Nations Unies

CCPR/C/100/D/1776/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

2 novembre 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Centième session

11-29 octobre 2010

Constatations

Communication no 1776/2008

Présentée par:

Salem Saad Ali Bashasha (représenté par l’Organisation mondiale contre la torture et par l’association Libyan Human Rights Solidarity)

Au nom de:

L’auteur et Milhoud Ahmed Hussein Bashasha (cousin de l’auteur)

État partie:

Jamahiriya arabe libyenne

Date de la communication:

8 mars 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiqué à l’État partie le 3 avril 2008 (non publié sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

20 octobre 2010

Objet :

Disparition forcée

Questions de procédure:

Absence de coopération de l’État partie, autre instance internationale d’enquête ou de règlement

Questions de fond:

Interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants, droit à la liberté et à la sécurité de la personne, arrestation et détention arbitraires, droit de toute personne privée de liberté à être traitée avec humanité, absence de recours utile

Article s du Pacte:

2 (par. 3), 6, 7, 9 (par. 1 à 5), 10 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 a))

Le 20 octobre 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no1776/2008.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (centième session) **

concernant la

Communication no1776/2008

Présentée par:

Salem Saad Ali Bashasha (représenté par l’Organisation mondiale contre la torture et par l’association Libyan Human Rights Solidarity)

Au nom de:

L’auteur et Milhoud Ahmed Hussein Bashasha (cousin de l’auteur)

État partie:

Jamahiriya arabe libyenne

Date de la communication:

8 mars 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réunile 20 octobre 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1776/2008 présentée au nom de M. Salem Saad Ali Bashasha et de M. Milhoud Ahmed Hussein Bashasha, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Salem Saad Ali Bashasha, de nationalité libyenne, né en 1942, et résidant actuellement en Suisse, où il a obtenu l’asile en 1998. Il présente la communication en son nom propre et au nom de son cousin Milhoud Ahmed Hussein Bashasha, également de nationalité libyenne, né le 5 septembre 1966, qui aurait disparu en Jamahiriya arabe libyenne en octobre 1989. L’auteur affirme être victime d’une violation par la Jamahiriya arabe libyenne de l’article 7 du Pacte, et que son cousin est victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 6 (voir les paragraphes 3.2 et 5.2), de l’article 7, des paragraphes 1 à 5 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Il est représenté par l’Organisation mondiale contre la torture et par l’association Libyan Human Rights Solidarity.

1.2Le 5 juin 2008, l’État partie a été informé que sa contestation de la recevabilité n’étant pas étayée le Comité allait joindre l’examen de la recevabilité et l’examen au fond de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le cousin de l’auteur, Milhoud Ahmed Hussein Bashasha, vivait avec sa famille dans le quartier Shabna, à Benghazi, où il avait un magasin d’alimentation. On ne lui connaissait pas d’activités politiques. L’auteur et son cousin ont vécu dans la même maison entre 1966 et 1977 et étaient très liés; l’auteur était comme un père pour son jeune cousin. Le père de la victime est maintenant décédé.

2.2En octobre 1989, Milhoud Ahmed Hussein Bashasha a été arrêté pour des raisons inconnues par des agents en civil de la sécurité intérieure libyenne. Les agents sont arrivés armés au domicile familial, à Benghazi, dans des véhicules banalisés et n’ont pas présenté de mandat d’arrêt. La famille a assisté à l’arrestation mais n’a pas été informée de l’endroit où le cousin de l’auteur était emmené. Le lendemain, la police de la sécurité intérieure a perquisitionné au domicile du cousin de l’auteur et a saisi la plupart de ses effets personnels, notamment des livres, des cassettes et des documents, sans donner aucune explication à sa famille.

2.3L’arrestation de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha a coïncidé avec les arrestations massives auxquelles ont procédé les autorités libyennes en 1989, lorsque le régime réprimait ceux qu’il considérait comme des dissidents. À cette époque, de nombreux jeunes gens ont été arrêtés apparemment sans discrimination. La plupart d’entre eux ont été détenus à la prison d’Abou Salim puis ont disparu.

2.4La famille de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha et l’auteur ont fait de nombreuses tentatives pour le retrouver. Étant donné que Milhoud Ahmed Hussein Bashasha avait été arrêté par des personnes en civil, sa famille soupçonnait fortement que son arrestation avait eu lieu pour des motifs politiques et non dans le cadre d’une affaire criminelle, étant donné qu’aucune des formalités minimales requises par la procédure n’avait été respectée. Par conséquent, la famille pouvait seulement s’adresser aux autorités politiques pour s’enquérir du sort de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha. Elle a pris contact avec l’Agence de la sécurité intérieure libyenne ainsi que ses divers bureaux locaux, avec le bureau du Comité révolutionnaire et avec le poste de police militaire de Benghazi, qui est un centre d’interrogatoire bien connu ainsi qu’un lieu de transit vers Tripoli pour les prisonniers politiques, tout cela en vain. La famille et l’auteur ont été menacés d’être arrêtés et détenus s’ils continuaient à chercher à retrouver la victime. Par conséquent, la famille a changé de stratégie et a utilisé des filières informelles pour essayer de se renseigner sur l’endroit où se trouvait la victime. L’auteur explique que la pratique consistant à s’adresser de manière informelle aux personnes dont on sait qu’elles travaillent pour l’Agence de sécurité intérieure est la méthode utilisée habituellement par les Libyens pour obtenir des informations sur les membres de leur famille portés disparus.

2.5Plus de six mois après son arrestation, la famille de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha s’est doutée qu’il était détenu à la prison d’Abou Salim, à la sortie de Tripoli, où étaient détenues de nombreuses personnes arrêtées à l’automne 1989. Toutes les demandes faites par la famille pour rendre visite à Milhoud Ahmed Hussein Bashasha ont été refusées. Les gardiens de prison, tout en refusant de confirmer la présence de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha à la prison, acceptaient régulièrement la nourriture et les vêtements qu’apportait la famille à son intention. La famille a interprété cette attitude comme une confirmation que Milhoud Ahmed Hussein Bashasha était détenu à la prison, sans jamais savoir si ce qu’elle avait apporté lui était parvenu.

2.6Les années passaient et la famille recevait périodiquement confirmation par des détenus libérés que Milhoud Ahmed Hussein Bashasha était détenu à la prison d’Abou Salim. En 1994, un détenu libéré a confirmé avoir entendu dire qu’il était détenu à la prison d’Abou Salim. Cette personne a également parlé des très mauvaises conditions de détention, du surpeuplement extrême, des passages à tabac systématiques et de la sous-alimentation.

2.7Pendant l’été 1996, les forces militaires spéciales ont tué un grand nombre de détenus à la prison d’Abou Salim. Les mauvaises conditions de détention qui ont provoqué «l’émeute» d’Abou Salim ont été abondamment décrites, par exemple dans un rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, selon lequel les conditions carcérales sont très mauvaises, la prison est surpeuplée et sans hygiène; selon les informations disponibles, le manque de nourriture correcte et de soins médicaux ainsi que l’usage de la torture et d’autres formes de mauvais traitements étaient à l’origine des décès de prisonniers politiques.

2.8Le 24 mai 2003, l’auteur a soumis le cas de son cousin au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. La communication a été enregistrée sous le no 1002049 et transmise au Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne le 29 août 2003. Le 17 septembre 2003, le Groupe de travail a informé l’auteur que le Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne n’avait pas répondu à sa demande d’éclaircissement. L’auteur n’a pas reçu d’autres informations du Groupe de travail.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son cousin est victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte car l’État partie n’a pas enquêté sur sa disparition et, depuis 1989, l’État partie n’a fourni aucune information à sa famille concernant l’endroit où il se trouve et le sort qui lui a été réservé.

3.2L’auteur indique qu’il n’invoque pas de violation de l’article 6 du Pacte parce qu’il ne sait pas si son cousin est décédé et qu’il continue à espérer qu’il est encore en vie.

3.3L’auteur déclare en outre que son cousin est victime d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 parce qu’il est maintenu en détention au secret depuis 1989. L’auteur renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Youssef El-Megreisi c. Jamahiriya arabe libyenne, confirmées dans l’affaire El Alwani c. Jamahiriya arabe libyenne, El Hassy c. Jamahiriya arabe libyenne, constatations dans lesquelles le Comité a conclu qu’une détention prolongée au secret dans un lieu inconnu constituait une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

3.4Renvoyant à la jurisprudence du Comité, l’auteur affirme être lui-même victime d’une violation de l’article 7 en raison de l’angoisse morale profonde et chronique dans laquelle il vit depuis longtemps en raison de l’incertitude entourant le sort de son cousin. L’auteur rappelle en outre qu’il avait des liens très forts avec son cousin, comparables à ceux d’un père avec son fils et qu’il essaie de se renseigner sur le sort de son cousin depuis l’arrestation de ce dernier en 1989.

3.5L’auteur ajoute que son cousin est victime d’une violation de l’article 9 parce qu’il a été arrêté arbitrairement, sans mandat d’arrêt, et détenu au secret pendant une période prolongée, sans être inculpé ni déclaré coupable d’un crime ou d’une autre infraction (par. 1 de l’article 9), sans être informé des raisons de sa détention ni des charges retenues contre lui (par. 2 de l’article 9) et qu’il n’a jamais été présenté à un juge (par. 3 de l’article 9). En faisant disparaître son cousin, l’État partie met l’auteur dans l’impossibilité de contester la légalité de la détention de celui-ci (par. 4 de l’article 9) et de demander réparation pour arrestation et détention arbitraires (par. 5 de l’article 9).

3.6En ce qui concerne la recevabilité, l’auteur fait valoir que la même affaire n’a pas été soumise à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il fait valoir que la procédure engagée devant le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne saurait être considérée comme un examen devant une «instance internationale d’enquête ou de règlement» aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

3.7En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle la jurisprudence du Comité, selon laquelle le critère de l’épuisement des recours internes prévu au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif s’applique seulement dans la mesure où les recours internes sont disponibles, utiles et ne sont pas d’une durée excessive. Il fait valoir qu’il n’existe pas de recours utile contre les violations des droits de l’homme en Jamahiriya arabe libyenne parce que le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant du Gouvernement du colonel Kadhafi. L’auteur renvoie aux communications no 440/1990 El-Megreisi c. Jamahiriya arabe libyenne, no 1295/2004, El Alwani c. Jamahiriya arabe libyenne et no 1422/2005, El Hassy c. Jamahiriya arabe libyenne et fait valoir que le Comité avait reconnu qu’il n’y avait pas de recours utile contre les agents publics en Jamahiriya arabe libyenne et que les victimes ou les personnes agissant en leur nom s’exposeraient à des risques excessivement élevés en tentant d’exercer un recours quelconque. L’auteur ajoute que le fait que la Libye n’ait pas donné d’information sur la suite donnée aux constatations du Comité dans la communication no 440/1990 (Youssef El-Megreisi c. Jamahiriya arabe libyenne)est une preuve supplémentaire de l’inefficacité du système juridique libyen et de la non-disponibilité de recours juridique contre les agents publics. L’auteur fait valoir que les recours internes ne sont ni utiles ni disponibles et que, par conséquent, il ne devrait pas être tenu de les épuiser, étant donné qu’ils sont objectivement inopérants. L’auteur ajoute qu’il n’était pas en mesure de s’adresser aux autorités judiciaires pour demander une enquête sur le sort de la victime, en raison du climat général de peur régnant dans le pays, surtout en ce qui concerne le sort des détenus politiques se trouvant à la prison d’Abou Salim, et en raison du risque excessivement élevé auquel l’auteur lui-même se serait exposé et auquel il aurait exposé la famille de la victime.

Observations de l’État partie

4.1Le 2 juin 2008, l’État partie a déclaré qu’il souhaitait contester la recevabilité de la communication en vertu du paragraphe 3 de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, sans toutefois invoquer d’arguments à cet effet.

4.2Les 3 avril 2008, 22 janvier 2009, 12 août 2009 et 16 décembre 2009, l’État partie a été invité à donner des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note que les informations demandées n’ont pas été reçues. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information concrète concernant la recevabilité et le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’en vertu du Protocole facultatif, l’État partie est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, tout le poids voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été dûment étayées.

4.3Le 28 août 2010, l’État partie a informé le Comité que l’auteur était recherché par la justice libyenne.

Informations complémentaires fournies par l’auteur

5.1Le 17 juillet 2009, l’auteur a présenté un certificat de décès délivré le 12 avril 2008, qui avait été remis à la famille le 20 juin 2009. Selon ce certificat, le décès de la victime s’est produit le 18 juin 1996, à Tripoli, et la cause est inconnue.

5.2Le 20 août 2010, l’auteur a écrit qu’il paraît n’y avoir plus aucun espoir de retrouver Milhoud Ahmed Hussein Bashasha vivant. Par conséquent, il déclare que son cousin est également victime d’une violation de l’article 6 du Pacte, étant donné qu’il n’existe pas de preuve que son cousin est décédé de mort naturelle, mais que sa mort est au contraire une conséquence de sa disparition forcée.

5.3Le 16 septembre 2010, l’auteur a fait valoir, à propos de la communication de l’État partie datée du 28 août 2010, que les explications de ce dernier paraissaient être en contradiction avec les informations dont disposait l’auteur, notamment avec le certificat de décès de son cousin. L’auteur s’est dit préoccupé par l’absence de coopération de l’État partie et a réaffirmé qu’il souhaitait connaître la véritable cause de la mort de son cousin au moyen d’une enquête indépendante et impartiale. Cette enquête devrait être menée par un organe compétent et ses conclusions rendues publiques.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que l’auteur a soumis le cas de son cousin au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires, lequel lui a fait savoir le 17 septembre 2003 que la Jamahiriya arabe libyenne n’avait fourni aucune des informations demandées. Cependant, le Comité rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies et relevant maintenant du Conseil des droits de l’homme ou du Conseil économique et social, et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violations des droits de l’homme dans le monde, ne constituaient pas une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité rappelle que l’étude des problèmes relatifs aux droits de l’homme d’un caractère plus général, encore qu’elle puisse renvoyer à des informations concernant des individus ou en tirer parti, ne saurait être assimilée à l’examen de cas individuels au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’enregistrement du cas de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha aux fins d’examen par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.

6.3En ce qui concerne le critère de l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle que, malgré les trois rappels qui ont été adressés à l’État partie, aucune information concrète ni observation concernant la recevabilité − que l’État partie a contestée sans toutefois fournir d’arguments − ou le fond de la communication n’ont été reçues de ce dernier. Dans ces circonstances, le Comité constate que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Ne voyant aucune autre raison de considérer la communication comme irrecevable, le Comité passe à l’examen quant au fond des griefs présentés dans la communication par l’auteur au titre de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 3 de l’article 2.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité rappelle le paragraphe 7.3 de ses constatations concernant la communication El Abani c. Jamahiriya arabe libyenne, dans lequel il a affirmé que tout acte conduisant à la disparition forcée d’une personne constituait une violation de nombreux droits consacrés par le Pacte. En outre, il note que l’État partie n’a fourni aucune réponse aux allégations de l’auteur concernant la disparition forcée de son cousin. Il réaffirme que la charge de la preuve ne peut incomber uniquement à l’auteur de la communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

7.3En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 6, le Comité rappelle son Observation générale no 6 sur l’article 6, dans laquelle il déclare, entre autres, que les États parties doivent prendre des mesures spécifiques et efficaces pour empêcher la disparition des individus, et mettre en place des moyens et des procédures pour que des enquêtes approfondies soient menées par un organisme impartial approprié sur les cas de personnes disparues dans des circonstances pouvant impliquer une violation du droit à la vie. Le Comité observe que, le 20 juin 2009, la famille a reçu le certificat de décès de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha, sans aucune explication quant à la cause et au lieu exact de son décès, et sans aucune information touchant d’éventuelles enquêtes menées par l’État partie. Dans ces circonstances, le Comité conclut que le droit à la vie consacré à l’article 6 a été violé par l’État partie.

7.4En l’espèce, le Comité note que le cousin de l’auteur aurait été arrêté en octobre 1989 par des personnes qui paraissaient être des agents de la sécurité intérieure, armés et en tenue civile. La famille de la victime a été témoin de l’arrestation et était présente le lendemain lorsque des agents de la sécurité intérieure sont revenus pour saisir les effets personnels de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha. Le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune explication au sujet de ces allégations, ce qui exclut toute possibilité d’obtenir les éclaircissements nécessaires sur l’arrestation de la victime et sa détention ultérieure au secret. Le Comité mesure le degré de souffrance qu’implique le fait d’être détenu indéfiniment et privé de tout contact avec le monde extérieur. À ce sujet, le Comité rappelle son Observation générale no 20 concernant l’article 7 du Pacte, dans laquelle il recommande que les États parties prennent des dispositions interdisant la détention au secret. En l’absence de toute explication satisfaisante de la part de l’État partie concernant la disparition du cousin de l’auteur, son maintien en détention depuis 1989, en l’empêchant de communiquer avec sa famille et avec le monde extérieur, ainsi que sa mort inexpliquée en 1996, le Comité considère que la disparition forcée de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha constitue une violation de l’article 7 du Pacte.

7.5Le Comité prend note également de l’angoisse et de la détresse que la disparition du cousin de l’auteur a entraînées pour ses proches, notamment l’auteur, depuis octobre 1989. Il considère par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte en ce qui concerne l’auteur.

7.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, les informations dont dispose le Comité montrent que le cousin de l’auteur a été arrêté sans mandat par des agents de l’État partie en civil, qu’il a ensuite été détenu au secret sans avoir accès à un conseil et sans jamais être informé des raisons de son arrestation ou des charges retenues contre lui. Le Comité rappelle que le cousin de l’auteur n’a jamais été présenté à un juge et n’a jamais pu contester la légalité de sa détention. En l’absence de toute explication pertinente de l’État partie, le Comité constate une violation de l’article 9 du Pacte.

7.7En ce qui concerne le grief formulé par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 10, du fait que son cousin a été détenu au secret à la prison d’Abou Salim, dans de mauvaises conditions de détention (cellules extrêmement surpeuplées, passages à tabac systématiques et sous-alimentation), le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. En l’absence d’informations de la part de l’État partie concernant le traitement subi par le cousin de l’auteur à la prison d’Abou Salim et prenant note de ce qui a été signalé concernant les conditions générales régnant dans cette prison, le Comité conclut que les droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 10 ont été violés.

7.8L’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui fait aux États parties obligation de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits consacrés dans le Pacte. Le Comité réaffirme l’importance qu’il attache à la mise en place par l’État partie de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violation des droits en droit interne. Il renvoie à son Observation générale no 31, selon laquelle le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les informations dont dispose le Comité indiquent que le cousin de l’auteur n’a pas eu accès à un recours utile de ce type, et le Comité en conclut par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 6, de l’article 7 pris isolément et lu en conjonction avec le paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 9, et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte en ce qui concerne le cousin de l’auteur et de l’article 7 du Pacte en ce qui concerne l’auteur lui-même.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Le Comité demande donc à l’État partie a) de mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition et le décès du cousin de l’auteur, b) de lui fournir des informations appropriées résultant de son enquête, c) de restituer la dépouille de M. Milhoud Ahmed Hussein Bashasha à sa famille, si cela n’a pas encore été fait, d) de poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises et e) d’indemniser de manière appropriée l’auteur et la famille de Milhoud Ahmed Hussein Bashasha pour les violations subies par le cousin de l’auteur. L’État partie est d’autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]