Nations Unies

CCPR/C/102/D/1611/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

24 août 2011

Français

Original: espagnol

C omité des droits de l’homme

102 e session

11-29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1611/2007

Présentée par:

Florentino Bonilla Lerma (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Colombie

Date de la communication:

17 octobre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 8 octobre 2007 (non publiée sous forme de document)c

Date de l’adoption des constatations:

26 juillet 2011

Objet:

Refus des autorités judiciaires d’octroyer une réparation patrimoniale à l’auteur

Questions de procédure:

Fondement des griefs; abus de droit

Questions de fond:

Droit à un procès équitable; droit à un recours utile

Articles du Pacte:

2 et 3

Article s du Protocole facultatif:

2 (par 1, 2 et 3), 3, 5, 14 (par.1), 16, 26 et 27

Le 26 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1611/2007.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1611/2007 **

Présentée par:

Florentino Bonilla Lerma(non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Colombie

Date de la communication:

17 octobre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no … présentée au nom de … en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Florentino Bonilla Lerma, de nationalité colombienne, né le 5 septembre 1956, qui se dit victime de violation par la Colombie des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 2, de l’article 3, de l’article 5, du paragraphe 1 de l’article 14, de l’article 16, de l’article 26 et de l’article 27 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la Colombie le 23 mars 1976.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur et sa famille étaient propriétaires d’une entreprise de pêche appelée «Incamar LTDA» et immatriculée dans le port de Buenaventura (Colombie), à laquelle appartenaient deux bateaux à moteur, le «Puri» et le «Copescol Doce». Ne s’étant pas acquitté d’une obligation pécuniaire, l’auteur a fait l’objet d’une procédure judiciaire à la suite de laquelle le bateau à moteur «Puri» a été saisi en décembre 1989 et confié en dépôt à un auxiliaire de justice en janvier 1990 en attendant la fin de la procédure. L’auxiliaire de justice a commencé à utiliser le bateau et à en tirer des bénéfices qu’il n’a jamais signalés à la juridiction compétente ni à l’auteur.

2.2Dans des jugements prononcés le 10 mai et le 7 juin 1995, le deuxième tribunal civil du circuit de Cali-Valle s’est prononcé en faveur de l’auteur et a enjoint à l’auxiliaire de justice de restituer l’embarcation et de dédommager l’auteur pour les pertes subies du fait de l’utilisation de la structure et du matériel du bateau, ainsi que pour le manque à gagner. Le 7 septembre 1995, le huitième tribunal civil du circuit de Cali a demandé à la capitainerie du port de Buenaventura de lever l’embargo sur le bateau à moteur et a ordonné à l’auxiliaire de justice de rendre des comptes et de restituer le bateau. Ce jugement n’ayant pas été appliqué, l’auteur a déposé une requête en protection auprès de la chambre civile et prud’homale du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán, situé dans le département du Cauca.

2.3Le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán a donné raison à l’auteur et ordonné à l’autorité de tutelle de l’auxiliaire de justice («La Naciόn-Rama Judicial») de restituer le bateau à moteur. Il a aussi enjoint à la juridiction administrative de réaliser la liquidation correspondante pour rendre effective la réparation patrimoniale octroyée à l’auteur. Le dossier principal a été transmis à la Cour constitutionnelle le 12 septembre 1996 en vue d’une éventuelle révision. Dans l’attente du retour du dossier de la Cour constitutionnelle, le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán n’a pas engagé la procédure de liquidation des dommages et intérêts. La Cour a confirmé le jugement et l’a renvoyé au tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán le 17 janvier 1997.

2.4L’auteur affirme qu’alors que la Cour constitutionnelle était saisie du dossier, le greffier du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán a, de son propre chef, adressé copie du jugement daté du 5 septembre 1996, sans aucune annexe et sans demander l’autorisation des magistrats ni en informer les parties, au tribunal administratif du Valle del Cauca-Cali, en lui demandant de se conformer au «point 4». L’auteur a appris par des rumeurs que le tribunal administratif du Valle del Cauca-Cali, situé en dehors du district judiciaire de Popayán, avait été saisi d’une copie du jugement. Il dit avoir signalé la situation au magistrat chargé de l’affaire du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán, qui a répondu que le tribunal n’avait jamais ordonné la transmission de la décision au tribunal administratif du Valle del Cauca-Cali et qu’il se dessaisissait de l’affaire. L’auteur, qui n’est pas avocat, a adressé le 19 septembre 1996 un courrier écrit au tribunal administratif du Valle del Cauca-Cali dans lequel il indiquait ce qui suit: «Je demande le désistement de la procédure engagée aux fins de l’application de la décision de liquidation des dommages et intérêts prise par le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán. Je vous serais donc reconnaissant de renvoyer le dossier au tribunal compétent d’origine, conformément aux dispositions du l’article 344 du Code de procédure civile.».

2.5Le 17 janvier 1997, le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán a donné l’ordre au tribunal administratif du Cauca de procéder à la liquidation des dommages et intérêts en faveur de l’auteur. Le 28 janvier 1997, le tribunal administratif a refusé d’exécuter la liquidation, considérant que l’auteur, en demandant le désistement de l’action au tribunal administratif du Cauca, abandonnait ses griefs et ne pouvait les faire valoir par une autre voie de procédure. Le tribunal estimait aussi que l’acceptation du désistement par le tribunal administratif produisait des effets de chose jugée.

2.6L’auteur a fait appel devant la Chambre administrative du Conseil d’État, qui a confirmé la décision du tribunal administratif du Cauca, en se fondant sur le désistement de l’auteur. Le Conseil d’État a renvoyé l’auteur devant le tribunal administratif du Cauca pour présenter un recours en nullité. Toutefois, le tribunal a classé définitivement l’affaire, décision qui a ensuite été confirmée par le Conseil d’État. Par la suite, l’auteur a présenté de nombreux recours devant différentes instances, dont la Cour constitutionnelle, en invoquant la violation de ses droits à une procédure régulière et à l’accès à la justice. Le 21 février 2003, la Cour constitutionnelle a rejeté les griefs de l’auteur. Elle a estimé que l’auteur «avait renoncé à ses prétentions en matière de réparation devant le tribunal administratif du Valle del Cauca, mettant ainsi fin à la procédure de liquidation des dommages et intérêts, et avait laissé s’écouler beaucoup de temps avant d’entreprendre d’autres démarches dans une affaire déjà classée. De plus, les différentes décisions qui, après l’acceptation du désistement de l’action, avaient été prises en réponse aux multiples requêtes de l’auteur, étaient fondées sur des arguments valides et raisonnables, notamment l’extinction de la procédure de liquidation des dommages et intérêts par la volonté manifeste de l’intéressé».

2.7Fin 2005, l’auteur et sa famille ont obtenu le statut de réfugiés au Costa Rica. Dans ce dernier pays, l’auteur a présenté une demande d’exécution de sentence auprès de la première Chambre de la Cour suprême de justice contre la République de Colombie. Le 8 mars 2006, la Cour suprême a rejeté la demande au motif que le Costa Rica n’est pas compétent pour connaître des affaires qui peuvent survenir entre un particulier et une nation ou un gouvernement souverain. En outre, elle a fait valoir que le droit revendiqué ne peut être reconnu par un tribunal du Costa Rica dans la mesure où il a été établi par les tribunaux de la République de Colombie, auxquels incombe son exécution souveraine et absolue. Cette décision a été confirmée par la même Cour le 23 août 2006.

2.8Dans sa requête, l’auteur critique le système judiciaire colombien.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que l’État partie a violé les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 2 du Pacte, dans la mesure où ses recours judiciaires postérieurs ont été inefficaces pour faire appliquer le jugement du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán daté du 5 septembre 1996. Il affirme aussi que l’article 3 du Pacte a été violé car son droit à l’égalité devant la loi n’a pas été respecté.

3.2L’auteur fait aussi valoir que l’article 5 du Pacte a été violé car l’État partie a montré avec ses procédures judiciaires qu’il n’était pas disposé à se conformer aux instruments internationaux auxquels il a adhéré.

3.3L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que dans le cadre de la procédure engagée pour exercer ses droits civils en tant que propriétaire et entrepreneur en Colombie, il n’a pas bénéficié du même traitement que d’autres plaignants dans des affaires similaires. De surcroît, il n’a pas bénéficié des garanties minimales d’une justice indépendante et impartiale, étant donné que ses recours n’ont pas été traités de façon efficace et opportune. Selon l’auteur, l’ignorance du principe de la chose jugée constitue l’élément principal de la violation.

3.4L’auteur invoque une violation de l’article 16 du Pacte dans la mesure où les autorités judiciaires colombiennes n’ont pas reconnu sa personnalité juridique.

3.5L’auteur prétend aussi être victime d’une violation de l’article 26 du Pacte car il considère que le jugement du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán n’a pas été appliqué du fait de son ascendance africaine. Il affirme qu’un conseiller de la présidence de la Cour constitutionnelle lui a confié de manière officieuse qu’il avait entendu les magistrats dire «pourquoi donner raison à Bonilla, ce Nègre; premièrement, la Colombie lui doit beaucoup d’argent, et deuxièmement, cela reviendrait à faire un procès à nos amis les magistrats du Conseil d’État».

3.6Enfin, l’auteur soutient que l’article 27 du Pacte a été violé, en invoquant des raisons liées à la discrimination raciale dans l’État partie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 8 janvier 2008, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable.

4.2La requête présentée par l’auteur vise à ce que le Comité réexamine et/ou apprécie à nouveau des faits qui ont déjà été examinés et décidés par les tribunaux internes de la Colombie, le but étant d’obtenir une indemnisation à laquelle l’auteur a volontairement et expressément renoncé. L’État rappelle la jurisprudence du Comité et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme visant à rejeter les communications qui ont pour objet d’apprécier à nouveau des faits qui ont déjà été examinés et décidés par les juridictions internes des États parties.

4.3L’État partie rappelle les faits. Il affirme que, par un jugement daté du 10 mai 1995, le deuxième tribunal civil du circuit de Cali a ordonné à un auxiliaire de justice de verser à l’auteur une somme d’argent en espèces correspondant à la perte de revenu liée à l’exploitation du bateau à moteur «Puri» entre 1990 et 1995. Le bateau avait été saisi dans le cadre d’une procédure judiciaire qui s’est soldée par un jugement favorable à l’auteur. Étant donné que l’auxiliaire de justice condamné à verser une somme d’argent ne procédait pas au versement de cette somme et ne rendait pas son bateau à l’auteur, ce dernier a engagé une action en protection, dont le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán a été saisi. Ce tribunal a enjoint au défendeur de restituer le bateau à moteur et le produit de celui-ci. Il a aussi donné l’ordre au tribunal administratif de faire appliquer les jugements des huitième et deuxième tribunaux civils du circuit de Cali pour rendre effective la réparation patrimoniale octroyée à l’auteur. Le tribunal a remis au tribunal administratif du Valle del Cauca une copie du jugement correspondant. Le 19 septembre 1996, l’auteur a adressé un courrier écrit au tribunal administratif dans lequel il indiquait ce qui suit: «… Je demande le désistement de la procédure engagée aux fins de l’application de la décision de liquidation des dommages et intérêts (…) prise par le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán. Je vous serais donc reconnaissant de renvoyer le dossier au tribunal compétent d’origine.».

4.4Par un jugement daté du 27 septembre 1996, le tribunal administratif du Valle del Cauca a décidé d’accepter le désistement et d’ordonner le classement de la procédure après annulation du dépôt de plainte, ainsi que de communiquer au tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán le désistement en question. Le 5 décembre 1996, l’auteur a demandé à la chambre civile et prud’homale du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán de transférer la procédure à la juridiction administrative afin qu’elle procède à l’indemnisation à laquelle il avait droit. Le 17 janvier 1997, la chambre civile et prud’homale a ordonné le transfert de l’affaire au tribunal administratif aux fins de la liquidation des dommages et intérêts correspondants. Le 28 janvier 1997, le tribunal a rejeté l’affaire au motif que l’auteur s’était désisté de la procédure. Cette décision a été confirmée par le Conseil d’État. Par la suite, l’auteur a invoqué un conflit de compétence sur lequel la Cour constitutionnelle s’est prononcée le 22 mars 2001. Dans sa décision, la Cour a refusé de régler la question en l’absence de conflit réel. Elle a considéré que le tribunal administratif n’avait jamais indiqué être compétent pour connaître de la procédure de liquidation mais s’était simplement abstenu d’y donner suite car l’auteur avait renoncé à ses prétentions en matière de réparation. Par la suite, l’auteur a notamment présenté un recours en protection de ses droits à une procédure régulière, à la défense et à la jouissance de la propriété privée. Ce recours a été rejeté par le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle. Cette dernière a considéré qu’il n’y avait pas eu de violation des droits fondamentaux car l’auteur avait renoncé à ses prétentions en matière de réparation devant le tribunal administratif du Valle del Cauca, mettant ainsi volontairement fin à la procédure de liquidation des dommages et intérêts.

4.5L’auteur demande au Comité d’agir comme une quatrième instance et d’apprécier à nouveau des faits déjà examinés et décidés par les tribunaux internes dans le but d’obtenir une indemnisation à laquelle il a volontairement et expressément renoncé dans le cadre d’une procédure de désistement qui a été avalisée par la juridiction interne.

4.6Les organes internationaux sont compétents pour déclarer qu’une requête est recevable et se prononcer sur le fond quand cette requête se rapporte à un jugement d’une juridiction interne qui a été prononcé en dehors de la légalité ou qui semble violer tout autre droit consacré par les traités. Si, en revanche, elle consiste simplement à affirmer que le jugement est vicié ou injuste en lui-même, la requête doit être rejetée. Les organes internationaux ont pour fonction de garantir le respect des obligations contractées par les États parties, mais ne peuvent faire office de juridiction d’appel pour examiner de supposées erreurs de droit ou de fait que peuvent avoir commis les tribunaux nationaux agissant dans les limites de leur compétence. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également été claire en affirmant (affaire Cantos c. Argentine) que pour qu’une décision de justice constitue en soi une infraction à la Convention, elle doit être arbitraire.

4.7L’auteur a eu accès à tous les mécanismes prévus par la Constitution et par la loi, et n’a fait l’objet de restrictions à aucun moment pour exercer son droit de saisir les instances judiciaires et exercer les recours qu’il considérait utiles pour faire valoir ses griefs. C’est ainsi qu’il a engagé d’innombrables actions en justice, qui ont donné lieu à des décisions dûment fondées en droit. Par conséquent, l’État partie estime que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.8L’auteur se borne à énoncer les droits qui, selon lui, ont été violés, mais il n’explique pas les raisons pour lesquelles il considère que ces droits ont été bafoués ni ne fournit d’éléments de preuve à l’appui de sa requête. Par conséquent, la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle n’est pas suffisamment étayée. En outre, elle constitue un abus du droit de présenter des communications parce que l’auteur a fourni au Comité des renseignements incomplets, faux et hasardeux. Le désistement ne résulte pas d’une erreur judiciaire mais de la volonté même de l’auteur, ce qui explique que celui-ci n’ait pas transmis au Comité des informations véridiques.

4.9L’État partie affirme que si l’auteur considérait alors que le tribunal administratif du Valle del Cauca n’était pas compétent pour connaître de la procédure de liquidation des dommages et intérêts, il disposait au niveau interne d’un recours judiciaire qui lui permettait de remédier à la soi-disant erreur de compétence, comme l’a fait valoir la Cour constitutionnelle dans son arrêt sur l’action en tutelle instruite par l’auteur.

4.10L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas expliqué, aux fins de la recevabilité, comment s’étaient manifestées les menaces et les persécutions dont il aurait fait l’objet de la part de fonctionnaires, et n’a pas fourni de preuves, ni même un commencement de preuve, qui permettraient d’établir qu’il est victime de discrimination raciale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Le 11 février 2008, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Il affirme que le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán n’a pas transmis copie de son jugement du 5 septembre 1996 au tribunal administratif du Valle del Cauca, mais que c’est un employé subalterne qui l’a fait de façon arbitraire. C’est pour cette raison que les magistrats du tribunal supérieur, apprenant qu’une copie du jugement avait été présentée dans une autre ville, ont recommandé à l’auteur, le 16 septembre 1996, de se désister de la procédure et de demander le renvoi de la copie du jugement au tribunal compétent d’origine, étant donné que toute procédure serait considérée comme nulle et non avenue pour défaut de compétence. C’est ce qu’avait fait l’auteur. Dans l’intervalle, la Cour constitutionnelle avait réexaminé le jugement du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán, l’avait confirmé et renvoyé au tribunal supérieur le 16 janvier 1997.

5.2Le 17 janvier 1997, le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán a ordonné au tribunal administratif du Valle del Cauca de procéder à la liquidation des dommages et intérêts et lui a transmis copie du dossier. Toutefois, ce dernier en a décidé autrement, comme expliqué plus haut. L’auteur cite diverses dispositions pour étayer son affirmation selon laquelle il n’a jamais renoncé à son droit d’être indemnisé, et son supposé «désistement» devait être déclaré nul. L’auteur réaffirme que les faits dénoncés constituent une violation des articles 14 et 26 du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité

6.1Le 14 mai 2008, l’État partie a présenté des observations supplémentaires. Il réitère les arguments qu’il a déjà formulés et affirme que l’envoi du dossier par la chambre civile du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán au tribunal administratif du Valle del Cauca a été effectué en application du jugement daté du 5 septembre 1996, en vertu duquel l’ordre était donné à la juridiction administrative de procéder, dans un délai de six mois au maximum, à la liquidation des dommages et intérêts pour rendre effective la réparation patrimoniale octroyée à Florentino Bonilla Lerma et éviter tout préjudice irrémédiable. Il en ressort donc que l’envoi du dossier ne résulte pas d’un acte arbitraire d’un employé mais d’un ordre émanant d’une décision de justice. Comme l’a déclaré la Cour constitutionnelle, si l’auteur considérait alors que le tribunal administratif du Valle del Cauca n’était pas compétent, «il fallait alors engager une procédure pour conflit de compétence négatif ou invoquer clairement et expressément l’existence d’un conflit».

6.2L’État partie réaffirme que l’adoption de décisions contraires aux intérêts de l’auteur ne peut être interprétée comme un acte de discrimination raciale à son encontre.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Le 11 juillet 2008, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. Au sujet des griefs relatifs à l’article 2 du Pacte, il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle cet article énonce une obligation générale à l’intention des États et ne peut être violé que si un droit reconnu par le Pacte est violé ou si les mesures nécessaires n’ont pas été prises au niveau interne pour protéger les droits reconnus par le Pacte. Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 5, il rappelle qu’aucun droit individuel spécifique ne peut être tiré de cet article, qui traite de la portée des droits de l’homme et des obligations des États en général. En conséquence, les arguments invoqués par l’auteur sur la base de ces articles doivent être rejetés.

7.2En ce qui concerne le grief de violation des articles 3 et 26 du Pacte, les allégations de l’auteur sont dénuées de fondement dans la mesure où il n’a fourni aucun élément permettant d’apprécier les prétendus faits survenus. En l’espèce, l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation de l’article 3 du Pacte n’a pas lieu d’être, compte tenu de son sexe masculin. S’il estime que les institutions colombiennes l’ont empêché d’exercer ses droits sur un pied d’égalité avec les femmes, l’auteur ne fournit dans sa communication aucune explication, même sommaire, sur la façon dont il considère que ce droit a été violé. Eu égard à l’article 26 du Pacte, l’auteur ne peut dire qu’il a été violé au simple motif que les décisions de justice ne lui ont pas donné raison, en invoquant des motifs de race, alors qu’il existe des décisions de justice dûment fondées et raisonnables (égalité de fait). De même, l’auteur n’a pas démontré qu’il existait une inégalité de droit dans la mesure où les normes appliquées par les tribunaux colombiens respectent le principe de non-discrimination consacré par l’article 26 du Pacte. En outre, dans aucune des actions qu’il a intentées au niveau interne, l’auteur n’a fait valoir que les instances judiciaires avaient tendance à le défavoriser en raison de sa race. Les décisions de justice étaient fondées sur le désistement libre et volontaire de l’auteur, ce qui signifiait qu’il n’y avait pas eu de violation du droit à l’égalité devant la loi ni de discrimination fondée sur la race.

7.3Pour ce qui est de la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme qu’il n’existe aucun élément dans la requête permettant de conclure qu’il y a eu violation du droit à une procédure régulière dans le cadre de la procédure civile. Compte tenu de l’interprétation qu’a faite le Comité des conditions qui doivent être remplies dans une procédure civile, telle que le respect du principe de l’égalité des armes et du débat contradictoire, l’interdiction de l’aggravation d’office des condamnations et la diligence des procédures judiciaires, aucune de ces conditions n’a été ignorée durant la procédure engagée par l’auteur. Celui-ci a eu la possibilité d’être entendu devant différentes instances pour s’entretenir de l’acte de désistement qu’il avait présenté, et a obtenu des réponses appropriées, raisonnables, objectives et opportunes. En réponse à l’affirmation selon laquelle le traitement de ses demandes a pris environ dix-sept ans, l’État partie rappelle que le désistement a été accepté par un jugement daté du 27 septembre 1996. Les actes postérieurs − actions en nullité, recours, récusations d’auxiliaires de justice et actions en protection − ont été entrepris à l’initiative de l’auteur afin d’obtenir à nouveau la possibilité de bénéficier de l’indemnisation à laquelle il avait renoncé. L’État partie réaffirme que les organes internationaux ne peuvent agir comme une juridiction d’appel pour examiner de supposées erreurs de droit ou de fait que peuvent avoir commis les tribunaux nationaux agissant dans les limites de leur compétence.

7.4En ce qui concerne l’éventuelle violation de l’article 16 du Pacte, l’État partie affirme que la violation de ce droit suppose d’ignorer la possibilité d’être titulaire de droits et d’obligations, situation dans laquelle l’auteur ne s’est trouvé à aucun moment. Il a eu au contraire la possibilité d’engager des procédures pour expliquer pourquoi il contestait le refus d’indemnisation. En conséquence, cette disposition du Pacte n’a pas été violée.

7.5Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 27 du Pacte, l’auteur dit simplement appartenir à une minorité donnée (les personnes d’ascendance africaine), sans indiquer quel droit particulier de cette minorité il n’a pu exercer. En conséquence, les griefs de violation sont dénués de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie sur le fond

8.1Dans une lettre datée du 5 septembre 2008, l’auteur réaffirme qu’il y a eu erreur judiciaire dans le cas d’espèce. Il affirme que la procédure principale était de la compétence de la chambre civile et prud’homale du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán. Toutefois, le jugement du tribunal supérieur n’a pas été respecté par le juge administratif, qui a agi de façon arbitraire et en violation flagrante du droit à une procédure régulière. Selon lui, la législation colombienne ne prévoit en aucun cas que le «désistement de la procédure», après communication du jugement exécutoire à un juge incompétent pour des motifs de territorialité et défaut de délégation de pouvoir, a pour effet d’éteindre une obligation. Ce juge devait s’abstenir de participer à la procédure instruite devant lui et demander le renvoi de la copie du jugement au tribunal d’origine. L’auteur signale que le tribunal administratif a agi de façon contraire au droit en refusant, par des arguments irrecevables, de procéder à la liquidation des dommages et intérêts ordonnée par le tribunal supérieur du district de Popayán.

8.2L’auteur réaffirme que son désistement ne signifiait pas qu’il renonçait aux droits reconnus dans la décision du 5 septembre 1996 mais qu’il visait les actes de procédure effectués par le tribunal administratif du Valle del Cauca, lequel, comme avait indiqué l’auteur, était incompétent pour se prononcer sur la liquidation. En outre, toujours selon l’auteur, pour être jugé valable, le désistement aurait dû avoir lieu avant que le tribunal supérieur du district supérieur de Popayán n’adopte sa décision le 5 septembre 1996, le demandeur aurait dû donner son accord et les parties auraient dû en être informées.

8.3L’auteur demande au Comité de déclarer l’État partie responsable des faits décrits et réclame que ce dernier établisse les mécanismes nécessaires pour lui octroyer la réparation patrimoniale à laquelle il a droit en vertu de la décision du 5 septembre 1996.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité prend note des observations de l’État partie qui objecte que la communication doit être considérée comme irrecevable parce qu’elle n’est pas suffisamment étayée et que le Comité ne peut pas apprécier des faits déjà examinés et décidés par les tribunaux internes. En outre, il signale que l’auteur a donné au Comité des renseignements incomplets, faux et hasardeux, ce qui signifie que la communication devrait être jugée irrecevable au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications. Le Comité ne partage pas l’argument de l’État concernant l’abus de droit, eu égard aux informations et aux éléments de preuve présentés par l’auteur.

9.4Pour ce qui est du grief de violation des articles 2, 3, 5, 16, 26 et 27 du Pacte, le Comité relève que l’auteur invoque ces articles de façon générale, sans expliquer les raisons pour lesquelles il considère que les faits allégués constituent des violations spécifiques de ces articles. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable car insuffisamment étayée en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.5Concernant les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité considère qu’ils sont suffisamment étayés et que les autres critères de recevabilité sont satisfaits. En conséquence, le Comité les juge recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité doit décider si les décisions des tribunaux internes par lesquelles ils ont refusé d’octroyer à l’auteur la réparation patrimoniale ordonnée par le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán dans son jugement du 5 septembre 1996 ont constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie rappelant la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient aux internes d’examiner les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce. Toutefois, le Comité rappelle que cette même jurisprudence prévoit une exception lorsqu’il peut être établi que l’appréciation des faits et des éléments de preuve a été de toute évidence arbitraire, a été manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice.

10.3En l’espèce, le Comité observe que la décision du tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán a été transmise pour exécution au tribunal administratif du Valle del Cauca. Ni l’État partie ni les tribunaux internes n’ont affirmé que ce tribunal était compétent pour examiner l’affaire. Il y a donc lieu de conclure que la transmission de la décision était due à une erreur, laquelle ne peut être imputable à l’auteur. Ce dernier, sachant que le tribunal administratif était incompétent et croyant manifestement bien faire les choses, a présenté un acte de désistement. Or, dans les informations fournies au Comité par les parties, aucun indice ne permet d’affirmer que l’auteur avait l’intention de renoncer aux droits que lui reconnaissait la décision du 5 septembre 1996. Au contraire, l’auteur avait montré à plusieurs reprises qu’il souhaitait récupérer son bateau à moteur, avait obtenu gain de cause dans le cadre de la procédure judiciaire antérieure qui s’était soldée par la levée de l’embargo sur le bateau et avait intenté une action en protection qui avait abouti à la décision du 5 septembre 1996. En outre, il est difficile de comprendre pourquoi le soi-disant «désistement de la procédure engagée aux fins de la réparation patrimoniale», que les tribunaux internes reprochent à l’auteur, peut être accepté, avec les conséquences juridiques que cela suppose, par un tribunal (le tribunal administratif du Valle del Cauca) qui, à l’évidence, était incompétent pour se prononcer en matière de réparation. Il est aussi difficile de comprendre que c’est l’auteur, et non les tribunaux compétents, qui a dû se rendre compte de l’erreur et prendre des mesures pour préserver ses droits. Les informations fournies par les parties portent à conclure que lorsque le tribunal supérieur du district judiciaire de Popayán a, le 17 janvier 1997, ordonné au tribunal compétent de procéder à la liquidation pour rendre effective la réparation, il l’a fait dans le respect de la légalité et sans reprocher à l’auteur un quelconque acte inapproprié de sa part.

10.4Étant donné ce qui précède, le Comité conclut que le refus des tribunaux internes de rendre effective la réparation patrimoniale octroyée à l’auteur a été manifestement arbitraire, a représenté un déni de justice et de ce fait a constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Krister Thelin et M. Gerald L. Neuman (dissidente)

Le Comité a fait droit au grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 présenté par l’auteur. Nous nous permettons de ne pas être d’accord.

Le Comité n’est pas un tribunal du quatrième degré. Comme il est établi dans la jurisprudence constante du Comité, il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des preuves ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires ou ont représenté un déni de justice.

Le Comité doit simplement déterminer si les juridictions internes, dans leur appréciation de la «renonciation à toutes les prétentions en matière d’indemnisation», n’ont pas observé les règles. À notre avis, et bien que nous soyons sensibles aux conséquences regrettables de l’action engagée par l’auteur, les faits dont le Comité est saisi ne permettent pas − sauf à recourir également à beaucoup de conjectures (voir par. 10.3 de la décision de la majorité) − de conclure de façon étayée que l’appréciation des faits et l’application de la loi faites par les juridictions nationales ont représenté un déni de justice. Le Comité aurait donc dû conclure que le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 n’était pas fondé.

(Signé) Krister Thelin

(Signé) Gerald L. Neuman

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]