Nations Unies

CCPR/C/100/D/1760/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.: Restreinte* F

29 octobre 2010

Original: français

Comité des droits de l’homme

Centième session

11 - 29 octobre 2010

Constatations

Communication no 1760/2008

Présentée par:Jean-Pierre Cochet (représenté par Antoine Garnon)

Au nom de:L’auteur

État partie:France

Date de la communication:4 décembre 2007 (date de la lettre initiale)

Références:Décision du Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 février 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:21 octobre 2010

Objet: Rétroactivité d’une loi sur l’existence d’une infraction, de son contrôle et des peines encourues.

Questions de fond: Principe de rétroactivité de la loi pénale la plus douce

Question de procédure: Aucune

Article du Pacte: 15

Article du Protocole facultatif: Aucun

Le 21 octobre 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1760/2008 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civilset politiques (centième session)

concernant la

Communication no 1760/2008F**F

Présentée par:Jean-Pierre Cochet (représenté par Antoine Garnon)

Au nom de:L’auteur

État partie:France

Date de la communication:4 décembre 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 octobre 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1760/2008 présentée au nom de M. Jean-Pierre Cochet en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur est M. Jean-Pierre Cochet, né le 22 mai 1948 à Saint-Hilaire-le-Petit en France. Il soutient qu’il a été victime d’une violation par la France de l’article 15 du Pacte. L’auteur est représenté par Maître Antoine Garnon. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la France respectivement le 4 février 1980 et le 17 février 1984.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Entre novembre 1987 et mars 1988, la Coopérative Agricole de l’Arrondissement de Reims (CAAR, devenue la société COHESIS), dont l’auteur était le directeur, a importé des Pays Bas et de Grande Bretagne plus d’un million de kilos de pois protéagineux. Ces pois ont été déclarés comme relevant de la position tarifaire « autres que ceux destinés à l’ensemencement », catégorie bénéficiant d’aides communautaires. Les importations ont été effectuées par l’intermédiaire de trois commissaires en douane, dont la société DALSACE FRERES, représentée par Eric Dalsace. Considérant que les pois importés par la société CAAR étaient en réalité destinés à l’ensemencement, catégorie qui ne bénéficiait pas de l’aide communautaire, l’administration des douanes a engagé des poursuites à l’encontre de l’auteur et d’Eric Dalsace pour fausses déclarations d’espèce ayant pour but ou pour effet d’obtenir un avantage quelconque attaché à l’importation. L’auteur a en outre été poursuivi pour fausse déclaration d’origine, l’administration des douanes estimant qu’une partie des pois provenait de Hongrie et non des Pays-Bas. La CAAR, devenue la coopérative COHESIS et la société DALSACE FRERES ont été attraites en qualité de civilement responsables.

2.2 Aux termes d’un jugement du 6 février 1996, le Tribunal Correctionnel de Reims, faisant application de la loi pénale la plus douce, a conclu à la nullité de la procédure engagée par l’administration des douanes. Sur appel de cette dernière, la Cour d’Appel de Reims a débouté l’administration des douanes de l’ensemble de ses demandes le 5 mai 1999. La Cour d’Appel a en effet considéré que les infractions poursuivies avaient été abrogées par la loi No92-677 du 17 juillet 1992, faisant application de la directive européenne No91-680, qui dispose que le Code des Douanes ne trouve plus à s’appliquer à l’entrée des marchandises communautaires. La Cour d’Appel a ajouté que l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 qui prévoit que la loi ne fait pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures, n’est applicable que lorsque les poursuites étaient en cours à la date d’entrée en vigueur de ladite loi. Or, en l’espèce, les poursuites n’ont été engagées que le 1er août 1994, soit 18 mois après l’entrée en vigueur de la loi. L’arrêt de la Cour d’Appel a été cassé le 18 octobre 2000 par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation. Celle-ci a considéré que selon l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992, la suppression des taxations et contrôles douaniers, décidée à compter du 1er janvier 1993, ne fait pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant l’entrée en vigueur de ladite loi, sur le fondement des dispositions législatives antérieures ; et que la date d’engagement de ces poursuites est sans incidence sur l’application de la loi du 17 juillet 1992.

2.3 L’affaire a été renvoyée devant la Cour d’Appel de Paris qui, par arrêt du 14 novembre 2001, a jugé les prévenus, dont l’auteur, coupables des faits reprochés, et les a condamnés, solidairement avec les sociétés civilement responsables à payer une amende de près de 2 millions de francs français à l’administration des douanes ainsi qu’une somme de près de 2 millions de francs français pour tenir lieu de confiscation. Cet arrêt a été cassé par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation le 5 février 2003 aux motifs que les prévenus n’avaient pas eu la parole en dernier. Devant la Cour d’Appel de Paris, désignée comme juridiction de renvoi, la société COHESIS et l’auteur ont expressément invoqué le moyen tiré de la disparition de l’incrimination pénale et invoqué l’article 15 du Pacte. Par arrêt du 6 juillet 2006, la Cour d’Appel a estimé que l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 n’étaient pas contraires aux dispositions de l’article 15 du Pacte et a déclaré les prévenus, dont l’auteur, coupables des faits reprochés et les a condamnés, solidairement avec les sociétés responsables, à une amende de près de 300 000 euros et une somme de près de 300 000 euros pour tenir lieu de confiscation.

2.4 Par arrêt du 19 septembre 2007, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, considérant notamment que la loi du 17 juillet 1992 n’a eu d’incidence que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l’octroi de l’aide aux pois protéagineux et de leur origine et non sur l’existence de l’infraction ou la gravité des sanctions, a rejeté les pourvois, fondés également sur les dispositions de l’article 15 du Pacte.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur considère que l’Etat partie a violé l’article 15 du Pacte en interprétant à mauvais escient la loi du 17 juillet 1992 sur la fin de l’application du Code des Douanes à l’intérieur du territoire communautaire. L’auteur rappelle que le principe de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce prévoit que sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis et que peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennesF F. L’auteur cite aussi l’article 112-4 du Code pénal français qui prévoit que l’application immédiate de la loi nouvelle est sans effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne. Toutefois la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus de caractère d’une infraction pénale.

3.2 L’auteur réfute l’argument invoqué par la Cour de Cassation selon lequel, en l’espèce, la modification apportée par la loi du 17 juillet 1992 n’a eu d’incidence que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l’octroi de l’aide aux pois protéagineux et de leur origine, et non sur l’existence de l’infraction ou la gravité des sanctions. Selon l’auteur, cette argumentation est erronée puisque l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 a fait disparaître l’incrimination pénale dès lors que le Code des Douanes ne trouve plus application à l’intérieur du territoire communautaire. L’auteur interprète l’article 15, paragraphe 1 comme visant non seulement le principe de rétroactivité de la peine la plus légère mais aussi, par extension, celui de la loi abrogeant une incrimination puisqu’une telle loi supprime toute peine.

3.3 En ne faisant pas application de la loi pénale la plus douce, l’auteur considère que l’Etat a méconnu le principe de primauté du droit international sur le droit interne. Il se réfère à une jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) qui a consacré le principe de rétroactivité de la peine la plus légère qui doit être appliqué par le droit national mettant en œuvre le droit communautaireF F. La Cour a jugé ultérieurement que le même principe doit être appliqué par les juridictions nationales lorsqu’elles ont à appliquer des sanctions prévues par la réglementation communautaire elle-mêmeF F. La CJCE a énoncé ce principe à l’occasion d’une affaire dans laquelle la modification ne concernait pas seulement les peines mais également les conditions d’engagement des poursuites. L’auteur insiste sur le fait que la Cour de Cassation a constamment considéré que le principe de la peine la plus légère ne s’appliquait qu’aux peines et non aux incriminationsF F.

3.4 L’auteur rappelle que la loi du 17 juillet 1992 met en œuvre la directive communautaire sur la suppression du contrôle aux frontières. Cette directive prévoit expressément que dès le 1er janvier 1993 sont abolis les contrôles à des fins fiscales aux frontières intérieures pour toutes opérations effectuées par les Etats membres. La loi du 17 juillet 1992 aurait donc eu une incidence sur l’existence de l’infraction puisqu’elle a entraîné la disparition de l’élément légal telle que prévue par la directive communautaire et non simplement la disparition des modalités de contrôle du respect des conditions de l’octroi de l’aide aux pois comme le soutient la Cour de Cassation.

Observations de l’État partie

4.1 Après avoir déclaré par lettre du 28 avril 2008 qu’il ne contestait pas la recevabilité de la requête, l’Etat partie a soumis ses observations sur le fond le 27 août 2008. Il rappelle les faits de l’affaire et précise que les actes reprochés à l’auteur constituaient un délit d’importation sans déclaration de marchandises prohibées et une contravention douanière de 1ère classe, infractions prévues et réprimées par le code des douanes, le code de procédure pénale et des règlements du Conseil et de la Commission européenne. Après avoir rappelé la législation pertinente en la matière et la valeur constitutionnelle du principe de rétroactivité de la loi pénale la plus douce, l’Etat partie soutient que l’article 15, paragraphe 1 du Pacte prévoit inter alia que si, postérieurement à l’infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier.

4.2 L’Etat partie soutient que contrairement à ce que laisse entendre l’auteur dans sa communication, la présente affaire ne concerne pas l’interprétation par la Cour de Cassation du principe de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce au regard notamment, de l’article 15, paragraphe 1 du Pacte, mais l’interprétation de la portée de la loi du 17 juillet 1992 dans les circonstances de l’espèce, compte tenu des infractions douanières commises par l’auteur. Le désaccord existant entre l’auteur et l’Etat partie porte en réalité sur le fait de savoir si l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 doit être regardé comme ayant abrogé l’incrimination pénale dont il a été fait application par les juridictions internes. De la réponse à cette question dépend l’applicabilité de l’article 15. L’Etat partie rappelle ainsi que la Cour de Cassation a écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 15 du Pacte non en se fondant sur la jurisprudence contestée par l’auteur, mais parce qu’en l’espèce la modification apportée par la loi du 17 juillet 1992 n’a eu d’incidence que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l’octroi de l’aide aux pois protéagineux et de leur origine et non sur l’existence de l’infraction ou la gravité des sanctions.

4.3 L’argumentation tendant à démontrer que la jurisprudence de la Cour de Cassation mentionnée par l’auteur est contraire à l’article 15 du Pacte ne saurait être opérante puisqu’il n’en a pas été fait application au cas particulier. L’Etat partie rappelle la jurisprudence du Comité qui a considéré qu’il ne lui appartenait pas de déterminer dans l’abstrait si telle disposition d’une loi nationale était ou non compatible avec le Pacte mais seulement si le Pacte avait ou non été violé dans le cas particulier qui lui était soumisF F. S’agissant du rapport préalable à l’arrêt de la Cour de Cassation qui a été déposé le 9 mai 2007, il proposait clairement la solution adoptée par la Cour de Cassation dans son arrêt du 19 septembre 2007. Ce dernier posait donc la question à laquelle l’instance judiciaire devait répondre à savoir que dans le cas où la chambre criminelle de la Cour de Cassation estimerait que le principe énoncé tant par l’article 15 du Pacte que par la Cour de justice ne concerne pas seulement les hypothèses dans lesquelles la sanction est plus légère mais également celles dans lesquelles l’incrimination a disparu, elle devra se demander si cette dernière hypothèse est celle de la présente affaire. L’Etat partie constate qu’avant la loi du 17 juillet 1992, le code des douanes permettait le contrôle des marchandises importées par l’auteur à savoir des pois se présentant dans des emballages neufs de 12,5 kg. Avec la loi du 17 juillet 1992, ce contrôle était supprimé. La question est donc de déterminer si le principe de rétroactivité de la loi pénale la plus douce s’applique à des dispositions qui régissent les contrôles et non la substance des infractions. Ainsi, l’arrêt de la Cour de Cassation du 19 septembre 2007 n’a pas considéré que l’article 15 du Pacte ne s’appliquait qu’aux peines mais s’est fondé sur le fait que la modification apportée par la loi du 17 juillet 1992 portait, en l’espèce, uniquement sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l’octroi de l’aide aux pois protéagineux et de leur origine et n’avait pas d’incidence sur l’existence de l’infraction ou la gravité des sanctions.

4.4 A titre subsidiaire, l’Etat partie précise que la Cour de Cassation applique dans toute sa rigueur le principe de la loi pénale la plus douce y compris à la loi économique ou fiscale, ce qui conduit à abandonner toute sanction lorsque la règlementation violée a été abrogée, suspendue ou modifiée. Le principe est néanmoins appliqué sauf dispositions contraires expresses. L’Etat partie souligne qu’une mesure telle que prévue par l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 ne constitue pas une dérogation au principe de rétroactivité de la loi pénale la plus douce mais une modalité d’application d’une règlementation transitoire ou conjoncturelle. Elle est motivée par la volonté de préserver le caractère dissuasif et efficient de la sanction pénale en une matière où les dispositions normatives sont contingentes et temporaires. Même la doctrine critiquant la jurisprudence de la Cour de Cassation sur ce point reconnait que l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 était utile, voire nécessaire. Prévenus depuis novembre 1991 de la suppression des frontières le 1er janvier 1993, les fraudeurs pouvaient escompter plus d’une année de trafics aussi rémunérateurs que prévisiblement impunissables en application du principe de rétroactivité de la loi pénale la plus douce. Il est dès lors compréhensible que quitte à se mettre en délicatesse avec le Conseil constitutionnel ou le Pacte, le législateur ait voulu empêcher ce calcul trop facile. L’Etat partie soutient aussi que toute la doctrine n’est pas critique de la position de la Cour de Cassation puisque certains reconnaissent qu’il est important de s’en tenir à une interprétation littérale de l’article 15 du Pacte qui ne concerne proprement que les peines et ne vise pas les incriminations ou les lois extra-pénales qui définissent uniquement des concepts servant de support à la loi pénale.

Commentaires de l’auteur

5.1 Le 22 septembre 2008, l’auteur, par le biais de son Conseil, a rejeté les arguments de l’Etat partie. Il se penche tout d’abord sur le texte de la citation initiale devant le Tribunal Correctionnel qui lui a été délivrée le 11 août 1994. Aux termes de cette citation, lui était reproché le délit d’importation sans déclaration de marchandises prohibées et la contravention douanière de 1ère classe, prévue et punie par les articles 410, 426-4, 435, 414, 399, 382, 404 à 407 du Code des Douanes. Il résulte de l’article 2bis du Code des Douanes, tel que découlant des articles 111 et 121 de la loi du 17 juillet 1992, que ce code ne s’applique pas à l’entrée sur le territoire douanier de marchandises communautaires. Or seuls les articles précités qui détaillent les peines encourues sont visés dans la citation du 11 août 1994. Ces différentes dispositions n’étant plus applicables à compter du 1er janvier 1993, l’auteur en conclut que l’arrêt de la Cour de Cassation a interprété de manière erronée l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 en concluant qu’il ne portait que sur les modalités de contrôle et non sur les sanctions, alors qu’il est indéniable que l’élément légal de l’infraction a disparu. L’auteur ajoute que si l’article 110 portait effectivement sur les modalités de contrôle des infractions, les articles 111 et 121 de la même loi prévoient la disparition de l’élément légal de l’infraction. Dans ces conditions, aucune condamnation ne pouvait être prononcée.

5.2 Après s’être penché une nouvelle fois sur les contradictions de la jurisprudence de la Cour de Cassation, l’auteur insiste sur le fait que la matière douanière est une matière pénale comme en témoigne la saisine des juridictions pénales dans cette affaire et que par conséquent, le principe de rétroactivité de la loi pénale la plus douce s’applique à la présente affaire. L’auteur note que l’Etat partie a reconnu lui-même que l’interprétation de l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 par la Cour de Cassation était contraire au Pacte puisqu’il a précisé qu’il était compréhensible que quitte à se mettre en délicatesse avec le Conseil constitutionnel ou le Pacte, le législateur ait voulu empêcher ce calcul trop facile. Pour l’auteur, cet argument met pleinement en lumière la reconnaissance de la violation de l’article 15 du Pacte par l’Etat partie. Il rappelle que le préjudice jusqu’alors subi est grand puisque ses comptes bancaires sont bloqués par le Direction des Douanes.

5.3 En date du 3 octobre 2008, l’auteur revient sur les arguments développés par la Cour de Cassation dans son arrêt du 19 septembre 2007 où elle a déclaré que la directive européenne CEE 91/680 a prescrit la suppression des contrôles douaniers et c’est dans le but de mettre en œuvre cette directive que l’article 111 de la loi du 17 juillet 1992 dispose que les dispositions du Code des Douanes ne trouvent plus à s’appliquer à l’entrée des marchandises communautaires. Par cette constatation, la Cour de Cassation a bien lié intimement contrôles et existence de l’infraction, celle-ci ayant disparu puisque les articles du Code des Douanes relatifs à l’infraction ont cessé de s’appliquer. L’auteur considère donc que la Cour de Cassation a tenté un subterfuge pour ne pas avoir à contredire sa précédente décision du 18 octobre 2000 sur la même affaire. Depuis longtemps, elle a proclamé qu’une loi plus douce rétroagit, sauf lorsqu’elle contient une disposition expresse écartant cette rétroactivité mais cette entorse au principe constitutionnel n’était pas grave en pratique, puisqu’avant la loi du 17 juillet 1992, aucune loi plus douce n’avait jamais exclu son application rétroactive. La loi du 17 juillet 1992 ayant décidé le contraire, la Cour de Cassation a préféré dans son arrêt du 19 septembre 2007 ne pas heurter de front le principe de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce tout en le méconnaissant : elle y est parvenue en soutenant que cette loi ne concerne que les modalités de contrôle, non l’infraction elle-même.

5.4 L’auteur cite enfin l’allusion faite par le rapporteur de l’affaire Cochet à l’arrêt Berlusconi rendu le 3 mai 2005 par la CJCE où le principe de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce a été rappelé. L’auteur note cependant que la rédaction de l’arrêt Berlusconi démontre que ce que la CJCE appelle le principe de l’application de la peine plus légère englobe non seulement l’hypothèse d’une loi qui allège une peine mais aussi celle d’une loi qui supprime une incrimination. En effet, d’une part l’arrêt énonce que l’article 2 du Code pénal italien édicte le principe de l’application rétroactive de la peine la plus légère alors qu’en réalité il fait rétroagir une loi dont les dispositions sont plus favorables au coupable ; d’autre part, cet arrêt évoque le principe de l’application de la peine la plus légère de manière générale, alors pourtant que les questions préjudicielles concernaient en partie des dispositions italiennes qui supprimaient dans certains cas des incriminations. Si donc la CJCE emploie l’expression de peine plus légère pour viser de manière générale la loi la plus douce tant au point de vue du montant de la peine que du point de vue d’un rétrécissement voire d’une suppression de l’incrimination, la formulation de l’article 15 du Pacte ne devrait pas non plus être entendue au sens strict de la loi qui diminue une peine. L’auteur insiste donc sur le fait que le principe de rétroactivité de la loi pénale la plus douce doit s’appliquer a fortiori au cas où une loi ne se borne pas à alléger la peine, mais supprime l’incrimination.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Sur l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que, selon les informations fournies par l’auteur, tous les recours internes disponibles ont été épuisés. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont été remplies.

6.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, et procède par conséquent à l’examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2S’agissant du grief tiré de l’article 15, paragraphe 1 du Pacte, le Comité note que selon la citation à prévenu fournie par l’auteur, les faits commis entre novembre 1987 et mars 1988 étaient constitutifs d’un délit d’importation sans déclaration de marchandises prohibées et d’une contravention douanière de 1ère classe, prévus et punis par les articles 410, 426-4, 435, 414, 399, 382, 404 à 407 du Code des Douanes, 750 du Code de procédure pénale et les règlements CEE No 1431/82 et 2036/82 du Conseil et 3540/85 de la Commission. Le Comité note, comme l’a soulevé l’auteur, que ces dispositions ne trouvent plus à s’appliquer depuis le 1er janvier 1993, soit la date d’entrée en vigueur du régime prévu par la loi du 17 juillet 1992. Il note en outre que les poursuites pénales contre l’auteur sur la base de ces infractions ont été engagées 18 mois après l’entrée en vigueur de ce régime, soit le 1er août 1994. Le Comité constate que ces données ne sont pas contestées par l’Etat partie. Il s’agit donc bien ici de la disparition d’une infraction et de ses peines puisque les actes reprochés par l’Etat partie ne constituent plus des actes délictueux depuis le 1er janvier 1993. La loi du 17 juillet 1992 vise donc bien un régime portant sur des infractions et les peines s’y rattachant et non sur de simples procédures de contrôle telles que l’a affirmé l’Etat partie.

7.3 S’agissant du champ d’application de l’article 15, paragraphe 1 du Pacte, le Comité considère qu’il ne saurait être interprété de manière restrictive ; que si cette disposition vise le principe de rétroactivité d’une loi prévoyant une peine plus légère, elle doit être entendue comme visant a fortiori une loi prévoyant une suppression de peine pour un acte qui ne constitue plus une infraction. Il convient en outre de citer l’article 112-4 du Code pénal français qui prévoit que la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus de caractère d’une infraction pénale.

7.4 Le Comité en conclut que le principe de rétroactivité de la peine la plus légère, à savoir en l’espèce, l’absence de toute peine, trouve à s’appliquer en l’espèce ; que par conséquent l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 viole le principe de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce de l’article 15 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l’article 15, paragraphe 1 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, y compris une indemnisation appropriée. L’État partie est, en outre, tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]