Nations Unies

CAT/C/DJI/1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

18 janvier 2011

Français

Original: français

Comité contre la torture

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Rapports initiaux des États parties devant être soumis en 2003

Djibouti*

[Reçu le 21 juillet 2010]

Carte de Djibouti

Table des matières

Paragraphes Page

I.Introduction générale1−325

A.Territoire et population1−35

B.Contexte politique et socioéconomique4−115

C.Dispositions de la Constitution et conséquences2–187

D.Cadre institutionnel des droits de l’homme19–299

E.Jurisprudence nationale3211

II.Méthodologie et processus de consultation33–5911

A.Renseignements d’ordre général 41–4512

B.Cadre juridique général de l’interdictionet de l’éliminationde la torture à Djibouti46–5313

C.Recours possibles pour les personnes victimes de torture5415

D.Programme de réadaptation5515

E.Application de la Convention à Djibouti56–5915

III.Commentaires sur les articles de la Convention (art. 1 à 16)60–20416

Article 1.De la définition de la torture60–6216

Article 2.Des mesures législatives, administratives, judiciaireset réglementaires contre la torture63–8417

Article 3.De l’exclusion, du refoulement et de l’extradition 85–8819

Article 4.De l’incrimination des actes de torture89–9420

Article 5.De la compétence territoriale95–10221

Article 6.Arrestation et détention des personnes inculpées d’actes de torture103–10923

Article 7.Jugement ou extradition des personnes soupçonnéesd’avoir commis des actes de torture 110–11524

Article 8.Incrimination des actes de torture dans les traités d’extradition116–12125

Article 9.Entraide judiciaire entre États parties dans toute procédurerelative aux actes de torture122–12426

Article 10.Enseignement et information sur l’interdiction de la torture 125–14726

Article 11.Mesures de contrôle des interrogatoires, détentionsetemprisonnements tendant à éviter les actes de torture 148–16631

Article 12.Enquête sur la commission d’un acte de torture167–17435

Article 13.Droit de la victime de porter plainte devantles autorités compétentes175–18036

Article 14.Droit de la victime à réparation181–19737

Article 15Valeur des déclarations obtenues sous l’effetde la torture198–20140

Article 16Interdiction d’autres formes de peinesou traitements cruels,inhumains ou dégradants202–20440

IV.Conclusion205–21241

Liste des abréviations

Agence Nationale de l’Emploi, de la Formationet de l’Insertion Professionnelle

ANEFIP

Amnesty International

AI

Association pour la Défense des Droits de l’Homme et des Libertés

ADDHL

Autorité intergouvernementale pour le développement

IGAD

Caisse Nationale de Sécurité Sociale

CNSS

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

CADHP

Code de procédure pénale

CPP

Code pénal

CP

Commission Électorale Nationale Indépendante

CENI

Commission Nationale des Droits de l’Homme

CNDH

Document de base commun

DBC

Examen périodique universel

EPU

Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme

FIDH

Fonds monétaire international

FMI

Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie

FRUD

Haut Commissaire aux droits de l’homme

HCDH

Initiative Nationale pour le Développement Social

INDS

Ministère de la justice chargé des droits de l’homme

MJDH

Officiers de police judiciaire

OPJ

Produit intérieur brut

PIB

Union Nationale des Femmes de Djibouti

UNFD

I.Introduction générale

A.Territoire et population

1.La République de Djibouti se trouve à l’est dans la Corne de l’Afrique. Elle domine le détroit de Babel Mandeb, qui relie la mer rouge au golfe d’Aden, puis à l’océan indien. Elle s’étend sur une superficie de 23 200 km2. Elle est limitée au nord par l’Érythrée (109 km de frontière), à l’ouest et au sud par l’Éthiopie (349 km), au sud-est par la Somalie (58 km) et à l’est par la mer Rouge avec une façade maritime conséquente.

Relief et climat

2.Le relief de Djibouti est constitué essentiellement de plaines et de plateaux. Il se compose, depuis les régions situées au nord du pays, par les chaînes montagneuses du Mont Mabla qui culmine à 1700 m et celles du Mont Goda à 1850 m. Le plus haut sommet du pays est le Mont Moussa Ali, qui culmine à plus de 2 010 m. Les conditions climatiques peu clémentes sont caractérisées par une pluviométrie très faible et irrégulière ainsi que des températures élevées qui provoquent des sécheresses récurrentes et une humidité importante.

Population

3.La population actuelle de la République de Djibouti est estimée à plus de 632 000 habitants, dont plus de 53 pour cent sont âgés de moins de 20 ans. Plus des deux tiers de la population sont cantonnés dans la capitale et son pourtour urbain. Les femmes constituent plus de la moitié de la population. Le pays est subdivisé en 5 régions administratives, à savoir: Tadjourah, Obock, Ali Sabieh, Dikhil et Arta. La capitale de Djibouti dispose d’un statut particulier. Elle est divisée en trois communes (Ras Dika, Boulaos et Balbala). La population djiboutienne comprend deux principaux groupes ethniques (les Afars et les Somalis) et une minorité ethnique arabe. Les langues parlées à Djibouti sont l’afar et le somali. Les langues officielles sont le français et l’arabe. On recense également beaucoup d’étrangers venant des pays voisins qui forment souvent des communautés intégrées dans les populations autochtones.

B.Contexte politique et socioéconomique

Contexte politique

4.État indépendant depuis le 27 juin 1977, la République de Djibouti a renoué avec la démocratie parlementaire fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et avec un régime présidentiel ayant à sa tête son Excellence Ismaël Omar Guelleh depuis 1999.

5.Après avoir vécu pendant plus de 15 ans sous le régime du parti unique, Djibouti vit actuellement une période démocratique qui témoigne du bon fonctionnement des institutions mises en place après l’adoption par référendum de la nouvelle Constitution du 4 septembre 1992. Celle-ci donne le coup d’envoi à des évolutions considérables dans les paysages sociopolitique et juridique du pays. Cette profonde mutation se fait aussitôt sentir. Ainsi, la plupart des lois attentatoires aux droits et libertés fondamentales de la personne humaine ont été soit abolies, soit révisées.

6.Dans le contexte de la libéralisation politique, des élections pluralistes ont été organisées dès la fin de 1992 (législatives) et en 1993 (présidentielles) en application de la loi organique de 1992 relative aux partis politiques. La loi a institué le multipartisme, qu’elle a limité à 4 partis politiques durant une période transitoire de 10 ans avant de le rendre intégral (depuis 2002). Une autre loi organique relative aux élections et fixant les conditions d’élection des députés et du président de la République a été adoptée, toujours en 1992.

7.Le point d’orgue de cette mutation se situe à partir de 1999, date à laquelle la République de Djibouti s’est lancée dans une vaste politique d’institutionnalisation de la politique des sroits de l’homme. Le Ministère de la justice et des affaires pénitentiaires est devenu Ministère de la justice chargé des droits de l’homme avec de nouvelles directions et un plan d’action prévoyant un programme ambitieux de promotion et de protection des droits de l’homme. Il vise, entre autres, à promouvoir les droits de l’homme et les libertés publiques en vue de leur approbation par les citoyens, et au respect de ces normes par l’administration publique.

8.Parallèlement, un Ministère pour la promotion de la femme a été institué. Aussitôt après, une loi instaurant un quota de 10 pour cent de femmes aux élections législatives a été promulguée simultanément avec la nomination de femmes à la tête de deux départements ministériels, dont celui de la femme. Le deuxième ministère dirigé par une femme est celui de la jeunesse, des sports et du tourisme.

Contexte socioéconomique

9.Depuis l’adoption de la Constitution de 1992, Djibouti est entré à fond dans le libéralisme économique. La politique d’ajustement structurel acceptée par Djibouti en 1996, au terme d’une guerre civile douloureuse, a entraîné une crise sociale doublée d’une pauvreté accrue sans précédent dans le pays. Les effets de ce programme ont été particulièrement désastreux pour les groupes les plus vulnérables, augmentant sensiblement la masse des populations vivant dans l’extrême précarité tout en accentuant les inégalités entre le secteur urbain et périurbain et le milieu rural très affecté. Face à ce constat préoccupant, les autorités djiboutiennes ont tenté d’inverser la tendance en s’engageant résolument dans une politique de diminution de la pauvreté dans le souci d’assurer la mise en œuvre des droits fondamentaux des personnes que garantit la Constitution.

10.Dès lors, la lutte contre l’extrême pauvreté et l’exclusion est devenue l’axe majeur de la politique gouvernementale. Elle est mise en œuvre par le biais de l’Initiative nationale pour le développement social (INDS) lancée par un nouveau ministère de la solidarité doté d’une enveloppe budgétaire exceptionnelle pour les besoins de sa politique. Deux orientations stratégiques prioritaires ont été mises en œuvre tournées vers le développement des ressources humaines et l’universalisation de l’accès aux services sociaux de base mais aussi la promotion d’un développement local harmonieux et équilibré. Les mesures adoptées devraient permettre de rendre effective la jouissance des droits socioéconomiques tels que le droit à l’éducation, la santé, l’emploi, l’accès à l’eau et l’énergie, ainsi que la mise en place d’infrastructures adéquates (routes, forages, barrages ou retenues d’eau).

11.La croissance économique enregistrée ces dernières années semble concluante puisqu’elle représente plus de 57 pour cent du PIB. L’agriculture et la politique de sécurité alimentaire par la localisation de terres arables à l’étranger devraient pallier la production agricole insignifiante en raison des conditions climatiques déplorables. Selon le FMI, le produit intérieur brut en 2008 était de 1 216 dollars des États-Unis d’Amérique par tête d’habitant. Selon un rapport de la Banque centrale de Djibouti, le secteur primaire contribue à hauteur de 31,6% à la formation du PIB contre 16,8% pour le secteur secondaire et 79,6% pour le secteur tertiaire.

C.Dispositions de la Constitution et conséquences

12.La Constitution djiboutienne de 1992 proclame clairement et sans ambiguïté les droits et libertés fondamentales de la personne humaine. Depuis 1992 la promotion et la protection des droits de l’homme s’inscrivent dans un cadre de démocratie pluraliste, d’état de droit et de décentralisation. En effet, la Constitution du 15 septembre 1992 en vigueur à Djibouti accorde une place de choix aux droits de l’homme et aux libertés. Dans le préambule de sa Constitution, Djibouti souscrit à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et s’engage à garantir le plein épanouissement des libertés et droits individuels et collectifs ainsi que le développement harmonieux de la communauté nationale.

13.La souscription dans le préambule de la Constitution à la Déclaration universelle et à la Charte confère à ces deux textes de dimension internationale et régionale, une valeur constitutionnelle.

Sur le plan national

14.La Constitution du 15 septembre 1992 consacre tout son titre II aux droits et devoirs de la personne humaine. Les droits et libertés qui y sont reconnus sont, entre autres:

L’égalité devant la loi sans distinction de langue, d’origine de race, de sexe ou de religion;

Le droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de la personne, la légalité des poursuites, la présomption d’innocence;

Le droit à un avocat et à un médecin, en cas d’arrestation;

L’interdiction de la détention, sans mandat (art. 10);

Le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte et d’opinion (art. 11);

Le droit de propriété, l’inviolabilité du domicile (art. 12);

Le secret de correspondance, la liberté de se déplacer (art. 14);

La liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté syndicale, le droit de grève (art. 15);

L’interdiction de la torture, des sévices ou traitements inhumains, cruels, dégradants ou humiliants (art. 16).

15.Pour la mise en œuvre de ces droits et libertés fondamentales de la personne humaine, la Constitution de Djibouti a conféré au législateur le pouvoir de fixer leurs conditions de jouissance et les modalités de leur exercice. C’est dans ce cadre qu’ont été adoptés les principaux textes législatifs ci-après:

a)Droit à la vie, à la sécurité et à l’intégrité de la personne

La loi n° 59/AN/94 du 5 janvier 1995 portant Code pénal prévoit et réprime les atteintes à la liberté, les crimes et délits contre les personnes, notamment par l’homicide, les coups et blessures, les violences, les arrestations illégales et la séquestration des personnes;

La loi n° 60/AN/94 du 5 janvier 1995 portant Code de procédure pénale.

b)Droit relatif au statut de la personne

La loi n° 79/AN/04/5ème L de 2004 portant Code de la nationalité;

La loi n° 152/AN/02/4ème L du 31 janvier 2002 portant Code de la famille.

c)L’interdiction de l’esclavage, de la servitude et de la torture

Le Code pénal et le Code du travail qui interdisent l’esclavage et toutes pratiques analogues;

Le Code pénal sanctionnant les actes de torture de barbarie et les violences suivies de mutilation, amputation ou toute autre infirmité ayant entraîné une incapacité permanente notamment les mutilations;

Loi n° 210/AN/07/5e L relative à la lutte contre le trafic des êtres humains;

La loi portant statut de la police nationale interdisant aux agents d’exercer des tortures, sévices ou traitements inhumains, cruels dégradants ou humiliants.

d)La liberté de pensée, de conscience, de religion, d’opinion et d’expression

La loi organique n° 2/AN/92 du 15 septembre 1992 portant sur la liberté de la communication.

e)La liberté de réunion, d’association de cortège et de manifestation

La loi du 1er juillet 1901 relative aux associations;

La loi organique n° 01/AN/92 du 23 septembre 1992 relative aux partis politiques.

f)Le droit de prendre part à la direction des affaires publiques et de participer à l’élection des dirigeants

La loi organique n° 1/AN/92 du 21 octobre 1992 portant loi électorale fixe les conditions d’élection, d’éligibilité et d’inéligibilité aux élections, les règles de leur organisation et les différents recours.

g)Le droit au travail, au repos, à la sécurité sociale et à la liberté syndicale

La loi de janvier 2006 portant Code du travail, qui reconnaît à chaque citoyen le droit au travail, au repos et à la formation, interdit de façon absolue le travail forcé ou obligatoire. Elle reconnaît également à tout travailleur le droit d’adhérer à un syndicat de son choix ainsi que le droit de grève;

La loi n° 203/AN/07/5e L portant création de l’Agence Nationale de l’Emploi, de la Formation et de l’Insertion Professionnelle (ANEFIP);

La loi n° 3/AN/92/2e L portant régime des pensions des fonctionnaires;

La loi n° 137/AN/90/2e L du 22/01/91 portant régime de retraite des parlementaires;

La loi n° 137/AN/90/2e L du 22/01/91 portant régime de pension des militaires;

La loi n° 137/AN/90/2e L du 22/01/91 portant régime des invalidités;

La loi n° 212/AN/07/5e L portant création de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS);

La loi n° 151/AN/02 portant création du Conseil National de la Sécurité Sociale;

La loi n° 154/AN/02, Loi n° 155/AN/02 portant révision des modalités de contribution et d’acquisition des droits à pension.

h)Le droit à l’éducation et à la santé

Loi d’orientation du système éducatif djiboutien de 1999;

1er Plan d’Action de l’éducation (1999-2005);

2e Plan d’Action de l’éducation (2006-2008);

3e Plan d’Action de l’éducation (2009-2010);

Loi cadre d’orientation de la politique de santé de juillet 1999;

Plan stratégique de développement sanitaire (2001-2011);

Plan d’Action (2008-2012).

16.Par ailleurs, la République de Djibouti a adopté des politiques générales de promotion et de protection de la femme et de l’enfant, de développement de l’éducation, de la santé et de la justice, ainsi que de lutte contre la pauvreté.

17. La tradition constitutionnelle à Djibouti de proclamer les droits et les libertés a tout au long été sous-tendue par la ratification des principaux instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme.

18. Ces instruments, à l’instar des autres traités ratifiés, ont une valeur supérieure à celle des lois dès publication. À cet égard, la République de Djibouti a ratifié les instruments juridiques internationaux essentiels.

D.Cadre institutionnel des droits de l’homme

19.Chacune des institutions prévues par la Constitution joue, selon le degré d’implication directement ou indirectement, un rôle dans la promotion et la protection des droits de l’homme. Il s’agit du Président de la République, du Gouvernement, de l’Assemblée Nationale, de la Cour Suprême, du Conseil Constitutionnel et de la Haute Cour de la justice.

20.Parmi ces institutions, celles qui ont un rôle direct dans la promotion et la protection des droits de l’homme sont le Gouvernement, l’Assemblée Nationale, la Cour Suprême et le Conseil Constitutionnel.

Institutions juridictionnelles

La Cour Suprême et autres cours et tribunaux

21.Selon l’article 71 de la Constitution, le pouvoir judiciaire est indépendant despouvoirs exécutif et législatif. Il est exercé par la Cour Suprême et les autres cours et tribunaux. À ce titre, ces juridictions veillent au respect des droits et libertés définis par la Constitution.

22.Le pouvoir judiciaire étant confié aux juges, il revient à ces derniers d’assurer au premier chef la protection efficace de ces droits. Cette protection juridictionnelle des droits est assurée sur l’ensemble du territoire national, notamment par le biais des juridictions relevant de l’ordre judiciaire et administratif. Le droit de saisir ces juridictions est formellement reconnu à toute personne sans limitation, si ce n’est la capacité juridique et le délai de recours ou l’intérêt à agir.

23.L’organisation et le fonctionnement des cours et des tribunaux satisfont aux grands standards internationaux en matière de justice, à savoir l’égalité devant la loi sans aucune discrimination, l’indépendance et l’impartialité de la justice, la présomption d’innocence, la légalité des infractions et des peines, le double degré de juridiction, le droit à la défense, l’assistance et l’aide judiciaire.

Le Conseil Constitutionnel

24.Le Conseil Constitutionnel est le principal garant des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques. Il joue ce rôle grâce à ses missions de contrôle de la constitutionnalité des lois et de la régularité des élections, ainsi que de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics (art. 75 de la Constitution).

25.Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales. Les dispositions d’une loi relative aux droits fondamentaux des personnes reconnus par la Constitution peuvent être déférées au Conseil Constitutionnel par voie d’exception dans le cadre d’une instance judiciaire. L’exception d’inconstitutionnalité peut être soulevée par tout plaideur devant toute juridiction. Une disposition jugée inconstitutionnelle cesse d’être applicable et ne peut plus être invoquée lors des procès.

Autres institutions constitutionnelles

26.Le Gouvernement joue un rôle essentiel dans la promotion et la protection des droits de l’homme par le biais de ses différents ministères, notamment les ministères chargés des affaires étrangères et de la coopération internationale, de l’intérieur et de la décentralisation, de la justice et des droits de l’homme, de la promotion de la femme, du bien-être familial et des affaires sociales, de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, de la solidarité, de l’habitat, de l’urbanisation, du logement et de l’environnement. Ces ministères sont respectivement chargés de la négociation des traités, de la sécurité des biens et des personnes, des droits humains en général, des droits de la femme, alors que les autres ministères s’occupent des droits économiques et socioculturels.

27.L’Assemblée Nationale, par son activité législative et ses fonctions de contrôle de l’action gouvernementale contribue à la promotion et à la protection des droits de l’homme. Il lui incombe de traduire en réalité les droits proclamés par la Constitution et de donner une suite législative aux engagements internationaux et régionaux souscrits par Djibouti. À travers les questions posées au Gouvernement et les commissions d’enquête, elle peut interpeller le Gouvernement sur toute situation de violation des droits humains et demander à celui-ci l’adoption de mesures appropriées pour y mettre fin.

Autres institutions et mécanismes

28. À côté de ces institutions constitutionnelles existent également des autorités administratives indépendantes et des mécanismes intervenant plus directement dans la promotion et la protection des droits de l’homme. Il s’agit du Médiateur de la République chargé des litiges entre l’Administration et les administrés, de la Commission Nationale des Droits de l’Homme chargée de la protection et de la promotion des droits de l’homme et de la Commission Électorale Nationale Indépendante, cette dernière étant compétente pour superviser la régularité des opérations électorales.

Organisations de la société civile

29.Plusieurs organisations de la société civile exercent leurs activités dans le domaine des droits de l’homme, entres autres: l’Union Nationale des Femmes de Djibouti (UNFD), l’Association pour la Défense des Droits de l’Homme (ADDHL), l’Association portes ouvertes, solidarités féminines, IMBIDA, l’Association Atouyoofan, l’Association des handicapés (Vivre plus fort, action handicap). Elles contribuent également à la promotion et à la protection des droits de l’homme, notamment par:

La prévention, les actions de sensibilisation, la participation au processus décisionnel, la médiation, l’observation des procès et des élections);

La dénonciation (communiqués, bulletins d’information et manifestations publiques);

L’information du grand public et des populations-cibles (femmes, enfants, handicapés, etc.) sur les droits et les libertés;

Les recommandations au Gouvernement susceptibles de mieux assurer la protection et la promotion de ces droits et libertés.

E.Jurisprudence nationale

30.À Djibouti, il existe une jurisprudence nationale formée d’arrêts de principe prononcés par la Cour Suprême sur de nombreuses questions, telles que la présence de l’avocat à toutes les étapes de la procédure, la nullité d’une procédure entachée de torture, la garde à vue, les droits des mineurs et le principe du contradictoire. Ces arrêts sont en cours de compilation en vue de leur insertion dans un recueil de décisions qui sera accessible à tout un chacun.

31.En matière des droits de l’homme, la Cour Suprême a rendu plusieurs arrêts relatifs à la désignation d’un avocat à toutes les étapes de la procédure, y compris la garde à vue.

32.Le Conseil Constitutionnel a rendu des arrêts, en matière de contentieux électoral, quiréaffirment l’égalité de traitement des candidats dans les médias. Dans d’autres arrêts, il aannulé les résultats de certains bureaux de vote, par exemple pour cause d’irrégularités lors des élections présidentielles de 1999 et des élections législatives de 2003. Ainsi, les résultats d’un bureau de vote à Tour Ousbo (Balbala) lors des élections présidentielles de 1999 ont été annulés,de même que les résultats du bureau de vote des «Kalaf» à Tadjourah (nord du pays) lors des élections législatives de 2003.

II.Méthodologie et processus de consultation

33.Le présent rapport a été élaboré en application de l’article 19 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée par Djibouti en novembre 2002 conformément aux directives générales concernant la présentation et le contenu des rapports à présenter par les États parties aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

34.Il a été élaboré sous la supervision du Comité interministériel pour la rédaction et la soumission des rapports périodiques, créé par décret présidentiel. Le Comité est composé demembres issus d’horizons différents, notamment représentant des départements ministériels chargés des ressources (justice, promotion de la femme, éducation, santé, finances, affaires étrangères, Ministère de l’intérieur, environnement, habitat et logement, défense, présidence), la Commission Nationale des Droits de l’Homme, sans oublier les personnes issues de la société civile.

35.Pour rassembler les informations nécessaires à la préparation du présent rapport, il a été procédé à une large consultation, au niveau national, des principaux acteurs concernés par les questions des droits de l’homme. Le processus a tout d’abord commencé par la mise en place d’un Comité interministériel chargé de la rédaction et de la soumission des rapports périodiques et de l’Examen périodique universel (EPU). Composé des représentants des départements ministériels concernés, il a été élargi à la Commission Nationale des Droits de l’Homme et aux principales organisations de la société civile œuvrant dans le domaine des droits de l’homme.

36.Au sein du Comité interministériel a été constitué un groupe technique restreint chargé de la rédaction du rapport national. Le groupe technique se compose de représentants du Ministère de la justice chargé des droits de l’homme, du Ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale, duMinistère de la promotion de la femme, du bien-être familial et des affaires sociales et des organisations de la société civile.

37.Chacun des membres du Comité a fourni une contribution à l’élaboration du présent rapport. Grâce à ces contributions,le groupe technique de rédaction a élaboré un premier projet de rapport en étroite collaboration avec les collecteurs des données issues des départements concernés par le rapport.

38.Voici la liste complète des membres du Comité interministériel et des collecteurs des données:

Au titre du Ministère de la justice, des affaires pénitentiaires, chargé des droits de l’homme: M. Abdi Ismael Hersi, coordonnateur;

Au titre de la Commission Nationale des Droits de l’Homme: M. Ali Mohamed;

Au titre du Ministère de l’économie et des finances: M. Idriss Abdi Bogoreh;

Au titre du Ministère des affaires musulmanes: M. Ali Youssouf Doualeh;

À titre de représentant du Secrétariat d’État: M. Doualeh Mahamoud Robleh;

À titre de représentante du Ministère de la promotion de la femme: MmeHalo Aboubaker Houmed;

À titre de représentante du Ministère des affaires étrangères: MmeMarie Natalis;

À titre de représentant du Ministère de l’éducation: M. Abdi Ibrahim Haiban;

À titre de représentant du Ministère de l’habitat: M. Aboubaler Doualeh Waiss;

À titre de représentante de la Présidence: MmeSouad Houssein;

À titre de représentant du Ministère de la défense: M. Yonis Hache;

À titre de représentant du Ministère de l’intérieur: M. Ahmed Mohamed Madar.

39.Les collecteurs de données qui ont contribué à la rédaction du présent rapport sont respectivement: M. Ahmed Osman (justice), MmeChoukri Houssein Djibah et le Colonel de Gendarmerie Mahamoud Youssouf.

40.Ce projet de rapport a été soumis pour observation et amendement à l’Assemblée générale du Comité interministériel EPU, qui l’a adopté, puis au Gouvernement pour examen.

A.Renseignements d’ordre général

41.La République de Djibouti a ratifié les principaux instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme et au droit international humanitaire.

42.Au terme des dispositions de l’article 37 de la Constitution «les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie et de sa conformité avec les dispositions pertinentes du droit des traités».

43.En plus de cette garantie d’application conférée par la Constitution, Djibouti a au fil du temps procédé à l’incorporation des dispositions de certains instruments internationaux dans sa législation nationale. Pour assurer le respect de ses obligations internationales en matière de droits de l’homme, la République de Djibouti a adopté et mis en œuvre différents programmes, politiques et mesures en faveur de la promotion et de la protection des droits de l’homme.

44.Il s’agit, entres autres, du programme dénommé Initiative nationale pour le développement social pour lutter contre la pauvreté. Parmi les mesures adoptées, on peut citer, notamment, la création de la CNDH, du Comité interministériel pour les rapports périodiques et la mise en place du quota en faveur des femmes dans les sphères de décision comme à l’Assemblée Nationale.

45.Le bilan de la mise en œuvre des obligations internationales laisse apparaître des avancées importantes pour certains droits, mais aussi des défis pour d’autres.

B.Cadre juridique général de l’interdiction et de l’élimination de la torture à Djibouti

46.Au lendemain de l’indépendance en l977, Djibouti a connu une période difficile de tension interne qui a entraîné une progression manifeste des violations des droits de l’homme et des libertés individuelles. Cet état de fait a connu son point culminant pendant la guerre civile qui a opposé les forces gouvernementales à l’opposition armée du Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie (FRUD).

47.Avec la signature des Accords de paix en 1994 puis en 2001 entre les belligérants, la situation des droits de l’homme s’est nettement améliorée. L’abolition de la peine de mort (1995) et la suppression des tribunaux d’exception tels que la Cour de sûreté de l’État et la Cour supérieure de justice sont l’illustration parfaite de cette évolution. Les constantes violations flagrantes des droits de l’homme et des libertés individuelles sont donc devenues un souvenir lointain. Cette évolution a été renforcée grâce à notre Constitution pluraliste du 15 septembre 1992. Elle a, en effet, apporté, grâce aux règles qui y sont édictées, des changements positifs qui vont dans le sens du renforcement des droits et des libertés des Djiboutiens.

48.Toutefois, quelques dérapages persistent en ce qui concerne les arrestations et les détentions arbitraires, les gardes à vue hors délai et les cas répétés de violence rapportés par les citoyens devant les juridictions de droit commun.

49.Par ailleurs, pour rester conforme à sa nouvelle politique des droits de l’homme, concrétisée par la création d’un département ministériel chargé des droits de l’homme, la République de Djibouti s’est dotée d’un certain nombre de textes qui attestent et confirment cette volonté et constituent des supports réglementaires et juridiques aux fins de lutter contre toute violation des droits de l’homme, y compris la torture. Il s’agit surtout de la loi portant amnistie des faits autres que les faits de droit commun de 1994 jusqu’à la date de promulgation de la dite loi et du décret portant création d’une commission mixte spéciale pour la mise en application de la loi citée ci-dessus ainsi que des Accords de paix dont ont bénéficié de nombreux prisonniers politiques, tout comme les combattants démobilisés du FRUD. Cette Commission avait également pour mission de procéder au recensement des victimes des tortures et autres faits de guerre et de déterminer l’indemnisation ou les circonstances de la disparition de certaines d’entres elles.

50.D’autres actions ont été entreprises dans le but de bannir la torture et autres mauvais traitements cruels inhumains ou dégradants. Il s’agit entre autres de:

La suppression de la «Villa Christophe»: ce centre de détention était un endroit tristement célèbre où, dans le passé, on torturait toutes les personnes soupçonnées d’avoir des activités politiques subversives ou des positions antigouvernementales;

- La lutte pour la suppression des arrestations arbitraires et de la maltraitance dans les commissariats, les brigades de gendarmerie et les camps militaires ou autres par le biais d’une politique de formation des agents et de sensibilisations aux droits de l’homme;

L’amélioration notable des conditions de vie dans les prisons;

La libéralisation de la presse (loi sur la communication de 1992);

La lutte des autorités judiciaires et des autorités de police pour le respect du délai de garde àvue;

La libéralisation des pratiques religieuses;

Les autorisations données à toutes les organisations non gouvernementales d’exercer leurs activités.

51.On note également la création ou l’existence d’un certain nombre de structures et d’associations qui coopèrent avec le Ministère de la justice ou de la promotion des femmes dans le but de lutter contre les violations des droits de l’homme, ce qui laisse à penser que le changement intervenu a marqué un point positif dans la vie de toutes les populations et couches sociales du pays. Il s’agit notamment des structures suivantes:

L’Association pour la Défense des Droits de l’Homme et des libertés (ADDHL);

La Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH);

L’Union Nationale des Femmes de Djibouti (UNFD);

L’Association Al Birri (caritative);

L’Association Bender Djedid (membre de l’ECOSOC);

L’Association de Lutte contre les Mutilations Génitales et Pratiques traditionnelles néfastes;

L’Association Caritas-Djibouti;

Le Croissant Rouge de Djibouti;

L’Association des Femmes de Balbala (Orphelinat).

52.Les médias ainsi que les diverses structures non gouvernementales qui se sont constituées au lendemain, ou plutôt à l’avènement, du renouveau démocratique sont très vigilants, et dénoncent, le cas échéant, tout acte allant à l’encontre de la Constitution en matière des droits de l’homme et des libertés civiques.

53.Par ailleurs, depuis quelque temps, des révisions et mises à jour de certains textes juridiques, notamment du Code pénal et du Code de procédure pénale, sont effectuées. Un Code de la famille et des tribunaux de statut personnel ont vu le jour. Une loi relative à la lutte contre le trafic des êtres humains a été adoptée. De même, des lois organiques relatives aux partis politiques, à la magistrature, aux élections, ont été adoptées. En outre, des conventions d’entraide judiciaire et d’extradition sont mises en place avec certains pays de la région (Éthiopie Yémen) et avec la France. Elles concernent notamment les matières civiles, pénales, commerciales, familiales et l’extradition.

C.Recours possibles pour les personnes victimes de torture

54.Toute personne victime de torture dispose de plusieurs recours:

Recours auprès du Conseil Constitutionnel, qui contrôle la constitutionnalité des lois et statue sur les violations des droits fondamentaux des personnes en cas de saisine;

Recours juridictionnel assorti de toutes les garanties de procédure devant les tribunaux de première instance, d’appel et la Cour Suprême;

Recours administratif avec dépôt de plainte auprès de l’autorité supérieure hiérarchique ou du juge administratif;

Recours auprès des diverses structures ou institutions des droits de l’homme, telles que la Commission Nationale des Droits de l’Homme.

D.Programme de réadaptation

55.La loi de 1994 portant amnistie des faits autres que des faits de droit commun a été promulguée à l’issue de la guerre civile et suite à la signature de l’Accord de paix entre le Gouvernement et l’opposition armée du FRUD. La loi a permis la libération de nombreux détenus victimes de tortures ou de mauvais traitements de part et d’autre. Des dispositions réglementaires ont été édictées qui fixent les modalités d’application de la loi et établissent les listes des bénéficiaires des clauses de cette loi. Si on ne peut pas réellement parler d’un programme de réadaptation, des efforts ont cependant été faits pour réintégrer les victimes dans la vie sociale. Les fonctionnaires ont ainsi été réintégrés dans la fonction publique avec tous leurs droits, et les militaires dans l’armée nationale. Des compensations financières ou en nature ont été octroyées à ceux qui en ont fait la demande à la justice ou gracieusement à qui de droit.

E.Application de la Convention à Djibouti

56.Djibouti est partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants depuis le 5 novembre 2002, et son rapport initial est dû depuis octobre 2003. On a pu, depuis, constater une évolution sensible de la situation en matière de respect des droits de l’homme. En effet, s’il y a eu des violations importantes durant et avant la période de guerre civile, les différentes organisations non gouvernementales et les institutions nationales qui s’investissent dans le domaine veillent aujourd’hui au respect des engagements internationaux pris par notre pays en matière de droits de l’homme, notamment en ce qui concerne la lutte contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants.

57.L’État djiboutien a manifesté sa volonté politique et son souci de mieux garantir les droits fondamentaux et les libertés individuelles en réorganisant le Ministère de la justice, des affaires pénitentiaires et musulmanes, et en rajoutant à ses activités traditionnelles la protection et la promotion des droits de l’homme. En effet, le décret portant attributions, organisation et fonctionnement du Ministère de la justice chargé des droits de l’homme prévoit une Direction de la législation et des droits de l’homme.

58.Cette Direction a pour mission la promotion et la défense des droits de l’homme. Elle est chargée:

D’établir une meilleure adéquation entre la législation interne et les dispositions des instruments internationaux;

De visiter les lieux de détention afin d’apprécier les conditions de détention et de vie des prisonniers et prévenir les cas de détention abusive et arbitraire;

De procéder à la vérification des cas de violation des droits de l’homme et exploiter toutes les requêtes dénonçant les violations de ces droits;

De promouvoir et de garantir tous les droits fondamentaux reconnus aux femmes et aux enfants par les divers instruments internationaux des droits de l’homme;

D’œuvrer en vue de la protection et de la défense des droits et des libertés du citoyen, des personnes privées de liberté, des étrangers et des réfugiés;

59.Il faut en outre signaler que cette volonté manifeste de l’État djiboutien s’est traduite par la création de la Commission Nationale des Droits de l’Homme et du Comité interministériel pour la rédaction et la soumission des rapports périodiques aux organes créés en vertu des traités ainsi que du Conseil des droits de l’homme en vue de l’application des instruments internationaux. Les membres de ces institutions ont suivi un certain nombre de formations organisées par la Commission Nationale des Droits de l’Homme et le Ministère de la justice chargé des droits de l’homme, en collaboration avec le bureau régional du Haut-Commissariat aux droits de l’homme pour l’Afrique de l’Est.

III.Commentaires sur les articles de la Convention (art. 1 à 16)

Article 1De la définition de la torture

60. En ce qui concerne l’obligation pour tout État partie à la Convention d’intégrer les dispositions de cette dernière dans sa législation nationale, on note qu’à ce jour, soit sept ans après la ratification, aucun texte spécifique national ne définit ni ne réprime la torture. Les victimes ne peuvent donc intenter d’action devant les tribunaux que par rapport aux actes qui sous-tendent la torture matériellement et au plan pénal.

61.La législation nationale de Djibouti ne définit nulle part la torture. Toutefois, on a constaté, à diverses reprises, que la torture est souvent assimilée aux sévices et traitements inhumains et qu’en même temps il est reconnu qu’elle dépasse l’horizon d’une simple atteinte à l’intégrité physique. Il est tenu compte du fait que les techniques de torture ont considérablement évolué dans le temps et varient d’une civilisation à une autre. Dès lors, à Djibouti, les différentes institutions en relation avec la torture ont tout simplement adopté la définition qui est donnée de la torture dans la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, objet de la résolution 3452 adoptée le 9 décembre 1975 parl’Assemblée générale des Nations Unies.

62.D’après cette résolution, le terme «torture» désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont délibérément infligées à une personne par des agents de la fonction publique ou à leur instigation, aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’un tiers des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle a commis ou qu’elle est soupçonnée d’avoir commis, ou de l’intimider ou d’intimider d’autres personnes. Cette définition correspond, sur le fond, à celle de la Convention. Cette dernière paraît, néanmoins, plus complète et plus précise en ce qui concerne les auteurs d’actes de torture et les victimes qui sont élargies aux tiers.

Article 2Des mesures législatives, administratives, judiciaires et réglementaires contre la torture

Sanctions et mesures préventives législatives

63.En dehors de la Constitution qui a posé le principe de l’interdiction de la torture, très peu de mesures ont été prises dans le cadre de l’application de l’article 2 de la Convention. Néanmoins, le Code pénal, bien qu’antérieur à la Convention, comporte quelques dispositions assez pertinentes.

64.La Loi fondamentale du 15 septembre 1992 portant constitution de la République de Djibouti dispose en son article 10 que: «la personne humaine est sacrée et que l’État a l’obligation de la respecter et de la protéger». Aux termes du même article, «tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne». Selon les dispositions de l’article 16 de la Constitution, «nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements inhumains, dégradants ou humiliants».

65.De plus, l’article 16 dispose que «tout individu, tout agent de l’État, toute autorité publique qui se rendrait coupable de tels actes, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi». Aussi «nul ne peut être détenu si ce n’est arbitrairement dans un établissement pénitentiaire, s’il ne tombe sous le coup d’une loi pénale en vigueur».

66.L’article 10 précise, quant à lui, «le droit de toute personne faisant l’objet d’une mesure privative de liberté, de se faire examiner par un médecin de son choix». Par ailleurs, la durée de sa détention ne peut être supérieure à 48 heures que sur décision du magistrat en charge du dossier. Ce délai ne peut en tout état de cause être prolongé que dans les cas prévus par la loi.

67.L’examen, certes, sommaire de ces différentes dispositions démontre la volonté de l’État djiboutien de prévenir la torture et tous les traitements cruels, inhumains ou dégradants, et de les réprimer. En effet, le Code pénal en vigueur à Djibouti prévoit en son titre III, chapitre premier, des dispositions sur la répression des crimes et délits contre les personnes. Le Conseil Constitutionnel reçoit, de temps à autre, des plaintes pour violation des droits fondamentaux de la personne humaine, telles que coups, violences, détentions arbitraires et abusives et tortures corporelles subis pendant la détention en sa qualité de garant des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques.

68.Toute personne faisant l’objet d’une arrestation a, depuis la garde à vue, le droit de téléphoner à son avocat ou à un membre de sa famille. Si elle est sous le coup d’un mandat de dépôt, elle a droit aux visites familiales conformément aux règles en vigueur à la maison d’arrêt.

69.Le Code pénal en vigueur à Djibouti a prévu un certain nombre de dispositions pour réprimer diverses infractions dont les effets peuvent être assimilés à la torture. Ainsi, les dispositions de l’article 325 répriment-ils les abus d’autorité envers les particuliers. Cet article stipule que «lorsqu’un fonctionnaire ou un agent public dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions use ou fait user de la violence, torture ou commet un acte de barbarie envers les personnes il sera puni selon la nature et la gravité de ses violences et en élevant la peine».

70.Lesdites peines varient suivant la qualification de l’infraction et sont aggravées en tenant compte du statut de l’auteur. S’il s’agit d’un délit de police correctionnelle, les auteurs subissent le maximum de la peine attachée à l’espèce du délit.

71.La répression des crimes est organisée comme suit:

La réclusion lorsque la peine prévue pour tout autre coupable de crime est la détention en dehors des cas qui viennent d’être cités, la peine reste commune à tout auteur, sans aggravation;

En ce qui concerne les crimes commis à l’encontre des particuliers, le meurtre est puni par les articles 313 et 319 du Code pénal, qui le définissent comme homicide volontaire passible de la réclusion criminelle à perpétuité.

72.Lorsque pour commettre leur crime, des malfaiteurs font usage de la torture ou commettent des actes de barbarie, ils sont punis au motif d’assassinat, et donc passibles aussi de la peine maximale de la réclusion criminelle à perpétuité, la peine de mort ayant été abolie à Djibouti en 1995.

73.Les coups et blessures volontaires (violences) sont réprimés par les articles 328 à 338 du Code pénal. Les peines varient selon qu’il y a eu préméditation, privation, amputation ou autre infirmité permanente, selon qu’il y a eu ou non intention de donner la mort ou que la victime est un enfant âgé de moins de 15 ans.

74.Les peines encourues sont multiples et diverses. Elles consistent en des peines d’emprisonnement assorties d’amendes plus ou moins alourdies selon les cas et varient de six jours à 2 ans assortis d’amendes ou de l’une de ces 2 peines, lorsque les coups et blessures n’ont occasionné aucune maladie ni incapacité de travail. En cas de préméditation, les peines vont de deux à cinq ans d’emprisonnement assorti d’amendes de 1000 000 francs de Djibouti. Il y a condamnation à la réclusion criminelle dans les autres cas.

75.Il importe de souligner qu’une personne coupable de délit ou de crime ne peut être ni poursuivie ni condamnée (ou atténué) si l’homicide, les blessures et les coups ont été ordonnés par la loi ou commandés par l’autorité légitime ou par la nécessité de la légitime défense (articles 27 à 32 du Code pénal).

76.La volonté politique du Gouvernement djiboutien de respecter et de protéger les citoyens dans ce domaine s’est traduite par la ratification, le 5 novembre 2002, de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et par la création, quelques années plus tard, d’une Commission Nationale des Droits de l’Homme.

Mesures administratives

77.Les mesures d’ordre réglementaire ou administratif se sont traduites par la mise en place de structures telles que les cellules des droits de l’homme au sein de la police et de la gendarmerie.

78.Le Gouvernement a été poussé à agir en ce sens et à créer des commissions d’enquête, lorsque des bavures de la police ou de l’armée ont été dénoncées ou encore à la suite des massacres d’Arhiba, le 18 décembre 1992.

79.La police et la gendarmerie disposent d’un code de déontologie dans leurs statuts respectifs qui stipule que: «lorsqu’ils sont autorisés par la loi à utiliser la force et en particulier à se servir des armes, les policiers ou gendarmes ne peuvent en faire qu’un usage strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre», mais aussi que «toute personne appréhendée et placée sous la responsabilité de la police ne doit subir de la part des fonctionnaires de la police ou des tiers aucune violence ni aucun traitement inhumain ou dégradant».

80.Toujours au chapitre des mesures administratives, il convient de relever également que le Gouvernement a autorisé le fonctionnement des associations s’occupant directement de la torture et des droits de l’homme.

Mesures judiciaires

81.À Djibouti, la justice est rendue par un seul ordre de juridiction, qui comprend la Cour Suprême, la cour d’appel, la cour criminelle et les tribunaux de première instance. Le domaine de compétence de ces juridictions est civil, commercial, administratif, social et pénal. La peine de mort ayant été abolie en 1995, la peine maximale prévue par les dispositions du Code pénal est la réclusion criminelle à perpétuité.

Mesures réglementaires

82.Il est prévu à l’article 40 de la Constitution de 1992 que «lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité territoriale ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu, le Président de la République peut après avis du Président de l’Assemblée nationale et du Président du Conseil Constitutionnel et après en avoir informé la nation par un message, prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assurer la sauvegarde de la nation à l’exclusion d’une révision constitutionnelle». L’Assemblée Nationale qui se réunit de plein droit est saisie pour ratification dans les quinze jours de leur promulgation des mesures législatives mises en vigueur par le Président.

83.Ces mesures exceptionnelles ne sauraient justifier les atteintes au droit à la vie, à l’intégrité physique et morale et aux garanties juridictionnelles accordées aux individus. Elles s’exercent en principe dans le respect de la légalité administrative et des droits de l’homme.

84.La voie qui est offerte aux citoyens brutalisés, ou en cas d’abus, est le recours juridictionnel car aucun texte législatif ou réglementaire n’autorise une autorité publique à se livrer à des actes de torture sur un citoyen. Malheureusement, dans la pratique, de nombreux abus sont commis par ignorance ou méconnaissance des règles de la part de certaines autorités administratives ou militaires, ou de certains membres des forces de l’ordre. On retrouve, aussi, la même ignorance du côté des victimes.

Article 3De l’exclusion, du refoulement et de l’extradition

85.Comme indiqué dans la première partie du rapport, Djibouti est partie à plusieurs instruments internationaux, notamment à ceux protégeant les réfugiés, et à la Convention de l’Union africaine relative aux aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique. Aux termes de l’article 18 de la Constitution, «tout étranger qui se trouve régulièrement sur le territoire national jouit pour sa personne et pour ses biens de la protection de la loi». À Djibouti, la question des réfugiés est régie par l’Office national pour l’assistance des réfugiés et sinistrés (ONARS). La République de Djibouti est liée, en outre, par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui dispose en son article 12, alinéa 5, que«l’expulsion collective d’étrangers est interdite». L’expulsion collective étant celle qui vise des groupes nationaux raciaux, ethniques ou religieux, le Gouvernement n’a finalement pas mis à exécution la menace qu’il avait fait planer, il y a quelques années de cela, d’ordonner l’expulsion massive des réfugiés éthiopiens et somaliens.

86.Par interprétation, l’interdiction d’extrader une personne vers un autre État où elle risque d’être torturée peut être déduite de tous les accords de coopération juridique passés entre Djibouti et d’autres États. Toutefois, il existe une exception dans les traités d’extradition, qui consiste pour les États parties à ne pas extrader leurs ressortissants respectifs, à l’instar de Djibouti, pour des raisons bien évidentes. Cependant, si plusieurs articles dans les conventions existantes organisent la procédure d’extradition, aucun d’entre eux n’aborde la question de l’autorité qui prend l’initiative de l’extradition, ni celle de la contestation d’une telle décision et de la marche ou de la procédure à suivre. Tout au plus, peut-on lire dans les accords de coopération en matière de justice que la «demande d’extradition sera adressée par voie diplomatique». Parfois, la convention indique quelle est l’autorité qui doit recevoir cette demande: «la demande d’extradition sera adressée directement au procureur général de l’État requis».

87.Le parquet général ne dispose malheureusement pas de statistique du fait de la mauvaise tenue des archives. Aujourd’hui partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Djibouti ne peut procéder à une extradition sans tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence dans l’État requérant d’un ensemble de violations systématiques graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit là d’un devoir moral et sécuritaire.

88.Il y a donc lieu de constater avec regret le silence des textes non seulement sur l’identification claire et nette de la personne qui doit prendre la décision d’extradition, mais aussi sur la possibilité de la contester. Ces mêmes textes restent muets sur la procédure de contestation à laquelle il faut recourir dans de tels cas, qui, au plan des statistiques, font d’ailleurs défaut. Enfin, faute de mentions précises sur les éléments cités ci-dessus, il est difficile de déterminer le type de formation spécifique dont le décideur a besoin pour être compétent en matière d’extradition et anticiper les risques de torture encourus par les personnes à extrader. Lorsque les conditions exigées par la réglementation relative aux conditions d’admission et de séjour des étrangers sur le territoire de la République de Djibouti ne sont pas remplies, des mesures de rapatriement ou de refoulement sont prises à l’encontre des contrevenants. De plus, la législation djiboutienne interdit l’extradition de tout individu vers un État où il risque d’être torturé. En l’absence d’exemple d’extradition, il ne nous a pas été possible de dire si cette clause a été appliquée et mise en œuvre.

Article 4De l’incrimination des actes de torture

89.Contrairement aux dispositions de l’article 4 de la Convention qui fait obligation à Djibouti en tant qu’État partie de veiller à ce que les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal, ces actes n’ont pas encore fait l’objet de mesures spécifiques applicables.

90.Cette faiblesse du droit interne contribue en partie à l’impunité. Car en l’état actuel de la législation, la question des actes de torture reste une notion plus large diluée dans les atteintes physiques aux personnes et les atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle ou mentale: la torture en constitue seulement une circonstance aggravante soumise à l’appréciation du juge répressif. On retrouve dans le Code pénal plusieurs dispositions qui répriment certaines atteintes physiques aux personnes.

Arrestations illégales des personnes et séquestrations

91.Les arrestations illégales et les séquestrations de personnes sont punies d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle. Ces peines s’appliquent aussi bien aux coupables qu’à leurs complices, notamment à quiconque aurait prêté un lieu pour exécuter la détention ou la séquestration (article 381 du Code pénal). Le deuxième alinéa de l’article 381 stipule que lorsque la victime a été libérée avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension, la peine est réduite à un emprisonnement de cinq années et à une amende de 2 000 000 francs de Djibouti, sauf dans les cas où la victime a subi une mutilation ou une infirmité permanente provoquée volontairement ou résultant des conditions de détention, soit d’une privation d’aliments ou de soins. Dans ce cas, l’auteur est passible de la réclusion criminelle à perpétuité. De même, les coupables sont passibles de la même peine si la personne séquestrée, arrêtée, enlevée ou détenue l’a été comme otage, soit pour faciliter la commission d’un crime ou d’un délit, soit pour favoriser la fuite ou assurer l’impunité de l’auteur, de l’instigateur ou du complice d’un crime ou délit, soit pour obtenir l’exécution d’un ordre ou d’une condition, notamment le versement d’une rançon.

Autres actes visés au paragraphe 1 de l’article 4

92.En ce qui concerne la tentative de torture, les dispositions préliminaires du Code pénal prévoient aux articles 23 et 24 que toute tentative de crime sera punie de la même peine que le crime lui-même s’il y a eu commencement d’exécution ou si cette tentative n’a manqué son effet que par suite de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Par contre, la tentative de délit n’est considérée comme le délit lui-même que dans les cas expressément prévus par la loi.

93.La complicité est au regard du droit pénal djiboutien un fait accessoire et doit, en conséquence, être nécessairement rattachée à un fait principal puni par la loi. De ce fait, les complices d’un crime ou d’un délit sont passibles de la même peine que l’auteur principal, sauf dispositions contraires de la loi. La tentative est donc caractérisée par le seul fait que le prévenu a agi dans le but et avec l’intention de commettre l’acte. Elle est donc punissable dès qu’il y a commencement d’exécution et que la victime n’est pas relâchée immédiatement.

94.En matière pénale, toute décision de justice doit reposer sur une base légale. En l’absence d’une telle base, aucun jugement ne peut être rendu pour sanctionner la torture en tant qu’infraction distincte. Le Code pénal djiboutien étant antérieur à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, seule l’harmonisation du Code pénal avec la Convention permettra une possible application de celle-ci et à plus de protection. Le plan d’action triennal de la justice mis en place par leMinistère de la justice pour mettre en œuvre les recommandations des états généraux de la justice a inscrit, notamment, les priorités et les principaux axes stratégiques de la réforme suivants:

a)La révision ou l’adoption des textes;

b)La promotion et la protection des droits de l’homme;

c)L’information, l’éducation et la communication.

Article 5De la compétence territoriale

95.En matière pénale, la compétence territoriale des juridictions répressives djiboutiennes est déterminée, en principe, par le lieu de commission de l’infraction, derésidence de l’une des personnes soupçonnées d’avoir participé à l’infraction, inculpée ou accusée, ou d’arrestation, ou de détention, de ces personnes.

96.Le Code de procédure pénale de la République de Djibouti de 1995 qui est toujours en vigueur prévoit que le tribunal de première instance a compétence pour juger des délits et des contraventions tels que définis par la loi pénale. L’article 335 du même Code établit que le jugement des délits relève de la compétence du tribunal du lieu de l’infraction, du lieu de résidence, du prévenu ou de son lieu d’arrestation, même si cette arrestation a été opérée pour une autre cause. La compétence du tribunal s’étend aux délits et aux contraventions qui forment avec l’infraction déférée au tribunal un ensemble indivisible; elle peut aussi s’étendre aux délits et contraventions connexes. Aux termes des articles 335 et 365 du Code de procédure pénale, sous réserve de ces dispositions, le tribunal du lieu d’infraction est seul compétent pour connaître des contraventions.

97.En matière criminelle, seule la cour criminelle est compétente. Elle a plénitude de juridiction pour juger tout individu renvoyé devant elle par la chambre d’accusation (article 308 du Code de procédure pénale). L’analyse de ces dispositions permet d’affirmer que la législation pénale djiboutienne ne distingue pas, en ce qui concerne les faits commis sur son territoire, la nationalité du prévenu.

98.Le titre VI du Code de procédure pénale djiboutien est consacré aux crimes et délits commis à l’étranger, soit par des citoyens djiboutiens, soit par des étrangers. Selon les dispositions dudit Code, est réputée commise sur le territoire de la République toute infraction dont un acte caractérisant un de ses éléments constitutifs a été accompli à Djibouti. De même que selon l’article 537 du Code de procédure pénale, toute personne de nationalité étrangère peut être poursuivie et jugée pour des infractions commises en dehors du territoire national par les juridictions djiboutiennes si elle est arrêtée à Djibouti ou si elle fait l’objet d’une extradition obtenue par le Gouvernement. Faute d’exemple d’extradition intervenu à Djibouti, on ne peut pas citer de cas.

99.Une victime d’actes de torture peut se fonder sur les dispositions générales énoncées dans les articles 10 et 16 de la Constitution. En effet, alors que l’article 16 prévoit la répression, conformément à la loi, de tout acte de torture, des sévices ou traitements inhumains ou dégradants, l’article 10 réaffirme, quant à lui, le droit de tout individu à la vie, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne.

100.Si l’auteur présumé d’actes de torture se trouve à Djibouti, les mêmes règles de compétence sont applicables, sans distinction de son origine ou de sa nationalité, et quelle que soit la nationalité de l’auteur non extradé. La juridiction saisie qui statue sur la culpabilité et prononce la peine règle en même temps la question des intérêts civils si elle peut se prononcer en l’état sur la demande des dommages-intérêts. Dans le cas contraire, elle peut accorder une provision.

101.Toute victime conserve également la possibilité de recourir aux juridictions civilessur la base des articles 1382 et suivants du Code civil. Cet article 1382 énonce que tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Les conditions d’exercice de l’action sont dans ce dernier cas définies dans les articles 6 à 11 du Code de procédure pénale.

102.Il ressort de ces dispositions que l’action civile exercée en même temps devant la même juridiction est recevable pour les dommages matériels et les préjudices corporels ou moraux qui sont à la charge de l’auteur de l’infraction poursuivi. En cas de l’exercice séparé des deux, il est sursis à statuer sur l’action civile. Si la partie civile attrait l’auteur des faits devant la juridiction civile, elle n’est plus fondée à saisir postérieurement, pour la même affaire, les juridictions répressives. Le Code de procédure pénale reconnaît néanmoins cette faculté au ministère public tant qu’une décision n’a pas encore été rendue sur le fond. Mais selon l’article 299 du Code de procédure pénale, la partie civile qui succombe est tenue aux frais, sauf décision spéciale du tribunal pour l’en décharger en toutou en partie, et quelle que soit sa nationalité.

Article 6Arrestation et détention des personnes inculpées d’actes de torture

103.Dans la législation en vigueur à Djibouti, les préoccupations de l’article 6 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont en partie prises en compte par le décret portant organisation des établissements pénitentiaires suivant lequel «les établissements pénitentiaires servent à la détention des personnes condamnées à des peines privatives des libertés et à celle des personnes soumises à une information judiciaire en cours ou en attente du jugement définitif; ce principe s’applique à tout détenu sans condition de nationalité».

104.L’article 18 de la Constitution du 15 septembre 1992 prévoit également que «tout étranger qui se trouve régulièrement sur le territoire national jouit pour sa personne et pour ses biens de la protection de la loi». Les étrangers sont donc tenus de se conformer à la Constitution, aux lois et aux règlements de la République.

105.Tout individu soupçonné d’avoir commis un acte de torture ou d’avoir infligé d’autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants doit être soumis à une enquête préliminaire conformément aux dispositions des articles 61 et suivants du Code de procédure pénale.

106.Par ailleurs, il ressort des dispositions des conventions générales de coopération en matière de justice conclues avec plusieurs pays, que les parties contractantes ont un accès libre et facile aux tribunaux tant judiciaires qu’administratifs, et bénéficient de l’assistance judiciaire au même titre que les nationaux eux même, conformément à la loi du pays.

107.Ces textes, tout comme le traité d’extradition entre la République de Djibouti et l’Éthiopie, prévoient que la procédure d’extradition ne peut être déclenchée sans demande de l’État requérant. Cette demande sera exercée par voie diplomatique et précisera les faits reprochés au mis en cause, le temps ou le lieu ou ils ont été commis, la qualification légale et les références, ainsi que le texte des dispositions légales qui lui sont applicables dans l’État requis et toute indication sur son identité et sa nationalité. Il importe de préciser que la procédure d’extradition ne peut être déclenchée que contre une personne poursuivie ou condamnée dans l’État requérant. Une demande d’arrestation provisoire peut être faite en attendant la demande formelle d’extradition, mais elle devra être confirmée par voie diplomatique. C’est en fait le Ministère de la justice qui est chargé de la gestion des dossiers d’extradition.

108.Le Code de procédure pénale consacre des chapitres particuliers à la détention préventive et à l’exécution des peines privatives de liberté et des sentences pénales. La détention préventive s’exécute dans une prison. Le détenu ne doit pas être soumis au travail, ni à l’intérieur ni à l’extérieur de la maison d’arrêt, sauf s’il en fait la demande. Il doit lui être garanti toutes communications ou facilités compatibles, pour l’exercice de sa défense, avec les exigences de la discipline et de la sécurité de la prison. (Articles 569 et suivant du Code de procédure pénale). Au regard de ces dispositions, toute personne détenue dans les conditions précitées peut bénéficier de ces garanties en saisissant par voie hiérarchique les autorités compétentes.

109.Dans la pratique, les autorités chargées d’appliquer ces dispositions sont des officiers de la police judiciaire, des régisseurs et des directeurs de prison et de maison d’arrêt. Ont qualité d’officiers de la police judiciaire:

Les officiers et les gradés de la gendarmerie ainsi que les gendarmes comptant trois ans de service dans la gendarmerie auxquels cette qualité a été conférée individuellement par arrêté après examen technique et avis conforme d’une commission présidée par le Procureur général;

Les officiers et gradés de la police nationale ainsi que les policiers comptant au moins trois ans de service dans la police nationale auxquels cette qualité a été conférée individuellement par arrêté après examen technique et avis conforme d’une commission présidée par le Procureur général.

Article 7Jugement ou extradition des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de torture

110.En vertu des articles 18 et 19 de la Constitution, tout étranger qui se trouve régulièrement sur le territoire national jouit pour sa personne et pour ses biens de la protection de la loi. En outre, l’État protège à l’étranger les droits et les intérêts légitimes des citoyens djiboutiens.

111.Sur cette base, l’étranger soupçonné et non extradé doit être jugé comme un citoyen djiboutien. Du moins, tel devrait être le cas conformément aux dispositions du Code de procédure pénale en vigueur à Djibouti. L’article 1er du Code de procédure pénale stipuleque l’action pénale pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi ou par la partie lésée elle-même.

112.Les autorités chargées de l’action pénale et de l’instruction sont:

La police judiciaire.

Les officiers de police judiciaire;

Les agents de la police judiciaire;

Les fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées de par la loi certaines fonctions de police judiciaire.

Le ministère public.

Le Procureur de la République et ses substituts près le tribunal de première instance;

Le Procureur général de la République et ses substituts généraux près la cour d’appel et la Cour Suprême.

Le juge d’instruction.

113.L’intéressé peut saisir le doyen des juges d’instruction, directement sur plainte, avec constitution de partie civile. Aucune disposition légale n’autorise cette autorité, à Djibouti, à traiter différemment l’auteur présumé d’une infraction en fonction de sa nationalité. Dans ces conditions, sa décision doit intervenir dans les mêmes conditions que pour tout crime ou délit prévu par la loi. On ne peut appliquer la loi différemment selon qu’il s’agit d’un Djiboutien ou d’un étranger.

114.Les règles de l’administration de la preuve qui sont applicables à toute espèce sont, quant à elles, stipulées dans le Code de procédure pénale aux articles 264 à 283. Tout mode de preuve est admis aux termes de ces dispositions, tel que l’aveu, les procès-verbaux, les auditions des témoins et les pièces à conviction. Cependant, quel que soit le mode de preuve utilisé, le juge décide en fonction de son intime conviction et en fondant sa décision sur les preuves qui lui auront été apportées au cours des débats. À Djibouti, toute personne est présumée innocente jusqu’à ce qu’elle soit condamnée et a droit à l’assistance d’un avocat à toutes les étapes de la procédure, et ce conformément aux dispositions de la Constitution, du Code pénal et du Code de procédure pénale.

115.En ce qui concerne les exemples pratiques de mise en œuvre de l’article 7 de la Convention, les juridictions djiboutiennes n’ont pas connu de cas de tortionnaires étrangers. En conséquence, aucun exemple de jugement rendu à cet effet ne peut être joint au présent rapport.

Article 8Incrimination des actes de torture dans les traités d’extradition

116.Divers accords sur l’extradition ont été signés par Djibouti avec d’autres États parties en vue de faciliter un échange régulier d’informations judiciaires sur les délinquants passibles de sanctions pénales et ressortissants d’un État partie à ces accords.

117.Parmi les textes existants, en matière de justice, il faut notamment citer par ordre chronologique:

La Convention d’entraide judiciaire en matière pénale et civile entre la République de Djibouti et le Gouvernement de la République française, signée le 27 septembre 1986;

La Convention de coopération judiciaire en matière civile, y compris le statut personnel, commerciale, sociale et administrative entre le Gouvernement de transition de l’Éthiopie et la République de Djibouti;

La Convention d’extradition entre le Gouvernement de la République de Djibouti et le Gouvernement de la République française.

118.Tous ces instruments énoncent clairement des dispositions générales sur la répression des crimes et délits commis par des délinquants dans les États signataires mais n’évoquent pas, de manière explicite, la lutte contre toutes les formes de torture. En revanche, on peut y lire l’interdiction formelle d’extrader une personne pour des infractions à caractère politique ou pour des infractions connexe et pour des crimes ou délits d’opinion en raison de la race, de la religion ou de la nationalité.

119.En effet, la Convention d’extradition entre Djibouti et la France stipule en son article 4 que «l’extradition ne sera pas accordée, lorsque l’infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par l’État requis comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction». L’article 4 précise que «l’extradition pourra être refusée si l’État requis a des raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinion politique ou que la situation de cette personne risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons».

120.Dans la pratique peu d’extraditions, voire aucune, ont eu lieu à Djibouti, si ce n’est quelques refoulements – rares – à la frontière. Il n’existe pas de jurisprudence à ce sujet.

121.La Constitution de la République de Djibouti affirme en son article 74 que «Nul ne peut être arbitrairement détenu. Le pouvoir judiciaire, gardien de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi». En vue de garantir la sécurité judiciaire et juridique, le pays dispose d’un tribunal de première instance, qui comprend un tribunal de statut personnel, mais aussi d’une cour d’appel qui ont compétence tous les deux sur l’ensemble du territoire national. Au sommet de ces juridictions, on trouve la Cour Suprême.

Article 9Entraide judiciaire entre États parties dans toute procédure relative aux actes de torture

122.L’entraide judiciaire est un principe consacré dans tous les instruments en matière d’extradition contractés par Djibouti.

123.Ainsi, aux termes de l’article premier de la Convention de coopération en matière de justice entre la France et Djibouti, il est stipulé que «les deux Etats s’engagent à s’accorder mutuellement, l’entraide judiciaire la plus large possible dans toute procédure». Des dispositions similaires se retrouvent dans l’article premier de l’Accord de coopération judiciaire selon lequel la République de Djibouti et l’Éthiopie instituent une coopération et une collaboration régulière d’échanges d’informations et de coopération judiciaire.

124.Le traité d’extradition avec la France en date du 27 septembre 1986 n’incorpore pas, par contre, expressément d’article sur la question. Mais cette volonté d’échange d’informations peut se déduire aisément du contenu du préambule qui se lit comme suit: «les parties contractantes (…) désireux d’assurer une coopération plus efficaces entre leurs États en vue de la répression de la criminalité, de régler d’un commun accord leurs relations en matière d’extradition…». Comme on peut le constater, tous ces instruments ont un point commun entre eux: inscrire dans les dispositions générales préliminaires la préoccupation d’une coopération juridique basée sur un vaste échange d’informations. Des commissions rogatoires existent très souvent entre les États parties qui concernent des crimes et délits de toute nature. Les cas liés spécifiquement à la torture, que ce soit de manière directe ou indirecte, sont cependant quasi absents dans la pratique.

Article 10Enseignement et information sur l’interdiction de la torture

125.De manière générale, les personnes appartenant aux catégories professionnelles visées dans le présent article sont tenues, comme tout citoyen djiboutien, de se conformer aux dispositions constitutionnelles relatives aux droits de la personne humaine, en particulier au regard des articles du titre II (relatif aux droits et devoirs de la personne humaine) de la Constitution du 15 septembre 1992.

Personnel civil

La police nationale

126.La formation qui est dispensée au personnel de la police nationale n’inclut pas, de manière expresse, de dispositions relatives à l’information sur l’interdiction de la torture. Mais en pratique, il est enseigné, voire inculqué, à chaque agent de police l’intérêt de ne pas s’impliquer dans les procédures qu’il mène. Dans les cours de procédure pénale, l’enseignement qui concerne notamment les enquêtes préliminaires, souligne la nécessité de respecter la dignité du citoyen et l’obligation de n’exercer aucune forme de violence ou de sévices corporels sur la personne interrogée. Il apparaît donc clairement que cet enseignement interdit toutes formes de sévices et de torture.

Les fonctionnaires et agents des administrations et des services publics

127.L’article 26 du Code de procédure pénale stipule que les fonctionnaires et agents des services publics, auxquels des lois spéciales confèrent des pouvoirs de constatation et de poursuites, doivent exercer ces pouvoirs dans les conditions et limites fixées par ces textes. À ce titre, les chefs d’arrondissement ou de quartier peuvent informer sans délai la gendarmerie ou les services de police des crimes et délits portés à leur connaissance. Ils peuvent assurer la conservation des indices, traces, armes et instruments susceptibles de disparaître jusqu’à l’arrivée des autorités de police judiciaire et, dans les cas de crime ou de délit flagrants passibles d’une peine d’emprisonnement, ils doivent appréhender l’auteur et le faire conduire à l’autorité judiciaire la plus proche.

Personnel militaire

La gendarmerie

128.Elle est régie par le décret n° 98-0080/PR/DEF du 13 juillet 1998 et le décret n° 2007-0194 du 30 septembre 2007 portant attributions, organisation et fonctionnement de la gendarmerie nationale. Elle fait partie des forces armées nationales et s’intègre dans les dispositifs administratif, judiciaire et militaire du pays. Selon les articles dudit décret, la gendarmerie nationale constitue une force humaine au service de l’État et des populations; en outre, elle a pour charge de veiller à la sûreté publique et d’assurer l’ordre public ainsi que l’application des lois et des règlements. Elle assure une mission de renseignement, participe à la défense opérationnelle du territoire et assure une surveillance continue, tant au niveau préventif que répressif, au profit des divers départements ministériels, en particulier le Ministère de la défense nationale, le Ministère de l’intérieur et le Ministère de la justice.

129.C’est à l’état-major de la gendarmerie nationale que revient la charge de recruter et de former le personnel de la gendarmerie, conformément aux directives du Gouvernement. Elle s’appuie sur plusieurs groupements ou compagnies qui rassemblent, sous leur commandement, les unités de gendarmerie et des structures spécialisées.

130.Il faut constater que l’interdiction de la torture n’existe pas dans les disciplines enseignées à la gendarmerie nationale de Djibouti. Mais depuis peu, certains programmes se mettent en place. Dans le programme de formation des gendarmes, ces derniers sont initiés aux interrogatoires et à la manière d’aborder les personnes détenues, ou les victimes. Les gendarmes apprennent, grâce à ce programme, à ne pas brimer les personnes détenues, ou les victimes, et à ne pas les soumettre à la torture. L’enthousiasme des élèves-gendarmes ainsi que le désir manifeste des instructeurs de voir se répéter de tels expériences et enseignements, voir de les inclure dans le cursus de formation des gendarmes, permettent d’espérer des changements de comportement à l’égard des citoyens.

131.De plus, de manière générale, la gendarmerie nationale a pour mission d’être au service d’un État de droit dans lequel la dignité et le respect de la personne humaine doivent être observés. Cela se traduit d’ailleurs par l’attitude très courtoise des gendarmes. La création récente d’une cellule des droits de l’homme au sein de la gendarmerie illustre la volonté des gendarmes de veiller au respect des droits humains dans leur enceinte. Les principes fondamentaux de la déontologie du gendarme sont visibles dans les unités des gendarmeries et insistent sur la relation au public. Dans l’exécution de sa mission, la gendarmerie nationale a donc un devoir d’assistance à toute personne en danger et doit ainsi veiller à la sécurité individuelle. Il faut également noter que lors des cours préparatoires aux examens d’officier de police judiciaire, les gendarmes sont sensibilisés à l’interdiction de se livrer à la torture.

L’armée

132.Les militaires n’ont aucune compétence, sauf cas exceptionnels, pour effectuer des enquêtes ou punir une personne pour un acte qu’elle est soupçonnée avoir commis. Les militaires ne sont donc pas formés à intervenir dans ces domaines, ce qui suppose qu’ils ne devraient pas infliger intentionnellement de douleurs, souffrances aiguës, physiques ou mentales, dans le but d’obtenir un renseignement ou des aveux, conformément à l’article premier de la Convention.

133.Cependant, dans les premières années qui ont suivi l’indépendance, des militaires (sécurité militaire) ont été investis de missions politiques d’investigation de délits d’opinion ou de crimes supposés contre la sûreté de l’État, et ont fait usage de la force et de la violence.

134.Une nouvelle organisation a été mise en place depuis la promulgation de la Constitution de 1992 et des lois organiques. Les forces armées nationales de Djibouti, qui regroupaient auparavant les fonctions de la police, de la gendarmerie et de l’armée ont ainsi été réorganisées de manière à séparer de nouveau ses fonctions. Le personnel militaire qui relève aujourd’hui du Ministère de la défense nationale est actuellement régi par le décret portant statut militaire. Le Ministère de la défense nationale est garant de la lutte pour un État de droit à Djibouti. Il a pour mission de conduire des réflexions sur la doctrine stratégique de Djibouti, et organiser la coordination des mesures nécessaires à la protection des renseignements, objets, documents ou procédés intéressant la défense au sein des forces armées et des organismes relevant du Ministère de la défense nationale.

135.Même si formellement le programme de formation militaire n’incorpore pas l’enseignement et l’information concernant l’interdiction de la torture, des cours intitulés «Droits de l’Homme, et droit international humanitaire» «libertés publiques», «procédure pénale théorique» et «procédure pénale pratique» sont dispensés aux officiers de police judiciaire en stage. Par ailleurs, ces cours sont depuis quelques années appuyés par des séminaires de formation aux droits de l’homme, en général, et au droit international humanitaire, en particulier, dans le cadre de la vulgarisation et l’application des Conventions de Genève du 12 août 1949 et de leurs Protocoles additionnels.

136.Le but de cet enseignement est de préparer les sous-officiers de l’armée à accomplir efficacement les missions de police judiciaire définies par la loi et à les rendre plus aptes à servir en brigade. Le programme en vigueur dans le cadre des stages de formation, de recyclage et de perfectionnement du personnel de la gendarmerie nationale ne fait qu’appuyer la volonté réelle de l’État djiboutien de respecter les dispositions des instruments internationaux qu’il a ratifiés.

Personnel médical

137.La toute nouvelle faculté de médecine de Djibouti forme les étudiants aux sciences de la santé. Elle relève du Ministère de la santé et non du Ministère de l’éducation nationale. L’enseignement, avant les années de spécialisation, dure comme dans les autres pays sept ans et est organisé comme suit: cours et stages pratiques de la première à la cinquième année, internat la sixième année et soutenance de la thèse d’État en médecine la dernière année. Tout médecin djiboutien, avant de prendre ses fonctions, est soumis au serment d’Hippocrate qui lui impose des attitudes positives vis-à-vis de la personne humaine. Ce serment énonce les principes généraux de la déontologie médicale en matière de droit à la santé. L’esprit de l’enseignement donné vise à protéger l’intégrité physique et mentale de l’homme et à lui faire recouvrer, par les moyens les plus adéquats, sa santé aussi bien physique que mentale. Les programmes d’enseignement sont aménagés par le doyen de la faculté en collaboration avec ses pairs du corps professoral.

138.La torture est étudiée dans le cursus de formation des médecins et figure essentiellement dans les cours de médecine légale prévus en cinquième année. Il est souvent fait appel à des spécialistes pour les assurer. On peut également relever que le personnel médical n’apprend pas l’aspect juridique de la torture; il n’étudie ni les éléments constitutifs de la torture qui la qualifient en infraction réprimée par le droit pénal, ni les peines correspondantes. Le programme de formation est axé sur tout ce qui a trait à la personne humaine: viol, torture, coups et blessures volontaires, mutilations génitales féminines, meurtre, assassinat et toutes autres formes de violence. Il aide le personnel médical à reconnaître aisément les traumatismes causés par de tels actes.

139.Il y a lieu de souligner qu’un cours de psychologie médicale incluant des notions sur la torture est dispensé sur deux ans dès la première année de formation. Cet enseignement vise à déterminer, à partir des lésions constatées sur les victimes, les causes de celles-ci et les moyens utilisés par les auteurs de tels actes. L’étude des lésions permet de constater, ou de déterminer, le sexe de la victime examinée, son âge, et s’il s’agit d’un enfant ou d’un adulte. Il convient en outre noter que depuis la ratification de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ce programme ne semble pas avoir connu de réelles adaptations ou modifications.

Participation des organisations non gouvernementales à l’enseignement et à l’information sur l’interdiction de la torture

140.Il est difficile d’affirmer que les organisations non gouvernementales interviennent dans la formation spécifique sur l’interdiction de la torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elles proposent le plus souvent une formation générale en matière de droits de l’homme et de libertés individuelles. Les organisations non gouvernementales sont, en effet, actives dans la lutte contre la violation des droits de l’homme, sous quelque forme que ce soit. Elles dénoncent leurs violations flagrantes par le biais de programmes d’information, de conférences, de séminaires ou de publications. En ce qui concerne la torture, certaines activités ont été entreprises par des organisations non gouvernementales. On peut, à titre indicatif, citer les organisations figurant ci-après.

La Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH Djibouti)

141.Créée par le décret du 23 avril 2008, cette commission djiboutienne des droits de l’homme participe à toutes les actions en faveur de la promotion ou de la protection des droits de l’homme. Dans le cadre de la promotion des droits de l’homme, elle a organisé de nombreux ateliers et séminaires à Djibouti sur des thèmes variés. Elle a contribué à la rédaction des rapports périodiques et à leur soumission aux organes créés en vertu des traités et au Conseil des droits de l’homme. Elle a effectué plusieurs éditions des brochuresrelatives aux conventions internationales auxquelles Djibouti a adhéré, y compris la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui a été traduite dans les langues nationales. Elle œuvre aussi activement, chaque année, à célébrer la Journée mondiale des droits de l’homme, le 10 décembre.

142.Dans le cadre de la défense des droits de l’homme, la Commission Nationale des Droits de l’Homme lutte contre les diverses violations des droits de l’homme. Elle organise des visites inopinées ou pas à la prison de Djibouti, dans les commissariats et brigades de gendarmerie ou autres maisons de détention ou d’arrêt. Comme moyens d’action, elle adresse des recommandations aux pouvoirs publics, rédige des communiqués de presse, effectue des dénonciations publiques (radio, télévision, journaux) et organise des ateliers, des séminaires et des conférences. Elle prépare un bilan sur l’état des droits de l’homme à Djibouti et a également entamé l’exécution d’un programme de formation en droit de la personne destiné aux forces de sécurité publique, aux surveillants des pénitenciers, aux magistrats, aux avocats et aux autres institutions de la société civile s’occupant des droits de l’homme. La torture est l’une des préoccupations majeures de la Commission Nationale des Droits de l’Homme. Elle participe à cette mission en organisant des conférences et des campagnes d’éducation aux droits de l’homme. Elle demande au Gouvernement de veiller à ce que toutes les allégations de torture fassent l’objet d’une enquête appropriée. La dénonciation des violations des droits de l’homme et les publications sont quelques-unes de ses activités en matière d’information et d’enseignement concernant l’interdiction de la torture en nette régression à Djibouti.

L’Union Nationale des Femmes de Djibouti (UNFD)

143.Cette association assure la promotion et la protection des droits de l’homme et plus particulièrement des droits de la femme. Dans la cadre des séances de sensibilisation au Code de la famille, elle a ouvert des cellules d’écoute qui traitent les problèmes des droits des femmes en détresse aux fins de les orienter, accompagner et conseiller quant à leurs problèmes spécifiques (violences, mutilations génitales, pensions alimentaires, garde des enfants, etc.). L’Union Nationale des Femmes de Djibouti, présidée par la Première Dame de Djibouti, s’est en particulier illustrée dans la campagne active de lutte qu’elle a conduite contre les mutilations génitales féminines. Elle a beaucoup contribué à faire régresser celles-ci en menant une vaste compagne de sensibilisation. Cette association se préoccupe également de la torture infligée aux femmes et aux enfants tant sur le plan physique que mental. Elle a également engagé une lutte contre la maltraitance et les violences infligées aux enfants en collaboration avec le Centre de la mère et de l’enfant et avec l’UNICEF.

Le Croissant-Rouge

144.Le Croissant-Rouge djiboutien fonctionne sur la base des Conventions de Genève du 12 août 1949 et de leurs Protocoles additionnels. Il a pour mission de prévenir et d’atténuer les souffrances, en toute impartialité et sans aucune discrimination, basées notamment sur le sexe, la classe, la religion ou l’option politique de la personne.

145.À cet effet, ses objectifs sont notamment:

D’agir en cas de conflits armés et de se préparer à servir, en temps de paix, d’auxiliaires des services sanitaires publics dans tous les domaines prévus par les Conventions de Genève, et en faveur de toutes les victimes civiles ou militaires;

De contribuer à l’amélioration de la santé, à la prévention des maladies et à l’allégement des souffrances en fonction des nécessités et des conditions nationales et locales;

D’organiser, dans le cadre du plan national en vigueur, les secours d’urgence aux victimes de désastres de toute nature;

De recruter, d’instruire et d’affecter le personnel nécessaire à l’accomplissement des tâches qui lui sont confiées;

De propager les principes humanitaires du Croissant-Rouge en vue de développer au sein de la population, notamment parmi les enfants, les idéaux de paix, de respect et de compréhension mutuelle entre tous les hommes et tous les peuples.

146.En matière de diffusion et d’information, le Croissant-Rouge djiboutien s’efforce d’entamer, avec le soutien de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge du bureau de Djibouti, la promotion et la vulgarisation du droit international humanitaire dans les écoles, les lycées et les collèges, à l’université, dans les garnisons et dans les écoles de police et de gendarmerie.

147.Par ailleurs, le Ministère de la promotion de la femme ainsi que l’Union Nationale des Femmes de Djibouti luttent contre les pratiques traditionnelles néfastes et sensibilisent régulièrement à celles-ci, en particulier pour ce qui est des mutilations génitales féminines des jeunes filles. En effet, l’article 333 du Code pénal réprime sévèrement les mutilations génitales féminines. Toutefois, l’application de cet article gagnerait en efficacité si on parvenait à élargir son champ d’action et sa procédure en promulguant une loi plus détaillée et qui tienne compte de tous les aspects et de toutes les difficultés rencontrées dans ce sens. L’article 7 du Code de procédure pénale qui permet aux associations d’exercer les droits reconnus à la partie civile est un progrès qui doit être amélioré. Toutefois, il n’existe pas de formation axée spécifiquement sur les groupes ethniques et religieux ou les mineurs et les femmes dans le module de formation à l’interdiction en général de l’emploi de la torture qui est utilisé.

Article 11Mesures de contrôle des interrogatoires, détentions et emprisonnements tendant à éviter les actes de torture

Mécanismes de surveillance des personnes détenues

148.La garde à vue est strictement réglementée par le Code de procédure pénale et ne peut durer, en règle générale, plus de 48 heures. Ce délai peut être prolongé de 24 heures sur autorisation du Procureur de la République, s’il l’estime indispensable à la bonne fin de l’enquête. Le délai de quarante-huit heures est augmenté de vingt-quatre heures lorsque l’arrestation n’a pas eu lieu au siège du magistrat.

149.Cette mesure policière privative de liberté peut être prise par des fonctionnaires et des militaires investis par la loi de la qualité d’officiers de police judiciaire. Pour les besoins de l’enquête, toute personne présente sur les lieux d’une infraction susceptible de fournir des renseignements sur les faits peut être gardée à vue 24 heures si l’enquête se déroule dans la localité où elle réside, et 48 h dans tous les autres cas. Peut également être gardée à vue toute personne contre laquelle l’enquête rassemble des indices ou des preuves qui laissent apparaître sa culpabilité. Aux termes de l’article 65 du Code de procédure pénale, il est stipulé que tout officier de police judiciaire doit mentionner sur le procès-verbal d’audition de toute personne gardée à vue le jour et l’heure à partir desquels elle a été gardée à vue, ainsi que le jour et l’heure à partir desquels elle a été soit libérée soit amenée devant le magistrat compétent.

150.La République de Djibouti a adhéré à la quasi-totalité des conventions consacrant les droits de l’homme ainsi qu’à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux garanties qui en découlent, telles que le droit d’être jugé équitablement et d’avoir une défense, et le droit à un traitement digne et conforme aux prescriptions internationales en matière des droits de l’homme.

151.Ces droits sont préservés par le Conseil Constitutionnel, que tout citoyen peut saisiret qui doit rendre sa décision en matière des droits fondamentaux de la personne dans un délai très court. Au-delà de cette institution dont les décisions sont sans recours, le Procureur général et le Procureur de la République, conformément aux dispositions du Code de procédure pénale, exercent une surveillance et un contrôle directs sur l’action de la police et de la gendarmerie, notamment en matière de garde à vue. Ces dernières ne peuvent, dans le cadre de leurs enquêtes, arrêter une personne pendant plus de 48 heures sans recevoir l’aval des magistrats, lesquels ont le devoir de mettre fin immédiatement à toute arrestation arbitraire.

152.De plus, lorsque la personne retenue par la police au cours de son enquête paraît être coupable des faits poursuivis, quelle que soit la gravité de son acte elle ne peut faire l’objet de torture ou de sévices. Si tel est néanmoins le cas, elle a la possibilité de déposer plainte contre ses tortionnaires, et ceux-ci subiront les rigueurs de la loi. C’est le cas de certains policiers ou gendarmes dont nous n’avons pas pu trouver l’identité pas plus que nous n’avons pu retrouver la date et le lieu des faits en dépit de la réalité des cas relatés.

153.En tout état de cause, la détention de la personne poursuivie ne peut se faire que sur la base de charges sérieuses et d’un titre délivré par une autorité judiciaire compétente, qu’il s’agisse d’un juge d’instruction ou d’un Procureur de la République en cas de flagrance. Cette détention doit s’opérer dans des conditions humainement acceptables. L’État a le devoir de lui assurer la sécurité en veillant à préserver sa santé et à garantir sa subsistance.

154.Des informations recueillies et des constats qui ont été faits il ressort que les détenus et tous les observateurs assimilent les conditions de vie dans les maisons d’arrêt à une forme de torture et d’avilissement de la personne humaine. En effet, la plupart des détenus se plaignent de sous-alimentation, de mauvaise alimentation ou de l’insuffisance des rations. De même, quand ils tombent malades, des soins leurs sont prodigués dans les centres de santé ou dans les hôpitaux, mais il leur est pratiquement impossible d’obtenir les médicaments prescrits. Ils doivent souvent recourir aux organisations non gouvernementales, à la Croix-Rouge, au Croissant-Rouge ou à la bonne volonté des responsables des maisons d’arrêt pour se procurer des produits pharmaceutiques.

155.Il faut également noter que la prison de Gabode est surpeuplée comme l’indique les tableaux ci-après:

Tableau 1

Infractions principales commises

Nombres

Homicide involontaire

9

Abus de confiance

27

Vol

221

Menace

95

V. volontaire

166

Détention de produit stupéfiant

18

Trafic d’êtres humains

35

R E J

27

Vente d’alcool

10

Contrebande de khat

51

Port illégal d’arme

1

Défaut de permis

6

Extorsion

36

Dégradation

37

Volontairement donné à la mort

1

Agression sexuelle

8

Viol

24

Atteinte à la sûreté de l’État

10

Escroquerie

8

Détention de faux billets

2

Recel

24

D A S

14

Tableau 2 (Année 2009)

Janvier

Février

Mars

Avril

Mai

Juin

Total

Condamnés

2

5

0

5

10

1

23

Non condamnés

7

24

21

4

33

1

90

Total

9

29

21

9

43

2

113

156.À la date du 1er juillet 2009, près de 600 personnes formaient la population carcérale de Gabode (Djibouti), dont 54 % étaient des prévenus et 46% des personnes condamnées. Les femmes représentent 4,6 % des effectifs de la prison civile de Gabode, et les mineurs du centre d’éducation surveillée 2,9 %. En effet, la population carcérale n’a pas cessé de croître durant le dernier semestre de l’année 2009, passant de 450 à 690 personnes incarcérées, avant d’amorcer une décrue. Cette déflation s’explique par la mesure de clémence présidentielle intervenue avec le décret du 6 octobre 2009 portant grâce de 131 personnes, essentiellement des jeunes internés pour trouble à l’ordre public.

157.Des efforts ont été entrepris par le Gouvernement pour améliorer les conditions de vie des détenus. Plusieurs locaux de la prison de Gabode ont été réhabilités et des nouveaux bâtiments ont été construits dans le souci d’alléger la vie des incarcérés. Cependant, la criminalité persistante maintient pratiquement au même niveau le taux de la population carcérale. De plus, la plupart des prisonniers récidivent, ce qui ne permet pas de constater l’impact des efforts déployés avec le supplément de détenus revenant toujours au même niveau du jour au lendemain. De même, un effort constant est déployé pour assainir la prison civile de Gabode tant au niveau sanitaire, que sur le plan de l’hygiène de vie et de la sécurité des locaux.

158.Ainsi, le Ministère de la justice a mis en place un corps nouveau de surveillants pénitenciers constitué d’agents recrutés sur concours et formés aussi bien au maniement des armes qu’aux concepts et valeurs des droits de l’homme et de la procédure pénale. Ce corps exclusivement placé sous la tutelle des autorités judiciaires en lieu et place de la police nationale est subdivisé en deux directions, celle des opérations (sécurité et garde) et celle chargée de l’administration. Désormais, ce n’est plus la police chargée de l’enquête en amont qui garde les détenus en aval, ôtant ainsi toute suspicion légitime de la part des détenus à l’égard d’une police plus prompte à obéir à sa hiérarchie qu’à l’autorité judiciaire.

159.Aussi, compte tenu des plaintes des détenus en ce qui concerne leur alimentation, le Ministère de la justice s’est attelé à contrôler la gestion des vivres, en faisant contrôler la distribution des vivres dont le ratio a été augmenté, ainsi que celle du savon pour la toilette et l’entretien des vêtements, et ce avec le concours d’organisations non gouvernementales qui interviennent dans la prison par des dons de toute nature: vivres, produits pharmaceutiques et autres. On peut citer en particulier le Comité international de la Croix-Rouge et l’UNICEF, sans oublier les personnes morales et physiques qui s’investissent dans des activités à caractère non lucratif.

160.Les infractions au règlement de l’administration pénitentiaire peuvent être punies au plus d’un mois de privation du droit de visite, de toute correspondance, de réception devivres de l’extérieur. Elles peuvent être punies aussi d’une peine de cellule entraînant automatiquement les peines susmentionnées. Les autorités qui ont compétence pour infliger des peines aux prisonniers sont le régisseur ou le directeur de la prison.

161.Lorsque la personne détenue a des plaintes à faire valoir, elle s’adresse au Procureur général, au Procureur de la République, au juge d’instruction ou au président de la chambre d’accusation, selon les cas, ou à la direction de l’administration pénitentiaire du Ministère de la justice. La loi n° 100 portant organisation, attributions et fonctionnement du Ministère de la justice fixe la mission de l’administration pénitentiaire comme suit: celle-ci est responsable de la réglementation, de l’organisation et du contrôle de l’application des peines et assure la gestion du personnel et des équipements affectés à ces tâches.

162.À ce titre et en matière de gestion des personnes incarcérées, elle est chargée:

D’assurer des bonnes conditions de vie à toute personne emprisonnée;

De suivre les prisonniers durant l’exécution de leur peine;

De régler les problèmes se rapportant à leur demande de grâce, de libération conditionnelle, de réhabilitation et d’amnistie, en collaboration avec les services concernés;

De contrôler la population carcérale;

D’appliquer et d’améliorer la législation pénitentiaire;

De centraliser et d’exploiter les rapports périodiques des commissions de surveillance des prisons;

De participer à la mise en œuvre et au contrôle des mesures alternatives à l’incarcération;

De préparer le retour des détenus à la liberté et de favoriser leur réinsertion sociale et professionnelle.

163. À cet effet, les autorités rendent visite aux détenus pour les écouter et apprécier leur situation afin d’y trouver une solution appropriée, ou convoquent les intéressés dans leur cabinet. Selon les cas, la demande est transmise à la juridiction compétente pour saisine, attribution et mesures à prendre.

164.Dans le même ordre d’idées, le décret portant attributions, organisation et fonctionnement du Ministère de l’intérieur chargé de la décentralisation attribue comme mission à ce dernier, entre autres, d’assurer l’ordre public, notamment la sécurité intérieure et extérieure de l’État et de prendre toutes les mesures tendant à assurer la prévention, la recherche et la répression de tous les faits susceptibles de troubler l’ordre public. Ainsi donc, il peut prendre tout acte de nature à réglementer, au plan civil, la vie des citoyens, la circulation des personnes et des biens, conformément aux lois et règlements du territoire national, et la protection des personnes et des biens.

165.Pour y parvenir, le Ministère possède des directions spécialisées, ainsi:

La Direction des affaires intérieures, qui est chargée des affaires à caractère national touchant à la vie des personnes, reçoit les plaintes de celles-ci par l’intermédiaire du Ministère, les convoque, les écoute et essaie de parvenir à un règlement amiable;

L’Inspection générale des forces de sécurité, qui est placée sous l’autorité directe du Ministre, est chargée d’assurer le contrôle et le suivi des activités des forces de sécurité, d’exercer un contrôle sur les agents des forces de sécurité dans l’accomplissement de leur mission de police relevant du Ministère de l’intérieur, d’une part, et de centraliser et redistribuer l’information pour une plus grande efficacité des actions entreprises ou à entreprendre dans le cadre de la lutte contre la criminalité, du maintien de l’ordre public et de la sécurité des personnes et des biens, d’autre part;

La Direction générale de la police nationale dont la mission est de faire assurer, par les services de la police, le respect de l’ordre public et de veiller à la protection des institutions de l’État, au respect des libertés publiques et à la protection des personnes et des biens.

166.Par ailleurs, lorsqu’un étranger est incarcéré, la règle est que l’autorité consulaire concernée en soit avertie. En règle générale, le règlement de l’établissement pénitentiaire suit pour l’essentiel l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus adopté par l’Organisation des Nations Unies, y compris les principes d’éthique médicale applicables pour ce qui est du rôle du personnel de santé dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture ainsi que le code de déontologie pour les responsables de l’application des lois.

Article 12Enquête sur la commission d’un acte de torture

167.À Djibouti, conformément à l’article 12 de la Convention, les autorités compétentessouvent saisies par les victimes sont les suivantes:

Le Ministère de l’intérieur et de la décentralisation composé, entres autres, d’une direction des affaires intérieures chargée des problèmes ayant trait à la vie des populations et d’une direction de la police nationale;

Le Ministère de la défense nationale, autorité de tutelle de la gendarmerie nationale;

Le Ministère de la justice chargé des droits de l’homme, ainsi que les cours et les tribunaux.

168.Une fois saisies, ces institutions procèdent à des enquêtes en vue de définir les responsabilités dans les cas de tortures et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

169.L’autorité administrative invite les intéressés à comparaître pour un règlement amiable de l’affaire, ou pour mieux cerner les données du problème posé en vue de son orientation vers le ministère compétent pour parvenir à un règlement définitif au niveau des juridictions. Dans cet objectif, le dossier peut être directement transmis pour enquête préliminaire, soit par la voie hiérarchique au commissariat de police, soit à la brigade de gendarmerie de la localité, qui décidera de l’autorité compétente et de son attribution.

170.L’autre possibilité offerte à la victime est de saisir le Procureur général ou le juge d’instruction. Le Procureur général saisi d’une telle requête doit la communiquer immédiatement au Procureur de la République compétent. À charge pour celui-ci d’organiser l’enquête suivant la qualité de l’autorité. Celle-ci peut être un militaire, un agent de police, ou un gendarme, officier ou non de la police judiciaire.

171.Dès réception d’une plainte provenant d’une victime, le parquet ordonne une enquête et diligente les mesures voulues en renvoyant l’affaire à un juge d’instruction qui examinera la teneur de la plainte portée contre le responsable, s’il est identifié, ou de la plainte contre X . Le parquet peut aussi engager une action contre l’auteur de l’infraction et renvoyer l’affaire devant une juridiction de jugement. Le Code de procédure pénale confère à la partie lésée le droit de déposer plainte ainsi que d’engager une action civile en réparation directement auprès du juge d’instruction ou directement auprès du tribunal. C’est là une garantie supplémentaire offerte par le législateur à toutes les victimes en permettant à celles-ci d’engager une action civile sans dépendre d’une décision des autorités de poursuites. En effet, l’auteur présumé est relevé de ses fonctions durant le déroulement de l’enquête et/ou se voit interdire tout contact avec la victime présumée. L’examen médical et l’expertise médicolégale sont régulièrement ordonnés, selon les cas, pour éclairer le tribunal.

172.De plus, les tribunaux ont connu de nombreuses affaires mettant en cause des agents de l’État accusés de s’être livrés à des actes de violence à l’égard des personnes ou à des arrestations arbitraires. Les agents mis en cause ont été soit condamnés pénalement avec versement de dommages-intérêts aux victimes à titre de réparation, soit sanctionnés disciplinairement avec suspension de leurs fonctions par décision de l’autorité hiérarchique et retrait systématique de l’habilitation par le Procureur général.

173.En ce qui concerne les allégations figurant dans les rapports établis à l’issue d’enquêtes ou dans des rapports émanant d’organisations internationales, les juridictions djiboutiennes, notamment le parquet général, rend toujours publics les conclusions du juge d’instruction ou le jugement rendu afin de clarifier les faits à l’origine des griefs.

174.Les articles 65-1 à 65-4 du Code de procédure pénale garantissent le droit de toute personne placée en garde à vue d’être examinée à sa demande par un médecin (art. 65.-2), et aussi de bénéficier de la présence d’un avocat choisi ou commis d’office par le bâtonnier. Ainsi qu’il a été indiqué ci-haut, les personnes arrêtées bénéficient du contact avec leur famille qu’ils peuvent avertir par un téléphone mis à leur disposition.

Article 13Droit de la victime de porter plainte devant les autorités compétentes

175.Aucune disposition législative djiboutienne ne permet de discrimination procédurale entre les victimes d’une infraction pénale, quelle qu’elle soit. Toute personne, quelle que soit sa nationalité, a le droit de porter plainte devant les autorités compétentes. Ces dernières ont le devoir de procéder à l’ouverture immédiate d’une enquête.

176.Les autorités garantissent à toute victime que les règles, méthodes et pratiques d’interrogatoire, comme le prévoit l’article 11 de la Convention, sont respectées en complément de l’enquête impartiale dont la victime bénéficie immédiatement et selon les modalités exposées à l’article 12. Le même contrôle est exercé par les autorités citées dans le commentaire sur l’article 11, afin de prévenir tout mauvais traitement ou toute intimidation suite au dépôt de la plainte.

177.Il n’existe aucune disposition spéciale fixant au Procureur de la République des critères pour examiner les allégations de torture. En effet, comme pour toute affaire pénale, la procédure est la même. Le Procureur de la République a le droit, conformément à l’article 30 du Code de procédure pénale, de requérir directement la force publique dans l’exercice de ses fonctions. Cette prérogative lui permet d’assurer, le cas échéant, la protection des plaignants et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation du fait de la plainte déposée ou de la déposition faite.

178.L’article 37 du Code de procédure pénale prévoit que le Procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et juge de la suite à leur donner. Il procède ou fait procéder, conformément à l’article 38 du Code de procédure pénale, à tous les actes nécessaires à la poursuite et à la recherche des infractions et dirige à cette fin l’activité du ministère public et de tous les officiers et agents de la police judiciaire. Il peut procéder à des confrontations ou à des examens techniques ou scientifiques (art. 63 et 114 du Code de procédure pénale).

179.Tout plaignant est avisé par le Procureur de la République de la date d’audience. Devant le juge d’instruction, toute personne qui prétend être lésée par un crime ou un délit peut, en portant plainte, se constituer partie civile (art. 78 du Code de procédure pénale). La plainte est communiquée au Procureur de la République pour qu’il prenne des mesures contre la personne dénoncée ou non déterminée. Le témoin bénéficie des mêmes garanties de procédure que le plaignant.

180.Sur le plan constitutionnel, toute autorité compétente saisie est tenue, conformément au préambule de la Constitution, de respecter les droits et devoirs tels qu’ils sont définis dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui font partie intégrante de la Constitution de 1992. Ladite Charte, à l’alinéa 1 de l’article 7, dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend notamment le droit de saisir les juridictions nationales compétentes pour tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les lois, les règlements et les coutumes en vigueur, le droit à la présomption d’innocence et le droit d’être jugée dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale. Toutefois, et pour éviter d’être récusé, tout juge peut se déporter en refusant de connaître d’une affaire pour cause d’empêchement personnel: lien de parenté, maladie, congés, etc. Un autre magistrat est alors immédiatement désigné pour le remplacer par le chef de la juridiction. Dans tout autre cas, il se rend coupable d’un déni de justice réprimé par le Code pénal. Il convient en outre de relever qu’il n’existe pas à Djibouti de mécanisme formel de protection des plaignants et des témoins, si ce n’est a posteriori sur demande des intéressés et après examen de la situation. Si les autorités compétentes refusent d’enquêter sur le cas dénoncé par un plaignant, celui-ci peut alors engager une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction. Auquel cas, la plainte est traitée de droit.

Article 14Droit de la victime à réparation

181.Le dispositif législatif et règlementaire djiboutien prévoit le droit à réparation et à une indemnisation équitable de toute victime d’un acte de torture. Comme il a été constaté dans les commentaires sur les articles précédents, toute victime d’un acte de torture peut fonder son action sur les dispositions des articles 6 à 11 du Code de procédure pénale relatifs aux conditions d’exercice de l’action civile qui peut être engagée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction ou séparément.

182.Il en résulte que lorsque les mauvais traitements sont établis, la victime d’un acte de torture, ou ses ayants droit en cas de décès, a droit à une réparation proportionnelle au préjudice subi. Il revient au Procureur de la République, ou à tout autre magistrat ou fonctionnaire auquel l’action publique est confiée, de la mettre en mouvement. C’est le cas du juge d’instruction devant lequel toute personne se prétendant lésée du fait d’un crime ou d’un délit peut, en portant plainte, se constituer partie civile (art. 78 du Code de procédure pénale). Dans ce dernier cas, si elle n’a pas obtenu l’assistance judiciaire, la partie civile qui met en mouvement l’action publique doit, sous peine de non-recevabilité de sa plainte, consigner au greffe la somme nécessaire pour les frais de procédure. Le montant de cette somme est fixé par ordonnance du juge d’instruction. Par principe, cette caution est insignifiante afin d’être à la portée du justiciable.

183.La partie civile a faculté de saisir directement le juge civil. Dans ce cas, l’indemnité due par le responsable des faits de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants doit réparer non seulement l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, mais aussi, le cas échéant, tout préjudice moral ou d’agrément. C’est ce que stipule l’article 1382 du Code civil qui, par la généralité de ses termes, s’applique aussi bien au dommage moral qu’au dommage matériel (voir le commentaire sur l’article 5).

184.L’action civile appartient donc à toute personne ayant souffert du dommage causé directement par l’infraction, ce qui lui garantit le droit à une indemnisation équitable et à une réparation adéquate. Ces mesures législatives et juridiques sont applicables aussi bien à un citoyen djiboutien qu’à un étranger. En effet, selon les dispositions de l’article 18 de la Constitution, les étrangers bénéficient, sur le territoire de la République, des mêmes droits et libertés que les citoyens djiboutiens, dès lors qu’ils se conforment à la Constitution, aux lois et aux règlements en vigueur dans la République.

185.En matière pénale, les condamnations en dommages et intérêts peuvent être exécutées par voie de contrainte par corps dont la durée est fixée par la juridiction de jugement. Pour les procédures civiles, les décisions peuvent être exécutées par voie de saisie.

Procédure à suivre pour une réadaptation et une indemnisation

186.Pour évaluer les droits de la victime, le juge saisi peut recourir à une expertise médicale et psychiatrique aux fins de faire procéder à un examen général de l’état de santé de la victime et de son état mental ou physique. L’expert commis à cette fin devra dresser un rapport dans les délais qui lui auront été fixés par la décision de justice (art. 165 du Code de procédure pénale). Il peut aussi comparaître à l’audience pour donner un rapport supplémentaire oral visant à éclairer la décision du tribunal.

187.Comme signifié plus haut, la victime d’actes de torture peut demander réparation en déposant plainte auprès des autorités administratives: Président de la République, Ministre de l’intérieur, Ministre de la justice, préfets, sous-préfets, mairies, délégués ou chefs de quartier et autres. Ces autorités peuvent procéder à un règlement à l’amiable ou transmettre la plainte, suivant le cas, aux autorités judiciaires compétentes.

Réparations offertes aux personnes victimes de torture

188.Une étude des divers rapports établis dans le passé par plusieurs organisations internationales de défense des droits de l’homme (Amnesty International, FIDH), en l’absence d’un quelconque rapport national à ce sujet permettant de recenser les victimes de torture et de sévices corporels, a permis de procéder à une classification des dommages ou préjudices subis, des motifs d’arrestation, des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de répertorier les différentes séquelles. En analysant les déclarations des victimes, il ressort qu’elles ont été détenues dans des conditions très difficiles, voire invivables pour l’être humain. Chaque lieu de détention était particulier mais possédait en général des cellules très exiguës et crasseuses où régnaient chaleur, humidité et obscurité.

189.Dans ces centres, les conditions, d’après les déclarations, étaient extrêmement rudes. Les visites n’y étaient pas autorisées. La chaleur et le froid y étaient extrêmes selon la saison. Pour un rien, les détenus étaient enfermés sans interruption pendant 24 heures.

190.Partout les détenus étaient enfermés dans des cellules d’à peine 10 m2 qui accueillaient parfois plusieurs personnes. Dans l’ensemble, les détenus étaient assujettis à des formes diverses de torture et de mauvais traitements, telles que «la balançoire, décharges électriques sur le corps, bastonnades, des interrogatoires trop longs (plusieurs heures d’affilée), organisés à des heures indues… etc».

191.Il résulte de cette étude et des observations que de nombreuses victimes portent encore à ce jour les séquelles des tortures qui leur ont été infligées pendant les périodes de tensions politiques exacerbées et de guerres civiles, entre 1977 et 1993, c’est-à-dire avant la signature de l’Accord de paix de 1994 et la ratification par Djibouti de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

192.Certaines victimes souffrent encore d’une infirmité des membres, de surdité, d’une baisse de l’acuité visuelle, d’une perte de virilité due au traumatisme des organes génitaux, de troubles psychologiques et de troubles du sommeil, de traces de blessures sur le corps, d’ulcères, de troubles nerveux, de perte de mémoire, de douleurs permanentes au dos, à l’épaule, etc.

193.Pour toutes ces séquelles qui ont été alléguées par les victimes, nous n’avons pas pu trouver de trace ou de déclaration d’une quelconque indemnisation ou réparation des préjudices subis par les victimes. Face aux doléances variées des victimes de l’époque qui vont de la restitution des salaires confisqués aux agents de l’État, à la prise en charge par l’État des soins aux victimes qui gardent encore des séquelles des tortures subies en passant par l’indemnisation des victimes pour cause de préjudices corporels, matériels et moraux sans oublier la proposition d’un texte de loi approprié sur la torture, conforme à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et rendant imprescriptible les faits de torture parce que relevant des crimes contre l’humanité, aucune solution ni début de réponse n’ont à ce jour été formulés.

194.Face à ces propositions, aucun programme d’indemnisation, de réadaptation médicale ou psychologique ou de poursuites des tortionnaires présumés n’a à ce jour, à notre connaissance, été mis en place de manière formelle pour les personnes victimes de torture à Djibouti.

195.Par ailleurs, certains fonctionnaires de l’État ont pu être réintégrés dans la fonction publique, ce qui leur a permis de reprendre leur carrière et de bénéficier des droits qu’ils auraient pu acquérir s’ils étaient restés en fonction. Ceci sans préjudice de toute action en justice pour des actes de torture.

196.Il faut noter que les organisations non gouvernementales ont lutté pour l’adoption de toutes ces mesures. L’Association djiboutienne des Droits de l’Homme et des libertés (ADDHL) s’est faite particulièrement remarquer pour sa vigilance dans cette action.

197.Elle s’est illustrée par une plate-forme revendicative des personnes torturées qui exigeait de l’État une indemnisation équitable des victimes ainsi que le jugement des tortionnaires et de leurs complices. La cour de Djibouti a prononcé quelques rares décisions d’indemnisation des victimes de torture, suite aux poursuites pénales engagées contre les auteurs de torture. On peut citer, à titre d’exemple, le cas d’un policier qui a aspergé avec une grenade lacrymogène les yeux d’un détenu qui en a perdu la vue. Le policier a été condamné au pénal à purger une peine de 5 ans de réclusion et à payer à la victime 3 000 000 francs de Djibouti, toutes causes de préjudices confondues. Aucun programme de réadaptation des personnes victimes de torture n’existe à Djibouti, et encore moins de mesure formellevisant à empêcher que de tels actes se reproduisent, si ce n’est la formation des agents de la police et de la gendarmerie ainsi que des surveillants dans les pénitenciers aux droits de l’homme ainsi qu’aux dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale.

Article 15Valeur des déclarations obtenues sous l’effet de la torture

198.À Djibouti, toute personne victime de torture est protégée devant la juridiction qui a été saisie aux fins de la juger pour l’infraction qu’elle aurait commise. En effet, la loi permet de n’accorder qu’une valeur de renseignement à tout procès-verbal ou rapport constatant un délit.

199.D’après les articles 264 et 265 du Code de procédure pénale, le juge décide selonson intime conviction et ne peut fonder sa décision que sur des preuves versées aux débats et apportées devant lui. La juridiction correctionnelle saisie peut prononcer l’annulation des actes qu’elle estime entachés de nullité et décider si cette annulation doit s’étendre à l’ensemble ou à une partie de la procédure ultérieure (art. 181 du Code de procédure pénale). Les règles générales régissant les nullités de l’information protègent également la victime contre l’usage dans la procédure d’une déclaration obtenue par la torture (les articles 179 à 180 du même Code stipulent de ne puiser dans les actes annulés aucun renseignement contre les parties aux débats).

200.Par ailleurs, l’étude des conditions qui sont essentielles pour assurer la validité d’un contrat nous permet de dire qu’il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par la violence ou surpris par dol (art. 1109 du Code civil). Les articles 1111 à 1113 du Code civil sont consacrés à la violence. Ils stipulent respectivement que:

1)La violence exercée contre celui qui contracte une obligation est une cause de nullité encore qu’elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la Convention a été faite;

2)Il y a violence lorsqu’elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu’elle peut lui inspirer la crainte raisonnable, et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent ou, eu égard, en cette matière, à l’âge, au sexe et à la condition des personnes;

3)La violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été de manière indirecte sur son époux ou son épouse, sur ses descendants ou ascendants.

201.Les autorités judiciaires chargées de connaître des faits de torture et assimilés ne peuvent, selon les dispositions législatives en vigueur, retenir comme éléments de preuveune déclaration obtenue par la violence ou la torture. De telles déclarations constituent, au regard du droit djiboutien, des preuves inadmissibles. Les juridictions djiboutiennes ont à plusieurs reprises prononcé la nullité des procédures et des preuves obtenues sous la torture ayant laissée des traces visibles ou avérées.

Article 16Interdiction d’autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

202.La Constitution djiboutienne, dans ses articles 10 et 16, prend en compte tous les aspects évoqués dans l’article 16 de la Convention. En effet, aux termes de ces dispositions, nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et tout agent de l’État qui se rendrait coupable de tels actes dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi. L’article 10 garantit sur le plan constitutionnel, la vie, la liberté, la sécurité et l’intégrité de la personne humaine.

203.Par ailleurs, le dispositif législatif et réglementaire en vigueur à Djibouti protège tout citoyen contre tout acte constitutif de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et plus spécialement lorsque ces actes sont commis par les agents de la fonction publique ou par toute personne agissant à titre officiel, soit sur instruction, soit avec son consentement exprès ou tacite. Ainsi l’article 381 du Code pénal punit de 20 ans de réclusion criminelle quiconque qui, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, arrête, détient ou séquestre une personne.

204.La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui fait partie intégrante de la Constitution, précise en son article 5 que «tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine (…) toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdites». La protection due et assurée à toute personne victime de torture s’étend donc aux personnes victimes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. À cet effet, les règles énoncées dans les commentaires sur les articles 11 à 15 s’appliquent intégralement, sans aucune discrimination en l’espèce.

IV.Conclusion

205.La rédaction du présent rapport nous a permis de mettre en évidence les lacunes de la législation djiboutienne en matière de répression de la torture.

206.En effet, outre le fait qu’elle n’est même pas définie, la torture n’est pas encore érigée en infraction pénale au regard de la loi pénale djiboutienne. Elle constitue seulement une circonstance aggravante des infractions d’homicide et des lésions corporelles volontaires. Il faut, à cette fin, une loi nationale définissant comme telle l’infraction de torture et qui mette en application la Convention ratifiée par Djibouti.

207.Ainsi, les principaux défis que pose pour Djibouti l’application des dispositions des articles 1 à 16 de ladite Convention sont liés à l’absence d’une loi spécifique qui réprime la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

208.En plus de la révision et de la mise à jour du Code pénal et du Code de procédure pénale, il faudra élargir cette loi à la loi sur le régime pénitentiaire, à la loi réprimant le crime de génocide ainsi qu’aux textes réglementaires y relatifs.

209.Il en est de même pour les autres dispositions contenues dans les articles 1 à 16 de ladite Convention, à savoir les mécanismes de recours qui sont lacunaires en ce qui concerne les piliers juridiques de répression du crime de torture et de réparation du tort. En guise d’illustration, on relèvera les lacunes suivantes dans la législation djiboutienne:

a)Aucune mesure n’est prévue pour protéger le plaignant et les témoins;

b)Les procédures à suivre pour bénéficier d’une réadaptation et d’une indemnisation ne sont ni claires ni précises, et les programmes de réadaptation(réadaptation physique, morale et financière, etc.) des personnes victimes de torture le sont encore moins.

210.Concernant la loi sur l’extradition, nous avons constaté l’insuffisance des conventions d’extradition que Djibouti a signées avec les autres pays. Djibouti pourra dans l’intervalle recourir à Interpol.

211.En conclusion, même si la République de Djibouti, par le truchement de la ratification de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants reconnaît de facto les dispositions relatives à la répression de la torture qui sont contenues dans ladite Convention, elle devra les intégrer dans sa législation nationale, et cela essentiellement par les trois voies suivantes:

1)La définition de la torture et son élévation en infraction pénale;

2)La révision et la mise à jour du Code pénal, du Code de procédure pénale et des autres textes réglementaires y relatifs;

3)La réparation du tort et l’indemnisation adéquates des personnes victimes de torture.

212.Et enfin, il importe que les personnes victimes de torture puissent porter plainte malgré les lacunes de la loi, et que le ministère public soit plus vigilant dans la répression du crime de torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.