Nations Unies

CCPR/C/102/D/1546/2007

Pacte international relatifaux droits civils et politiques

Distr. générale*

23 août 2011

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

102esession

11-29 juillet 2011

Décision

Communication no 1546/2007

Présentée par:

V. H. (représenté par Gebhard Klötzl)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

11 novembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 2 mars 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

19 juillet 2011

Objet:

Discrimination fondée sur la nationalité, l’opinion politique et l’origine sociale en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure:

ratione temporis

Questions de fond:

Égalité devant la loi; égale protection de la loi

Article du Pacte:

26

Articles du Protocole facultatif:

1, 5 (par. 2 b)) et 3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

**

Présentée par:

V. H. (représenté par Gebhard Klötzl)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

11 novembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 juillet 2011,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 11 novembre 2006, est V. H., de nationalité autrichienne (il avait auparavant la nationalité tchèque), né en 1927 en Tchécoslovaquie. Il se déclare victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par M. Gebhard Klötzl.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1La famille de l’auteur était opposée au régime communiste. Sa mère possédait, entre autres choses, un bien immobilier à Ceske Velenice, consistant en un immeuble de plusieurs appartements, une petite boutique et un jardin. Du point de vue juridique, le bien était composé de deux lots enregistrés au cadastre sous le numéro 1088/11 pour l’immeuble, et le numéro 1088/14 pour le jardin.

2.2En 1959, la municipalité de Ceske Velenice a donné d’office la jouissance de la boutique, située dans l’immeuble, à une coopérative de Bohème du sud. La coopérative a entrepris des travaux dans l’immeuble et a refusé de payer tout loyer pendant dix-sept mois, affirmant qu’elle avait le droit de déduire cet investissement du loyer. La mère de l’auteur restait tenue d’assumer les frais d’entretien de l’immeuble et d’autres charges, dont le montant était supérieur au revenu locatif.

2.3Dans ces conditions, la mère de l’auteur a donné l’immeuble à l’État en 1960. Un contrat de donation a été conclu entre la mère de l’auteur et l’État. Selon l’auteur, la donation a été réalisée sous l’effet de pressions politiques et matérielles, et elle est qualifiée de «donation forcée» par les lois tchèques de 1991 et 1994 relatives à la restitution des biens. L’immeuble exproprié appartient actuellement à la municipalité de Ceske Velenice.

2.4En 1966, au moment du Printemps de Prague, l’auteur a eu la possibilité de partir étudier à l’étranger, ce qu’il a fait. En août 1970, il n’a pas répondu à un ordre des autorités tchécoslovaques de l’intérieur lui enjoignant de rentrer immédiatement dans son pays. Il s’est au contraire établi en Autriche. Le 5 octobre 1971, il a obtenu la nationalité autrichienne. Le 21 janvier 1972, le tribunal de district de Plzen l’a reconnu coupable par contumace d’avoir fui la Tchécoslovaquie. Il a été condamné à trois ans de prison ferme. Il a été réhabilité par une décision du tribunal de district de la ville de Plzen en date du 23 octobre 1990. La mère de l’auteur a été autorisée à quitter le pays et s’est aussi installée en Autriche. Elle est décédée à Vienne le 7 septembre 1986. L’auteur a été déclaré seul héritier des biens par une décision du tribunal de district de Jindrichuv Hradec en date du 19 octobre 1998. Depuis, il est l’unique ayant droit de sa mère et a donc hérité aussi de la demande de restitution des biens de Ceske Velenice dont il est question.

2.5L’auteur a entrepris les démarches en vue de la restitution des biens en 1991. Il affirme ne pas avoir pu invoquer la loi spéciale no 87/1991 sur la restitution de biens (devenue la loi no 116/1994 après que la République tchèque et la République slovaque furent devenues deux États indépendants, le 1er janvier 1993) parce qu’il n’avait pas la nationalité tchèque. En conséquence, l’auteur a contesté la validité du «contrat de donation» devant les tribunaux civils en vertu des principes généraux du droit civil.

2.6L’affaire de l’auteur a été examinée par le tribunal de district de Jindrichuv Hradec (jugement du 30 avril 1993), par le tribunal régional de Ceske Budejovice (jugement du 14 juillet 1993) et par la Cour suprême, à Brno (jugement du 27 juin 1996). À chaque fois, les juges ont reconnu le caractère coercitif de la donation, mais ont rejeté la demande au motif que, en vertu du Code civil de 1951, la validité de la donation devait être contestée dans un délai de trois ans et que l’auteur n’avait pas respecté ce délai.

2.7La Cour suprême a toutefois considéré, en analysant le contrat de 1960, que la mère de l’auteur avait signé une donation pour l’immeuble et non pas pour le jardin. La Cour a donc déclaré que le jardin demeurait la propriété de l’auteur. L’immeuble a finalement été adjugé à la municipalité de Ceske Velenice. Depuis l’arrêt rendu en 1996 par la Cour suprême, la municipalité de Ceske Velenice payait à l’auteur un loyer minime pour la location de la parcelle hors bâtiment.

2.8L’auteur a présenté une requête à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. La Cour l’a déclarée irrecevable le 15 mars 2002, en raison du non-respect du délai de six mois après l’épuisement des recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que, bien que le Gouvernement tchèque reconnaisse aujourd’hui que l’expropriation des biens de sa famille était discriminatoire car elle était fondée sur l’opinion politique et l’origine sociale, il a empêché l’auteur d’obtenir la restitution des biens en appliquant des conditions de forme strictes. Selon l’auteur, cela constitue une discrimination par rapport aux milliers d’autres personnes auxquelles le Gouvernement tchèque a déjà accordé la restitution de leurs biens dans des affaires similaires et, par conséquent, une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.2L’auteur déclare que, comme il n’était pas en mesure de déposer une demande en restitution en vertu des lois spéciales no 87/1991 et no 116/1994 relatives à la restitution de biens parce qu’il n’avait pas la nationalité tchèque, il a été contraint de faire valoir ses prétentions en invoquant le droit civil devant les tribunaux ordinaires. Il note que si la décision relative à la donation forcée faite en 1960 devait être contestée dans un délai de trois ans par sa mère, le délai aurait expiré en 1963. Il affirme que, même à supposer qu’une nouvelle période de trois ans eût commencé à courir pour lui, en sa qualité d’héritier, après le décès de sa mère le 7 septembre 1986, le délai aurait expiré le 6 septembre 1989. L’auteur fait valoir qu’il était inconcevable, dans la situation politique de l’époque, de former une plainte contre le Gouvernement tchèque. D’après lui, dans des affaires de ce type, l’intéressé doit bénéficier d’une suspension du délai de prescription concernant ses prétentions, jusqu’à ce que les pressions politiques cessent et que la situation lui permette de présenter sa demande.

3.3L’auteur se réfère aux constatations du Comité concernant la communication no 765/1997, dans laquelle le Gouvernement a fait valoir un délai de prescription fixé pendant la période communiste pour les injustices commises par les nazis, que le Comité a considéré être en violation de l’article 26 du Pacte. L’auteur se réfère aussi aux constatations du Comité concernant la communication no747/1997 (Des Fours Walderode), adoptées le 30 octobre 2001, la communication no 757/1997 (Pezoldova), adoptées le 25 octobre 2002, la communication no 945/2000 (Marik), adoptées le 26 juillet 2005, et la communication no 1054/2002 (Kříž), adoptées le 1er novembre 2005.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 5 septembre 2007, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il relève que l’auteur a la nationalité autrichienne depuis 1971 mais note que, contrairement à ce qu’il affirme, l’auteur a également la nationalité tchèque, qu’il n’a jamais perdue, pas plus qu’il n’avait perdu auparavant la nationalité tchécoslovaque.

4.2L’État partie fait valoir que même si l’auteur a été condamné par le tribunal de district de Plzen en 1972 pour avoir émigré illégalement de la République de Tchécoslovaquie (il a été réhabilité en vertu d’une loi adoptée en 1990), il n’a jamais été déchu de sa nationalité. Conformément à la législation en vigueur à l’époque, le fait qu’il ait acquis la nationalité autrichienne en 1971 n’a pas entraîné la perte simultanée de sa nationalité tchèque. L’auteur n’a jamais déposé non plus de demande de renonciation à sa nationalité. L’État partie note en outre que, le 1er février 2007, l’auteur a déposé, par l’intermédiaire de l’ambassade de la République tchèque à Vienne, une demande de certificat de nationalité tchèque. Comme il n’avait jamais perdu sa nationalité, les autorités municipales du district de Plzen 3, qui avaient compétence en l’espèce, lui ont délivré le certificat demandé, le 9 février 2007.

4.3Pour ce qui est de la procédure judiciaire, l’État partie note que, le 29 mars 1991, l’auteur a engagé une procédure devant le tribunal de district de Jindrichuv Hradec contre l’entreprise publique Okresni Bytovy Podinik (Société de logement du district), aux fins d’obtenir la libération et la restitution de ses biens. L’auteur a affirmé que le contrat de donation entre sa mère et l’État avait été conclu sous la contrainte et à des conditions manifestement désavantageuses le 7 novembre 1960. Le 25 février 1992, l’auteur a fait parvenir une demande additionnelle au tribunal de district. Plutôt que de demander la libération et la restitution de ses biens, l’auteur a réclamé au tribunal une déclaration reconnaissant à sa mère la qualité d’unique propriétaire des biens jusqu’à son décès. Dans son jugement du 30 avril 1993, le tribunal de district a considéré que jusqu’à la date de son décès la mère de l’auteur était la propriétaire des deux parcelles constituant le bien, puisque ces parcelles n’étaient pas devenues la propriété de l’État. Toutefois, l’immeuble proprement dit était propriété de l’État car il avait fait l’objet d’une donation de la part de la mère de l’auteur le 7 novembre 1960. Le tribunal de district a rejeté l’action en annulation du contrat de donation fondée sur le fait que le Code civil en vigueur au moment de la signature de ce dernier prévoyait la nullité relative des contrats conclus sous la contrainte. La nullité relative peut être invoquée dans un délai de trois ans. Ce délai ayant expiré, le tribunal de district a débouté l’auteur.

4.4L’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district devant le tribunal régional de Ceske Budejovice, qui a confirmé cette décision le 14 juillet 1993 et conclu de la même façon que le tribunal de district en ce qui concernait la nullité relative des actes conclus sous la contrainte. L’auteur a contesté la décision du tribunal régional sur un point de droit devant la Cour suprême, qui l’a débouté le 27 juin 1996. En complément des arguments présentés par les juridictions inférieures, la Cour suprême a fait valoir qu’un héritier pouvait invoquer la nullité d’un acte, mais seulement dans le délai dans lequel il est subrogé en tant que successeur du défunt et pour autant que ce délai n’ait pas encore expiré. L’État partie en déduit que lorsque la nullité d’un acte juridique est invoquée après l’expiration du délai, cet acte, même entaché d’un vice, est considéré comme valide.

4.5En ce qui concerne le grief tiré de l’article 26, l’État partie l’interprète comme étant fondé sur l’hypothèse que «l’expropriation» subie par la famille de l’auteur constituait une discrimination au motif de l’opinion politique et de l’origine sociale. L’État partie note en outre que l’auteur dénonce aussi une violation de l’article 26 du fait qu’il n’aurait pas été en mesure d’agir en vertu de la législation en vigueur concernant la restitution de biens, à savoir la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire, parce qu’il n’aurait pas rempli les conditions de nationalité et de résidence permanente prévues par la loi. L’auteur considère apparemment comme tout aussi discriminatoire le fait que les tribunaux nationaux du premier et du deuxième degré ont conclu que le délai de prescription avait commencé à courir le jour de l’acceptation de l’acte de donation par l’État et avoir pris fin à l’expiration du délai général de trois ans. L’auteur a invoqué l’impossibilité pour sa mère d’agir pendant cette période de trois ans et en outre il estimait que, même si la période de trois ans avait débuté après le décès de sa mère en 1986, il n’aurait pas pu agir dans les délais en raison du risque qu’il courait, s’il revenait en Tchécoslovaquie, d’être placé en détention pour émigration illégale. L’auteur fait valoir par conséquent que, pour rétablir la justice, le délai de prescription devrait être suspendu jusqu’à la survenue des changements politiques, ce qui lui permettrait de faire reconnaître la nullité de l’acte juridique.

4.6L’État partie rejette le grief de l’auteur, qu’il considère comme irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes et ratione temporis, et parce qu’il constitue un abus du droit de plainte. Dans le cas où le Comité considérerait que la communication est recevable, l’État partie fait valoir l’absence de violation de l’article 26 du Pacte.

4.7L’État partie considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes car il ne s’est pas pourvu devant la Cour constitutionnelle pour contester les décisions des tribunaux ordinaires en fondant son argumentation sur les points concernant lesquels, dans les différentes procédures judiciaires, il estimait qu’il y avait eu violation des lois constitutionnelles et des instruments internationaux, notamment de l’article 26 du Pacte. De plus, puisque l’auteur n’a jamais perdu sa nationalité tchèque il aurait pu chercher à obtenir la restitution de ses biens au titre des dispositions de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire, une fois la condition de résidence permanente supprimée (après la publication au Journal officiel de l’arrêt no 164/1991 de la Cour constitutionnelle). L’État partie note que l’auteur n’a pas utilisé cette voie de recours. Il note que l’auteur affirme que les tribunaux ordinaires n’ont pas interprété la règle de la prescription à la lumière des circonstances externes telles que la situation politique qui ne permettait pas à l’auteur de revenir en Tchécoslovaquie pour invoquer la nullité du contrat de donation. Il fait observer d’ailleurs que l’auteur n’a jamais soulevé ce point devant les tribunaux ordinaires. L’État partie considère par conséquent que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes.

4.8L’État partie note en outre que l’acte de donation a été exécuté en 1961, à une époque où le Pacte n’existait pas encore et où la Tchécoslovaquie ne pouvait pas y être partie. La communication devrait par conséquent être déclarée irrecevable ratione temporis.

4.9L’État partie affirme également que la communication devrait être déclarée irrecevable pour abus du droit de présenter une communication, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif. Il rappelle la jurisprudence du Comité, qui a toujours affirmé que le Protocole facultatif ne fixait pas de délai précis et qu’un simple retard dans la présentation d’une communication ne constituait pas en soi un abus du droit de plainte. Cela étant, il rappelle que, conformément à sa jurisprudence, le Comité, lorsqu’il s’est écoulé un temps aussi long, attend une explication raisonnable et objectivement compréhensible. L’État partie rappelle que l’auteur a présenté sa communication le 11 novembre 2006, plus de dix ans après la dernière décision rendue par une juridiction nationale (27 juin 1996) et plus de quatre ans après l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (15 mars 2002). L’État partie fait valoir que l’auteur n’a apporté aucune explication valable pour ce retard et que la communication devrait donc être déclarée irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.10Sur le fond, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité concernant l’article 26, selon laquelle une différence de traitement fondée sur des critères raisonnables et objectifs n’équivaut pas à une discrimination interdite au sens de l’article 26 du Pacte. L’État partie considère que l’article 26 n’implique aucune obligation pour l’État partie de réparer les injustices commises sous le régime précédent, qui plus est à une époque où le Pacte n’existait pas, en suspendant les délais de prescription pour permettre l’exercice du droit d’invoquer la nullité d’actes de droit civil conclus sous la contrainte en raison des circonstances politiques, ou par d’autres moyens. L’État partie estime qu’il n’y a pas eu au détriment de l’auteur de traitement discriminatoire au sens de cette disposition. Il affirme que le choix du dispositif permettant la réparation des injustices commises par le régime précédent relevait de l’appréciation souveraine du législateur, et qu’il n’est jamais possible de réparer toutes les injustices.

4.11L’État partie affirme qu’il n’a connaissance d’aucun cas où un requérant aurait bénéficié d’une suspension du délai de prescription au motif d’un changement de régime. En droit civil, une disposition juridique qui serait fondée sur la suspension du délai de prescription pour permettre d’invoquer la nullité d’actes de droit civil conclus sous la contrainte en raison des circonstances politiques ébranlerait fortement et durablement la sécurité et la stabilité juridiques de rapports relevant du droit civil établis depuis parfois des décennies. C’est également à la lumière de ces considérations que le législateur avait adopté une solution particulière sous la forme d’une législation relative à la restitution de biens. Cette législation prévoyait une procédure précise assortie de délais stricts pour recouvrer des biens qui avaient été transférés à l’État dans des circonstances spécifiées dans la loi.

4.12L’État partie note qu’à la suite de l’arrêt no 164/1994 de la Cour constitutionnelle (qui a pris effet le 1er novembre 1994), l’auteur remplissait les conditions requises pour être un ayant droit au titre de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. L’auteur n’a pas cherché à obtenir la restitution des biens de sa mère dans le nouveau délai de six mois qui avait commencé à courir le 1er novembre 1994. L’État partie ajoute que, l’auteur ayant la nationalité tchèque, la jurisprudence du Comité qui estime que la condition de nationalité aux fins de la restitution de biens est discriminatoire au sens de l’article 26 n’est pas pertinente en l’espèce.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 12 janvier 2008, l’auteur a indiqué que pendant plusieurs décennies il ne savait pas que, bien qu’il ait été condamné par le tribunal de district de Plzen pour avoir fui le pays et bien qu’il ait acquis la nationalité autrichienne, il n’avait pas été déchu de la nationalité tchécoslovaque (puis tchèque).

5.2L’auteur fondait l’idée qu’il avait perdu sa nationalité tchécoslovaque sur sa connaissance du droit international lequel prévoit, selon lui, que chaque individu ne peut avoir qu’une seule nationalité. Comme il avait déjà acquis la nationalité autrichienne à cette époque, il avait des raisons de croire qu’il avait perdu sa nationalité d’origine. Jusqu’en 1989, il lui était impossible de prendre contact au sujet de sa nationalité avec les autorités de ce qui était alors la République socialiste tchécoslovaque, car il craignait d’être arrêté et incarcéré. L’auteur continuait à penser qu’il avait perdu sa nationalité au moment où il a adressé la lettre initiale au Comité. À peu près au même moment, il a décidé de se renseigner sur ce point auprès de la section consulaire de l’ambassade de la République tchèque à Vienne. Là, on lui a conseillé d’engager une procédure de détermination de la nationalité auprès des autorités municipales de Plzen 3 (son dernier lieu de résidence). L’auteur a engagé cette procédure et obtenu un certificat de nationalité, daté du 9 février 2007, indiquant qu’il avait conservé sa nationalité sans interruption. L’auteur fait valoir qu’il a lui-même communiqué cette information au Comité le 17 juillet 2007 en joignant les documents officiels. Il rejette par conséquent l’hypothèse de l’État partie selon laquelle il aurait omis de mentionner ce fait dans sa communication. L’auteur considère qu’il n’est pas responsable du fait qu’il ne s’est pas renseigné plus tôt sur son statut, compte tenu de la situation des années précédentes.

5.3L’auteur estime qu’il a été victime d’une discrimination fondée sur sa situation sociale et ses opinions politiques. Il considère qu’il fait l’objet d’une discrimination uniquement parce qu’il a vécu en exil et qu’il n’a pas eu, sur place, les possibilités nécessaires pour obtenir un conseil juridique adéquat sur les options possibles. L’État partie n’a jamais informé les émigrants tchèques en exil, par l’intermédiaire de ses missions diplomatiques, qu’il leur était possible de recouvrer leurs biens. L’auteur ajoute qu’il a toujours été traité comme s’il était un étranger et n’avait pas la nationalité tchèque, parce que les autorités et les tribunaux tchèques ne savaient pas qu’il avait conservé sa nationalité. L’auteur estime par conséquent que l’objection de l’État partie qui affirme qu’il aurait pu se prévaloir de la nouvelle loi de 1994 sur la restitution de biens n’est pas fondée.

5.4L’auteur affirme en outre que l’application de la loi no 87/1991 relative à la restitution de biens demeure partiale sur le plan politique et social, puisque des restitutions ont été étaient accordées de manière disproportionnée à des personnes issues de milieux sociaux privilégiés, ce qui contrevenait à l’article 26 du Pacte. L’auteur mentionne aussi deux résolutions du Congrès des États-Unis, dans lesquelles il est notamment demandé à la République tchèque de lever les restrictions au motif de la nationalité applicables à la restitution de biens expropriés par les régimes communiste et nazi.

5.5En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie relative à l’épuisement des recours internes, l’auteur répond qu’il a consulté sur ce point un juriste, qui a été d’avis qu’un pourvoi devant la Cour constitutionnelle serait vain.

5.6Pour ce qui est de l’argument de l’État partie concernant l’impossibilité de suspendre le délai de prescription jusqu’à la survenue de changements politiques dans un pays, l’auteur renvoie aux arguments qu’il a présentés dans la lettre initiale du 11 novembre 1996 et souligne l’importance qui s’attache au rétablissement de la justice dans ce domaine.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1En date du 13 octobre 2008, l’État partie a répondu aux nouvelles allégations présentées par l’auteur dans ses commentaires. À propos de la supposition de l’auteur qui pensait avoir perdu la nationalité tchécoslovaque, et tout en admettant que l’auteur pouvait raisonnablement craindre d’être arrêté sur le territoire tchécoslovaque avant 1989, l’État partie fait observer que l’auteur aurait pu faire des démarches pour se renseigner sur sa nationalité sans prendre aucun risque. En effet, conformément à la loi no 39/1969 du Conseil national tchèque, un citoyen tchécoslovaque qui avait acquis une nationalité étrangère à sa propre demande n’était pas automatiquement déchu de sa nationalité d’origine. Étant donné que l’auteur n’avait pas déposé de demande de renonciation à sa nationalité et que la décision prise par le Ministère de l’intérieur à la suite de sa défection ne l’avait pas privé de sa nationalité tchèque, il n’y avait pas de raison de supposer qu’il avait perdu la nationalité tchécoslovaque. La seule chose que l’auteur devait faire était de s’informer sur la réglementation susmentionnée. Même si l’on pouvait admettre que certains obstacles avaient empêché l’auteur de rechercher ces informations avant 1989, ces obstacles n’existaient plus après le changement de régime politique intervenu cette même année. L’État partie considère donc qu’on ne peut pas lui reprocher des conséquences de ce que l’auteur n’a pas pris les mesures nécessaires en temps voulu.

6.2L’État partie rejette l’argument de l’auteur qui affirme que la détermination de sa nationalité était complexe. En effet, les autorités municipales de Plzen 3 étaient en mesure d’établir que l’auteur était effectivement Tchèque uniquement en vérifiant qu’il avait acquis sa nationalité à sa naissance et qu’il ne l’avait pas perdue en application de la loi no 39/1969 du Conseil national tchèque. Lorsqu’il a rédigé ses premières observations pour le Comité, l’État partie a aussi procédé à une vérification de routine pour déterminer si l’auteur était bien Tchèque, étant donné en particulier que cela n’était pas indiqué dans sa communication. Alors qu’il sollicitait cette information du Ministère de l’intérieur, l’État partie a été informé de la demande d’informations présentée par l’auteur lui-même en février 2007, par l’intermédiaire de l’ambassade de la République tchèque à Vienne, concernant sa situation au regard de la nationalité, et de la délivrance d’un certificat de nationalité à l’auteur le même mois. L’État partie fait observer que la lettre en date du 16 juillet 2007 par laquelle l’auteur informait le Comité de l’issue de sa demande de détermination de la nationalité n’est jamais parvenue à l’État partie. En ce qui concerne la mention faite par l’auteur d’une préférence générale donnée, en droit international, à l’existence d’une nationalité unique, l’État partie rappelle que les questions relatives à l’acquisition et à la perte de la nationalité relèvent au premier chef des systèmes juridiques nationaux, qui autorisent très souvent la double nationalité ou les nationalités multiples.

6.3L’État partie rejette en outre le grief de l’auteur qui affirme qu’il fait l’objet d’une discrimination pour avoir vécu à l’étranger, où il n’a pas eu suffisamment de possibilités de connaître les voies de droit qui lui étaient ouvertes concernant la restitution de biens. L’État partie affirme qu’aucune disposition de droit international ne l’oblige à informer les éventuels bénéficiaires de restitutions. En tout état de cause, l’adoption de lois relatives à la restitution de biens a fait l’objet d’un vaste débat politique, dont les médias ont amplement rendu compte. L’auteur pouvait aussi en tout temps consulter l’ambassade de la République tchèque à Vienne sur l’évolution possible de la situation. L’État partie fait observer que l’auteur connaissait depuis 1991 l’existence de la loi relative à la réparation par voie non judiciaire, comme il l’a lui-même indiqué dans sa lettre initiale (voir plus haut, par. 2.5). À partir de 1994, tous les citoyens tchèques, qu’ils vivent en République tchèque ou à l’étranger, pouvaient faire valoir leurs droits au titre de la loi relative à la réparation par voie non judiciaire. Si une personne n’était pas certaine d’avoir la nationalité tchèque elle pouvait s’adresser aux autorités compétentes du pays pour clarifier ce point.

6.4Pour ce qui est du grief de l’auteur qui dit avoir été considéré comme un étranger par les autorités judiciaires, l’État partie objecte que l’auteur s’est lui-même présenté comme un étranger et qu’aucune autorité n’était tenue de mettre cela en question puisque la nationalité tchèque n’est pas une condition pour demander justice devant les tribunaux nationaux. L’État partie souligne que la question de la nationalité était particulièrement dénuée de pertinence dans l’affaire que l’auteur a portée devant les juridictions nationales. Il rejette aussi le grief de l’auteur concernant la différence de traitement entre les plaignants issus de l’aristocratie et les autres. L’État partie note que l’auteur n’a fourni aucun exemple ni aucun autre élément à l’appui de ce grief. L’État partie rejette aussi la référence faite par l’auteur à des résolutions du Congrès des États-Unis, ces documents ne faisant pas partie du droit international et constituant plutôt des déclarations politiques. L’État partie conclut que le grief de l’auteur qui affirme être victime d’une discrimination n’a pas été étayé.

6.5Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes et de l’argument de l’auteur qui estime qu’un pourvoi devant la Cour constitutionnelle aurait été vain, l’État partie indique que ses commentaires concernant le non-épuisement des recours internes par l’auteur étaient fondés sur trois arguments, le fait que l’auteur ne se soit pas pourvu devant la Cour constitutionnelle n’étant que l’un d’eux. L’État partie fait observer que la compétence de la Cour constitutionnelle n’est pas limitée aux nationaux tchèques. Rien ne s’opposait par conséquent à ce que l’auteur saisisse la Cour constitutionnelle pour dénoncer une violation de l’article 26 du Pacte, même s’il pensait ne plus avoir la nationalité tchèque. L’État partie souligne enfin le fait que l’auteur n’a soulevé les griefs tirés de l’article 26 du Pacte devant aucun des tribunaux nationaux. La plainte de l’auteur devrait par conséquent être considérée comme irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif − puisqu’il n’a jamais soulevé la question de la discrimination fondée sur l’opinion politique et l’origine sociale ou toute autre considération, visée à l’article 26, devant les autorités nationales − et qu’il n’a pas non plus demandé la restitution de ses biens au titre de la loi no 87/1991 après l’entrée en vigueur de l’arrêt no 164/1994 de la Cour constitutionnelle.

7.4Le Comité relève que l’auteur n’a présenté des commentaires que sur l’observation de l’État partie concernant le fait qu’il ne s’était pas pourvu devant la Cour constitutionnelle pour contester les décisions des tribunaux ordinaires, en indiquant qu’il jugeait cette démarche vaine. Le Comité note que l’auteur n’a pas commenté les autres éléments avancés par l’État partie au regard de l’épuisement des recours internes.

7.5Le Comité fait observer que l’auteur n’a jamais soulevé, devant aucun tribunal national, la question de la discrimination dont il aurait fait l’objet en ce qui concerne la restitution des biens de sa mère. Il conclut par conséquent que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes.

7.6Compte tenu de cette conclusion, le Comité n’estime pas nécessaire de reprendre les arguments de l’État partie relatifs à l’abus du droit de soumettre des communications de la part de l’auteur et à l’irrecevabilité de la communication ratione temporis.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]