Nations Unies

CCPR/C/102/D/1876/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. Générale*

27 septembre 2011

Original: français

Comité des droits de l’homme

102 èm e session

11 – 29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1876/2009

Présentée par:Ranjit Singh (representé par Christine Bustany, O’Melveny & Myers)

Au nom de:L’auteur

État partie:France

Date de la communication:15 décembre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 février 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:22 juillet 2011

Objet:Refus de renouveler la carte de résident en l’absence d’une photographie d’identité « tête nue »

Questions de procédure:Non-épuisement des voies de recours internes

Questions de fond:Liberté de religion, Non-discrimination, liberté de circulation

Article du Pacte:2, 12, 18 et 26

Article du Protocole facultatif:5 (2b)

Le 22 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1876/2009 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102ème session)

Concernant la

Communication No. 1876/2009**

Présentée par:Ranjit Singh (representé par Christine Bustany, O’Melveny & Myers)

Au nom de:L’auteur

État partie:France

Date de la communication:15 décembre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réunile 22 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1876/2009 présentée au nom de M. Ranjit Singh, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est M. Ranjit Singh, ressortissant indien d’origine sikhe avec un statut de réfugié en France depuis 1992. Il considère être la victime par l’Etat partie d’une violation des articles 2, 12, 18 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Maître Christine Bustany (O’Melveny & Myers).

1.2 Le 23 juillet 2010, le Président, agissant au nom du Comité, a décidé que la question de la recevabilité devait être examinée conjointement avec le fond.

Rappel des faits tels que présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un citoyen indien qui bénéficie d’un statut de réfugié et d’une carte de résident permanent en France depuis 1992. En 2002, la carte de résident permanent devait être renouvelée. Le 13 février 2002, l’auteur a déposé une demande de renouvellement de sa carte de résident et a produit deux photographies de lui-même portant le turban, comme il l’avait fait lors de sa demande précédente. Le Préfet de Paris l’a informé, le 22 février 2002, que les photographies produites étaient incompatibles avec les articles 7 et 8 du décret n°46-1574 du 30 juin 1946 réglementant les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France qui exige que les individus soient représentés de face et « tête nue ». Le 11 avril 2002, l’auteur a envoyé une lettre au Préfet de Paris demandant une exemption des dispositions du décret, ce qui a été refusé en mai 2002. Il a ensuite écrit au Ministre de l’Intérieur le 12 juillet 2002 pour demander à être autorisé à porter un turban sur ses photographies d’identité. Il n’a pas reçu de réponse.

2.2Le 20 juillet 2006, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours de l’auteur qui contestait le refus par les autorités de renouveler sa carte de résident. Le 24 mai 2007, la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté son appel. En août 2007, l’auteur s’est pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat, qui, le 23 avril 2009, a rejeté son pourvoi.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur explique que le port du turban est un devoir religieux et une partie intégrante du Sikhisme, la religion de l’auteur. Il est la manifestation extérieure du Sikhisme et intimement lié à la foi et l’identité personnelle. Le fait de retirer son turban peut être considéré comme un reniement de sa foi et une mauvaise utilisation du turban par des tiers est profondément insultant. Se montrer « tête nue » en public est un acte de profonde humiliation pour les Sikhs et une telle photographie d’identification entraînerait à chaque fois un sentiment de honte et d’avilissement. Ce n’est pas seulement que l’auteur doive apparaître tête nue au moment où la photographie est prise, mais l’Etat partie demande en substance que M. Singh s’humilie de manière répétée, à chaque fois qu’il lui est demandé de prouver son identité. Pour cette raison, l’auteur a refusé de se conformer à l’obligation de retirer son turban sur la photographie de sa carte de résident.

3.2L’auteur soumet que le décret n°46-1574 du 30 juin 1946 qui exige que toutes les photographies d’identité présentées pour la délivrance d’une carte de résident doivent représenter le demandeur de face, « tête nue » ne prend pas en considération le fait que les membres de la communauté Sikh sont tenus par leurs croyances religieuses de couvrir en permanence leur tête en public. Il se déclare la victime d’une discrimination indirecte par l’Etat partie en violation de l’article 18, paragraphe 2. Il explique que sans sa carte de résidence, il est considéré comme résidant illégalement sur le territoire français. Il a d’ailleurs de ce fait perdu l’accès au système public et gratuit de soins de santé.

3.3De surcroit, parce que le gouvernement français refuse de renouveler sa carte de résident, l’auteur n’a plus accès aux allocations de chômage, aux aides au logement et aux réductions dans les transports pour les personnes âgées. Pourtant, selon le droit français, la situation financière précaire de l’auteur lui donne le droit de recevoir des aides gouvernementales comme l’aide sociale au logement et les allocations de chômage. L’auteur a reçu de telles aides pour la dernière fois en mai 2005 avant qu’il n’en soit exclu suite à son refus de retirer son turban sur les photographies d’identité. Il soumet que retirer des prestations sociales dont bénéficient les autres personnes résidents en France dans des conditions financières similaires équivaut à une discrimination indirecte prohibée par l’article 18, paragraphe 2.

3.4L’auteur souligne que l’article 18, paragraphe 3 du Pacte admet des restrictions à la liberté de manifester sa religion uniquement dans la mesure où celles-ci sont prévues par la loi ou sont nécessaires pour atteindre un des buts visés au paragraphe 3 de l’article 18. Il explique que sa photographie d’identité « tête nue » mènera très probablement à des injonctions répétées de retirer le turban pour procéder à une meilleure comparaison avec la photographie. L’humiliation de l’auteur serait donc double : à chaque fois que les autorités exigent qu’il retire son turban pour une meilleure identification et à chaque fois que sa photographie « tête nue » est examinée par les autorités françaises. Cette humiliation répétée n’est pas proportionnée aux buts de l’identification. Il soumet qu’exiger d’être photographié « tête nue » n’est pas nécessaire pour la sécurité publique. L’Etat partie exige une photographie « tête nue » mais elle ne s’oppose pas à une barbe qui cache la moitié du visage. Sa première carte de résident portait une photographie le représentant avec un turban alors que le décret n°46-1574 du 30 juin 1946 exigeant une photographie « tête nue » était déjà en application. Il note également que d’autres pays européens ont délivré des cartes de résident portant des photographies de Sikhs coiffés d’un turban et qu’il est difficile de comprendre comment une personne coiffée d’un turban peut être considérée comme identifiable dans d’autres pays européens mais pas en France.

3.5Il soumet que l’explication des autorités selon laquelle le turban les empêcherait de distinguer les traits du visage rendant l’identification plus compliquée ne peut pas être maintenue étant donné qu’il est coiffé de son turban à tout moment. Il serait donc plus facilement identifiable sur une photographie le représentant portant un turban que sur une photographie le représentant tête nue. Il soumet que d’exiger de lui de retirer son turban sur les photographies d’identité est disproportionné aux buts de l’identification.

3.6Il soumet également qu’en refusant le renouvellement de sa carte de résident, l’Etat partie viole l’article 12 du Pacte relatif à la liberté de circulation. Sans le renouvellement de sa carte de résident, l’auteur ne peut pas obtenir de documents de transports valides et ne peut pas quitter la France.

3.7Il maintient, en outre, que l’obligation de figurer « tête nue » sur les photographies d’identité viole également l’article 26 du Pacte. Tel qu’appliqué par les autorités françaises, le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 ne le traite pas de la même manière que la majorité, dès lors que le port du turban est une partie intégrante de l’identité d’un Sikh. L’auteur est forcé de choisir entre son devoir religieux et l’accès au système public de santé, un choix que la majorité des citoyens français ne sont pas contraints à faire.

3.8Tout en tenant compte de la réserve de l’Etat partie par rapport à l’article 27 du Pacte, l’auteur soumet que sa communication constitue une opportunité pour le Comité d’exprimer ses préoccupations relatives au respect des droits des minorités en France et de reconnaître la communauté Sikh comme une minorité ethnique et religieuse.

Observations de l’Etat partie sur la recevabilité de la communication

4.1 Le 22 avril 2010, l’Etat partie a contesté la recevabilité de la communication. Il clarifie les faits tels que présentés par l’auteur et note qu’en 1992, l’auteur a reçu une carte de résident, valable pour une durée de dix ans, en application des dispositions en vigueur de l’article 15-10º de l’ordonnance nº 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Dans sa demande de renouvellement, l’auteur a refusé de présenter des photographies de face et « tête nue » exigées depuis 1994 par l’article 11-1 du décret nº 46-1574 du 30 juin 1946 réglementant les conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers. Le 12 juillet 2002, le ministre de l’intérieur a rejeté implicitement le recours de l’auteur. Le 24 mai 2007, la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté son appel statuant que les dispositions contestées ne seraient pas de nature à rendre plus difficile l’identification de l’auteur du seul fait qu’il serait coiffé d’un turban lors de contrôles et n’entraînerait pas nécessairement l’obligation d’ôter son turban lors de contrôles. L’Etat partie maintient que le caractère ponctuel de l’obligation de se découvrir afin de produire une photographie « tête nue » ne serait pas disproportionné à l’objectif de la sécurité publique et n’impliquerait pas une discrimination.

4.2L’Etat partie soumet que l’auteur a saisi le Comité avant que le Conseil d’Etat ait statué sur sa contestation le 23 avril 2009. Il maintient que devant le Conseil d’Etat, l’auteur n’a soulevé aucune violation des stipulations du Pacte, mais il a invoqué les articles 9 (liberté de religion) et 14 (non-discrimination) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il n’a pas pour autant saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), manifestement considérant que la jurisprudence de cette Cour ne lui était pas favorable. Le 13 novembre 2008, la CEDH avait déclaré manifestement mal fondée une requête déposée à la suite d’un arrêt du Conseil d’Etat tendant à faire constater une violation des articles 9 et 14 de la Convention. L’Etat partie argumente que le choix de l’auteur de soumettre sa requête uniquement devant le Comité serait motivé par son souhait d’obtenir une solution différente de celle retenue par la CEDH. L’Etat partie estime que l’auteur aurait dû soulever le Pacte devant le Conseil d’Etat, étant donné que la jurisprudence de la CEDH n’est pas transposable devant le Comité en raison d’une spécificité du Pacte.

4.3En ce qui concerne la prétendue violation de l’article 12 du Pacte, l’Etat partie soumet que l’auteur n’a jamais soulevé, ni au sens large ou précisément sur le fondement des stipulation du Pacte, devant les juridictions internes le grief relatif à la liberté de circulation. Par conséquent, ce grief ne saurait être recevable.

Observations de l’Etat partie sur le fond de la communication

5.1 Le 23 août 2010, l’Etat partie a soumis ses observations sur le fond. Il considère que la communication nº 931/2000, Hudoyberganova c. Ouzbékistan citée par l’auteur n’est pas comparable à sa situation. Contrairement au cas cité, aucune interdiction de porter un vêtement religieux n’a été opposé à l’auteur. Il a seulement été demandé de fournir des photographies d’identité « tête nue » pour l’établissement d’un titre de séjour et ceci n’impliquait qu’un retrait ponctuel d’un vêtement religieux, le temps de la réalisation des photographies. L’Etat partie rappelle la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui a maintenu que l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (liberté de pensée, de conscience et de religion) ne protège pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et il ne confère pas aux individus agissant d’une manière dictée par une conviction religieuse de se soustraire à des règles qui se sont révélées justifiées. Elle a, par exemple, considéré que ni l’obligation faite à une étudiante de confession musulmane de présenter une photographie d’identité « tête nue » aux fins de délivrance d’un diplôme universitaire, ni l’obligation faite à une personne de retirer son turban ou son voile lors de contrôles de sécurité aux aéroports ou dans une enceinte consulaire ne constituaient une atteinte à l’exercice du droit à la liberté de religion.

5.2L’Etat partie soumet que dans une affaire étroitement similaire à celle de l’auteur, dans laquelle le requérant estimait que l’obligation d’apparaître « tête nue » sur la photographie d’identité du permis de conduire constituerait une atteinte à sa vie privée et la liberté de religion et de conscience, la CEDH a rejeté la requête (no. 24479/07) comme « manifestement mal fondée », sans la communiquer au Gouvernement. La CEDH a admis que la photographie d’identité « tête nue » était nécessaire aux autorités chargées de la sécurité publique et de la protection de l’ordre public et les modalités de la mise en œuvre de contrôles entraient dans la marge d’appréciation de l’Etat. Elle a aussi maintenu que l’obligation de retirer son turban aux fins de contrôles ou pour faire établir le permis de conduire était une mesure ponctuelle.

5.3L’Etat partie se réfère au paragraphe 3, de l’article 18 du Pacte et l’observation générale nº 22 du Comité qui explicite les restrictions qu’un Etat peut apporter à la liberté de manifester sa religion. Il soumet que la mesure contestée était prévue par la loi, notamment l’article 11-1 du décret du 30 juin 1946, créé en 1994. L’obligation de fournir deux photographies d’identité « tête nue » répond au souci de limiter les risques de fraude ou de falsification des titres de séjour et ceci est justifié tant au regard de l’ordre et la sécurité publique. Il considère également que la réglementation permet d’éviter aux autorités administratives de se livrer à une appréciation difficile de la question de savoir si tel ou tel couvre-chef couvre plus ou moins le visage et rend plus ou moins aisée l’identification d’une certaine personne, assurant ainsi le sécurité et l’égalité devant la loi.

5.4Tout en admettant que l’obligation de produire des photographies d’identité « tête nue » puisse constituer pour certaines personnes une contrainte, l’Etat partie soumet que cette contrainte est limitée. Les personnes attachées au port du turban ne sont pas obligées d’y renoncer de manière définitive ni répétitive, mais de manière ponctuelle pour la prise d’une photographie. Il soumet également que les inconvénients découlant pour l’auteur doivent être mis en balance avec l’intérêt général qui s’attache à la lutte contre la falsification des titres de séjour. En outre, le fait que certains Etats aient adopté des mesures différentes dans ce domaine ne pourrait pas servir de justification, ni le fait que l’auteur ait été autorisé auparavant d’apparaître coiffé d’un turban sur son permis de séjour. En conclusion, l’Etat partie maintient que l’auteur n’a pas été la victime d’une violation de l’article 18 du Pacte dès lors que la législation interne est justifiée par la protection de la sécurité et de l’ordre public et que les moyens employés sont proportionnés aux buts visés.

5.5En ce qui concerne le grief tiré de la violation des articles 2 et 26 du Pacte, l’Etat partie rappelle l’observation générale nº 18 du Comité et soumet que l’auteur n’a subi aucune discrimination, puisque le décret du 30 juin 1946 s’applique à tous les demandeurs de cartes de résident sans aucune distinction. L’Etat partie souligne qu’au cas présent, il n’est pas justifié de dispenser certaines personnes, en raison de leurs opinions religieuses, de règles qui s’imposent à tous dans un but d’ordre et de sécurité publique, ni d’adopter des mesures en faveur de groupes désavantagés, visant à atténuer ou à supprimer les conditions qui font naître ou contribuent à perpétuer la discrimination. En ce qui concerne la plainte de l’auteur de la perte du droit à un certain nombre de prestations sociales, il précise que certaines prestations sont soumises à une condition de régularité du séjour, mais d’autres ne prévoient pas cette condition, par exemple l’aide médicale d’Etat, la prise en charge des soins urgents ou les prestations liées à un accident du travail ou une maladie professionnelle. En outre, l’Etat partie souligne que l’auteur lui-même est responsable de cette situation. Il estime, par conséquence, que l’auteur n’a pas été la victime d’une violation des articles 2 et 26 du Pacte.

5.6L’Etat partie soumet que le grief de l’auteur au titre de l’article 12 du Pacte ne soulève aucune question distincte de celles des autres griefs et les restrictions à la liberté de circulation pouvant résulter de la non-délivrance à l’auteur d’un titre de séjour résultent de son refus de respecter les règles générales de délivrances de tels titres. En conclusion, l’Etat partie soumet que le Comité devrait rejeter les griefs de l’auteur tirés des violations des articles 2, 12, 18 et 26 du Pacte comme étant mal fondés.

Les commentaires de l’auteur sur les observations de l’Etat partie sur la recevabilité et le fond de la communication

6.1En date du 3 janvier 2011, l’auteur argumente que le critère de l’épuisement des voies de recours internes en vertu de l’article 5, paragraphe 2 (b), du Protocol facultatif a été entièrement satisfait. Lors de sa soumission initiale en anglais le 15 décembre 2008, il a rappelé la jurisprudence du Comité, selon laquelle l’exigence d’épuiser tous les recours internes n’oblige pas nécessairement le requérant à obtenir une décision de la plus haute juridiction nationale. Cette exception s’applique si tous les recours ont déjà été épuisés par un autre requérant à propos du même sujet. En effet, le 15 décembre 2006, le Conseil d’Etat a rendu une décision appliquant une loi très proche à des circonstances quasi-identiques. Les autorités françaises avaient refusé le renouvellement d’un permis de conduire parce que sur les photographies d’identité produites le requérant était coiffé d’un turban Sikh. Le 26 janvier 2010, lors de la soumission des traductions en français de la plainte initiale, l’auteur a noté la décision négative du Conseil d’Etat datée du 14 avril 2009. En ce qui concerne les dispositions que l’auteur a invoqué devant les juridictions nationales, il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l’auteur doit invoquer devant les juridictions nationales les droits en substance et ne doit pas, pour des fins du Protocole facultatif, se référer à des articles du Pacte. L’auteur a invoqué devant le Conseil d’Etat des violations de sa liberté de religion et le principe de non-discrimination et sa plainte s’est fondée sur les mêmes faits que ceux soumises au Comité.

6.2En ce qui concerne son grief au titre de l’article 12 du Pacte, l’auteur rappelle la jurisprudence du Comité qui stipule que les recours qui n’ont manifestement aucune chance d’aboutir ne doivent pas être épuisés en vertu de l’article 5, paragraphe 2 (b) du Protocole facultatif. Il soumet que le résultat de la décision du Conseil d’Etat n’aurait pas été différent s’il avait soulevé le grief d’une violation de la liberté de circulation, car celle-ci est étroitement liée à la violation de sa liberté de religion.

6.3Sur le fond, l’auteur soutient que l’Etat partie n’a pas démontré, dans les circonstances du cas d’espèce, le but légitime du décret n°46-1574 du 30 juin 1946 et la nécessité et proportionnalité de la restriction de sa liberté de religion en vertu de l’article 18 du Pacte. L’Etat partie prétend que l’obligation d’apparaître « tête nue » sur une photographie d’identification servait à limiter les risques de fraude ou de falsification des titres de séjour, pourtant il n’apporte aucun argument sur la nécessité de la mesure pour atteindre ce but. L’auteur réitère que l’obligation d’apparaître « tête nue » sur une photographie d’identification est arbitraire et s’applique aussi à des situations dans lesquelles le couvre-chef n’est pas un obstacle à l’identification. L’auteur maintient que le turban qui est porté à tout moment ne gêne aucunement l’identification de son porteur, contrairement à l’identification des personnes qui changent radicalement leurs apparences en coupant, poussant dramatiquement ou coloriant leurs cheveux ou barbes, en portant une perruque, en devenant chauve ou en portant du maquillage épais.

6.4En 1992, l’auteur a été autorisé à porter son turban sur sa photographie d’identification de son premier titre de résident, même si le décret nº 46-1574 du 30 juin 1946 qui exige une photographie « tête nue » était déjà en vigueur. Pendant les dix ans de la validité de sa carte de résident, il n’a pas eu de problèmes d’identification. Par ailleurs, la majorité des pays européens qui sont confrontés aux mêmes soucis de fraude et sécurité publique, permettent le port d’un couvre-chef religieux sur des documents d’identité. En ce qui concerne l’argument de l’Etat partie que la réglementation permet d’éviter aux autorités administratives de se livrer à une appréciation difficile de la question de savoir si tel ou tel couvre-chef couvre plus ou moins le visage et rend plus ou moins aisée l’identification d’une certaine personne, l’auteur soumet que l’Etat partie pourrait facilement établir des lignes directrices pour l’administration permettant d’identifier si un couvre-chef couvre également le visage ou non.

6.5L’auteur soutient que même si la réglementation était considérée légitime, elle serait tout de même disproportionnée à l’objectif qui l’a inspiré. L’auteur réitère son attachement profond au port du turban de par sa religion et il rejette l’argument de l’Etat partie que la restriction ne serait que ponctuelle. Il souligne qu’une photographie sur laquelle il apparaît sans le turban est permanente et constitue un affront contre sa religion et identité ethnique. Il soumet également que la photographie « tête nue » entraînera en toute probabilité des demandes répétées par les autorités d’ôter son turban pour mieux l’identifier et même si cela ne serait pas le cas, il se sentirait humilié et trahi dans sa foi à chaque fois que les autorités examinerait sa carte de résident le montrant sur une photographie « tête nue ». Il souligne également que l’Etat partie n’a pas établi qu’une réglementation qui interdit tout couvre-chef pour tous est la mesure la moins restrictive permettant d’atteindre le but visé. Il maintient qu’il est la victime d’une violation continue de ses droits en vertu du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte.

6.6L’auteur réitère également que son cas est comparable à celui de Hudoyberganova c. Ouzbékistan, car l’interdiction totale d’apparaître sur la photographie d’identité avec un couvre-chef, y compris les couvre-chefs religieux est une interdiction de porter un vêtement à connotation religieuse. Par ailleurs, similaire au cas de Hudoyberganova c. Ouzbékistan, la France n’a pas invoqué de raison particulière montrant que la restriction imposée à l’auteur serait nécessaire au sens du paragraphe 3 de l’article18. En ce qui concerne la jurisprudence de la CEDH citée par l’Etat partie, l’auteur souligne que celle-ci ne peut pas être comparée à la jurisprudence du Comité, en particulier au regard du concept de la marge d’appréciation que la CEDH accorde à ses Etats membres. Il soutient également que la jurisprudence citée ne pourrait pas s’appliquer à sa situation, car les buts invoqués pour les restrictions de la liberté de religion ne sont pas en jeu dans le cas en l’espèce. Dans le cas Leyla Sahin c. Turquie, la CEDH était concernée par les principes de sécularisme, endoctrinassions religieuses et égalité des genres ; dans le cas Phull c. France, il s’agissait d’assurer la sécurité des passagers aériens. En ce qui concerne le cas cité de Shingara Mann Singh c. France, la CEDH avait accepté que la réglementation qui demande à un Sikh d’apparaître « tête nue » sur une photographie d’identification pour un permis de conduire soit une ingérence à sa liberté de religion. Tout en notant que la CEDH avait rejeté cette plainte, l’auteur soutient qu’elle se distingue de son cas qui concerne une photographie d’identification pour une carte de résident. Par ailleurs, la CEDH n’avait pas examiné cette affaire dans sa substance.

6.7L’auteur réitère qu’il est la victime d’une discrimination indirecte en vertu de l’article 2 et 26 du Pacte, car le décret nº 46-1574 du 30 juin 1946 qui se veut neutre, constitue un affront à la minorité Sikh en France. La majorité en France est chrétien et n’est pas tenue par leur religion de se vêtir d’un article religieux et n’est donc pas touchée par la réglementation en question. Dès lors que l’auteur a établi prima facie une discrimination, l’Etat partie est tenu d’établir que l’impacte n’est pas discriminatoire ou que la discrimination est justifiée. Néanmoins, l’Etat partie s’est contenté d’argumenter que la réglementation n’a pas de but discriminatoire et n’est pas appliquée de manière discriminatoire, ce qui n’est pas déterminant pour une discrimination indirecte. L’auteur souligne qu’une vraie égalité de traitement ne se fait pas en appliquant une réglementation à tout le monde, mais en l’appliquant à des situations similaires et en traitant différemment les situations différentes. L’auteur soutient également que les effets de la discrimination continuent à l’affecter et qu’il est faux de dire qu’il a eu accès à un traitement médical, à l’exception des traitements d’urgence. L’auteur maintient également que ses observations sur la nécessité et proportionnalité qu’il a soumises au titre de son grief tiré de la violation de l’article 18, s’appliquent également à sa plainte en vertu de l’article 2 et 26 du Pacte.

6.8En ce qui concerne son grief au titre de l’article 12 du Pacte, l’auteur réitère que la liberté de circulation ne peut qu’être l’objet de restrictions si celles-ci sont nécessaires pour protéger la sécurité nationale et toute restriction doit constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d'obtenir le résultat recherché. Il répète ses commentaires par rapport à la nécessité et proportionnalité et maintient qu’il est victime d’une violation de l’article 12 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, le Comité note les arguments de l’Etat partie soutenant que lors de la saisine du Comité, le Conseil d’Etat n’avait pas encore statué sur la plainte de l’auteur et qu’il n’aurait pas invoqué devant le Conseil d’Etat les stipulations du Pacte, mais qu’il se serait basé sur les articles 9 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le Comité renvoie à sa pratique et rappelle que dans les cas litigieux il cherche à déterminer si les recours ont été épuisés au moment où il examine la communication. Or, le 23 avril 2009, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur.

7.4Le Comité rappelle également qu’aux fins du Protocole facultatif un auteur n’est pas tenu de soulever les articles spécifiques du Pacte devant les juridictions internes, mais il est tenu d’invoquer en substance les droits protégés par le Pacte. Le Comité note que l’auteur a soulevé devant les juridictions internes des violations du droit à la liberté de religion et du principe de non-discrimination, qui sont protégés par les articles 18, 2 et 26 du Pacte. Le Comité n’est donc pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication quant au fond.

7.5En ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’article 12 du Pacte, le Comité observe que devant les juridictions internes, l’auteur n’a pas invoqué une atteinte à sa liberté de circulation, protégée par l’article 12 du Pacte. Par conséquent, le Comité estime que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées en ce qui concerne la prétendue violation de l’article 12 du Pacte et déclare donc cette partie de la communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Le Comité note d’abord l’allégation de l’auteur qui affirme que l’exigence de présenter une photographie d’identité « tête nue » pour la carte de résident viole son droit à la liberté de religion en vertu de l’article 18 du Pacte et ne serait ni nécessaire pour la sécurité et l’ordre publique, ni proportionnée aux buts de l’identification. Il note également l’affirmation de l’auteur selon laquelle, du fait de l’absence d’une carte de résident, il a perdu l’accès au système publique de santé et aux prestations sociales. Il prend note de ce que l’Etat partie estime que le caractère ponctuel de l’obligation d’ôter son turban afin de produire une photographie d’identification « tête nue » est proportionné à l’objectif de la sécurité et de l’ordre publique et répond au souci de limiter les risques de fraude ou de falsification des titres de séjour.

8.3Le Comité rappelle son observation générale nº 22 sur l’article 18 du Pacte et considère que la liberté de manifester sa religion englobe le port de vêtements ou de couvre-chefs distinctifs. Il n’est pas contesté que la religion sikhe impose à ses membres le port du turban en public. Le turban serait considéré comme étant un devoir religieux, mais également lié à l’identité personnelle. Le Comité considère donc que le port du turban est un acte qui est motivé par la religion de l’auteur et que l’article 11-1 du décret nº 46-1574 du 30 juin 1946 (tel que modifié en 1994) réglementant les conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers, qui exige d’apparaître « tête nue » sur les photographies d’identité de la carte de résident, est constitutif d’une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté de religion.

8.4Le Comité doit donc déterminer si la restriction à la liberté de l’auteur de manifester sa religion ou sa conviction (article 18, paragraphe 1) est autorisée par le paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Il note qu’il n’est pas contesté que l’obligation d’apparaître « tête nue » sur la photographie d’identité soit prévue par la loi et qu’elle poursuit le but de la protection de la sécurité et de l’ordre publique. Il incombe donc au Comité d’évaluer si la restriction est nécessaire et proportionnelle au but visé. Le Comité reconnaît la nécessité de l’Etat partie de s’assurer et de contrôler à des fins de sécurité et d’ordre publique que la personne apparaissant sur la photographie d’identité d’une carte de résident est en effet le détendeur du document. Le Comité observe toutefois que l’Etat partie n’a pas expliqué pourquoi le port d’un turban sikh couvrant la partie supérieure de la tête et une partie du front laissant le reste du visage clairement visible rendrait l’identification de l’auteur, moins aisée que s’il apparaissait « tête nue », ceci alors qu’il porte son turban à tout moment. Par ailleurs, l’Etat partie n’a pas expliqué dans des termes spécifiques comment une photographie d’identité « tête nue » servirait à combattre les risques de falsification et de fraude de titres de séjour. Le Comité considère, par conséquent, que l’Etat partie n’a pas démontré que la restriction imposée à l’auteur serait nécessaire au sens du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Il observe également que même si l’obligation d’ôter son turban pour prendre une photographie d’identité peut être qualifiée comme une mesure ponctuelle, elle entraînera une ingérence potentielle à la liberté de religion de l’auteur qui apparaîtrait sans son couvre-chef religieux porté en permanence sur une photographie d’identité et donc pourrait être contraint à ôter son turban lors des contrôles d’identification. Il conclut donc que la réglementation exigeant d’apparaître « tête nue » sur les photographies d’identité de la carte de résident est une restriction portant atteinte à la liberté de religion de l’auteur et constitue en l’espèce une violation de l’article 18 du Pacte.

8.5Ayant constaté une violation de l’article 18 du Pacte, le Comité n’examinera pas le grief tiré de la violation distincte du principe de non-discrimination garanti par l’article 26 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l’article 18 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, incluant un réexamen de sa demande de renouvellement de sa carte de résident et la révision du cadre normatif pertinent et son application dans la pratique en prenant compte de ses obligations en vertu du Pacte. L’État partie est, en outre, tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Fabián Salvioli

1.Je souscris à la décision du Comité des droits de l’homme qui a conclu à une violation de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans l’affaire Ranjit Singh c. France (communication no 1876/2009). Le Comité a correctement établi que les faits constituaient une violation du droit à la liberté de religion au détriment de l’auteur de la communication.

2.Toutefois, pour les raisons exposées ci-après, je considère que le Comité aurait dû conclure que dans cette affaire l’État est responsable également d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte et indiquer dans la partie consacrée au recours utile que l’État devrait modifier sa législation afin de la rendre compatible avec le Pacte.

Violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte et nécessité pour le Comitéde demander une réparation plus précise

3.Depuis que je suis membre du Comité, je maintiens que dans une communication émanant d’un particulier, il est possible d’examiner une éventuelle violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte conformément aux normes actuelles concernant la responsabilité internationale de l’État en matière de droits de l’homme; je n’ai pas de raison de m’écarter de l’argumentation exposée aux paragraphes 6 à 11 de l’opinion individuelle que j’avais formulée pour la communication no 1406/2005 au sujet de la responsabilité internationale engagée pour des actes normatifs, de la faculté qu’a le Comité d’appliquer le paragraphe 2 de l’article 2 dans le contexte de communications émanant de particuliers, des critères d’interprétation qui doivent guider le Comité pour apprécier s’il s’est produit des violations et constater ces violations et, enfin, au sujet des conséquences pour ce qui est de la réparation demandée: je renvoie donc à cette argumentation.

4.Les États parties ne peuvent pas adopter de mesures qui portent atteinte aux droits et libertés reconnus dans le Pacte; cela implique à mon avis une violation en soi des obligations énoncées au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

5.De plus, dans l’affaire à l’examen, toute possibilité d’actio popularis est écartée vu qu’il s’agit de l’application concrète, au détriment de M. Ranjit Singh, d’un texte législatif (décret no 46-1574 du 30 juin 1946), qui régit les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

6.Les dispositions de ce décret exigent que sur les photographies les individus apparaissent de face et tête nue; cette obligation ne figurait pas dans le texte initial et a été ajoutée en 1994 par la modification de l’article 11-1 du décret no 46/1574, comme l’État partie le reconnaît expressément (voir par. 4.1 des constatations du Comité).

7.En 1994, quand le décret no 46/1574 a été modifié, le Pacte et le Protocole facultatif étaient depuis longtemps en vigueur pour la France.

8.Cette nouvelle disposition en elle‑même, et indépendamment de son application, constitue une atteinte au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte étant donné que la France n’a pas pris les mesures d’ordre législatif voulues pour donner effet au droit consacré par l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur a invoqué expressément une violation de l’article 2 du Pacte et dans la décision concernant l’affaire le Comité a gardé le silence au sujet de l’allégation de violation de cet article.

9.La constatation d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 dans un cas précis a des incidences concrètes sur le plan de la réparation, en particulier en ce qui concerne les mesures demandées pour que des faits analogues ne se reproduisent pas; dans l’affaire à l’examen, il existe précisément une victime de l’application d’une disposition législative incompatible avec le Pacte, ce qui écarte toute interprétation concernant une position in abstracto de la part du Comité des droits de l’homme.

10.Au paragraphe 10 de la constatation, le Comité demande à l’État partie de réviser «le cadre normatif pertinent et son application dans la pratique en tenant compte de ses obligations en vertu du Pacte», ce qui représente un progrès par rapport à la jurisprudence précédente mais n’est pas encore suffisant. Que se passerait-il si l’État «réexaminait» la disposition en cause mais concluait qu’il n’y a pas lieu de la modifier? Une disposition que le Comité considère comme incompatible avec le Pacte serait toujours en vigueur.

11.Habituellement le Comité conclut ses constatations en indiquant que l’État partie a l’obligation de veiller «à ce que des faits analogues ne se reproduisent pas à l’avenir»; il est indispensable à ce stade du développement des travaux du Comité d’indiquer plus précisément et non pas de façon aussi générique les mesures qui doivent être prises effectivement pour éviter que des faits comme ceux qui ont constitué la violation ne se reproduisent; cela aidera les États à s’acquitter dûment des obligations qu’ils ont librement contractées en adhérant au Pacte et au Protocole.

12.Dans la présente affaire, il n’y a pas d’option: la disposition est incompatible en soi avec le Pacte et par conséquent le Comité aurait dû indiquer que pour garantir que des faits analogues ne se reproduisent pas, l’État partie doit modifier le décret no 46/1574 du 30 juin 1946 et supprimer l’obligation de se faire photographier «la tête nue». Cela n’empêche en aucun cas l’État partie de prendre les mesures voulues pour identifier correctement les individus, à condition que ces mesures soient raisonnables au sens du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte.

[Signé]Fabián Salvioli

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]