Nations Unies

CCPR/C/103/D/1547/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

21 novembre 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

103 e session

17 octobre-4 novembre 2011

Point 9 de l’ordre du jour

Examen des communications présentées en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte

Communication no 1547/2007

Constatations adoptées par le Comité le 27 octobre 2011, 103e session

Présentée par:

Munarbek Torobekov (représenté par un conseil, Nurbek Toktakunov)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kirghizistan

Date de la communication:

12 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 6 mars 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

27 octobre 2011

Objet:

Non-présentation à un juge, dans les meilleurs délais, d’une personne détenue du chef d’une infraction pénale; procédure judiciaire entachée de violations des garanties d’un procès équitable

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Arrestation et détention arbitraires; droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge; droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial; droit d’être présumé innocent; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense; droit d’être jugé sans retard excessif; droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat; droit d’obtenir la comparution et l’interrogatoire de témoins; immixtion arbitraire dans le domicile

Articles du Pacte:

9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2, 3 b), c), d) et e)) et 17 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

2

Le 27 octobre 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 1547/2007.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (103e session)

concernant la

Communication no 1547/2007 **

Présentée par:

Munarbek Torobekov (représenté par un conseil, Nurbek Toktakunov)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kirghizistan

Date de la communication:

12 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 octobre 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1547/2007 présentée au nom de Munarbek Torobekov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Munarbek Torobekov, de nationalité kirghize, né en 1966. Il se dit victime de violations par le Kirghizistan des droits consacrés aux paragraphes 1 et 3 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, aux paragraphes 1, 2, 3 b), c), d) et e) de l’article 14 et au paragraphe 1 de l’article 17. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995. L’auteur est représenté par un conseil, Nurbek Toktakunov.

Exposé des faits

2.1L’auteur raconte que le 25 avril 2003 au matin, plusieurs policiers de la brigade criminelle du Département des affaires intérieures du district de Pervomaï (Département du district) conduits par Zh. O. ont pénétré dans son appartement à Bichkek. Il apparaît que dès qu’il a ouvert la porte, le policier lui a parlé d’un poste de télévision et l’auteur a immédiatement montré un carton à l’entrée contenant le téléviseur. Alors que l’auteur tentait de les empêcher d’entrer, Zh. O. lui a montré sa carte de police et l’a averti qu’en cas de résistance la police utiliserait la force. L’auteur ayant demandé à voir le mandat de perquisition, Zh. O. lui a répondu qu’il n’y avait pas besoin de mandat. Zh. O. a saisi le poste de télévision et dressé un procès-verbal de la découverte et de la saisie de l’objet. Le numéro de série du poste de télévision n’a pas été inscrit sur le procès-verbal bien que l’auteur l’ait demandé. L’auteur n’a pas reçu de copie du procès-verbal.

2.2Le même jour, l’auteur, sa petite amie et une de ses connaissances, T. B., ont été conduits au Département du district, où ils ont été interrogés. Ensuite, l’enquêtrice du Département du district, Mme T. I., a ouvert une action pénale en vertu du paragraphe 3 de l’article 167 du Code pénal (Vol qualifié); l’auteur et T. B. ont été arrêtés et interrogés en tant que suspects en l’absence d’un avocat. L’auteur a affirmé que le poste de télévision lui avait été donné par A. R. en guise de réparation parce que ce dernier avait frappé la petite amie de l’auteur et que celle-ci avait besoin d’argent pour se faire soigner. L’auteur déclare qu’ils n’ont pas été informés de leurs droits en tant que suspects avant d’être interrogés. Or, il est indiqué dans le procès-verbal de l’arrestation, daté du 25 avril 2003, qui porte la signature de l’auteur, que celui-ci a pris connaissance de ce document et qu’il a été informé des droits et devoirs énoncés à l’article 40 du Code de procédure pénale.

2.3Plus tard dans la journée, A. R. et sa mère, Mme T. R., ont été interrogés par l’enquêtrice en tant que victimes. Ils ont déclaré que le 25 avril 2003, vers 3 heures du matin, l’auteur s’était emparé de leur poste de télévision par la force. Ils ont refusé en revanche de se soumettre à l’examen médico-légal qui était nécessaire pour corroborer cette affirmation. L’auteur relève que le procès-verbal de l’interrogatoire ne contient pas de description du poste de télévision en question, ni d’indication du numéro de série. Le même jour, l’enquêtrice a ordonné à A. R. et à Mme T. R. de se soumettre à un examen médico-légal, sans toutefois autoriser l’auteur et T. B. à prendre connaissance des ordres correspondants. Lorsque l’avocat engagé par l’auteur à titre privé, qui représentait également T. B., est arrivé au Département du district, l’enquêtrice a invoqué sa charge de travail pour fixer l’interrogatoire au lendemain, 26 avril 2003, bien qu’elle ait déjà interrogé l’auteur et T. B. en l’absence de leur avocat.

2.4Le 26 avril 2003, l’enquêtrice a reporté l’interrogatoire au 28 avril 2003, prétendument au motif que les suspects n’avaient pas été transférés depuis le centre de détention temporaire (IVS). Le même jour, le conseil a tenté de rendre visite à ses clients au centre de détention temporaire, mais il s’est vu refuser l’accès, en vertu de l’article 17 de la loi relative à la procédure et aux conditions de détention des suspects et des inculpés, qui prévoit que l’administration, les dirigeants et le personnel des établissements de détention ne peuvent permettre à un avocat à s’entretenir avec un suspect ou un inculpé que sur présentation d’une autorisation écrite du procureur ou de l’enquêteur. Selon l’auteur, son avocat n’avait pas pu obtenir cette autorisation parce que le bureau d’enregistrement du Département du district, dont le tampon devait figurer sur les autorisations pour qu’elles aient valeur officielle, était fermé le samedi.

2.5Le 28 avril 2003, l’avocat de l’auteur a été hospitalisé. Il en a informé l’enquêtrice chargée de l’affaire et lui a demandé de désigner un autre avocat pour défendre ses clients, conformément aux dispositions de l’article 46 du Code de procédure pénale. Le même jour, l’enquêtrice a restitué le poste de télévision à Mme T. R., sans consigner le numéro de série dans le rapport d’enquête. Plus tard dans la journée, l’auteur et T. B. ont été inculpés de vol avec préméditation et utilisation ou menace de la force non létale et violation de domicile. Par la suite, l’auteur et T. B. ont été interrogés par l’enquêtrice en qualité d’inculpés, en l’absence d’un avocat. Le 28 avril 2003, le procureur du district de Pervomaï a autorisé leur placement en détention provisoire. D’après la décision du procureur du district de Pervomaï, le placement en détention provisoire était nécessaire parce que de l’auteur avait déjà été condamné et qu’il risquait de se soustraire à la justice s’il était remis en liberté.

2.6Le 4 mai 2003, c’est-à-dire neuf jours après les événements et huit jours après qu’un examen médico-légal eut été ordonné, A. R. et Mme T. R. ont été examinés par un médecin légiste. Le 13 mai 2003, l’enquêtrice a organisé une confrontation entre l’auteur et Mme T. R., en l’absence d’un avocat. Le 19 mai 2003, le médecin légiste a conclu que A. R. et sa mère présentaient de légères blessures, comme des hématomes et des égratignures. L’auteur affirme que ni lui ni son coïnculpé n’ont été informés des conclusions de l’examen médico-légal.

2.7Le 28 mai 2003, l’avocat de l’auteur (qui avait entre-temps quitté l’hôpital) s’est plaint auprès de l’enquêtrice de ce qu’aucun autre avocat n’ait été désigné pour défendre ses clients. Le 28 mai 2003, l’enquêtrice chargée de l’affaire, Mme T. I., a démissionné et, le 11 juin 2003, un autre enquêteur a été chargé de l’affaire. Le 18 juin 2003, l’avocat de l’auteur a demandé au nouvel enquêteur, M. N., d’interroger ses clients en sa présence et d’organiser une confrontation entre A. R. et ses clients. Le 21 juin 2003, l’enquêteur a rejeté la demande de confrontation, arguant qu’il n’avait pas réussi à trouver la trace des victimes.

2.8Il ressort de la décision de l’enquêteur datée du 21 juin 2003 que le 28 avril 2003, jour prévu pour l’interrogatoire de ses clients, l’avocat ne s’était pas présenté, sans pour autant informer l’enquêtrice, Mme T. I., des raisons de son absence. Aucun avocat d’office n’étant disponible, l’enquêtrice n’avait pas pu commettre un nouvel avocat à l’auteur et à T. B. À une date qui n’est pas précisée, le nouvel enquêteur, M. N., a interrogé la première enquêtrice, Mme T. I., qui a affirmé que le 25 avril 2003, l’avocat de l’auteur et de T. B. avait donné à ses clients l’instruction de déposer en son absence, disant qu’il signerait les procès-verbaux d’interrogatoire plus tard. Le 28 avril 2003, vers 16 heures, l’avocat avait téléphoné à l’enquêtrice pour lui faire savoir qu’il ne pourrait pas représenter ses clients parce qu’il devait être hospitalisé et qu’il enverrait un autre avocat pour le remplacer. Or le nouvel avocat ne s’était pas présenté, et aucun avocat d’office n’était disponible. Dans ces conditions, l’enquêtrice n’avait pas eu d’autre choix que de procéder aux actes d’enquête en l’absence d’un avocat.

2.9Le 21 juin 2003, l’auteur et son coïnculpé ont été interrogés par le nouvel enquêteur en présence de leur avocat et ont été informés des conclusions de l’examen médico-légal effectué sur A. R et sa mère.

2.10L’enquête a pris fin le 24 juin 2003. L’avocat de l’auteur a examiné les pièces du dossier et a demandé à l’enquêteur de classer l’affaire au motif que le poste de télévision avait été saisi illégalement au cours d’une perquisition non autorisée au domicile de l’auteur et que par conséquent les preuves matérielles recueillies n’avaient aucune valeur probante. Il a estimé de même que les conclusions de l’expertise médico-légale n’avaient aucune valeur probante car les règles de procédure n’avaient pas été respectées. En outre, ses clients n’avaient pris connaissance des conclusions de l’expertise que le 21 juin 2003 alors qu’elles avaient été consignées le 19 mai 2003.

2.11Le 25 juin 2003, l’enquêteur a rejeté la demande de l’avocat de l’auteur datée du 24 juin 2003. Dans sa décision, l’enquêteur fait référence à l’article 8 de la loi relative aux actes d’enquête et de perquisition qui permet aux agents chargés de l’enquête d’«inspecter» le domicile des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction, à la recherche d’indices. Cette loi, qui est fondée sur la Constitution, ne porte pas atteinte au droit à l’inviolabilité du domicile. Selon ce qui est indiqué dans la décision, les agents chargés de l’enquête avaient pénétré dans l’appartement de l’auteur avec la permission de ses occupants et n’avaient pas utilisé la force ni aucune autre forme de violence au cours de «l’inspection» des lieux.

2.12À une date qui n’est pas précisée, l’affaire a été transmise au tribunal du district de Pervomaï à Bichkek. Le 14 octobre 2003, avant le début du procès, l’avocat de l’auteur a demandé au tribunal de reconnaître que les preuves essentielles n’avaient aucune valeur probante car elles avaient été recueillies illégalement. Le 14 octobre 2003, le tribunal du district de Pervomaï a rejeté cette demande sans préciser les motifs de sa décision. Le même jour, il a interrogé l’auteur et son coïnculpé, qui ont affirmé que A. R. et Mme T. R. leur avaient donné leur poste de télévision de leur plein gré en guise de réparation parce que A. R. avait frappé la petite amie de l’auteur. L’auteur a ajouté qu’il n’avait jamais donné aux policiers la permission de pénétrer dans son appartement et que ces derniers ne lui avaient jamais présenté de document les autorisant à pénétrer chez lui. Toujours le même jour, Mme T. R. a déclaré à l’audience que son fils était parti en Russie et qu’il n’avait pas l’intention de se présenter devant le tribunal pour témoigner.

2.13Le 14 octobre 2003, le tribunal du district de Pervomaï a renvoyé l’affaire devant le procureur du district de Pervomaï en lui demandant d’apporter «des preuves supplémentaires de la culpabilité des défendeurs» et «de faire en sorte que A. R. comparaisse devant le tribunal». L’avocat de l’auteur a demandé la remise en liberté de ses clients. Le tribunal a refusé de modifier la mesure de contrainte décidée à l’égard de l’auteur et de T. B. considérant que leur maintien en détention était nécessaire parce qu’ils avaient déjà été condamnés et qu’ils auraient pu se soustraire à la justice s’ils avaient été libérés. En outre, ils avaient été inculpés d’une infraction particulièrement grave et, conformément au paragraphe 2 de l’article 110 du Code de procédure pénale, «la détention provisoire [pouvait] être appliquée à des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction particulièrement grave au seul motif de la gravité de l’acte».

2.14Le 25 décembre 2003, le procès de l’auteur et de T. B. a repris devant le tribunal du district de Pervomaï, mais A. R. ne s’est pas présenté à l’audience. L’avocat de l’auteur a une nouvelle fois demandé la libération de ses clients mais sa requête a de nouveau été rejetée pour les mêmes motifs. Le tribunal du district de Pervomaï a décidé de renvoyer l’audience en raison de l’absence de A. R. Le 5 janvier 2004, A. R. était encore une fois absent à l’audience. Le même jour, le juge du tribunal du district de Pervomaï a ordonné au procureur du district de Pervomaï de veiller à ce que A. R. comparaisse devant le tribunal avant le 9 janvier 2004, déclarant qu’«il était impossible de statuer sur le fond de l’affaire sans avoir entendu le témoignage de la victime».

2.15Le 9 janvier 2004, l’accusation n’étant toujours pas parvenue à faire en sorte que A. R. soit présent à l’audience, le tribunal a décidé d’examiner l’affaire en son absence. Le policier qui avait saisi le poste de télévision le 25 avril 2003, Zh. O., a été interrogé par la cour et a affirmé que, même si la perquisition au domicile de l’auteur n’avait pas été autorisée, l’auteur lui avait permis spontanément d’entrer dans son appartement. Le procureur a alors demandé au tribunal du district de Pervomaï de passer outre aux débats et a proposé de lire la déclaration faite par les victimes présumées pendant l’enquête préliminaire. L’avocat de l’auteur dit qu’il «a dû accepter» que le procès se poursuive en l’absence de la victime pour éviter que la détention avant jugement de son client se prolonge indéfiniment. Le tribunal a ensuite lu la déposition faite par la victime pendant l’enquête préliminaire. Selon l’auteur, dans sa déclaration l’accusation affirmait que le témoignage des victimes et les autres pièces matérielles recueillies pendant l’enquête apportaient la preuve de la culpabilité de l’auteur et de T. B.

2.16Le 14 janvier 2004, l’avocat de l’auteur a demandé au tribunal du district de Pervomaï d’acquitter ses clients et de renvoyer l’affaire pour complément d’enquête pour les motifs suivants: 1) le poste de télévision avait été saisi illégalement au cours d’une perquisition non autorisée effectuée au domicile de l’auteur, si bien que les preuves matérielles n’avaient aucune valeur probante; 2) les conclusions de l’examen médico-légal n’avaient aucune valeur probante du fait que les règles de procédure n’avaient pas été respectées pendant l’examen; 3) le tribunal n’avait pas pu interroger A. R., dont le témoignage aurait pu, de l’avis des intéressés, innocenter l’auteur et T. B. Le tribunal a rejeté les arguments de l’avocat de l’auteur concernant la valeur probante du poste de télévision saisi et des conclusions de l’examen médico-légal, considérant que l’auteur lui-même avait montré et remis le poste de télévision aux policiers et que les arguments relatifs aux conclusions de l’examen médical étaient dénués de fondement. Le même jour, le tribunal du district de Pervomaï a déclaré l’auteur et T. B coupables des infractions qualifiées à l’article 168 du Code pénal (Vol avec violence) et les a condamnés respectivement à un emprisonnement de six et huit ans.

2.17Le jugement rendu par le tribunal du district de Pervomaï le 14 janvier 2004 fait référence à l’article 61 du Code pénal, qui prévoit que la durée de la détention avant jugement peut être déduite de la durée totale de la peine d’emprisonnement prononcée par le tribunal. Selon cette disposition, un jour de détention avant un jugement équivaut à deux jours d’emprisonnement dans une prison de haute sécurité.

2.18Le 14 janvier 2004, l’avocat de l’auteur a fait appel du jugement rendu par le tribunal du district de Pervomaï devant le tribunal de la ville de Bichkek. L’appel a été rejeté par la Chambre criminelle du tribunal de la ville de Bichkek le 11 mars 2004. Le 25 mai 2004, dans le cadre d’un recours en révision, la Chambre criminelle et administrative de la Cour suprême a confirmé le jugement rendu par le tribunal du district de Pervomaï le 14 janvier 2004, ainsi que la décision prononcée par le tribunal municipal de Bichkek le 11 mars 2004.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se déclare victime de violations par le Kirghizistan des droits qu’il tient des paragraphes 1 et 3 de l’article 9 du Pacte, et des paragraphes 1, 2, 3 b), c), d) et e) de l’article 14 ainsi que du paragraphe 1 de l’article 17.

3.2En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 9, l’auteur affirme que dès son arrestation, il était soupçonné d’avoir commis une infraction particulièrement grave et que, par conséquent, conformément aux dispositions de l’article 46 du Code de procédure pénale, il aurait dû bénéficier de l’assistance d’un avocat dès ce moment-là. En violation de ces dispositions, il avait été arrêté, interrogé et inculpé d’une infraction particulièrement grave en l’absence d’un avocat. L’auteur fait observer que le procureur du district de Pervomaï ne s’était pas assuré que le placement en détention avait été autorisé conformément à la loi, alors qu’il était manifeste que les pièces du dossier ne portaient pas la signature de l’avocat.

3.3En outre, tout placement en détention devrait être une mesure nécessaire et juste. En l’espèce, il n’était pas nécessaire de priver l’auteur de sa liberté car il était possible de garantir sa présence pendant l’instruction et au procès en appliquant des mesures de contraintes moins sévères. De plus, les autorités n’ont présenté aucune preuve montrant que, comme elles l’affirmaient, l’auteur se soustrairait à la justice ou commettrait d’autres infractions s’il était libéré. De surcroît, comme il l’avait indiqué à l’audience, l’avocat de l’auteur «avait dû accepter» que le procès se poursuive en l’absence de la victime pour éviter que la détention avant jugement de son client ne se prolonge indéfiniment. À deux reprises, l’avocat de l’auteur avait demandé au tribunal du district de Pervomaï la libération de son client, mais la demande avait été rejetée. Selon le paragraphe 2 de l’article 339 du Code de procédure pénale, la décision du tribunal de première instance concernant l’application de la mesure de contrainte est une décision finale, non susceptible d’appel.

3.4L’auteur fait valoir que, contrairement aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, la législation de l’État partie ne prévoit pas que tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale doit être traduit dans le plus court délai devant un juge. Le placement en détention avait été autorisé par un procureur, qui ne saurait être considéré comme une autorité indépendante. En outre, selon le paragraphe 3 de l’article 9, le placement en détention est une mesure exceptionnelle. Malgré cela, le tribunal du district de Pervomaï avait à deux reprises rejeté les requêtes de l’avocat de l’auteur demandant la libération de son client au seul motif de la gravité de l’infraction commise (voir le paragraphe 2.13). L’auteur fait valoir qu’il serait inutile de soulever ses griefs relatifs au paragraphe 3 de l’article 9 devant les juridictions internes car faute de loi nationale pertinente les tribunaux seraient dans l’incapacité de faire respecter les droits garantis dans cette disposition. Il n’existe donc aucun recours interne que l’auteur pourrait utiliser en ce qui concerne les griefs tirés de cette disposition du Pacte.

3.5L’auteur se déclare victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Son avocat a contesté la valeur probante des conclusions de l’examen médico-légal et de la pièce à conviction constituée par le poste de télévision saisi, tant pendant l’enquête préliminaire qu’au procès. La législation de l’État partie exige que les suspects et les inculpés soient informés de la date des expertises afin de pouvoir y assister, de poser des questions complémentaires aux experts et de contester leurs conclusions. L’enquêtrice a ordonné l’examen médico-légal de A. R. et de Mme T. R. le 25 avril 2003, sans en informer l’auteur et T. B., qui n’ont donc pas pu exercer leurs droits. L’enquêtrice n’a informé l’auteur et T. B. de l’expertise médico-légale et de ses conclusions que le 21 juin 2003, alors qu’il était trop tard pour pouvoir contester les conclusions. En outre, le poste de télévision avait été saisi illégalement lors d’une perquisition non autorisée de l’appartement de l’auteur; le numéro de série et les caractéristiques de l’appareil ne figuraient dans aucune pièce du dossier, si bien qu’il était impossible à l’auteur de prouver que le poste de télévision saisi par les policiers n’appartenait pas aux victimes. Le droit pour une personne d’être présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie suppose que le doute profite à l’accusé. Le tribunal du district de Pervomaï avait fondé sa décision sur la déposition faite par A. R. pendant l’enquête préliminaire, alors que ce dernier ne s’était pas présenté à l’audience. En interprétant systématiquement les doutes au sujet de la culpabilité de l’auteur en faveur de l’accusation et en faisant peser sur l’auteur la charge de prouver son innocence, les tribunaux de l’État partie ont contrevenu aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.6Le 26 avril 2003, l’avocat de l’auteur n’a pas pu s’entretenir avec son client, parce que la loi relative à la procédure et aux conditions qui régissent la détention des suspects ou des inculpés prévoit que l’administration, les dirigeants et le personnel des établissements de détention ne peuvent permettre à un avocat de rendre visite à un suspect ou à un inculpé que sur présentation d’une autorisation écrite du procureur ou de l’enquêteur. D’après l’auteur cette loi est contraire au paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

3.7L’auteur indique que l’enquête préliminaire et le procès ont duré en tout dix mois et seize jours. Il se déclare donc victime d’une violation du droit d’être jugé sans retard excessif consacré au paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

3.8L’auteur affirme que du 28 avril au 23 mai 2003, il n’a pu ni préparer sa défense ni bénéficier de l’assistance d’un avocat, puisque l’enquêtrice n’a pas désigné un autre avocat pour le défendre pendant l’hospitalisation du conseil de son choix. Cela avait eu pour conséquence qu’il avait été arrêté, interrogé, inculpé et placé en garde à vue en l’absence de son avocat, ce qui est contraire aux paragraphes 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

3.9L’auteur affirme que le fait que l’accusation n’ait pas réussi à faire en sorte que A. R. soit présent à l’audience en dépit des nombreuses requêtes que lui-même et son avocat avaient présentées à cet effet a entraîné une violation du droit d’interroger les témoins à charge et d’obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge garanti en vertu du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

3.10Le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte dispose que chacun a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Le principe d’impartialité signifie notamment que le tribunal joue le rôle d’arbitre entre l’accusation et la défense. Toutefois, dans la présente affaire, le tribunal a clairement agi en faveur de l’accusation, allant parfois jusqu’à s’arroger des prérogatives qui appartiennent à cette dernière.

3.11Pour ce qui est du grief tiré du paragraphe 1 de l’article 17, l’auteur souligne que le poste de télévision a été saisi illégalement au cours d’une perquisition non autorisée de son domicile. Or, toutes les plaintes que l’auteur et son avocat ont déposées concernant cette immixtion illégale ont été rejetées au motif qu’il n’y avait pas eu perquisition puisque l’auteur lui-même avait ouvert la porte de son appartement aux policiers et leur avait montré où se trouvait le poste de télévision. Selon l’auteur, la question de savoir si son appartement a fait l’objet d’une perquisition ou d’une «inspection» est sans objet au regard de l’article 17 du Pacte puisque, en tout état de cause, il fallait que la police pénètre dans son appartement pour pouvoir saisir le poste de télévision. Il ajoute que les tribunaux de l’État partie auraient pu faire appliquer le droit à l’inviolabilité du domicile en déclarant que le poste de télévision saisi ne pouvait pas être utilisé comme preuve essentielle puisqu’il avait été obtenu illégalement.

Absence de coopération de l’État partie

4.Par des notes verbales datées du 6 mars 2007, du 28 avril 2008, du 1er octobre 2009 et du 1er septembre 2010, l’État partie a été invité à faire parvenir au Comité des renseignements concernant la recevabilité de la communication et le fond. Le 20 décembre 2010, une copie du texte intégral de la communication initiale datée du 12 avril 2006 a été adressée à l’État partie comme suite à sa demande du 9 décembre 2010. Le Comité note cependant que les renseignements demandés n’ont pas été reçus. Il regrette que l’État partie n’ait pas fourni de renseignements concernant la recevabilité ou le fond des allégations de l’auteur. Il rappelle qu’en vertu du Protocole facultatif l’État partie est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et d’indiquer, le cas échéant, les mesures prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles sont suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 sont remplies.

5.3Le Comité prend note du grief de violation des droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 9 et le paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 parce qu’il a été arrêté, interrogé, inculpé et placé en garde à vue en l’absence de son avocat. Il note en outre que, comme il ressort de la décision de l’enquêtrice en date du 21 juin 2003 (voir par. 2.8), l’absence de l’avocat de l’auteur les 25 et 28 avril 2003 peut, tout au moins en partie, être imputée à l’avocat lui-même. En outre, le 21 juin 2003, l’auteur et son coïnculpé ont été interrogés par le nouvel enquêteur en présence de leur avocat et ils ont été informés des conclusions de l’examen médico-légal auquel avaient été soumis A. R. et sa mère. En conséquence, le Comité considère que ces griefs sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

5.4Pour ce qui est des griefs tirés des paragraphes 1, 2 et 3 e) de l’article 14, le Comité fait observer que ces griefs portent essentiellement sur l’appréciation des éléments de preuve produits au procès. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’examen a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Dans la présente affaire, le Comité constate que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que le déroulement de la procédure avait été entaché de telles irrégularités. Il déclare en conséquence que cette partie de la communication est insuffisamment étayée, aux fins de la recevabilité, et qu’elle est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5Le Comité prend note également de l’argument de l’auteur qui fait valoir qu’il est victime d’une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte parce qu’il n’a pas pu s’entretenir avec son avocat le 26 avril 2003, celui-ci n’étant pas en mesure de remplir les conditions prévues dans la loi sur la procédure et les conditions qui régissent la détention des suspects et des inculpés. Toutefois, le Comité note que l’auteur n’explique pas en quoi cet élément a influé sur la qualification des charges portées contre lui. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs, aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.6Pour ce qui est du grief tiré du paragraphe 3 c) de l’article 14, soulevé au motif qu’un laps de temps de dix mois et seize jours écoulé entre l’arrestation de l’auteur, le 23 avril 2003, et la décision de la Chambre criminelle du tribunal de Bichkek du 11 mars 2004, date qui a marqué le début de l’exécution de la peine était excessif, le Comité note que l’auteur a été inculpé le 28 avril 2003 et qu’il a été condamné le 14 janvier 2004. Il relève que l’auteur n’a pas suffisamment expliqué pourquoi il considérait que cette durée était excessive. À la lumière des informations dont il dispose, le Comité conclut que ce grief est insuffisamment étayé et le déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.7Enfin, en ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, le Comité relève l’imprécision des allégations de l’auteur relativement à la légalité ou l’illégalité de l’entrée des policiers dans son appartement, ou de la perquisition ou de l’inspection menée et au consentement ou à l’absence de consentement de la part de l’auteur. Pour cette raison le Comité n’est pas en mesure de conclure que ces griefs sont suffisamment étayés, aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.8Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur, relatifs au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties.

6.2Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui fait valoir que ses droits en vertu du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte ont été violés puisque son placement en garde à vue a été autorisé par un procureur, lequel ne saurait être considéré comme une autorité indépendante. À cet sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 9 tout individu détenu du chef d’une infraction pénale a droit au contrôle judiciaire de sa détention. Il est généralement admis que le bon exercice du pouvoir judiciaire exige que ce contrôle soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale en ce qui concerne les questions à traiter. En l’espèce, le Comité n’est pas convaincu que le procureur puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Le Comité conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition du Pacte.

6.3Le Comité fait observer en outre qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 9 tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale doit être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle pour ne pas être qualifiée d’arbitraire la détention ne doit pas se poursuivre au-delà de la période pour laquelle l’État partie peut apporter une justification appropriée. Dans la présente affaire, le tribunal du district de Pervomaï a considéré que le placement en garde à vue de l’auteur était nécessaire parce que ce dernier était inculpé d’une infraction particulièrement grave, qu’il avait déjà été condamné et qu’il risquait de se soustraire à la justice s’il était libéré. L’auteur affirme qu’il aurait dû être libéré dans l’attente du procès mais il ne dit pas que le motif invoqué par le tribunal du district de Pervomaï pour justifier le placement en garde à vue était inapproprié. Le Comité fait encore observer que la durée de la détention avant jugement a été déduite de la durée totale de la peine d’emprisonnement prononcée par le tribunal du district de Pervomaï à raison d’un jour sur deux (voir par. 2.17). Pour ces raisons, le Comité conclut que la durée de détention avant jugement de l’auteur ne peut pas être considérée comme déraisonnable et qu’il n’y a donc pas violation du paragraphe 3 de l’article 9.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du droit de l’auteur au regard du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

8.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est en outre tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations, à les faire traduire dans la langue officielle et à les faire diffuser largement.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]