Nations Unies

CCPR/C/100/D/1581/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

29 octobre 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Centième session

11-29 octobre 2010

Constatations

Communication no 1581/2007

Présentée par:

Victor Drda (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

29 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 14 août 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

27 octobre 2010

Objet:

Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Question s de procédure:

Abus du droit de présenter une communication, irrecevabilité ratione temporis

Questions de fond:

Égalité devant la loi et égale protection de la loi sans discrimination aucune

Article du Pacte:

26

Article du Protocole facultatif:

3

Le 27 octobre 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte joint en annexe en tant que constatations concernant la communication no1581/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (centième session)

concernant la

Communication no 1581/2007 **

Présentée par:

Victor Drda (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

29 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réunile 27 octobre 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1581/2007 présentée au nom de Victor Drda en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, en date du 29 décembre 2006, est Victor Drda, de nationalité américaine (anciennement ressortissant tchécoslovaque), né en 1922, qui réside actuellement en République tchèque. Il se déclare victime de violation, par la République tchèque, des droits qui lui sont reconnus à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au motif qu’il a été contraint de céder ses biens à l’État tchécoslovaque. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En juin 1964, l’auteur a quitté la Tchécoslovaquie pour les États-Unis. Il a obtenu la nationalité américaine en 1970 et a perdu de ce fait sa nationalité tchécoslovaque. Il n’a jamais demandé à recouvrer celle-ci.

2.2L’auteur était propriétaire d’un immeuble d’appartements avec terrain à Prague-Vinohrady (parcelle no2913), ainsi que de plusieurs terrains (parcelles no1011/1-2 et no 1012) à Kunratice, une banlieue de Prague. Le 28 novembre 1961, il a été contraint de céder son immeuble à l’État. En vertu de la loi 119/1990 relative à la réhabilitation judiciaire, toutes les donations faites sous la contrainte sont considérées comme nulles et non avenues à compter de la date où elles ont été effectuées.

2.3Dans une décision rendue le 24 mars 1998, le tribunal régional de Prague a conclu que l’auteur n’avait pas démontré qu’il avait été contraint de faire don de son immeuble à l’État. En outre, il ne remplissait pas la condition de nationalité et ne pouvait donc pas présenter une demande au titre de la législation relative aux restitutions. Le tribunal a conclu également que la décision de l’auteur de céder l’immeuble à l’État n’a pas été motivée par des contraintes particulières.

2.4Dans une autre décision en date du 24 juin 1998, le même tribunal a rejeté la demande de restitution de l’auteur, au motif que celui-ci n’avait pas la nationalité tchèque et n’était donc pas une «personne pouvant prétendre à une restitution» au sens de la loi spéciale no87/1991. Le 10 novembre 2000, la Cour constitutionnelle a débouté l’auteur de sa plainte, affirmant qu’étant de nationalité américaine, il n’était pas en droit de présenter une demande au titre de la loi sur les restitutions.

2.5Quant aux terrains situés à Kunratice, la municipalité de Prague a fait savoir à l’auteur, le 7 janvier 1991, qu’ils avaient été nationalisés en 1966 en application du décret no5/1945 et du Règlement no85/1960.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que le refus de l’État partie de lui restituer ses biens constitue une discrimination fondée sur la nationalité, contraire à l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans une note en date du 4 février 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il précise les faits présentés par l’auteur et ajoute que celui-ci a été condamné le 16 mars 1965 par le tribunal de district no4 de Prague pour avoir quitté la République, ce qui était une infraction pénale. Le 13 août 1990, le tribunal de district a annulé, sur le fondement de la loi no119/1990 relative à la réhabilitation judiciaire, la décision du 16 mars 1965 prononcée contre l’auteur.

4.2Le 2 novembre 1994, l’auteur a engagé une action pour demander l’annulation de l’acte de donation de son immeuble d’appartements à Prague. À l’issue d’une audience tenue le 14 septembre 1995, le tribunal de district a conclu à la nullité de l’acte, reconnaissant que celui-ci avait été fait sous la contrainte et selon des conditions manifestement désavantageuses. À l’issue d’une audience tenue le 26 janvier 1996, le tribunal municipal de Prague a renvoyé l’affaire devant le tribunal de district en lui demandant de revoir ses conclusions sur les faits concernant la donation faite sous la contrainte. Le 11 mars 1997, après avoir procédé à plusieurs auditions de l’auteur et des témoins présentés par celui-ci, le tribunal de district a conclu que l’auteur n’avait pas subi la moindre contrainte lorsqu’il avait cédé son immeuble. Le 1er novembre 1997, le tribunal municipal a infirmé la décision du tribunal de district pour des motifs de forme et renvoyé l’affaire devant le tribunal de district.

4.3Dans sa décision du 24 mars 1998, le tribunal de district s’est référé à ses délibérations antérieures et a rejeté la demande de l’auteur. Le 8 mars 1999, le tribunal municipal a de nouveau infirmé cette décision de la juridiction inférieure pour des motifs de forme. À l’issue d’une audience tenue le 17 août 1999, le tribunal de district a rejeté la demande de l’auteur au motif que celui-ci ne remplissait pas la condition de nationalité prévue par la loi no87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. Le 24 février 2000, le tribunal municipal a confirmé la décision de la juridiction inférieure. Le 10 novembre 2000, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours formé par l’auteur, considérant qu’il était manifestement dénué de fondement.

4.4Au sujet des terrains situés à Kunratice, l’État partie renvoie aux avis rendus le 6 décembre 1990 et le 7 janvier 1991 par le Département financier, lequel a conclu que l’auteur était toujours le propriétaire de ces biens et qu’il devait faire valoir ses droits de propriété en justice.

4.5Le 19 mars et le 10 septembre 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté les requêtes de l’auteur, considérant qu’elles étaient manifestement dénuées de fondement. L’État partie fait observer qu’étant donné que l’auteur n’a pas mentionné ces requêtes, leur teneur n’est pas connue.

4.6L’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif qu’elle constitue un abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Il invoque la jurisprudence du Comité, en particulier les communications no 1452/2006 (Renatus J. Chytil c. République tchèque), no1434/2005 (Claude Fillacier c. France) et no787/1997 (Gobin c. Maurice), que le Comité a déclarées irrecevables parce qu’elles avaient été présentées avec un retard considérable après les faits constitutifs de la violation présumée du Pacte. L’État partie fait valoir que, en l’espèce, l’auteur a saisi le Comité le 29 décembre 2006, soit six ans après l’arrêt de la Cour constitutionnelle en date du 10 novembre 2000 et plus de quatre ans après la décision de la Cour européenne des droits de l’homme en date du 10 septembre 2002 − pour autant que celle-ci ait porté sur les mêmes questions que la présente communication −, et ce, sans donner d’explication raisonnable pour justifier ce retard.

4.7L’État partie affirme en outre que la communication est irrecevable ratione temporis, étant donné que l’auteur a fait don de ses biens à l’État en 1961, soit avant la ratification du Protocole facultatif par la République socialiste tchécoslovaque.

4.8L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité concernant l’article 26, dont il ressort qu’une différence de traitement fondée sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26 du Pacte. Il fait valoir que l’auteur n’a pas satisfait à la condition de nationalité exigée par la loi, et que, par conséquent, sa demande visant à obtenir la restitution de son immeuble n’était pas fondée au regard de la législation en vigueur. L’État partie renvoie en outre aux arguments qu’il a avancés dans des affaires précédentes similaires.

4.9Au sujet des terrains situés à Kunratice, l’État partie relève que l’auteur n’a donné aucune information sur le traitement judiciaire de ces biens ou une quelconque procédure les concernant, ce qui signifie que cette partie de la communication doit être considérée comme étant manifestement dénuée de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre en date du 29 juillet 2008, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il confirme les précisions factuelles données par celui‑ci. Il fait valoir que selon l’article III du Traité sur la naturalisation conclu le 16 juillet 1928 entre les États-Unis et la Tchécoslovaquie, tout ressortissant de l’un de ces deux pays qui a été naturalisé par l’autre perd la nationalité ainsi acquise s’il renouvelle sa résidence dans son pays d’origine sans avoir l’intention de retourner dans le pays qui l’a naturalisé. Cette intention est réputée ne pas exister dès lors que l’intéressé réside plus de deux ans dans son pays d’origine. L’auteur est rentré en Tchécoslovaquie en novembre 1989 et a résidé depuis sur le territoire de l’État partie.

5.2Au sujet du retard dans la présentation de sa communication, l’auteur explique qu’il n’avait pas connaissance de la jurisprudence du Comité, étant donné que l’État partie ne publie pas les décisions de cet organe. Il souligne qu’il a saisi le Comité dès qu’il a appris son existence. Il ajoute que sa plainte ne concerne pas la donation forcée de 1961, mais la partialité manifestée par les tribunaux de l’État partie dans les procédures de restitution de biens, qui sont d’après lui discriminatoires.

5.3L’auteur retire ses griefs concernant les terrains situés à Kunratice, et déclare qu’il les portera devant les tribunaux de l’État partie au moyen d’une nouvelle procédure.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie, qui affirme que la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du retard avec lequel elle a été soumise au Comité. L’État partie fait valoir que l’auteur a attendu plus de quatre ans après la décision d’irrecevabilité de la Cour européenne des droits de l’homme (et six ans après qu’il eût épuisé les recours internes). L’auteur justifie quant à lui ce retard par un manque d’information. Le Comité fait observer que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation des communications et que le simple fait d’avoir tardé à lui en adresser une ne constitue pas en soi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. Il renvoie à sa jurisprudence et conclut que, dans les circonstances de l’espèce, le fait d’avoir attendu six ans après l’épuisement des recours internes et plus de quatre ans après une décision rendue par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité a pris note également de l’argument de l’État partie, qui estime que le Comité est empêché ratione temporis d’examiner la violation alléguée. S’agissant des terrains situés à Kunratice, le Comité a pris note du fait que l’auteur a retiré sa plainte. Il relève que même si la donation de l’immeuble d’habitation a eu lieu en 1961 et donc avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour l’État partie, la nouvelle loi, qui exclut de la procédure de restitution les personnes qui n’ont pas la nationalité tchèque, produit des effets qui persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République tchèque, ce qui pourrait entraîner une discrimination contraire à l’article 26 du Pacte. Le Comité déclare par conséquent que la communication est recevable, en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 26.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’application, à l’auteur, de la loi no87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire a constitué une discrimination contraire à l’article 26 du Pacte. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de cet article.

7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans nombre d’affaires de restitution de biens en République tchèque, dans lesquelles il a conclu à une violation de l’article 26, considérant qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger des auteurs qu’ils obtiennent la nationalité tchèque à titre de condition pour obtenir la restitution de leurs biens ou, à défaut, une indemnisation appropriée. Étant donné que, à l’origine, le droit de propriété des auteurs sur les biens en question n’était pas fondé sur la nationalité, le Comité a estimé que la condition de nationalité était déraisonnable. Dans l’affaire Des Fours Walderode, il a fait observer en outre que l’établissement dans la loi d’un critère de nationalité en tant que condition nécessaire pour obtenir la restitution d’un bien confisqué par les autorités établissait une distinction arbitraire et par conséquent discriminatoire entre des individus qui étaient tous également victimes des confiscations antérieures, et constituait une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité estime que le précédent établi dans les affaires susmentionnées s’applique également à l’auteur de la présente communication, et conclut que le fait d’exiger de celui-ci qu’il remplisse la condition de nationalité prévue par la loi no87/1991 constitue une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation si son bien ne peut pas lui être rendu. Le Comité engage de nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]