Nations Unies

CAT/C/PRY/CO/4-6

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

14 décembre 2011

Français

Original: espagnol

Comité contre la torture

Quarante-septième session

31 octobre-25 novembre 2011

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Paraguay

1.Le Comité contre la torture a examiné les quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques du Paraguay, soumis en un seul document (CAT/C/PRY/4-6), à ses 1026e et 1029e séances (CAT/C/SR.1026 et CAT/C/SR.1029), les 3 et 4 novembre 2011, et a adopté à sa 1048e séance (CAT/C/SR.1048), tenue le 21 novembre 2011, les conclusions et recommandations ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le document valant quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques du Paraguay soumis en réponse à la liste des points à traiter (CAT/C/PRY/Q/4-6). Il remercie l’État partie d’avoir accepté de présenter son rapport en suivant cette nouvelle procédure qui facilite la coopération entre l’État partie et le Comité et sert de fondement tant à l’examen du rapport qu’au dialogue avec la délégation.

3.Le Comité se félicite également du dialogue franc et ouvert qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, à laquelle il exprime ses remerciements pour les informations complémentaires qu’elle a fournies pendant l’examen du rapport, bien qu’il regrette que certaines des questions posées à l’État partie soient restées sans réponse.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que, depuis l’examen du troisième rapport périodique de l’État partie, celui-ci a ratifié les instruments internationaux ci-après ou y a adhéré:

a)Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (14 mai 2001);

b)Statut de Rome de la Cour pénale internationale (14 mai 2001);

c)Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (3 octobre 2001);

d)Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant, respectivement, l’implication d’enfants dans les conflits armés (27 septembre 2002) et la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (18 août 2003);

e)Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort (18 août 2003); à ce sujet, le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a aboli la peine de mort, et lui recommande de la supprimer expressément dans le contexte de la justice militaire;

f)Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (18 août 2003);

g)Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (22 septembre 2004);

h)Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (2 décembre 2005);

i)Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif se rapportant à la Convention (3 septembre 2008);

j)Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (23 septembre 2008);

k)Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (3 août 2010).

5.Le Comité note avec satisfaction que le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’est rendu dans l’État partie en mars 2009 et en septembre 2010 (visite de suivi) et que l’État partie a autorisé la publication des rapports du Sous-Comité et envoyé ses réponses écrites à propos de ces rapports.

6.Le Comité félicite l’État partie pour avoir, dans sa déclaration du 29 mai 2002, reconnu la compétence du Comité pour recevoir des communications en vertu des articles 21 et 22 de la Convention contre la torture.

7.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie maintient depuis 2003 son invitation permanente à tous les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Depuis l’examen du rapport périodique précédent de l’État partie, le Paraguay a reçu la visite de quatre rapporteurs du Conseil, dont le Rapporteur spécial sur la question de la torture.

8.Le Comité prend note des efforts entrepris par l’État partie pour modifier sa législation afin de mettre en œuvre les recommandations du Comité et d’améliorer l’application des instruments, et notamment:

a)L’adoption, le 20 avril 2011, de la loi no 4288 portant création du Mécanisme national de prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b)L’adoption, le 12 octobre 2011, de la loi organique no 4423 relative au Ministère de la défense publique, qui confère une autonomie fonctionnelle et financière à cette institution;

c)L’adoption, le 11 août 2011, de la loi no 4381 qui déclare imprescriptible le droit des victimes des violations des droits de l’homme commises sous la dictature de 1954 à 1989 de demander une indemnisation; et l’adoption de la loi no 3603 de 2008 qui habilite les enfants des victimes à réclamer cette indemnisation;

d)La création, par la loi no 2225 de 2003, de la Commission pour la vérité et la justice, chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État ou des entités paraétatiques entre 1954 et 2003, et l’entrée effective en fonctions de la Commission, en août 2004;

e)La décision no 195 du 5 mai 2008, dans laquelle la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice a considéré que l’action pénale engagée et les peines prononcées à l’encontre d’auteurs de crimes de torture étaient imprescriptibles.

9.Le Comité approuve également les efforts faits par l’État partie pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et de donner effet à la Convention, en particulier:

a)La création, par le décret no 4674 du 9 juillet 2010, de la Commission nationale de la réforme pénitentiaire, instance technique de débat chargée d’appuyer l’élaboration d’un plan pour améliorer le traitement des personnes privées de liberté et la gestion des prisons;

b)La création, par le décret no 2290 de 2009, du Réseau des droits de l’homme du pouvoir exécutif, dans le but de coordonner les politiques, plans et programmes relatifs aux droits de l’homme;

c)La publication, en août 2008, du rapport final «Anive Haguã Oiko» de la Commission pour la vérité et la justice, contenant les résultats des enquêtes de la Commission sur les graves violations des droits de l’homme commises au Paraguay entre 1954 et 2003;

d)La création, par le décret no 5093 de 2005, de la Commission interinstitutions pour la prévention et la répression de la traite des personnes dans la République du Paraguay, chargée d’élaborer des politiques publiques dans ce domaine;

e)La désignation, par la décision no 768 de la Chambre des députés, en octobre 2001, d’un défenseur du peuple dont le bureau compte actuellement des antennes dans plusieurs villes du pays;

f)L’élaboration, à l’initiative de l’État partie, d’un Plan d’action national pour les droits de l’homme, selon un processus participatif.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture et infraction de torture

10.Le Comité prend note de l’existence d’un projet de loi visant à modifier la qualification pénale actuelle de la torture. Il regrette cependant que malgré ses recommandations antérieures et celles de plusieurs mécanismes régionaux et internationaux des droits de l’homme, l’État partie n’ait toujours pas incorporé dans son Code pénal l’infraction de torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention (art. 1 et 4).

Le Comité réitère sa recommandation précédente (A/55/44, par. 151), selon laquelle l’État partie devrait adopter une définition de la torture qui couvre tous les éléments figurant à l’article premier de la Convention. L’État partie devrait également veiller à ce que les infractions de torture soient passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité, conformément au paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention.

Garanties fondamentales

11.Le Comité est préoccupé par le fait que dans la pratique, de nombreux droits de l’homme prévus dans la législation paraguayenne sont refusés aux personnes privées de liberté, y compris aux mineurs. En particulier, il se dit inquiet de l’absence de mécanismes qui permettraient de donner effet au droit des personnes privées de liberté d’être assistées par un avocat dès le début de leur détention et d’être examinées par un médecin indépendant, de communiquer avec un membre de leur famille ou une autre personne de confiance et d’être informées de leurs droits et des raisons de leur arrestation dès leur placement en détention. Pour ce qui est du recours en habeas corpus, le Comité relève avec inquiétude les informations indiquant qu’il peut s’écouler jusqu’à trente jours avant qu’il n’aboutisse. Concernant les examens médicaux au début de la détention, le Comité est préoccupé par le fait qu’ils ne soient pas pratiqués fréquemment et qu’ils aient lieu en présence de policiers. Le Comité note avec préoccupation les informations indiquant que des personnes privées de liberté sont détenues par la police pendant de longues périodes sans que leur détention ne soit consignée dans le registre prévu à cet effet, et que dans la pratique un grand nombre de postes de police ne respectent pas les règlements relatifs aux procédures d’enregistrement des détenus. D’une manière générale, le Comité exprime son inquiétude quant aux propos de la délégation de l’État partie, qui a affirmé qu’aucune difficulté n’entravait l’application dans tout le pays de la décision no 176/2010 du Commandement de la Police nationale ordonnant la mise en place d’un système d’enregistrement dans les commissariats (art. 2, 11 et 12).

L ’ État partie devrait prendre sans délai des mesures efficaces pour faire en sorte que tous les détenus bénéficient dans la pratique de toutes les garanties fondamentales dès le début de leur détention. Il devrait veiller à ce que, dans la pratique, toute personne détenue soit immédiatement informée du motif de son arrestation ainsi que de ses droits, et garantir aux détenus le droit d ’ être assistés par un avocat et de communiquer avec un membre de leur famille ou une autre personne de confiance. Le recours en habeas corpus devrait être modifié et renforcé et les mesures nécessaires devraient être prises pour que ce recours soit simplifié, accéléré et mis en œuvre dans tous les cas dans le délai fixé par la loi. L ’ État partie devrait veiller à ce que toute personne placée en garde à vue puisse être examinée par un médecin indépendant sans la présence d’un fonctionnaire de police, dès le début de sa détention . Il devrait faire en sorte que les personnes privées de liberté soient rapidement enregistrées et que les registres de détention des postes de police soient régulièrement examinés pour vérifier qu ’ ils sont tenus à jour conformément aux procédures établies par la loi. L ’ État partie devrait également veiller à ce que les dispositions de la décision n o 176/2010 relative à l ’ enregistrement des détenus soient dûment appliquées et, à cette fin, envisager de transformer en texte de loi la norme administrative en question.

Aide juridictionnelle gratuite

12.Le Comité salue l’adoption récente de la loi organique relative à la défense publique et l’augmentation des ressources humaines allouées à cette institution, mais se dit inquiet du nombre limité d’avocats commis au titre de la défense publique, qui empêche beaucoup de personnes privées de liberté de bénéficier d’une aide juridictionnelle appropriée.

L ’ État partie devrait garantir à toute personne démunie qui en fait la demande une aide juridictionnelle gratuite dès le début de la détention. À cet effet, il devrait améliorer les conditions de travail des fonctionnaires au service de la défense publique et accroître les ressources humaines, financières et matérielles allouées à cette institution de sorte qu’elle puisse s ’ acquitter de ses fonctions .

État d’urgence

13.Le Comité note que l’état d’urgence a été déclaré pour une période de soixante jours dans deux départements de l’État partie (Concepción et San Pedro), par la loi no 4473 du 10 octobre 2011. Il constate avec inquiétude que l’état d’urgence a été déclaré à d’autres occasions au cours de la période à l’examen. En dépit des informations fournies par l’État partie quant aux mesures prises pour garantir le respect des droits de l’homme des personnes concernées, le Comité est préoccupé par les restrictions imposées aux droits de l’homme et par le risque de violations de la Convention sous ce régime.

L’État partie ne devrait prononcer l’état d’urgence qu’en cas d’absolue nécessité et devrait respecter à tout moment les dispositions de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il devrait également veiller à la stricte application de la prohibition absolue de la tort ure, conformément au paragraphe  2 de l ’article  2 de la Convention selon lequel aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu ’ elle soit, qu ’ il s ’ agisse de l ’ état de guerre ou de menace de guerre, d ’ instabilité politique intérieure ou de tout autre état d ’ exception , ne peut être invoquée pour justifier la torture.

Institution nationale des droits de l’homme

14.Le Comité salue la désignation en 2001 du premier Défenseur du peuple de l’État partie, qui a été attendue pendant plus de sept ans. Il s’inquiète toutefois de ce que, d’après la délégation de l’État partie, le mandat de l’actuel Défenseur est venu à expiration sans qu’un successeur répondant aux critères requis n’ait été désigné. Il s’inquiète en outre de ce que le Bureau du Défenseur du peuple ne soit pas doté des ressources nécessaires pour accomplir sa mission de protection et de promotion des droits de l’homme avec efficacité et en toute indépendance (art. 2).

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter les mesures nécessaires en vue de nommer, dans les plus brefs délais et conformément à la procédure légale en vigueur, un nouveau défenseur du peuple qui réponde aux critères requis. L’État partie devrait doter le Bureau du Défenseur du peuple des ressources humaines et financières nécessaires pour remplir son rôle de manière efficace , indépendante et conforme aux Principe s de Paris ( résolution 48/134 (1993) de l ’ Assemblée générale des Nations Unies , annexe ) .

Mécanisme national de prévention

15.Le Comité relève avec intérêt les informations fournies par la délégation de l’État partie au sujet des efforts visant la mise en place effective du mécanisme national de prévention prévu par la loi no 4288. Néanmoins, il constate avec préoccupation que ce mécanisme, qui avait dû être établi en 2007, n’est toujours pas opérationnel.

L’État partie devrait accélérer l’application de la loi portant création du mécanisme national de prévention, et en particulier constituer rapidement l’organe de sélection établi en vertu de cette loi. Il devrait veiller à ce que le mécanisme en question dispose des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires pour s’acquitter de son mandat de manière efficace et indé pendante sur tout le territoire .

Prévention et éradication de la corruption

16.Le Comité est gravement préoccupé par les allégations d’actes de corruption généralisée dans le système pénitentiaire et les services de police de l’État partie. Les personnes privées de liberté seraient en effet contraintes de soudoyer des fonctionnaires pour obtenir des soins médicaux ou de la nourriture ou pour recevoir des visites. Le Comité se déclare également préoccupé par l’octroi d’avantages indus à certaines personnes privées de liberté résultant de ces pratiques. Il regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations à ce sujet (art. 2, 10 et 12).

L ’ État partie devrait de toute urgence prendre des mesures pour éradiquer la corruption dans la police et le système pénitentiaire car elle constitue un obstacle à l ’ application de la Convention. Ces mesures devraient notamment comprendre la réalisation d’enquêtes en vue d ’ identifier les actes et les risques de corruption et de recommander des mesures propres à assurer le contrôle interne et externe. L ’ État partie devrait également consacrer davantage de moyens aux enquêtes sur les affaires de corruption et à la poursuite des responsables. Il devrait en outre mettre en œuvre des programmes de formation , de sensibilisation et de renforcement des capacités axés sur la lutte contre la corruption et les codes de déontologie applicables, à l ’ intention de la police et des autres personnels des forces de l ’ ordre ainsi que des procureurs et des juges , et mettre en place des mécanismes efficaces pour assurer, en droit et en pratique, la transparence des activités des autorités publiques. Le Comité demande à l ’ État partie de le tenir informé des mesures prises et des difficultés rencontrées dans la lutte contre la corruption. Il lui demande également de lui faire parvenir des informations concernant le nombre de fonctionnaires, y  compris parmi les hauts responsables, qui ont été poursuivis et condamnés pour corruption.

Non-refoulement

17.Le Comité est préoccupé par les allégations faisant état de cas d’extradition dans lesquels l’État partie n’aurait pas examiné le risque que l’intéressé soit soumis à la torture dans le pays requérant. Il est également préoccupé par le fait que les membres de l’appareil judiciaire de l’État partie ne reçoivent aucune formation spécifique relative à la portée de l’article 3 de la Convention (art. 3).

L ’ État partie devrait élaborer et adopter des dispositions en vue d’incorporer l ’article  3 de la Co nvention dans son droit interne et veiller à ce que les dispositions de cet article soient appliquées en cas d’expulsion, de renvoi ou d’extradition d’étrangers. En aucune circonstance l ’ État partie ne devrait expulser, refouler ou extrader une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elle court un danger certain d ’ être soumise à la torture ou à des mauvais traitements.

Impunité des actes de torture et des mauvais traitements

18.Le Comité est préoccupé par les allégations nombreuses et concordantes faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements infligés à des personnes privées de liberté, en particulier par des membres de la police. Il regrette l’absence de données ventilées concernant les plaintes pour torture, les enquêtes réalisées et les sanctions prononcées pendant la période couverte dans le rapport de l’État partie. Le Comité prend note des statistiques relatives aux procédures administratives engagées contre des fonctionnaires de police fournies dans le rapport de l’État partie mais il fait observer qu’elles n’indiquent pas le nombre de cas qui ont également été portés devant les tribunaux. Il s’inquiète en outre de ce que, d’après les renseignements figurant dans le rapport de l’État partie, il n’y aurait eu en 2009 que neuf plaintes pour torture dans les établissements pénitentiaires du pays. Le Comité considère que ces données contrastent avec les allégations récurrentes et les renseignements détaillés émanant d’autres sources à propos des cas de torture et de mauvais traitements à l’encontre de personnes privées de liberté. Il s’inquiète aussi de l’efficacité limitée des mécanismes de contrôle et de supervision de la police existants et du fait que les victimes de torture ou de mauvais traitements ne bénéficient pas d’une indemnisation ni de services de réadaptation (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De prendre d ’ urgence des mesures d’application immédiate et effective pour prévenir les actes de torture et les mauvais traitements, et notamment d’ annoncer une politique qui soit à même de produire des résultats tangibles en vue d’éliminer tout acte de cette nature de la part d’ agents de l ’ État ;

b) D’adopter des mesures appropriées pour faire en sorte que toute plainte pour torture ou mauvais traitements donne lieu sans délai à une enquête impartiale par un organe indépendant;

c) D’examiner l’efficacité du système de plaintes interne dont disposent les personnes privées de liberté et d’envisager d’établir un mécanisme de plaintes indépendant pour toutes les personnes se trouvant dans u ne telle situation;

d) De veiller à ce que le ministère public ouvre une enquête d ’ office et, s ’ il y a lieu, engage une action pénale lorsqu ’ il existe des motifs raisonnables de croire que des actes de torture ont pu être commis ;

e) De traduire en justice les personnes soupçonnées d’actes de torture ou de mauvais traitements et, si elles sont reconnues coupables, de les condamner à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes;

f) De renforcer les mécanismes de contrôle et de supervision au sein de la police de manière à en garantir l’indépendance et l’efficacité;

g) D ’ accorder aux victimes une indemnisation adéquate, et de les aider à parvenir à une réadaptation aussi complète que possible.

Conditions de détention et détention avant jugement

19.Le Comité note avec préoccupation que le placement en détention provisoire est habituel et généralisé, ce qui peut porter atteinte au droit à la présomption d’innocence, et que les mesures non privatives de liberté ne sont pas appliquées. Il est également préoccupé par le fait que la durée maximale de deux ans fixée pour la détention avant jugement n’est pas respectée et qu’il existe un texte législatif qui limite la possibilité d’appliquer des mesures de substitution à la détention provisoire. Il s’inquiète particulièrement du recours généralisé à la détention provisoire d’enfants de 16 à 18 ans. Le Comité est préoccupé par les nombreux renseignements qu’il a reçus de diverses sources et qui font état des conditions matérielles déplorables qui règnent dans un grand nombre de commissariats de police et de centres pénitentiaires, de la surpopulation et de l’entassement des détenus, de l’insuffisance des services médicaux et de l’absence quasi totale d’activités pour les personnes privées de liberté. Il se déclare particulièrement préoccupé par les conditions matérielles qui règnent au pavillon psychiatrique de la prison nationale de Tacumbú et par le fait que les personnes qui se trouvent dans ces locaux ne bénéficient pas d’une prise en charge médicale spécialisée. Le Comité est préoccupé en outre par les informations dénonçant une discrimination à l’égard des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres exercée dans les établissements pénitentiaires de l’État partie, y compris d’une discrimination dans l’accès aux visites intimes. Enfin, le Comité est préoccupé par l’utilisation arbitraire du placement à l’isolement à titre de punition dans les établissements pénitentiaires (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait prendre des mesures efficaces pour garantir que sa politique concernant la détention avant jugement soit conforme aux normes internationales et que la détention avant jugement ne soit ordonnée qu ’ à titre de mesure de dernier recours, pendant une durée limitée, conformément aux règles fixées dans sa législation. À cet te fin, l ’ État partie devrait réexaminer l ’ utilisation de la détention avant jugement en tant que première et unique mesure pour les personnes en attente de jugement et étudier la possibilité d ’ appliquer des mesures de substitution à la privation de liberté, comme il est énoncé dans les Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) adoptées par l ’ Assemblée générale dans sa résolution 4 5/110 , en particulier pour les mineurs . Il devrait également renforcer le contrôle juridictionnel de la durée de la détention provisoire .

L ’ État partie devrait prendre d ’ urgence des mesures pour que les conditions de détention dans les commissariats de police , les établissements pénitentiaires et les autres centres de détention soient conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, approuvé par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV) et 2076 (LXII). En particulier, le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ adopter un plan d ’ amélioration des infrastructures des commissariats de police et des prisons afin d’assurer aux personnes privées de liberté des conditions de vie dignes;

b) De garantir la présence d ’ un nombre suffisant de professionnels de santé, y compris de professionnels de la santé mentale, afin d ’ assurer aux personnes privées de liberté des soins médicaux de qualité;

c) D ’ assurer un hébergement et un traitement psychiatrique adéquats aux personnes privées de liberté qui ont besoin d’une surveillance et d’un traitement psychiatriques;

d ) D ’ intensifier les efforts pour lutter contre la discrimination exercée contre des groupes vulnérables, en particulier les détenus appartenant à la communauté LGBT;

e ) De n ’ appliquer la mise à l ’ isolement qu ’ à titre de mesure de dernier recours, pendant le moins de temps possible, sous une supervision stricte et avec la possibilité d ’ un contrôle juridictionnel.

Déclarations obtenues par la contrainte

20.Le Comité est préoccupé par les informations signalant que, en dépit des dispositions de l’article 90 du Code de procédure pénale établissant l’impossibilité pour la police de recueillir la déclaration de la personne en état d’arrestation, dans la pratique la police continue d’obtenir des déclarations par la torture ou des mauvais traitements. Le Comité est également préoccupé par le fait que les tribunaux de l’État partie utilisent parfois ces déclarations comme éléments de preuve. Le Comité note aussi avec préoccupation l’absence de renseignements sur les cas dans lesquels des agents de l’État ont pu être poursuivis et punis pour avoir obtenu des déclarations dans ces conditions (art. 2, 4, 10 et 15).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir dans toutes les procédures judiciaires l ’ irrecevabilité des déclarations obtenu e s par la torture, conformément aux dispositions de l ’ article 15 de la Convention. Le Comité demande à l ’ État partie de garantir dans les faits l ’ ir recevabilité des preuves obtenues par la torture et de lui faire savoir si des agents de l ’ État ont été poursuivis et condamnés pour avoir obtenu des déclarations de cette manière, ainsi que de lui donner des exemples d ’ affaires auxquelles il n ’ a pas été donné suite au motif que des déclarations avaient été obtenu e s par la torture . En outre, l ’ État partie devrait veiller à ce qu ’ une formation soit dispensée aux membres des forces de l ’ ordre, aux juges et aux avocats pour leur apprendre à reconnaître les cas où des déclarations ont été ob tenu e s par la torture , et à enquêter sur de tels cas.

Violence à l’égard des femmes

21.Le Comité prend note des différentes mesures prises par l’État partie pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, qui comportent le renforcement de cinq commissariats de police de façon à permettre l’enregistrement des plaintes pour violence au foyer. Il note également la mise en œuvre du Programme national de prévention de la violence sexiste et de prise en charge des victimes dans sept hôpitaux publics et l’introduction de peines privatives de liberté pour les auteurs d’actes de violence au foyer. Toutefois, il est préoccupé par le fait qu’il n’existe pas de loi spécifique visant à prévenir, réprimer et éliminer la violence à l’égard des femmes, en particulier les violences sexuelles, la violence au foyer et les morts violentes de femmes, dont l’incidence est pourtant élevée dans l’État partie (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour assurer l ’ application d ’ urgence de mesures de protection efficaces visant à prévenir et combattre toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes et des filles, en particulier les violences sexuelles, la violence au foyer et les morts violentes de femmes. Ces mesures devraient comprendre l’adoption rapide d’une loi visant à prévenir, réprimer et éliminer la violence à l ’ égard des femmes, qui soit conforme à la Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes et à la Recommandation générale n o  19 (1994) du Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes sur la violence à l ’ égard des femmes . L’État partie devrait également organiser de vastes campagnes de sensibilisation et des cours de formation sur la prévention de la violence à l ’ égard des femmes et des filles, à l ’ intention des agents de l ’ État qui travaillent direct ement avec les victimes (agents des forces de l ’ ordre, juges, avocats, travailleurs sociaux, etc.) et de la population en général.

22.Le Comité est préoccupé par l’interdiction générale de l’avortement faite à l’article 109 du Code pénal même dans les cas où la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou dans le cas où le fœtus n’est pas viable, la seule exception concernant le cas où la mort du fœtus est la conséquence indirecte d’une intervention qui était nécessaire pour protéger d’un grave danger la vie de la mère. Du fait de cette situation, les femmes concernées seraient constamment exposées à des risques de violations de leurs droits, ce qui engendrerait un stress important et traumatisant susceptible de créer des troubles psychologiques durables. Le Comité note également avec préoccupation que les femmes qui demandent une interruption de grossesse pour les motifs mentionnés plus haut sont poursuivies en justice. Il est également préoccupé par le fait que les femmes qui ont décidé d’avorter soient privées de soins médicaux, ce qui peut compromettre sérieusement leur santé physique et mentale et peut constituer un traitement cruel ou inhumain. C’est pourquoi le Comité exprime sa vive inquiétude quant au fait que les avortements clandestins demeurent l’une des principales causes de mortalité chez les femmes. Il constate en outre avec préoccupation que les membres du personnel médical peuvent faire l’objet d’enquêtes et de sanctions pour avoir pratiqué un avortement pour raisons médicales. Le Comité relève avec inquiétude qu’il arrive que des membres du personnel médical dénoncent les cas d’avortement dont ils ont eu connaissance sous le sceau du secret professionnel, en violation des règles déontologiques (art. 2 et 16).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à revoir s a législation relative à l ’ avortement, comme le lui ont recommandé le Conseil des droits de l ’ homme, le Comité des droits de l’homme, le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans leurs observations finales les plus récentes, et l ’ engage à étudier la possibilité de prévoir d’autres exceptions à l ’ interdiction générale de l ’ avortement, en particulier les cas d ’ avortement pour raisons médicales et de grossesses résulta nt d ’ un viol ou d ’ un inceste. Conformément aux directives de l ’ Organisation mondiale de la santé, l ’ État partie doit garantir des soins immédiat s et sans condition aux fe mmes qui ont besoin d’une prise en charge médicale d ’ urgence. Il devrait également prendre des mesures pour garantir la confidentialité dans la relation médecin-patiente quand des soins médicaux sont rendus nécessaires par l es complications d ’ un avortement.

Traite des êtres humains

23.Le Comité donne acte à l’État partie des efforts accomplis pour lutter contre la traite des personnes, et qui comprennent la création d’une commission interinstitutions pour la prévention et la répression de la traite des êtres humains et de services spécialisés du Secrétariat à l’enfance et à l’adolescence et du Secrétariat à la condition féminine, la mise en place d’un centre de prise en charge complète des victimes de traite et l’élaboration d’un projet de loi contre la traite. Le Comité relève avec intérêt qu’un centre d’accueil provisoire pour les victimes de la traite a été ouvert mais il note que la capacité de ce centre est limitée et qu’il est réservé aux victimes de sexe féminin. Le Comité est préoccupé par le fait que le Paraguay continue d’être un pays d’origine et de transit pour la traite et regrette l’absence de renseignements complets sur les cas de traite ainsi que sur les condamnations prononcées pour cette infraction (art. 2, 10 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que toutes les plaintes pour traite fassent l ’ objet sans délai d ’ enquêtes impartiales et approfondies et à ce que les auteurs de tels faits soient traduits en justice et punis pour l’infraction de traite. Il devrait continuer à organiser des campagnes de sensibilisation dans tout le pays, à offrir des programmes adéquats d ’ aide, de réadaptation et de réinsertion pour les victimes de la traite et à dispenser une formation aux membres des forces de l ’ ordre, aux juges et aux procureurs, aux fonctionnaires des services d ’ immigration et de la p olice des frontières sur les causes, les conséquences et les répercussions de la traite et d es autres formes d ’ exploitation. En particulier, l ’ État partie devrait prendre des mesures pour donner effet au Plan national de prévention et d ’ élimination de l ’ exploitation sexuelle des enfants et des adolescents , et consacrer à la mise en œuvre du Plan les ressources humaines et financières nécessaires . Le Comité recommande en outre à l ’ État partie d ’ intensifier ses efforts pour mettre en place des mo des et des mécanismes de coopération internationale, régionale et bilatérale avec les pays d ’ origine, de transit et de destination, afin de prévenir la traite, de mener des enquêtes et de punir les responsables.

Formation et application du Protocole d’Istanbul

24.Le Comité prend note des renseignements donnés dans le rapport de l’État partie qui décrivent des programmes de formation à l’intention des forces armées, des procureurs et des membres de la Police nationale mais il regrette l’insuffisance des renseignements disponibles sur l’évaluation de ces programmes et leur efficacité pour la réduction des cas de torture et de mauvais traitements. Il regrette en particulier de ne pas avoir eu de renseignements concernant les formations à l’utilisation du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) assurées au personnel chargé de détecter les cas de torture et de procéder aux enquêtes (art. 10).

L ’ État partie devrait:

a) Poursuivre les programmes de formation afin que tous les agents de l ’ État et en particulier les fonctionnaires de police et autres agents de la force publique connaissent intégralement les dispositions de la Convention;

b) Évaluer l ’ efficacité des programmes de formation et d ’ éducation et leur incidence en ce qui concerne la réduction des cas de torture et de mauvais traitements;

c) Établir un plan de formation à l ’ intention de tous les personnels qui participent aux enquêtes sur les cas de torture, notamment les défenseurs publics, les médecins et les psychologues, afin qu ’ ils connaissent la teneur du Protocole d ’ Istanbul et qu ’ ils l ’ appliquent dans leur pratique.

Réparation, y compris indemnisation et moyens de réadaptation

25.Le Comité prend note des renseignements figurant dans le rapport de l’État partie sur les indemnités financières accordées aux victimes des violations des droits de l’homme, y compris d’actes de torture, commises pendant la période allant de 1954 à 1989. Il regrette de ne pas avoir reçu de renseignements sur les mesures prises, comme une aide psychologique ou une formation, pour assurer la réadaptation des victimes. Il regrette également l’absence totale de renseignements sur les mesures de réparation offertes aux victimes d’actes de torture commis en dehors de la période de la dictature (art. 14).

L ’ État partie devrait veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour assurer aux victimes de torture et de mauvais traitements la réparation nécessaire, y compris une indemnisation équitable et adéquate , et les moyens nécessaires à leur réadaptation .

Le Comité demande à l ’ État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des données statistiques et des renseignements complets sur les cas dans lesquels les victimes ont bénéficié d’ une réparation complète, comprenant une enquête et la condamnation des responsables, une indemnisation et des moyens de réadaptation.

Violence à l’égard des enfants

26.Le Comité prend note des mesures prises pour interdire les châtiments corporels sur les enfants qui se trouvent avec leur mère privée de liberté ou placés dans des foyers d’accueil. Il note également les renseignements donnés par la délégation de l’État partie qui a signalé qu’il existait un projet de loi visant à interdire les châtiments corporels. Toutefois il est préoccupé par le fait que les châtiments corporels ne soient pas encore interdits dans le milieu familial (art. 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ interdire expressément les châtiments corporels sur les enfant s dans tous les contextes, y compris dans le milieu familial.

Protection des peuples autochtones

27.Le Comité donne acte à l’État partie des mesures qu’il a déjà prises pour donner effet aux arrêts et décisions des organes interaméricains de protection des droits de l’homme en vue d’assurer la protection des peuples autochtones sur son territoire. Il prend note également des mesures prises en collaboration avec l’Organisation internationale du Travail pour lutter contre l’exploitation du travail de ces peuples. Toutefois il est préoccupé par les renseignements dont il a été saisi indiquant que les situations d’exploitation du travail des personnes appartenant aux communautés autochtones présentes au Paraguay, qui équivalent à un traitement inhumain contraire à la Convention, n’ont pas disparu (art. 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire disparaître toute forme d ’ exploitation du travail des personnes appartenant à des peuples autochtones. Il devrait également donner pleinement effet, à une échéance raisonnable, à tous les arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l ’ homme qui l ’ obligent à prendre des mesures de protection en faveur des peuples autochtones .

28.L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, par la voie des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

29.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, avant le 25 novembre 2012, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations relatives à: a) la mise en œuvre et le renforcement des garanties fondamentales en faveur des détenus; b) la réalisation rapide d’enquêtes impartiales et efficaces; c) la traduction en justice des personnes soupçonnées d’actes de torture ou de mauvais traitements et la condamnation des responsables, recommandations figurant aux paragraphes 11 et 18 du présent document. Le Comité demande en outre à l’État partie de lui fournir des informations de suivi concernant les mesures qu’il adoptera pour prévenir, combattre et faire disparaître la traite des personnes, évoquées au paragraphe 23 du présent document.

30.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 25 novembre 2015 au plus tard. À cette fin, le Comité enverra à l’État partie, en temps voulu, une liste de points à traiter établie avant la soumission du rapport, étant donné que l’État partie a accepté de soumettre ses rapports au Comité conformément à la procédure facultative de présentation des rapports.