Nations Unies

CERD/C/EST/CO/8-9

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

22 septembre 2010

Français

Original: anglais

Comité pour l’éliminati on de la discrimination raciale

Soixante-dix-septième session

2-27 août 2010

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Estonie

1.Le Comité a examiné les neuvième et dixième rapports périodiques de l’Estonie réunis en un seul document (CERD/C/EST/8-9) à ses 2038e et 2039e séances (CERD/C/SR.2038 et SR.2039), les 19 et 20 août 2010. À sa 2047e séance (CERD/C/SR.2047), le 26 août 2010, il a adopté les observations finales qui suivent.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport de l’État partie, qui est conforme à ses directives, ainsi que les commentaires écrits présentés à propos de la liste des thèmes à traiter et les réponses données oralement par la délégation aux questions posées par le Comité. Il se félicite également de la ponctualité de l’État partie et de la régularité avec laquelle il présente ses rapports périodiques. Il se réjouit d’avoir l’occasion d’engager et de poursuivre un dialogue constructif avec lui.

3.Le Comité note avec satisfaction que les associations civiles ont concouru à la rédaction du rapport à l’examen et prend note de leurs commentaires, tels qu’ils y sont cités.

B.Aspects positifs

4.Le Comité souscrit à la façon dont l’État partie conçoit la société estonienne, telle que «chacun aura l’occasion de s’épanouir, de se sentir en sécurité et de participer à la vie économique, sociale, politique et culturelle de la société», et approuve les efforts déployés pour parvenir à cet objectif.

5.Le Comité se félicite que plusieurs solutions aient été adoptées pour faciliter le dialogue et la consultation avec les groupes minoritaires, notamment la création du Conseil culturel des minorités nationales au Ministère de la culture et de la Table ronde des nationalités.

6.Il se réjouit également de l’adoption de la loi sur l’égalité de traitement et prend note avec intérêt de l’annonce de l’État partie, qui étendrait à la langue et à la citoyenneté la liste des motifs de discrimination interdits par cette loi.

7.Le Comité félicite l’État partie de faire place à la diversité culturelle dans l’enseignement public, notamment en ajoutant aux programmes de l’école élémentaire et du lycée des matières concernant la culture des minorités. Il note également avec satisfaction que les minorités ont l’occasion d’apprendre leurs langues maternelles.

8.Le Comité accueille avec faveur l’amendement (par. 23) apporté à la loi sur les langues, entré en vigueur en mars 2007, qui prévoit que la signalisation publique, les panneaux indicateurs, les enseignes, les annonces, les avis et les publicités, peuvent utiliser une langue étrangère ou une langue régionale spéciale à côté du texte original en estonien.

9.Le Comité félicite l’État partie de reconnaître sa compétence à l’égard des communications qui lui sont adressées par des particuliers ou des groupes de particuliers comme le prévoit l’article 14 de la Convention. Il note aussi avec intérêt que l’État partie s’est engagé à ratifier les traités fondamentaux des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie.

C.Sujets de préoccupation et recommandations

10.Prenant note avec intérêt des travaux du Chancelier de justice et du Commissaire à l’égalité des sexes et à l’égalité de traitement, le Comité regrette qu’il n’existe pas dans l’État partie d’institution nationale des droits de l’homme qui serait pleinement conforme aux Principes de Paris (résolution 48/134 de l’Assemblée générale) (par. 1 de l’article 2).

Le Comité rappelle qu’il est important de créer une institution nationale des droits de l ’ homme indépendante et conforme aux Principes de Paris ; il recommande à l’État partie de continuer, en consultation avec la société civile, d’examiner toutes les solutions qui permettraient de créer une telle institution notamment la transformation et l’habilitation des services du Chancelier de justice et du Commissaire à l’égalité des sexes et à l’égalité de traitement dans le sens des p rincipes de Paris et de prendre des mesures pour les faire accréditer par le Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme.

11.Le Comité constate que l’article 151 du Code pénal estonien limite la répression des discours haineux à ceux qui ont des conséquences graves. Il constate également que l’État partie souhaite combler cette lacune de son Code pénal (par. a) et b) de l’article 4).

Se référant à sa Recommandation générale n o XV (1993) relative à l’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale , le Comité rappelle à l’État partie que la liberté d’opinion et d’expression comporte des devoirs et des responsabilités et qu’interdire la diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciales est compatible avec la liberté d’opinion et d’expression. Il recommande donc à l’État partie:

a) De faire que la réforme du Code pénal mette celui-ci en conformité avec l’article 4 de la Convention en érigeant en infraction répréhensible en toutes circonstances les discours de haine ayant des motivations raciales;

b) D’interdire les organisations racistes.

Le Comité invite également l ’ État partie à ratifier le Protocole additionnel à la Convention sur l a cybercrim inalité, relatif à la pénalisation d’ actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques ( CETS n o  189).

12.Le Comité s’inquiète de constater que le mobile racial n’est pas tenu d’une manière générale pour une circonstance aggravante des faits criminels, mais il note que l’État partie a l’intention d’en faire une circonstance aggravante dans son droit pénal (art. 4 et 6).

Le Comité recommande à l’État partie de prévoir, lorsqu’il révisera son Code pénal, une disposition particulière telle que le mobile de la haine ethnique, raciale ou religieuse soit considéré comme circonstance aggravante dans les procédures criminelles, donnant ainsi effet à ses bonnes intentions.

13.Tout en se réjouissant des perspectives ouvertes par la Stratégie d’intégration estonienne, le Comité constate avec inquiétude que la préférence marquée donnée à l’estonien dans les objectifs et la mise en œuvre de cette Stratégie peut aller à l’encontre de l’objet général de celle-ci, puisqu’elle alimente le ressentiment de ceux qui se sentent victimes de discrimination, particulièrement en raison des aspects répressifs du régime linguistique (art. 5).

Le Comité considère que l ’ insistance excessive mise sur la langue dans la Stratégie d ’ intégration et les aspects répressifs de celle-ci sont superflus dans la mesure où le nombre de citoyen s qui parlent l’ estonien, langue officielle, ne cesse d’augmenter . Le Comité recommande donc à l ’ État partie:

a) D’adopter une conception non répressive de la promotion de la langue officielle et de réexaminer le rôle de l’Inspection des langues et l’application du règlement de 2008 faisant obligation de parler couramment l’estonien. Il invite instamment l’État partie à prévoir des ressources suffisantes pour financer des cours de langues gratuits;

b) D’assouplir les conditions proprement linguistiques à remplir pour se faire naturaliser, en particulier pour les personnes âgées et les personnes nées dans l’État partie;

c) D’envisager la solution du bilinguisme dans les services publics, en raison notamment de l’interdiction de toute discrimination dans l’accès aux biens et aux services publics que fixe la législation nationale. Le Comité prie également l’État partie de réviser la législation qui limite l’usage de la langue minoritaire dans les services publics aux zones où les minorités comptent pour la moitié de la population.

14.Le Comité constate avec inquiétude que les minorités participent très peu à la vie politique et qu’elles sont peu représentées au Parlement (par. c) de l’article 5).

Comme la Stratégie estonienne d’intégration vise, entre autres objectifs, l’intégration civile et politique des minorités, le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour faire participer davantage les minorités à la vie publique, notamment la vie parlementaire, et de faire en sorte qu’elles soient mieux représentées à tous les niveaux de l’administration.

15.Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a l’intention de réduire le nombre de personnes de citoyenneté indéterminée et se félicite des mesures prises pour faciliter la naturalisation des membres de minorités résidant depuis longtemps dans le pays; il s’inquiète cependant du nombre toujours élevé de personnes dont la citoyenneté est indéterminée et de la façon apparemment négative dont les intéressés perçoivent les démarches de naturalisation (par. d) de l’article 5).

Le Comité recommande une nouvelle fois à l’État partie de s’efforcer davantage de réduire le nombre de personnes dont la citoyenneté est indéterminée. Il lui demande de réexaminer les raisons pour lesquelles les personnes qui pourraient demander la nationalité hésitent à engager les démarches nécessaires, ce qui lui permettra d’améliorer la situation. Le Comité invite de nouveau l ’ État partie à ratifier la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie et la Convention relative au statut des apatrides.

16.Le Comité prend acte des renseignements donnés par l’État partie sur l’enseignement et l’emploi des minorités mais regrette que les données présentées ne lui permettent pas de comprendre et d’évaluer en profondeur la situation de tous les groupes ethniques et notamment des groupes vulnérables dans l’État partie (par. e) de l’article 5).

Le Comité recommande à l ’ État partie de faire en sorte que le recensement de 2011 recueille des données sur la situation socioéconomique des groupes ethniques et notamment des groupes vulnérables, sur la base de l ’ auto-identification volontaire, dans le plein respect de la vie privée et de l ’ anonymat des intéressés. Conformément à sa R ecommandation générale n o VIII (1990) concernant l ’ interprétation et l ’ application des paragraphes 1 et 4 de l ’ article premier de la Convention et aux paragraphes 10 à 12 de ses directives révisées pour l’établissement des rapports (CERD/C/2007/1), le Comité prie l ’État partie de présenter l es données en question analysées par groupe ethnique, par nationalité et par langue dans son prochain rapport périodique, afin qu’il puisse se faire une idée de la situation des groupes considérés au regard de la définition de l ’ article premier de la Convention.

17.Le Comité se félicite des diverses mesures et initiatives qu’a prises l’État partie en faveur des Roms, mais il regrette de ne pas être informé de leur efficacité, non plus que de la situation générale des Roms en Estonie. Il constate avec inquiétude la discrimination dont les enfants roms seraient l’objet dans l’accès à un enseignement de qualité (art. 2 et 5).

Rappelant sa R ecommandation générale n o XXVII (2000) concernant la discrimination à l’égard des Roms, le Comité demande à l ’ État partie de faire des recherches pour évaluer la situation réelle de cett e communauté sur son territoire et l ’invite à prendre part aux initiatives tendant à trouver des solution s nationale s et régionale s au problème de l ’ exclusion générale de la population rom. Il lui recommande également de faire disparaître et d ’empêcher toute ségrégation des enfants roms dans l ’ enseignement.

18.Le Comité se demande pourquoi il n’y a pratiquement pas eu de plainte pour discrimination raciale déposée auprès des tribunaux et des autres autorités compétentes pendant la période à l’examen alors qu’un pourcentage non négligeable de citoyens signalent qu’ils ont été l’objet de discrimination dans la vie quotidienne en raison de leur origine ethnique. Le Comité constate d’autre part que la Convention n’a apparemment été invoquée devant les tribunaux que dans les affaires portant sur l’octroi d’une pension aux anciens combattants (art. 6).

S achant qu ’ aucun pays n ’ est à l ’ abri de la discrimination raciale, le Comité recommande à l ’ État partie de s ’ assurer que le nombre minime de dépôts de plainte n’est pas dû à la méconnaissance de la loi par les victimes, à la crainte des représailles, à l ’ inaccessibilité relative des voies de recours , au manque de confiance dans la police et l es autorités judiciaires, ni à la négligence ou l ’ incurie des pouvoirs publics en matière de discrimination raciale.

Rappelant sa R ecommandation générale n o XXXI (2005) concernant la prévention de la discrimination raciale dans l ’ administration et le fonctionnement du système de justice pénale, le Comité recommande à l ’ État partie de procéder à l ’ examen des voies de recours offertes aux victimes qui souhaitent demander réparation, afin de s ’ assurer qu ’ elles sont effectivement utiles. À cet égard, il l ’ invite à envisager d ’ étendre lorsqu’il y a lieu le procédé de la conciliation aux affaires de discrimination raciale. Il lui recommande enfin de continuer à faire mieux connaître la Convention et les dispositions du Code pénal qui portent sur la discrimination raciale.

Le Comité prie l ’ État partie de présenter dans son prochain rapport des renseignements actualisés sur les plaintes pour discrimination raciale et les décisions rendues en la matière par les juridictions pénales, civiles et administrative s et par les institutions nationales des droits de l ’ homme, et plus précisément sur les cas de restitution ou autres réparation s accordées aux victimes de discrimination raciale .

19.Le Comité félicite l’État partie de la manière dont il réagit à la recrudescence du racisme qui fait suite à la crise du «Soldat de bronze», notamment en redoublant des contrôles de police et en lançant une campagne massive de sensibilisation, mais il s’inquiète de constater l’antagonisme latent qui continue d’opposer les Estoniens de souche et les Russes de souche. Il est également préoccupé par la faiblesse des relations entre Estoniens de souche et non-Estoniens (par. b) de l’article 5 et art. 7).

Le Comité recommande à l ’ État partie de rester vigilant à l ’ égard d u racisme, de poursuivre son effort de prévention et de répression des préjugés et de promouvoir la bonne intelligence et la tolérance dans tous les domaines de la vie, en s ’ adressant en particulier à la jeunesse et aux médias. Le Comité prend acte avec intérêt de la création de l’ Institut de la mémoire , établissement chargé d ’établir le récit objectif et complet de l ’ évolution de la situation des droits de l ’ homme entre 1944 et 1991; il invite l ’État partie:

a) À élargir les attributions de l ’ Institut afin que ses travaux couvrent les mêmes périodes que celles sur lesquelles travaille la Commission internationale estonienne de recherche sur les crimes contre l ’ humanité;

b) À faire participer aux travaux de l ’ Institut des spécialistes de plusieurs disciplines et des représentants de secteurs différents de la société ayant divers points de vue, afin de concilier leur façon de voir les choses et de donner suffisamment d ’ autorité aux conclusions de l ’ Institut;

c) À tr availler à partir des leçons tirées des travaux de la Commission internationale estonienne de recherche sur les crimes contre l ’ humanité.

20.Le Comité invite l’État partie à rester vigilant quant aux effets sur les groupes vulnérables de la discrimination indirecte des politiques publiques.

21.Rappelant que les droits de l’homme sont indivisibles, le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’il n’a pas encore ratifiés, en particulier ceux dont les dispositions visent directement la discrimination raciale, comme la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990. Il l’invite également à adhérer à la Convention de l’UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement.

22.À la lumière de sa Recommandation générale no XXXIII (2009) concernant le suivi de la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie de mettre en œuvre la Déclaration et le Programme d’action de Durban adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, en tenant compte du résultat final de la Conférence d’examen de Durban tenue à Genève en avril 2009, lorsqu’il incorpore la Convention dans son ordre juridique interne. Il le prie de donner dans son prochain rapport périodique des renseignements précis sur les plans d’action et les autres mesures qu’il aura arrêtés pour appliquer au plan national la Déclaration et le Programme d’action de Durban.

23.Le Comité recommande à l’État partie de poursuivre ses consultations et d’approfondir son dialogue avec les associations civiles qui œuvrent pour la cause des droits de l’homme, en particulier la lutte contre la discrimination, aux fins de la rédaction de son prochain rapport périodique.

24.Le Comité recommande à l’État partie de ratifier l’amendement au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention adopté le 15 janvier 1992 à la quatorzième Réunion des États parties à la Convention et approuvé par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111 du 16 décembre 1992. Il rappelle à ce sujet les résolutions 61/148 et 63/243 de l’Assemblée générale, dans lesquelles celle-ci demande instamment aux États parties de diligenter les procédures internes de ratification de l’amendement concernant le financement du Comité et d’informer par écrit le Secrétaire général, dans les meilleurs délais, de leur acceptation dudit amendement.

25.Le Comité recommande à l’État partie de conserver pour pratique de rendre publics et facilement accessibles à tous ses rapports périodiques dès le moment où ils sont présentés, ainsi que les conclusions y relatives du Comité, et l’invite à rechercher les moyens de les diffuser s’il y a lieu dans toutes les langues (langues officielles et langues d’usage courant).

26.Rappelant que l’État partie a présenté son document de base en 2001, le Comité l’invite à en soumettre une version mise à jour conforme aux directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier celles qui visent le document de base commun, adoptées par la cinquième Réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, tenue en juin 2006 (HRI/MC/2006/3).

27.S’autorisant du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et de l’article 65 de son Règlement intérieur modifié, le Comité prie l’État partie de l’informer dans l’année suivant l’adoption des présentes observations de la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 11, 13 et 17 ci-dessus.

28.Le Comité attire également l’attention de l’État partie sur l’importance particulière que revêtent les recommandations 12, 14, 16, 18 et 20 ci-dessus et le prie de donner dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour les mettre en application.

29.Le Comité recommande à l’État partie de lui soumettre ses dixième et onzième rapports périodiques en un seul document, attendu pour le 20 novembre 2012, qui tienne compte des directives qu’il a données à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1) pour l’établissement des rapports à lui présenter, et traite de toutes les questions et de tous les points soulevés dans les présentes observations finales. Le Comité engage en outre l’État partie à respecter la limite de 40 pages fixée pour les documents spécifiques à un instrument et de 60 à 80 pages pour le document de base commun (voir la compilation de directives générales concernant les rapports à présenter par les États parties (HRI/GEN/2/Rev.6, par. 19)