Nations Unies

CCPR/C/105/DR/1784/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 septembre 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1784/2008

Constatations adoptées par le Comité à sa 105e session(9-27 juillet 2012)

Communication présentée par:

Vladimir Schumilin (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

17 mars 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 avril 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

23 juillet 2012

Objet:

Imposition d’une sanction (amende) à un individu pour distribution de tracts, en violation du droit de répandre des informations sans restrictions déraisonnables

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes

Questions de fond:

Droit de répandre des informations;restrictions autorisées

Article du Pacte:

19 (par. 2 et 3)

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (105e session)

concernant la

Communication no 1784/2008 *

Présentée par:

Vladimir Schumilin (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

17 mars 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1784/2008 présentée par Vladimir Schumilin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Vladimir Schumilin, de nationalité bélarussienne, né en 1973. Il se déclare victime d’une violation par le Bélarus des droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 12 février 2008, l’auteur a distribué des tracts donnant des informations sur le lieu d’une réunion organisée dans la ville de Gomel avec M. Milinkevich, ancien candidat à l’élection présidentielle. Le même jour, l’auteur a été arrêté par la police, qui a dressé un procès-verbal pour une infraction administrative visée à l’article 23.24 (partie 1) du Code des infractions administratives. Cet article prévoit des sanctions en cas de violation des dispositions régissant l’organisation et le déroulement de réunions, de défilés de rue, de manifestations, d’autres manifestations de masse ou de piquets. Ces dispositions sont fixées par une loi spécifique sur les manifestations de masse, dont l’article 8 interdit à quiconque de produire et de diffuser des matériels d’information sur la manifestation prévue tant que les autorités ne se sont pas encore prononcées sur la demande d’autorisation.

2.2Comme les tracts distribués par l’auteur donnaient des renseignements sur une réunion publique avec un homme politique, la police a considéré que l’auteur avait enfreint la loi. Le même jour, l’auteur a été déféré au tribunal du district des Soviets de Gomel. Le tribunal a immédiatement rendu une décision établissant qu’en distribuant des tracts concernant une réunion non autorisée l’auteur avait enfreint les dispositions de l’article 23.24 (partie 1) du Code des infractions administratives et a condamné l’auteur à une amende de 1 050 000 roubles bélarussiens (équivalant à l’époque à 488 dollars des États‑Unis). L’auteur souligne que le montant de cette amende était alors supérieur à celui du salaire mensuel moyen au Bélarus.

2.3L’auteur fait observer que rien dans le dossier administratif n’indiquait que le tribunal avait fondé ses conclusions sur autre chose que sur le rapport de police constatant qu’il avait distribué des tracts. Par conséquent le tribunal a dû se limiter à chercher à déterminer si l’auteur, en distribuant des tracts sur une réunion à venir, avait ou non enfreint les dispositions régissant l’organisation d’une manifestation pacifique. D’après l’auteur, ni la police ni le tribunal n’ont pris la peine de préciser les raisons pour lesquelles il était nécessaire dans ce cas, de restreindre le droit de répandre des informations aux fins de l’article 19 du Pacte.

2.4Le 29 février 2008, le tribunal régional de Gomel, en appel, s’est contenté de confirmer la décision du tribunal de district, sans qualifier les actes de l’auteur à la lumière des dispositions du Pacte, bien que l’auteur en ait fait expressément la demande dans sa requête en appel. Dans son mémoire d’appel, l’auteur a rappelé en particulier au tribunal qu’en cas de conflit les instruments internationaux en vigueur pour le Bélarus l’emportaient sur le droit interne, et qu’en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités, le droit interne ne pouvait être invoqué pour justifier la non-application des dispositions du droit international; en vertu de l’article 15 de la loi de l’État partie sur les accords internationaux, les principes universellement reconnus du droit international et les dispositions des instruments internationaux en vigueur pour le Bélarus font partie intégrante du droit interne. L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’article 19 du Pacte garantissent la liberté de répandre des informations.

2.5L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité dans des affaires similaires et souligne que la restriction apportée à ce droit dans son cas n’était pas nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques, ou à la sauvegarde des droits et libertés d’autrui. Il relève que les droits garantis à l’article 19 ne sont pas absolus et que des restrictions peuvent leur être apportées, mais il ajoute que les dispositions de la loi sur les manifestations de masse qui limitent le droit de répandre des informations ne peuvent pas être conformes aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Pacte, puisqu’elles ne visent pas à protéger la sécurité nationale ou la sûreté publique ni l’ordre public, et ne sont pas nécessaires à la protection de la santé ou de la moralité publiques, ou à la sauvegarde des droits et libertés d’autrui.

2.6L’auteur explique qu’il a épuisé tous les recours internes efficaces qui étaient disponibles, et qu’il n’a pas formé de recours en vertu de la procédure de contrôle (nadzor) car ces recours n’aboutissent pas systématiquement à un réexamen de l’affaire et ne sont donc pas utiles.

Teneur de la plainte

3.L’auteur fait valoir que l’application de la loi sur les manifestations de masse a entraîné une limitation injustifiée du droit de répandre des informations qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 2 juin et du 4 août 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il explique que le 12 février 2008 le tribunal du district des Soviets de Gomel a reconnu l’auteur coupable en vertu de l’article 23.34 (partie 1) du Code des infractions administratives et l’a condamné à une amende. Le tribunal a établi que le 12 février 2008 l’auteur et une autre personne avaient distribué des tracts invitant la population à assister à une réunion non autorisée qui devait avoir lieu le 15 février 2008. La police avait saisi 1 933 tracts en leur possession. L’État partie indique que devant le tribunal M. Schumilin a reconnu sa culpabilité et qu’il n’a pas saisi de procureur pour contester l’action administrative dont il avait fait l’objet. La décision du tribunal a été confirmée en appel le 29 février 2008 par le tribunal régional de Gomel. Cette décision est devenue immédiatement exécutoire et ne pouvait plus être attaquée qu’en vertu de la procédure de contrôle (nadzor).

4.2L’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il explique qu’en vertu des dispositions du Code de procédure et d’application des sanctions administratives, l’auteur aurait pu déposer une demande de contrôle de la décision du tribunal régional de Gomel auprès du président de la juridiction supérieure, en l’espèce le Président de la Cour suprême, mais qu’il ne l’a pas fait.

4.3L’État partie explique que les recours formés en vertu de la procédure de contrôle, selon les dispositions de l’article 12.14 du Code de procédure et d’application des sanctions administratives entraînent une vérification de la légalité de la décision contestée, de ses fondements et de son équité, à la lumière des arguments invoqués dans le mémoire de recours. Si le tribunal établit qu’il y a matière à améliorer la situation de l’intéressé, la décision antérieure peut être réexaminée en partie, même si l’intéressé ne l’a pas expressément demandé dans son recours. Aussi, selon l’État partie, l’argument de l’auteur selon lequel la procédure de contrôle est inefficace est dénué de fondement. L’État partie ajoute que l’auteur a toujours la possibilité de former un recours en vertu de la procédure de contrôle auprès de la Cour suprême.

4.4Sur le fond, l’État partie rejette les griefs de l’auteur, qu’il estime non fondés. Il explique qu’en vertu de l’article 23.34 du Code des infractions administratives, le non‑respect des dispositions régissant l’organisation ou le déroulement de rassemblements, réunions, manifestations diverses constitue une infraction administrative et est passible d’un avertissement ou d’une amende. Les pièces du dossier, notamment les tracts en question, font clairement apparaître que la réunion prévue n’était pas autorisée. Les tracts appellent la population à assister à la manifestation. Étant donné que l’autorisation n’avait pas été accordée, les actes de l’auteur ne pouvaient qu’être considérés comme contraires aux dispositions régissant l’organisation de manifestations de masse. L’auteur a enfreint l’article 8 de la loi sur les manifestations de masse, en vertu duquel tant que l’autorisation d’organiser une manifestation de masse n’a pas été accordée, il est interdit à quiconque, sans aucune exception, de préparer et de distribuer des matériels d’information à ce sujet.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 22 septembre 2008, l’auteur explique qu’il n’a pas saisi le bureau du procureur parce que sa plainte n’aurait pas abouti au réexamen de l’affaire, vu que ce type de recours n’est pas efficace et n’entraîne pas un réexamen de l’affaire au fond. Il relève que seuls les recours efficaces et accessibles doivent être épuisés.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui indique qu’il a distribué des tracts invitant à une réunion avant d’avoir obtenu l’autorisation, l’auteur relève que le Pacte est directement applicable dans l’État partie et qu’il garantit la liberté de chacun de répandre des informations de toute espèce. Même si ce droit n’est pas absolu, les restrictions qui peuvent être imposées à son exercice doivent être justifiées par l’un des motifs énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Comme les restrictions apportées dans son cas ne répondaient à aucun des critères de restrictions licites, les autorités ont porté atteinte aux droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

5.3L’auteur ajoute qu’en vertu de l’article 8 de la Constitution, l’État partie accepte les principes universellement reconnus du droit international et veille à ce que le droit interne soit conforme à ces principes. Il souligne que les États parties doivent s’acquitter de bonne foi de leurs obligations internationales et qu’en vertu des articles 26 et 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, une partie à un accord international ne peut pas invoquer les dispositions du droit interne pour justifier la non-application du traité. Il note également qu’en vertu de l’article 15 de la loi de l’État partie sur les traités internationaux, les principes universellement reconnus du droit international et les dispositions des instruments internationaux auxquels le Bélarus est partie font partie intégrante du droit interne. Le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte garantit la liberté d’expression, y compris le droit de répandre des informations. L’exercice de ce droit ne peut être restreint qu’aux fins énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Les motifs invoqués par les tribunaux pour justifier les sanctions administratives prononcées à son encontre ne correspondent, selon l’auteur, à aucun des buts pour lesquels des restrictions sont autorisées.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1En date du 26 mars 2009, l’État partie a fait parvenir des informations complémentaires. Il relève tout d’abord que c’est à tort que l’auteur affirme qu’un recours auprès du bureau du procureur n’aboutit pas au réexamen d’une affaire et que la saisine de la Cour suprême en vertu de la procédure de contrôle (nadzor) n’est pas efficace. Pour étayer son propos, l’État partie fournit des statistiques qui montrent qu’en 2007 la Cour suprême a examiné 733 affaires administratives, y compris à la demande du bureau du procureur. Le Président de la Cour suprême a annulé ou modifié les décisions dans 116 cas (dont 63 à la demande du bureau du procureur). En 2008, 171 décisions ont été annulées ou modifiées, dont 146 qui avaient été réexaminées à la demande du bureau du procureur. Au total, 1 071 affaires administratives ont été examinées par la Cour suprême en 2008. Ainsi, en 2007, la Cour suprême a annulé ou modifié des décisions dans 24,4 % des affaires administratives dont elle avait été saisie; en 2008, la proportion s’élevait à 29,6 %.

6.2L’État partie affirme ensuite que l’argument de l’auteur selon lequel les sanctions administratives prises contre lui n’étaient pas justifiées au regard du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte est dénué de fondement. La loi sur les manifestations de masse régit l’organisation et le déroulement des rassemblements, réunions, manifestations, défilés de rue, piquets, etc. Son préambule indique clairement que l’objectif du cadre qu’elle constitue est d’établir les conditions nécessaires à la réalisation des droits et libertés constitutionnels des citoyens et à la protection de la sécurité et de l’ordre publics lorsqu’une telle manifestation est organisée dans la rue, sur une place ou dans un autre lieu public. L’auteur a enfreint les restrictions prévues par l’article 23.34 du Code des infractions administratives et l’article 8 de la loi sur les manifestations de masse, qui sont nécessaires à la protection de la sécurité et de l’ordre publics pendant le déroulement des rassemblements, réunions, défilés de rue, etc.

6.3L’État partie ajoute que le droit d’exprimer librement une opinion est garanti par l’article 19 à tous les citoyens des États parties au Pacte. En tant que partie au Pacte, il reconnaît et respecte pleinement ses obligations dans ce domaine. L’article 33 de la Constitution garantit la liberté d’opinion, de conviction et leur libre expression. Même si le droit à la liberté d’expression est considéré comme l’un des principaux droits de l’homme, il n’est pas absolu. L’article 19 ne fait pas partie des articles auxquels aucune dérogation n’est autorisée, dont la liste figure à l’article 4 du Pacte. Aussi, l’exercice de ce droit peut-il être limité par l’État, pour autant que les restrictions apportées soient fixées par la loi, aient un but légitime et soient nécessaires dans une société démocratique.

6.4En vertu de l’article 23 de la Constitution, les seules restrictions autorisées aux droits et libertés sont celles qui sont prévues par la loi et sont dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la protection de la moralité et de la santé de la population, et des droits et libertés d’autrui. De même, le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte dispose que l’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du même article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales, et qu’il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et être nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui, à la sauvegarde de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

6.5D’après l’État partie, les dispositions citées plus haut permettent de conclure que le droit de recevoir et de répandre des informations ne peut être réalisé que conformément à la loi, c’est-à-dire dans le cadre de la législation existante d’un État partie au Pacte. La législation bélarussienne actuelle offre les conditions nécessaires à l’exercice de la liberté d’expression par les citoyens et à la réception et à la diffusion des informations.

6.6L’État partie affirme que l’auteur induit le Comité en erreur au sujet de la législation en vigueur. Ainsi, en vertu de l’article 2.15 (partie 2, point 7) du Code de procédure et d’application des sanctions administratives, un procureur peut, dans les limites de sa compétence, introduire une motion de protestation contre des décisions rendues en matière administrative lorsqu’elles sont contraires à la loi. L’article 2.15 (point 1) du Code dispose que les décisions rendues en matière administrative passées en chose jugée peuvent être réexaminées, notamment à la suite de l’introduction d’une motion de protestation par un procureur. L’article 12.14 (point 2) du Code dispose qu’après l’examen d’une motion de protestation, la décision contestée peut être partiellement ou totalement annulée et l’affaire peut être renvoyée pour nouvel examen. L’article 12.11 (point 3) fixe un délai de six mois pour introduire une motion de protestation, qui court à compter de la date d’entrée en vigueur de la décision contestée. Par conséquent, un recours auprès du bureau du procureur peut aboutir au réexamen au fond d’une affaire administrative. En l’espèce, l’auteur s’est délibérément abstenu d’exercer tous les recours internes qui lui étaient ouverts.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

7.1Dans une note du 9 mars 2011, l’auteur réaffirme que selon lui les appels formés en vertu de la procédure de contrôle (nadzor) ne constituent pas un recours utile, étant donné que leur exercice est laissé à la discrétion d’un seul fonctionnaire et qu’ils ne conduisent pas, lorsqu’il est fait droit à la demande d’autorisation de recours, à un examen des faits et des preuves. L’auteur note que le Comité a traité de cette question à plusieurs occasions et a conclu qu’il n’était pas nécessaire de former des recours en vertu de la procédure de contrôle (nadzor) aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur souligne également que la législation en vigueur n’autorise pas les particuliers à saisir la Cour constitutionnelle.

7.2L’auteur conteste la position de l’État partie qui rejette son argument selon lequel l’action administrative engagée contre lui n’était fondée sur aucune des restrictions autorisées énumérées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, et il explique que les décisions rendues par les tribunaux dans cette affaire n’invoquent pas ces restrictions. En l’espèce, les juges ont cité uniquement le droit interne et ont totalement ignoré les obligations de l’État partie en vertu du droit international. L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité et relève que le Comité a décidé que donner la priorité à l’application du droit interne sur les dispositions du Pacte était incompatible avec les obligations de l’État partie au titre du Pacte. En vertu de l’article 8 (partie 1) de la Constitution de l’État partie, lorsqu’ils ont examiné l’affaire les tribunaux étaient tenus de prendre en compte la primauté des obligations internationales de l’État partie sur les dispositions de son droit interne.

7.3L’auteur rappelle que les dispositions du Pacte l’emportent sur le droit interne, dont elles font partie intégrante. Il souligne que les restrictions apportées au droit de répandre des informations doivent être justifiées à la lumière du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte mais que cela n’a pas été le cas dans cette affaire et que le droit à la liberté d’expression a par conséquent été indûment restreint.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que l’auteur explique qu’il n’a pas sollicité de contrôle (nadzor) de la décision rendue par le tribunal du district des Soviets de Gomel le 12 février 2008 ni de celle rendue en appel par le tribunal régional de Gomel le 29 février 2008 parce que ce recours n’est ni efficace ni accessible. Le Comité prend également note des objections de l’État partie à ce sujet, et en particulier des statistiques qu’il cite pour démontrer que la procédure de contrôle a été efficace dans un certain nombre de cas. Toutefois, l’État partie n’a ni indiqué si la procédure avait été appliquée avec succès dans des affaires concernant la liberté d’expression ni précisé, dans l’affirmative, le nombre de ces affaires. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les procédures de contrôle des décisions de justice devenues exécutoires ne constituent pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

8.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé le grief de violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. En conséquence, il déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

9.2Le Comité doit déterminer si la condamnation de l’auteur à une amende pour avoir distribué des tracts concernant la tenue, à Gomel, de deux réunions publiques avec un opposant politique, pour lesquelles il n’avait pas reçu d’autorisation, constitue une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.3Le Comité rappelle à ce sujet son Observation générale no 34, dans laquelle il a déclaré notamment que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, qu’elles sont essentielles pour toute société et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Toutes restrictions imposées à la liberté d’expression doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité et «doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire».

9.4Le Comité a pris note de l’explication donnée par l’État partie qui indique qu’en vertu de la loi sur les manifestations de masse aucune information sur une réunion prévue ne peut être diffusée tant que les autorités compétentes n’ont pas donné l’autorisation officielle d’organiser la réunion, et que l’action de l’auteur constituait une infraction administrative. L’État partie a également reconnu que le droit à la liberté d’expression ne pouvait être limité que conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 19, sans toutefois expliquer comment dans ce cas précis les actes de l’auteur avaient concrètement porté atteinte aux droits ou à la réputation d’autrui, ou constitué une menace pour la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de montrer que les restrictions imposées au droit garanti par l’article 19 étaient en l’espèce nécessaires, et que même si un État partie a la faculté de mettre en place un système visant à réaliser un équilibre entre la liberté des individus de répandre des informations et l’intérêt général consistant à maintenir l’ordre public dans une certaine zone, le fonctionnement de ce système ne doit pas être incompatible avec l’article 19 du Pacte. Étant donné que le tribunal régional de Gomel a refusé d’examiner la question de savoir si la restriction du droit de l’auteur de répandre des informations était nécessaire, et en l’absence d’autres renseignements utiles dans le dossier pour justifier les décisions des autorités à la lumière du paragraphe 3 de l’article 19, le Comité considère que les restrictions aux droits de l’auteur dans la présente affaire étaient incompatibles avec les obligations fixées dans cette disposition du Pacte. Il conclut par conséquent que l’auteur est victime d’une violation par l’État partie des droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

11.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme du remboursement de la valeur actuelle de l’amende et des frais de justice engagés par l’auteur, ainsi que d’une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. À cet effet, l’État partie devrait revoir sa législation, en particulier la loi sur les manifestations de masse et son application, de façon à les rendre conformes aux dispositions de l’article 19 du Pacte.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement en bélarusse et en russe.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]