Nations Unies

CCPR/C/103/D/1802/2008

Pacte international relatifaux droits civils et politiques

Distr. générale*

30 novembre 2011

Français

Original: espagnol

Comité des droits de l’homme

103esession

17 octobre-4 novembre 2011

Point 9 de l’ordre du jour

Examen des communications présentées en vertudu Protocole facultatif se rapportant au Pacte

Communication no 1802/2008

Décision adoptée par le Comité le 31 octobre 2011 (103e session)

Présentée par:

L. O. P. (représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

15 avril 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 14 août 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

31 octobre 2011

Objet:

Changements injustifiés de centres pénitentiaires; discrimination

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes; fondement de la plainte; abus du droit de présenter des communications

Questions de fond:

Droit de ne pas faire l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée et sa famille; droit sans discrimination à une égale protection de la loi

Articles du Pacte:

17 (par. 1) et 26

Articles du Protocole facultatif:

2 et 3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (103e session)

concernant la

**

Présentée par:

L. O. P (représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

15 avril 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2011,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 14 avril 2008, est L. O. P, de nationalité espagnole, né en 1946. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 17 et de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur purge une peine de prison pour plusieurs délits de trafic de drogues et d’atteinte à la santé publique. En 2003, alors qu’il était détenu dans la prison d’Alcalá Meco, dans la province de Madrid, il a été transféré au centre pénitentiaire de Zuera, à Saragosse. Il a ensuite été transféré à Valladolid, puis à Daroca (province de Saragosse). L’auteur soutient que ces transferts n’ont pas tenu compte du droit à la vie de famille car ses filles vivaient à Guadalajara, dans la région de Madrid.

2.2L’auteur a été inscrit au fichier des détenus devant faire l’objet d’une surveillance spéciale (FIES). Il affirme que cette inscription ne s’est pas faite en application de la loi générale sur l’administration pénitentiaire mais de circulaires internes de la Direction générale de l’administration pénitentiaire. Cette inscription entraîne notamment les changements de prison et de cellule, les fouilles de la cellule à toute heure du jour et de la nuit, la surveillance de toutes les activités et l’écoute des communications.

2.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur observe que les tribunaux nationaux rejettent l’argument selon lequel les changements de prison portent atteinte au droit fondamental des détenus à la vie de famille. À cet égard, il renvoie à une décision du tribunal supérieur de justice de Madrid qui confirme ce rejet. En ce qui concerne la condition de prisonnier inscrit au FIES, l’auteur allègue que le Tribunal constitutionnel en a confirmé la conformité avec la Constitution.

2.4L’auteur affirme que former un recours en amparo dans cette affaire serait sans effet. Il souligne que, suite à une réforme de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel, le recours en amparo ne peut être formé que dans les affaires ayant une importance constitutionnelle spéciale. Ce recours n’aurait donc aucune chance d’aboutir car il équivaut à un recours extraordinaire en révision d’une décision.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son transfert arbitraire dans des prisons éloignées du domicile familial, qui réduit les contacts avec sa famille, constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

3.2De même, l’auteur allègue que l’application du statut de prisonnier inscrit au FIES sans aucun fondement juridique, qui entraîne des mesures d’exécution de la peine plus lourdes que celles appliquées aux autres détenus, constitue une violation de l’article 26 et du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 15 octobre 2008, l’État partie affirme que la communication est irrecevable. Il fait valoir que l’auteur n’apporte ni justificatif ni argumentation qui prouverait la violation du Pacte et qu’il n’a pas épuisé tous les recours internes qui existent pour les griefs qu’il exprime. L’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il a adressé une plainte à l’administration pénitentiaire ou formé un recours devant le tribunal de surveillance pénitentiaire, l’Audiencia Provincial ou le Tribunal constitutionnel pour aucun des griefs formulés. De même, l’État partie affirme que l’auteur a présenté plusieurs communications au Comité, et qu’à chaque fois les recours internes n’avaient pas été épuisés et la plainte était irrecevable quant au fond, ce qui montre qu’il y a abus du droit de présenter des communications au Comité.

4.2L’État partie dit que ni la Constitution ni le Pacte ne reconnaissent le droit de purger sa peine dans un lieu déterminé ou à une distance maximale du domicile des membres de sa famille. L’auteur n’apporte pas la preuve que le domicile de sa famille se trouve à Guadalajara. En outre, la plainte porte sur une prison qui, comme celle de Daroca, se trouve à 146 kilomètres environ de Guadalajara.

4.3L’État partie demande au Comité de conclure à l’irrecevabilité de la communication présentée par l’auteur pour non-épuisement des recours internes, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif, et pour abus du droit de présenter des communications, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif. À défaut, il demande au Comité de conclure à l’absence de violation.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité

5.1En date du 15 février 2009, l’auteur a formulé ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que les tribunaux supérieurs de justice et le Tribunal constitutionnel ont rejeté les recours formés par d’autres prisonniers qui contestaient les changements de centre pénitentiaire, ce qui montre que les voies internes ne sont pas efficaces.

5.2L’auteur rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle seuls doivent être épuisés les recours internes ayant une chance d’aboutir. De même, l’auteur affirme avoir fait beaucoup d’efforts, comme l’atteste son dossier pénitentiaire, pour être transféré et purger sa peine dans d’autres établissements.

5.3En ce qui concerne sa condition de prisonnier inscrit au FIES, l’auteur réaffirme qu’il a subi un régime pénitentiaire inhumain et discriminatoire. L’auteur énumère les mesures prises visant cette catégorie de prisonniers, notamment: transfert inopiné dans une autre prison, fouilles au corps à toute heure, fouilles de la cellule à toute heure, interception des communications (y compris lecture du courrier), restriction du régime de communications avec les autres prisonniers, surveillance permanente et interdiction de travailler.

5.4L’auteur affirme être dans l’impossibilité de contester cet encadrement puisque les tribunaux espagnols ont à plusieurs reprises déclaré la légalité du régime FIES. Il réaffirme que l’on ne peut plus former de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel puisqu’il ne s’applique qu’à des affaires qui présentent une importance constitutionnelle spéciale.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 10 février 2009, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication.

6.2L’État partie insiste sur le fait que l’auteur ne fournit ni justificatif ni argumentation d’où il ressortirait qu’il y a violation du Pacte, qu’il n’a pas épuisé les recours internes et qu’il abuse du droit de présenter des communications au Comité.

6.3L’État partie ajoute que l’auteur est un trafiquant de drogues bien connu, condamné à plusieurs reprises pour être à la tête d’une importante organisation de trafic de drogues. L’auteur a purgé une peine de 4 ans et 4 mois pour atteinte à la santé publique et purge actuellement une peine totale de 13 ans, 5 mois et 25 jours de prison correspondant à deux peines, l’une pour trafic de stupéfiants, l’autre pour atteinte à la santé publique avec, dans cette dernière affaire, des circonstances aggravantes du fait qu’il était à la tête d’une organisation. L’auteur a été transféré à plusieurs reprises, pour des raisons d’ordre judiciaire (formalités, procédure orale) ou pour des questions de classification quant au degré de dangerosité, ou de régime et de sécurité.

6.4L’État partie indique que, depuis juillet 2007, l’auteur purge sa peine dans l’établissement pénitentiaire de Daroca et qu’il est classé comme un prisonnier de deuxième catégorie, c’est-à-dire qu’il est placé en régime ordinaire. La distance entre son domicile de référence de Guadalajara et Daroca est inférieure à 150 kilomètres. À titre d’exemple, entre le 26 janvier et le 26 avril 2008, l’auteur a reçu deux visites familiales de sa fille et neuf visites de sa compagne. En ce qui concerne les conditions de détention de l’auteur, l’État partie indique que, depuis son transfert dans l’établissement pénitentiaire de Daroca, l’auteur n’a pas changé de cellule, que la fouille de sa cellule a été effectuée de manière habituelle, et qu’aucune fouille n’a eu lieu de nuit.

6.5L’État partie réaffirme que purger sa peine dans un établissement proche du lieu du domicile familial ne constitue pas un droit reconnu comme tel dans le Pacte. L’État partie se réfère à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, qui établit que les différentes catégories de détenus doivent être placées dans des établissements ou quartiers d’établissements distincts, en tenant compte de leur sexe, de leur âge, de leurs antécédents, des motifs de leur détention et des exigences de leur traitement.

6.6L’État partie indique que la répartition des détenus dans les différents établissements pénitentiaires se fait selon des facteurs qui relèvent de la procédure, du caractère de la peine, de l’infraction commise et des établissements pénitentiaires, ainsi que selon des facteurs personnels, propres à chaque détenu. Elle se fait également selon les différentes fonctions de l’établissement pénitentiaire (réinsertion sociale, enfermement et surveillance, notamment). L’auteur a été inscrit au FIES sur décision de la Direction générale de l’administration pénitentiaire dont il peut être fait appel devant l’autorité judiciaire, et plus précisément dans la catégorie «groupe criminel organisé», étant donné ses activités criminelles et conformément à la définition donnée à l’article 2 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée.

6.7En ce qui concerne l’encadrement de l’auteur du fait de son inscription au FIES, l’État partie explique que cette dernière ne confère pas un statut de prisonnier différent de celui qui correspond à tout détenu, en fonction de ses caractéristiques personnelles, de la peine effectuée et du type d’infraction commise; cette inscription n’entraîne aucun changement du régime de vie ni restriction du droit à l’égalité devant la loi, au sens des dispositions de l’article 26 du Pacte. Le FIES est une base de donnée créée pour disposer de nombreuses informations sur certains groupes de détenus très dangereux ou pour adopter des mesures de protection spéciale. Les différents types de régime pénitentiaire ou de vie (fermé, ordinaire et ouvert) s’appliquent à chacun des détenus ou des condamnés selon les critères établis par les normes nationales, sans que cela ait à voir avec l’inscription au FIES.

6.8L’État partie signale que, dans l’hypothèse où les droits des détenus garantis par le règlement pénitentiaire ne sont pas respectés, il appartient aux autorités judiciaires de corriger tout abus. Dans le cas de l’auteur, aucun élément ne prouve qu’il y ait eu abus ou qu’un recours ait été formé auprès des autorités judiciaires.

6.9L’État partie demande à nouveau au Comité de déclarer la communication irrecevable pour non-épuisement des recours internes et pour abus du droit de présenter des communications en invoquant le Pacte.

Commentaires de l’auteur concernant les observations de l’État partiesur la recevabilité et le fond

7.1Le 13 octobre et le 14 décembre 2009, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie.

7.2L’auteur a réitéré les commentaires qu’il avait déjà formulés et s’est référé à la décision du tribunal supérieur de justice de Madrid du 8 juillet 2009 qui ne reconnaît pas le droit d’un prisonnier d’être transféré près du domicile familial. L’auteur estime avoir fait la preuve de l’inefficacité des recours internes.

7.3L’auteur ajoute que, suite à la présentation de la communication au Comité, il a été transféré à plusieurs reprises, d’abord à Villena (province d’Alicante), à 360 kilomètres de Madrid, puis à Salamanque. Il souligne qu’entre 2003 et 2009, il a été transféré à sept reprises, à chaque fois dans des établissements éloignés de son domicile familial, à l’exception de son séjour dans un établissement madrilène. De toute évidence, l’éloignement du prisonnier de son domicile familial nuit au libre développement de sa personnalité. L’absence de justification rationnelle des transferts dans des lieux différents et éloignés du domicile familial constitue une immixtion abusive ou injustifiée dans la vie de famille du prisonnier. L’auteur soutient donc qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

7.4En ce qui concerne l’inscription au FIES, l’auteur mentionne à nouveau les mesures de restriction appliquées à cette catégorie de prisonniers et se réfère à l’examen par le Comité contre la torture du quatrième rapport périodique de l’Espagne en 2002. L’auteur signale que les prisonniers ne reçoivent aucune notification de cette inscription ni des éventuels recours qu’ils peuvent former, malgré l’importance considérable de cet acte.

7.5L’auteur signale avoir subi, lors de ses séjours à Zuera (à deux reprises) et à Villena, des mesures restrictives appliquées du fait de son inscription au FIES. À Daroca et à Valladolid, l’auteur a été traité comme les autres détenus. Il est actuellement incarcéré à la prison de Topas (province de Salamanque) où il est traité comme les autres détenus de droit commun. Le 3 septembre 2008, l’auteur a dénoncé l’ouverture du courrier envoyé par son avocat devant le Secrétariat général de l’administration pénitentiaire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif n’empêche donc pas l’examen de la plainte.

8.3Concernant l’épuisement des recours internes, le Comité prend note des allégations de l’État partie selon lesquelles les recours internes n’ont pas été épuisés puisque les violations présumées invoquées devant lui n’ont pas été dénoncées devant les instances internes. Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles les recours ne pouvaient pas aboutir car il existe une jurisprudence constante en la matière qui va à l’encontre de sa demande.

8.4Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle de simples doutes quant à l’efficacité d’un recours ne dispensent pas l’auteur de l’obligation de le former. Le Comité fait observer que la jurisprudence émanant des tribunaux nationaux qui est mentionnée dans la présente communication ne prouve pas que la formation d’un recours judiciaire ou administratif n’aboutirait pas dans ce cas précis. L’auteur ne fournit aucune information sur des plaintes qui auraient été déposées devant les autorités, sur l’éloignement de sa famille ni sur les mesures restrictives dues à sa condition de prisonnier inscrit au FIES. Le Comité considère par conséquent que la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, pour information.

[Adopté en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]