Nations Unies

CCPR/C/106/D/1805/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 décembre 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1805/2008

Constatations adoptées par le Comité à sa 106e session(15 octobre-2 novembre 2012)

Communication p résentée par:

Mussa Ali Mussa Benali (représenté par Al‑Karama for Human Rights et TRIAL)

Au nom de:

Mussa Ali Mussa Benali et Abdeladim Ali Mussa Benali − l’auteur et son frère

État partie:

Libye

Date de la communication:

30 mai 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partiele 20 août 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

1er novembre 2012

Objet:

Arrestation illégale, détention au secret, torture et mauvais traitements, arrestation sans mandat, disparition forcée

Questions de procédure:

Défaut de coopération de l’État partie

Questions de fond:

Droit à un recours utile; droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels ou inhumains; droit à la liberté et àla sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; respect de la dignité inhérente aux personnes privées de liberté; reconnaissance de la personnalité juridique

Articles du Pacte:

2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 16 et 21

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (106e session)

concernant la

Communication no1805/2008 *

Présentée par:

Mussa Ali Mussa Benali (représenté par Al‑Karama for Human Rights et TRIAL)

Au nom de:

Mussa Ali Mussa Benali et Abdeladim Ali Mussa Benali − l’auteur et son frère

État partie:

Libye

Date de la communication:

30 mai 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1805/2008 présentée par Mussa Ali Mussa Benali en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 30 mai 2008, est Mussa Ali Mussa Benali, de nationalité libyenne. Il présente la communication en son nom propre et au nom de son frère, Abdeladim Ali Mussa Benali, également de nationalité libyenne. L’auteur affirme que la Libye a commis des violations de l’article 2 (par. 3), de l’article 6 (par. 1), de l’article 7, de l’article 9 (par. 1 à 4), de l’article 10 (par. 1) et de l’article 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour la Libye le 16 août 1989. L’auteur est représenté par les organisations Al-Karama for Human Rights et TRIAL (Track Impunity Always).

1.2Le 20 août 2008, en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a demandé, au nom du Comité, à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie, la sécurité et l’intégrité personnelle d’Abdeladim Ali Mussa Benali de façon à éviter qu’un préjudice irréparable ne lui soit infligé, et d’informer le Comité des mesures qu’il aurait prises dans les trente jours suivant cette demande.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique que son frère, Abdeladim Ali Mussa Benali, est un citoyen libyen, né à Darna en 1969, et qu’il habitait la résidence familiale située à Essahel Acharqi (Darna) et était employé par la fabrique publique de meubles de Darna. L’auteur est lui aussi né à Darna en 1964 et était, au moment de la soumission de la présente communication, citoyen libyen résident au Royaume-Uni.

2.2L’auteur déclare que le 9 août 1995, Abdeladim Ali Mussa Benali a été arrêté par des fonctionnaires de l’Agence de sûreté intérieure (ISA). Avant son arrestation, l’ISA l’avait soumis à une étroite surveillance. Il était régulièrement suivi par les agents de l’ISA et devait se rendre chaque jour au siège de l’ISA à Darna. Depuis le mois de juillet 1995, il se présentait en personne chaque matin aux agents de la sûreté intérieure et était systématiquement retenu à l’ISA jusqu’au soir.

2.3L’auteur affirme qu’après son arrestation le 9 août 1995, Abdeladim Ali Mussa Benali a été retenu pendant deux heures au siège de l’ISA à Darna, puis transféré à Benghazi, avant d’être finalement envoyé par avion à Tripoli. L’auteur et sa famille ont appris plus tard qu’Abdeladim Ali Mussa Benali avait été détenu au secret pendant plus de cinq ans à la prison d’Abou Slim, où il a passé les deux premières années dans une cellule en sous-sol d’où il n’était jamais autorisé à sortir.

2.4En septembre 2000, les proches d’Abdeladim Ali Mussa Benali, qui n’avaient reçu aucune nouvelle de lui durant tout ce temps, ont été informés qu’il était en vie et détenu à la prison d’Abou Slim et ont été autorisés à lui rendre visite. Lors d’une première visite en septembre 2000, M. Benali a dit à sa famille qu’il avait régulièrement été soumis à des tortures (il était violemment battu à coups de barre de fer et d’autres objets, et privé de nourriture) et qu’il souffrait de séquelles de ces mauvais traitements. Il a également expliqué qu’il n’avait jamais été officiellement accusé d’aucun crime ni été présenté à un juge.

2.5L’auteur indique qu’Abdeladim Ali Mussa Benali a été libéré le 15 octobre 2002 sans avoir jamais été accusé d’aucun crime. Il a rejoint sa famille à Darna et repris son travail à la fabrique de meubles, après que plusieurs institutions publiques − l’ISA, le Commandement populaire et social de Darna et la Fondation internationale Kadhafi pour la charité et le développement − aient expressément approuvé son retour à la vie professionnelle, dans des lettres qui confirment qu’il a été détenu.

2.6L’auteur affirme qu’à la fin de 2004, Abdeladim Ali Mussa Benali a une nouvelle fois fait l’objet de harcèlement et d’intimidation de la part de l’ISA. Le 16 février 2005, alors qu’il s’était rendu à l’ambassade de Grande-Bretagne pour demander un visa afin de se rendre au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, il a de nouveau été arrêté par des agents de la sûreté intérieure, qui l’attendaient au domicile familial. Il a été conduit au siège de l’ISA à Benghazi, où il a été torturé pendant de nombreux jours, jusqu’à ce qu’il soit transféré au centre de détention d’Al Abiar, administré par l’ISA. Il y a été détenu au secret jusqu’au début de 2006, puis a été transféré à la prison d’Abou Slim. Là, il a fréquemment été battu et maltraité et, comme lors de sa première période de détention, a été longtemps tenu à l’isolement dans une cellule en sous-sol.

2.7L’auteur indique qu’en mai 2006, la famille d’Abdeladim Ali Mussa Benali a été informée du lieu où celui-ci se trouvait et a été autorisée à lui rendre visite une fois par mois, jusqu’en septembre 2006. Lors de ces visites, les membres de la famille ont appris qu’il avait de nouveau subi de graves violences et qu’il ne faisait l’objet d’aucune procédure judiciaire. Début octobre 2006, après que des émeutes eurent éclaté dans la prison d’Abou Slim, toutes les visites ont été interdites.

2.8Le 3 octobre 2006, une mutinerie a éclaté dans la prison au retour de 190 prisonniers qui avaient été amenés au tribunal pour y être rejugés et avaient vu leur condamnation confirmée. Une altercation a eu lieu entre des détenus et plusieurs gardiens. Le 4 octobre 2006, les services de sécurité sont intervenus dans la prison, utilisant des grenades lacrymogènes et tirant à balles réelles contre les détenus. Au moins un prisonnier a été tué et une dizaine ont été blessés. Abdeladim Ali Mussa Benali a pu avertir de la situation un représentant de l’organisation Al-Karama for Human Rights à l’aide d’un téléphone portable qu’il avait dissimulé à ses gardiens. À la suite de la mutinerie, les autorités libyennes ont pris de sévères mesures de représailles contre les détenus. La prison a été fouillée de fond en comble, les rations alimentaires considérablement réduites et toutes les visites des familles interdites. Les détenus soupçonnés d’avoir communiqué à l’extérieur des informations sur la situation dans la prison ont été torturés par les services de sécurité. Les détenus ont également été forcés à dénoncer les instigateurs de la mutinerie. Malgré les risques encourus, Abdeladim Ali Mussa Benali s’est arrangé pour communiquer à plusieurs reprises durant les mois qui ont suivi la mutinerie d’importantes informations sur les violations flagrantes des droits fondamentaux des détenus commises à la prison d’Abou Slim.

2.9L’auteur affirme que selon des sources crédibles, Abdeladim Ali Mussa Benali aurait disparu le 23 mars 2007 de la prison d’Abou Slim. Ses proches n’ont rien pu savoir sur son sort ni sur le lieu où il se trouvait. Le 18 mai 2007, sa disparition a été signalée au Rapporteur spécial sur la question de la torture, au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et au Rapporteur spécial du Secrétaire général concernant la situation des défenseurs des droits de l’homme.

2.10Le 30 avril 2009, l’auteur a signalé au Comité que M. Benali avait reçu la visite de l’un de ses frères à la prison d’Abou Slim le 26 avril 2009.

2.11L’auteur a fait valoir que la crainte de représailles de la part du Gouvernement l’avait dissuadé de porter plainte auprès des autorités judiciaires ou d’utiliser d’autres voies de recours disponibles en droit interne. Le régime libyen exerçait notoirement une répression sans pitié visant à étouffer toute opposition politique. Pour s’être seulement enquis du sort d’un proche, on risquait d’être détenu, torturé ou tué par les forces de sécurité. L’auteur a ajouté qu’en dépit des antécédents particulièrement dramatiques de l’État partie en matière de droits de l’homme en Libye, les plaintes pour violation des droits de l’homme soumises aux tribunaux nationaux y étaient pratiquement inexistantes.

2.12L’auteur a fait valoir que même s’il avait eu accès à des voies de recours internes, celles-ci auraient été totalement inefficaces, le système judiciaire libyen étant profondément déficient. Le pouvoir exécutif exerçait une emprise totale sur les autorités judiciaires. Le colonel Kadhafi avait non seulement le pouvoir d’établir des tribunaux spéciaux, de terrain ou d’urgence, mais il pouvait aussi révoquer les jugements rendus par les tribunaux et même siéger à la place de la Cour suprême. L’auteur a fait valoir que les voies de recours internes sont inefficaces et qu’il n’était donc pas tenu de les épuiser.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Toute détention non reconnue et au secret comme celle dont a fait l’objet Abdeladim Ali Mussa Benali constitue une grave menace pour la vie des personnes concernées car, de par sa nature même, une telle mesure laisse la victime entièrement à la merci de ses geôliers. Même lorsque cette situation n’entraîne pas la mort de la victime, il est manifeste que l’État partie n’a pas satisfait à son obligation de protéger le droit de la victime à la vie et qu’il a, à cet égard, enfreint l’article 6 du Pacte.

3.2L’auteur affirme en outre que l’État partie a enfreint l’article 7 du Pacte car il y a eu violation du droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’égard de l’auteur et de son frère, Abdeladim Ali Mussa Benali. Le fait même de soumettre une personne à une disparition forcée constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant. En effet, le stress et l’angoisse qu’engendre le fait d’être détenu pour une durée indéfinie en étant privé de tout contact avec la famille ou le monde extérieur constituent un traitement contraire à l’article 7 du Pacte, ainsi que le Comité l’a affirmé à maintes reprises. Outre la souffrance qu’entraîne inévitablement le fait d’être détenu au secret, Abdeladim Ali Mussa Benali a été soumis de façon répétée à des actes de torture et à un isolement prolongé dans une cellule en sous-sol, et a été privé de nourriture.

3.3L’auteur fait valoir qu’en tant que proche parent d’Abdeladim Ali Mussa Benali, il a lui-même subi un grand stress et une profonde anxiété du fait de l’incertitude dans laquelle il se trouvait et des craintes entièrement justifiées qu’il éprouvait quant au sort de son frère. Le Comité a à maintes reprises reconnu que la souffrance ainsi subie par les membres de la famille des victimes constituait une violation de l’article 7 du Pacte.

3.4L’auteur fait valoir qu’en l’espèce, les deux arrestations ont été menées dans un total mépris des procédures établies. Durant ses deux périodes de détention, Abdeladim Ali Mussa Benali n’a pas été informé des raisons de son arrestation. En outre, et en violation de son droit à une procédure régulière, M. Benali n’a pas été traduit devant un juge ou un autre fonctionnaire habilité à exercer une autorité judiciaire. Par ailleurs, aucune procédure pénale n’a jamais été engagée à son encontre. Abdeladim Ali Mussa Benali a, les deux fois, été privé de la possibilité de contester la légalité de sa détention. Ainsi qu’il est indiqué plus haut, il n’a pas eu accès à un conseil juridique et n’a pu avoir que très peu de contacts avec sa famille. Par conséquent, l’auteur affirme que l’État partie a manqué à ses obligations au titre des paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte.

3.5L’auteur estime que les violations de l’article 7 commises à l’encontre d’Abdeladim Ali Mussa Benali constituent également des infractions à l’article 10 du Pacte car M. Benali était privé de liberté au moment où les abus ont été commis.

3.6L’auteur fait valoir que M. Benali a été victime d’une disparition forcée depuis le 23 mars 2007, ainsi qu’entre la date de sa première arrestation en 1995 et septembre 2000 et durant la première année de sa deuxième période de détention, qui a commencé le 16 février 2005, lorsqu’il a été détenu par des agents de la sûreté intérieure qui n’ont jamais admis sa détention. L’auteur estime que parce qu’elles ont empêché la victime de faire valoir ses droits ou de se prévaloir de tout mécanisme de protection, ces disparitions forcées constituent une négation de la personnalité juridique en ce sens que la victime n’existait pas au regard du droit. L’auteur fait valoir par ailleurs que le Comité a affirmé que les disparitions forcées constituaient une violation de l’article 16 du Pacte.

3.7L’auteur affirme que l’État partie a enfreint le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, car les victimes de crimes tels que ceux qui ont été commis contre M. Benali n’avaient pas la possibilité de saisir les tribunaux nationaux et ne disposaient pas d’autres voies de recours en droit national. Compte tenu de la situation qui régnait dans le pays, quiconque aurait cherché à obtenir réparation de telles violations eût en tout état de cause été privé de toute chance de succès. Le Comité a affirmé que tous les États parties au Pacte avaient le devoir de mener des enquêtes approfondies sans retard excessif sur les violations supposées des droits de l’homme afin que les personnes dont la responsabilité était établie aient à répondre de leurs actes. Aucune démarche sérieuse n’a été entreprise pour faire la lumière sur les circonstances qui ont entouré les crimes graves commis et pour traduire leurs auteurs devant la justice, ce qui constitue une violation du droit à un recours utile. En outre, considérant qu’il a été établi que l’obligation positive de garantir les droits reconnus dans le Pacte comprenait l’obligation d’assurer des recours utiles lorsqu’une violation avait eu lieu, le fait de ne pas prendre les mesures nécessaires pour protéger les droits consacrés aux articles 6, 7, 9, 10 et 16 constitue en soi une violation distincte desdits articles lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Les 1er mai 2009, 18 août 2009 et 22 décembre 2009, l’État partie a été invité à présenter ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune réponse. L’État partie n’a pas non plus fait savoir si des mesures avaient été prises pour protéger la vie, la sécurité et l’intégrité personnelle d’Abdeladim Ali Mussa Benali. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas communiqué d’observations concernant la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’en vertu du Protocole facultatif, l’État partie concerné est tenu de lui soumettre par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été dûment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que l’auteur a porté le cas de son frère à l’attention du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, du Rapporteur spécial sur la question de la torture et du Représentant spécial du Secrétaire général concernant la situation des défenseurs des droits de l’homme. Le Comité rappelle cependant que les procédures ou mécanismes extraconventionnels institués par l’ancienne Commission des droits de l’homme, le Conseil des droits de l’homme ou le Conseil économique et social, qui ont pour mission d’examiner et de publier des rapports sur la situation des droits de l’homme dans certains pays ou territoires déterminés ou sur des phénomènes importants de violations des droits de l’homme dans le monde, ne constituent pas des instances internationales d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.3En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité redit sa préoccupation quant au fait que malgré les trois rappels adressés à l’État partie, celui-ci n’a communiqué aucune information ni observation concernant la recevabilité ou le fond de la communication. Dans ces conditions, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité considère que les allégations de l’auteur ont été suffisamment étayées et passe donc à l’examen quant au fond des griefs présentés par l’auteur au titre des dispositions ci-après: a) au nom d’Abdeladim Ali Mussa Benali, article 2, paragraphe 3; article 6, paragraphe 1; article 7; article 9, paragraphes 1 à 4; article 10, paragraphe 1 et article 16 du Pacte; b) au nom de l’auteur lui-même, article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

6.2Le Comité note que l’État partie n’a apporté aucune réponse aux allégations de l’auteur, et réaffirme que la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à ce dernier, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent l’État partie est le seul à disposer des renseignements voulus. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où les allégations sont corroborées par des éléments crédibles soumis par l’auteur et où tout autre éclaircissement dépend d’informations que détient uniquement l’État partie, le Comité peut considérer que les allégations de l’auteur sont étayées en l’absence de preuves ou d’explications satisfaisantes démontrant le contraire, soumises par l’État partie. Faute de toute explication de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur.

6.3Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur, qui n’a pas été contestée, selon laquelle Abdeladim Ali Mussa Benali a été détenu au secret en un lieu dont l’emplacement n’a pas été révélé durant deux périodes distinctes: depuis sa première arrestation en août 1995 jusqu’en septembre 2000, et depuis sa deuxième arrestation en février 2005 jusqu’en mai 2006. Durant ces périodes, il a été maintenu à l’isolement et privé de tout contact avec sa famille ou un avocat, et il a été torturé. Sa famille n’avait aucun moyen de le protéger et craignait de faire l’objet de représailles si elle contestait l’autorité de ses geôliers. De septembre 2000 à sa libération en octobre 2002, puis de mai 2006 jusqu’en octobre 2006, les autorités ont informé la famille de l’endroit où se trouvait Abdeladim Ali Mussa Benali et l’ont autorisée à lui rendre visite de temps à autre. D’octobre 2006 à mars 2007, il a de nouveau été détenu au secret, apparemment à la prison d’Abou Slim, de laquelle il aurait disparu en mars 2007; sa famille a finalement été informée du lieu où il se trouvait et autorisée à lui rendre visite en avril 2009. Ainsi, de grandes parties des années passées par Abdeladim Ali Mussa Benali en détention avaient le caractère d’une disparition forcée.

6.4Le Comité note qu’à plusieurs occasions, Abdeladim Ali Mussa Benali a été détenu par les autorités de l’État partie pendant de longues périodes dans un lieu inconnu de sa famille, sans possibilité de communication avec le monde extérieur. Le Comité rappelle qu’en cas de disparition forcée, la privation de liberté, lorsqu’elle s’accompagne d’un refus ou d’un défaut de reconnaissance de ce fait ou d’une dissimulation des informations sur le sort de la personne disparue ou l’endroit où elle se trouve, soustrait une telle personne à la protection de la loi et expose sa vie à un risque sérieux et continu dont l’État partie doit rendre compte. En l’espèce le Comité note que l’État partie n’a présenté aucune preuve attestant qu’il s’était acquitté de l’obligation de protéger la vie d’Abdeladim Ali Mussa Benali. Se référant à d’autres affaires, le Comité est également conscient que d’autres personnes détenues dans des circonstances similaires ont été tuées ou n’ont jamais été retrouvées vivantes. Il conclut que l’État partie a manqué à son obligation de protéger la vie d’Abdeladim Ali Mussa Benali, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

6.5En ce qui concerne la détention au secret d’Abdeladim Ali Mussa Benali, le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention pour une durée indéterminée, sans contact avec le monde extérieur. Il rappelle son Observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle le Comité recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Le Comité note que l’État partie n’a apporté aucune réponse aux allégations de l’auteur concernant la détention au secret d’Abdeladim Ali Mussa Benali d’août 1995 à septembre 2000, de février 2005 à mai 2006 et d’octobre 2006 à avril 2009. Sur la base des informations dont il dispose, le Comité conclut que ces trois périodes de détention au secret constituent des violations de l’article 7 du Pacte.

6.6En ce qui concerne l’auteur, le Comité prend note de l’anxiété et de la détresse causées par la disparition de son frère, Abdeladim Ali Mussa Benali. Rappelant sa jurisprudence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte en ce qui concerne l’auteur.

6.7S’agissant de l’article 9, il ressort des informations dont est saisi le Comité qu’Abdeladim Ali Mussa Benali a été arrêté deux fois sans mandat par des agents de l’État partie, et qu’il a été gardé en détention au secret chaque fois, sans avoir accès à un conseil, ni être informé des motifs de son arrestation ni présenté à une autorité judiciaire. Durant ces périodes, Abdeladim Ali Mussa Benali n’a pas pu contester la légalité de sa détention ni le caractère arbitraire de celle-ci. En l’absence de toute explication de l’État partie, le Comité constate des violations de l’article 9 du Pacte concernant les arrestations et les mesures de détention arbitraires dont a fait l’objet Abdeladim Ali Mussa Benali.

6.8Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur selon laquelle Abdeladim Ali Mussa Benali a été soumis à des actes de torture pendant sa détention et aurait été détenu dans des conditions inhumaines. Le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté, et doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. En l’absence d’informations de la part de l’État partie concernant le traitement auquel a été soumis Abdeladim Ali Mussa Benali en détention, le Comité conclut que les droits qu’il tenait de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 ont été violés.

6.9Pour ce qui est de l’article 16, le Comité réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition, et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours utiles, y compris devant une cour de justice (art. 2, par. 3 du Pacte) sont systématiquement entravés. En l’espèce, l’auteur fait valoir que les autorités de l’État partie n’ont fourni aucune information à la famille d’Abdeladim Ali Mussa Benali sur son sort ou sur le lieu où il se trouvait pendant des périodes s’étalant sur plusieurs années, et que l’État partie entretenait à l’époque un climat qui a dissuadé les membres de la famille de se risquer à engager une procédure juridique ou à questionner les forces de sécurité au sujet de la détention. L’État partie n’a fourni aucune preuve réfutant ces allégations. Le Comité estime que la disparition forcée et la détention au secret d’Abdeladim Ali Mussa Benali l’ont soustrait à la protection de la loi pendant ces périodes, en violation de l’article 16 du Pacte.

6.10L’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui oblige les États parties à garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits reconnus dans le Pacte. Le Comité réaffirme l’importance qu’il attache à la mise en place par les États parties des mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les allégations de violations des droits en droit interne. Il rappelle son Observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il affirme que le fait, pour un État partie, de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées peut en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les renseignements fournis au Comité montrent qu’Abdeladim Ali Mussa Benali n’a pas eu accès à un recours utile. Le Comité en conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1) et 16 en ce qui concerne Abdeladim Ali Mussa Benali. Le Comité conclut aussi qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard de l’auteur.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1) et 16 en ce qui concerne Abdeladim Ali Mussa Benali. Le Comité constate en outre que l’État partie a agi en violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1) et 16 en ce qui concerne Abdeladim Ali Mussa Benali. Enfin, le Comité constate des violations de l’article 7, pris isolément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne l’auteur.

8.En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant à: a) libérer Abdeladim Ali Mussa Benali immédiatement s’il est encore détenu; b) si celui-ci est décédé en détention, remettre sa dépouille à sa famille; c) mener une enquête approfondie et diligente sur sa disparition et sur tout mauvais traitement subi en détention; d) fournir à l’auteur et à Abdeladim Ali Mussa Benali des informations détaillées sur les résultats de l’enquête; e) engager des poursuites pénales contre les responsables de la disparition forcée et des autres mauvais traitements, les juger et les condamner et f) assurer à l’auteur et à Abdeladim Ali Mussa Benali une réparation appropriée pour les violations qu’ils ont subies. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Krister Thelin

La majorité a constaté une violation directe de l’article 6 du Pacte. Pour les raisons indiquées par M. Michael O’Flaherty et moi-même dans une opinion dissidente exprimée dans le cadre d’une affaire récente (communication no 1753/2008, Guezout c. Algérie), le Comité aurait dû suivre sa jurisprudence établie et constater une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]