Nations Unies

CAT/C/57/D/531/2012

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

10 août 2016

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 531/2012 * , **

Communication p résentée par:L. A.

Au nom de:Le requérant

État partie:Algérie

Date de la requête:14 août 2012 (lettre initiale)

Date de la présente décision :12mai 2016

Objet :Intimidation et menaces portées contre un magistrat dans l’exercice de ses fonctions, et absence d’enquête

Question ( s ) de procédure:Néant

Question ( s ) de fond:Droit de porter plainte devant les autorités compétentes

Article ( s ) de la Convention:13

1.L’auteur de la requête en date du 14 août 2012 est L. A., né le 30 janvier 1970 et de nationalité algérienne, marié et père de trois enfants. Il a été juge d’instruction de 1990 à 2011. Il prétend être victime d’une violation de la Convention par l’Algérie, sans pour autant invoquer d’autres articles que l’article 22 de la Convention. Il n’est pas représenté.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le requérant était juge d’instruction de 1990 à 2011 : de 1990 à 1993, il était juge d’instruction au tribunal militaire de Blida et, de 1993 à 2010, juge d’instruction auprès des tribunaux civils aux cours de Bouira, Médéa et Batna, puis auprès de la cour de Guelma.

2.2Le requérant souligne que le travail de juge d’instruction est extrêmement délicat en Algérie, les juges travaillant avec beaucoup de difficulté lorsque leurs enquêtes concernent des personnes haut placées ou des politiciens. Dans le cadre de son travail, le requérant a été exposé à des attaques et à des menaces chaque fois qu’il enquêtait sur de telles personnes, ou sur des personnes impliquées dans des affaires de terrorisme. C’est pour cette raison qu’en 2007, son épouse et sa fille ont dû quitter l’Algérie temporairement, vu que leur sécurité ne pouvait plus être garantie.

2.3Début 2007, en effet, le requérant a trouvé une bombe à l’intérieur d’un placard situé devant la porte d’entrée de son appartement. Après avoir trouvé la bombe, il a immédiatement appelé la brigade spéciale contre le terrorisme, qui a neutralisé la bombe. Celle-ci s’est avérée être une bombe de fabrication russe, et non une bombe artisanale, ce qui suggère que cet acte n’était pas le fait de groupes terroristes. Selon le requérant, seules des personnes proches de l’armée peuvent détenir de tels dispositifs explosifs. Le requérant ajoute que cet épisode est lié à une enquête qu’il menait concernant une affaire de trafic de drogue, dans laquelle le fils du Ministre de la justice de l’époque était impliqué. La bombe en question était une forme d’avertissement adressé au requérant, afin de l’inciter à ne pas poursuivre son enquête. Les autorités ont toutefois classé l’affaire comme acte terroriste.

2.4Quelques temps avant cet incident, un collègue du requérant, le juge d’instruction Chabora Abdel Majid, avait été égorgé alors qu’il menait une enquête sur une affaire de trafic de drogue. Bien qu’inquiet, le requérant a poursuivi son travail en redoublant de prudence, changeant régulièrement de domicile, et protégeant son épouse et sa plus jeune fille en organisant leur départ pour la France.

2.5À partir du 5 août 2008, le requérant a commencé à instruire une affaire importante de détournement de fonds, pour laquelle il a obtenu l’accord du Procureur de la République. À la suite de cette enquête, il a mis en examen 28 citoyens, dont la plupart menaient une vie ordinaire, à l’exception de trois individus, à savoir le Wali (préfet) de Souk Ahras, le Secrétaire général de la wilaya et le Directeur de l’administration, tous trois étant soupçonnés d’avoir détourné chacun 200 millions de dinars et d’en avoir perdu plus de sept milliards. Dans le cadre de son instruction, le requérant a convoqué au fur et à mesure l’ensemble des prévenus, mais n’est pas parvenu à convoquer les trois personnes susmentionnées. Le requérant s’est en effet heurté au refus catégorique de ses supérieurs, notamment celui du Procureur général, et de son supérieur, l’Inspecteur général du Ministère de la justice, qui a opposé son véto catégorique à de nombreuses reprises pour empêcher ces convocations.

2.6Grâce à ses enquêtes, le requérant a réussi à identifier le montant d’argent détourné par le Wali de Souk Ahras, qui se trouvait sur un compte bancaire de la banque de développement local. Le 26 janvier 2009, le requérant a obtenu de la banque une autorisation écrite afin de saisir le montant en question. Après cette saisine, le requérant a reçu des menaces et a été agressé physiquement à plusieurs reprises par des inconnus. Au mois d’avril 2009, alors qu’il regagnait son domicile après sa journée de travail et qu’il se dirigeait vers son immeuble, le requérant a aperçu trois hommes armés se trouvant à environ 50 mètres de lui, qui ont ouvert le feu dans sa direction et l’ont blessé à la jambe droite, ce qui a nécessité une hospitalisation de neuf jours. Le requérant ajoute que sa fille de 7 ans a été menacée à la sortie de l’école par des inconnus, qui lui ont dit, tout en lui retirant ses boucles d’oreilles : « Dis à ton père, le juge, qu’il ne peut rien faire ». À la suite de cet incident, l’épouse du requérant et sa fille ont de nouveau quitté l’Algérie pour la France, en février 2010. L’épouse du requérant est revenue en Algérie après quelques mois.

2.7Entre temps, le requérant a reçu quatre appels téléphoniques anonymes, l’enjoignant de débloquer l’argent saisi. Cependant, le requérant n’a pas cédé aux pressions et a poursuivi son enquête. En février 2010, l’enquête était terminée, mais les fonds litigieux demeuraient bloqués sur le compte bancaire.

2.8En juin 2010, le Directeur général de la police, le colonel Ali Tounsi, ami très proche du requérant, a été assassiné. Officiellement, les responsables de son assassinat n’ont jamais été retrouvés. Cependant, le requérant prétend que son décès est lié à des enquêtes menées sur une affaire de détournement de revenus du pétrole impliquant le Ministère de l’énergie et des mines, ainsi qu’au refus du colonel d’accorder le marché des hélicoptères de la police au frère du Président Bouteflika. Le colonel Tounsi était conscient qu’il était en danger de mort. Trois jours avant son assassinant, il confiait au requérant qu’il craignait que son opposition dans cette affaire ne lui coûte la vie. Après la mort du colonel Tounsi, certains de ses proches ont également disparu. Très inquiet pour sa sécurité, le requérant a fait part de ses craintes au Directeur de la justice militaire. Il a ensuite reçu plusieurs appels téléphoniques de menace.

2.9Le 15 juillet 2010, le requérant est parti en vacances pour une durée d’environ un mois. À son retour, il a découvert qu’il avait été muté à son insu à la cour de Guelma en tant que conseiller juridique en droit civil, fonction qui n’est ni adaptée à sa formation, ni à son parcours professionnel de juge d’instruction, puisqu’il a pratiqué le droit pénal pendant vingt ans. Cette mutation a fait comprendre au requérant que les choses allaient se compliquer de plus en plus, et qu’avant de l’éliminer définitivement, on cherchait d’abord à le neutraliser professionnellement en le rendant inoffensif en tant que juge d’instruction.

2.10Le requérant a en outre découvert que l’argent dont il avait ordonné la saisie avait été débloqué. Il a appris du Directeur de la banque que ce dernier avait reçu une requête signée du requérant lui-même, demandant la mainlevée sur le compte bancaire en question. Visiblement, la requête était un faux et sa signature avait été falsifiée. Après sa mutation, aucun juge d’instruction n’avait pris la place du requérant, donc personne n’avait pu signer à sa place. Le 25 août 2010, le requérant faisait rapport au Procureur général auprès du tribunal de Souk Ahras, dénonçant la falsification de sa signature. Ce rapport est resté sans suite. Faute de réponse, le requérant a adressé une nouvelle plainte au Procureur le 13 septembre 2010.

2.11Entre fin septembre et début octobre 2010, le requérant a reçu des menaces téléphoniques. Ne se sentant plus du tout en sécurité en Algérie, il a réussi à obtenir un visa pour son épouse, qui a une nouvelle fois quitté Alger le 20 octobre 2010.

2.12Le requérant a pris contact avec un ami membre de l’armée algérienne, le général X, à qui il a tout raconté. Il s’est également entretenu au mois de novembre 2010 avec l’Inspecteur du Ministère de la justice. À la suite de cet entretien, le 4 janvier 2011, le requérant a été convoqué au siège de l’Inspection générale, où il a été reçu par l’Inspecteur général, qui l’a accueilli de manière hostile, criant que c’était bien le requérant qui avait signé la requête bancaire en question. L’Inspecteur a voulu contraindre le requérant à reconnaître qu’il avait signé la levée de la saisie de la somme d’argent litigieuse, en échange de quoi il serait gratifié d’une promotion. Le requérant a nié catégoriquement et a refusé la proposition, suite à quoi l’Inspecteur général a agressé le requérant, saisissant un câble électrique nu et l’apposant sur la poitrine du requérant par deux occasions, infligeant à la victime de fortes décharges électriques. Pris de panique, le requérant a tenté d’ouvrir la fenêtre pour se sauver. L’Inspecteur lui a alors ordonné de sortir de son bureau en criant : « C’est moi la loi ! ».

2.13 De retour chez lui, le requérant a appelé le Procureur général de Guelma pour déposer plainte. Ce dernier a refusé d’enregistrer sa plainte, tout en mettant le requérant en garde, soulignant que l’Inspecteur général était tout-puissant. Non satisfait de cette réponse, le requérant a demandé une audition au Ministère de la justice, qui lui a été refusée.

2.14Le 23 janvier 2011, le requérant déposait formellement plainte auprès du Procureur général de Guelma contre l’Inspecteur général du Ministère de la justice pour actes de torture et détention arbitraire. Le 9 mai 2011, sa plainte était classée sans suite. Le requérant souligne que cette décision de classement n’est pas susceptible d’appel.

2.15Le requérant a contacté un ami à lui, colonel dans l’armée, qui lui a dit qu’il était en danger et qu’il devait se mettre à l’abri dans un lieu sûr et secret. Le requérant a demandé au Ministère de la justice l’autorisation de quitter le pays pour suivre un traitement médical. Le 10 février 2011, le requérant effectuait une demande de visa auprès du consulat de France, visa qui lui a été accordé, suite à quoi il a définitivement quitté l’Algérie pour Paris, le 16 février 2011.

2.16Le 18 février 2011, le requérant formulait une plainte auprès du Président de la République algérienne, qui est restée sans suite. Il note que, depuis sa plainte, le Président a transféré l’Inspecteur général vers un autre poste en avril 2011.

Teneur de la plainte

3.Le plaignant allègue avoir été victime de torture et de menaces à cause de son travail de juge d’instruction et des informations sensibles en sa possession, y compris en rapport avec l’assassinat du Directeur général de la police. Il n’invoque pas d’articles de la Convention, à part l’article 22.

Observations de l’État partie

4.1Le 20 juin 2013, l’État partie a soumis des observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2L’État partie soutient en premier lieu que la communication devrait être déclarée irrecevable, le requérant n’ayant pas épuisé tous les recours internes. Selon l’État partie, la décision de classement sans suite devant le Procureur général de Guelma que le requérant présente est un faux. Le Procureurgénéral de Guelma affirme en effet que les services de son parquet général n’ont jamais été saisis d’une plainte au nom du requérant, et que le Procureur n’a jamais signé de décision de classement d’une telle plainte, l’établissement d’un tel document ne relevant pas, du reste, de sa compétence, mais de celle du Procureur de la République. À la suite de cette découverte, une information judiciaire a été ouverte contre le requérant pour faux le 7 mai 2013, sur plainte du Procureur général, dont la signature a été contrefaite.

4.3Sur le fond, l’État partie note qu’au cours du mois de septembre 2010 une information selon laquelle le requérant aurait rendu, en usant de faux, une ordonnance de mainlevée de saisie au profit d’un inculpé est parvenue à la connaissance du Procureur de la République de SoukAhras, qui en a informé le Procureurgénéral de la cour de Guelma, qui l’a enjoint d’ouvrir une enquête. Le Procureur de la République a saisi le Directeur de la banque auprès de laquelle la mainlevée avait été opérée, lequel a confirmé l’information, remettant au Procureurla copie de l’ordonnance dépourvue du visa du parquet, nonconforme aux prescriptions légales et portant le cachet de la deuxième chambre d’instruction, ainsi que des signatures contrefaites du juge d’instruction de la chambre et de son greffier.

4.4Sur décision de la Cour suprême, une information judiciaire a alors été ouverte auprès du juge d’instruction de Skikda, le requérant disposant, en sa qualité de magistrat, d’un privilège de juridiction. Convoqué à plusieurs reprises par le juge d’instruction pour être entendu, le requérant ne s’est pasprésenté, ce qui a conduit le magistrat instructeur à établir, le 15 juin 2011, un mandat d’amener contre lui. Le requérant persistant dans son refus de se présenter, le juge d’instruction a établi un mandat d’arrêt à son encontre le 28juin 2011.

4.5L’information terminée, le juge d’instruction de Skikda a renvoyé le dossier devant la chambre d’accusation, qui rendait, le 19 septembre 2011, un arrêt renvoyant le requérant devant le tribunal criminel de la cour de Skikda pour y faire face à des chefs de faux en écriture publique et authentique et d’abus de fonction, fait prévus et réprimés par l’article 214 du Code pénal et l’article 33 de la loi 06.01 relative à la prévention et la lutte contre la corruption.

4.6Le 23 novembre 2011, le tribunal criminel de Skikda rendait un jugement par lequel il condamnait le requérant par contumace à la réclusion perpétuelle.

4.7L’État partie qualifie le reste des faits invoqués par le requérant de « série d’affabulations et de contre-vérités ne méritant pas que l’on s’y attarde ».

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1 Le 24 février 2014, le requérant a contesté les arguments de l’État partie et réitéré l’ensemble de ses allégations. Il a notamment soutenu que l’État partie n’avait fourni aucune réponse à ses allégations, ni de moyen de preuve à l’appui de ses propres accusations. Il joint des copies des rapports qu’il a adressés au Procureur, juste après avoir été informé qu’en son absence sa signature avait été falsifiée pour établir un faux document de mainlevée, et qu’il a de nouveau donnés en main propre au Procureur le 13 septembre 2010.

5.2Le requérant nie avoir reçu des convocations devant le juge d’instruction du tribunal de Skikda, comme le prétend l’État partie.

Soumissions additionnelles du requérant

6.1Le 20 novembre 2014, le requérant a fait part au Comité de menaces de mort qu’il aurait reçues le 6 novembre 2014 devant la mosquée El-Ihsan, à Argenteuil, en France, où il réside. Ces menaces ont été proférées par deux individus, nommés par le requérant, qui se sont présentés à lui comme étant des agents du Département du renseignement et de la sécurité et qui l’ont enjoint de renoncer à sa plainte devant le Comité, en ajoutant ces mots : « Sinon vous êtes mort ». Le requérant a porté plainte à la police d’Argenteuil le 8 novembre 2014 pour menaces de mort. Il joint une copie d’un article de presse du quotidien algérien El Watan du 6 juillet 2014, qui fait état de sa plainte devant le Comité. Selon lui, c’est la cause des menaces faites à son encontre.

6.2Le 5 février 2015, le Rapporteur chargé de la question des représailles au titre de l’article 22 demandait à l’État partie de prendre toute mesure utile pour protéger la vie, la sécurité et l’intégrité personnelle du requérant, et de veiller à ce qu’aucun préjudice irréparable ne lui soit causé. Un délai de trente jours, jusqu’au 6 avril 2015, était donné à l’État partie pour informer le Comité des mesures prises en accord avec cette demande. Aucune réponse n’a été reçue à ce sujet.

6.3Le 7 mai 2015, le requérant a informé le Comité que l’enquête pour menaces de mort était conclue et que le dossier avait été transmis au tribunal de grande instance de Pontoise pour une audience prévue le 21 octobre 2015.

6.4Le 5 juin 2015, le requérant a informé le Comité que sa sœur, qui vit en Algérie, aurait été menacée et que la maison de cette dernière aurait été endommagée, des inconnus en ayant condamné tous les accès avec du ciment et des portes blindées.

6.5Le 27 novembre 2015, un rappel a été adressé à l’État partie, faisant référence à la lettre du 5 février 2015 du Rapporteur susmentionné, dans laquelle il lui était demandé d’informer le Comité des mesures prises pour donner effet à sa demande.

6.6Le 8 février 2016, le requérant informait le Comité que, le 8 janvier 2016, la Cour nationale du droit d’asile française lui a reconnu le statut de réfugié, ainsi qu’à son épouse et à ses trois enfants.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes, dans la mesure où il a qualifié la décision de classement sans suite du Procureur général de Guelma, présentée par le requérant, comme étant un faux. Le Comité relève toutefois qu’outre cette affirmation, l’État partie n’a avancé aucune réponse sur les faits présentés par le requérant. Le Comité conclut que, dans les circonstances, l’inaction des autorités compétentes a rendu improbable l’ouverture d’un recours susceptible d’apporter au requérant une réparation utile. Le Comité en conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

Examen au fond

8.1 Le Comité a examiné la requête en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

8.2 Le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle, en raison de son travail de juge d’instruction, il a été victime d’une machination, d’intimidations et de menaces contre son intégrité physique par différents agents officiels de l’État partie entre 2009 et 2011. Le requérant a en outre allégué avoir été victime d’actes de torture par l’Inspecteur général le 4 janvier 2011, ce dernier ayant cherché à le contraindre de reconnaître qu’il avait signé la levée de la saisie de 160 milliards de dinars algériens, après en avoir ordonné le gel, en sa qualité de juge d’instruction, dans le cadre d’une enquête pour détournement de fonds.

8.3Le Comité a pris note de la soumission de l’État partie, qui a présenté des faits différents sans pour autant répondre aux allégations documentées du requérant. Le Comité note en outre que le requérant a fourni un certain nombre de documents, dont une copie de sa plainte auprès du Procureur général de Guelma du 23 janvier 2011, dans laquelle il a relaté son agression par l’Inspecteur général le 4 janvier 2011. L’État partie n’a pas réfuté ces allégations.

8.4Le Comité observe en outre que, bien que l’État partie ait soutenu que le requérant a fait l’objet d’une information judiciaire dès le mois de septembre 2010 pour usage de faux, il transparaît du dossier que le requérant a demandé le 20 janvier 2011 une autorisation de quitter le territoire, qu’il a obtenue le 10 février 2011, et il a alors pu obtenir un visa pour la France. Cela tend plutôt à démontrer l’absence de toute poursuite contre lui au moment de son départ du pays et conforte la thèse du requérant, à laquelle le Comité accorde le poids voulu.

8.5Nonobstant les thèses divergentes entre les parties, le Comité rappelle l’obligation qui incombe aux États parties d’assurer à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte, et de procéder immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause. L’État partie n’a fourni aucune justification quant à son manque d’action en rapport avec les menaces dont le requérant a fait l’objet dès 2009 et qui ont été suivies d’actes de violence contre sa personne par l’Inspecteur général en janvier 2011. Après son arrivée en France, les menaces contre le requérant et sa famille se sont poursuivies et l’État partie s’est également abstenu de tout commentaire à cet égard, malgré les demandes du Comité de prendre toutes les mesures utiles pour protéger l’intégrité du requérant et de sa famille et de lui apporter des informations à cet égard.

8.6 Le Comité observe que le requérant n’a pas invoqué de griefs spécifiques au titre de la Convention. Toutefois, à la lumière des informations mises à sa disposition, et sans qualifier les actes auxquels le requérant a été exposé, le Comité conclut que l’État partie a manqué à la responsabilité qui lui revenait, au titre de l’article 13 de la Convention, de garantir au requérant le droit de porter plainte, qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate à une telle plainte par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale.

8.7Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que les informations dont il a été saisi font apparaître une violation de l’article 13 de la Convention.

9. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.6), le Comité invite instamment l’État partie à a) mener une enquête indépendante, transparente et efficace sur les évènements en question ; b) prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir toute menace ou tout acte de violence auquel le requérant et sa famille pourraient être exposés, en particulier pour avoir déposé la présente requête ; et c) informer le Comité, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci-dessus.