Nations Unies

CCPR/C/100/D/1636/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

1er novembre 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Centième session

11-29 octobre 2010

Décision

Communication no 1636/2007

Présentée par:

Andreas Onoufriou (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République de Chypre

Date de la communication:

5 octobre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 décembre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

25 octobre 2010

Objet:

Légalité du procès et de la condamnation de l’auteur à dix-huit ans de prison pour tentative de meurtre sur un juge et sa fille

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes; griefs non étayés

Questions de fond:

Procès équitable; interdiction de la discrimination

Articles du Pacte:

14 (par. 3 b), d) et e)), 2 et 26

Articles du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (centième session)

concernant la

Communication no 1636/2007 **

Présentée par:

Andreas Onoufriou (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République de Chypre

Date de la communication:

5 octobre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réunile 25 octobre 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 5 octobre 2006, est Andreas Onoufriou, de nationalité chypriote, actuellement détenu à la prison centrale de Nicosie où il purge une peine de dix-huit ans d’emprisonnement après avoir été reconnu coupable d’une double tentative de meurtre. Il affirme être victime de violations par la République de Chypre du paragraphe 3 b), d) et e) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 2 et de l’article 26. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur est un ressortissant chypriote qui a été reconnu coupable, le 5 août 1998, par la cour d’assises de Limassol de tentative de meurtre sur un juge de tribunal de district et sa fille. Le matin du 29 octobre 1996, le juge M. M. s’apprêtait à prendre sa voiture pour se rendre à son travail après avoir conduit sa fille à l’école maternelle. Après avoir déplacé le véhicule de sa femme qui était stationné derrière le sien sur la voie d’accès, il s’est approché de sa voiture, suivi de sa fille. Alors qu’il se trouvait près de la roue arrière droite du véhicule, il s’est produit une forte explosion qui l’a projeté à terre et l’a gravement blessé. Il a dû subir une série d’interventions chirurgicales, mais conserve des séquelles physiques. Sa fille, qui se trouvait plus loin du lieu de l’explosion, a été brûlée par le souffle mais pas gravement blessée. L’explosion a été causée par un dispositif explosif artisanal qui avait été placé près de la roue droite de la voiture et pouvait être déclenché soit par un panier de câble plastifié, soit par le moindre mouvement du véhicule.

2.2Au cours de l’enquête, l’attention de la police a été appelée sur une procédure judiciaire en cours, confiée au juge M. M., dans laquelle l’auteur devait répondre d’une dette de 5 000 livres chypriotes, qu’il avait contractée en tant que propriétaire d’une clinique à Limassol qu’il voulait transformer en hôpital privé. Le juge M. M. avait été saisi de l’affaire le 16 octobre 1996, et une audience était fixée au 21 octobre 1996. Il ressort des actes de la procédure judiciaire que l’auteur estimait que le juge M. M. manifestait de l’hostilité à son égard, et qu’il avait confié au témoin de l’accusation no 63 son intention de tuer ce juge. La cour d’assises de Limassol a également conclu, sur la base des éléments disponibles, que l’auteur avait appris à confectionner un tel engin explosif durant son service dans la Garde nationale.

2.3Il ressort également du dossier soumis au Comité qu’après avoir commis les faits, l’auteur a confirmé au témoin de l’accusation no 63 avoir placé la bombe au domicile du juge M. M. le 29 octobre 1996. Durant la nuit du 29 au 30 octobre 1996, l’auteur a pris un vol pour l’Angleterre, où il est resté jusqu’à son extradition vers Chypre par les autorités britanniques le 4 avril 1997. L’auteur affirme s’être rendu en Angleterre pour épouser son amie roumaine. Selon la décision de la Cour suprême du 17 novembre 2000, l’auteur aurait, durant son séjour en Angleterre, fréquemment téléphoné au témoin de l’accusation no 63 pour lui demander de transporter des armes, des explosifs et des commutateurs électriques de son appartement de Limassol dans un entrepôt. Un câble plastifié semblable à celui trouvé sur les lieux du crime aurait été découvert dans l’entrepôt, après y avoir été transporté depuis l’appartement de l’auteur.

2.4Le 9 janvier 1997, l’auteur a été arrêté au Royaume-Uni pour possession d’explosifs, et incarcéré à la prison de Brixton à la suite d’une demande des autorités chypriotes tendant à ce qu’il soit extradé vers Chypre pour y répondre de tentative de meurtre sur le juge M. M. et sa fille. Après son extradition, l’auteur a été inculpé de tentative de meurtre par le tribunal de district de Limassol le 11 avril 1997 et incarcéré à la prison centrale de Nicosie. Il a eu de grandes difficultés pour trouver un défenseur. Selon lui, cela était dû à la publicité négative des médias à son égard, et à la crainte des avocats de subir des pressions s’ils acceptaient de le représenter, étant donné la qualité de juge de la victime.

2.5La cour d’assises a sollicité l’assistance de l’ordre des avocats du barreau de Limassol, dont le Bâtonnier a réussi à trouver deux avocats prêts à assister l’auteur. Celui-ci a néanmoins repoussé l’offre, car il tenait à être défendu par deux avocats précis, qui refusaient néanmoins de le représenter. La cour d’assises a finalement commis un avocat pour représenter l’auteur dans le cadre de l’aide juridictionnelle, l’auteur n’ayant pas les moyens financiers d’en désigner un lui-même. Cet avocat a été congédié par l’auteur le 26 novembre 1997, lors de sa deuxième comparution, après que l’avocat eût demandé l’ajournement de l’audience pour raisons de santé. L’auteur a ensuite demandé l’autorisation de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat.

2.6L’auteur a soumis à la cour d’assises de Limassol une demande de libération conditionnelle, en faisant valoir que son incarcération jusqu’à la date du procès ne lui permettait pas d’organiser sa défense, du fait notamment qu’il n’était pas représenté par un avocat. Cette demande a été rejetée par la cour d’assises de Limassol en raison de la gravité des faits reprochés à l’accusé et faute d’éléments particuliers susceptibles de justifier une décision différente.

2.7Le 4 août 1998, la cour d’assises a reconnu l’auteur coupable d’une double tentative de meurtre, et l’a condamné à une peine totale de dix-huit ans de prison le 7 août 1998. L’auteur a fait appel devant la Cour suprême, en invoquant les moyens ci-après, pour violation de ses droits à une procédure régulière: i) le fait que l’accusation n’avait pas démontré son intention d’assassiner le juge M. M. et sa fille; ii) le caractère incomplet de l’appréciation de la déposition du témoin de l’accusation no 63, le ministère public n’ayant pas dûment pris en considération les contradictions de la déposition de ce témoin avec les constatations de la police; iii) le manque de fiabilité du spécialiste nommé par la cour d’assises pour analyser les explosifs employés pour commettre le crime; iv) le refus de la police d’autoriser l’auteur à examiner la voiture de la victime; v) le refus de communiquer à l’auteur la déposition initiale du témoin de l’accusation no 63 avant ou durant le procès; vi) la rétention des notes préparées par l’auteur pour le contre-interrogatoire des témoins.

2.8Le 17 novembre 2000, la Cour suprême a rejeté l’appel de l’auteur. Pour ce qui est de la possibilité d’examiner la voiture de la victime, la Cour a indiqué qu’il n’avait pas été jugé nécessaire de conserver celle-ci comme pièce à conviction, car cela n’était pas objectivement nécessaire pour prouver les faits, et n’était pas non plus utile pour la défense éventuelle de l’accusé. Ce qui était par contre nécessaire à l’enquête était le prélèvement de fragments d’explosifs susceptibles d’indiquer la méthode de fabrication de la bombe, le mécanisme explosif employé, sa puissance et le mode de détonation. La Cour a souligné que l’auteur n’avait pas demandé à examiner ces éléments de preuve.

2.9L’auteur a présenté plusieurs requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme, dont trois ont été déclarées irrecevables. Le 7 janvier 2010, la Cour européenne a rendu une décision dans laquelle elle a conclu que l’État partie avait violé l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, s’agissant des conditions de détention de l’auteur qui avait été maintenu à l’isolement cellulaire du 21 septembre 2003 au 7 novembre 2003 pour n’être pas rentré à la prison centrale de Nicosie au terme d’une permission de sortie de vingt-quatre heures.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme avoir été illégalement jugé et condamné à une peine de dix-huit ans d’emprisonnement, en violation de l’article 14 du Pacte. Il affirme tout d’abord s’être rendu compte, après avoir lu le procès-verbal des débats de la cour d’assises de Limassol, que plusieurs pages manquaient. Le 8 novembre 2000, il a écrit au Président de la Cour suprême pour lui faire part du problème. L’auteur dit n’avoir reçu qu’en mars 2001 une réponse du greffe de la Cour suprême niant la disparition de pages du procès-verbal. L’appel ayant été rejeté par la Cour suprême le 17 novembre 2000, l’auteur fait valoir qu’il n’a pas été possible d’effectuer des recherches et que la question n’a pas pu non plus être examinée par la Cour.

3.2L’auteur allègue en outre que le droit à l’assistance d’un défenseur lui a été dénié par la cour d’assises de Limassol, en violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte. Il affirme qu’à la demande de la cour d’assises, le barreau de Limassol a trouvé deux avocats qui étaient prêts à le défendre; néanmoins, selon l’auteur, le premier a été refusé par la cour en raison de son trop jeune âge, tandis que le second, influencé par le traitement médiatique de son affaire, lui aurait demandé de plaider coupable du chef de tentative de meurtre.

3.3L’auteur fait valoir aussi que le refus de la cour d’assises de Limassol de le libérer sous caution pour lui permettre de préparer correctement sa défense constitue une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

3.4L’auteur affirme également avoir été contraint d’accepter la déposition du témoin de l’accusation no 63 qui, seule, a constitué la base de sa condamnation, en violation des droits qui lui sont garantis par le paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. D’après lui, le ministère public s’était entendu avec ce témoin pour qu’il témoigne contre l’auteur, en échange de l’abandon d’un certain nombre de charges contre lui en tant que complice dans la même affaire.

3.5Selon l’auteur, la police lui aurait en outre refusé la possibilité de se rendre sur les lieux du crime pour examiner en particulier la voiture de la victime où la bombe avait été placée. Cela constituerait une violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

3.6Enfin, l’auteur fait valoir que la cour d’assises lui a refusé le droit de faire entendre son amie roumaine comme témoin à décharge. Il affirme qu’elle avait été expulsée de Chypre en tant que ressortissante étrangère et que son nom figurait sur une liste d’exclusion. Il en résulterait selon lui une violation des droits que reconnaît le paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 22 mai 2008, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme tout d’abord que le grief tiré du paragraphe 3 b) de l’article 14, selon lequel le droit à l’assistance d’un défenseur lui aurait été refusé, n’a pas été soulevé en appel devant la Cour suprême. L’État partie affirme donc que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, faute d’épuisement des recours internes.

4.2De même, l’État partie objecte que le grief de l’auteur, selon lequel l’un de ses témoins à décharge aurait été empêché de déposer en sa faveur, n’a pas été évoqué devant la Cour suprême et devrait donc être déclaré irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.3De la même manière, l’État partie considère que l’allégation de l’auteur, selon laquelle le droit de préparer correctement sa défense lui aurait été refusé parce qu’il n’a pas été libéré avant son procès, est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour n’avoir pas été soulevée en appel devant la Cour suprême.

4.4Sur le fond, en ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que le droit à l’assistance d’un défenseur lui aurait été refusé, l’État partie soutient que cette allégation n’est pas fondée en fait. La décision de la cour d’assises de Limassol et le procès-verbal des débats de la cour montrent que bien qu’un avocat ait été commis à l’auteur par la cour, celui-ci l’a congédié lors de la deuxième comparution. Les rappels et encouragements répétés de la cour à l’auteur pour qu’il sollicite l’assistance d’un autre avocat sont restés sans suite, au motif que les défenseurs par qui il souhaitait être représenté n’étaient pas disponibles au tarif prévu par les règles de l’assistance juridictionnelle. Enfin, l’auteur a prétendu vouloir assurer lui-même sa défense devant la cour. L’État partie est d’avis qu’en l’espèce, c’est l’auteur lui-même qui a décidé de ne pas se faire assister d’un défenseur, et qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

4.5Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle son amie roumaine, qu’il souhaitait faire comparaître comme témoin à décharge, figurait sur une liste d’exclusion et ne pouvait pas venir à Chypre, l’État partie conteste ce fait en affirmant que son nom ayant été retiré de la liste, elle était donc autorisée à venir à Chypre, mais qu’elle n’a jamais comparu devant la cour. En conséquence, l’allégation de l’auteur selon laquelle il en résulterait une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, n’est pas fondée.

4.6Le fait que l’auteur n’a pas pu examiner la voiture de la victime n’a aucunement compromis sa défense, s’agissant des droits garantis par l’article 14 du Pacte. Rappelant que cette question a été examinée tant par la cour d’assises que par la Cour suprême, l’État partie réaffirme que la voiture de la victime n’a pas été conservée comme pièce à conviction car sa production n’était pas considérée comme nécessaire à l’enquête ni, par conséquent, comme de nature à établir les éléments du crime et la culpabilité de l’auteur. Au contraire, c’est le prélèvement de fragments de la bombe et d’autres éléments susceptibles d’indiquer le type d’explosifs utilisés, leur puissance et leur mode de détonation, qui était d’une importance essentielle pour l’enquête. L’État partie note que l’auteur n’a pas demandé à examiner ces éléments de preuve. Il en conclut qu’il n’a subi aucun préjudice à ce titre au regard de l’article 14.

4.7Concernant l’allégation de l’auteur qui fait valoir le refus de la cour d’assises de le libérer sous caution pour lui permettre de préparer sa défense constituerait une violation de ses droits au regard du paragraphe 3 b) de l’article 14, l’État partie réaffirme que si l’auteur n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat, cela résultait de sa propre décision. Le droit d’être libéré sous caution afin de préparer sa défense, lorsque l’accusé a lui-même décidé de ne pas se faire assister par un défenseur, n’est pas visé par l’article 14 du Pacte. L’État partie ajoute qu’aux fins de la procédure devant la Cour suprême, l’auteur était représenté par un conseil.

4.8En ce qui concerne les allégations de l’auteur au regard de l’article 26, l’État partie note que ce grief n’est pas étayé et n’a pas été évoqué devant les juridictions nationales. Il affirme en conclusion que la communication est en partie irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et que, sur le fond, il n’y a aucune violation des articles 14, 2 et 26 du Pacte en ce qui concerne l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse du 26 juillet 2008, l’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes. Il affirme avoir invoqué tous les motifs soumis au Comité devant les juridictions nationales, par écrit ou oralement. S’agissant de la déposition de son amie comme témoin à décharge, l’auteur prétend avoir demandé à trois reprises en 1997 à la cour d’assises de Limassol de faire supprimer son nom de la liste d’exclusion. Après sa dernière demande, le 17 octobre 1997, une ordonnance a été rendue par la cour à cette fin mais n’a jamais été mise à exécution par le Procureur général ou la police. Il ajoute que lorsque le procès s’est ouvert, son amie a été autorisée à venir à Chypre pour deux jours seulement et que, les vols ayant lieu à date fixe, il lui a été impossible d’assister au procès.

5.2L’auteur affirme qu’il avait besoin d’examiner la voiture de la victime afin de montrer que la bombe avait été placée derrière la roue arrière droite et que l’intention de la personne qui avait commis les faits était non pas de tuer, mais seulement de faire peur, et d’endommager la voiture.

5.3En ce qui concerne l’absence d’un défenseur, l’auteur réaffirme que sur les deux avocats qui lui ont été proposés par le barreau de Limassol, l’un a été considéré par la cour comme trop jeune pour le représenter, tandis que le second lui a demandé de plaider coupable.

5.4À propos de son allégation concernant des pages manquantes du procès-verbal des débats de la cour, l’auteur fait observer que l’État partie ne l’a pas contestée, et il invite donc le Comité à admettre ce fait, et à en déduire la conclusion inévitable que son procès s’est déroulé en violation de l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3S’agissant de la condition posée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a noté l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’aurait pas épuisé les recours internes concernant: i) son grief, fondé sur le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, selon lequel le droit à l’assistance d’un défenseur lui aurait été refusé par la cour d’assises de Limassol; ii) son grief, fondé sur le paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, selon lequel la cour d’assises ayant refusé de le libérer sous caution, il n’a pas pu préparer correctement sa défense; et iii) son allégation selon laquelle le déni, par la cour d’assises, de son droit de faire comparaître son amie comme témoin à décharge durant son procès, aurait constitué une violation de ses droits au regard du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

6.4Le Comité note que l’auteur a soulevé plusieurs nouveaux griefs en appel devant la Cour suprême et n’explique pas pourquoi il n’a pas soulevé ces trois griefs supplémentaires, ou tenté un autre recours approprié à cet égard. Tout en notant que l’auteur ne conteste pas le caractère effectif des recours dont il disposait, le Comité est d’avis que l’exercice d’un tel recours aurait pu éclaircir les faits, s’agissant notamment de la question de l’assistance d’un défenseur, et de celle de l’autorisation de faire comparaître son amie comme témoin à décharge au procès. En se fondant sur les éléments dont il est saisi, le Comité constate que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne ces trois allégations, et il déclare donc que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle plusieurs pages manquaient dans le procès-verbal des débats de la cour d’assises de Limassol, le Comité note que ce fait a été réfuté par une communication officielle du greffe de la Cour suprême à l’auteur le 21 mars 2000. Il note aussi que l’auteur n’a pas précisé la teneur de cette communication. S’il est vrai que l’État partie n’a pas fourni de renseignements sur cette question, le Comité constate que l’auteur n’a pas étayé son grief, aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6À propos du grief tiré du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, selon lequel l’auteur aurait été «forcé d’accepter» la déposition du témoin de l’accusation no 63 qui a constitué la base de sa condamnation pour tentative de meurtre, le Comité rappelle tout d’abord que, par essence, l’examen d’une telle allégation suppose l’appréciation par le Comité de faits et d’éléments de preuve présentés au procès, qui incombe en principe aux juridictions nationales, à moins qu’elle ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice.

6.7Sur la base des éléments dont il est saisi, en particulier l’arrêt de la Cour suprême du 17 novembre 2000, le Comité remarque que cinq autres témoins au moins, en plus du témoin no 63, ont été cités par le ministère public devant la cour d’assises de Limassol. Le Comité observe en outre, à la lecture des procès-verbaux des débats et des décisions judiciaires, que la culpabilité de l’auteur a été établie par le ministère public sur la base de preuves indirectes qui ont servi à la cour pour corroborer les dépositions des témoins à charge.

6.8Dans les circonstances de l’espèce, le Comité est d’avis que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité qu’il a été contraint d’accepter le témoignage à charge d’un témoin de l’accusation. L’auteur n’a pas non plus montré de manière convaincante, aux fins de la recevabilité, que l’appréciation des éléments de preuve faite par la cour était arbitraire ou constituait un déni de justice. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Pour ce qui est des articles 2 et 26 du Pacte, le Comité considère que l’auteur n’a étayé aucune allégation au regard de ces dispositions. Il conclut donc que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.10Le Comité note le grief de l’auteur tiré du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte selon lequel la police lui aurait refusé la possibilité d’examiner les lieux du crime, en particulier la voiture de la victime à l’intérieur, ou à proximité, de laquelle la bombe avait été placée. Constatant que l’auteur n’a pas étayé cette allégation au regard du paragraphe 3 e) de l’article 14 aux fins de la recevabilité, le Comité considère qu’elle peut soulever des questions au regard du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, et note que l’auteur a épuisé les recours internes pour ce grief.

6.11Le Comité réaffirme que l’appréciation des faits et des moyens de preuve présentés au procès incombe en principe aux juridictions nationales, à moins qu’elle ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. Il rappelle aussi que les «facilités nécessaires» à la préparation de la défense, aux fins du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, doivent comprendre l’accès à tous les éléments de preuve, éléments à charge que l’accusation compte produire à l’audience, ou à décharge. La portée de la protection offerte par cette disposition doit être entendue comme garantissant que des individus ne puissent pas être condamnés sur la base de preuves auxquelles eux-mêmes ou leurs représentants en justice n’ont pas pleinement accès.

6.12Le Comité observe qu’en l’espèce, l’enquête n’a pas conservé la voiture de la victime comme preuve matérielle établissant les éléments du crime, et donc la culpabilité de l’auteur, mais s’est au contraire fondée sur d’autres éléments de preuve, comme des fragments du dispositif explosif et d’autres échantillons. Le Comité a pris note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a jamais demandé à examiner ces éléments, ce que ce dernier n’a pas contesté. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que les droits garantis par le paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte ont été violés. Il en résulte que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]