Nations Unies

CCPR/C/103/D/1563/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 décembre 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1563/2007

Constatations adoptées par le Comité à sa 103e session,17 octobre-4 novembre 2011

Présentée par:

Oldřiška (Olga) Jünglingová (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

29 mai 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 14 mai 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

24 octobre 2011

Objet:

Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure:

Abus du droit de présenter une communication

Questions de fond:

Égalité devant la loi et égale protection de la loi

Article du Pacte:

26

Article du Protocole facultatif:

3

Le 24 octobre 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1563/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (103e session)

concernant la

Communication no 1563/2007 **

Présentée par:

Oldřiška (Olga) Jünglingová (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

29 mai 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 octobre 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1563/2007 présentée par Mme Oldřiška (Olga) Jünglingová en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 29 mai 2006, est Oldřiška (Olga) Jünglingová, naturalisée Américaine, née le 19 février 1917 à Bystročice (district d’Olomouc) dans l’ancienne Tchécoslovaquie, et résidant aux États-Unis d’Amérique. Elle se déclare victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le mari de l’auteur, Augustin Jüngling, un pasteur évangélique, a fui la Tchécoslovaquie peu après le coup d’État communiste de février 1948, et l’auteur et ses deux filles l’ont suivi en 1949. La famille a obtenu la nationalité américaine en 1957 et a vécu aux États-Unis jusqu’à son retour dans la République tchèque en 1994.

2.2Le 31 mars 1938, l’auteur avait reçu en dot deux terrains, l’un de 86 180 mètres carrés et l’autre de 183 280 mètres carrés, enregistrés au registre foncier d’Olomouc respectivement sous les numéros de parcelle 219/1 et 324/3. Elle possédait également un piano, qui ne figurait pas sur la liste, acheté neuf pour 20 000 couronnes tchèques. Elle avait aussi 15 990 couronnes tchèques sur un compte bancaire. Après son départ de Tchécoslovaquie, tous ses biens, y compris ses terrains, sa maison (équipée) et ses meubles avaient été confisqués par l’État.

2.3Le 20 octobre 1995, l’auteur et la coopérative agricole de Bystročice-Žerůvsky ont conclu un accord concernant la restitution de ses biens fonciers. Le 23 avril 1996, le Bureau foncier du district d’Olomouc a rejeté l’accord en vertu de la loi no 229/1991 au motif que, au 31 janvier 1993, l’auteur ne satisfaisait pas à la condition de la nationalité, puisqu’elle n’avait acquis la nationalité tchèque que le 29 mai 1995. Le 4 février 1997, le tribunal régional d’Ostrava a confirmé la décision du Bureau foncier du district d’Olomouc. Le 13 août 1997, le Bureau foncier du district d’Olomouc a déclaré que les deux terrains étaient devenus la propriété de la municipalité de Bystročice. En 1950, les biens avaient été évalués à 37 952 couronnes tchèques et vendus.

2.4Le 22 février 1999, le tribunal du district d’Olomouc a rejeté la requête de l’auteur qui demandait une indemnisation de 60 000 couronnes tchèques au titre de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire, aux motifs qu’elle aurait dû présenter sa requête avant la date butoir prévue par la loi et qu’elle n’avait pas la nationalité tchèque pendant la période de restitution fixée par la loi. Le 24 mai 2000, le tribunal régional d’Ostrava a confirmé cette décision.

2.5L’auteur affirme qu’aucun recours interne ne peut être exercé pour la restitution de ses biens et fait référence à cet égard à un arrêt de la Cour constitutionnelle, qui a confirmé la constitutionnalité de la loi no 87/1991.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que la République tchèque a violé les droits consacrés à l’article 26 du Pacte en appliquant la loi no 87/1991, en vertu de laquelle il faut avoir la nationalité tchèque pour prétendre à une restitution de biens.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note datée du 12 novembre 2007, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il fait référence à la législation applicable en la matière, en particulier à la loi no 229/1991 relative à la propriété foncière et aux biens agricoles et à la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire.

4.2Conformément au paragraphe 1 de l’article 4 et au paragraphe 4 de l’article 13 de la loi no 229/1991, les citoyens tchécoslovaques pouvaient demander la restitution des biens fonciers qui avaient été transférés à l’État dans un délai fixé au 31 janvier 1993. En outre, la loi no 87/1991 (art. 3, par. 1, et art. 13, par. 2) prévoyait l’indemnisation (à hauteur de 60 000 couronnes tchèques) des ayants droit, qui devaient être citoyens tchécoslovaques, dans les cas où la décision judiciaire de confiscation des biens fonciers par l’État avait été ultérieurement annulée en vertu de la loi no 119/1990 sur la réparation judiciaire. Les demandes d’indemnisation devaient être présentées dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi ou dans un délai d’un an à compter de la décision définitive de rejet de la demande de restitution.

4.3 L’État partie expose les raisons pour lesquelles les demandes de restitution de l’auteur ont été rejetées: outre le fait qu’elle n’avait pas présenté ses requêtes dans les délais fixés par les lois nos 229/1991 et 87/1991 et qu’elle n’avait pas la nationalité tchèque pendant la période prévue par la loi, elle aurait dû engager une action en justice contre la municipalité de Bystročice, et non contre la coopérative Zemědělské družstvo Bystročice-Žerůvsky avec laquelle elle avait conclu un accord de restitution des biens le 20 octobre 1995. Un autre motif du rejet de la demande présentée en vertu de la loi no 87/1991 était que l’auteur ne satisfaisait pas aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 13 car une partie des biens confisqués consistait en des biens immobiliers.

4.4L’État partie affirme en outre que la communication doit être déclarée irrecevable pour abus du droit de présenter une communication au titre de l’article 3 du Protocole facultatif. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle le Protocole facultatif ne fixe pas de délai précis et un simple retard dans la présentation d’une communication ne constitue pas en soi un abus du droit de plainte. L’État partie indique toutefois que l’auteur a présenté sa communication le 29 mai 2006, soit six ans après la dernière décision rendue par une juridiction nationale, le 24 mai 2000. L’État partie fait valoir que l’auteur n’a fourni aucune explication raisonnable pour ce retard et que la communication devrait donc être déclarée irrecevable.

4.5Sur le fond, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas satisfait à la condition de nationalité exigée par la loi, et rappelle les arguments qu’il a avancés dans des affaires similaires en donnant des éclaircissements sur la logique et les raisons historiques qui sous-tendent la législation adoptée en matière de restitution. En conclusion, il affirme que le Comité devrait déclarer la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, ou à défaut, la déclarer non fondée au regard de l’article 26 du Pacte.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans une réponse datée du 4 janvier 2008, l’auteur a fait part de ses commentaires concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond.

5.2En ce qui concerne la soumission tardive de la communication, l’auteur fait valoir que l’État partie ne publiant aucune décision du Comité des droits de l’homme, ce n’est que plus tard qu’elle a eu connaissance de cette possibilité.

5.3Sur le fond, l’auteur réaffirme que la condition de nationalité prévue par les lois nos 229/1991 et 87/1991 est discriminatoire et constitue une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité relève que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’elle aurait pu contester la décision rendue par le tribunal régional d’Ostrava le 24 mai 2000. Toutefois, le Comité rappelle que l’auteur d’une communication n’est pas tenu d’épuiser les recours internes si ceux-ci sont réputés inutiles. Il note que d’autres demandeurs ont contesté sans succès la constitutionnalité de cette loi, que les constatations qu’il a formulées précédemment dans des affaires analogues n’ont pas été suivies d’effet et que la Cour constitutionnelle a malgré tout réaffirmé la constitutionnalité de la loi relative à la restitution de biens. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et conclut que tout autre recours de l’auteur aurait été inutile.

6.4Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie, qui affirme que la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du retard avec lequel elle a été soumise au Comité. L’État partie fait valoir que l’auteur a attendu plus de six ans après l’épuisement des recours internes avant de soumettre sa communication. L’auteur affirme que la soumission tardive de sa communication est due au manque d’informations disponibles. Le Comité rappelle que, conformément au nouvel article 96 c) de son règlement intérieur, qui s’appliquera aux communications reçues à partir du 1er janvier 2012, il doit s’assurer que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication. En principe, un abus du droit de présenter une communication ne peut pas être invoqué pour fonder une décision d’irrecevabilité ratione temporis au motif de la présentation tardive de la plainte. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. Néanmoins, dans l’intervalle, conformément à sa jurisprudence actuelle, le Comité conclut que, dans le cas d’espèce, le fait d’avoir attendu six ans et cinq jours après l’épuisement des recours internes ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. En conséquence, il décide que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’application, à l’auteur, de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire a constitué une discrimination contraire à l’article 26 du Pacte. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de cet article.

7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans nombre d’affaires de restitution de biens en République tchèque, dans lesquelles il a conclu à une violation de l’article 26, considérant qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger des auteurs qu’ils obtiennent la nationalité tchèque à titre de condition pour obtenir la restitution de leurs biens ou, à défaut, une indemnisation appropriée. Étant donné que, à l’origine, le droit de propriété des auteurs sur les biens en question n’était pas fondé sur la nationalité, le Comité a estimé que dans ces cas la condition de nationalité était déraisonnable. Dans l’affaire Des Fours Walderode, il a fait observer en outre que l’établissement dans la loi d’un critère de nationalité en tant que condition nécessaire pour obtenir la restitution d’un bien confisqué par les autorités établissait une distinction arbitraire et par conséquent discriminatoire entre des individus qui étaient tous également victimes des confiscations antérieures, et constituait une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité estime que le précédent établi dans les affaires susmentionnées s’applique également à l’auteur de la présente communication, et conclut que le fait d’exiger de celle-ci qu’elle remplisse la condition de nationalité prévue par la loi no 87/1991 constitue une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation si son bien ne peut pas lui être rendu. Le Comité engage de nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est en outre prié de rendre publiques les présentes constatations, de les faire traduire dans les langues officielles et de les diffuser largement.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]