Nations Unies

CCPR/C/101/D/1769/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

28 avril 2011

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme 101 e session

14 mars-1er avril 2011

Constatations

Communication no 1769/2008

Présentée par:

Natalya Bondar (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Sandzhar Ismailov

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

16 janvier 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 mars 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

25 mars 2011

Objet:

Détention et procès de l’époux de l’auteur

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Détention arbitraire; procès équitable; droit de bénéficier de l’assistance d’un défenseur de son choix, droit d’interroger des témoins, droit de ne pas témoigner contre soi-même, immixtion illégale dans la vie privée et dans la famille

Article s du Pacte:

9 (par. 1, 2 et 3), 14 (par. 1 et 3 b), d), e) et g)), 17 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

2

Le 25 mars 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no1769/2008.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (101e session)

concernant la

Communication no1769/2008 **

Présentée par:

Natalya Bondar (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Sandzhar Ismailov

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

16 janvier 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme,institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no1769/2008 présentée au nom de M. Sandzhar Ismailov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication en date du 16 janvier 2008 est MmeNatalya Bondar, de nationalité ouzbèke. Elle présente la communication au nom de son mari, M. Sandzhar Ismailov, de nationalité ouzbèke, né en 1970, qui purge une peine de prison. L’auteur affirme que son mari est victime de violations par l’Ouzbékistan des droits consacrés aux articles 9 (par. 2 et 3), 14 (par. 1 et 3 b), d), e) et g)) et 17 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1De 2002 à 2005, M. Ismailov a travaillé au Ministère de la défense en tant que chef du Département central de renseignements de l’état-major mixte des Forces armées de l’Ouzbékistan. Le 29 juin 2005, il a été convoqué à l’administration centrale du Service national de la sécurité (ci-après désigné «SNS») sous le prétexte de passer un entretien d’admission à l’École supérieure du SNS. À son arrivée, M. Ismailov a été interrogé par des agents du SNS. Peu après, son appartement a été perquisitionné, mais aucun élément qui aurait pu servir de base pour engager des poursuites pénales contre lui n’a été trouvé. M. Ismailov n’a pas pu bénéficier de l’assistance d’un avocat pendant son interrogatoire ni pendant la perquisition de son domicile, ce qui contrevient à la législation ouzbèke. Le même jour, il a été arrêté par des agents du SNS et conduit au centre de détention provisoire du SNS sans être informé des charges retenues contre lui.

2.2Le 1er juillet 2005, sur une décision de l’enquêteur, M. Ismailov a été informé de son statut d’inculpé dans une procédure pénale. Son placement en détention a été approuvé par le Procureur général adjoint du Bureau du Procureur militaire de l’Ouzbékistan. Le même jour, la famille de M. Ismailov a engagé un avocat pour assurer sa défense. Toutefois, l’enquêteur du SNS, en violation de l’article 116 de la Constitution et de la législation en matière de procédure pénale, n’a pas autorisé l’avocat privé à représenter les intérêts de l’inculpé, invoquant la nature confidentielle de l’affaire. Il a désigné un autre avocat.

2.3Le 26 janvier 2006, le tribunal militaire de la République d’Ouzbékistan a déclaré M. Ismailov coupable des infractions visées aux articles 157 (trahison) et 248 (détention illégale de munitions) du Code pénal et l’a condamné à vingt années d’emprisonnement. Il a conclu que M. Ismailov avait divulgué des secrets d’État (en particulier des informations ayant trait au Service de renseignements ouzbek) et transmis à un représentant de l’ambassade de Russie des documents cryptés concernant des négociations secrètes. Bien que la rencontre ait eu lieu sur son lieu de travail, M. Ismailov a été accusé de ne pas avoir rendu compte de l’intérêt que l’attaché russe portait à ces questions.

2.4Le 5 février 2007, M. Ismailov a formé un recours en cassation auprès de la chambre de justice du tribunal militaire de la République d’Ouzbékistan. Le 22 février 2007, le tribunal a rejeté son appel en déclarant que sa culpabilité avait été correctement établie par le tribunal de première instance.

2.5L’auteur (la femme de M. Ismailov) et MmeGavkhar Ismailova (la mère de M. Ismailov) ont adressé de nombreuses plaintes au Président de la République d’Ouzbékistan. Toutefois, toutes ces plaintes ont été redirigées vers le Bureau du Procureur et rejetées sans aucune explication quant à la légalité de l’arrestation et de la condamnation de M. Ismailov. Le 3 décembre 2007, MmeGavkhar Ismailova a déposé une plainte auprès de la Cour suprême au nom de son fils, qui a été rejetée le 24 décembre 2007.

2.6L’auteur fait valoir que tous les recours internes disponibles et utiles ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son mari a été arrêté le 29 juin 2005 sans être informé des charges retenues contre lui, en violation du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte. Elle affirme en outre que l’arrestation de son mari a été autorisée par le Procureur général adjoint du Bureau du Procureur militaire de l’Ouzbékistan le 1er juillet 2005, en violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

3.2L’auteur affirme que les droits que son mari tient du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 ont été violés, dans la mesure où l’agent chargé de l’enquête, invoquant la nature confidentielle de l’affaire, a privé son mari du droit d’être assisté par l’avocat engagé par sa famille et a désigné un autre avocat. L’auteur affirme que son mari n’a rencontré l’avocat nouvellement commis que deux fois, la première rencontre ayant eu lieu le 1er juillet 2005. Selon elle, l’avocat n’était pas présent lorsque les actes d’enquête ont été effectués, mais il a signé tous les procès-verbaux d’interrogatoire le 23 juillet 2005, après que son mari eut avoué sa culpabilité sous la contrainte. Le ministère public a donc restreint les droits constitutionnels et procéduraux de M. Ismailov, qui lui garantissent la possibilité de faire appel des actes et des décisions de l’enquêteur, concernant notamment son arrestation illégale, puisqu’il l’a empêché de bénéficier de l’assistance de l’avocat de son choix pour la préparation des différents recours. L’auteur affirme que ce n’est qu’au procès que M. Ismailov a pu être représenté par le conseil de son choix.

3.3L’auteur affirme en outre que l’enquête criminelle n’a pas été exhaustive et relève qu’il existe des incohérences entre les conclusions des tribunaux et les éléments de fait. Lors de l’enquête préliminaire, puis au procès, son mari a demandé que soient cités à comparaître et interrogés plusieurs témoins qui auraient déposé en sa faveur et dont les témoignages étaient importants pour l’issue de l’affaire pénale, mais toutes ses demandes ont été refusées, en violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte. Les tribunaux ont notamment refusé de citer à comparaître des ressortissants russes auxquels M. Ismailov aurait révélé des secrets d’État. L’auteur affirme que le tribunal aurait eu la possibilité de le faire en vertu de la Convention de Minsk de 1993 sur l’assistance judiciaire et les relations judiciaires en matière civile, familiale et pénale. En outre, les demandes de son mari d’examiner de manière approfondie tous les documents et toutes les pièces du dossier ont été refusées sans motifs raisonnables par les tribunaux, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Elle affirme que le tribunal était partial dans la mesure où il a présumé M. Ismailov coupable avant d’avoir examiné tous les éléments de preuve, en violation de l’article 26 de la Constitution et des articles 22 et 23 du Code de procédure pénale.

3.4L’auteur affirme que l’enquête préliminaire et le procès ont été entachés d’importantes violations des règles de procédure et des droits constitutionnels et procéduraux de M. Ismailov. Pendant l’enquête préliminaire, des pressions psychologiques ont été exercées sur son mari, en violation de l’article 26 de la Constitution et des articles 17 et 88 du Code de procédure pénale, pour le forcer à s’avouer coupable. Pendant que M. Ismailov se trouvait en détention, les agents du SNS ont effectué cinq perquisitions à son appartement et au domicile de parents proches, dont aucune n’avait été autorisée par un procureur, et exercé des pressions psychologiques sur eux. L’auteur affirme que les agents du SNS ont fouillé légalement sa voiture et ont conclu qu’elle n’avait aucun rapport avec l’affaire pénale engagée contre son mari. Toutefois, par la suite, ils ont saisi la voiture et ont dit à l’auteur qu’elle lui serait rendue si son mari avouait qu’il faisait de l’espionnage pour le compte d’un pays étranger et révélait son nom de code. En outre, les agents du SNS ont tenté d’empêcher la sœur de son mari de partir pour l’Amérique pour y résider de manière permanente, en la menaçant d’engager des poursuites pénales contre elle et de confisquer son appartement et sa voiture si son frère ne s’avouait pas coupable. Par conséquent, l’auteur affirme que son mari s’est avoué coupable afin de faire cesser les pressions exercées sur sa famille. Pendant le procès, son mari a modifié sa déclaration initiale, qui avait été obtenue au moyen de pressions psychologiques. Toutefois, dans le jugement du 26 janvier 2006, le tribunal a considéré que les griefs de pressions psychologiques formulés par M. Ismailov étaient infondés et guère convaincants et a décidé que la déposition faite par M. Ismailov contre lui-même lors de l’enquête préliminaire pouvait servir de base pour le jugement. Ainsi, le jugement est fondé uniquement sur de faux aveux, en violation des articles 26, 455 et 463 du Code de procédure pénale. L’auteur affirme que le tribunal n’a présenté aucun élément de preuve autre que la déposition faite par son mari contre lui-même pour appuyer son verdict de culpabilité. Ces faits constituent une violation des droits garantis par le paragraphe 3 g) de l’article 14 et le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

3.5L’auteur affirme que, vu les faits susmentionnés et les autres violations de la législation en matière de procédure pénale qui ont été commises pendant l’enquête préliminaire et pendant le procès, la procédure a été entachée de partialité et les droits de la défense et le droit à un procès équitable reconnus à son mari ont été violés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.Dans une note verbale du 16 février 2009, l’État partie fait observer que les allégations de l’auteur concernant les violations qui auraient été commises pendant l’enquête pénale et pendant le procès ne sont pas fondées. Il affirme que, en 2005, M. Ismailov, abusant de ses fonctions au Ministère de la défense, a livré, sans y être autorisé, des secrets d’État à des représentants de la mission diplomatique d’un pays étranger et a, de ce fait, mis en péril les intérêts de la sécurité nationale de l’Ouzbékistan. Il indique de plus que M. Ismailov a été inculpé des infractions visées au paragraphe 1 de l’article 157 (trahison), au paragraphe 1 de l’article 248 (détention illégale de munitions) et au paragraphe 1 de l’article 301 du Code pénal (abus de pouvoir). Le 26 janvier 2006, le tribunal militaire de la République d’Ouzbékistan l’a déclaré coupable des infractions susmentionnées et, après l’application du décret du 2 décembre 2005 du Sénat de l’Oliy Majlis sur l’amnistie à l’occasion du treizième anniversaire de la Constitution, l’a condamné à quinze années d’emprisonnement. L’examen ultérieur de l’affaire par les organes d’enquête et par le tribunal militaire, ainsi que dans le cadre de la procédure de cassation, n’a pas fait apparaître de violations de la législation ou des droits de M. Ismailov, ni pendant l’enquête préliminaire ni au procès.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 20 février 2009, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond. Elle réitère son allégation quant au fait que l’enquête et le procès dont a fait l’objet son mari ont été entachés de violations de la législation nationale et des droits garantis par la Constitution, ainsi que des normes internationales. Les autorités ouzbèkes n’ont présenté aucune réponse solide et motivée aux griefs soulevés dans ses nombreuses plaintes, concernant notamment: 1) la notification tardive des chefs d’inculpation; 2) le refus d’autoriser son mari à bénéficier de l’assistance d’un avocat de son choix et la conduite d’actes d’enquête (interrogatoires, confrontations, etc.) en l’absence de l’avocat désigné par l’enquêteur; 3) les pressions psychologiques exercées sur M. Ismailov et sa famille par le chantage, la tromperie et les nombreuses perquisitions de domiciles; 4) le refus déraisonnable et infondé du tribunal de convoquer et d’interroger les témoins de la défense; 5) la violation de la législation en matière de procédure pénale pour ce qui est de l’évaluation des éléments de preuve dans l’affaire de son mari, ainsi que l’application d’une peine fondée uniquement sur la déposition faite par son mari contre lui-même. L’auteur rappelle que tous ces griefs ont été exposés dans sa lettre initiale au Comité.

5.2L’auteur fait observer que l’État partie n’a pas abordé dans ses observations la question de la recevabilité et du fond de sa communication au regard du Protocole facultatif. Elle affirme que la persécution de son mari par la non-application des lois d’amnistie annuelle montre que l’État partie a l’intention de retarder sa remise en liberté.

5.3Dans une lettre datée du 15 avril 2010, l’auteur affirme que la persécution de son mari se poursuit par la non-application des lois d’amnistie annuelle, le maintien des pressions psychologiques et physiques, le refus de lui fournir une assistance médicale qualifiée et la détérioration de ses conditions de détention. Le 24 mars 2010, M. Ismailov a été transféré de la prison Uya 64/21 de Bekabad à la prison de Tachkent et, le 9 avril 2010, à la prison à régime renforcé Uya 64/71 de Jaslyk (Karakalpakstan). Ce transfert démontre que les autorités ont l’intention de durcir ses conditions de détention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. S’agissant de la règle de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note des différents recours et plaintes formés par M. Ismailov. Il relève aussi que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la présente communication à ce titre. En conséquence, le Comité considère que la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif a été remplie.

6.3S’agissant du grief de l’auteur tiré du fait que les perquisitions de domiciles menées sans l’autorisation du Procureur constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, le Comité fait observer que l’auteur n’a pas apporté suffisamment d’informations pour étayer ce grief, notamment sur le point de savoir si elle a porté plainte devant les autorités judiciaires. En conséquence, le Comité considère ce grief comme irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, pour défaut de fondement.

6.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs de violation des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 et des paragraphes 1 et 3 b), d), e) et g) de l’article 14 du Pacte, et procède donc à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties. Il note que l’État partie n’a pas communiqué d’informations concernant le fond de la communication et n’a pas répondu en détail aux allégations concernant les violations spécifiques qui auraient été commises. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie sur le fond de la plainte, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur dans la mesure où elles sont suffisamment étayées.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteur concernant le fait que son mari a été arrêté le 29 juin 2005 et emmené dans les locaux de détention provisoire du Service national de la sécurité sans être informé des charges retenues contre lui. Celles-ci ne lui ont été communiquées que le 1er juillet 2005. Le Comité rappelle qu’en application du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, tout individu arrêté doit être informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et des accusations portées contre lui. L’État partie n’ayant formulé aucune observation sur les allégations de l’auteur, le Comité estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de cette disposition.

7.3Le Comité prend note du grief de l’auteur, qui affirme que, après l’arrestation de son mari le 29 juin 2005, son placement en détention a été autorisé par le Procureur général adjoint du Bureau du Procureur militaire de l’Ouzbékistan en violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante, qui établit que le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte confère à toute personne inculpée du chef d’une infraction pénale le droit de bénéficier du contrôle juridictionnel du placement en détention. Un élément inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire est qu’il doit être assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale à l’égard des questions à traiter. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité n’est pas convaincu qu’un procureur puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9, et il conclut par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de cette disposition du Pacte.

7.4Le Comité prend note du grief de l’auteur, qui affirme que les droits garantis par le paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 ont été violés dans la mesure où son mari n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat durant son interrogatoire, où l’enquêteur l’a privé du droit d’être représenté par l’avocat de son choix et lui a commis un avocat d’office. Le Comité note en outre le grief de l’auteur, tiré du fait que l’avocat commis d’office a rencontré son mari deux fois seulement et qu’il a signé tous les procès-verbaux d’interrogatoires à la fin de l’enquête pénale, alors que les actes d’enquête avaient été effectués en son absence. Le Comité rappelle que, en vertu du paragraphe 3 b) de l’article 14, l’accusé doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et pouvoir communiquer avec le conseil de son choix. Cette disposition est un élément important de la garantie d’un procès équitable et une application du principe de l’égalité des armes. Il rappelle en outre que le droit qu’a toute personne accusée d’une infraction pénale de se défendre elle-même ou de bénéficier de l’assistance d’un défenseur de son choix et, si elle n’a pas de défenseur, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, de se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, est garanti au paragraphe 3 d) de l’article 14. Le Comité souligne que les avocats commis d’office par les autorités compétentes sur la base de cette disposition doivent représenter de façon effective l’accusé et que dans certains cas, en cas de faute ou d’incompétence du conseil, il peut être considéré que l’État concerné est responsable d’une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14. En l’absence d’observations de l’État partie, le Comité conclut que le refus de permettre à M. Ismailov d’être représenté par le défenseur de son choix jusqu’au moment du procès constitue une violation des droits que le paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte confère à l’accusé.

7.5L’auteur affirme que son mari n’a pas eu la possibilité d’obtenir la comparution et l’interrogatoire de témoins à décharge importants puisque le tribunal a refusé de les convoquer. Le Comité rappelle que, en tant qu’application du principe de l’égalité des armes, la garantie énoncée au paragraphe 3 e) de l’article 14 est importante car elle permet à l’accusé et à son conseil de conduire effectivement la défense, et garantit donc à l’accusé les mêmes moyens juridiques qu’à l’accusation pour obliger les témoins à être présents et pour interroger tous les témoins à charge ou les soumettre à un contre-interrogatoire. En l’absence d’explication de l’État partie sur les motifs du refus d’autoriser la comparution et l’interrogatoire des témoins de la défense, le Comité conclut que les faits, tels qu’ils sont présentés par l’auteur, constituent une violation des droits que tient M. Ismailov du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

7.6Le Comité prend note des griefs de l’auteur, tirés du fait que son mari a fait l’objet de pressions psychologiques et qu’il s’est avoué coupable afin de faire cesser les persécutions et les agressions psychologiques commises par les agents du SNS sur sa famille. Il relève en outre que ces griefs ont été soulevés tant au procès que dans le cadre de la procédure de cassation et qu’ils ont été rejetés par le tribunal militaire et par la chambre de justice du tribunal militaire sans que la plainte ait été examinée quant au fond. Il semble aussi que le Procureur n’ait pas examiné le fond de la plainte lorsqu’il l’a rejetée le 3 avril 2007. L’État partie n’a rien répondu au sujet de ces allégations. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle, bien qu’au procès son mari soit revenu sur la déposition faite contre lui-même, le tribunal n’a pas pris ce fait en considération et a rendu un jugement fondé uniquement sur de faux aveux obtenus par des pressions psychologiques. Le Comité rappelle que la garantie énoncée au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte doit être comprise comme l’obligation pour les autorités chargées de l’enquête de s’abstenir de toute pression physique ou psychologique directe ou indirecte sur l’accusé, en vue d’obtenir une reconnaissance de culpabilité. En l’absence d’observations de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut que les faits, tels qu’ils lui ont été présentés par l’auteur, font apparaître une violation des droits consacrés au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

7.7Étant parvenu à une conclusion dans les paragraphes qui précèdent, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner l’éventuelle violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis aux paragraphes 2 et 3 de l’article 9 et au paragraphe 3 b), d), e) et g) de l’article 14 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a également l’obligation d’envisager un nouveau procès qui se tienne dans le respect de toutes les garanties consacrées dans le Pacte ou de faire libérer l’intéressé, ainsi que de lui assurer une réparation adéquate, notamment sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est aussi tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]