Nations Unies

CAT/C/57/D/628/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

12 août 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention concernant la communication no 628/2014*,**

Communication présentée par :

J. N. (représenté par un conseil, Michala Bendixen)

Au nom de :

J. N.

État partie :

Danemark

Date de la requête :

15 septembre 2014 (lettre initiale)

Date de la présente décision :

13 mai 2016

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question ( s ) de fond :

Non-refoulement

Question ( s ) de procédure :

Griefs non étayés

Article ( s ) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est J. N., ressortissant sri-lankais né en 1960. Sa demande d’asile au Danemark a été rejetée et, au moment de la soumission de la présente requête, il se trouvait en détention, en instance d’expulsion vers Sri Lanka. Il affirme que son expulsion serait contraire à l’article 3 de la Convention car il risquerait d’être soumis à la torture à Sri Lanka. La date de l’expulsion n’était pas fixée. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 17 septembre 2014, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est né à Jaffna (Sri Lanka). Il est marié et père de deux fils et de deux filles. Son frère vit en Norvège, où il a obtenu l’asile en raison de ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Par le passé, le requérant a aidé les Tigres de mer (une composante des LTTE), utilisant son bateau pour les combats. Mais la principale raison pour laquelle le requérant a demandé l’asile est le conflit qui l’oppose au Parti démocratique populaire de l’Eelam (EPDP) en rapport avec son fils V. Ses deux fils ont été forcés de suivre un entraînement auprès des LTTE pendant quinze jours en 2004 en échange du soutien qu’ils ont reçu après le tsunami. En 2008, ayant appris cela, l’EPDP a appréhendé son fils V. pour l’interroger et l’a torturé. V. a été relâché dans un piètre état, pouvant à peine marcher. Après qu’il eut été soigné à l’hôpital, le requérant l’a conduit à un camp administré par la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka. Il est allé le voir dans ce camp quinze jours après, mais a ensuite perdu tout contact avec lui. Deux mois plus tard, en mars 2008, le requérant a été convoqué au camp de l’EPDP, où il a été interrogé au sujet de son fils et frappé à 10 reprises sur différentes parties du corps. Il a été relâché après avoir promis de livrer son fils à l’EPDP. Ensuite, l’EPDP a effectué trois ou quatre perquisitions à son domicile, la dernière fois le 2 octobre 2008. L’EPDP l’a averti que s’il ne leur amenait pas V. avant le 31 octobre 2008, il serait exécuté.

2.2 Le 11 novembre 2008, le requérant a quitté Sri Lanka illégalement avec l’aide d’un agent. Il n’a jamais possédé de passeport officiel. Il est arrivé au Danemark le 16 novembre et a demandé l’asile le même jour à Aarhus au motif qu’il était en conflit avec l’EPDP. Le 10 février 2010, sa demande d’asile a été rejetée par le Service danois de l’immigration. Le 8 juin 2010, la Commission de recours des réfugiés l’a entendu mais a reporté sa décision parce qu’elle attendait des informations du Comité international de la Croix-Rouge et de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka. Le 13 mars 2012, la Commission de recours des réfugiés a rejeté l’appel formé par le requérant et ordonné à celui-ci de quitter le pays sous deux semaines. Le 11 avril 2012, le requérant a demandé aux autorités d’immigration de réexaminer son cas mais, le 11 mai 2012, la Commission de recours des réfugiés l’a informé que sa demande n’aurait pas d’effet suspensif sur son expulsion et qu’elle ne statuerait pas dessus avant neuf ou dix mois. Après quoi, le requérant a quitté le Danemark et a vécu en France durant quatorze mois puis en Suisse pendant huit mois. Il est retourné au Danemark en mai 2014. Le 4 septembre 2014, il a été convoqué par la police de l’immigration danoise et placé en détention en attendant l’accomplissement des formalités nécessaires à son expulsion. Le requérant dit que la Commission de recours des réfugiés n’a pas pris en considération sa demande de réexamen de son cas car il ne se trouvait pas au Danemark durant cette période.

2.3 Suite au rejet définitif de son appel par la Commission de recours des réfugiés, le requérant a pris contact avec sa femme, qui avait dû changer de lieu de résidence à Sri Lanka. Il a aussi appris que son fils V. avait été transféré du camp de la Commission des droits de l’homme à un camp de réfugiés en Inde.

Teneur de la requête

3.Le requérant affirme que s’il était renvoyé à Sri Lanka, il serait exposé à un risque de torture et de traitement inhumain ou dégradant par l’EPDP, qui l’a menacé de mort. Il ajoute qu’il risquerait d’être torturé par les autorités puisqu’en tant que Tamoul revenant de l’étranger il serait automatiquement soupçonné d’être lié aux LTTE. Il renvoie à des rapports de presse et des rapports officiels montrant le risque auquel sont exposés les Tamouls qui rentrent à Sri Lanka et les assassinats, enlèvements et exactions commis par l’EPDP à Jaffna, qui sont souvent couverts ou appuyés par les forces de sécurité publiques.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1En date du 17 mars 2015, l’État partie a indiqué tout d’abord que la communication était irrecevable et dénuée de fondement. Il a ensuite décrit la structure et la composition de la Commission de recours des réfugiés. Les activités de la Commission sont fondées sur les dispositions du paragraphe a) de l’article 53 de la loi relative aux étrangers. Les décisions du Service danois de l’immigration refusant l’asile font systématiquement l’objet d’un recours auprès de la Commission à moins que le Service de l’immigration ait jugé qu’un tel recours n’était manifestement pas fondé. La saisine de la Commission a un effet suspensif sur l’exécution de l’expulsion. La Commission de recours est un organe quasi judiciaire indépendant qui est considéré comme un tribunal au sens de l’article 39 de la directive 2005/85/CE du 1er décembre 2005 du Conseil de l’Union européenne relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres. Conformément à la loi relative aux étrangers, les membres de la Commission sont indépendants et ne peuvent pas prendre d’instructions auprès de l’autorité responsable de leur nomination. Les décisions de la Commission sont définitives. Les étrangers peuvent toutefois se pourvoir devant les juridictions ordinaires, qui sont habilitées à trancher toute question concernant les limites des compétences d’une autorité publique. Comme l’a déterminé la Cour suprême, l’examen par les tribunaux ordinaires des décisions de la Commission de recours des réfugiés porte uniquement sur les points de droit, notamment un éventuel défaut de fondement de la décision rendue et l’exercice illégal d’un pouvoir discrétionnaire, mais l’appréciation des éléments de preuve par la Commission n’est pas susceptible de réexamen.

4.2 L’État partie indique qu’un permis de séjour peut être accordé à un étranger ou une étrangère si sa situation relève des dispositions de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. La section A de l’article premier de la Convention de 1951 a été incorporée dans la législation danoise. Un permis de séjour sera délivré sur demande à un étranger ou une étrangère si il ou elle risque la peine de mort ou risque d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou mauvais traitements en cas de renvoi dans son pays d’origine (régime de protection). Le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers est très proche de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et, d’après les notes explicatives qui l’accompagnent, les autorités d’immigration doivent, dans l’application de cette disposition, suivre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière et se conformer aux obligations internationales de l’État partie. Dans la pratique, la Commission de recours des réfugiés considérera généralement que les conditions de délivrance d’un permis de séjour sont remplies lorsque des facteurs spécifiques et individuels montrent que le demandeur d’asile sera exposé, s’il est renvoyé dans son pays d’origine, à un risque réel d’être condamné à mort ou de subir des mauvais traitements. De plus, en application du paragraphe 1 de l’article 31 de la loi relative aux étrangers, un étranger ne peut pas être renvoyé dans un pays où il court le risque d’être condamné à la peine de mort ou d’être soumis à des formes graves de mauvais traitement, ou dans un pays où il ne sera pas protégé contre le renvoi dans un tel pays (principe de non-refoulement). Cette obligation est absolue et protège tous les étrangers. À cet égard, l’État partie fait observer que la Commission de recours des réfugiés et le Service danois de l’immigration ont rédigé conjointement plusieurs notes décrivant en détail la protection juridique offerte aux demandeurs d’asile par le droit international, notamment par la Convention de 1951, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.3 La Commission de recours des réfugiés commet gratuitement un conseil à tous les demandeurs d’asile et l’ensemble des éléments et pièces du dossier sont transmis au conseil suffisamment avant l’audition. La procédure devant la Commission se déroule oralement et en présence du demandeur d’asile et de son conseil ainsi que d’un interprète. Pendant l’audition, le demandeur d’asile peut faire une déclaration et répondre à des questions. Après les déclarations finales du conseil et du représentant du Service danois de l’immigration, le demandeur d’asile peut faire une dernière déclaration. La décision de la Commission est normalement communiquée au demandeur immédiatement après l’audition et, à cette occasion, la personne présidant l’audition explique brièvement les motifs de la décision. L’État partie fait observer que les décisions de la Commission de recours des réfugiés sont fondées sur une évaluation spécifique et individuelle du dossier et que les motifs du demandeur d’asile sont évalués à la lumière de tous les éléments de preuve pertinents, y compris des informations générales sur la situation dans le pays d’origine. Ces données proviennent de différentes sources, notamment du Conseil danois des réfugiés, d’autres gouvernements, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), d’Amnesty International et de Human Rights Watch.

4.4 Compte tenu de ce qui précède, l’État partie fait observer que le demandeur d’asile doit fournir tous les renseignements requis afin que l’on puisse établir s’il relève de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. C’est donc à lui qu’il incombe de démontrer que les conditions d’octroi de l’asile sont remplies. La Commission peut aussi entendre des témoins. Si les déclarations du demandeur d’asile semblent cohérentes et concordantes tout au long de la procédure, la Commission considère en principe les faits présentés comme établis ; si ses déclarations comportent des incohérences, elle tentera d’en éclaircir les raisons. Des déclarations divergentes concernant des points déterminants des motifs pour lesquels l’intéressé demande l’asile peuvent entamer sa crédibilité. Conformément au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, établi par le HCR, la Commission de recours des réfugiés sera généralement moins exigeante, s’agissant de la charge de la preuve, dans le cas de demandeurs d’asile mineurs ou souffrant d’un trouble ou d’un handicap mental. En cas de doutes sur la crédibilité du demandeur d’asile, la Commission évalue toujours la mesure dans laquelle le principe du bénéfice du doute doit être appliqué.

4.5 L’État partie relève ensuite que la section A de l’article premier de la Convention de 1951 ne cite pas la torture parmi les motifs justifiant l’asile ; or le fait qu’un demandeur d’asile ait été soumis à la torture ou à des mauvais traitements similaires dans son pays d’origine peut être déterminant pour évaluer si les conditions d’octroi d’un permis de séjour au demandeur d’asile au titre du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers sont remplies. À cet égard, l’État partie observe que, d’après la jurisprudence de la Commission de recours des réfugiés, les conditions à remplir pour obtenir l’asile ou une protection en tant que réfugié ne sont pas considérées comme étant automatiquement réunies dans tous les cas où un demandeur d’asile a été soumis à la torture dans son pays d’origine. Cette approche est aussi étayée par la pratique du Comité. Lorsque la Commission de recours des réfugiés considère comme un fait établi qu’un demandeur d’asile a été soumis à la torture et risque d’être soumis à la torture en lien avec des persécutions pour des motifs relevant de la Convention de 1951 en cas de retour dans son pays, elle octroiera un permis de séjour au titre du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers (régime de la Convention). D’autre part, la Commission jugera que les conditions pour l’octroi d’un permis de séjour au titre du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers (régime de protection) sont remplies lorsque des facteurs spécifiques et individuels donnent à penser que le demandeur d’asile serait probablement exposé à un risque réel de torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine.

4.6 Lorsque la torture est invoquée à l’appui de la demande d’asile, la Commission de recours des réfugiés juge parfois nécessaire d’obtenir plus de précisions à cet égard. Dans le cadre de la procédure de recours, elle peut, par exemple, ordonner de soumettre le demandeur d’asile à un examen visant à déceler d’éventuels signes de torture. Un tel examen n’est pas jugé nécessaire dans les cas où le demandeur d’asile ne s’est pas montré crédible pendant la procédure et où la Commission a dû rejeter dans son intégralité sa déclaration au sujet de la torture. À cet égard, l’État partie renvoie à la décision rendue dans l’affaire Milo Otman c. Danemark,dans laquelleles allégations de torture du requérant et les renseignements médicaux fournis ont été écartés en raison d’un manque général de crédibilité. Il renvoie aussi à l’affaire Nicmeddin Alp c. Danemark, dans laquelle le Comité a fait observer que les autorités de l’État partie avaient examiné en détail tous les éléments présentés par le requérant mais n’avaient pas jugé nécessaire d’ordonner un examen médical car le requérant n’était pas crédible. À cet égard, l’État partie renvoie également à la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme.

4.7 L’État partie cite d’autre part l’affaire X, Y et Z c. Suède, dans laquelle le Comité a fait observer que « le fait d’avoir été soumis à la torture dans le passé est l’un des éléments que le Comité doit prendre en compte lorsqu’il examine une plainte pour violation de l’article 3 de la Convention, mais que le but qu’il poursuit, quand il examine la communication, est de déterminer si, maintenant, au cas où ils seraient renvoyés [dans leur pays d’origine], les auteurs risqueraient d’être soumis à la torture ». À cet égard, l’État partie mentionne aussi l’affaire M. C. M. V. F. c. Suède, dans laquelle le Comité a noté que l’élément déterminant était la situation qui existait dans le pays d’origine au moment où le demandeur d’asile est susceptible d’y être renvoyé.

4.8 L’État partie rappelle en outre les faits de la cause et ajoute que le requérant a affirmé devant les autorités nationales que ses fils avaient été forcés par les LTTE de suivre un entraînement de quinze jours en 2006, et non en 2004 comme il l’avait indiqué au Comité. Il relève également que, contrairement à ce qu’affirme le requérant, la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka n’a pas communiqué la moindre information. L’État partie soutient ensuite que le requérant n’a pas démontré à première vue que sa communication était recevable au regard de l’article 3 de la Convention, n’ayant pas suffisamment démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Sa requête est donc manifestement sans fondement et devrait être déclarée irrecevable. Dans l’éventualité où le Comité jugerait la requête recevable, l’État partie souligne que le requérant n’a pas suffisamment démontré que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

4.9 L’État partie fait observer que le requérant n’a fourni dans sa communication au Comité aucune nouvelle information concernant les problèmes que lui-même ou son fils auraient à Sri Lanka. Il note que, conformément à la pratique de la Commission de recours des réfugiés, le fait d’avoir été soumis à la torture dans son pays d’origine ne donne pas automatiquement au demandeur d’asile un droit à l’asile ou à une protection. Le facteur déterminant à considérer dans l’évaluation est de voir si l’intéressé risque la torture à son retour dans son pays d’origine. À cet égard, l’État partie observe que la Commission de recours des réfugiés, dans sa décision du 13 mars 2012, a essentiellement considéré les déclarations du requérant comme étant des faits, mais au vu des informations générales concernant l’évolution de la situation à Sri Lanka après le départ du requérant en novembre 2008, notamment du fait que l’EPDP avait cessé d’être un élément de la politique du Gouvernement sri-lankais, la Commission a conclu que le requérant ne serait pas exposé à son retour à un risque de persécution ou de mauvais traitement au sens de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. Ce n’est pas parce que le requérant remplissait les conditions requises pour l’obtention d’un permis de séjour en vertu de l’article 7 de la loi relative aux étrangers au moment de son départ en novembre 2008 qu’il avait automatiquement droit à un permis de séjour en vertu de cet article au moment où le Service danois de l’immigration ou la Commission de recours des réfugiés ont rendu leurs décisions étant donné que les conditions de résidence n’étaient plus remplies et avaient cessé d’exister. En d’autres termes, l’examen de la question de savoir si un étranger risque d’être victime de persécution ou de mauvais traitements qui justifieraient de lui accorder l’asile doit être effectué à partir des informations disponibles au moment où la décision en question est prise.

4.10 À la lumière de ces éléments, l’État partie renvoie aux conclusions rendues par la Cour européenne dans l’affaire Ashkan Panjeheighalehei c. Danemark, selon lesquelles la Cour a déclaré que « l’existence du risque (d’être soumis à la torture ou à un traitement inhumain ou dégradant) doit être évaluée principalement en référence aux faits qui étaient connus ou auraient dû être connus par l’État contractant au moment de l’expulsion […] et ne devrait pas être évaluée rétrospectivement ». Dans ce contexte, l’État partie s’en remet aussi à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et à la décision adoptée par le Comité dans l’affaire A. A. R. c. Danemark et affirme qu’en l’espèce, en évaluant le risque réel que court le requérant à son retour à Sri Lanka, la Commission de recours des réfugiés a tenu compte des informations concernant la situation personnelle du requérant, notamment son profil et celui de sa famille au regard des informations générales concernant la situation des Tamouls à Sri Lanka. Cette évaluation a été effectuée conformément aux principes énoncés par la Cour européenne dans l’affaire N. A.c.  Royaume-Uni (requête no 25904/07), dans laquelle elle a déclaré, entre autres, que malgré la dégradation des conditions de sécurité à Sri Lanka et la multiplication des violations des droits de l’homme qui en résultait, cela ne créait pas un risque général pour tous les Tamouls rentrant dans ce pays. La Cour européenne a conclu également que l’appréciation tant du risque auquel les personnes d’origine ethnique tamoule présentant certains profils étaient exposées que de la question de savoir si des actes individuels de harcèlement constitueraient, pris ensemble, des violations graves des droits de l’homme, ne pouvaient être effectuées que sur une base individuelle et spécifique.

4.11 L’État partie cite également cinq affaires dont des personnes d’origine ethnique tamoule de Sri Lanka ont saisi la Cour européenne pour contester des décisions prises par les autorités danoises, dans lesquelles la Cour a conclu que le fait de renvoyer les intéressés à Sri Lanka ne constituerait pas une violation de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a réaffirmé la conclusion qu’elle avait rendue dans l’affaire N. A.c. Royaume-Uni,selon laquelleon ne pouvait pas considérer que les personnes d’origine tamoule renvoyées à Sri Lanka risquaient d’être maltraitées au seul motif de leur origine ethnique, et estimé que les informations générales concernant la situation à Sri Lanka n’étaient pas de nature à laisser penser que toute personne d’origine tamoule rentrant à Sri Lanka risquerait d’y être maltraitée. La Cour a aussi déclaré que la protection au titre de l’article 3 de la Convention européenne n’était applicable que si le demandeur pouvait établir qu’il y avait de sérieuses raisons de penser qu’il ou elle intéresserait suffisamment les autorités et serait pour cela placé en détention et interrogé à son retour.

4.12En l’espèce, conformément à sa décision du 11 novembre 2013, la Commission de recours des réfugiés a également évalué la question à la lumière des derniers éléments connus concernant la situation qui existait alors à Sri Lanka, notamment des éléments figurant dans les Lignes directrices du HCR permettant d ’ évaluer les besoins de protection internationale des demandeurs d ’ asile originaires de Sri Lanka qui énumèrent certains groupes de personnes ayant des liens particuliers avec les LTTE et pouvant avoir besoin d’une protection internationale. À cet égard, l’État partie note que le requérant a déclaré à ses autorités qu’il avait fait partie des Tigres de mer, la branche navale des LTTE, de 1992 à 2000, et que cela ne lui avait causé aucun problème. En outre, aucun des fils du requérant n’avait fait partie des LTTE, ayant suivi un entraînement militaire durant seulement deux semaines en échange de l’aide qu’ils avaient reçue des LTTE à l’occasion du tsunami en 2004. S’agissant de son frère, le requérant avait déclaré aux autorités danoises que celui-ci avait fait partie des LTTE mais qu’il avait rencontré des problèmes lorsque l’armée indienne était arrivée à Sri Lanka en 1987 et qu’il s’était alors enfui et avait obtenu l’asile en Norvège. À cet égard, l’État partie relève que le requérant a déclaré que sa famille n’avait rencontré aucun problème lorsque son frère avait quitté le pays. En outre, le requérant n’avait pas invoqué la situation de son frère dans le cadre de la procédure d’asile. En conséquence, l’État partie souscrit à l’évaluation de la Commission de recours des réfugiés qui a considéré que le requérant ne retiendrait pas particulièrement l’attention des autorités sri‑lankaises en raison des liens que lui-même ou des membres de sa famille avaient eus avec les LTTE.

4.13 S’agissant des informations et rapports cités par le requérant concernant des actes de violence commis par les forces de sécurité sri-lankaises contre des Tamouls, l’État partie réaffirme que le requérant et les membres de sa famille ne sont pas des personnes qui intéressent particulièrement les autorités et qu’aucune information n’indique que des membres de la famille du requérant vivant à Sri Lanka, notamment sa femme ou ses enfants, auraient fait l’objet de mauvais traitements depuis le départ du requérant. L’État partie réaffirme également que l’EPDP n’assume plus aucune fonction militaire à Sri Lanka mais qu’il a plutôt pris, de plus en plus, les caractéristiques d’un groupe criminel, se livrant à des exactions et à la corruption et commettant des actes de violence contre des civils dans la région de Jaffna. De ce fait, l’État partie soutient que le requérant n’a pas montré qu’il serait probablement exposé à un risque réel de mauvais traitements par l’EPDP parce que son fils avait suivi un entraînement auprès des LTTE en 2006, au moment où la Commission de recours des réfugiés a rendu sa décision, ni qu’il courait un tel risque actuellement.

4.14L’État partie relève d’autre part des incohérences dans le récit du requérant. En particulier, au cours de l’audition du 24 novembre 2008, le requérant a déclaré qu’il était allé du village d’Inparuddy jusqu’à Colombo le 31 octobre 2008, qu’il n’avait rencontré aucun problème au cours de son trajet, qu’il était en possession d’une carte d’identité temporaire qu’il avait présentée aux autorités sri-lankaises pendant son voyage et qu’il était parti de l’aéroport de Colombo le 12 novembre 2008 muni d’un passeport sri-lankais temporaire à son nom. Le requérant a ultérieurement déclaré, dans sa demande d’asile datée du 4 décembre 2008 et lors de son audition du 14 novembre 2009, qu’il était parti de l’aéroport de Colombo le 12 novembre 2008 muni d’un passeport établi à un autre nom. En outre, lorsqu’il a été entendu par la Commission le 8 juin 2010, le requérant a déclaré qu’il était resté auprès des LTTE dans la péninsule de Jaffna pendant vingt ou vingt et un jours après la dernière perquisition effectuée par l’EPDP le 20 octobre 2008, et qu’il avait alors été accompagné par quelqu’un jusqu’à Mamadu/Vavuniya, d’où il avait poursuivi son voyage vers Colombo. L’État partie soutient donc que le requérant, qui a quitté Sri Lanka il y a plus de six ans et qui n’intéresse pas particulièrement les autorités, ne risquera pas d’être soumis à des mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention s’il est renvoyé à Sri Lanka.

Réponses complémentaires des parties

5.1En date du 29 juin 2015, le requérant a indiqué qu’il contestait l’affirmation de l’État partie selon laquelle sa requête était irrecevable. Sur le fond, il reconnaît qu’il n’a présenté au Comité aucune nouvelle information ; cependant, il renvoie à plusieurs rapports qui confirment que les Tamouls font toujours l’objet de mauvais traitements à Sri Lanka. Le requérant fait ensuite observer que même s’il n’est pas une personne « intéressant particulièrement les autorités » à Sri Lanka, il a été arrêté, interrogé et battu par l’EPDP et n’a été relâché qu’après avoir promis de livrer son fils. Comme il ne l’avait pas fait, il a été menacé de mort. En conséquence, il a fui Sri Lanka illégalement avec un passeport qui n’était pas à son nom. Pour ces raisons, il craint à juste titre d’être maltraité à son retour. Le requérant affirme d’autre part que les autorités nationales ont considéré de fait qu’il avait besoin d’une protection lorsqu’il avait quitté Sri Lanka en 2008 et que c’est uniquement parce que l’EPDP avait perdu son influence à Jaffna que les autorités ont conclu qu’il n’avait plus besoin de protection. Il ajoute aussi que l’EPDP est un groupe paramilitaire toujours actif qui exerce un contrôle à Jaffna avec l’approbation tacite de l’armée sri‑lankaise.

5.2 En date du 24 février 2016, l’État partie a réitéré sa position selon laquelle la présente requête est irrecevable car insuffisamment étayée et est dénuée de fondement. Il fait observer que dans ses commentaires datés du 29 juin 2015, le requérant a confirmé qu’il n’avait fourni aucune nouvelle information dans le cadre de la requête dont il a saisi le Comité. Il note aussi que le requérant prétend avoir quitté Sri Lanka illégalement. À ce sujet, l’État partie fait observer que le requérant s’est rendu à Colombo sans aucun problème ; qu’il est parti de l’aéroport de Colombo sans la moindre difficulté et qu’il a pu séjourner à Colombo avant son départ sans être inquiété. S’agissant des informations générales concernant la situation à Sri Lanka, l’État partie note que les éléments d’information actuels ne permettent en rien de parvenir à une évaluation différente quant à la demande d’asile du requérant. À cet égard, l’État partie renvoie au document intitulé Country Information and Guidance surSri Lanka (Ministère de l’intérieur du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord), où il est dit que le fait pour un Tamoul d’appartenir ou de participer aux LTTE à un niveau peu élevé ne suffit pas à créer un risque réel ou une probabilité raisonnable que l’intéressé fasse l’objet d’une attention préjudiciable à son retour à Sri Lanka. En outre, conformément à la note thématique publiée par le Centre d’information norvégien sur les pays d’origine (Landinfo) le 3 juillet 2015, la situation générale en matière de sécurité à Sri Lanka s’est sensiblement améliorée depuis mai 2009, même si le pays est encore soumis à un contrôle militaire strict, et Landinfo n’a reçu aucune information indiquant que des Tamouls rentrés à Sri Lanka auraient fait l’objet de mesures de sécurité particulières, auraient été soumis à la torture ou maltraités de quelque autre façon.

5.3 Enfin, à l’appui de son affirmation selon laquelle la présente requête n’est pas étayée et est dénuée de fondement, l’État partie renvoie à la récente jurisprudence du Comité des droits de l’homme. Dans l’affaire P. T. c. Danemark, le Comité a souligné qu’« il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice ». D’autre part, dans l’affaire K. c. Danemark, le Comité a noté ceci : « La Commission danoise de recours des réfugiés a examiné attentivement chacune des allégations de l’auteur, et analysé tout particulièrement celles qui concernaient les menaces que l’auteur aurait reçues [dans son pays d’origine], et elle les a jugées contradictoires et invraisemblables à plusieurs égards. L’auteur conteste les conclusions de fait de la Commission ainsi que l’appréciation que celle-ci a faite des éléments de preuve, mais sans expliquer en quoi cette appréciation aurait été arbitraire ou aurait constitué un déni de justice ». De même, dans l’affaire N. c. Danemark, le Comité des droits de l’homme a conclu ceci : « L’auteur n’a pas expliqué en quoi la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés n’aurait pas rempli les critères susmentionnés, et n’a pas non plus fourni de motif sérieux de croire, comme il l’affirme, que son renvoi en République islamique d’Iran l’exposerait à un risque réel de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief de violation de l’article 7 aux fins de la recevabilité et déclare la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. ».

5.4Le 22 mars 2016, le requérant a fait valoir que sa plainte était recevable. Il a maintenu qu’il avait de bonnes raisons de craindre d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka et a indiqué que dans leur décision de renvoi, les autorités de l’État partie s’étaient fondées sur des « informations dépassées et insuffisantes », dans la mesure où elles n’avaient pas rouvert sa demande d’asile lorsque « de nouvelles informations et recommandations avaient été présentées après mars 2012 ». Il a en outre fait valoir qu’il ne pouvait être fait recours contre la décision de la Commission de recours des réfugiés qu’il estimait fondée sur des « informations dont il avait par la suite été prouvé qu’elles étaient erronées » et qui équivalait de ce fait à un « déni de justice » en l’espèce. À cet égard, le requérant a fait valoir que d’une manière générale, les autorités de l’État partie avaient jugé les informations qu’il avait fournies cohérentes et dignes de foi et avaient estimé qu’il avait effectivement besoin d’une protection au moment où il avait quitté Sri Lanka en 2008.

5.5Le requérant a affirmé que les services d’immigration avaient décidé de rejeter sa demande d’asile au motif que l’EPDP n’était plus lié au pouvoir sri-Lankais et qu’au moment où ils avaient rendu leur décision, le risque pour les Tamouls rentrant au pays d’être soumis à la torture était globalement faible. Néanmoins, il a fait observer que « de nombreuses informations avaient par la suite démontré que l’un et l’autre [arguments] étaient discutables ». Aussi les services d’immigration de l’État partie auraient-ils dû rouvrir son dossier et examiner sa demande d’asile à la lumière des informations générales les plus récentes au sujet de Sri Lanka. Il a réaffirmé qu’il n’y avait pas eu de « changement de pouvoir » à Sri Lanka depuis qu’il en était parti et que « la Commission » n’avait présenté aucun élément prouvant qu’il ne serait pas en danger à son retour. Sur ce point, le requérant a fait valoir qu’en 2013 et 2014, l’État partie avait accordé l’asile à « 10 demandeurs d’asile sri-lankais sur un total de 16 » et que cinq des rejets étaient liés à un manque de crédibilité, ce qui d’après lui signifiait que « dans des cas semblables au sien, la Commission reconnaissait désormais qu’il y avait un besoin important de protection ».

5.6Le requérant a fait valoir que la torture et d’autres formes de mauvais traitements étaient toujours très répandus à Sri Lanka et que, compte tenu de son passé, il risquait d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements dégradants à son retour. Il a ajouté que dans sa réponse au Comité, l’État partie avait omis des faits importants. D’après Landinfo, en 2015, « il [était] toujours fait état d’arrestations et de détentions arbitraires et le Gouvernement sri‑lankais consid[érait] toujours les LTTE comme représentant un “risque pour la sécurité” ». L’organisation « Freedom from torture » qui a son siège au Royaume-Uni aurait recueilli des « éléments de preuve attestant de 160 cas [d’actes de torture] d’après les informations recueillies (jusqu’)en septembre 2014 ». Le requérant a en outre fourni des extraits tirés d’un certain nombre de « sources », donnant une « autre image » de Sri Lanka que celle fournie par l’État partie. Le requérant a réaffirmé qu’il « n’intéressait pas particulièrement les autorités » sri-lankaises, mais qu’il avait aidé les Tigres de mer, qui étaient rattachés aux LTTE. À ce sujet, il a rappelé son histoire, précisant qu’il avait quitté Sri Lanka clandestinement et qu’il avait pu le faire sans difficulté parce qu’il « n’intéressait pas particulièrement (sic) les autorités ». Il a conclu son argumentation en indiquant que tous les Sri-Lankais qui rentraient chez eux étaient soumis à des interrogatoires approfondis et que le moindre soupçon de lien avec les LTTE pouvait entraîner « des tortures graves et des traitements dégradants ».

5.7Le 19 avril 2016, l’État partie a présenté de nouvelles observations. Il a renvoyé à ses précédentes observations et à des arguments particuliers concernant la présente affaire pour réaffirmer que le requérant n’avait pas établi à première vue que sa requête était recevable au titre de l’article 3 de la Convention, qu’elle était donc manifestement infondée et devait être jugée irrecevable. En tout état de cause, l’État partie a maintenu qu’il n’avait pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de penser que le fait de renvoyer l’auteur à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie a en outre fait référence à la jurisprudence des autorités danoises de l’immigration, qui témoignait, entre autres du taux élevé de demandes d’asile auxquelles elles avaient fait droit entre 2013 et 2015.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité note que, dans le cas d’espèce, l’État partie n’a pas émis d’objection à la recevabilité de la requête pour ce motif.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui soutient que la requête devrait être déclarée irrecevable car elle n’est pas étayée. Le Comité considère toutefois que la requête a été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité parce que les allégations du requérant selon lesquelles il risque d’être torturé ou de subir des mauvais traitements en cas d’expulsion vers Sri Lanka soulèvent des questions au titre de l’article 3 de la Convention. Ne constatant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la communication à la lumière de toutes les informations que lui ont communiquées les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Dans le cas présent, le Comité doit déterminer si, en renvoyant de force le requérant à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser (ou refouler) un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il ou elle risque d’être soumis à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Toutefois, le Comité rappelle que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne pourrait pas être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il ou elle court personnellement un risque réel et prévisible. Si, conformément à son observation générale no 1, le Comité est habilité à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé (par. 9).

7.5Le Comité prend note de l’allégation du requérant qui affirme que son expulsion constituerait une violation des droits qui lui sont garantis à l’article 3 de la Convention car il courrait un risque d’être soumis à la torture à Sri Lanka. Il prend aussi note de l’affirmation du requérant, admise par l’État partie, selon laquelle il été détenu et battu en 2008 par des membres du groupe paramilitaire EPDP qui voulaient savoir où se trouvait son fils et quels étaient ses liens passés avec les LTTE. Le requérant a également indiqué qu’il avait été personnellement lié aux Tigres de mer des LTTE de 1992 à 2000, même s’il n’a pris part à aucun combat.

7.6 Le Comité note que, dans sa décision du 13 mars 2012, la Commission de recours des réfugiés a considéré que les affirmations du requérant concernant les mauvais traitements qui lui avaient été infligés par des membres de l’EPDP et son affiliation aux Tigres de mer étaient des faits. Néanmoins, la Commission a établi que ces facteurs n’entraînaient plus pour lui un risque réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. À cet égard, le Comité relève que la Commission a considéré que l’EPDP n’était plus une force paramilitaire associée au Gouvernement mais qu’il avait perdu de l’influence et que son statut s’apparentait à celui d’un groupe criminel, et donc qu’il ne présentait pas pour le requérant la même menace que celle qu’il avait pu présenter auparavant. En outre, de l’avis de l’État partie, le fait que le requérant ait été par le passé un membre peu important de la branche des LTTE que sont les Tigres de mer était insuffisant pour créer une probabilité raisonnable qu’il attirerait une attention préjudiciable à son retour à Sri Lanka. Le Comité rappelle en outre que l’État partie a émis des préoccupations quant au fait que les déclarations faites par le requérant devant ses autorités d’asile comporteraient plusieurs incohérences et omissions.

7.7 À cet égard, le Comité, tout en notant que les autorités de l’État partie chargées des demandes d’asile ont examiné les allégations du requérant et ont conclu qu’il ne courait pas un risque d’être persécuté, torturé ou de subir de mauvais traitements à son retour à Sri Lanka, rappelle que, s’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, il n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.8En outre, en ce qui concerne la déclaration générale du requérant qui affirme qu’il risque d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka puisque tous les Tamouls qui reviennent dans le pays sont automatiquement considérés comme liés aux LTTE, le Comité rappelle que l’existence d’un ensemble de violations systématiques et flagrantes de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine d’un requérant n’est pas en soi suffisante pour conclure que celui-ci risque personnellement d’y être soumis à la torture. À cet égard, le Comité renvoie aux observations finales qu’il a formulées à l’issue de l’examen en 2011 du rapport valant troisième et quatrième rapports périodiques de Sri Lanka, où il s’est dit sérieusement préoccupé par des informations qui donnaient à entendre que des acteurs étatiques, qu’il s’agisse de personnels militaires ou des services de police, avaient continué à pratiquer la torture et les mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après que le conflit avec les LTTE eut pris fin en mai 2009. Le Comité renvoie également aux observations finales qu’il a formulées à l’issue de l’examen en 2013 du cinquième rapport périodique du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, dans lesquelles il a relevé des éléments prouvant que certains Tamouls sri-lankais avaient été victimes d’actes de torture et de mauvais traitements après leur retour forcé ou volontaire à Sri Lanka. Le Comité renvoie en outre aux observations et recommandations préliminaires du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants suite à la visite officielle qu’il a effectuée à Sri Lanka conjointement avec le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, du 29 avril au 7 mai 2016, dans lesquelles il est noté que « la torture est une pratique courante » et que « le cadre juridique actuel et l’absence de réforme structurelle des forces armées, de la police, du Bureau du Procureur général et de l’appareil judiciaire perpétuent le risque réel que la pratique de la torture continue ».

7.9Le Comité note également qu’un rapport crédible publié par une organisation non gouvernementale en 2015 fait état de 55 cas de personnes qui sont rentrées à Sri Lanka durant la période comprise entre 2009 et 2015 en provenance du Royaume-Uni et qui ont affirmé avoir alors été détenues et torturées par les autorités sri-lankaises, et il note que, dans 54 cas sur 55, l’existence d’un lien passé avec les LTTE, que ce soit à un niveau important ou non, directement ou par l’intermédiaire d’un membre de la famille ou d’une connaissance, semblait avoir été au moins un facteur de leur détention. Le même rapport indique également que le fait que les victimes aient été rapatriées de l’étranger pourrait avoir particulièrement attiré l’attention des autorités. Ces informations font écho à d’autres rapports non gouvernementaux publiés ces dernières années, notamment à un rapport exposant le cas de 40 personnes qui avaient eu des liens, réels ou supposés, avec les LTTE et que les autorités sri-lankaises ont soumises à des enlèvements, détentions arbitraires, tortures, viols et violences sexuelles entre 2009 et 2014 afin de leur extorquer des aveux ou des renseignements sur les LTTE et de les punir de leur participation à cette organisation. En outre, d’après les informations de cette dernière, l’EPDP reste associé à des actes de torture perpétrés par les autorités, marchandant souvent pour de l’argent la libération de personnes détenues par les autorités. Le Comité considère que tout ce qui précède montre que les Sri-Lankais d’origine ethnique tamoule qui ont eu des liens personnels ou familiaux avec les LTTE et qui font l’objet d’une mesure d’expulsion vers Sri Lanka pourraient être exposés à un risque de torture.

7.10Dans la présente affaire, le requérant a affirmé, et l’État partie ne l’a pas réfuté, qu’il avait eu à la fois un lien personnel et un lien familial avec les LTTE et qu’il avait par le passé été détenu et torturé par un groupe paramilitaire associé aux autorités sri-lankaises en raison de liens familiaux présumés avec les LTTE. En conséquence, le Comité considère, après avoir pris en considération, ensemble, tous les éléments de ce cas d’espèce, et à la lumière des rapports concernant la situation des droits de l’homme à Sri Lanka, dont il apparaît que les autorités de l’État partie n’ont pas suffisamment tenu compte, notamment dans le cadre de la présente communication, et étant donné les mauvais traitements déjà subis par le requérant à Sri Lanka en 2008, qu’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant court personnellement un risque réel et important d’être soumis à la torture s’il est expulsé vers Sri Lanka.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut qu’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture par les autorités s’il était renvoyé à Sri Lanka. Le Comité décide dès lors que l’expulsion du requérant vers Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie.

9.Le Comité considère que l’État partie a l’obligation en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser le requérant vers Sri Lanka ou vers tout autre pays dans lequel il existe un risque réel d’expulsion ou de renvoi à Sri Lanka. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises à cet égard.