Nations Unies

CCPR/C/106/D/1786/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

1er février 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Communication no 1786/2008

Constatations adoptées par le Comité à sa 106e session(15 octobre-2 novembre 2012)

Communication p résentée par:

Jong-nam Kim et consorts (représentés par deux conseils, André Carbonneau et Hana Lee)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République de Corée

Date de la communication:

15 janvier, 16 janvier et 25 avril 2008 (dates des lettres initiales)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 avril 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

25 octobre 2012

Objet:

Service de remplacement au service militaire obligatoire; objection de conscience

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes

Questions de fond:

Droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion

Article du Pacte:

18 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (106e session)

concernant la

Communication no 1786/2008 *

Présentée par:

Jong-nam Kim et consorts (représentés par deux conseils, André Carbonneau et Hana Lee)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République de Corée

Date de la communication:

15 janvier, 16 janvier et 25 avril 2008 (dates des lettres initiales)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1786/2008 présentée au nom de M. Jong-nam Kim et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont 388 personnes, toutes ressortissantes de la République de Corée. Ils affirment être victimes d’une violation par l’État partie de leurs droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour l’État partie le 10 avril 1990. Les auteurs sont représentés par deux conseils, André Carbonneau et Hana Lee.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les 388 auteurs sont des Témoins de Jéhovah qui ont été condamnés à dix-huit mois d’emprisonnement chacun pour avoir refusé d’effectuer leur service militaire en raison de leurs convictions religieuses. Seize d’entre eux ont fait appel de leur condamnation en première instance auprès de la Cour suprême de Corée, qui a refusé de reconnaître leur droit à l’objection de conscience. Les auteurs indiquent que la Cour suprême de Corée, en date du 15 juillet 2004, et la Cour constitutionnelle, en date du 26 août 2004, ont confirmé que les objecteurs de conscience devaient servir dans l’armée faute de quoi ils encouraient un emprisonnement. La Cour constitutionnelle a rejeté une demande tendant à déclarer l’article 88 de la loi sur le service militaire inconstitutionnel en raison de son incompatibilité avec la liberté de conscience garantie par la Constitution de la Corée. La Cour avait notamment relevé:

«La liberté de conscience telle qu’elle est énoncée à l’article 19 de la Constitution ne confère pas aux individus le droit de refuser le service militaire. La liberté de conscience est simplement le droit pour un individu de demander à l’État de tenir compte de sa conscience et, si possible, de la protéger, et n’est donc pas un droit qui l’autorise à refuser d’accomplir ses obligations militaires pour des raisons de conscience, pas plus qu’il ne l’autorise à exiger de pouvoir effectuer un service de remplacement qui se substituerait à l’accomplissement d’une obligation légale. […]».

2.2Les auteurs estiment que comme les plus hautes juridictions de Corée avaient déjà rendu une décision finale sur la question, il aurait été inutile de former un nouveau recours.

2.3Les auteurs signalent que depuis les arrêts de la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, entre 600 et 700 objecteurs de conscience ont été condamnés et incarcérés pour avoir refusé de porter les armes. D’autres sont condamnés et emprisonnés tous les mois.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment que l’inexistence dans l’État partie d’un service de remplacement au service militaire constitue une violation des droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. Ils se réfèrent aux constatations adoptées par le Comité le 3 novembre 2006 concernant les communications nos 1321/2004 et 1322/2004 (Yoon et Choi c. République de Corée), dans lesquelles le Comité avait conclu que l’État partie avait violé le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte pour des faits qui étaient identiques à ceux de la présente communication et il avait demandé à l’État partie d’assurer aux auteurs un recours utile.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 14 novembre 2008, et en se référant aux constatations adoptées le 3 novembre 2006 dans les affaires Yoon et Choi c. République de Corée, l’État partie a demandé au Comité de reconsidérer sa décision à la lumière de la situation relative à la sécurité dans la péninsule coréenne. Concrètement, à propos de l’observation du Comité qui avait souligné dans ses précédentes constatations qu’«un nombre croissant d’États parties au Pacte, qui maintiennent le service militaire obligatoire, ont mis en place un dispositif de substitution à ce service», l’État partie objecte que le système juridique de l’Allemagne et celui de Taiwan, pays qui ont mis en place un service de substitution, est tout à fait différent du sien. Il note aussi que Taiwan n’a pas été en guerre. La guerre de Corée s’est déroulée dans toute la péninsule et a duré trois ans et un mois, de 1950 à 1953, jusqu’à ce qu’un accord de cessez-le-feu soit finalement signé. Elle a fait un million de morts au Sud et plus de 10 millions de Coréens ont été séparés de leur famille. L’État partie fait valoir qu’un accord de cessez-le-feu est toujours en vigueur sur son territoire, ce qui le distingue d’autres pays. Cet accord n’a pas encore débouché sur un nouveau cadre juridique, comme un armistice ou un accord de paix visant à garantir la paix et la non-agression, en dépit des efforts constants déployés à cette fin. De l’avis de l’État partie, la situation relative à la sécurité sur son territoire n’est pas comparable à celle de l’Allemagne ou de Taïwan, car la République de Corée a une frontière commune avec la République populaire démocratique de Corée longue d’environ 250 kilomètres.

4.2En ce qui concerne l’argument du Comité qui a affirmé que l’État partie n’avait «… pas montré quels désavantages particuliers découleraient pour lui du plein respect des droits que l’article 18 reconnaît aux auteurs», l’État partie fait valoir que l’objection de conscience ou l’introduction d’un service de remplacement sont des questions étroitement liées à la sécurité nationale, dont dépendent directement la survie de la nation et la liberté de la population. L’État partie craint qu’un service de remplacement au service militaire ne mette en danger la sécurité nationale.

4.3Selon l’État partie, il y a toujours eu des personnes qui essaient de se soustraire à la conscription parce que les conditions de vie dans l’armée sont souvent assez difficiles ou parce qu’elles redoutent les conséquences qu’une telle interruption pourrait avoir pour leurs études ou leur carrière professionnelle. Il est donc d’autant plus nécessaire de maintenir la politique actuelle consistant à n’admettre aucune exception au service militaire obligatoire, de façon à garantir que le pays dispose de forces terrestres suffisantes. L’État partie ajoute que s’il faisait droit aux demandes d’exemption du service militaire, en l’absence d’un consensus de la population sur la question, il ne serait plus en mesure d’assurer au pays les effectifs militaires nécessaires à sa sécurité, car la population n’aurait plus confiance dans l’équité du système et s’interrogerait sur sa nécessité et sa légitimité. L’État partie considère par conséquent que la reconnaissance de l’objection de conscience et l’introduction d’un service de remplacement doivent être précédées d’une série de mesures visant à: assurer que le pays disposera d’effectifs militaires stables et suffisants; garantir qu’il n’y aura pas d’inégalité entre les personnes de différentes religions ni entre celles qui ont une religion et celles qui n’en n’ont pas; définir, sur la base d’études approfondies, des critères clairs et précis pour la reconnaissance des exemptions et obtenir un consensus sur la question parmi la population.

4.4Au sujet de l’argument du Comité selon lequel «le respect par l’État partie des convictions de conscience et de leur manifestation est en soi un facteur important pour assurer la cohésion et un pluralisme stable dans la société», l’État partie fait valoir que, dans la mesure où la situation de sécurité est exceptionnelle, une application stricte et équitable du système de conscription obligatoire est un facteur déterminant pour assurer la cohésion sociale. Le respect des convictions de conscience et de leur manifestation ne peut pas être garanti par la seule mise en place d’un système. Ce respect ne peut être durablement assuré que si l’on parvient à un accord général sur la question. Des sondages d’opinion réalisés en juillet 2005 et en septembre 2006 ont montré que 72,3 % et 60,5 %, respectivement, de la population étaient opposés à un service de remplacement pour les objecteurs de conscience.

4.5L’État partie fait valoir qu’il est très difficile dans la pratique de mettre en place un système de service de remplacement qui garantisse égalité et équité entre ceux qui font le service militaire obligatoire et ceux qui font le service de remplacement. La plupart des soldats de l’État partie s’acquittent de leurs obligations dans des conditions difficiles, voire dangereuses. Pendant qu’ils remplissent leur devoir de défense du pays, ils mettent leur vie en danger. De fait, 6 personnes sont mortes et 19 ont été blessées dans des affrontements qui ont opposé des navires nord-coréens et sud-coréens dans la mer Jaune en juin 2002. Il est donc quasiment impossible de garantir que ceux qui font le service militaire et ceux qui font le service de remplacement assument le même fardeau.

4.6L’État partie regrette qu’au moment de son adhésion au Pacte, le 10 avril 1990, le Comité ne se soit pas clairement prononcé sur la question de savoir si l’objection de conscience entrait dans le champ d’application de l’article 18. Ce n’est que le 30 juillet 1993, dans son Observation générale no 22, que le Comité a fait savoir qu’il considérait la non-reconnaissance de l’objection de conscience comme contraire à cet article. L’État partie fait observer que tant sa Cour suprême que sa Cour constitutionnelle ont estimé que ne pas mettre en place de service de remplacement à l’heure actuelle ne pouvait pas être considéré comme une violation du Pacte, et que la disposition de la loi sur le service militaire qui sanctionne les objecteurs de conscience était conforme à la Constitution.

4.7L’État partie ajoute que le Ministère de la défense nationale a mis en place une commission conjointe des secteurs public et privé pour la recherche d’un système de service de remplacement qui, d’avril 2006 à avril 2007, a étudié la possibilité de modifier la loi sur le service militaire et d’introduire un système de service de remplacement, en tenant compte de l’évolution probable des besoins et des disponibilités en personnel militaire, des déclarations des objecteurs de conscience, des avis d’experts dans ce domaine et d’exemples pertinents de pays étrangers.

4.8En outre, en septembre 2007, les autorités ont annoncé un projet de mise en place d’un système permettant d’affecter à un service social ceux qui refusent la conscription en raison de leurs convictions religieuses, une fois qu’il y aurait un «consensus populaire» sur la question. L’État partie a indiqué que dès qu’il y aurait un tel consensus, «comme suite à l’étude conduite sur l’opinion publique et la position des ministères et institutions concernés» il envisagerait d’introduire un système de service de remplacement. En conclusion, l’État partie demande au Comité de reconsidérer sa position sur la question à la lumière des arguments qu’il présente.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans leurs commentaires en date du 23 février 2009, les auteurs notent que leurs griefs sont identiques à ceux des auteurs des communications nos 1321-1322/2004 (Yoon Yeo-bum et Choi Myung-jin), dans lesquelles le Comité a constaté une violation de l’article 18 du Pacte. Les auteurs déplorent que l’État partie n’ait pas appliqué son plan national relatif à l’objection de conscience.

5.2Pour ce qui est de la nécessité de protéger la sécurité nationale, invoquée par l’État partie, les auteurs répondent que des États comme le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark et la Russie ont adopté des lois reconnaissant les droits des objecteurs de conscience en temps de guerre. Rien ne montre que ces lois ont affaibli la sécurité nationale de ces États. On peut également citer l’exemple de l’État d’Israël qui, depuis 1948, est engagé dans des affrontements militaires qui ont fait beaucoup plus de victimes que la République de Corée n’en a enregistré au cours des cinquante dernières années. Néanmoins l’État d’Israël exempte les objecteurs de conscience du service militaire. Les auteurs concluent que la reconnaissance de l’objection de conscience ne nuit pas à la sécurité nationale d’un pays.

5.3Les auteurs font également valoir que le nombre actuel d’objecteurs de conscience dans l’État partie représente 2 % des personnes effectuant leur service militaire chaque année; ce nombre n’est pas suffisamment élevé pour avoir une quelconque influence sur la capacité de l’État partie à se défendre. Ils notent en outre que les objecteurs de conscience ne servent pas l’armée mais sont emprisonnés, ce qui, à leur avis, laisse supposer que le refus de l’État partie de reconnaître les objecteurs de conscience et de leur permettre d’effectuer un service de remplacement n’a pas contribué à l’amélioration ou à la sauvegarde de la sécurité nationale. En ce qui concerne la crainte que la reconnaissance du droit à l’objection de conscience n’entraîne une augmentation des demandes de la part des bouddhistes, des catholiques et de chrétiens d’autres obédiences, les auteurs répondent qu’aucun des pays qui a mis en place un service de remplacement pour les objecteurs de conscience n’a connu une augmentation importante de demandes de la part de fidèles des autres religions mentionnées.

5.4Pour ce qui est de la nécessité de préserver la cohésion sociale invoquée par l’État partie, les auteurs répondent en citant un arrêt de 1943 de la Cour suprême des États-Unis, qui a considéré que les libertés fondamentales ne dépendent pas du résultat d’un vote. Les auteurs affirment que l’opinion publique ne peut excuser une violation du Pacte ni de la propre Constitution de l’État partie. En l’espèce, la Constitution protège les droits fondamentaux, la liberté de conscience et de religion. Par conséquent le droit interne, dont le Pacte fait partie, protège le droit des auteurs à l’objection de conscience. Les auteurs ajoutent qu’il ne faut pas toujours se fier aux sondages d’opinion; le 18 septembre 2007, lorsque le Ministère de la défense a annoncé qu’il avait décidé d’introduire un service civil de remplacement pour les objecteurs de conscience, il s’est référé à un sondage d’où il ressortait que 50,2 % de la population acceptaient la mise en place d’un service national de remplacement. Les auteurs mentionnent aussi deux autres sondages révélant la même tendance.

5.5En ce qui concerne l’argument selon lequel, lorsque l’État partie a adhéré au Pacte, le Comité n’avait pas encore élaboré son Observation générale no 22 qui élargit la portée de l’article 18 au droit à l’objection de conscience, les auteurs font observer qu’après avoir adhéré au Pacte l’État partie est devenu membre de la Commission des droits de l’homme, qui a adopté des résolutions sur les droits des objecteurs de conscience en 1993, 1995, 1998, 2000, 2002 et 2004. L’État partie n’en a contesté aucune.

5.6Le 16 janvier 2012, les auteurs ont informé le Comité que la Cour constitutionnelle avait déclaré, dans deux arrêts du 30 août 2011:

«[…] aucun article du Pacte, ni même l’article 18, ne consacre explicitement un droit à l’objection de conscience comme l’un des droits fondamentaux de la personne […]. L’interprétation du Comité […] est simplement une recommandation pour les États parties, mais n’est pas juridiquement contraignante […]. Par conséquent, le Pacte ne signifie pas que le droit à l’objection de conscience soit automatiquement reconnu, et n’a pas d’effet contraignant en ce qui concerne l’objection de conscience.».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que, hormis les 16 auteurs mentionnés au paragraphe 2.1, la majorité des auteurs n’ont pas fait appel des jugements prononcés par les tribunaux de district, considérant qu’il serait inutile d’introduire un nouveau recours. Le Comité prend note de l’argument des auteurs qui soulignent que la Cour suprême, en date du 15 juillet 2004, et la Cour constitutionnelle, en date du 26 août 2004, et plus récemment du 30 août 2011, ont décidé que les objecteurs de conscience devaient faire leur service militaire, faute de quoi ils encouraient un emprisonnement et que, la décision des plus hautes juridictions de Corée sur cette question étant définitive, tout nouveau recours serait inutile. Compte tenu des arguments des auteurs, et en l’absence d’objection de la part de l’État partie, le Comité estime qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

6.4Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment justifié leurs griefs aux fins de la recevabilité; il déclare la communication recevable au titre du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité prend note du grief des auteurs qui estiment que les droits qu’ils tiennent de l’article 18, paragraphe 1, du Pacte ont été violés en raison de l’absence dans l’État partie d’un service de remplacement au service militaire obligatoire, ce qui a conduit à des poursuites en justice et leur emprisonnement. Il note que dans la présente affaire, l’État partie réitère les arguments qu’il a avancés dans d’autres communications similaires soumises au Comité, notamment en ce qui concerne la sécurité nationale, l’égalité entre le service militaire et le service de remplacement et l’absence de consensus national sur la question. Le Comité estime qu’il a déjà examiné ces arguments dans ses constatations précédentes et ne voit pas de raison de s’écarter de sa position antérieure.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 22 (1993), dans laquelle il a considéré que le caractère fondamental des libertés consacrées par le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte est reflété dans le fait qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte, il ne peut pas être dérogé à l’article 18, même en cas de danger public exceptionnel. Bien que le Pacte ne fasse pas référence explicitement à un droit à l’objection de conscience, le Comité réaffirme que ce droit se déduit de l’article 18, dans la mesure où l’obligation d’employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience. Le Comité note en outre que la liberté de pensée, de conscience et de religion comprend le droit de ne pas déclarer ses convictions aussi bien que le droit de les déclarer. Le service militaire obligatoire sans possibilité de service civil de remplacement implique qu’un individu peut se retrouver dans une situation où il est privé du droit de choisir de déclarer ou non ses convictions du fait qu’il est tenu par une obligation légale le conduisant soit à enfreindre la loi soit à aller à l’encontre de ses convictions dans un contexte où il peut être nécessaire d’ôter à un autre être humain la vie.

7.4Le Comité réaffirme donc que le droit à l’objection de conscience au service militaire est inhérent au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit permet à tout individu d’être exempté du service militaire obligatoire si un tel service ne peut pas être concilié avec sa religion ou ses convictions. L’exercice de ce droit ne doit pas être entravé par des mesures coercitives. Un État partie peut, s’il le souhaite, obliger l’objecteur de conscience à effectuer un service civil de remplacement, en dehors de l’armée et non soumis au commandement militaire. Le service de remplacement ne doit pas avoir un caractère punitif. Il doit présenter un véritable intérêt pour la collectivité et être compatible avec le respect des droits de l’homme.

7.5Dans la présente affaire, le Comité considère que le refus des auteurs d’être enrôlés aux fins du service militaire obligatoire découle de leurs convictions religieuses, dont il n’a pas été contesté qu’elles étaient professées sincèrement, et que les poursuites et condamnations dont les auteurs ont ensuite fait l’objet constituent une atteinte à leur liberté de conscience, en violation du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. Réprimer le refus d’effectuer le service militaire obligatoire dans le cas de personnes dont la conscience ou la religion interdit l’usage des armes est incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître à l’égard de chacun des auteurs des violations par la République de Corée du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, consistant à effacer leurs casiers judiciaires et à leur offrir une indemnisation adéquate. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir, ce qui implique l’adoption de mesures législatives garantissant le droit à l’objection de conscience.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice 1

1.Jong-nam Kim

195.Dae-ho Shin

2.Hyun-suk Kang

196.Jae-gul Yoon

3.Ue-dong Jeong

197.Hyo-jae Choi

4.Hyun-ju Shin

198.Tae-ho Eom

5.Jun-tae Park

199.Tae-hyun Hwang

6.Seung-tae Kim

200.Sung-young Kim

7.Joon-ho Seok

201.Jae-min Seol

8.Hee-won Choi

202.Sang-yeon Won

9.Yang-ho Jung

203.Chung-won Jeong

10.Jung-hoon Kwon

204.Don-bum Joh

11.Su-min Park

205.Chang-hwan Kim

12.Jun-won Seok

206.Su-won Lee

13.Seul-gi Hong

207.Young-bin Oh

14.Bong-june Kim

208.Jin-bum Park

15.Hyung-chan Kim

209.Dong-hwan Kim

16.Hyun-je Kim

210.Sol Kim

17.Yeo-ma-ye Na

211.Byeong-joo Ko

18.Jae-il Hong

212.Jung-ho Lee

19.Hyung-won Kang

213.Byung-hyun Oh

20.Kyung-hee Jo

214.Sung-ryong Oh

21.Da-woon Jung

215.Ki-soo Song

22.Tae-song Kim

216.Sung-hyun Yoon

23.Kyu-dong Park

217.Sung-wan Go

24.Geon-uk Kim

218.Se-hee Han

25.Sul-ki Kwon

219.Joon-tae Hwang

26.Gyeong-su Park

220.Deuk-soo Kim

27.Chan-ho Eom

221.Hyo-sung Kim

28.Bit Han

222.Jae-won Kim

29.Soon-hyun Hwang

223.Pil-young Kim

30.Jae-ha Lee

224.Tae-won Kim

31.Hyung-ju Kang

225.Sung-hun Ko

32.Jun-seok Oh

226.Jeong-tae Lee

33.Jung-hyun Seo

227.Su-hyeon Park

34.Jae-chul Chung

228.Hye-gang Seo

35.Sung-il Jang

229.Sung-yub Jung

36.Ki-yong Kim

230.Dae-hyun Kang

37.Dong-il Song

231.Ja-won Kim

38.Hyun-sung Ha

232.Jung-woo Kim

39.Sung-min Chung

233.Kyung-min Kim

40.Min-jae Kim

234.Hae-joon Kwon

41.Byong-oh Ko

235.Sang-suk Lee

42.Sun-il Kwon

236.Ji-yun Park

43.Young-nam Choi

237.Young-jae Park

44.Ji-won Min

238.Young-wook Park

45.Yeo-reum Yoon

239.Dong-in Seon

46.In-hee Kim

240.Ji-min Ham

47.Jeong-hun Ko

241.Yoon-suk Kim

48.Tae-ik Kwan

242.Kwang-eun Lee

49.Jin-woong Kim

243.Hee-min Park

50.Ki-bok Sung

244.Neong-kul Park

51.Sang-il Ma

245.Seong-il Park

52.Kyong-nam Choi 12

246.Sung-yoon Park

53.Seul-gi Lee 12

247.Jun-sub Shim

54.Jin-taek Choi 12

248.O-nam Song

55.Yun-taek Hong 12

249.Hyun-woo Choi

56.Eun-sang Lee 12

250.Il-jung Jo

57.Young-il Jang 12

251.Jeong-duk Kim

58.Chang-yang Jung

252.Seung-woo You

59.Jin-geun Kim

253.Tae-jong Yu

60.Seon-kyum Kim

254.Hyun Baek

61.Min-kyu Park

255.Cheong-won Bang

62.Do-in Jun

256.Sung-kook Jo

63.Kyu-myung Jung

257.Hong-won Kim

64.Min-spp Kang

258.Sang-goo Lee

65.Yeong-chang Yu

259.Sung-won Lee

66.Sung.hyun Son

260.Mun-gye Min

67.Suk-dong Kim

261.Han-gyol Soun

68.Doc-ho Her

262.Jun Yu

69.Yang-hyun Ko

263.Kyeong-tae Kang

70.Jung-woo Hong

264.Han-gil Lee

71.Kyoung-soeb Lee

265.Kyoung-jun Lee

72.Min-kyu Lee

266.Heung-soo Reu

73.Jun-cheol Yoon

267.Gyo-sik Bae

74.Jong-min Jang

268.Seung-sik Bae

75.In-goon Kim

269.She-Young Kim

76.Myeong-seob Kim

270.Seung-gwan Back

77.Sung-ho Kim

271.Ki-hoon Choi

78.Yong Kim

272.Chang-hoon Jeon

79.Young-joon Kwon

273.Seung-hwan Kim

80.Hee-sung Lee

274.Dong-yoon Lee

81.Joo-min Park

275.Sung-min Park

82.Jung-joo Park

276.Jun-ho Son

83.Hyun-dong Yang

277.Seong-ki Jung

84.See-won Kim

278.Yong-hwa Kim

85.Oh-hyun Kwon

279.Gang-geon Lee

86.Jue-hune Park

280.Jung-geun Yoo

87.Deok-min Ahn

281.In-jae Han

88.Chung-jeol Lee

282.Ha-rim Min

89.Ho-young Lee

283.Chan-hyuk Joun

90.Jun-young Lee

284.Seok-min Lee

91.Chul-seung Yang

285.Joon-young Ahn

92.Jin-hwang Kim

286.Young-jae Kim

93.Hyun-woo Lee

287.Sun-Pil Hwang

94.Ki-taek Lee

288.Doo-sup Kim

95.Hak-in Oh

289.Hyun-sub Kim

96.Barl-keun Lee

290.Jae-jun Kim

97.Ju-hak Lee

291.Seung-hyun Jung

98.Song-taek Jeong

292.Chung-yeol Choi

99.Ji-won Park

293.Jae.hee Kim

100.Sung-hyun Choi

294.Dong-hwan Ko

101.Sa-em Park

295.David Shin

102.Jin-gon Kim

296.Sang-hyun You

103.Kwang-nam Kim

297.Dong-geun Kim

104.Tae-hoon Uhm

298.Cheon-ha-tongil Jeon

105.Young-hoon Jang

299.Seung-jin Jeon

106.Woo-jin Jung

300.Hyun-il Jin

107.Myung-jin Kim

301.Chong-jul Kim

108.Sung-gyu Kim

302.Myoung-chul Lee

109.Jun-hyung Cho

303.Yeng-gol Nam

110.Hyuung-duk Jeon

304.Hyung-min Sim

111.Jae-myeong Kim

305.Suk-hun Kang

112.Kyung-hoon Kim

306.Kang-surk Kim

113.Jin-ho Park

307.Jung-kyu Kim

114.Dae-an Kim

308.Kyung-yong Yoon

115.Jae-sung Kim

309.Tae-jae Kim

116.Jeong-hwan Lee

310.Dong-wook Kim

117.Jae-min Lee

311.Keun-hi Choi

118.Jun-yeol Song

312.Tae-jong Park

119.Sung-min Choi

313.Woan-suk Suh

120.Tae-jin Jeon

314.Ji-min Yu

121.Young-il Lim

315.Da-woon Kim

122.Jae-yoon Lee

316.Youl-eui Ko

123.Sang-yoon Lee

317.Byung-joon Lee

124.Jong-chan Shin

318.Byeong-woo Do

125.Jun-cheol Shin

319.Jeong-hun Kim

126.Ji-min Kim

320.Sung-chan Kim

127.Bok-jin Lee

321.Yul-song Lee

128.Sung-geun Lee

322.Ho-sung Son

129.Young-hak Lee

323.Jun-hyuk Kim

130.Jae-won Park

324.Jun-young Kim

131.Ji-ho Yoon

325.Woon-pyo Hong

132.Si-ik Ryu

326.Chul-min Kim

133.Kyeong-ho Lim

327.Dong-soo Park

134.Seung-min Roh

328.Dong-jin Kim

135.Young-il Cha

329.Sung-mo Kim

136.Young.gwang Son

330.Hyun-sang You

137.Dong-seok Yoon

331.Dong-jun Choi

138.Ji-sang Eun

332.Dong-seon Choi

139.Hang-kyoon Kim

333.Won Huh

140.Jeong-ro Kim

334.Ki-ryang Kim

141.Man-suk Kim

335.Jin-hyuk Lee

142.Jong-min Lee

336.Young-man Kim

143.Ki-bum Uhm

337.Su-won Lee

144.Young-su Kim

338.Su-je Park

145.Jae-hyuck Oh

339.In-chang Park

146.Ji-hoon Park

340.Seung-gyu Choi

147.Ji-chang Jeon

341.Dong-sub Kim

148.Dong-ho Kang

342.Sung-min Choi

149.Hyun-min Lee

343.Sung-woo Cho

150.Jae-hyuk Lee

344.Sung-yup Ha

151.Lee-seok Kang

345.In-kyu Choi

152.Jong-joon Lee

346.Jin-kyu Lee

153.Sung-jin Yoon

347.Kyung-soo Lee

154.Yong-min Jeong

348.Ju-ho Choi

155.Kwang-min Kim

349.Sung-min Joo

156.Geum-dong Lee

350.Yoon-sik Kang

157.Ji-hun Shin

351.Dae-sung Yoon

158.Jin-hak Song

352.Joon-hwee An

159.Sung-geon Ye

353.Seung-ha Bang

160.Kwang-hyun Ahn

354.Sung-jin Han

161.Jun-hyung An

355.Hae-won Lee

162.Bo-ram Han

356.Su-kwang Chae

163.Ho-jin Hwang

357.Hae-nam Jo

164.Jeong-keun Jang

358.Il-joong Lee

165.Nam-ho Kim

359.Jeong-pyo Lee

166.Byoung-oh Ko

360.Min-che Yoon

167.Jong-min Lee

361.In-chan Hwang

168.Kyung-hoon Na

362.Da-Hyung Kim

169.Jung-won Park

363.Sang-wook Yang

170.Chang-suk Kim

364.Kyung-ho Kim

171.Jin-hee Kim

365.Hyun-jin Lee

172.Hyun-seok Lee

366.Young-ho Son

173.Bok-young Roh

367.So-chul Yoo

174.Jin-myung Yang

368.Ji-hwan Yoon

175.Su-min Kim

369.Jin-sung Lee

176.Sung-sil Kim

370.Jun-ho Bae

177.Tae-hee Lee

371.Sang-il Jung

178.Hyung-min Lim

372.Dong-hyeon Kim

179.Sam Lim

373.Kwang-sung Lee

180.Jin-gi Park

374.Jong-in Lim

181.Jong-hwan Park

375.Ho-young Noh

182.Kyung-bin Park

376.Won-il Ji 12

183.Kook-chun Seol

377.Kwang-hyun Kim 12

184.Dong-deuk Sin

378.Seoung-ho Choi 12

185.Gil-ho Song

379.Hyoung-mo Jeong 12

186.Sung-pyo An

380.Ji-woong Kim 12

187.Jun-song Choi

381.Yong-hun Jeung 12

188.Won-suk Choi

382.Gang-hee Lee 12

189.Chong-ouk Kim

383.Jin-woo Lee 12

190.Dong-yun Kim

384.Byoung-kwan Park 12

191.Doo-il Kim

385.Se-ek You

192.Jae-min Park

386.Jun-sun Shim

193.Ji-hoon Park

387.Hyun-kyu Moon

194.Joon-kyu Park

388.Gook-il Jang

Appendice II

Opinion individuelle (concordante) de M. Michael O’Flaherty

J’approuve la majorité qui a conclu que les faits dont le Comité était saisi faisaient apparaître à l’égard de chacun des auteurs des violations par la République de Corée du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. Toutefois, comme je l’ai analysé dans mes opinions individuelles concernant les affaires Atasoy et Sarkut c. Turquie et Jeong et consorts c. République de Corée, la majorité a opté pour un raisonnement qui n’est pas convaincant. Je considère que le Comité devrait retenir l’approche suivie dans Jeong et consorts c. République de Corée et dans des affaires antérieures. J’ai déjà expliqué ma position, qui reste inchangée, dans mes opinions individuelles concernant Atasoy et Sarkutet Jeong et consorts, et ne la répéterai pas ici.

(Signé) Michael O’Flaherty

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice III

Opinion individuelle (concordante) de M. Walter Kälin

Je suis d’accord avec le Comité qui constate une violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 18 du Pacte. L’État partie n’a pas suffisamment montré en quoi punir les auteurs pour avoir refusé d’accomplir un service militaire en invoquant des raisons de conscience, sans leur donner la possibilité d’effectuer un service de remplacement, représente une restriction à leur droit de manifester leurs convictions, tel qu’il est consacré au paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, qui est justifiée et nécessaire à la protection de la sécurité, de l’ordre public et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et des droits fondamentaux d’autrui, comme le prévoit le paragraphe 3 de cet article. Par conséquent, l’affaire aurait dû être tranchée sur le même fondement que l’avaient été les communications nos 1321 et 1322/2004.

Je continue d’avoir les plus grandes réserves au sujet du raisonnement suivi par la majorité dans l’affaire Atasoy et Sarkut c. Turquie et repris dans la présente affaire. Au paragraphe 7.3, la majorité rappelle le paragraphe 11 de l’Observation générale no 22 (1993) du Comité en soulignant que le droit à l’objection de conscience est déduit de l’article 18, «dans la mesure où l’obligation d’employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience». La conclusion de la majorité est que le service militaire obligatoire sans possibilité de service civil de remplacement oblige un individu à déclarer ou non ses convictions, en violation de cette liberté.

Ce raisonnement pose problème à plusieurs égards. La citation de l’Observation générale no 22 est incomplète car dans ce paragraphe le Comité a accepté que «l’obligation d’employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion ou ses convictions» (non souligné dans le texte). Avec la fin de la phrase (supprimée par la majorité), le Comité indiquait que l’objection de conscience repose sur deux éléments: la conviction forte qu’accomplir le service militaire est incompatible avec les exigences de la conscience et la manifestation de cette conviction en refusant effectivement de rejoindre l’armée. S’il est vrai que la liberté de pensée, de conscience et de religion interdit de façon absolue de contraindre qui que ce soit à divulguer ses convictions intimes, le droit de manifester cette conviction par des mots ou par des actes peut être limité conformément au paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. En méconnaissant la distinction fondamentale entre ces deux droits établie par l’article 18, la majorité semble partir du principe que certaines décisions prises en conscience − notamment celle de ne pas accomplir le service militaire − sont privilégiées dans la mesure où leur manifestation mérite la protection absolue de la liberté de pensée, de conscience et de religion. Cela sous-entend que d’autres convictions peuvent ne pas mériter cette protection. La majorité assurerait-elle une protection absolue aux personnes qui refusent en toute conscience de payer des impôts ou de donner à leurs enfants quelque forme d’instruction que ce soit? Si la réponse est non, quels sont les critères qui permettent de distinguer entre les manifestations d’une conviction qui méritent la protection absolue et l’expression de convictions qui peut être limitée?

L’approche retenue par la majorité dilue et, à terme, risque de compromettre la signification du cœur même de la liberté de conscience, c’est-à-dire le for intérieur qui doit être protégé de façon absolue, même dans le cas de pensées, de convictions en toute conscience et de croyances considérées comme insultantes ou illégitimes par les autorités ou l’opinion publique. La liberté à son niveau le plus essentiel serait compromise si nous laissons les États apprécier ce que les individus pensent, ressentent et croient, même s’ils ne manifestent pas leurs convictions profondes.

Enfin, il est difficile de comprendre comment la majorité peut partir du principe que la possibilité d’un service civil de remplacement n’obligerait pas quelqu’un à déclarer les convictions qu’il a en toute conscience. En fait, tant qu’un tel service ne sera ouvert qu’aux seuls objecteurs de conscience, ceux-ci devront expliquer pourquoi ils ne sont pas en mesure d’accomplir le service militaire. Le droit absolu de ne pas être obligé de révéler ses pensées ou ses convictions, c’est le droit de garder le silence et non pas le droit de solliciter quelque chose à l’État (ici, demander à être exempté du service militaire) sans donner de raisons.

(Signé) Walter Kälin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice IV

Opinion individuelle (concordante) de M. Gerald L. Neuman et M. Yuji Iwasawa

Nous approuvons la conclusion du Comité qui a constaté une violation par l’État partie des droits que tiennent les auteurs de l’article 18 du Pacte, mais pour des raisons différentes que celles que la majorité a données. Aux paragraphes 7.3 et 7.4 des constatations, la majorité poursuit la tendance récente de sa jurisprudence qui consiste à considérer que le droit à l’objection de conscience au service militaire est un élément du droit, qui bénéficie d’une protection absolue, d’avoir une conviction et non pas un élément du droit de manifester une conviction dans la pratique, lequel peut être soumis aux restrictions prévues au paragraphe 3 de l’article 18. Pour les raisons expliquées dans une opinion individuelle concernant l’affaire Atasoy et Sarkut c. Turquie, nous continuons à adhérer à l’ancienne approche du Comité, qui traitait l’objection de conscience comme un exemple de manifestation concrète d’une conviction. Nous concluons également que la République de Corée n’a pas apporté de justification suffisante pour refuser de reconnaître le droit à l’objection de conscience, comme le Comité l’avait constaté dans des affaires précédentes dans lesquelles il appliquait son ancienne approche à la situation dans cet État partie.

Nous écrivons une opinion individuelle au sujet de la présente communication afin d’ajouter quelques observations supplémentaires.

Premièrement, si nous apprécions les efforts du Comité et de membres pour développer les raisons du changement d’approche, nous ne trouvons pas ces raisons convaincantes. Nous ne voyons pas comment on pourrait réussir à faire la distinction entre une activité que le Comité considère comme bénéficiant d’une «protection absolue» et d’autres activités pacifiques que le Comité considérerait comme des manifestations de conviction dans la pratique, susceptibles donc d’être l’objet de restrictions raisonnables en vertu du paragraphe 3 de l’article 18, ou d’autres activités religieuses que le Comité pourrait considérer comme exprimant des valeurs partagées par le Pacte. Ces autres pratiques religieuses ont également droit au respect et pourtant elles peuvent toujours être restreintes quand les circonstances l’exigent.

Deuxièmement, au paragraphe 7.3 des constatations l’accent est mis sur le fait que des individus peuvent être contraints de déclarer leurs convictions afin d’éviter quelque chose qui porterait atteinte à leur conscience. Nous ne voyons pas en quoi ce point est compatible avec l’approche générale du Comité à l’égard des exemptions religieuses à des règles apparemment neutres, qui exigent d’ordinaire aux demandeurs d’affirmer leurs scrupules religieux de façon à obtenir une exemption.

L’analyse de la majorité dans la présente affaire n’est pas dictée par une caractéristique particulière de la loi relative au service militaire de l’État partie, autre que l’absence de dispositions prévoyant l’objection de conscience. On ne peut pas faire valoir ici que la loi établit une discrimination à l’égard des pratiques religieuses, comme c’était le cas dans l’affaire Singh c. France, dans laquelle le fait de viser expressément une pièce d’habillement portée pour des raisons religieuses et de soumettre l’intéressé à un traitement défavorable a représenté un élément important de l’analyse du Comité. Et même dans cette situation, le Comité a fait jouer le paragraphe 3 de l’article 18 et a donné à l’État partie la possibilité d’expliquer comment cette restriction ciblée imposée dans le cas d’une pratique religieuse particulière pouvait être portionnée aux buts légitimes qu’elle était censée servir. Nous examinerions de la même manière les arguments de l’État partie dans la présente communication mais nous conclurions qu’il n’a pas justifié suffisamment son refus de reconnaître l’objection de conscience.

(Signé) Gerald L. Neuman

(Signé) Yuji Iwasawa

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice V

Opinion individuelle (concordante) de M. Fabián Salvioli

1.J’approuve la décision du Comité des droits de l’homme en ce qui concerne la communication no 1786/2008 (Jong- nam Kim et consorts c. République de Corée) ainsi que tous les arguments exposés dans les constatations, argumentation qui a permis de consolider la jurisprudence particulièrement importante établie au sujet de l’objection de conscience au service militaire obligatoire, constante depuis la décision rendue à la date historique du 24 mars 2011 en ce qui concerne les communications nos 1642 à 1741/2007 (Jeong et consorts c. République de Corée), et qui a été réaffirmée dans les constatations concernant les communications nos 1853/2008 et 1854/2008 (Atasoy et Sarkut c. Turquie), adoptées le 29 mars 2012.

2.Le débat qui a eu lieu au sein du Comité préalablement à l’adoption de la décision dans l’affaire à l’examen, Jong- nam Kim et consorts c. République de Corée, m’a conduit à consigner quelques réflexions sur la question.

3.Comme je l’avais signalé dans mon opinion individuelle concernant l’affaire Atasoy et Sarkut c. Turquie, jusqu’ici les décisions étaient limitées à l’objection de conscience au service militaire dont le caractère obligatoire a été jugé attentatoire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les constatations adoptées par le Comité depuis l’affaire Jeong et consorts c. République de Corée, invoquant directement le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte (et s’écartant de la jurisprudence précédente du Comité qui examinait la législation nationale au regard du paragraphe 3 de l’article 18 pour conclure à une violation éventuelle), reflètent l’évolution du droit à la liberté de conscience dans le droit international contemporain.

4.Depuis les affaires Jeong et consorts c. République de Corée et Atasoy et Sarkut c. Turquie − et comme il est réaffirmé dans l’affaire Jong- nam Kim et consorts c. République de Corée, le Comité a établi une jurisprudence qui marque l’évolution considérable à ce jour du droit à l’objection de conscience au service militaire obligatoire au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité des droits de l’homme considère que la liberté de conscience et la liberté de religion (art. 18 du Pacte) comprennent le droit à l’objection de conscience au service militaire obligatoire.

5.L’objection de conscience au service militaire obligatoire est inhérente au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; c’est la raison pour laquelle l’obligation d’accomplir un service militaire ne porte pas seulement atteinte au droit de manifester ses convictions ou sa religion, il viole également le droit d’avoir une conviction ou une religion.

6.Par conséquent, selon l’interprétation actuelle du Pacte, il ne peut plus y avoir de limite ni de justification possible permettant à un État d’obliger qui que ce soit à accomplir le service militaire. Le Comité a expliqué amplement sa nouvelle approche, qui est juridiquement solide, et reflète l’évolution du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

7.À l’inverse, la minorité au sein du Comité ne peut pas expliquer comment sa position garantit mieux les droits fondamentaux et répond mieux au but et à l’objet du Pacte. Si l’on devait continuer d’appliquer l’ancienne interprétation − soutenue par la minorité − un État pourrait trouver des raisons pour obliger quelqu’un à utiliser une arme, à participer à un conflit armé, à courir le risque d’être tué et − pire encore − de tuer, sans qu’il y ait violation du Pacte.

8.Des deux modes d’approche, quel est celui qui permet de mieux répondre au but et à l’objet du Pacte? Quelle est l’interprétation qui contribue le plus à l’effet utile du Pacte? Quelle est celle qui garantit le mieux les droits des individus? La réponse est évidente et le Comité doit se poser ces questions chaque fois qu’il est appelé à se prononcer dans une affaire.

9.Le Comité ne doit pas revenir à sa jurisprudence précédente; cela représenterait une régression grave, inacceptable pour ce qui est de la protection internationale maximale des droits de l’homme.

10.Le Comité s’est prononcé sur la teneur de l’article 18 du Pacte: les États doivent en prendre dûment note et honorer les engagements qu’ils ont pris en ratifiant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

11.Les États parties doivent adopter des textes visant à modifier leur législation de manière que le service militaire obligatoire soit définitivement une pratique du passé, exemple d’une forme d’oppression qui n’aurait jamais dû exister. Tant que cela ne sera pas fait, quand il examinera les rapports des États parties et les communications émanant des particuliers, le Comité devra maintenir son mode d’approche avancé en ce qui concerne l’objection de conscience au service militaire obligatoire.

(Signé) Fabián Omar Salvioli

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]