Nations Unies

CCPR/C/101/D/1503/2006

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

29 avril 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Cent unième session

14 mars-1er avril 2011

Constatations

Communication no 1503/2006

Présentée par:

Otabek Akhadov (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kirghizistan

Date de la communication:

18 octobre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 31 octobre 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

25 mars 2011

Objet:

Droit à la vie; torture; traitements cruels, inhumains et dégradants; détention arbitraire; droit à un procès équitable; droit à un recours utile; droit du délinquant de bénéficier d’une peine plus légère si la loi en prévoit l’application

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Fondement des griefs

Articles du Pacte:

6, 7, 9, 10 (par. 1), 14 (par. 1), 14 (par. 3 b)) lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), 14 (par. 3 g)) et 15 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

2

Le 25 mars 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1503/2006.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (cent unième session)

concernant la

Communication no 1503/2006 **

Présentée par:

Otabek Akhadov (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kirghizistan

Date de la communication:

18 octobre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no1503/2006 présentée au nom de M. Otabek Akhadov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Otabek Akhadov, de nationalité ouzbèke, né en 1979. Il affirme être victime de violations par le Kirghizistan des droits consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, aux articles 6, 7, 9, 10 (par. 1), 14 (par. 1), 2 (par. 3) (lu conjointement avec le paragraphe 3 b) de l’article 14), 14 (par. 3 g)) et 15 (par. 1). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kirghizistan le 7 janvier 1995. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 28 mars 2000, M. Nigmat Bazakov, Président de la société ouïgoure «Ittipak», a été tué par balle près de son domicile dans la rue Musa Djalil à Bichkek. Le 29 mars 2000, les organes d’enquête ont ouvert une enquête pénale sur ce meurtre. Le 25 mai 2000, un acte terroriste a été perpétré à Bichkek et a entraîné la mort du ressortissant chinois Abdukadir Gulam et causé des blessures à plusieurs membres d’une délégation chinoise ainsi qu’à des Kirghizes. L’auteur, soupçonné d’avoir commis les actes en question, a été arrêté le 6 juillet 2000.

2.2L’arrestation de l’auteur n’a été officiellement enregistrée que le 7 juillet 2000. Entre le moment de son arrestation et le 21 juillet 2000, l’auteur a été gardé dans le centre de détention aux fins d’enquête (Sizo) du Département des affaires intérieures de la ville de Bichkek. Pendant cette période, l’auteur a été soumis à la torture et à des traitements cruels par des agents de la police judiciaire. Il était torturé à différents moments de la journée, parfois le matin entre 9 et 12 heures, d’autres fois dans l’après-midi ou le soir entre 17 et 23 heures. L’auteur avait les mains liées et les officiers de police lui donnaient des coups de poing et des coups de pied dans les parties sensibles du corps (telles que la tête, le dos, et la région des reins, des poumons et du foie); ils le frappaient aussi à la plante des pieds et à la tête avec des poids, comprimaient sa poitrine contre une table, le frappaient à l’arrière de la tête avec des objets remplis d’eau et lui brûlaient les bras avec des cigarettes. Il a souvent saigné et garde des cicatrices de ces passages à tabac. Il a aussi été forcé de prendre des substances psychotropes. L’auteur donne le nom de deux hauts fonctionnaires qui, selon lui, savaient qu’il était torturé.

2.3Le 7 juillet 2000, une fois les formalités concernant l’arrestation de l’auteur effectuées, les enquêteurs ont commis à sa défense un avocat qu’il n’avait pas choisi. Ce dernier n’a pris aucune mesure pour le protéger. Le 9 juillet 2000, incapable de supporter plus longtemps les passages à tabac et menacé de subir d’autres mauvais traitements, l’auteur a signé des aveux dans lesquels il reconnaissait avoir commis les actes dont il était accusé par les enquêteurs. Le 10 juillet 2000, des connaissances de l’auteur ont fait appel à un autre avocat, MmeGolisheva, pour représenter l’auteur. Le même jour, l’avocate a formé une plainte concernant les mauvais traitements subis par l’auteur et a demandé un examen médical de l’auteur afin de faire constater qu’il avait été torturé. Sur la base de cette demande, l’enquêteur principal a ordonné un examen médical, mais celui-ci n’a eu lieu que le 10 août 2000. L’expertise médicale a conclu que les traces sur le corps de l’auteur correspondaient au type de blessures qu’il avait décrit et à la période indiquée. L’avocate n’a pas formé d’autres plaintes et n’a pas déposé d’autres requêtes parce que, selon l’auteur, elle craignait des représailles.

2.4L’auteur affirme qu’il n’a pas été informé qu’il avait le droit de former un recours contre sa détention et qu’il n’a pas eu l’occasion de le faire puisqu’il n’avait jamais été présenté à un juge.

2.5Le 22 janvier 2001, l’Enquêteur principal du Département général des enquêtes du Ministère de l’intérieur a officiellement inculpé l’auteur de plusieurs infractions pénales, notamment de l’assassinat de M. Bazakov et de M. Gulam. Le 1er mars 2001, les chefs d’inculpation ont été confirmés par le Procureur général adjoint. En février 2001 (la date exacte n’est pas précisée), les enquêteurs ont établi un document indiquant que l’enquête était terminée et qu’ils transmettaient le dossier au tribunal. En avril 2001, le dossier a été retourné au Bureau du Procureur avec pour instruction de combler les lacunes de l’enquête. L’affaire a finalement été renvoyée au tribunal de district de Sverdlovsk qui, le 31 décembre 2001, a déclaré l’auteur coupable de plusieurs infractions et a prononcé les peines suivantes: en vertu des alinéas 1, 4, 5, 8, 9, 16 et 17 du paragraphe 2 de l’article 97 du Code pénal, l’auteur a été condamné à la peine de mort pour les meurtres de M. Bazakov et de M. Gulam; en vertu de l’article 294 du Code pénal, l’auteur a été condamné à la peine de mort pour tentative de meurtre sur un agent de l’État; en vertu de l’article 350 du Code pénal, l’auteur a été condamné à deux ans d’emprisonnement pour faux et usage de faux; il a été condamné à dix ans de prison pour participation à une entreprise criminelle en bande; à quinze ans d’emprisonnement pour l’enlèvement d’un ressortissant chinois; à vingt ans d’emprisonnement pour terrorisme; et à sept ans pour détention illégale d’armes. Comme peine unique pour tous ces crimes, la Cour a prononcé la peine de mort contre l’auteur.

2.6Pendant tout le procès, l’auteur a nié sa culpabilité. Dans la déclaration écrite qu’il a soumise au tribunal de la ville de Bichkek le 22 juillet 2002, il s’est plaint de ce que les aveux qu’il avait faits pendant l’enquête avaient été arrachés sous la torture et a clamé son innocence. En juillet 2002 (la date exacte n’est pas précisée), l’auteur a aussi adressé une plainte au Président de la République indiquant qu’il avait été soumis à la torture. Aucune des plaintes n’a donné lieu à une enquête.

2.7L’auteur a interjeté appel du jugement devant le tribunal de la ville de Bichkek, qui l’a débouté le 30 juillet 2002. Il a ensuite présenté une demande de réexamen auprès de la Cour suprême, qui a également été rejetée, le 22 juin 2006. Selon la législation nationale, les décisions de la Cour suprême concernant les demandes de réexamen sont définitives et ne sont pas susceptibles de recours.

2.8En 2007, toutes les peines de mort ont été commuées en emprisonnement à vie à la suite de l’abolition de la peine de mort dans la législation kirghize. La peine de l’auteur a été commuée par la Cour suprême le 26 décembre 2007. Le 11 février 2010, le Parlement kirghize a ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Le Kirghizistan a adhéré au deuxième Protocole facultatif le 6 décembre 2010.

2.9L’auteur déclare qu’il a épuisé tous les recours internes existants.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime de violations par le Kirghizistan des droits garantis par les articles 6, 7, 9, 10 (par. 1), 14 (par. 1), 2 (par. 3) (lu conjointement avec le paragraphe 3 b) de l’article 14), 14 (par. 3 g)) et 15 (par. 1) du Pacte.

3.2L’auteur affirme que ses droits garantis par le paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 3 b) de l’article 14 ont été violés par l’État partie puisqu’il n’a pas été informé de son droit de refuser de témoigner et de ne pas témoigner contre lui-même. Il n’a pas été représenté par un avocat dès son arrestation; il n’a pas été informé de son droit d’être représenté par un conseil alors qu’il avait demandé une telle assistance dès son placement en détention.

3.3L’auteur affirme que ses droits consacrés au paragraphe 3 g) de l’article 14, à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10 ont été violés par l’État partie puisque les policiers chargés de l’enquête l’ont torturé pour le forcer à signer des aveux.

3.4L’auteur affirme que ses droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés puisqu’il n’a pas bénéficié du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement lorsque le tribunal s’est prononcé sur le bien-fondé des accusations en matière pénale portées contre lui. Les dépositions de certains témoins contenaient d’importantes contradictions et la cour n’a pas pris en considération les éléments de preuve (l’expertise médicale) présentés qui montraient qu’il avait avoué sous la torture.

3.5L’auteur affirme que les droits qui lui sont reconnus par le paragraphe 1 de l’article 6 ont été violés puisqu’il a été condamné à mort à la suite d’un procès inéquitable entaché d’importantes violations de la législation pénale et de la législation en matière de procédure pénale et au cours duquel ont été utilisés des aveux obtenus par la torture.

3.6L’auteur affirme que ses droits garantis par l’article 9 ont été violés puisqu’il n’a pas été informé de son droit d’engager une procédure devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention, et puisqu’il n’a pas eu l’occasion de contester sa détention devant un tribunal.

3.7L’auteur affirme que ses droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 15 ont été violés puisque, au moment où la Cour suprême a statué sur son affaire (22 juin 2006), la peine de mort n’était plus la peine prévue par le Code pénal pour une tentative de meurtre sur un agent de l’État et la Cour suprême n’a pas commué la peine de mort en peine d’emprisonnement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 22 mars 2007, l’État partie a affirmé que la plainte de l’auteur avait été examinée «de manière méticuleuse et approfondie» par le Bureau du Procureur général du point de vue de «la légitimité et la validité des jugements rendus contre M. Akhadov». Il fait observer que, le 31 décembre 2001, l’auteur a été condamné à mort par le tribunal de district de Sverdlovsk pour avoir commis plusieurs crimes graves et particulièrement graves, notamment pour terrorisme, tentative de meurtre et meurtre d’un agent de l’État. Sa culpabilité a été prouvée de manière indiscutable par les éléments du dossier pénal et «les délibérations du tribunal».

4.2L’État partie affirme que les allégations de l’auteur sur les méthodes illicites utilisées par les autorités de police, qui auraient abouti à des aveux forcés, et sur le fait qu’il a été «privé du droit de faire appel de la décision du tribunal et que son droit à une protection n’a pas été assuré» ne correspondent pas à la réalité. L’État partie fait valoir que la plainte soumise par l’avocate de l’auteur a été examinée en appel par le tribunal de la ville de Bichkek, qui a confirmé la décision du tribunal de première instance sans y apporter de modification. L’État partie affirme aussi que, d’après la législation en vigueur, le réexamen d’un verdict de culpabilité, fait à la demande du condamné et «qui n’aggrave pas la situation du condamné, n’est pas soumis à des délais». Par conséquent, l’auteur a le droit de présenter une demande de réexamen devant la Cour suprême six ans après le prononcé du jugement.

Commentaires et réponses complémentaires de l’auteur

5.1Le 10 août 2007, l’auteur a contesté l’affirmation de l’État partie selon laquelle sa plainte avait été examinée «de manière méticuleuse et approfondie» par le Bureau du Procureur général en ce qui concerne «la légitimité et la validité des jugements rendus». Il fait observer que les articles 3 et 8 de la loi sur le Bureau du Procureur ne donnent pas au Procureur compétence pour conduire l’examen de la légitimité et du bien-fondé des décisions de justice et des peines prononcées. Cette compétence est conférée exclusivement aux juridictions supérieures.

5.2L’auteur conteste aussi les affirmations selon lesquelles sa culpabilité a été établie de manière indubitable par les éléments du dossier et ses allégations de torture étaient fausses. Il fait valoir que les preuves retenues contre lui sont incompatibles avec les accusations. Il fait aussi remarquer que, dans ses observations, l’État partie ne réfute aucun de ses arguments concernant l’illégalité de sa condamnation.

5.3L’auteur affirme que, les 17 et 23 mars 2001, il a déposé plainte auprès du Bureau du Procureur en indiquant qu’il avait été soumis à des violences physiques et psychologiques par les enquêteurs de la police et que ses plaintes n’avaient jamais fait l’objet d’un examen au fond, ce qui contrevenait au Code de procédure pénale. L’auteur réaffirme que ses plaintes ont été étayées par les conclusions de l’expertise médicale du 10 août 2000, qui attestaient qu’il avait bien fait l’objet de violences. Il fait observer qu’aucune décision n’a été rendue par un organe d’enquête ou par un tribunal concernant les allégations de torture. Selon l’article 156 du Code de procédure pénale, la plainte de l’avocate concernant l’usage de la violence physique contre son client aurait dû donner lieu à une enquête, ce qui n’a pas été le cas. Une enquête aurait abouti à l’établissement de l’un des documents suivants: un refus d’ouvrir une enquête pénale ou une décision d’autoriser l’ouverture d’une telle enquête. Aucun de ces documents n’existe. Le fait que le ministère public et le tribunal n’aient pas tenu compte des plaintes de l’auteur donne à penser que la torture a été pratiquée avec leur accord.

5.4L’auteur conteste en outre l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’a pas été privé du droit de faire appel de la décision du tribunal et que son droit à la défense a été respecté, puisque le fait que son conseil a introduit un recours ne signifie pas que son droit à la défense a été garanti à toutes les étapes de l’enquête et pendant la procédure préalable au procès. L’auteur rappelle qu’il n’a pas été autorisé à bénéficier des services d’un avocat dès son arrestation, ce qui constitue une grave violation des droits garantis par l’article 40 du Code de procédure pénale. Il n’a pas été informé qu’il avait le droit de bénéficier gratuitement des services d’un avocat, alors qu’il avait demandé qu’un avocat soit désigné pour l’assister. L’auteur fait valoir que l’absence d’avocat immédiatement après l’arrestation est particulièrement grave pour le détenu parce que c’est à ce moment que des traitements cruels sont infligés par la police afin d’obtenir des aveux.

5.5L’auteur dit ne pas comprendre sur quoi se fonde l’État partie pour affirmer qu’il a le droit de présenter une demande de réexamen auprès de la Cour suprême six ans après le prononcé du jugement. La Cour suprême a déjà réexaminé les décisions des juridictions inférieures et a rejeté le recours de l’auteur le 22 juin 2006. En application de l’article 11 de la loi portant modification du Code pénal et du Code de procédure pénale, entrée en vigueur le 3 juillet 2007, la Cour suprême est chargée de réexaminer dans les six mois toutes les affaires pénales dans lesquelles la peine de mort a été commuée en peine d’emprisonnement à vie. Toutefois, l’article susmentionné ne fait pas obligation à la Cour suprême de réexaminer au fond des affaires telles que celle de l’auteur, en ce qui concerne notamment le droit d’être représenté par un avocat et le droit de soumettre des explications. L’auteur affirme que l’observation de l’État partie mentionnée plus haut contredit de nombreuses dispositions de la législation interne.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En l’absence d’objection de l’État partie, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.3Le Comité prend note de la réponse de l’État partie, qui affirme que l’auteur a la possibilité de présenter une demande de réexamen de son jugement auprès de la Cour suprême. Le Comité renvoie à sa jurisprudence, selon laquelle les procédures de réexamen par une instance supérieure de décisions exécutoires constituent un moyen de recours extraordinaire dont l’exercice est laissé à la discrétion du juge ou du procureur. De telles procédures de réexamen sont limitées à des points de droit et ne concernent pas l’examen des faits et des éléments de preuve. Par conséquent, le Comité conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui affirme que les droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 3 b) de l’article 14 ont été violés par l’État partie. L’auteur n’a toutefois pas apporté d’informations sur le fait qu’il n’a pas bénéficié du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ni sur la manière dont il a été empêché de communiquer avec un conseil de son choix. Dans ces conditions, le Comité considère que cette partie de la communication n’est pas étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs tirés des articles 6, 7, 9, 10 (par. 1), 14 (par. 1 et 3 g)) et 15 (par. 1) du Pacte et procède par conséquent à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qu’il a reçues.

7.2L’auteur affirme qu’il a été battu et torturé par la police immédiatement après son arrestation et pendant les deux semaines qu’a duré sa détention dans les locaux des autorités chargées de l’enquête et qu’il a ainsi été contraint de s’avouer coupable. L’auteur donne des informations détaillées sur les mauvais traitements qu’il a subis et affirme que les plaintes qu’il a formées à ce sujet n’ont pas été prises en compte par le ministère public et par les tribunaux. L’État partie ne réfute pas expressément ces allégations, mais se contente de soutenir que la culpabilité de l’auteur a été pleinement établie.

7.3Le Comité rappelle que les plaintes faisant état de mauvais traitements infligés en violation de l’article 7 doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales de l’État partie. Bien que la décision du tribunal de la ville de Bichkek, en date du 30 juillet 2002, fasse mention des allégations de torture de M. Akhadov, le tribunal rejette ces allégations et affirme simplement que les éléments du dossier confirment la culpabilité de l’accusé. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie n’a pas apporté la preuve que ses autorités avaient examiné avec diligence et de manière satisfaisante les allégations de torture formulées par l’auteur, que ce soit dans le cadre de la procédure pénale interne ou dans celui de la présente communication. En conséquence, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité conclut ainsi que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M. Akhadov visés à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief de l’auteur tiré de l’article 10 du Pacte.

7.4Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui affirme avoir été arrêté et détenu pendant deux semaines au Département des affaires intérieures avant d’être présenté à un juge et d’avoir la possibilité de contester la légalité de son arrestation. En l’absence de réponse de l’État partie en l’espèce, le Comité estime qu’il doit leur être accordé le crédit voulu et que les faits relatés constituent une violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et, concrètement, du droit de ne pas être arrêté ni détenu arbitrairement. En conséquence, le Comité conclut qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 9 du Pacte.

7.5Le Comité considère qu’en l’espèce, et cela n’a pas été contesté par l’État partie, les tribunaux n’ont pas traité comme il convenait les plaintes de la victime concernant les mauvais traitements auxquels la police l’aurait soumise. Le Comité considère que de ce fait les procédures pénales dans l’affaire de M. Akhadov ont été entachées d’irrégularités, ce qui fait douter du caractère équitable du procès pénal dans son ensemble. En l’absence de toute observation utile de l’État partie à ce sujet, et sans qu’il y ait lieu d’examiner séparément chacun des griefs de l’auteur à cet égard, le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les faits tels que présentés font apparaître une violation distincte des droits de l’auteur visés au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. À la lumière de cette conclusion, et étant donné que l’auteur a été condamné à mort à l’issue d’un procès qui s’est tenu en violation du droit à un procès équitable, le Comité conclut que l’auteur est également victime d’une violation des droits que lui reconnaît l’article 6, lu conjointement avec l’article 14, du Pacte.

7.6Le Comité note le grief de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, selon lequel, au moment où la Cour suprême s’est prononcée dans son affaire (22 juin 2006), la peine de mort n’était plus la peine prévue par le Code pénal pour une tentative de meurtre sur un agent de l’État et que la Cour suprême n’a pas commué la peine de mort en une autre peine. Compte tenu de l’abolition de la peine de mort par l’État partie et de la commutation de la peine de mort prononcée contre l’auteur qui en a résulté, et compte tenu de la conclusion à laquelle il est parvenu au paragraphe 7.5, le Comité ne juge pas nécessaire de se prononcer sur cet aspect de la plainte de l’auteur.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que l’État partie a violé l’article 6, lu conjointement avec l’article 14; l’article 7 et le paragraphe 3 g) de l’article 14; l’article 9 et le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile et notamment de mener une enquête approfondie et complète sur les allégations de torture et de mauvais traitements, d’engager une procédure pénale contre les responsables du traitement qui a été infligé à l’auteur; d’envisager de le juger à nouveau, avec toutes les garanties prévues dans le Pacte, ou de le libérer, et de lui accorder une réparation appropriée, notamment sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent plus.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle, partiellement dissidente,de M. Rafael Rivas Posada

Au paragraphe 8 de sa décision concernant la communication no 1503/2006, le Comité des droits de l’homme a conclu à une violation directe par l’État partie de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en raison de la violation des garanties d’une procédure équitable consacrées à l’article 14 du Pacte. Dans le cas d’espèce, la condamnation à mort a été prononcée à l’issue d’un procès tenu en violation de l’article 14 mais elle n’a pas été exécutée et a été commuée en une autre peine lorsque l’État partie a aboli la peine de mort en 2007. Il n’y a pas eu à mon sens de violation directe de l’article 6 puisque la victime n’a pas été privée de la vie, et il ne me semble pas correct d’élargir la portée dudit article pour conclure, comme le fait le Comité, que de la violation directe de l’article 14 découle la violation directe de l’article 6. En conséquence, j’estime que la phrase du paragraphe 8 de la décision où le Comité constate que l’État partie a violé l’article 6, interprété conjointement avec l’article 14, devrait être reformulée de façon qu’elle se lise comme suit: «constate que l’État partie a violé l’article 14, lu conjointement avec l’article 6».

Hormis cette phrase, je souscris aux autres constatations de violation du Pacte adoptées par le Comité.

(Signé) Rafael Rivas Posada

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]