qui, à ce jour, ont été retrouvées dans ce pays.

28.Lorsque l’État partie a répondu − ce qu’il a fait dans moins de la moitié des cas enregistrés −, ses réponses suivaient la même tendance que celle décrite par le Comité dans ses précédents rapports, à savoir qu’il n’a communiqué aucune information sur les mesures prises pour rechercher les personnes disparues ou pour mener une enquête sur leur disparition forcée présumée. Dans ces cas, le Comité a rappelé à l’État partie qu’en ne prenant pas de mesures et en ne donnant pas d’informations précises, il ne respectait pas les dispositions de l’article 12 de la Convention, en application duquel les États parties sont tenus d’examiner rapidement et impartialement l’allégation, de procéder sans délai à une enquête approfondie et impartiale et de prendre les mesures nécessaires pour prévenir et sanctionner les actes qui entravent la conduite d’une enquête.

29.Comme indiqué précédemment, l’État partie a continué d’affirmer, dans un certain nombre de cas, que les personnes disparues étaient affiliées à des groupes terroristes, sans fournir d’autres renseignements ou éléments sur les accusations précises portées contre elles, les procédures engagées ou les mandats d’arrêt délivrés contre elles. Dans ces cas, le Comité a rappelé à l’État partie que la Convention ne prévoyait aucune exception à l’obligation de rechercher toute personne disparue et d’enquêter sur sa disparition, indépendamment de son profil ou des soupçons de participation à des activités terroristes dont elle pouvait faire l’objet. Il a souligné en outre que chacun devait avoir accès à la justice et à des recours, y compris les personnes touchées par les régimes de sanctions contre le terrorisme. Il a également demandé à l’État partie de fournir des copies des mandats d’arrêt ou de tout document officiel indiquant que les personnes disparues étaient recherchées par les autorités iraquiennes et, si des accusations précises avaient été portées contre elles et si des procédures avaient été engagées à leur encontre, d’en informer officiellement leurs proches et leurs représentants et de les placer immédiatement sous la protection de la loi afin de permettre la préparation de leur défense et de protéger et promouvoir leur droit à une procédure régulière.

30.Le Comité se félicite des réponses récentes de l’État partie, par lesquelles il a fourni des copies des mandats d’arrêt demandées et fait savoir que les personnes concernées étaient en détention. Il constate cependant que dans certains cas, les mandats d’arrêt en question ont été émis après la date de la disparition présumée, alors qu’ils devraient être antérieurs à la détention présumée des personnes concernées. Le Comité a demandé à l’État partie d’expliquer cette incohérence.

31.Comme indiqué dans les précédents rapports du Comité, dans certains cas, l’État partie a répondu que les proches de la personne disparue n’avaient pas déposé de plainte auprès des autorités compétentes, alors qu’en fait ils l’avaient bien fait auprès de plusieurs autorités administratives et judiciaires au niveau national. En pareils cas, le Comité a rappelé le principe 6 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues, selon lequel dès qu’elles ont connaissance, par quelque moyen que ce soit, d’une disparition, ou qu’elles disposent d’indices donnant à penser qu’une personne a été soumise à une disparition forcée, les autorités chargées des recherches ont l’obligation de rechercher et de localiser cette personne ; les autorités compétentes doivent engager d’office, immédiatement et avec diligence les recherches, même si aucune plainte ni aucune demande n’a été officiellement déposée ; le fait que les proches ou les plaignants n’aient pas donné d’informations ne saurait être invoqué pour justifier le fait que des activités de recherche visant à localiser la personne disparue n’ont pas été engagées immédiatement ; même en cas de doute quant à la réalité d’une disparition involontaire, les recherches doivent être engagées immédiatement.

32.Comme c’était le cas au cours des périodes couvertes par les deux précédents rapports, le Comité a reçu un certain nombre de nouvelles demandes d’action en urgence concernant des disparitions de personnes survenues en 2017. Il a été signalé que lorsque les forces de sécurité iraquiennes étaient sur le point d’entrer dans le district de Hadar, dans la province de Ninive, une cinquantaine de familles sunnites ont fui dans leurs véhicules en direction du village d’Oleba. Des milices affiliées aux forces de sécurité iraquiennes auraient arrêté les hommes, qui ont été emmenés, les yeux bandés et menottés, au carrefour de Hadar. Le Comité a également reçu un certain nombre de nouvelles demandes d’action en urgence concernant la disparition de personnes survenue en 2015, dans le cadre d’opérations militaires menées par les Forces de mobilisation populaire contre Daech, à la suite desquelles des familles avaient été déplacées. Selon les informations dont dispose le Comité, les Forces de mobilisation populaire ont arrêté les hommes et ne les ont jamais rendus à leur famille. Dans chacun de ces deux cas, le Comité a demandé à l’État partie de confirmer si les personnes disparues étaient détenues dans un lieu de privation de liberté officiel ou non officiel et, dans l’affirmative, de garantir qu’elles seraient autorisées à communiquer avec leur famille, leur conseil ou toute autre personne de leur choix et à recevoir leur visite, conformément à l’article 17 (par. 2 d)) de la Convention, et de l’informer de toute accusation portée contre elles ou de toute procédure engagée à leur encontre. Il attend toujours des informations de l’État partie à ce sujet.

33.Dans le cas d’une demande d’action en urgence (no 813/2020), concernant la disparition d’une personne qui avait soutenu des manifestants sur la place Tahrir à Bagdad en octobre 2019, l’État partie a informé le Comité que le père de la personne disparue avait engagé une procédure devant le tribunal d’instruction compétent, accusant deux auteurs présumés de l’enlèvement de son fils. Selon l’État partie, la justice iraquienne a estimé qu’il s’agissait d’un cas d’enlèvement et non d’une disparition forcée. Dans sa récente note de suivi, le Comité a rappelé à l’État partie qu’aux fins de l’article 2 de la Convention, on entend par « disparition forcée » l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. Le Comité a rappelé une note précédente, dans laquelle il avait déjà informé l’État partie que la personne disparue avait fait l’objet de menaces liées à son soutien aux participants aux manifestations de la place Tahrir, et que le jour de sa disparition, des affrontements avaient eu lieu sur cette place entre une milice − Saraya al-Salam − et les manifestants. La victime avait disparu après ces événements. Le Comité a informé l’État partie que la famille l’avait cherchée dans des hôpitaux et des centres de détention, en vain, et avait déposé plainte auprès de la police et du tribunal. La famille avait été informée officieusement que leur proche était détenu à la prison de l’aéroport d’Al-Mouthanna, à Bagdad, mais les autorités pénitentiaires avaient nié sa détention. Le Comité a donc réaffirmé que la disparition, dans les conditions décrites, pouvait être qualifiée de disparition forcée présumée au sens de l’article 2 de la Convention, et qu’il appartenait à l’État partie de fournir des informations permettant de réfuter cette allégation, en s’appuyant sur les conclusions des enquêtes nationales pertinentes.

b)Mexique

34.Au 23 septembre 2022, le Comité avait enregistré 525 demandes d’action en urgence liées à des faits survenus au Mexique, ce qui représente 33 % de toutes les demandes enregistrées à ce jour. Sur ces 525 actions en urgence, 48 ont été clôturées car les personnes disparues ont été retrouvées en liberté ou retrouvées et remises en liberté, 101 ont été suspendues car les auteurs des demandes ont perdu le contact avec les proches des personnes disparues et ne peuvent plus fournir d’informations de suivi, et 376 restent ouvertes.

35.Comme c’était le cas au cours des précédentes périodes considérées, le Comité a constaté un manque général de coordination entre les diverses autorités chargées des recherches et des enquêtes, notamment en ce qui concerne la définition de leurs responsabilités et rôles respectifs et le partage des informations sur les mesures prises et les résultats obtenus, ce qui entraîne parfois un chevauchement des activités menées. Dans ces cas, le Comité a fait observer avec inquiétude que les mesures prises semblaient isolées et que l’action menée officiellement par certaines institutions ne dénotait pas une stratégie intégrée, efficace et coordonnée de recherche et d’enquête. Le Comité a recommandé, en particulier, que les autorités chargées des enquêtes aux niveaux fédéral et fédéré se coordonnent et que leurs fonctions respectives soient clairement définies.

36.Dans certains cas, l’État partie a affirmé avoir adopté une stratégie de recherche coordonnée et globale. Toutefois, le Comité a constaté que, dans la pratique, les autorités chargées des recherches n’avaient pris que des mesures de pure forme, se contentant de demander des renseignements à d’autres institutions, sans s’enquérir de la suite donnée à ces demandes, sans établir de plan de recherche ni respecter le protocole national de recherche des personnes disparues. Il a également observé des retards injustifiés dans l’adoption de mesures de recherche officielles, parfois jusqu’à un an après l’ouverture du dossier de recherche et d’enquête.

37.Des auteurs de demandes d’action en urgence ont souvent allégué que les autorités publiques étaient directement ou indirectement impliquées dans les faits entourant les disparitions et que les procédures étaient donc au point mort. Dans de tels cas, le Comité a fait observer à l’État partie combien il importait de mettre en place des mécanismes assurant la mise en cause de la responsabilité des agents de l’État chargés des recherches et des enquêtes, et lui a demandé d’enquêter sur les allégations selon lesquelles ces agents avaient entravé la procédure, en application de l’article 12 de la Convention et à la lumière du principe 15 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues. Dans certains cas où, selon les informations reçues, les autorités locales chargées de l’enquête ont été impliquées dans la disparition, le Comité a recommandé à l’État partie d’envisager de transférer la responsabilité des recherches et de l’enquête aux autorités fédérales.

38.Dans plusieurs cas concernant le Mexique, le Comité a reçu des informations selon lesquelles le manque de ressources et de capacités de certaines institutions locales et fédérales avait abouti à une situation où l’initiative de faire avancer les recherches et l’enquête était laissée aux proches de la personne disparue, qui devaient suggérer les lieux où devaient être menées les activités de recherche, demander au ministère public de prendre des mesures et suggérer les mesures devant être prises, et proposer des hypothèses d’enquête. Dans ces cas, le Comité a rappelé que la responsabilité de prendre des mesures face à la disparition et d’appliquer ses recommandations concernant les demandes d’action en urgence incombait au premier chef aux autorités de l’État, conformément à l’article 30 de la Convention. Il a rappelé à l’État partie que la Cour suprême avait reconnu le caractère contraignant des recommandations du Comité émises dans le contexte de la procédure d’action en urgence prévue à l’article 30.

39.Des auteurs de demandes d’action en urgence ont continué de faire état des difficultés qu’avaient les proches de personnes disparues à obtenir l’aide à laquelle ils avaient droit en vertu de la législation nationale et de l’article 24 (par. 6) de la Convention. Dans chacun de ces cas, le Comité a indiqué à l’État partie les mesures qu’il était tenu de prendre en fonction des besoins particuliers des proches de la personne disparue, notamment en ce qui concernait l’accès à la nourriture, à l’éducation, au logement ou aux services de santé. Il a également rappelé l’obligation incombant aux autorités compétentes de l’État partie d’informer les proches de la personne disparue de la nature et de l’étendue de l’aide qu’ils étaient en droit d’attendre de ces autorités et de la durée pendant laquelle cette aide était accordée. Il a demandé à l’État partie de veiller à ce que la situation et les besoins des intéressés soient dûment pris en compte par la Commission exécutive d’aide aux victimes, au niveau local ou fédéral, dans le cadre de l’élaboration et de la révision des plans d’aide.

3.Éléments nouveaux concernant Cuba, Oman et l’Ukraine

a)Disparitions dans le cadre de manifestations à Cuba

40.En 2021, le Comité a enregistré 187 demandes d’action en urgence liées au mouvement de contestation sociale qui avait débuté à Cuba le 11 juillet 2021. Ces demandes concernaient des manifestants qui auraient été détenus par les forces de sécurité, lesquelles auraient ensuite refusé de donner aux proches de ces manifestants des informations sur le lieu où ils se trouvaient. Le Comité a rappelé que le fait de ne pas enregistrer une détention, même de courte durée, suivi du refus de reconnaître la privation de liberté ou de divulguer des informations sur le lieu où se trouve la personne disparue, soustrayait cette personne à la protection de la loi et constituait une disparition forcée au sens de l’article 2 de la Convention.

41.Après avoir reçu des informations de la part de l’État partie, le Comité a décidé de clôturer 142 de ces actions, parce que les personnes disparues avaient déjà été remises en liberté ou avaient été assignées à résidence ou, dans une minorité de cas, parce que les auteurs n’avaient pas été en mesure de contester les informations fournies par l’État partie et d’apporter des informations supplémentaires donnant à penser que les personnes étaient toujours manquantes. Il a également décidé de classer 18 de ces actions, car le lieu où se trouvaient les personnes disparues avait été confirmé, mais celles-ci restaient en détention. Il a décidé de maintenir ouvertes les 27 actions restantes et de demander des informations supplémentaires à l’État partie. Il s’est déclaré préoccupé par les allégations répétées de détention au secret de manifestants, détention durant dans certains cas jusqu’à plusieurs mois, et a rappelé que le recours à cette pratique, qui pouvait favoriser les disparitions forcées, devait être exceptionnel, afin d’éviter toute atteinte à la vie ou à l’intégrité de la personne détenue et de protéger les enquêtes. Il a rappelé à cet égard qu’en application de l’article 17 (par. 2 d)) de la Convention, les États parties avaient l’obligation de garantir que toute personne privée de liberté serait autorisée à communiquer avec sa famille, son conseil ou toute autre personne de son choix, et à recevoir leur visite, sous la seule réserve des conditions établies par la loi, et, s’il s’agissait d’un étranger, à communiquer avec ses autorités consulaires, conformément au droit international applicable. Il a reçu les renseignements complémentaires demandés à l’État partie et les a transmis aux auteurs pour commentaires. Il attend la réponse des auteurs pour poursuivre le suivi des 27 actions encore ouvertes.

b)Disparition d’une travailleuse domestique migrante à Oman

42.Le Comité a continué de suivre un cas de disparition à Oman d’une travailleuse migrante sri-lankaise. Selon les informations fournies par les auteurs de la demande d’action en urgence, la victime était arrivée aux Émirats arabes unis avec un visa de visiteur et avait été transférée illégalement par une agence de placement à Oman, où elle aurait été maltraitée par son « parrain » et aurait disparu. Le Comité s’est dit conscient des nouvelles réformes concernant les travailleurs migrants à Oman − et de l’abolition du système de « certificat de non-objection », qui permettait à un travailleur de passer d’un employeur à un autre − mais a relevé qu’elles étaient entrées en vigueur après la date de la disparition et que, selon les informations reçues, la victime avait été placée en garde à vue à Oman avant sa disparition. Il a rappelé combien il importait que tous les États concernés par une disparition − en l’occurrence l’État ayant compétence territoriale et l’État de nationalité de la victime − coopèrent entre eux et s’accorde l’entraide la plus large possible dans la recherche de la personne disparue, ainsi qu’une entraide judiciaire, conformément aux articles 14 et 15 de la Convention.

c)Disparition en Ukraine

43.Pendant la période considérée, le Comité a enregistré une troisième demande d’action en urgence concernant une disparition en Ukraine, dans la région de Donetsk. Selon les informations reçues, la victime présumée a été appréhendée par des inconnus munis d’armes automatiques et en uniforme militaire, et a été transportée dans la ville de Bakhmout, dans la région de Donetsk, dans le territoire encore sous le contrôle des unités militaires ukrainiennes. Compte tenu de l’urgence et de la gravité de la situation, le Comité a demandé à l’État partie de prendre immédiatement des mesures pour rechercher, localiser et protéger la personne disparue, en application de l’article 30 de la Convention. Il attend la réponse de l’État partie à cette demande.

E.Décisions prises par le Comité à sa vingt-troisième session

44.Le Comité a décidé que, dans tous les cas où la personne disparue a été localisée, il informerait l’auteur de la demande d’action en urgence, dans sa note de clôture de l’action, du fait qu’il peut soumettre une communication concernant l’obligation qu’a l’État partie d’enquêter sur la disparition, si les conditions énoncées à l’article 31 de la Convention sont remplies. Dans les cas où des mesures de protection avaient été demandées et où il est allégué que la personne concernée continue de courir un risque ou d’être menacée, le Comité informera l’auteur que si ce risque ou cette menace est en lien avec sa coopération avec le Comité, il peut saisir son rapporteur sur la question des représailles.