Nations Unies

CERD/C/ESP/CO/18-20

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

8 avril 2011

Français

Original: espagnol

Comité pour l’éliminati on de la discrimination raciale Soixante-dix-huitième session14 février-11 mars 2011

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention

Observations finales du Comité pour l’éliminationde la discrimination raciale

Espagne

1.Le Comité a examiné les dix-huitième, dix-neuvième et vingtième rapports périodiques de l’Espagne, soumis en un seul document (CERD/C/ESP/18-20), à ses 2065e et 2066e séances (CERD/C/SR.2065 et CERD/C/SR.2066), les 23 et 24 février 2011. À sa 2085e séance (CERD/C/SR.2085), le 9 mars 2011, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction les rapports périodiques soumis en un seul document et les renseignements complémentaires apportés oralement par la délégation. Il remercie la délégation de haut niveau envoyée par l’État partie des efforts qu’elle a déployés pour répondre à la plupart des questions posées par les membres du Comité.

3.Le Comité relève avec appréciation la contribution du Défenseur du peuple espagnol à ses travaux, ainsi que la participation active et les contributions des organisations non gouvernementales.

B.Aspects positifs

4.Le Comité accueille avec satisfaction le lancement du Plan pour les droits de l’homme (2008-2012), qui prévoit un grand nombre d’engagements concrets, dont la mise en œuvre et l’évaluation du Plan stratégique pour la citoyenneté et l’intégration et l’adoption de la Stratégie nationale globale de lutte contre le racisme et l’intolérance.

5.Le Comité prend note avec satisfaction des informations fournies par la délégation indiquant que le Conseil des ministres a adopté en première lecture, le 7 janvier 2011, un avant-projet de loi complet pour l’égalité de traitement et la non-discrimination, qui intègre les notions de discrimination directe et indirecte, de discrimination par association ou par erreur et de discrimination multiple.

6.Le Comité note avec satisfaction les mesures législatives que l’État partie a introduites dans son cadre juridique de lutte contre la discrimination raciale, parmi lesquelles:

a)La loi relative à la promotion de l’éducation et de la culture de la paix (loi no27/2005);

b)La loi organique relative à l’éducation (loi no 2/2006), qui fait de la diversité le principe directeur de tout l’enseignement de base;

c)La loi organique no 3/2007 relative à l’égalité effective des hommes et des femmes;

d)La loi contre la violence, le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans le sport (loi organique no 19/2007).

7.Le Comité accueille avec satisfaction la mise en œuvre de diverses mesures qui ont contribué à améliorer la situation de la communauté gitane sur le plan social, économique et culturel, mesures au nombre desquelles figurent l’adoption du Plan d’action en faveur du développement de la population gitane (2010-2012), la création en 2006 du Conseil consultatif gitan, la mise en œuvre depuis 2006 du programme «Acceder», pour l’accès au marché du travail et la création de l’Institut culturel gitan.

C.Motifs de préoccupation et recommandations

8.Le Comité prend note des données statistiques sur la population totale et la population étrangère de l’Espagne. Il regrette toutefois que l’État partie n’ait pas fourni de statistiques sur la composition ethnique et raciale de sa population, en justifiant cette absence par le fait qu’il a toujours considéré que recueillir ce type de données contribuait à la discrimination et que, conformément à l’article 7 de la loi organique no 15/1999, ces données requièrent une protection spéciale (art. 1er).

Le Comité renouvelle la recommandation adressée à l ’ État partie en ce qui concerne la collecte de données statistiques sur la composition ethnique et raciale de sa population et l ’invite instamment à procéder à un recensement de la population, à la lumière de ses Recommandations générales n o 24 (1999) concernant l ’ article premier de la Convention , et n o 30 (2004) concernant la discrimination contre les non-ressortissants , et suivant les directives pour l ’ établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale présenté par les États parties conformément au paragraphe 1 de l ’ article 9 de la Convention (CERD/C/2007/1). Le Comité rappelle à l ’ État partie qu ’ il est essentiel de disposer de ce type de données statistiques pour pouvoir identifier et mieux connaître les groupes ethniques et raciaux présents sur son territoire, détecter les formes de discrimination et les comportements discriminatoires dont ils peuvent faire l’objet et prendre les mesures voulues pour les faire disparaître.

9.Le Comité prend note de la création en 2009 du Conseil pour la promotion de l’égalité de traitement et de la non-discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, organisme chargé de lutter contre la discrimination dans l’État partie. Il prend également note de la création, dans le cadre du Conseil, d’un réseau de centres régionaux d’assistance aux victimes de discrimination. Le Comité est toutefois préoccupé par les informations selon lesquelles le Conseil n’a pas l’autonomie et l’indépendance nécessaires pour pouvoir remplir efficacement ses fonctions, n’est pas doté d’un budget suffisant et est peu connu de la population (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures voulues afin que le Conseil pour la promotion de l ’ égalité de traitement et de la non-discrimination fondée sur la race ou l ’ origine ethnique ait l ’ indépendance nécessaire conformément aux critères établis pour ce type d ’ organes par la Commission européenne contre le racisme et l ’ intolérance (ECRI) dans ses Recommandations de politique générale n os 2 et 7, ainsi que de mener à l ’ intention de la population des campagnes visant à faire connaître le Conseil.

10.Le Comité juge préoccupants les renseignements qu’il a reçus concernant les contrôles d’identité ou les descentes de police fondés sur le profilage ethnique et racial effectués dans les lieux publics et les quartiers où vivent de nombreux étrangers dans le but d’arrêter ceux qui sont en situation irrégulière (art. 2, 5 et 7).

Rappelant sa R ecommandation générale n o 31 (2005), le Comité invite instamment l ’ État partie à prendre des mesures efficaces pour mettre fin à la pratique des contrôles d ’ identité fondé s sur le profilage ethnique et racia l . De même, il recommande à l ’ État partie d ’ envisager de réviser les dispositions de la circulaire n o 1/2010 du Commissariat général des étrangers et des frontières et de la législation pertinente qui donnent lieu à des interprétations pouvant se traduire dans les faits par des arrestations sans discernement et des restriction s aux droits des étrangers en Espagne. Le Com i té rappelle en outre sa R ecommandation générale n o 13 (1993), selon laquelle les agents de la force publique devraient recevoir une formation approfondie dans le domaine des droits de l ’ homme afin de garantir que, dans l ’ exercice de leurs fonctions, ils respectent et protègent les droits fondamentaux de toutes les personnes, sans distinction de race, de couleur ou d’ origine nationale ou ethnique.

11.Le Comité est préoccupé par l’absence de chiffres officiels sur les incidents racistes et xénophobes et sur le nombre de plaintes enregistrées, les procédures engagées, les condamnations prononcées, les peines imposées pour les délits aggravés par des motifs raciaux, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 du Code pénal de l’État partie, et les réparations accordées aux victimes (art. 2 et 6).

Compte tenu de sa R ecommandation générale n o 31 (2005), le Comité rappelle à l ’ État partie que l ’ absence ou la rareté des plaintes, des poursuites et des jugements concernant d es actes de discrimination raciale ne devraient pas être considérées comme nécessairement positives étant donné qu ’ elles peuvent révéler , entre autres choses, la peur des victimes de subir une réprobation sociale ou de s représailles, un manque de confiance à l ’ égard des autorités de police et de justice , ou une attention ou une sensibilisation insuffisante s de ces autorités aux plaintes pour acte s de discrimination. Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De recueillir périodiquement et publiquement des renseignements sur les actes de discrimination raciale auprès des organes de police et de justice, de l ’ administration pénitentiaire et des services de l ’ immigration, en respectant les normes relatives à la confidentialité, à l ’ anonymat et à la protection des données personnelles;

b) De faire figurer dans son prochain rapport périodique des données complètes sur les plaintes déposées, les procédures engagées, les condamnations et les peines prononcées et les réparations accordées aux victimes.

12.Le Comité est préoccupé par la disposition de l’article 31 bis de la loi organiqueno 2/2009 (loi sur les étrangers) concernant les étrangères victimes de violence sexiste, qui peut dissuader les femmes en situation irrégulière victimes de ce type de violence de déposer plainte, par crainte d’être expulsées du territoire de l’État partie si les tribunaux ne prononcent pas une condamnation à l’encontre de l’accusé (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir à la lumière de la Convention les dispositions de la loi organique n o 2/2009 ( «l oi sur les étrangers » ) relatives aux étrangères victimes de violence sexiste, qui sont discriminatoires à l ’ égard des victimes en situation irrégulière.

13.Le Comité est préoccupé par la situation des migrants en situation irrégulière qui, après avoir passé, dans un centre de rétention pour étrangers, la période de soixante jours prévue par la loi, sont remis en liberté en étant sous le coup d’une mesure d’expulsion, situation qui les rend plus vulnérables aux mauvais traitements et aux discriminations. Le Comité est également préoccupé par les renseignements selon lesquels les centres de rétention pour étrangers ne sont soumis à aucune réglementation régissant leur fonctionnement, ce qui entraîne des différences d’un centre à l’autre pour ce qui est des conditions de vie et de l’accès à l’information, à l’assistance d’un avocat et aux soins médicaux, ainsi que pour les visites des organisations non gouvernementales aux personnes placées dans ces centres (art. 2, 5 et 6).

Rappelant sa R ecommandation générale n o 30 (2004) concernant la discrimination contre les non-ressortissants, le Comité réaffirme que les États parties doivent veiller à ce que leurs politiques n ’ entraînent pas de discrimination fondée sur la race, la couleur, l ’ ascendance ou l ’ origine nationale ou ethnique, et il recommande à l ’ État partie:

a) De prendre toutes les mesures voulues pour garantir la protection des droits fondamentaux des migrants qui sont sortis d ’ un centre de rétention pour étrangers et qui sont sous le coup d ’ une mesure d ’ expulsion, ainsi que leur protection judiciaire et leur accès à un recours utile, y compris la possibilité de faire appel de la décision d ’ expulsion;

b) D ’ élaborer un e r é glement ation applicable aux centres de rétention pour étrangers afin d ’ uniformiser le fonctionnement de ces centres et de garantir des conditions de vie correctes et un accès à l ’ information, à l ’ assistance d’un avocat et aux soins médicaux appropriés pour les personnes qui y sont placées, ainsi que la possibilité pour les organisations non gouvernementales d ’ aide d ’ avoir accès à ces centres.

14.Le Comité est préoccupé par la persistance de comportements dans les médias tendant à propager des stéréotypes racistes et des préjugés à l’égard de certains groupes de migrants comme les personnes originaires d’Afrique du Nord et d’Amérique latine et les musulmans (art. 4 et 7).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à poursuivre la mise en œuvre de la Stratégie nationale et globale de lutte contre le racisme et la xénophobie, à surveiller attentive ment toutes les tendances susceptibles d ’ entraîner un comportement raciste et xénophobe, et à lutter contre les effets négatifs de ces tendances . Il invite également l ’ État partie, conformément aux articles 4 et 7 de la Convention et à la lumière du Plan nation al du Royaume d’Espagne pour l’A lliance des civilisations, à promouvoir l ’ utilisation responsable des organes d’information pour lutter contre les incitations à la haine et à la discrimination raciale et à favoriser une sensibilisation générale à la diversité , à tous les niveaux de l ’ enseignement.

15.Le Comité est préoccupé par les renseignements selon lesquels il existe dans certaines régions de l’État partie des écoles «ghettos» pour les enfants de migrants et les enfants gitans, bien que la loi organique sur l’éducation (loi no 2/2006) prévoie des mécanismes favorisant une répartition adéquate et équilibrée des élèves (art. 4 et 5).

Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir les critères et méthodes d ’ admission dans les écoles publiques et privées et de prendre des mesures pour garantir une répartition équilibrée effective des élèves dans les établissements scolaires. Il prie l ’ État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des données statistiques ventilées sur le nombre de garçons et de filles migrants, gitans et espagnols inscrits dans les écoles.

16.Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie continue d’adopter des mesures destinées à améliorer la situation générale des Gitans. Néanmoins, il est préoccupé par les difficultés auxquelles un grand nombre d’entre eux sont toujours confrontés en matière d’emploi, de logement et d’éducation, en particulier les filles et les femmes gitanes. La persistance de la discrimination contre la communauté gitane dans la vie quotidienne préoccupe également le Comité (art. 5 et 7).

Le Comité engage l’État partie à poursuivre ses efforts afin d’améliorer la situation des Gitans et leur intégration dans la société espagnole, et il lui recommande en particulier d’adopter des mesures visant à améliorer la situation des filles et des femmes gitanes. Il recommande également à l’État partie, à la lumière de sa Recommandation générale n o  27, de prendre les mesures nécessaires pour promouvoir la tolérance et éliminer les préjugés et les stéréotypes négatifs, dans le but d’éviter toute forme de discrimination contre les membres de la communauté gitane.

17.Le Comité accueille avec satisfaction les accords portant sur l’assistance aux mineurs non accompagnés et leur rapatriement que l’État partie a signés avec la Roumanie et le Sénégal, mais il est préoccupé par le fait que des examens radiologiques des os soient effectués pour déterminer l’âge des mineurs non accompagnés se trouvant sur le territoire espagnol, de tels examens pouvant en effet s’accompagner d’importantes marges d’erreur, avec pour conséquence que certains mineurs soient considérés comme des adultes et ne bénéficient donc pas des mesures de protection auxquelles ils auraient droit s’ils étaient mineurs (art. 6).

Afin de garantir que les mineurs non accompagnés ne soient pas considérés comme des adultes et qu’ils bénéficient des mesures de protection applicables aux enfants, le Comité engage l’État partie à envisager différentes méthodes de détermination de l’âge et à mettre en place des examens fiables, actualisés et ne portant pas atteinte à l’intégrité physique des mineurs.

18.Ayant à l’esprit le caractère indivisible de tous les droits de l’homme, le Comité invite l’État partie à envisager la possibilité de ratifier les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, en particulier ceux dont les dispositions ont une incidence directe sur la question de la discrimination raciale, comme la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

19.À la lumière de sa Recommandation générale no 33 (2009), concernant le suivi de la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie, lorsqu’il incorporera la Convention dans son droit interne, de prendre en compte la Déclaration et le Programme d’action de Durban, approuvés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, ainsi que le Document final de la Conférence d’examen de Durban, tenue à Genève en avril 2009. Il lui demande également de faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations précises sur les plans d’action et autres mesures adoptées pour appliquer au Plan national la Déclaration et le Programme d’action.

20.Le Comité recommande à l’État partie d’élaborer et de mener à bien un programme d’activités appropriées, bénéficiant d’une couverture médiatique adéquate, pour célébrer l’année 2011, qui a été proclamée Année internationale des personnes d’ascendance africaine par l’Assemblée générale à sa soixante-quatrième session (résolution 64/169 en date du 18 décembre 2009).

21.Le Comité recommande à l’État partie de poursuivre les consultations et d’élargir le dialogue avec les organisations de la société civile actives dans le domaine de la protection des droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne la lutte contre la discrimination raciale, dans le cadre de l’élaboration du prochain rapport périodique.

22.Le Comité recommande à l’État partie de mettre ses rapports à la disposition du public dès leur soumission, et de diffuser les observations finales du Comité dans la langue officielle et les autres langues couramment utilisées, le cas échéant.

23.Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et de l’article 65 de son règlement intérieur modifié, le Comité demande à l’État partie de l’informer, dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes observations finales, de la suite qui aura été donnée aux recommandations figurant dans les paragraphes 9, 14 et 17.

24.Le Comité souhaite également appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière que revêtent les recommandations faites aux paragraphes 8, 12 et 13, et lui demande de faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations détaillées sur les mesures concrètes et appropriées qu’il aura adoptées pour y donner suite.

25.Le Comité recommande à l’État partie de présenter ses vingt et unième à vingt‑troisième rapports périodiques en un seul document, attendu le 4 janvier 2014, et de les élaborer en tenant compte des directives pour l’établissement du document spécifiquement destiné au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, adoptées par ce dernier à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1), et de veiller à y répondre à toutes les questions soulevées dans les présentes observations finales. Le Comité engage l’État partie à respecter la limite de 40 pages fixée pour les rapports soumis au titre d’un instrument particulier, et de 60 à 80 pages, fixée pour le document de base commun (voir les directives harmonisées concernant la présentation des rapports figurant au paragraphe 19 du document HRI/GEN.2/Rev.6).