NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils et politiques

Distr.

GÉNÉRALE

CCPR/C/MDG/CO/3

11 mai 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-neuvième session

New York, 12-30 mars 2007

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l'homme

MADAGASCAR

1. Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Madagascar (CCPR/C/MDG/2005/3) à ses 2425e et 2426e séances (CCPR/C/SR.2425 et CCPR/C/SR.2427), tenues les 12 et 13 mars 2007, et adopté les observations finales suivantes à sa 2442e séance (CCPR/C/SR.2442), le 23 mars 2007.

A. Introduction

2. Le Comité se félicite de pouvoir renouer le dialogue avec l'État partie, quinze années s'étant écoulées depuis l'examen du rapport précédent. Il note que le rapport soumis par l’État partie contient des informations utiles sur la législation interne ainsi que sur l'évolution qui a eu lieu dans certains domaines juridiques et institutionnels depuis l'examen du deuxième rapport périodique. Le Comité se félicite du dialogue avec la délégation et prend note, avec intérêt, des réponses aussi bien orales qu'écrites apportées à ses questions.

B. Aspects positifs

3. Le Comité se félicite des efforts entrepris par l’État partie pour améliorer la situation de certaines catégories de personnes vulnérables, notamment les personnes atteintes du virus VIH/SIDA et les handicapés.

4. Le Comité prend note avec intérêt des efforts fournis par l’État partie visant à l’amélioration du fonctionnement des institutions judiciaires et souligne l’importance du Code de déontologie des magistrats établi conformément aux Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (E/CN.4/2003/65, annexe).

GE.07-41960

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

5. Le Comité regrette l’absence d’informations précises sur le statut exact du Pacte dans l’ordre juridique de l’État partie. Il regrette également l’absence d’une jurisprudence significative sur la mise en œuvre du Pacte et les possibilités qu’il offre pour la protection des droits des individus (art. 2).

L'État partie devrait veiller à ce que le Pacte puisse bénéficier du statut qui est le sien, compte tenu tant du préambule que des dispositions de sa Constitution, et faire en sorte qu’il puisse être effectivement invoqué auprès des tribunaux et appliqué par eux.

6. Le Comité prend note des déclarations de l’État partie selon lesquelles l’article 8 de la Constitution, dans ses versions anglaise et française, limite l’interdiction de la discrimination aux seuls nationaux alors que la version malgache du texte étendrait cette interdiction à l’ensemble des personnes relevant de la juridiction de l’État partie. Les versions anglaise et française risquent d’entraîner des violations des dispositions du Pacte.

L' État partie devrait assurer la concordance linguistique des textes de manière à faire obstacle aux possibilités de discrimination et à donner plein effet aux dispositions du Pacte au profit de toutes les personnes relevant de sa juridiction.

7. Le Comité note avec intérêt qu’une Commission nationale des droits de l'homme a été créée en 1996. Il constate néanmoins que sa composition n’a pas été renouvelée ni le mandat de ses membres prorogé. Cette Commission n’est pas aujourd’hui opérationnelle et n’est pas en mesure de connaître les plaintes émanant de particuliers (art. 2).

L'État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour assurer la reprise des travaux de la Commission, en conformité avec les Principes de Paris concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (résolution 48/134 de l’Assemblée générale, annexe). L’ État partie est également invité à la doter de moyens adéquats afin de lui permettre de remplir effectivement, pleinement, et de manière régulière, son rôle.

8. Le Comité est préoccupé par les usages et les coutumes qui font obstacle à l’égalité entre hommes et femmes et entravent les efforts visant à la promotion de la femme et à sa protection (art. 3).

L’État partie devrait renforcer ses efforts d’éducation et de formation en vue d’assurer l’égalité effective entre hommes et femmes et de contribuer à l’évolution des mentalités et des attitudes afin de favoriser le respect effectif des dispositions du Pacte.

9. Le Comité note qu’en dépit des progrès réalisés dans le domaine de l'égalité entre les hommes et les femmes, l'emploi de ces dernières à des postes de responsabilité aussi bien dans les secteurs public que privé, reste faible. Il est aussi préoccupé par les écarts de

rémunération entre les hommes et les femmes. La participation des femmes à la vie politique demeure également insuffisante (art. 3 et 26).

L'État partie devrait élaborer des programmes spécifiques et prendre des mesures ciblées pour permettre aux femmes de jouir de l'égalité d'accès au marché du travail dans les secteurs public et privé, y compris à des postes de responsabilité, et de l'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale. La participation des femmes à la vie politique devrait également être encouragée et renforcée par le biais de mesures effectivement appliquées.

10. Le Comité reste préoccupé par l’inégalité qui prévaut en matière du droit des femmes d’hériter de biens immobiliers (art. 3 et 26).

L’ État partie devrait prendre des mesures adéquates à cet égard et permettre aux femmes d’hériter des biens immobiliers au même titre que les héritiers de sexe masculin.

11. Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de nombreux cas de violence conjugale. Les victimes de telles violences ne déposeraient pas de plaintes notamment en raison des contraintes sociales et familiales (art. 3 et 7).

L'État partie devrait assurer une meilleure protection des femmes et renforcer les mesures de prévention et de sanction de la violence familiale à l’égard des femmes et des enfants et s'attaquer aux facteurs de vulnérabilité des femmes dont la dépendance économique envers leurs partenaires. Il devrait également mettre en place des structures de soutien aux victimes et des programmes de sensibilisation dont des formations à l'intention des autorités chargées de l’application de la loi.

12. Le Comité regrette que, malgré son interdiction par le Code pénal, la polygamie subsiste encore dans certaines régions, ce qui porte atteinte à la dignité des femmes (art. 3 et 26).

L'État partie devrait veiller à ce que les dispositions pertinentes de son Code pénal soient appliquées sans réserve, et sur l’ensemble de son territoire, afin de mettre fin à cette pratique et d’assurer le respect des dispositions du Pacte.

13. Le Comité regrette que le régime de l’état d’urgence ne précise pas les dérogations pouvant être apportées aux dispositions du Pacte et ne définit pas les garanties relatives à la mise en œuvre de telles dérogations (art. 4).

L'État partie devrait réviser les dispositions de sa législation pour les rendre pleinement compatibles avec l'article 4 du Pacte. Le Comité rappelle également qu’au titre du paragraphe 3 de l’article 4 du Pacte, chaque fois qu’une situation d’urgence est proclamée par un État partie, ce dernier est tenu de le signaler à l’ensemble des États parties par l’entremise du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

14. Le Comité est préoccupé par la législation sur l’avortement, en particulier dans les cas où la vie de la mère est en danger (art. 6).

L’État partie devrait modifier sa législation de façon à aider les femmes à éviter les grossesses non désirées et le recours à des avortements clandestins qui peuvent mettre leur vie en danger. Il devrait également envisager de réviser sa législation relative à l’avortement afin de la mettre en harmonie avec le Pacte.

15. Le Comité note avec préoccupation que le Code pénal prévoit un grand nombre de crimes passibles de peine de mort, y compris le vol de bovidés. Il prend note de la déclaration de l’État partie selon laquelle en pratique les peines prononcées sont systématiquement commuées en des peines d’emprisonnement (art. 6)

Le Comité invite l’État à abolir officiellement la peine de mort. L’État partie est également invité à ratifier le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

16. Le Comité est préoccupé par l’existence d’un système coutumier d’administration de la justice (Dina), qui n’est pas toujours en mesure d’assurer des procès équitables. Il regrette que des exécutions sommaires aient été perpétrées du fait de décisions rendues par les Dina. Il prend note de la déclaration de l’État partie selon laquelle les Dina ne peuvent plus intervenir que pour des délits mineurs et sous contrôle judicaire (art. 6 et 14).

L’État partie devrait veiller au fonctionnement d’une justice équitable au niveau des Dina sous le contrôle des juridictions étatiques. L’État partie est en outre invité à veiller à ce que les exécutions sommaires perpétrées suite à des décisions rendues par les Dina ne se produisent plus et que tout accusé puisse bénéficier de l’ensemble des garanties énoncées dans le Pacte.

17. Le Comité est préoccupé du fait que dans la région du sud-est de l’île, la naissance de jumeaux est considérée comme « un événement maléfique » (CCPR/C/MDG/2005/3, par. 86) et que, pour cette raison, un seul des nouveaux-nés est gardé par la famille, alors que le(les) autre(s) se voit (voient) systématiquement abandonné(s) (art. 6 et 24).

Tout en prenant note des explications fournies par l’État partie à cet égard, le Comité lui demande de prendre des mesures énergiques, adéquates, et contraignantes, pour éradiquer ces pratiques et assurer la préservation des jumeaux dans leur famille, de sorte que tout enfant bénéficie de mesures de protection effectives.

18. Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu à sa demande d’information sur les pratiques alléguées de tortures et des traitements cruels, inhumains ou dégradants lors des périodes de mise en arrestation ou de garde à vue.

L’État partie devrait présenter des informations sur les mesures prises pour prévenir la torture et les mauvais traitements qui y sont assimilés. Il devrait présenter également des informations sur le nombre et la suite donnée aux plaintes présentées à cet égard.

19. Tout en notant que l’État partie a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Comité est préoccupé du fait que la

législation nationale ne comporte pas de définition de la torture, et que la torture n’y constitue pas une infraction autonome (art. 7).

L’État partie devrait définir la torture dans sa législation, compte tenu des normes internationalement établies, et en faire une infraction autonome assortie de sanctions appropriées.

20. Le Comité note que, même si en vertu de la législation nationale en vigueur toute personne en état d'arrestation peut être assistée par un avocat, dans la pratique ce droit n'est souvent pas respecté. En plus, une aide juridique n’est prévue qu’en faveur des personnes qui encourent des peines de prison supérieures à cinq ans (articles 7, 9, 10 et 14).

L'État partie devrait modifier sa législation et sa pratique de façon à garantir à toute personne en état d'arrestation une assistance juridique effective dès le moment de son arrestation, notamment les personnes qui ne disposent pas de moyens suffisants pour rémunérer un défenseur privé.

21. Le Comité prend note des informations selon lesquelles des enfants seraient fréquemment employés comme domestiques dans des conditions équivalant souvent à de l’esclavage et favorisant toutes sortes d’abus, en violation des articles 8 et 24 du Pacte.

L’État partie devrait mener des campagnes d’information et prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette pratique et assurer le respect des dispositions des articles 8 et 24 du Pacte.

22. Le Comité regrette que, même si de nouvelles infrastructures pénitentiaires ont été construites récemment et que des rénovations d’institutions pénitentiaires existantes ont été entreprises, les prisons restent sérieusement surpeuplées. Les conditions de détention y seraient déplorables, et les détenus ne seraient pas nourris en quantité suffisante. Le Comité est préoccupé du fait que, fréquemment, les prévenus ne sont pas séparés des condamnés, et que les mineurs sont détenus avec des majeurs (art. 9 et 10).

L’État partie devrait poursuivre les efforts entrepris en vue d’améliorer les conditions de détention sur son territoire, et assurer à cet égard le respect des dispositions du Pacte. Il devrait notamment établir un programme de réhabilitation des prisons et mettre en place un système pour assurer que les prévenus sont séparés des condamnés, et les mineurs des autres détenus.

23. Le Comité reste préoccupé par la durée excessive de la garde à vue et de la détention provisoire qui aboutissent à des détentions pour des périodes longues et parfois illimitées (art. 9 et 10).

L’État partie devrait mettre sa législation et sa pratique en conformité avec les dispositions du Pacte et prendre des mesures énergiques pour limiter la durée de la garde à vue et de la détention provisoire. Le Code de procédure pénale devrait être modifié en conséquence.

24. Le Comité demeure préoccupé par certains dysfonctionnements du système judiciaire de l’État partie. De nombreux dossiers judiciaires auraient été perdus ou mal administrés. (art. 9 et 14).

L’État partie devrait assurer le fonctionnent correct de ses structures judicaires, en conformité avec le Pacte et les principes régissant un État de droit. Le pouvoir judiciaire devrait disposer des ressources suffisantes pour son bon fonctionnement. Les détenu(e)s dont les dossiers sont manquants devraient être libéré(e)s sans délai.

25. Le Comité note avec préoccupation que la délégation a fait état de l’existence d’un prisonnier se trouvant en instance de cassation depuis 1978 (pourvoi en cassation introduit le 21 juin 1979 selon une réponse écrite de l’État partie). Ce dernier ne serait pas un cas isolé (art. 9 et 14).

L’État partie devrait faire en sorte que toute affaire enregistrée puisse être jugée sans délai excessif, conformément à l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.

26. Le Comité demeure préoccupé par les procédures en vigueur relatives à la désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), alors même que ce dernier dispose de pouvoirs étendus, notamment en ce qui concerne les nominations, les promotions, et la destitution des magistrats. Il n’existe pas de garantie pour exclure une éventuelle immixtion de l’exécutif dans les affaires du pouvoir judiciaire (art. 14).

L'État partie devrait modifier le mécanisme de désignation des membres du CSM et garantir l'indépendance et l'impartialité totales du pouvoir judiciaire.

27. L'État partie devrait diffuser largement le texte de son troisième rapport périodique et des présentes observations finales.

28. Conformément au paragraphe 5 de l'article 71 du règlement intérieur du Comité, l'État partie devrait fournir, dans un délai d'un an, des renseignements complémentaires faisant le point de la situation et concernant l'application des recommandations du Comité figurant aux paragraphes 7, 24, et 25. Le Comité prie l'État partie de lui fournir, dans son prochain rapport, qui doit lui être présenté d'ici le 23 mars 2011, des renseignements concernant les autres recommandations formulées et l'application du Pacte dans son ensemble.

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