Nations Unies

CCPR/C/102/D/1412/2005

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

24 août 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

102 e session

11-29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1412/2005

Présentée par:

Aleksandr Butovenko (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

28 mars 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 juin 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

19 juillet 2011

Objet:

Torture et procès inéquitable puis condamnation à l’emprisonnement à vie

Questions de procédure:

Griefs non étayés

Questions de fond:

Recours utile; intangibilité de l’article 7; torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à un traitement humain et au respect de sa dignité; droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial; droit à la présomption d’innocence; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense; droit de se défendre soi-même ou de bénéficier de l’assistance d’un défenseur; droit d’obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins; droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable; interdiction de prononcer une peine plus sévère que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise; application rétroactive de la loi prévoyant une peine plus légère

Article ( s ) du Pacte:

2, 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 2, 3 b), d), e) et g)), 15 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

2

Le 19 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1412/2005.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1412/2005 **

Présentée par:

Aleksandr Butovenko (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

28 mars 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1412/2005 par M. Aleksandr Butovenko présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Aleksandr Butovenko, de nationalité ukrainienne, né en 1975, qui exécute actuellement une peine d’emprisonnement à vie en Ukraine. Il se déclare victime d’une violation par l’Ukraine des droits consacrés aux articles 2, 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 2, 3 b), d), e) et g)), et 15 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 octobre 1991. L’auteur n’est pas représenté.

Rappel des faits présentés par l’auteur

Enquête et instruction

2.1Le 24 décembre 1999, l’auteur s’est présenté spontanément au département de la police de district de la ville de Vasilkov, où il a été arrêté car il était soupçonné d’être l’auteur du meurtre de deux personnes commis le 13 décembre 1999. Peu de temps après, il a été interrogé par les enquêteurs de la police, en l’absence d’avocat et d’agent d’instruction et sans avoir été informé de ses droits. Pendant l’interrogatoire, l’auteur a indiqué ce qu’il savait du crime en question. Il a été ensuite placé dans une cellule de punition du centre de détention provisoire (IVS) situé dans le même bâtiment.

2.2L’auteur déclare qu’il n’y avait aucun motif légal pour le placer dans une cellule de punition; de plus, la cellule où il se trouvait était tout à fait inadaptée à la détention des personnes. Malgré les températures hivernales, les fenêtres n’avaient pas de vitres et il n’y avait pas de chauffage dans la cellule, ce qui fait que les murs étaient couverts de givre et de glace. De l’eau froide coulait constamment du robinet qu’il était impossible de fermer. Comme il n’y avait ni lit et ni literie dans la cellule, l’auteur a dû dormir à même le sol enroulé dans ses vêtements. Il n’a pu dormir que pendant de brefs intervalles, car il devait fréquemment se lever et bouger pour ne pas geler. L’auteur a passé trois jours dans cette cellule, d’où on l’a fait sortir pour des interrogatoires aussi bien pendant la journée que pendant la nuit.

2.3L’auteur déclare qu’on l’a placé dans cette cellule pour l’obliger à avouer qu’il était le cerveau et le véritable auteur du meurtre. Les interrogatoires conduits par les enquêteurs de la police se sont poursuivis en l’absence d’avocat et d’agent d’instruction, sans qu’aucun procès-verbal ne soit établi. L’auteur a été soumis à des pressions physiques et psychologiques. Il a été battu à coups de poing, de câbles électriques, de matraque et marteau de caoutchouc, et frappé à coups de pied. Les coups étaient extrêmement douloureux et visaient les parties du corps où les traces étaient le moins visibles. Les coups sur la tête étaient assenés seulement lorsque l’auteur avait la tête enveloppée dans ses vêtements. Les enquêteurs de la police ont également utilisé des techniques pour asphyxier l’auteur. Pour ce qui est de la pression psychologique, l’auteur a été très souvent convoqué pour des interrogatoires, enfermé dans la cellule où régnaient les conditions décrites plus haut, privé de nourriture et de sommeil et menacé de représailles contre son père et un frère plus jeune. Pour donner réalité aux menaces, l’enquêteur faisait entendre à l’auteur les cris de son frère dans la pièce voisine. L’auteur déclare que son frère a été libéré au bout de trois jours et a été examiné par un médecin pour apporter la preuve des lésions corporelles subies.

2.4L’auteur déclare que, ne pouvant supporter la torture, il a dû avouer être l’auteur du meurtre. Il a alors été «confié» à un agent d’instruction du Bureau du Procureur pour un «interrogatoire officiel». Les enquêteurs de la police ont averti l’auteur qu’il devrait faire la même déposition reconnaissant sa culpabilité, faute de quoi les tortures reprendraient après le départ de l’avocat et de l’agent d’instruction.

2.5Le 27 décembre 1999, l’auteur a été autorisé à voir un avocat pour la première fois et a été interrogé par l’agent d’instruction en tant que suspect. Il déclare que, selon l’article 107 du Code de procédure pénale, les suspects doivent être interrogés dans les plus courts délais, ou en tout cas pas plus de vingt-quatre heures après l’arrestation.

2.6L’auteur déclare que peu de temps avant l’interrogatoire l’agent d’instruction lui a présenté un avocat, L. K. On ne lui a pas expliqué s’il était censé rémunérer l’avocat. Il a dit à l’avocat qu’on l’avait battu pour l’obliger à avouer et lui a montré les lésions visibles sur son corps. Mais l’avocat a refusé de demander un examen médical et a conseillé à l’auteur de déclarer ce que les enquêteurs voulaient qu’il dise, faute de quoi ils continueraient à le rouer de coups jusqu’à ce qu’il fasse la déposition «nécessaire» à l’agent d’instruction en présence de l’avocat. L’auteur déclare avoir été si choqué par le conseil de l’avocat et s’être senti si impuissant qu’il a été incapable de dire la vérité à l’agent d’instruction et a répété ce que les enquêteurs et l’avocat lui avaient demandé de dire. Peu de temps après, il a été transféré dans une cellule ordinaire.

2.7L’auteur déclare que la cellule ordinaire était beaucoup plus chaude et qu’il a enfin pu dormir et manger. Seulement la moitié des cellules ordinaires du centre de détention provisoire avaient des lits métalliques; par conséquent, dans les autres cellules les détenus devaient dormir à même le sol. Aucune literie n’était fournie; dans certaines cellules les détenus recevaient quelques matelas sales et malodorants et, s’ils n’avaient pas de matelas, ils devaient s’envelopper dans leurs vêtements. Il y avait plus de 10 détenus dans une seule cellule prévue pour deux ou trois personnes, sans autre mobilier; l’éclairage et la ventilation étaient insuffisants. Lorsqu’il était dans le centre de détention provisoire, l’auteur n’est pas sorti une seule fois pour une promenade à l’extérieur; il n’a pas été autorisé à voir les membres de sa famille ni à correspondre avec eux. L’auteur déclare qu’il était impensable de se plaindre des coups reçus et des conditions de détention, et de renoncer aux services de l’avocat, L. K., pendant son séjour dans le centre de détention provisoire, car cela aurait été «l’équivalent d’un suicide».

2.8Le 11 janvier 2000, l’auteur a été transféré au centre de détention de Kiev (SIZO). Il dit que, selon la loi il était censé être transféré dans ce centre dans un délai de trois jours mais qu’il avait dû rester dans le centre de détention provisoire pendant dix-neuf jours afin que les traces des coups disparaissent.

2.9Le 17 février 2000, l’auteur a demandé à rencontrer le Directeur du centre de détention (SIZO) de Kiev, a décrit les passages à tabac dont il avait fait l’objet dans le centre de détention provisoire de Vasilkov et a demandé à ne pas y retourner. Le 17 février 2000, l’auteur a adressé une plainte au Bureau du Procureur régional de Kiev, dans laquelle il décrivait les «méthodes d’enquête illégales» dont il avait fait l’objet dans le centre de détention provisoire de Vasilkov, et déclarait que son coaccusé, R. K., s’était suicidé à la suite des tortures qu’il avait subies.

2.10Le 22 février 2000, l’auteur a été renvoyé au centre de détention provisoire de Vasilkov et éprouvait de vives craintes pour sa sécurité pendant le transfert. Mais cette fois il n’a pas été roué de coups et il est resté dans le centre de détention provisoire jusqu’au 21 mars 2000. Comme précédemment, l’auteur n’a pas eu droit à une seule sortie en plein air; il n’a pas été autorisé à voir les membres de sa famille ni à correspondre avec eux.

2.11Le 10 mars 2000, un assistant principal du Procureur interdistrict de Vasilkov a interrogé l’agent d’instruction chargé du dossier pénal de l’auteur ainsi que plusieurs agents du centre de détention provisoire de Vasilkov, qui ont déclaré que l’auteur n’avait fait l’objet d’aucune pression physique, n’avait pas demandé à voir un médecin et ne s’était pas plaint des enquêteurs de la police. Lorsqu’il a été interrogé par l’assistant principal du Procureur interdistrict de Vasilkov, l’auteur a décrit le lieu, les méthodes et la durée des passages à tabac dont il avait fait l’objet. Il ne pouvait pas désigner les auteurs des coups par leur nom, qu’il ignorait, mais il a confirmé qu’il pourrait les reconnaître. L’assistant principal du Procureur interdistrict de Vasilkov n’a toutefois pris aucune autre mesure. Il n’y a eu aucune confrontation avec les agents qui auraient frappé l’auteur, aucun examen médical n’a été effectué et aucun codétenu susceptible d’attester que l’auteur avait été roué de coups n’a été interrogé. Au contraire, le 10 mars 2000, l’assistant principal du Procureur interdistrict de Vasilkov a décidé de ne pas engager de poursuites pénales concernant les actes illégaux commis par les enquêteurs de la police.

2.12Le 21 mars 2000, l’auteur a été transféré au centre de détention (SIZO) de Kiev. À une date non précisée, il a renoncé aux services de l’avocat, L. K., et a demandé à ses parents d’engager un autre avocat qui l’a ensuite représenté pour le reste de l’instruction et à l’audience. En présence du nouvel avocat, l’auteur a retiré la déclaration où il reconnaissait sa culpabilité, obtenue sous la pression physique et psychologique et faite en l’absence d’un avocat, et a réitéré la déposition initiale qu’il avait faite oralement au moment de son arrestation.

Décès du coaccusé en garde à vue

2.13Le coaccusé de l’auteur, R. K., a été arrêté par les enquêteurs de la police chez lui, le même jour que l’auteur, c’est-à-dire le 24 décembre 1999, et conduit au département de la police de Vasilkov. Le même jour il aurait avoué, par écrit, avoir commis le meurtre et aurait déclaré que l’auteur était le cerveau et le véritable auteur du meurtre. Le 1er janvier 2000, R. K. est mort en détention. L’auteur déclare ne pas croire à la version officielle selon laquelle R. K. s’était suicidé et fait valoir que cette version a servi à couvrir les méthodes d’interrogatoire utilisées sur ce dernier.

2.14L’auteur déclare que, selon le rapport du 1er janvier 2000, la seule lésion constatée sur le corps de R. K. était une marque d’étranglement au cou. Le 4 janvier 2000, une enquête interne a été menée sur le décès de R. K. Le rapport d’enquête mentionnait le rapport du 1er janvier 2000 et concluait que R. K. n’avait fait l’objet d’aucune pression physique ou psychologique de la part des enquêteurs de la police pendant sa détention dans le centre de détention provisoire. L’auteur déclare que, selon le rapport médico-légal du Bureau régional de médecine légale de Kiev du 3 janvier 2000, le corps de R. K. portait de nombreuses lésions, telles que des écorchures et des ecchymoses; ces lésions avaient été causées par des objets contondants au moins quatre à sept jours avant le décès de R. K. et n’avaient aucun lien avec la cause de son décès. L’auteur fait valoir que les lésions en question étaient en fait les traces des coups portés par les enquêteurs de la police, étant donné que le jour de sa mort, R. K. était déjà en détention depuis huit jours.

2.15L’auteur mentionne un rapport d’examen graphologique du 14 juin 2001 demandé par sa mère, selon lequel le texte des «aveux» écrits par R. K. le 24 décembre 1999, ainsi que le texte du compte rendu d’interrogatoire, ont été écrits par R. K. en qualité de coauteur sous la dictée de quelqu’un ayant de meilleures aptitudes à la rédaction et à l’expression orale que R. K. et maîtrisant bien les techniques utilisées pour ce qui est de recueillir et documenter des informations ayant une valeur probante. Selon le même rapport, les documents mentionnés plus haut ont été écrits par R. K. sous l’emprise d’une tension qui pouvait avoir été causée, entre autres, par une situation extrême, des menaces psychologiques, une maladie grave ou des douleurs physiques. L’auteur affirme que, selon le rapport, la déposition de R. K. concernant la partie impliquant l’auteur dans le meurtre lui avait été dictée par les enquêteurs de la police.

2.16L’auteur déclare que R. K. prévoyait de simuler un suicide afin d’être conduit à l’hôpital et d’être examiné par un médecin pour faire constater les lésions corporelles qu’il présentait. Selon lui, R. K. était encore en vie lorsqu’on l’a trouvé le 1er janvier 2000 et il a été «achevé» par les enquêteurs de la police afin de couvrir les méthodes d’interrogatoire qu’ils avaient utilisées.

Examen préliminaire de l’affaire pénale

2.17Le 27 août 2000, l’instruction était terminée et le dossier de l’affaire a été transmis au tribunal. Le 15 septembre 2000, le tribunal régional de Kiev a procédé à un examen préliminaire de l’affaire et a décidé qu’il n’y avait pas motif à prononcer un non-lieu ou à suspendre les poursuites, que l’acte d’accusation correspondait aux faits de la cause et avait été rédigé conformément au Code de procédure pénale, et que les mesures de contrainte imposées à l’auteur (placement en détention) devaient être maintenues.

2.18Seulement un juge du tribunal de Kiev, deux assesseurs et un procureur ont pris part à l’audience préliminaire. L’auteur déclare que, même si le tribunal procède effectivement à un examen complet de l’affaire pénale, c’est-à-dire à la fois les points de droit et le fond, le Code de procédure pénale n’autorise ni l’accusé ni son avocat à assister à l’audience préliminaire. Selon l’article 239 du Code de procédure pénale, le procureur a le droit d’assister aux audiences préliminaires et ce fut le cas dans l’affaire de l’auteur. L’auteur ajoute que l’article 252 du Code de procédure pénale donnait le droit au procureur de faire objection à la décision rendue par le tribunal à l’issue des audiences préliminaires, mais que l’auteur quant à lui n’a même pas reçu le texte de cette décision et ne pouvait par conséquent pas faire appel.

Procédure devant le tribunal de première instance

2.19La première audience publique du procès pénal de l’auteur devant le tribunal régional de Kiev a eu lieu le 3 octobre 2000. La chambre de première instance se composait du même juge et des mêmes assesseurs qui avaient conduit l’examen préliminaire de l’affaire le 15 septembre 2000. À l’audience, l’auteur ainsi que les autres coaccusés, A. K. et G. D., ont déclaré à maintes reprises qu’ils avaient été soumis à des méthodes d’investigation illégales, à savoir des actes de torture, par les enquêteurs de la police lors de l’instruction. L’auteur a également appelé l’attention du tribunal sur les contradictions relevées entre les conclusions de l’enquête interne et le rapport médico-légal concernant le décès en garde à vue de R. K.

2.20Le 16 octobre 2000, le tribunal régional de Kiev a rendu une décision dans laquelle il demandait au Bureau du Procureur régional de Kiev de mener une enquête supplémentaire sur les lésions observées sur le corps de R. K. qui, selon le rapport médico-légal, n’avaient aucun lien avec la cause de son décès. Le Procureur régional de Kiev a confié l’enquête supplémentaire demandée au même agent d’instruction qui avait été chargé de l’affaire de l’auteur et avait établi le rapport du 1er janvier 2000. Le 31 octobre 2000, cet agent d’instruction a décidé de ne pas engager de poursuites pénales pour le décès de R. K. Selon l’auteur, il n’est pas étonnant que l’enquête supplémentaire ait été menée d’une manière partiale et superficielle, fondée sur les éléments recueillis lors de l’enquête interne du 4 janvier 2000 et n’ait apporté aucune explication concernant les circonstances à l’origine des nombreuses lésions corporelles apparues chez R. K. pendant sa garde à vue.

2.21Le tribunal régional de Kiev a poursuivi l’examen de l’affaire dès qu’il a reçu les conclusions de l’enquête supplémentaire et a rejeté toutes les requêtes présentées par l’auteur et son avocat en vue d’exclure les éléments à charge qui avaient été obtenus illégalement et en violation de l’article 62 de la Constitution, notamment les «aveux» écrits par R. K. le 24 décembre 1999. Le tribunal a déclaré que ces éléments avaient été obtenus d’une manière pleinement conforme à toutes les dispositions du Code de procédure pénale. Le recours présenté par l’avocat de l’auteur contre cette décision du tribunal a également été rejeté.

2.22Le 21 décembre 2000, le tribunal régional de Kiev a déclaré l’auteur coupable de vol avec violence (art. 142, partie 3, du Code pénal de 1960) et d’assassinat (meurtre avec préméditation) avec circonstances aggravantes (art. 93, clauses a), d), f), g) et k)). L’auteur a été condamné à l’emprisonnement à vie et à la saisie de ses biens. Le tribunal régional de Kiev a entendu cinq enquêteurs de la police en qualité de témoins. Ceux-ci ont déclaré qu’ils n’avaient établi aucun procès-verbal d’interrogatoire et n’avaient soumis l’accusé à aucune pression physique ou psychologique. Le tribunal a conclu que ces agents n’avaient produit aucune pièce de procédure et n’avaient effectué aucun acte de procédure pouvant être utilisés comme élément de preuve. Le tribunal a également relevé que ni l’auteur ni aucun des coaccusés ne s’étaient plaints que les agents chargés de l’instruction aient utilisé des méthodes d’enquête illégales. Le tribunal a conclu que l’auteur avait décidé de modifier sa déposition après avoir été informé du décès de R. K. afin de se soustraire à toute responsabilité pénale.

Objections au compte rendu d’audience

2.23À une date non précisée, l’auteur a présenté au tribunal régional de Kiev, conformément à l’article 88 du Code de procédure pénale, ses objections au compte rendu d’audience du tribunal de première instance. L’auteur a fait valoir que ce compte rendu était incomplet et inexact et que des parties importantes des déclarations et des observations faites manquaient entièrement, que d’autres déclarations ont été déformées et que la plupart des requêtes présentées par l’auteur et son avocat, notamment un recours en contestation, n’y étaient pas mentionnées du tout. Le 2 février 2001, ses objections ont été examinées par la même chambre de première instance qui avait rendu le jugement du 21 décembre 2000 et elles ont été rejetées au motif qu’elles «ne correspondaient pas à la réalité» et étaient «inventées». Ni l’auteur ni son avocat n’ont assisté à l’audience, parce que le tribunal n’avait pas notifié la date à l’auteur et parce que la participation de l’avocat n’était pas prévue par la loi. Selon l’auteur, le procureur qui a participé à l’examen de son affaire en première instance a également pris part à l’examen des objections formulées par l’auteur au compte rendu d’audience. L’auteur ajoute qu’il n’a pas pu faire appel de la décision rendue par le tribunal le 2 février 2001 étant donné que la loi de l’État partie ne prévoit pas de procédure à cet effet.

Procédure de cassation

2.24À une date non précisée, l’auteur a présenté un recours en cassation devant la Cour suprême contre le jugement rendu par le tribunal régional de Kiev le 21 décembre 2000. Le 10 mars 2001, il a formé un recours en cassation additionnel. Il a fait valoir, entre autres, que le premier interrogatoire et la première rencontre avec l’avocat ont eu lieu plus de soixante-douze heures après son arrestation. Il s’est plaint également de l’emploi de méthodes d’interrogatoire illégales (torture), de sa détention prolongée dans le centre de détention provisoire dans des conditions inhumaines, de l’enquête partiale menée sur le décès de R. K., du rejet de toutes les requêtes présentées par l’auteur et son avocat, de l’imposition d’une peine plus lourde que la peine maximale autorisée par la loi de l’État partie, du manque d’impartialité du tribunal de première instance et du rejet de ses objections au compte rendu d’audience. À des dates non précisées, l’avocat de l’auteur a également formé un pourvoi en cassation ainsi qu’un recours additionnel en cassation devant la Cour suprême. Dans la procédure de cassation, l’auteur était représenté par son avocat, la Cour ayant décidé, conformément à l’article 358 du Code de procédure pénale, que sa participation n’était pas «justifiée». Le 22 mars 2001, la Cour suprême a retiré du jugement du 21 décembre 2000 la mention de la clause g) de l’article 93 du Code pénal et a confirmé le reste du jugement.

2.25À une date non spécifiée, l’auteur a fait appel sans succès de l’arrêt rendu par la Cour suprême en engageant une procédure de contrôle en révision.

Condamnation à la réclusion à perpétuité

2.26L’auteur déclare qu’au moment où a été commis le crime pour lequel il a été condamné à la prison à vie, la peine la plus lourde pouvant être imposée en Ukraine était une peine de quinze ans de prison. Il explique que l’article 27 de la nouvelle Constitution, entrée en vigueur le 21 juin 1996, proclamait le droit inaliénable de chaque personne à la vie. Mais l’article 93 du Code pénal disposait de deux types de peines pour meurtre à l’époque: une peine de huit à quinze ans de prison et la peine de mort. Selon la clause 1 des dispositions provisoires de la Constitution, dès son adoption, les lois restaient en vigueur dans la mesure où elles n’étaient pas contraires à la Constitution. Selon la clause 2 de la décision de la Chambre plénière de la Cour suprême du 1er novembre 1996, les tribunaux avaient pour instruction d’évaluer la compatibilité des dispositions de chaque loi avec la Constitution lorsqu’ils jugeaient des affaires et, toutes les fois où c’était nécessaire, d’appliquer directement les dispositions de la Constitution. Par conséquent, l’auteur fait valoir que toutes les dispositions du Code pénal qui prévoyaient l’imposition de la peine de mort, comme l’article 93, auraient dû être considérées comme inconstitutionnelles dès l’entrée en vigueur de la Constitution. En d’autres termes, poursuit l’auteur, au moment où le crime pour lequel il a été condamné avait été commis (13 décembre 1999), la peine de mort ne pouvait plus s’appliquer.

2.27L’auteur ajoute qu’en raison du moratoire sur l’exécution des condamnations à mort proclamé par le Président de l’Ukraine le 11 mars 1997 la peine de mort a de facto cessé d’exister en Ukraine. Prononcer la peine de mort en 1999 était donc contraire à l’engagement pris par l’Ukraine, au moment de son accession au Conseil de l’Europe, le 9 novembre 1995, d’abolir la peine de mort.

2.28Le 29 décembre 1999, la Cour constitutionnelle a déclaré la peine de mort inconstitutionnelle. Le 22 février 2000, le Parlement (Verhovnaya Rada) a adopté une loi relative aux amendements apportés au Code pénal, au Code de procédure pénale et au Code de rééducation par le travail, qui est entrée en vigueur le 4 avril 2000. Cette loi introduisait un nouveau type de peine dans le Code pénal, à savoir l’emprisonnement à vie. L’auteur déclare que, selon la «loi provisoire» qui était en vigueur du 29 décembre 1999 au 4 avril 2000, la peine la plus lourde qui pouvait être imposée était une peine de quinze ans de prison. L’auteur fait valoir que, si la loi applicable a changé plus d’une fois entre le moment où le crime a été commis et la déclaration de culpabilité de l’auteur présumé, cette personne devrait bénéficier de la loi la plus favorable à l’accusé. En d’autres termes, les tribunaux de l’État partie auraient dû appliquer la version la plus favorable du Code pénal − la «loi provisoire» − au moment de fixer la peine infligée à l’auteur. L’auteur affirme que la loi du 22 février 2000, qui a introduit l’emprisonnement à vie, ne devait pas lui être appliquée rétroactivement parce qu’elle prévoyait une peine plus lourde que celle prévue dans la «loi provisoire».

Teneur de la plainte

Articles 7 et 10 du Pacte

3.1L’auteur déclare que l’effet cumulé de la mise en détention illégale, des passages à tabac, des menaces de représailles contre sa famille, du placement au cachot, de la détention prolongée dans des conditions inhumaines (du 24 décembre 1999 au 11 janvier 2000 et du 22 février 2000 au 21 mars 2000), de la détention au secret, de l’absence de services d’avocat et du décès de R. K. a provoqué une très grande souffrance psychique et psychologique chez l’auteur, ainsi qu’un sentiment de peur, de vulnérabilité, de dépression et d’infériorité. Étant donné que les méthodes d’investigation illégales mentionnées plus haut ont été utilisées délibérément contre lui afin de l’obliger à témoigner contre lui-même, l’auteur déclare qu’elles devraient être qualifiées de torture. Il ajoute qu’en vertu des obligations lui incombant au titre de l’article 2 du Pacte l’État partie est tenu d’enquêter dans les plus courts délais et de manière impartiale sur les allégations de traitement contraire aux articles 7 et 10 du Pacte. L’auteur affirme que l’enquête pour la forme et superficielle menée sur les allégations dans lesquelles il affirmait qu’il avait subi une pression physique et psychologique, enquête qui a abouti à la décision non fondée et erronée du 10 mars 2000 de ne pas engager de poursuites pénales, ne répondait pas aux exigences des articles 7 et 10 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2.

Violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte

3.2L’auteur fait valoir qu’au moment de son arrestation par les enquêteurs de la police, le 24 décembre 1999, aucun des motifs d’arrestation énumérés à l’article 106, parties 1 et 2, du Code de procédure pénale n’avait lieu d’être invoqué. Par conséquent, n’étant pas fondée sur les motifs établis par la loi, la privation de liberté constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. De plus, les enquêteurs de la police n’ont pas respecté les règles de procédure ci-après énoncées dans le Code de procédure pénale:

a)Avant son premier interrogatoire en qualité de suspect, l’intéressé doit être informé de son droit d’être représenté par un avocat et un procès-verbal doit être établi à ce sujet (art. 21 du Code de procédure pénale);

b)La personne doit pouvoir consulter un avocat dès le placement en détention (art. 44, partie 2, du Code de procédure pénale);

c)La personne doit être interrogée dans les plus courts délais (art. 107, partie 2, du Code de procédure pénale);

d)La personne doit être informée de ses droits en qualité de suspect (art. 43 du Code de procédure pénale);

e)La personne doit avoir la possibilité de se défendre elle-même conformément à la procédure établie par la loi (art. 21, partie 2, du Code de procédure pénale);

f)Le procès-verbal d’arrestation doit indiquer, entre autres mentions, les explications fournies par la personne arrêtée et celle-ci doit être informée, conformément à l’article 21, partie 2, du Code de procédure pénale, de son droit de voir un avocat (art. 106, partie 3, du Code de procédure pénale).

Article 14 du Pacte

3.3L’auteur estime que les garanties du droit à un procès équitable énoncées à l’article 14 du Pacte s’appliquent également aux enquêtes préliminaires et à l’instruction menées par la police et le bureau du procureur. Il invoque par conséquent une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, du fait qu’on l’a soumis à des méthodes d’interrogatoire illégales du 29 décembre 1999 au 11 janvier 2000 afin de l’obliger à témoigner contre lui-même et à s’avouer coupable. Il ajoute que, par la suite, en violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, il a été reconnu coupable par le tribunal, qui se fondait essentiellement sur une déposition qui avait été obtenue illégalement.

3.4L’auteur déclare qu’il n’a pas pu consulter d’avocat pendant soixante-douze heures et n’a pas pu consulter un avocat de son choix pendant plus de deux mois; il a été privé du droit de garder le silence; il s’est vu imposer un avocat commis d’office qui participait à la procédure seulement pour la forme et n’a pas été informé des droits de la défense après son arrestation, le 24 décembre 1999. Il invoque par conséquent une violation des droits consacrés aux paragraphes 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

3.5L’auteur déclare que, contrairement au principe selon lequel tout accusé devrait avoir la possibilité de participer à toutes les étapes de la procédure engagée contre lui, ni lui ni son avocat n’ont été autorisés à participer à l’examen préliminaire de son affaire par le tribunal régional de Kiev. En outre, contrairement au principe de l’égalité des armes, le procureur a quant à lui participé à cette audience préliminaire. Il ajoute que le tribunal régional de Kiev n’a supprimé aucun des défauts de l’enquête et de l’instruction, ce qui montre bien que le tribunal était partial et n’a pas respecté les prescriptions du Code de procédure pénale. L’auteur déclare également que, du fait que l’audience préliminaire n’était pas publique et qu’il n’a pas reçu copie de la décision du tribunal du 15 septembre 2000, il a été privé de la possibilité de préparer convenablement sa défense en vue du procès devant le tribunal de première instance. Il affirme par conséquent que ces faits mentionnés montrent qu’il y a eu violation des droits qu’il tient des paragraphes 1, 3 b) et d) de l’article 14, lus conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte.

3.6L’auteur invoque une violation distincte du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, du fait que le juge et les deux assesseurs qui ont procédé à l’examen préliminaire de l’affaire le 15 septembre 2000 et ceux qui ont siégé au procès devant le tribunal de première instance sont les mêmes.

3.7L’auteur avance que les faits résumés aux paragraphes 2.3, 2.5, 2.13, 2.14 et 2.19montrent qu’il a été déclaré coupable dans une large mesure sur la base d’éléments de preuve obtenus illégalement, par la torture et par d’autres méthodes d’enquête illicites et que les tribunaux de l’État partie ont refusé de reconnaître ce que l’auteur considère comme une violation évidente des droits de la défense ainsi que d’autres violations du Code de procédure pénale commises au stade de l’enquête et de l’instruction. Par conséquent, il invoque une violation des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte.

3.8L’auteur déclare que, malgré des motifs sérieux de croire que le seul autre témoin oculaire du meurtre de deux personnes, le 13 décembre 1999, R. K., a été soumis à des méthodes d’enquête illégales afin d’être contraint de rédiger des «aveux» le 24 décembre 1999 et, malgré le fait que, étant décédé en détention, il n’a pas pu témoigner à l’audience, ce sont ces mêmes «aveux» de R. K. qui ont été utilisés par le tribunal comme principal élément de preuve pour déclarer l’auteur coupable. L’auteur affirme par conséquent qu’il y a eu violation des droits consacrés aux paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14 du Pacte.

3.9L’auteur estime que les faits résumés au paragraphe 2.23 montrent qu’il y a eu violation distincte des paragraphes 1 et 3 d) de l’article 14 du Pacte, en ce qui concerne l’examen, le 2 février 2001, des objections qu’il a formulées au compte rendu d’audience.

3.10L’auteur déclare que les faits résumés au paragraphe 2.24 font apparaître une violation distincte des paragraphes 3 b) et d) de l’article 14, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 et le paragraphe 3 c) de l’article 2 du Pacte, du fait qu’il n’a pas été autorisé à participer à la procédure de cassation et n’a par conséquent pas pu se défendre lui-même.

3.11L’auteur fait valoir que le tribunal régional de Kiev, en omettant d’expliquer les motifs de la condamnation à l’emprisonnement à vie, a effectivement privé l’auteur de la possibilité de préparer sa défense et de se défendre entièrement lui-même devant la Cour de cassation, ce qui a constitué une violation distincte des paragraphes 1 et 3 b) de l’article 14 du Pacte.

Violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte

3.12L’auteur affirme qu’en le condamnant à l’emprisonnement à vie les tribunaux de l’État partie ont prononcé une peine plus lourde que celle qui était applicable à l’époque où le crime a été commis et que celle qui était applicable en vertu de la «loi provisoire», c’est-à-dire une peine de quinze ans d’emprisonnement. Il fait valoir que, si la peine applicable a changé plus d’une fois entre le moment où le crime a été commis et sa condamnation, il devrait bénéficier de la loi qui lui est la plus favorable.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 20 février 2006, l’État partie présente ses observations sur le fond de la communication. Il ajoute que le fait qu’il ne réponde pas à chacun des griefs formulés par l’auteur ne signifie pas que les griefs non mentionnés soient acceptés.

Article 2 du Pacte

4.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 2 du Pacte au stade de l’examen préliminaire de l’affaire, l’État partie reconnaît qu’il n’existe pas de recours ouvert à l’accusé à ce stade de la procédure pour faire appel du refus du tribunal d’examiner ses requêtes. Il ajoute que l’examen est limité aux questions de procédure mentionnées à l’article 242 du Code de procédure pénale et ne porte pas sur le fond. L’État partie cite un commentaire sur l’article 240 du Code de procédure pénale, selon lequel le refus de donner suite à une requête ne peut faire l’objet d’appel, mais cela n’empêche nullement le requérant de soumettre la même requête au stade de l’examen au fond, stade auquel ce recours existe. Il explique qu’il n’y a pas violation de l’article 2 du Pacte, puisque la décision rendue le 15 septembre 2000 par le tribunal régional de Kiev «n’affectait pas la position de l’auteur en qualité d’accusé devant le tribunal» (le tribunal examinait seulement les questions de procédure) et qu’a fortiori il existait un recours au stade de l’examen au fond.

Article 7 du Pacte

4.3Pour ce qui est du grief de violation de l’article 7 du Pacte, l’État partie renvoie aux faits résumés aux paragraphes 2.3 et 2.14 et objecte que l’auteur n’a apporté aucune preuve à l’appui de ses allégations selon lesquelles il a été roué de coups et a été soumis à d’autres pressions physiques ou psychologiques. Il fait valoir que les rapports médicaux mentionnés par l’auteur et relatifs à d’autres individus ne peuvent être considérés, par analogie, comme une preuve que l’auteur a subi le même traitement; par conséquent, ces documents ne doivent pas être interprétés par le Comité comme corroborant les allégations de l’auteur au titre de l’article 7. L’État partie cite la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) concernant la recevabilité dans l’affaire Chizhovc. Ukraine, dans laquelle la Cour conclut qu’en l’absence de tout élément de preuve à l’appui, le grief [de passage à tabac] est manifestement infondé.

4.4En ce qui concerne les griefs concernant les conditions de détention inhumaines, l’État partie estime que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes à ce sujet. Les plaintes concernant les conditions de détention «inadaptées» doivent être présentées au titre de l’article 248, paragraphes 1 à 9, du Code de procédure civile.

4.5En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel sa détention au secret du 24 décembre 1999 au 11 janvier 2000 et du 22 février 2000 au 21 mars 2000 a constitué une torture au sens de l’article 7 du Pacte, l’État partie relève la distinction que fait la CEDH entre «torture» et «traitement inhumain ou dégradant». Selon l’État partie, on ne peut guère imaginer que la détention au secret a causé des souffrances suffisamment graves et cruelles à l’auteur pour être considérée comme une torture. L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas été détenu au secret. Premièrement, il n’a pas été détenu «sans aucun moyen de communication», puisqu’il a au moins communiqué officiellement avec son avocat. L’État partie ajoute qu’il s’est acquitté de son obligation d’assurer gratuitement l’assistance d’un avocat dans les affaires pénales et note qu’un État ne peut être tenu pour responsable de toutes les insuffisances d’un avocat commis d’office au titre de l’aide juridictionnelle. Deuxièmement, l’auteur n’a pas été détenu en isolement cellulaire car, dans sa communication au Comité, il s’est plaint de ce que l’agent d’instruction n’a pas interrogé ses codétenus, qui auraient pu témoigner qu’il avait été roué de coups.

Article 9 du Pacte

4.6En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme qu’il a fait l’objet d’une arrestation arbitraire, en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, l’État partie renvoie à l’article 106, partie 1, clause 2, du Code de procédure pénale, selon lequel un suspect peut être arrêté «si les témoins oculaires ou les victimes désignent cet individu comme ayant commis le crime dont il est soupçonné». Il rappelle qu’en l’espèce l’auteur s’est présenté au département de la police de district de Vasilkov de sa propre initiative afin d’avouer, et que les déclarations des témoins oculaires ou des victimes doivent donc être remplacées par son propre témoignage. En tout état de cause, l’agent d’instruction devait vérifier au moins prima facie la crédibilité du témoignage de l’auteur avant de demander l’autorisation du procureur. L’État partie estime à cet égard que l’arrestation de l’auteur, le 24 décembre 1999, était conforme aux exigences de l’article 106 du Code de procédure pénale.

4.7En ce qui concerne les allégations de l’auteur résumées au paragraphe 3.2 a), d) et f), l’État partie renvoie au procès-verbal du 27 décembre 1999 établi avant le premier interrogatoire de l’auteur en tant que suspect, dans lequel la signature de l’auteur est apposée sous le texte suivant, écrit par ce dernier:

«J’ai été informé de mes droits en tant que suspect. Je souhaite être représenté par un avocat, L. K. Je comprends les droits qui me sont reconnus par l’article 63 de la Constitution. Je souhaite faire une déposition au sujet de ce crime.».

L’État partie ajoute que le procès-verbal ci-dessus a été signé en outre par l’avocat, ce qui prouve que l’auteur était représenté et que les droits de la défense étaient respectés. Bien que ce procès-verbal ne mentionne pas l’heure à laquelle il a été rédigé, l’État partie affirme que l’auteur a été informé de ses droits en tant que suspect et a rencontré l’avocat avant son premier interrogatoire. Il ajoute que l’auteur n’a apporté aucun élément de preuve à l’appui de ses allégations contraires (voir par. 3.2 b)).

4.8L’État partie affirme qu’il a respecté l’obligation d’interroger dans le plus court délai l’auteur en tant que suspect (voir par. 3.2 c)). La loi ukrainienne autorise le placement en garde à vue des suspects pendant soixante-douze heures durant lesquelles une décision doit être prise sur leur mise en détention provisoire ou leur remise en liberté. En l’espèce, l’auteur a été interrogé trois jours après son arrestation et dès que son placement en détention a été autorisé par le procureur.

4.9Au sujet des allégations de l’auteur formulées au paragraphe 3.2 e) ci-dessus, l’État partie renvoie au commentaire sur l’article 21 du Code de procédure pénale, selon lequel les droits de la défense sont garantis si la loi reconnaît à l’auteur, en tant que partie au procès, un ensemble de droits de procédure lui permettant de défendre ses intérêts, si elle lui accorde le droit au ministère d’un avocat, et si elle oblige l’agent d’instruction, le procureur et le tribunal à respecter ces droits. L’État partie fait valoir qu’en l’espèce l’auteur a été reconnu en tant que partie au procès, qu’il a bénéficié du ministère d’un avocat et que les droits de procédure ont été respectés par les différents organes et tribunaux nationaux.

Article 10 du Pacte

4.10Comme les allégations de violation de l’article 10 du Pacte formulées par l’auteur sont liées à ses allégations de violation de l’article 7, l’État partie renvoie le Comité aux observations consignées aux paragraphes 4.3 à 4.5 ci-dessus.

Article 14 du Pacte

4.11En ce qui concerne le grief du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie explique que l’examen préliminaire de l’affaire constitue une étape distincte de la procédure, au cours de laquelle un tribunal ou un juge − selon la gravité du crime − vérifie si le processus d’instruction est suffisamment avancé pour qu’un tribunal de première instance examine l’affaire quant au fond. En ce qui concerne la participation de l’accusé ou de son avocat à l’examen préliminaire de l’affaire, le commentaire sur l’article 240 du Code de procédure pénale déclare qu’à ce stade le tribunal, ou un juge, siège en privé avec un nombre de participants limité au(x) juge(s), à un procureur et à un greffier. L’accusé ou son avocat peut être cité à comparaître pour cette audience, à la discrétion du tribunal ou du juge, s’ils ont présenté des requêtes à cet effet. Mais, en l’espèce, aucune requête de ce type n’a été présentée (celles qui ont été présentées ont été soit rejetées, soit déclarées non opportunes); par conséquent, le tribunal régional de Kiev n’avait aucune raison de citer l’auteur ou son avocat à comparaître. L’État partie maintient que l’examen préliminaire de l’affaire n’avait eu aucune influence sur l’établissement de la culpabilité de l’auteur; par conséquent, il n’y avait pas violation du droit consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

4.12En ce qui concerne l’allégation de violation du droit garanti par le paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité et déclare que l’auteur n’a pas indiqué les démarches engagées par lui-même et son avocat pour avoir accès au dossier de l’affaire ou pour demander un ajournement. Il en conclut, par conséquent, qu’il n’y a pas violation du droit de l’auteur de disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense.

4.13En ce qui concerne les griefs de l’auteur selon lesquels il n’a pas été représenté par un avocat pendant les trois premiers jours ayant suivi son arrestation et que l’avocat commis d’office ne l’a pas représenté de bonne foi, l’État partie confirme qu’effectivement l’avocat a été commis d’office au service de l’auteur le 27 décembre 1999, mais fait valoir que le premier interrogatoire a aussi eu lieu le même jour et que l’auteur était représenté par un avocat pendant cet interrogatoire. Il ajoute qu’aucune mesure procédurale n’a été prise à l’égard de l’auteur pendant les trois jours au cours desquels il n’était pas représenté par un avocat. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité et déclare que l’auteur a été représenté par un avocat à chaque stade de la procédure le concernant et que, par conséquent, l’absence d’avocat entre le 24 et le 27 décembre 1999 ne constitue pas une violation du droit consacré au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

4.14En ce qui concerne l’efficacité de l’assistance fournie par l’avocat commis d’office, l’État partie renvoie à la position de la CEDH selon laquelle «la nomination d’un avocat commis d’office n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance car l’avocat peut […] se dérober à ses devoirs», mais «[si] on les en avertit, les autorités doivent le remplacer ou l’amener à s’acquitter de sa tâche». Selon l’État partie, dans sa communication, l’auteur n’affirme pas avoir informé les autorités des services ineffectifs de l’avocat commis d’office. Il en conclut que les autorités ne peuvent pas être tenues pour responsables du comportement d’un avocat commis d’office, étant donné que l’auteur ne les a pas informées que ses services étaient ineffectifs.

4.15En ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte (voir le paragraphe 3.3 ci-dessus), l’État partie renvoie à l’Observation générale no 13 du Comité et rappelle ses propres observations concernant les griefs de l’auteur au titre des articles 7 et 10 du Pacte, formulées aux paragraphes 4.3 à 4.5 et au paragraphe 4.10. Il conclut qu’il n’y a pas eu violation du droit de l’auteur à ne pas être forcé de témoigner contre lui-même ou de s’avouer coupable.

Article 15 du Pacte

4.16En ce qui concerne les griefs tirés par l’auteur du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte (voir le paragraphe 3.12 ci-dessus), l’État partie estime que le problème soulevé par l’auteur a un caractère purement juridique et concerne l’effet de la loi dans le temps. En affirmant qu’il y avait un moratoire sur la peine de mort proprement dite depuis le 11 mars 1997, date à laquelle le Président de l’Ukraine a pris son décret, l’auteur se trompe dans la mesure où le Président ne peut modifier la loi (en particulier, le Code pénal) par ses décrets et où, par conséquent, la peine de mort a continué à exister jusqu’au 29 décembre 1999, date à laquelle le Tribunal constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions du Code pénal concernant la peine de mort. Par conséquent, au moment où le crime a été commis, l’article 93 du Code pénal prévoyait deux types de peine pour le meurtre: de huit à quinze ans de prison ou la peine de mort.

4.17Le 21 décembre 2000, le tribunal régional de Kiev a déclaré l’auteur coupable de l’assassinat (meurtre avec préméditation) de deux personnes, avec circonstances aggravantes, acte que les tribunaux punissent généralement de la peine capitale. Par conséquent, s’il avait suivi la règle voulant que le tribunal applique la peine en vigueur au moment où le crime a été commis, le tribunal régional de Kiev aurait condamné l’auteur à la peine de mort. Toutefois, comme cette peine a été déclarée inconstitutionnelle et remplacée par l’emprisonnement à vie, peine qui paraît plus légère, le tribunal a condamné l’auteur à l’emprisonnement à vie. L’État partie estime que les tribunaux ont infligé une peine conforme à la loi et, par conséquent, qu’il n’y a pas de violation des droits reconnus à l’auteur au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 30 avril 2006, l’auteur présente ses commentaires sur les observations de l’État partie et estime que les griefs qui n’ont pas fait l’objet d’observations par l’État partie devraient être considérés par le Comité comme prouvés.

Article 2 du Pacte

5.2L’auteur note que l’État partie lui-même a reconnu qu’il n’y avait pas de recours ouvert à l’auteur au stade de l’examen préliminaire pour faire appel du refus du tribunal d’examiner ses requêtes. Il réaffirme que son grief de violation de l’article 2 devrait être examiné conjointement avec les griefs tirés des paragraphes 1, 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

Articles 7 et 10 du Pacte

5.3L’auteur réitère son grief initial concernant l’effet cumulé de plusieurs facteurs qui lui ont causé de très grandes souffrances physiques et psychologiques et maintient que les méthodes d’enquête illégales qui ont été utilisées délibérément afin de le forcer à témoigner contre lui-même devraient être qualifiées de torture.

5.4Quant à l’affirmation par l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas étayé ses allégations de violation de l’article 7 et de l’article 10 du Pacte, l’auteur renvoie à l’arrêt de la CEDH dans lequel elle reconnaît que les allégations de torture subie pendant une garde à vue sont extrêmement difficiles à étayer pour la victime si elle a été isolée du monde extérieur et privée de la possibilité de voir médecins, avocats, parents ou amis susceptibles de lui fournir un soutien et réunir les éléments de preuve nécessaires. Étant donné que l’État partie n’a pas procédé à une enquête approfondie et diligente sur les allégations de l’auteur concernant les méthodes d’enquête illicites appliquées à son égard, ainsi que sur les blessures infligées à son frère, témoin dans l’affaire, et à R. K., coaccusé, l’auteur demande au Comité de conclure à une violation des articles 7 et 10 du Pacte.

5.5L’auteur demande instamment au Comité d’appliquer le critère de la preuve emportant la conviction «au-delà de tout doute raisonnable» lorsqu’il évalue les éléments dont il est saisi. L’auteur rappelle que lui-même, son frère, R. K. et les deux autres coaccusés, A. K. et G. D., ont été détenus dans le même centre de détention provisoire pendant la même période et ont été soumis à des méthodes d’interrogatoire illégales par les mêmes enquêteurs de la police. Outre les tentatives qu’il a faites pour se plaindre de l’emploi des méthodes d’enquête illégales décrites dans sa lettre initiale au Comité, l’auteur fournit une copie des procès-verbaux d’interrogatoire des 19 avril 2000 et 14 juin 2000 dans lesquels il a expliqué que le témoignage où il reconnaît sa culpabilité a été obtenu par les enquêteurs de la police au moyen de pressions physiques et psychologiques.

5.6Quant à ses griefs concernant les conditions inhumaines de sa détention dans le centre de détention provisoire de Vasilkov, du 24 décembre 1999 au 11 janvier 2000 et du 22 février 2000 au 21 mars 2000, l’auteur estime que ces griefs devraient être examinés dans le contexte de l’emploi délibéré de méthodes d’enquête illégales à son égard. L’auteur rappelle que ces allégations n’ont pas fait l’objet d’une enquête approfondie, rapide et impartiale par les autorités de l’État partie malgré les nombreuses plaintes adressées par l’auteur au bureau du procureur, au tribunal régional de Kiev et à la Cour suprême. En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que les recours internes n’ont pas été épuisés concernant les allégations en question, l’auteur estime qu’il incombe à l’État partie qui invoque le non-épuisement des recours internes de prouver que le recours était un recours utile, disponible en théorie et en pratique.

5.7L’auteur reconnaît qu’il n’a pas engagé de procédure civile pour contester ses conditions de détention, mais il note que l’État partie n’a pas expliqué en quoi une telle procédure aurait pu lui offrir une voie de recours dans sa situation et n’a pas donné d’exemple de procédure judiciaire engagée en cette matière par une personne condamnée pour prouver que ce recours avait des chances raisonnables d’aboutir.

5.8Au sujet des griefs relatifs à la détention au secret, l’auteur réitère son argument concernant l’effet cumulé de nombreux facteurs, parmi lesquels la détention au secret, qui a entraîné chez lui une très grande souffrance physique et psychologique. Il maintient qu’il a été placé en isolement cellulaire pendant les trois premiers jours de sa détention et a été transféré dans la cellule ordinaire seulement après avoir fait une déclaration reconnaissant sa culpabilité. Il ajoute s’être trouvé en fait sans aucun moyen de communication avec le monde extérieur, puisque l’avocat commis d’office par les autorités chargées de l’enquête ne le représentait que pour la forme et collaborait avec lesdites autorités afin de couvrir leurs actes illégaux.

Article 9 du Pacte

5.9L’auteur rejette l’argument de l’État partie selon lequel il a été arrêté le 24 décembre 1999 en totale conformité avec les dispositions de l’article 106 du Code de procédure pénale et déclare qu’il s’est effectivement rendu au département de la police du district de Vasilkov de sa propre initiative, mais relève qu’il n’a pas avoué avoir commis un meurtre. Il ajoute que, contrairement aux dispositions de l’article 96 du Code de procédure pénale, la déposition initiale qu’il a faite oralement au moment de son arrestation n’a pas été consignée dans un procès-verbal. De plus, les explications qu’il a données sur les circonstances dans lesquelles le crime avait été commis n’ont pas été consignées dans le procès-verbal d’arrestation du 24 décembre 1999, lequel mentionne que l’auteur a été informé de ses droits.

5.10L’auteur explique de manière très détaillée qu’au moment de son arrestation les autorités de l’État partie n’ont pas appliqué les dispositions de l’article 106, partie 4, du Code de procédure pénale. Il indique que l’État partie a reconnu qu’un avocat avait été commis d’office pour assister l’auteur, qui a été interrogé pour la première fois en qualité de suspect trois jours seulement après son arrestation, c’est-à-dire le 27 décembre 1999. L’auteur rappelle qu’en vertu de l’article 107, partie 2, du Code de procédure pénale, un suspect doit être interrogé dans les plus courts délais et qu’en vertu de l’article 44, partie 2, du même Code, un avocat doit lui être commis d’office dans un délai de vingt-quatre heures après l’arrestation. Il ajoute que conformément à l’article 46, partie 3, clause 3 du Code de procédure pénale, le ministère d’un avocat était obligatoire dans son cas. L’auteur conclut que les autorités de l’État partie ont violé les dispositions du droit interne dans le cadre de son arrestation et de sa détention ultérieure et que, par conséquent, il y a également eu violation des droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

Article 14 du Pacte

5.11Au sujet des arguments formulés par l’État partie au paragraphe 4.11 ci-dessus, concernant l’examen préliminaire de l’affaire, l’auteur rappelle que le Code de procédure pénale n’autorisait pas la participation de l’accusé ou de l’avocat à l’audience préliminaire et que, par conséquent, ces derniers n’auraient pas pu adresser une requête au tribunal pour être cités à comparaître. L’auteur rappelle aussi que le Code de procédure pénale en vigueur au moment de l’audience préliminaire ne prévoyait pas la possibilité de recevoir une copie de la décision rendue et d’en faire appel. En outre, l’auteur a reçu une copie de l’acte d’accusation seulement après l’examen préliminaire de l’affaire par le tribunal régional de Kiev. L’auteur maintient qu’il y a eu violation du droit qui lui est reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

5.12Concernant l’argument avancé par l’État partie, selon lequel l’examen préliminaire du dossier pénal n’avait eu aucune influence sur l’établissement de la culpabilité, l’auteur déclare qu’en fait le tribunal régional de Kiev a bien examiné, le 15 septembre 2000, plusieurs points d’une importance cruciale pour le fond de l’affaire, notamment la question de savoir si les droits de la défense lors de l’enquête et de l’instruction ont été dûment respectés, s’il y avait matière à déclarer un non-lieu ou à classer l’affaire, s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour porter l’affaire devant le tribunal, si toutes les personnes au sujet desquelles des éléments à charge avaient été recueillis ont été inculpées. L’auteur estime, par conséquent, que l’audience préliminaire tenue par le tribunal régional de Kiev est allée bien au-delà des questions de procédure et a constitué en fait un examen de l’affaire dans sa totalité. Il réitère son grief initial et souligne que la participation au procès en première instance du même juge et des deux mêmes assesseurs qui avaient conduit l’examen préliminaire de l’affaire le 15 septembre 2000 constituait une violation distincte du droit reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

5.13L’auteur rejette l’argument de l’État partie selon lequel il n’aurait pas indiqué les mesures prises par lui-même et son avocat pour pouvoir consulter les éléments du dossier ou pour demander un ajournement; il indique que l’audience préliminaire tenue par le tribunal régional de Kiev n’était pas publique et que, par conséquent, il ne pouvait présenter aucune requête ni faire appel de la décision du 15 septembre 2000. Il demande au Comité de déclarer qu’il y a eu violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

5.14L’auteur rappelle les griefs formulés au paragraphe 3.4 ci-dessus et rejette les arguments de l’État partie exposés aux paragraphes 4.12 à 4.14 ci-dessus; il estime que l’absence d’avocat pendant soixante-douze heures et le fait de ne pas lui expliquer les droits de la défense ont, en tant que tels, constitué une violation distincte du droit énoncé au paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte. De surcroît, c’est au cours des soixante-douze heures en question que l’auteur a été contraint de témoigner contre lui-même et de s’avouer coupable − aveux qui ont servi de base à sa mise en accusation et à sa condamnation ultérieure.

5.15L’auteur déclare que, selon le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, une personne qui n’a pas les moyens de rémunérer l’assistance d’un défenseur doit s’en voir attribuer un d’office. L’auteur, pour sa part, n’a jamais demandé aux autorités chargées de l’enquête de désigner un avocat commis d’office car sa famille avait suffisamment de moyens pour engager un avocat. En fait, sa famille a effectivement engagé un avocat, dès qu’il a pu prendre contact avec elle par des voies non officielles, étant donné qu’il était privé de moyens officiels de communication avec le monde extérieur. L’auteur déclare que l’État partie ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir informé les autorités compétentes de l’inefficacité de l’avocat commis d’office. Premièrement, cet avocat lui a été imposé par les autorités chargées de l’enquête au moyen de la torture et d’autres méthodes d’enquête illégales. Deuxièmement, l’auteur renvoie au procès-verbal d’interrogatoire du 14 juin 2000 pour corroborer l’allégation selon laquelle il s’est effectivement plaint aux autorités de l’État partie, notamment auprès du bureau du procureur, de l’inefficacité de l’avocat commis d’office.

Article 15 du Pacte

5.16L’auteur réitère les griefs initiaux qu’il a formulés au titre du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il maintient qu’il aurait dû bénéficier de la loi qui lui était la plus favorable, c’est-à-dire la «loi provisoire».

5.17Pour ce qui est de la peine applicable au moment où le crime a été commis, l’auteur affirme, le 13 février 2011, qu’à la suite de la signature par l’Ukraine du Protocole no6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales le 5 mai 1997, l’État partie était tenu de ne pas infliger la peine de mort ni exécuter des condamnations à mort, c’est-à-dire de commettre des actes qui seraient contraires à l’objet et au but du traité. Selon lui, c’est la même position qu’a adoptée le Tribunal constitutionnel de la Fédération de Russie dans sa décision du 19 novembre 2009. Par conséquent, l’auteur réitère son grief initial, à savoir que le 13 décembre 1999 c’est-à-dire la date du crime pour lequel il a été condamné, la plus lourde peine qui aurait pu être imposée en Ukraine était une peine de quinze ans d’emprisonnement.

5.18En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel, pour suivre la règle voulant que le tribunal applique la peine en vigueur au moment où le crime a été commis, le tribunal régional de Kiev aurait prononcé la peine capitale, l’auteur déclare que rien dans les décisions rendues dans son affaire par les tribunaux de l’État partie ne vient étayer cet argument. L’auteur ajoute qu’en vertu de l’article 24 du Code pénal la peine de mort était considérée comme une peine exceptionnelle, tandis qu’aux termes du paragraphe 1-1 de l’article 23 du même Code, l’emprisonnement à vie est traité comme une peine ordinaire. L’auteur mentionne le principe de la sécurité juridique du droit pénal, garantie en vertu du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité n’examinera aucune communication sans s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été épuisés; toutefois, cette règle ne s’applique pas s’il est établi que les procédures de recours internes ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables ou qu’il serait peu probable qu’elles donnent satisfaction à l’auteur.

6.4L’État partie a fait valoir que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes au sujet de ses allégations concernant les conditions de détention inhumaines au centre de détention provisoire de Vasilkov, et a déclaré que les plaintes visant des conditions de détention «inadaptées» devaient être présentées en vertu des articles 2481) à 248 9) du Code de procédure pénale. À ce sujet, le Comité a toujours considéré que l’État partie devait décrire en détail les recours dont un auteur aurait pu disposer en l’espèce et fournir la preuve qu’il existait des perspectives raisonnables de voir ces recours aboutir. Une description générale des droits et des recours disponibles ne suffit pas. Le Comité note que l’État partie n’a pas expliqué en quoi la procédure civile aurait apporté satisfaction à l’auteur en l’espèce. Le Comité note en outre que l’auteur s’est plaint des conditions de détention inhumaines dans son pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Le Comité considère par conséquent que les conditions énoncées au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ont été réunies et conclut que les griefs portant sur les conditions de détention dans le centre de détention provisoire de Vasilkov que l’auteur a formulés au titre des articles 7 et 10 du Pacte sont recevables.

6.5Le Comité note les griefs tirés des paragraphes 1, 3 b) et d) de l’article 14, lus conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, au sujet de l’examen préliminaire de l’affaire, et note les observations de l’État partie à ce sujet. Le Comité observe que l’auteur n’a pas fourni d’éléments à l’appui de son allégation selon laquelle le tribunal régional de Kiev avait examiné l’affaire au fond lors de l’audience préliminaire. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas établi, aux fins de la recevabilité, que sa non-participation et celle de son avocat à l’audience préliminaire constituaient une violation des droits consacrés aux paragraphes 1, 3 b) et d) de l’article 14, lus conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère en outre que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, le grief selon lequel le fait que le même juge et les deux mêmes assesseurs qui avaient conduit l’examen préliminaire de l’affaire le 15 septembre 2000 ont participé au procès devant le tribunal de première instance constituait une violation du droit consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité note aussi l’argument de l’auteur selon lequel il est victime d’une violation des paragraphes 1 et 3 d) de l’article 14 du Pacte parce que ni lui ni son avocat n’ont pris part à l’examen des objections qu’il a formulées au compte rendu d’audience devant le tribunal de première instance le 2 février 2001, alors que, contrairement au principe de l’égalité des armes, le procureur a pris part à l’audience en question. Le Comité relève toutefois que l’auteur n’explique pas en quoi cela a influencé la détermination du bien-fondé des accusations en matière pénale dont il faisait l’objet. Il conclut, par conséquent, que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, cette partie de la communication. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8En ce qui concerne les griefs de l’auteur qui affirme qu’il n’a pas été autorisé à prendre part à la procédure de cassation et de ce fait ne pouvait pas se défendre lui-même, le Comité note que, comme il ressort de la copie de l’arrêt de la Cour suprême du 22 mars 2001 fournie par l’auteur, celui-ci a été représenté à l’audience par l’avocat engagé à titre privé et sa mère. Le Comité note en outre que, selon ses propres dires, l’auteur et son avocat ont présenté chacun un recours en cassation et un recours additionnel devant la Cour suprême. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas établi, aux fins de la recevabilité, que sa non-participation à l’audience de cassation a constitué une violation des droits consacrés au paragraphe 3 b) et d) de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14, et avec le paragraphe 3 c) de l’article 2 du Pacte. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité considère que le reste des griefs formulés par l’auteur au titre de l’article 2, de l’article 7, de l’article 9 (par. 1), de l’article 10, de l’article 14 (par. 1, 2, 3 b), d), e) et g)) et de l’article 15 (par. 1) du Pacte sont suffisamment étayés, aux fins de la recevabilité, et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2L’auteur affirme qu’il a été roué de coups, menacé de représailles contre sa famille, placé dans une cellule de punition au centre de détention provisoire de Vasilkov par les enquêteurs de la police pour le forcer à s’avouer coupable, au mépris de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. Le Comité note que, le 17 février 2000, l’auteur a présenté par écrit au bureau du procureur régional de Kiev une plainte dans laquelle il décrit les méthodes d’enquête illégales dont il a fait l’objet, et que le bureau du procureur n’a pas décidé d’engager des poursuites pénales ni d’ouvrir un complément d’enquête. Le Comité note en outre que l’auteur est revenu sur ses aveux à l’audience, en affirmant qu’ils avaient été passés sous la torture, et que le tribunal avait rejeté sa contestation du caractère spontané de ses aveux, après avoir entendu les témoignages de cinq enquêteurs de la police. Aucun autre témoin n’a été cité à comparaître. Le Comité note aussi que l’État partie a fait valoir que l’auteur n’avait produit aucune preuve à l’appui des allégations selon lesquelles il avait été roué de coups et subi d’autres pressions physiques ou psychologiques.

7.3À ce propos, le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

7.4De plus, en ce qui concerne le grief de violation des droits consacrés au paragraphe 3 g) de l’article 14, en ce que l’auteur a été contraint de signer des aveux, le Comité doit prendre en considération les principes sur lesquels repose cette garantie. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle le libellé du paragraphe 3 g) de l’article 14, en vertu duquel toute personne «a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même et de s’avouer coupable», doit s’entendre comme interdisant toute contrainte physique ou psychologique, directe ou indirecte, des autorités d’instruction sur l’accusé, dans le but d’obtenir un aveu. Le Comité rappelle qu’en cas d’allégations d’aveux forcés il incombe à l’État de prouver que l’accusé a fait ses déclarations de son plein gré. Le Comité observe que l’État partie n’a avancé aucun argument corroboré par des documents pertinents afin de réfuter l’allégation de l’auteur selon laquelle il a été contraint de s’avouer coupable. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

7.5Le Comité rappelle aussi que l’État partie est responsable de la sécurité de toute personne qu’il prive de liberté et que, lorsqu’une personne affirme avoir été blessée en détention, il incombe à l’État partie d’apporter des éléments de preuve pour réfuter ces allégations. En outre, les plaintes pour mauvais traitements doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales des autorités compétentes. Le Comité note que l’auteur a donné une description détaillée du traitement auquel il a été soumis et que l’État partie n’a pas enquêté à ce sujet. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité constate que les conditions requises n’ont pas été respectées et conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

7.6Sur la question de savoir si l’arrestation de l’auteur le 24 décembre 1999 et la détention qui a suivi se sont déroulées conformément aux prescriptions énoncées au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, le Comité note que la privation de liberté ne peut intervenir si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi et s’il s’agit d’une arrestation et d’une détention non arbitraires. En d’autres termes, le Comité doit déterminer tout d’abord si la privation de liberté de l’auteur était conforme aux lois applicables de l’État partie. L’auteur a affirmé qu’aucun des motifs d’arrestation énoncés à l’article 106, parties 1 et 2, du Code de procédure pénale ne pouvait être invoqué quand il a été arrêté et que les enquêteurs de la police n’ont pas respecté un certain nombre de procédures énoncées dans le Code de procédure pénale, notamment le droit de consulter un avocat dès l’arrestation, le droit d’être interrogé dans les plus courts délais en tant que suspect par un agent enquêteur et d’être informé de ses droits. L’État partie a fait valoir que l’arrestation de l’auteur, le 24 décembre 1999, était conforme aux règles énoncées à l’article 106 du Code pénal, mais il a reconnu qu’un avocat a été commis d’office et que l’auteur a été interrogé en qualité de suspect pour la première fois trois jours après son arrestation. Le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel, en vertu de l’article 107, partie 2, du Code de procédure pénale, un suspect doit être interrogé dans les plus courts délais et, aux termes de l’article 44, partie 2, du Code de procédure pénale, un avocat doit être commis d’office dans les vingt-quatre heures suivant l’arrestation. Le Comité note aussi le grief de l’auteur, qui n’a pas été spécifiquement contesté par l’État partie, selon lequel l’auteur a été interrogé de facto par les agents enquêteurs de la police pendant les trois jours qui ont suivi son arrestation, en l’absence d’un avocat et d’un agent d’instruction, et sans avoir été informé de ses droits. Dans ces circonstances, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.7Le Comité a noté les allégations de l’auteur selon lesquelles les conditions de détention dans le centre de détention provisoire de Vasilkov, où il a été détenu du 24 décembre 1999 au 11 janvier 2000 et du 22 février 2000 au 21 mars 2000, étaient inappropriées: les cellules étaient surpeuplées, humides, sales et ne comportaient ni lit, ni matelas, ni d’autres articles de base; en général, la température, la lumière et la ventilation dans les cellules étaient insuffisantes. L’État partie n’a pas répondu de manière spécifique aux allégations présentées par l’auteur avec beaucoup de détails. Le Comité rappelle que les personnes privées de liberté doivent être traitées conformément à des normes minimales. Il ressort des déclarations de l’auteur, qui n’ont pas été réfutées par l’État partie, que les normes en question n’ont pas été respectées. En conséquence, le Comité constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

7.8Le Comité note les griefs de l’auteur qui fait valoir qu’il n’a pu consulter aucun avocat pendant soixante-douze heures, n’a pas pu communiquer avec un avocat de son choix pendant plus de deux mois, s’est vu imposer un avocat commis d’office qui ne participait à la procédure que pour la forme et selon lesquels aucun motif ne justifiait de lui commettre un avocat d’office. L’État partie a rejeté en partie ces griefs en déclarant qu’aucune mesure de procédure n’avait été prise concernant l’auteur pendant la période de trois jours au cours de laquelle il n’était pas représenté par un avocat et que l’auteur n’avait pas informé les autorités de l’État partie des services ineffectifs de l’avocat commis d’office. L’auteur a répondu aux arguments de l’État partie en déclarant que c’était pendant la période de trois jours durant laquelle il n’était pas représenté par l’avocat qu’il a été forcé de témoigner contre lui-même. En outre, l’auteur a joint une copie d’un procès-verbal de l’interrogatoire du 14 juin 2000 pour montrer qu’il s’est effectivement plaint auprès des autorités de l’État partie des services ineffectifs de l’avocat commis d’office. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

7.9Le Comité note le grief de l’auteur qui affirme que son procès a été inéquitable étant donné que le tribunal était partial et n’a pas respecté les dispositions du Code de procédure pénale. En outre, l’auteur signale des circonstances qui, selon lui, montrent qu’il n’a pas bénéficié de la présomption d’innocence. Le Comité a pris note de l’argument de l’auteur qui affirme que lui-même et son avocat ont demandé au tribunal, entre autres choses, d’examiner l’allégation selon laquelle les enquêteurs de la police avait appliqué à l’auteur et aux autres coaccusés des méthodes d’enquête illégales afin de les forcer à s’avouer coupables, et d’exclure les éléments à charge obtenus illégalement, notamment les «aveux» écrits par R. K. le 24 décembre 1999, lequel ne pouvait plus être cité à comparaître comme témoin. Ces requêtes ont été rejetées par le tribunal régional de Kiev. La Cour suprême qui a examiné l’affaire en cassation n’a supprimé aucun des vices de procédure ayant entaché le procès en première instance.

7.10À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence et déclare qu’il n’appartient pas au Comité, mais généralement aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou d’examiner l’interprétation que les juridictions et tribunaux nationaux ont faite du droit interne, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès, l’évaluation des faits et des éléments de preuve ou l’interprétation du droit ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. En l’espèce les faits présentés par l’auteur, sur lesquels l’État partie n’a pas fait d’observation particulière, montrent que l’appréciation par l’État partie des preuves à charge contre l’auteur reflétait le non-respect, de leur part, des garanties d’une procédure régulière, comme le Comité l’a établi auparavant, énoncées aux paragraphes 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte. Dans ces circonstances, le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître aussi une violation des paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14 du Pacte.

7.11Compte tenu de cette conclusion, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner séparément le grief de violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

7.12Le Comité note la violation du paragraphe 1 de l’article 15 invoquée par l’auteur, qui affirme qu’en le condamnant à l’emprisonnement à vie les tribunaux de l’État partie ont prononcé une peine plus lourde que celle qui était applicable au moment où le crime a été commis et que celle qui était applicable en vertu de la «loi provisoire», c’est-à-dire une peine de quinze ans d’emprisonnement. Le Comité relève aussi un autre argument de l’auteur faisant valoir que, si la peine applicable a changé plus d’une fois entre le moment où le crime a été commis et sa condamnation, il aurait dû bénéficier de la loi qui lui est la plus favorable. Le Comité observe toutefois que, comme l’a indiqué l’État partie, la peine de mort a continué à exister jusqu’au 29 décembre 1999, date à laquelle le Tribunal constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions du Code pénal sur la peine de mort. Le Comité note aussi que, selon l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 29 décembre 1999, les dispositions du Code pénal sur la peine de mort sont devenues nulles à compter de la date d’adoption de cet arrêt. De ce fait, au moment où le crime a été commis, le 13 décembre 1999, l’article 93 du Code pénal prévoyait deux types de peine pour meurtre: une peine de huit à quinze ans d’emprisonnement ou la peine de mort.

7.13Le Comité note en outre, concernant la période où la loi en vigueur était déterminée par la décision du Tribunal constitutionnel du 29 décembre 1999, que cette loi était applicable à une catégorie très spécifique de cas − les cas où le crime a été commis entre le 29 décembre 1999 et le 4 avril 2000 et ceux pour lesquels les jugements ont été rendus pendant cette même période. À ce sujet, le Comité renvoie à sa jurisprudence dans l’affaire Tofanyuk c. Ukraine, où il a conclu que la décision du Tribunal constitutionnel n’avait pas établi une nouvelle peine qui remplacerait la peine capitale. Il considère par conséquent que, dans le cas de l’auteur, la loi en vigueur entre le 29 décembre 1999 et le 4 avril 2000 ne constitue pas une disposition dans laquelle «la loi prévoit l’application d’une peine plus légère» au sens de la dernière phrase du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Le Comité note en outre que la peine d’emprisonnement à vie instituée par la loi du 22 février 2000 est pleinement conforme au but de la décision du Tribunal constitutionnel, qui était d’abolir la peine de mort, peine plus lourde que l’emprisonnement à vie. Par conséquent, à part les amendements cités relatifs à l’emprisonnement à vie, la loi n’a pas prévu ultérieurement de peine plus légère dont l’auteur aurait pu bénéficier. Dans ces circonstances, le Comité ne peut pas conclure qu’en condamnant l’auteur à l’emprisonnement à vie, les tribunaux de l’État partie ont violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7 seul, de l’article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 1, 3 b), d), e) et g) de l’article 14 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours utile. Ce recours doit comporter un réexamen de la condamnation qui soit conforme aux garanties d’un procès équitable énoncées à l’article 14 du Pacte, une enquête impartiale, diligente et approfondie sur les griefs formulés par l’auteur au titre de l’article 7, des poursuites contre les responsables et une réparation complète, sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est tenu en outre de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]