Nations Unies

CCPR/C/104/D/1880/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 mai 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Communication no 1880/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 104e session12-30 mars 2012

Communication p résentée par:

N. S. Nenova et consorts (représentées par Liesbeth Zegveld)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Libye

Date de la communication:

31 mars 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 10 juin 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

20 mars 2012

Objet:

Torture présumée des auteurs et peine de mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable et discriminatoire

Questions de procédure:

Aucune

Questions de fond:

Torture, procès inéquitable, arrestation et détention arbitraires; peine de mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable, absence de recours effectif et discrimination

Articles du Pacte:

2, 6, 7, 9, 10 (par. 1), 14 et 26

Article du Protocole facultatif:

Aucun

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (104e session)

concernant la

Communication no 1880/2009 *

P résentée par:

N. S. Nenova et consorts (représentées par Liesbeth Zegveld)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Libye

Date de la communication:

31 mars 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1880/2009 présentée par Mmes N. S. Nenova et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication, datée du 31 mars 2009, sont Valya Georgieva Chervenyashka, née le 22 mars 1955, Snezhana Ivanova Dimitrova, née le 18 août 1952, Nasya Stoycheva Nenova, née le 2 juillet 1966, Valentina Manolova Siropulo, née le 20 mai 1959 et Kristiyana Venelinova Valcheva, née le 12 mars 1959, toutes de nationalité bulgare. Elles se considèrent victimes d’une violation par la Libye des articles 2, 6, 7, 9, 10 (par. 1), 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elles sont représentées par Mme Liesbeth Zegveld.

1.2Le 5 août 2009, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs, à l’exception de Kristiyana Venelinova Valcheva, sont arrivées en Libye entre février 1998 et février 1999 pour travailler dans une équipe médicale bulgare à l’hôpital pédiatrique d’Al‑Fatah à Benghazi. Kristiyana Venelinova Valcheva, qui est arrivée en Libye en 1991, travaillait à l’hôpital de Hauari à Benghazi depuis six ans au moment des faits.

2.2Le 9 février 1999, les auteurs ainsi que 18 autres membres d’équipes médicales, tous de nationalité bulgare, ont été arrêtés par la police libyenne sans être informés des motifs de leur arrestation. Les auteurs ont été bâillonnées et elles ont eu les yeux bandées et les mains attachées dans le dos avant d’être transportées dans un bus. Après plusieurs heures pendant lesquelles certaines ont été frappées à la tête et au cou, elles sont arrivées au commissariat de police de la rue Al Nasr à Tripoli. Dix-sept Bulgares ont par la suite été libérés le 16 février 1999. Les auteurs et M. Ashraf El-Hagog Jumaa, qui avait été arrêté le 29 janvier 1999, ont été mis en examen pour assassinat, étant suspectés d’avoir infecté 393 enfants avec le virus VIH/sida à l’hôpital Al‑Fatah de Benghazi. Ils encouraient pour cette infraction la peine de mort. Kristyana Valcheva n’avait jamais travaillé à l’hôpital pédiatrique d’Al‑Fatah.

2.3Pendant l’interrogatoire, les auteurs ont été torturées pour passer aux aveux. Les méthodes de torture utilisées comprenaient l’application répétée de chocs électriques sur les jambes, les pieds, les mains, la poitrine et les parties intimes alors qu’elles étaient attachées nues sur un lit en fer; des coups sur la plante des pieds; la suspension par les mains et les bras; la suffocation et la strangulation; les menaces de mort et menaces de s’en prendre à la famille; la menace d’être attaquées par des chiens tout en ayant les yeux bandés; des coups; le fait d’être tirées par les cheveux tout en étant à terre; les brûlures de cigarette; le placement d’insectes mordants sur le corps; l’injection de drogues; la privation de sommeil; l’isolation sensorielle; le contact avec le feu et les douches glacées; la détention dans des cellules surpeuplées et sales; et l’utilisation de lumières aveuglantes. Certaines des auteurs ont également été victimes de viol. Elles auraient ainsi été torturées à plusieurs reprises pendant environ deux mois. Après qu’elles eurent toutes fait des aveux, les tortures sont devenues moins fréquentes mais se sont poursuivies.

2.4Le 15 mai 1999, l’affaire a été renvoyée au parquet populaire, qui a mis en examen les auteurs et leur coaccusé Ashraf El-Hagog Jumaa pour actes constituant une atteinte à la souveraineté libyenne, conduisant au meurtre de personnes sans discrimination dans le but de porter atteinte à la sécurité de l’État (crime passible de la peine de mort); participation à un complot et collusion pour la commission des crimes prémédités susmentionnés; propagation délibérée d’une épidémie par injection du virus du sida à 393 enfants à l’hôpital Al‑Fatah (crime passible de la peine de mort); meurtre avec préméditation par l’utilisation de substances causant la mort, avec injection du virus du sida à des enfants (crime passible de la peine de mort); et actions contraires à la loi et aux traditions libyennes (production illégale d’alcool, consommation d’alcool dans un lieu public, trafic illégal de devises étrangères, relations sexuelles illicites). Le 16 mai 1999, les auteurs ont été, pour la première fois, présentées au parquet populaire, environ quatre mois après leur arrestation. Elles ont ensuite été présentées au procureur tous les trente à quarante‑cinq jours.

Premier procès

2.5Le procès devant le Tribunal populaire (cour extraordinaire pour crimes contre l’État) a commencé le 7 février 2000. Les aveux des auteurs et l’affirmation du chef de l’État selon laquelle les accusés étaient des agents de la CIA et du Mossad ont été considérés comme constituant les fondements de l’affaire. Les auteurs n’ont pu consulter un avocat pour la première fois que le 17 février 2000, soit dix jours après le début du procès. C’est alors qu’elles ont formulé les allégations de torture devant le Tribunal. Elles n’avaient pu le faire auparavant car elles avaient reçu des menaces de leurs bourreaux et n’avaient pas pu parler à leur avocat librement du fait de la présence de représentants de l’État. En juin 2001, deux des auteurs sont revenues sur leurs aveux, affirmant qu’ils leur avaient été extorqués sous la torture. Le Tribunal a rejeté leur plainte sans demander d’enquête. Par la suite, les auteurs et le coaccusé ont plaidé non coupables.

2.6Le procès a d’abord été suspendu, car le Tribunal n’avait pas recueilli suffisamment d’éléments de preuve pour maintenir l’accusation de complot contre l’État. Le 17 février 2002, le Tribunal populaire s’est dessaisi de l’affaire et l’a renvoyée au ministère public. Le procureur a retiré l’accusation de complot et a formulé de nouvelles accusations de tests illégaux de médicaments et de contamination de 426 enfants par le VIH/sida. Pendant tout ce temps, les auteurs et le coaccusé sont restés en détention.

Deuxième procès

2.7En août 2002, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Benghazi a maintenu les accusations formulées par le procureur et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Benghazi, juridiction pénale ordinaire. L’accusation se fondait sur les aveux de l’une des auteurs et du coaccusé devant le procureur et sur les résultats de la perquisition effectuée au domicile d’une autre des auteurs, où la police aurait découvert cinq flacons de plasma sanguin contaminé. En juillet 2003, le deuxième procès a commencé. Le professeur Luc Montagnier et le professeur Vittorio Colizzi ont été nommés comme experts. En septembre 2003, ils ont affirmé que l’infection des échantillons sanguins de l’hôpital Al‑Fatah était survenue en 1997, plus d’un an avant que les infirmières ne commencent à travailler dans l’hôpital et que l’infection avait continué après leur arrestation. Leur expertise a conclu à une infection de cause inconnue et non délibérée. De telles infections nosocomiales étaient causées par une souche de virus très particulière et très infectieuse, et dues à des conditions d’hygiène médiocres et à des négligences. En décembre 2003, la cour a désigné une deuxième équipe d’experts composée de cinq médecins libyens. Le 28 décembre 2003, cette équipe a rejeté les conclusions formulées par les deux professeurs de renom et a déclaré que l’épidémie de sida n’était pas imputable à des infections nosocomiales ni à la réutilisation de matériel médical infecté mais à un acte intentionnel. La défense a demandé une autre contre‑expertise mais la cour a rejeté leur requête.

2.8Le 6 mai 2003, la cour d’appel de Benghazi a condamné les auteurs et le coaccusé à la peine capitale, pour avoir causé la mort de 46 enfants et en avoir contaminé 380 autres. Neuf Libyens qui travaillaient à l’hôpital Al‑Fatah étaient également poursuivis pour les mêmes accusations mais ont comparu libres au procès, ayant été libérés sous caution au début de la procédure. Ils ont été acquittés. Concernant les huit Libyens appartenant aux services de sécurité accusés de torture par les auteurs et le coaccusé, la cour s’est déclarée incompétente et a renvoyé leur cas au parquet. Le 5 juillet 2004, les auteurs et le coaccusé ont fait appel devant la Cour suprême libyenne en soulevant des points de droit. Le procureur a demandé à la Cour d’annuler les condamnations à mort et de renvoyer l’affaire à la cour d’appel de Benghazi pour un nouveau procès, au motif que des «irrégularités» étaient survenues au cours de l’arrestation et de l’interrogatoire des auteurs et du coaccusé. Après avoir repoussé ses sessions à plusieurs reprises, la Cour suprême a cassé le jugement de la cour d’appel de Benghazi et a renvoyé l’affaire devant la cour de Tripoli pour un nouveau procès, le 25 décembre 2005. La Cour a refusé de libérer sous caution les auteurs et le coaccusé au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de garanties qu’ils comparaîtraient au nouveau procès.

Réouverture du procès et remise en liberté

2.9La cour de Tripoli a rouvert le procès le 11 mai 2006. Le procureur a de nouveau requis la peine de mort contre les auteurs et le coaccusé. Les auteurs ont une nouvelle fois plaidé non coupables et réaffirmé qu’on les avait torturées pour leur extorquer des aveux. Le 19 décembre 2006, les auteurs et le coaccusé ont été reconnus coupables et condamnés à mort. La cour a déclaré qu’elle ne pouvait réexaminer les allégations de torture car une autre juridiction les avait déjà rejetées.

2.10Les auteurs ont fait appel devant la Cour suprême le 19 décembre 2006. L’audience devant la Cour suprême a eu lieu le 11 juillet 2007 alors qu’elle était supposée se tenir dans les trois mois suivant la formation de l’appel. Selon les allégations des auteurs, la Cour suprême n’a tenu qu’une session d’une journée. L’issue en a été la confirmation de la peine de mort. Le 17 juillet 2007, le Conseil judiciaire suprême a annoncé que la peine serait commuée en prison à vie à la suite d’un accord d’indemnisation conclu avec les familles des victimes. Par la suite, à l’issue de négociations entre la Libye et les gouvernements d’autres pays, les auteurs ont été transférées le 24 juillet 2007 pour purger leur peine en Bulgarie, où elles ont été immédiatement graciées et remises en liberté.

2.11Les allégations de torture formulées par les auteurs dès 2000 n’ont pas fait l’objet d’une enquête. Le 2 juin 2001, deux des auteurs sont revenues sur leurs aveux pendant l’audience, attestant qu’ils avaient été obtenus sous la contrainte. Elles ont également identifié les responsables des tortures. Ce n’est qu’en mai 2002 que le bureau du procureur a décidé d’ouvrir une enquête et de demander un examen médical. En conséquence, des poursuites ont été engagées contre huit membres des services de sécurité, qui étaient chargés de l’enquête, ainsi que contre un médecin et un interprète. En juin 2002, un médecin libyen nommé par le Procureur a examiné les auteurs et le coaccusé et a constaté que leur corps portait des marques qui, selon lui, étaient dues à des «contraintes physiques» ou à des «passages à tabac». Dans son jugement daté du 6 mai 2004, la cour d’appel de Benghazi a estimé qu’elle n’était pas compétente pour se prononcer sur la question car l’infraction n’avait pas été commise dans le territoire relevant de sa compétence mais sur le territoire relevant de la cour d’appel de Tripoli.

2.12Le 7 mai 2004, le Rapporteur spécial sur la question de la torture a adressé un appel urgent à l’État partie à propos du cas des auteurs et du coaccusé et a demandé des informations au sujet des allégations de torture et de procès inéquitable. Il a également demandé pourquoi les fonctionnaires tenus pour responsables des tortures alléguées n’avaient pas été poursuivis. En réponse, l’État partie a déclaré que le parquet général avait renvoyé le cas des policiers devant la cour d’appel de Tripoli, unique juridiction compétente pour connaître de cette affaire. Le 25 janvier 2005, le procès des policiers, d’un médecin et d’un interprète a débuté devant la cour d’appel de Tripoli. Lors des audiences, certains policiers ont reconnu avoir torturé certaines des auteurs et le coaccusé en vue de leur extorquer des aveux. La cour a écarté l’expertise médicale produite par la défense, qui n’avait pu être réalisée que trois ans après les faits incriminés, le médecin libyen commis comme expert ayant estimé qu’elle ne s’était pas déroulée dans le respect des protocoles, que les marques de torture étaient indécelables et qu’en toute hypothèse les tortures alléguées ne laissent plus de marques après deux à trois semaines. La cour de Tripoli a prononcé l’acquittement des suspects pour insuffisance de preuves le 7 juin 2005. Les auteurs et le coaccusé ont formé un appel que la Cour suprême libyenne a rejeté le 29 juin 2006. Le 10 août 2007, la presse internationale a rapporté que le fils du Président Muammar Kadhafi, Seif Al‑Islam, avait reconnu dans une interview sur la chaîne de télévision Al‑Jazeera que les auteurs et le coaccusé avaient été torturés et qu’on les avait menacés de s’en prendre à leur famille.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé les articles 2, 6, 7, 9, 10 (par. 1), 14 et 26 du Pacte.

3.2Les auteurs affirment que le verdict du 19 décembre 2006 les condamnant à la peine de mort et la confirmation de ce jugement par la Cour suprême le 11 juillet 2007 étaient le résultat d’un procès dont le caractère inéquitable et arbitraire était flagrant. La peine de mort ainsi prononcée viole le paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte. Un procès inéquitable assorti de nombreuses violations de l’article 14 du Pacte constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte. Le fait que la peine de mort a été commuée ensuite en emprisonnement à vie n’exonère pas l’État partie de son obligation en vertu de cette disposition. La peine de mort n’a été commuée en emprisonnement à vie qu’après qu’une somme d’argent importante a été proposée aux familles des enfants infectés et que l’Union européenne, la Bulgarie et d’autres États ont exercé de vives pressions.

3.3Les auteurs affirment qu’elles ont été soumises à la torture et droguées dans le but de leur extorquer des aveux en violation de l’article 7 du Pacte. Malgré l’existence d’éléments de preuves concordants et les témoignages accablants des officiers de sécurité ayant reconnu certains actes de torture, tous ceux qui ont comparu ont été acquittés, ce qui démontre qu’il ne s’agissait que d’un simulacre de procès. Les auteurs soulignent qu’elles ne peuvent être les seules à supporter la charge de la preuve. Les plaintes ont été formulées dès que possible, lorsque les auteurs ont enfin été présentées à un juge, après huit mois de détention au secret. À ce moment‑là, elles portaient des marques évidentes de torture, mais aucune mesure n’a été prise par le procureur ou par la Cour. Les auteurs affirment que les mauvais traitements qu’elles ont subis étaient si graves qu’ils doivent nécessairement être qualifiés de tortures, puisqu’ils ont été utilisés pour extorquer des aveux.

3.4Les auteurs affirment enfin que le traitement qu’elles ont subi pendant toute leur détention constitue également une violation de l’article 7. Elles relatent notamment que pendant les quatorze mois suivant leur arrestation, elles ont été détenues dans des locaux de la police et non dans une prison; que pendant les premiers jours, elles étaient emprisonnées avec 20 autres femmes dans une petite cellule sale et sans fenêtre. Kristiyana Valcheva a ensuite été détenue en isolement dans une cellule de 1,80 m sur 1,50 m, sans fenêtre, où il n’y avait presque pas d’air et de lumière, avec un matelas sale pour dormir. La cellule ne comportait aucune toilette ce qui l’obligeait à se soulager dans une brique de lait vide. Les autres auteurs ont été détenues dans des conditions similaires. Les auteurs n’ont pas pu prendre une douche pendant plusieurs mois; elles ne recevaient de l’eau que toutes les vingt-quatre heures et n’avaient accès à aucun journal ou livre. Snezhana Dimitrova a été contrainte de prier en arabe, de se convertir à l’islam et de renier sa religion chrétienne, notamment en enlevant la croix qu’elle avait autour du cou, en la piétinant et en crachant dessus. Les auteurs allèguent également qu’elles n’ont pu avoir accès à l’air libre ni pratiquer de l’exercice et qu’elles ont été privées de tout contact avec l’extérieur, y compris avec leur famille, et n’ont pu voir un médecin en privé.

3.5Les auteurs considèrent que leur arrestation et leur détention étaient arbitraires. En vertu de la loi libyenne, elles auraient dû être présentées au procureur dans les quarante‑huit heures suivant leur arrestation. Or cela n’a été fait que trois mois plus tard, le 16 mai 1999. Malgré cela, les autorités les ont gardées au secret jusqu’au 30 novembre 1999, date à laquelle leurs familles ont enfin été autorisées à les voir. À cet égard, l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 9. De plus, les auteurs n’auraient pas été informées rapidement des accusations retenues contre elles. Ce n’est que lorsqu’elles ont été présentées au procureur qu’elles en ont eu enfin connaissance, toujours en l’absence de conseil. Cela constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 9. Enfin, les auteurs n’ont pas été présentées rapidement à une «autorité judiciaire» car elles ont comparu devant un tribunal pour la première fois le 7 février 2000. Avant cela, elles n’avaient vu que le procureur, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 9.

3.6Les auteurs affirment que le traitement qu’elles ont subi après leur arrestation constitue également une violation de leurs droits en vertu de l’article 10. À cet effet, elles se réfèrent à leurs allégations au titre de l’article 7 du Pacte et ajoutent que, pendant leur détention, elles n’ont pu voir leurs enfants et d’autres membres de la famille que trois ou quatre fois sur une durée totale d’emprisonnement de huit ans.

3.7Les auteurs considèrent que l’État partie a violé leur droit à un procès équitable car elles n’auraient pas été informées des accusations portées contre elles pendant les trois premiers mois de leur détention. Elles n’ont pas eu accès à un interprète pendant l’intégralité du procès. Ce n’est que le 17 février 2000 qu’un avocat a été commis à leur défense, dix jours après le début du procès et une année entière après leur arrestation. Elles ont été contraintes de témoigner contre elles‑mêmes sous la torture; elles n’étaient pas assistées d’un avocat lorsqu’elles ont formulé des aveux devant le procureur; la Cour, sans fournir de raisons suffisantes, a écarté l’expertise du professeur Montagnier et du professeur Collizi, alors que tout indiquait que les résultats de celle‑ci lavaient de tout soupçon les auteurs et leur coaccusé; la deuxième perquisition au domicile de Mme Valcheva, au cours de laquelle la police a découvert «providentiellement» cinq flacons de plasma sanguin contaminé, a été effectuée sans la présence des auteurs ni d’un avocat de la défense; les incohérences liées à cette «découverte», le fait que l’accusation n’a jamais produit le procès‑verbal des perquisitions et, enfin, que la Cour elle‑même a confondu les conclusions d’une perquisition avec celles de l’autre prouvent que cette découverte était fabriquée de toutes pièces. Les auteurs allèguent que le procès a également connu des retards excessifs. D’après les auteurs, ces éléments constituent une violation de l’article 14 du Pacte.

3.8En cherchant à pratiquer une discrimination fondée sur la race, la couleur, la langue, la religion et la nationalité, l’État partie aurait violé les droits des auteurs protégés par les articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte. Avec l’intention d’ériger les étrangers en boucs émissaires, les autorités libyennes ont injustement arrêté et condamné les auteurs. Celles-ci ont été précisément arrêtées parce qu’elles étaient étrangères et différentes de la population libyenne quant à leur race, couleur, langue, religion et origine nationale, en violation des articles 2 et 26 du Pacte. Les auteurs dénoncent une politique discriminatoire d’arrestation à l’encontre du personnel médical étranger, qui s’est manifestée à plusieurs reprises avant leur propre arrestation et qui visait à utiliser les étrangers comme boucs émissaires. Elles indiquent également que tous les Libyens arrêtés dans cette affaire ont été libérés presque immédiatement ou bien sous caution et ont comparu libres au procès pour être ensuite acquittés.

3.9Concernant l’épuisement des recours internes, les auteurs notent que leurs allégations ont été portées à la connaissance des autorités. Cela concerne à la fois les allégations de torture, celles d’arrestation arbitraire et de procès inéquitable ainsi que les plaintes liées à leur traitement discriminatoire fondé sur la nationalité qui ont été soulevées en 2006.

3.10Compte tenu des violations subies, les auteurs demandent une réparation, y compris pécuniaire, pour préjudice physique et moral. Elles demandent également au Comité d’exhorter l’État partie à prendre des mesures en vue de s’acquitter de ses obligations en vertu du Pacte et du Protocole facultatif et pour éviter que des violations similaires ne se reproduisent à l’avenir.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note datée du 4 août 2009, l’État partie a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable sans fournir d’argument à l’appui de sa requête.

4.2Le 8 décembre 2009, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il fait observer que de longues procédures légales et judiciaires ont été engagées en vue d’établir la vérité dans cette affaire concernant plus de 450 enfants dont le droit fondamental à la vie a été violé. Pour l’État partie, les auteurs de la communication ont bénéficié de toutes les garanties d’une procédure régulière conformément aux normes internationales. Des organisations de la société civile libyenne, des organisations internationales de défense des droits de l’homme et des missions diplomatiques étrangères en Libye ont suivi tout le déroulement de la procédure.

4.3L’État partie rappelle que, le 30 septembre 1998, un ressortissant libyen, Mohammed Bashir Ben Ghazi, a porté plainte auprès du parquet général, affirmant que son fils, alors âgé de 14 mois, avait été infecté par le VIH lors d’un séjour à l’hôpital pour enfants Al‑Fatah de Benghazi. C’est en Égypte, où son fils avait été transféré pour y être soigné, qu’il avait appris la nouvelle. Le 12 octobre 1998, le parquet général, qui avait reçu d’autres plaintes, a ouvert une enquête. Il a recueilli 233 déclarations de parents d’enfants infectés et a notamment prononcé une injonction interdisant à tout étranger travaillant à l’hôpital de quitter le pays.

4.4Par la décision no 28/1209, le Secrétaire du Comité populaire général de la justice et de la sécurité publique a demandé l’ouverture d’une enquête sur la contamination par le VIH des enfants soignés à l’hôpital Al‑Fatah. La commission d’enquête était composée du directeur du Département général des enquêtes criminelles, de fonctionnaires enquêteurs de haut rang du Département et de médecins. Elle a commencé ses travaux le 9 décembre 1998 et a fini par identifier comme suspects les auteurs, un médecin palestinien et un médecin bulgare. La commission a achevé ses travaux le 15 mai 1999 et a adressé un rapport indiquant les éléments de preuve et le nom des suspects au parquet général, qui les a interrogés.

4.5Le 18 mai 1999, le parquet général a transmis le dossier au parquet populaire qui a poursuivi l’instruction. Le 17 février 1999, le Tribunal populaire s’est déclaré incompétent et a renvoyé l’affaire au parquet général. Lors du procès devant les juridictions ordinaires, les accusés ont allégué avoir été torturés par des officiers de police pendant l’enquête. Le juge de la chambre d’accusation a chargé un représentant du parquet général d’enquêter sur ces allégations. Les conclusions ont été communiquées à la chambre d’accusation, qui a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Benghazi le 4 juillet 2003. Celle‑ci lui a consacré plus de 20 audiences. Elle a condamné à mort les auteurs et le coaccusé le 6 mai 2004 et s’est déclarée incompétente territorialement pour connaître des accusations de torture portées contre les membres de la commission d’enquête.

4.6À compter du 13 juin 2002, le parquet général a recueilli les déclarations des défendeurs au sujet des tortures alléguées. Il a également entendu la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur la contamination des enfants par le VIH. La plainte pour torture a été renvoyée devant la cour d’appel de Tripoli. Celle‑ci a rendu son jugement le 7 juin 2005, acquittant les membres de la commission d’enquête. Les auteurs et le coaccusé ont fait appel de la condamnation à mort devant la Cour suprême, qui a rendu son arrêt le 25 décembre 2005. La Cour a annulé la condamnation à mort et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Benghazi pour qu’elle soit examinée par un autre collège de juges. Celle‑ci lui a consacré en tout 13 audiences. Le 19 décembre 2006, la cour a une nouvelle fois condamné à mort les auteurs et le coaccusé. Les défendeurs ont décidé de se pourvoir devant la Cour suprême, qui a rendu son arrêt le 11 juillet 2007.

4.7Les accusés ont bénéficié d’un procès équitable assorti de toutes les garanties légales. Ils ont pu exercer leur droit à la défense par l’intermédiaire d’un groupe d’avocats. Le procès a eu lieu en public et de nombreux représentants de la société civile, d’organisations de défense des droits de l’homme et de missions diplomatiques étrangères en Libye y ont assisté.

4.8Concernant les allégations de torture, l’État partie note que les auteurs ont comparu devant la commission d’enquête créée pour faire la lumière sur cette affaire le 11 avril 1999. Le médecin palestinien ainsi que deux des auteurs (Nasya Nenova et Kristiyana Valcheva) ont avoué avoir participé à la commission du crime avec les autres auteurs. Les accusés ont ensuite été déférés au Bureau du Procureur général, où ils ont été interrogés par un membre du parquet. Le médecin palestinien et une des auteurs, Nasya Nenova, ont fait des aveux détaillés sur leur participation à la commission du crime en association avec les autres infirmières bulgares. Ils n’ont rien dit au sujet de tortures que leur auraient infligées les membres de la commission d’enquête. Ils ont systématiquement avoué avoir participé au crime devant toutes les instances judiciaires auxquelles ils ont été présentés. Ce n’est qu’après que le Tribunal populaire s’est déclaré incompétent et que l’affaire a été renvoyée devant la chambre d’accusation du tribunal de première instance de Benghazi‑Sud, le 3 juin 2002, qu’ils ont dit au juge qu’ils avaient été torturés. Le juge a immédiatement chargé le parquet général d’enquêter sur ces allégations de torture. Le parquet général a ouvert une enquête et a recueilli les déclarations du médecin palestinien, des auteurs et des membres de la commission d’enquête. Il a également ordonné un examen médical. Bien qu’il soit convaincu que les allégations de torture étaient dénuées de fondement, il a inculpé les membres de la commission d’enquête. La Cour a examiné l’affaire et a rendu son verdict le 7 juin 2005, acquittant les membres de la commission d’enquête.

4.9L’État partie rappelle qu’en prison les personnes reconnues coupables ont reçu en tout 115 visites de membres d’organisations étrangères et de missions diplomatiques étrangères. Le Ministre de la justice a demandé que les membres de la famille des auteurs puissent leur rendre visite chaque dimanche, tout au long de leur détention. Un groupe d’avocats bulgares a été autorisé à participer à la défense des accusés.

4.10À propos du mémoire de défense produit devant la Cour suprême libyenne au moment de l’appel contre le verdict rendu par la cour d’appel de Benghazi le 19 décembre 2006, l’État partie fait remarquer que la Cour suprême a répondu à toutes les objections soulevées par les auteurs contre le jugement en question.

Commentaires des auteurs

5.1Dans une réponse datée du 12 février 2010, les auteurs avancent une nouvelle fois leurs arguments relatifs à la recevabilité de la communication, notamment à propos de l’épuisement des recours internes et du fondement de leurs allégations. Sur le fond, les auteurs notent que, dans ses observations, l’État partie se borne à réfuter les arguments développés dans la communication initiale mais ne soumet pas d’argument ou de preuve nouvelle. Les auteurs renvoient donc le Comité à la communication initiale.

5.2Sur la question de la discrimination, l’État partie avance que toutes les preuves tendaient à démontrer la culpabilité des auteurs. Ces dernières dénoncent une discrimination fondée sur la nationalité puisque, au contraire, il n’existait aucune preuve de leur culpabilité au moment de leur arrestation. Ceci est corroboré en particulier par le fait que, le 9 février 1999, les auteurs et 18 autres membres de l’équipe médicale internationale, tous Bulgares et travaillant dans différents hôpitaux de Benghazi, ont été arrêtés par la police libyenne. Sept jours plus tard, 17 d’entre eux ont été libérés. Les seules preuves contre les auteurs ont été obtenues après leur arrestation et consistaient en des aveux obtenus sous la contrainte ainsi qu’en la découverte «inopinée» de cinq flacons de sang infecté chez l’une d’elles.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Concernant le grief des auteurs qui affirment que la peine de mort a été prononcée à l’issue d’un procès inéquitable, en violation de l’article 6, le Comité relève que la condamnation n’a pas été maintenue. Compte tenu de la commutation de la peine de mort prononcée contre les auteurs, l’allégation de celles‑ci au titre de l’article 6 du Pacte ne repose plus sur aucune base factuelle. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication n’a pas été étayée et qu’elle est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité relève en outre que l’État partie a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable sans pour autant apporter d’argument à l’appui de cette requête. Le Comité considère cependant que rien ne s’oppose à la recevabilité de la communication au titre des articles 2, 7, 9, 10 (par. 1), 14 et 26 du Pacte en ce que toutes les allégations ont été suffisamment étayées.

6.5En conséquence, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au titre des articles 2, 7, 9, 10 (par. 1), 14 et 26 du Pacte.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité note l’allégation des auteurs qui affirment avoir été torturées et droguées dans le but d’obtenir des aveux et note que cette allégation a été corroborée durant le procès par des rapports médicaux et les dépositions de témoins, notamment les officiers de police en charge de l’investigation. Le Comité prend note des arguments des auteurs qui affirment que la charge de la preuve ne doit pas uniquement reposer sur elles; que les plaintes de torture ont été formulées dès que possible, lorsque les auteurs ont enfin été présentées à un juge, après un an de détention; qu’à ce moment‑là, elles portaient des marques évidentes de torture, mais qu’aucune mesure n’a été prise par le procureur ou par la Cour; et que l’enquête diligentée par la suite ne peut être considérée comme rapide et approfondie.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que certaines des auteurs ont systématiquement avoué avoir participé au crime devant toutes les instances judiciaires auxquelles elles ont été présentées; que c’est seulement le 3 juin 2002 qu’elles ont dit au juge qu’elles avaient été torturées; que le juge a immédiatement chargé le parquet général d’enquêter sur les allégations de torture des auteurs et de leur coaccusé; que le parquet général a ouvert une enquête et a recueilli les déclarations du médecin palestinien, des auteurs et des membres de la commission d’enquête; qu’il a également ordonné un examen médical; et que bien qu’il soit convaincu que les allégations de torture étaient dénuées de fondement, il a inculpé les membres de la commission d’enquête. Le Comité note l’information fournie par l’État partie selon laquelle la Cour a examiné l’affaire et a rendu son verdict le 7 juin 2005, acquittant les membres de la commission d’enquête.

7.4En outre, le Comité note que pendant les quatorze mois suivant leur arrestation, les auteurs auraient été détenues au secretdans des locaux de la police et non dans une prison; que pendant les premiers jours elles étaient emprisonnées avec 20 autres femmes dans une petite cellule sale et sans fenêtre; et qu’elles ont ensuite été détenues en isolement dans des conditions dégradantes contraires aux règles minima pour le traitement des détenus. Le Comité note également l’allégation des auteurs selon laquelle l’une d’elles aurait été contrainte à adopter une autre religion et renier la sienne. Le Comité note que ces allégations n’ont pas été réfutées par l’État partie.

7.5Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes. Le Comité rappelle en outre que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier les violations relatives à la prohibition de la torture, mais aussi d’engager des poursuites pénales contre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. S’agissant de la détention au secret, le Comité reconnaît le degré de souffrance causé par une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son Observation générale no 20 relative à l’article 7, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret.

7.6Au vu de ce qui précède, le Comité conclut que le traitement infligé aux auteurs est constitutif de torture et que les explications fournies par l’État partie, y compris la référence au verdict de la cour d’appel de Tripoli du 7 mai 2005, ne permettent pas de conclure qu’une enquête impartiale, rapide et approfondie a été menée, malgré des preuves incontestables de l’existence d’actes de torture telles que les rapports médicaux et les témoignages des auteurs présumés de tels actes. Compte tenu des informations mises à sa disposition, le Comité conclut que la torture infligée aux auteurs ainsi que l’absence d’enquête impartiale, rapide et approfondie sur de tels actes constituent une violation de l’article 7 lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

7.7Ayant abouti à une telle conclusion, le Comité décide de ne pas examiner les allégations des auteurs au titre de l’article 10 du Pacte.

7.8S’agissant de l’article 9, le Comité note qu’en violation de la loi libyenne, les auteurs n’auraient été présentées au procureur que trois mois après leur arrestation, le 16 mai 1999; qu’elles auraient été maintenues au secretjusqu’au 30 novembre 1999, date à laquelle leurs familles ont enfin été autorisées à les voir. Le Comité note l’allégation des auteurs selon laquelle elles n’ont pas été informées rapidement des accusations retenues contre elles; que ce n’est que lorsqu’elles ont été présentées au procureur qu’elles ont en eu enfin connaissance, toujours en l’absence de conseil; et qu’elles n’ont pas été présentées rapidement à une «autorité judiciaire» car elles ont comparu devant un tribunal pour la première fois le 7 février 2000. Le Comité note que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations. En l’absence d’explications pertinentes de l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article 9 du Pacte.

7.9Les auteurs allèguent également une violation de l’article 14 du Pacte. À cet égard, le Comité note qu’elles n’auraient pas été informées des accusations portées contre elles pendant les trois premiers mois de leur détention; qu’elles n’auraient pas eu accès à un interprète pendant l’intégralité du procès; que ce n’est que le 17 février 2000 qu’un avocat a été commis à leur défense, dix jours après le début du procès et une année entière après leur arrestation; qu’elles auraient été contraintes de témoigner contre elles‑mêmes sous la torture; et qu’elles n’auraient pas été assistées d’un avocat lorsqu’elles ont formulé des aveux devant le procureur. Le Comité note en outre que la Cour, sans fournir de raisons suffisantes, aurait écarté l’expertise du professeur Montagnier et du professeur Collizi; que la deuxième perquisition au domicile de Mme Valcheva, au cours de laquelle la police a découvert cinq flacons de plasma sanguin contaminé, aurait été effectuée sans la présence des auteurs ni d’un avocat de la défense; et que l’accusation n’aurait jamais produit le procès‑verbal des perquisitions. Le Comité note enfin l’allégation des auteurs selon laquelle le procès aurait subi des retards excessifs en violation de l’article 14 du Pacte. Il note l’argument de l’État partie qui fait valoir que les auteurs ont bénéficié d’un procès équitable assorti de toutes les garanties légales; qu’elles ont pu exercer leur droit à la défense par l’intermédiaire d’un groupe d’avocats; que le procès a eu lieu en public et en présence de nombreux représentants de la société civile, d’organisations de défense des droits de l’homme et de missions diplomatiques étrangères en Libye.

7.10Le Comité réaffirme son Observation générale no 32 sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il souligne qu’en termes généraux, outre les principes mentionnés dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14, les principes de l’égalité d’accès et de l’égalité de moyens («égalité des armes»), ce droit vise à garantir que les parties à la procédure ne fassent l’objet d’aucune discrimination. Compte tenu des informations fournies par l’État partie, le Comité considère donc qu’il y a eu accumulations de violations du droit à un procès équitable, notamment du droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même, du principe d’égalité des armes du fait d’un accès inégal aux preuves et aux contre-expertises et du droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense du fait de l’impossibilité de consulter un avocat avant le début du procès. Le Comité conclut que le procès et la condamnation des auteurs sont constitutifs d’une violation de l’article 14 du Pacte.

7.11Ayant abouti à une telle conclusion, le Comité décide de ne pas examiner les allégations des auteurs au titre des articles 2 et 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et des articles 9 et 14 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir aux auteurs un recours utile et notamment de mener une nouvelle enquête qui devra être approfondie et complète sur les allégations de torture, d’engager une procédure pénale appropriée contre les responsables du traitement qui a été infligé aux auteurs et de leur accorder une réparation appropriée, y compris sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent plus.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]