Nations Unies

CAT/C/ETH/CO/2

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 juin 2023

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le deuxième rapport périodique de l’Éthiopie *

1.Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport périodique de l’Éthiopie à ses 1997e et 2000e séances, les 3 et 4 mai 2023, et a adopté les présentes observations finales à sa 2008e séance, le 10 mai 2023.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique de l’État partie mais regrette qu’il ait été soumis avec six ans de retard. Le Comité sait gré également à l’État partie de ses réponses écrites à la liste de points.

3.Le Comité se félicite d’avoir pu engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les réponses apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport périodique.

B.Aspects positifs

4.Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), le 3 juin 2020 ;

b)Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo), le 18 juillet 2018 ;

c)Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le 14 mai 2014 ;

d)Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le 25 mars 2014 ;

e)Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, le 22 juin 2012.

5.En outre, le Comité accueille avec satisfaction les mesures que l’État partie a prises pour réviser sa législation ou légiférer dans des domaines intéressant la Convention, notamment l’adoption des textes suivants :

a)La loi no 1233/2021 du 20 mai 2021 sur l’administration judiciaire fédérale, qui vise à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire ;

b)La loi no 1234/2021 du 26 avril 2021 sur les tribunaux fédéraux, qui définit, entre autres, un cadre institutionnel permettant d’engager des poursuites en cas de violation des droits de l’homme ;

c)La loi no 1238/2021 du 5 avril 2021 sur les médias, qui vise à mieux protéger les professionnels des médias contre la détention arbitraire ;

d)La loi no 1178/2020 du 1er avril 2020 sur la prévention et l’élimination de la traite et du trafic d’êtres humains ;

e)La loi no 1174/2019 du 17 février 2020 sur les établissements pénitentiaires fédéraux, qui prévoit des mesures de contrôle visant à prévenir la torture et les mauvais traitements en détention, notamment l’interdiction de la mise à l’isolement pendant plus de quinze jours consécutifs, et autorise certains organismes nationaux et internationaux à effectuer des visites dans les établissements pénitentiaires ;

f)La loi no 1156/2019 du 5 septembre 2019 sur le travail, qui définit des conditions de travail minimales en vue de prévenir le travail forcé et l’exploitation par le travail ;

g)La loi no 1113/2019 du 5 février 2019 sur les organisations de la société civile, qui lève les restrictions financières et administratives mises en place par la loi no 621/2009 du 13 février 2009 sur les associations caritatives et les sociétés ;

h)Le Règlement administratif no 443/2018 sur le ministère public fédéral, qui exige que les procureurs respectent et fassent respecter les droits de l’homme dans l’exercice de leurs fonctions ;

i)La loi no 699/2010 du 11 février 2011 sur la protection des témoins et des dénonciateurs d’infractions pénales.

6.Le Comité salue les mesures que l’État partie a prises pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et d’appliquer la Convention, en particulier :

a)L’adoption, en 2023, d’un document intitulé « Policy options for transitional justice » (Possibilités d’action en faveur de la justice transitionnelle) et la création du Groupe de travail d’experts sur la justice transitionnelle ;

b)La signature, le 2 novembre 2022, par le Gouvernement fédéral et le Front populaire de libération du Tigré d’un accord de cessation permanente des hostilités visant à mettre fin à plus de deux ans de conflit armé dans les régions du Tigré, d’Afar et d’Amhara ;

c)La création, en 2021, de l’équipe spéciale interministérielle chargée de superviser l’application des recommandations figurant dans le rapport de la Commission éthiopienne des droits de l’homme et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) concernant l’enquête conjointe sur les violations du droit international des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit international des réfugiés qui auraient été commises par toutes les parties au conflit dans la région du Tigré, en République fédérale démocratique d’Éthiopie ;

d)L’adoption, en 2021, de la stratégie nationale de prévention et de répression de la traite et du trafic d’êtres humains (2021-2025) et la mise en place de la Coalition nationale et du Conseil national au niveau fédéral, ainsi que d’équipes spéciales au niveau régional, pour mettre en œuvre cette stratégie ;

e)La création, en 2018, du Conseil consultatif pour la justice et les affaires juridiques, chargé de conseiller le Bureau du Procureur général au sujet des réformes juridiques et administratives dans le secteur de la justice ;

f)L’adoption, en 2017, de la Politique nationale de l’enfance, qui vise notamment à prévenir et à combattre la maltraitance, l’exploitation et la traite d’enfants ;

g)La mise en place, en 2016, du mécanisme national de mise en œuvre, de contrôle, d’établissement de rapports et de suivi, qui est chargé de coordonner et d’appuyer l’application effective des instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels l’Éthiopie est partie ;

h)L’adoption, en 2016, du Plan d’action national pour les droits de l’homme (2016-2020) et la création d’un Conseil national de coordination de haut niveau chargé d’en contrôler la mise en œuvre ;

i)L’élaboration par le Bureau du Procureur général, en 2016, d’un manuel relatif aux poursuites qui fournit des orientations sur la protection des suspects et des détenus, notamment contre la torture et les mauvais traitements, au cours de l’enquête et des poursuites pénales ;

j)L’adoption, en 2012, de la directive révisée no 2/2012 de la Cour suprême fédérale relative à la fixation de la peine, qui impose aux juges de relever le seuil inférieur des peines lorsqu’ils se prononcent sur des infractions de violence fondée sur le genre et de violence sexuelle visées par le Code pénal ;

k)L’adoption, en 2011, de la Politique de justice pénale, qui prévoit que dans toute procédure pénale, les preuves doivent être recueillies selon les modalités prévues par la loi ;

l)La création, au sein de la Haute Cour fédérale, d’une section des droits fondamentaux, et dans les tribunaux fédéraux et régionaux, de sections chargées d’examiner les affaires concernant la traite des personnes, la violence à l’égard des femmes et les enfants en conflit avec la loi.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

7.Dans ses précédentes observations finales, le Comité a demandé à l’État partie de lui fournir des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations concernant les garanties juridiques fondamentales, les viols et autres formes de violence sexuelle commis dans le contexte du conflit armé et les aveux obtenus par la contrainte. Malgré le rappel envoyé le 1er décembre 2011 par le Rapporteur chargé du suivi des observations finales, le Comité n’a reçu aucune réponse de l’État partie. Au vu des renseignements figurant dans le deuxième rapport périodique de l’État partie et des informations supplémentaires fournies par la délégation lors du dialogue, le Comité considère que les recommandations formulées aux paragraphes 12, 16 et 31 des précédentes observations finales n’ont pas été appliquées. Ces questions sont traitées aux paragraphes 13, 17 et 47 des présentes observations finales.

Définition et incrimination de la torture

8.Le Comité note qu’une équipe d’experts a réalisé une étude diagnostique complète pour recenser les lacunes de la législation de l’État partie, mais il constate avec préoccupation que la torture n’a pas encore été intégrée dans la législation nationale en tant qu’infraction distincte, assortie d’une définition conforme à celle figurant à l’article premier de la Convention, et que, nonobstant les dispositions de l’article 9 (par. 4) de la Constitution, selon lesquelles la Convention fait partie intégrante du droit interne éthiopien, les actes de torture visés par l’article 424 du Code pénal ne sont punissables qu’au titre de l’infraction d’« utilisation de méthodes inappropriées ». En outre, le Comité constate avec inquiétude que la législation de l’État partie ne comporte aucune disposition claire garantissant que l’interdiction de la torture est absolue et non susceptible de dérogation, et qu’une personne reconnue coupable d’actes de torture sous le chef d’ « utilisation de méthodes inappropriées » ne peut être punie que d’une amende, peine qui n’est pas à la mesure de la gravité de l’infraction commise (art. 1er, 2 et 4).

9. L’État partie devrait  :

a) Modifier l’article 424 du Code pénal pour rendre la définition de la torture entièrement conforme aux dispositions de l’article premier de la Convention et faire en sorte que les peines sanctionnant la torture soient à la mesure de la gravité de cette infraction, conformément à l’article 4 (par. 2) de la Convention. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o 2 (2007), dans laquelle il a déclaré qu’en établissant et en définissant l’infraction de torture conformément aux dispositions de la Convention, en tant qu’infraction distincte, les États parties contribueraient directement à la réalisation de l’objectif primordial de la Convention, qui était de prévenir la torture, notamment en sensibilisant chacun, y compris les auteurs, les victimes et le public, à la gravité particulière de l’infraction de torture et en renforçant l’effet dissuasif de l’interdiction elle-même.

b) Veiller à ce que le principe de l’interdiction absolue de la torture soit incorporé dans sa législation et soit strictement respecté, conformément à l’article 2 (par. 2) de la Convention, qui dispose qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture, et à ce que conformément à l’article 2 (par. 3) de la Convention, l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité ne puisse en aucun cas être invoqué pour justifier la torture.

Prescription et amnistie

10.Le Comité est préoccupé par le fait que l’infraction de torture peut être soumise à la prescription et faire l’objet d’une amnistie lorsqu’elle n’est pas qualifiée de crime contre l’humanité en application de l’article 28 de la Constitution.

11. L’État partie devrait veiller à ce que l’infraction de torture ne soit pas soumise à la prescription ni susceptible d’amnistie, même dans les cas où elle n’est pas qualifiée de crime contre l’humanité, afin d’écarter tout risque d’impunité et de garantir que les actes de torture donnent lieu à une enquête et que leurs auteurs sont poursuivis et punis.

Garanties juridiques fondamentales

12.Le Comité prend note des dispositions constitutionnelles et législatives existantes encadrant la garde à vue, mais il est préoccupé par les informations concordantes indiquant que, dans la pratique, les personnes détenues, en particulier celles qui sont arrêtées pour des infractions liées au terrorisme ou en période d’état d’urgence, notamment dans le contexte du conflit dans les régions du Tigré, d’Afar, d’Amhara et d’Oromiya, ne bénéficient pas systématiquement de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté. À cet égard, il a été signalé que : a) le droit des personnes en garde à vue d’être informées des raisons de leur arrestation et de la nature des accusations portées contre elles ainsi que leur droit de garder le silence ne sont pas toujours respectés ; b) l’accès aux services d’un avocat n’est pas garanti dans la pratique, en particulier pendant la durée de l’enquête ; c) la réalisation en temps utile, par un médecin indépendant, d’un examen visant à déceler des signes de torture et de mauvais traitements ne constitue pas une pratique courante ; d) l’exercice du droit de prévenir un proche ou une personne de son choix est souvent retardé et parfois refusé ; e) les registres des personnes privées de liberté et les données qu’ils contiennent ne sont pas utilisés de manière systématique et cohérente à tous les stades de la détention ; f) les personnes arrêtées sont souvent présentées à l’autorité compétente bien au-delà du délai légal de quarante-huit heures fixé par le droit éthiopien, ce qui les expose à un risque accru de torture ou de mauvais traitements. À ce propos, le Comité note avec préoccupation que, conformément à l’article19 (par.3) de la Constitution et à l’article29 (par.1) du Code de procédure pénale, la période maximale de quarante-huit heures pendant laquelle toute personne arrêtée ou détenue du chef d’une infraction pénale doit être présentée à un juge «ne comprend pas le temps que peut durer raisonnablement le transfert au tribunal», et que, conformément à l’article59 (par.3) du Code de procédure pénale, la détention provisoire peut être prolongée à plusieurs reprises pour des périodes de quatorze jours. Il est également préoccupé par les informations concernant l’insuffisance et l’inadéquation des services d’aide juridictionnelle, malgré l’adoption de la loi no943/2016 du 2mai 2016 portant création du Bureau du Procureur général de la République, qui prévoit des services juridiques gratuits pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes. Ilest en outre préoccupé par les informations concernant le non-respect fréquent par les fonctionnaires de police des ordonnances judiciaires de libération sous caution (art.2, 11 et 16).

13. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que toute personne détenue bénéficie, en droit et dans la pratique, et ce dès le début de sa privation de liberté, de toutes les garanties juridiques fondamentales, notamment des droits suivants  :

i) Être informée immédiatement, dans une langue qu’elle comprend, de la raison de son arrestation, de la nature de toute accusation portée contre elle et de ses droits  ;

ii) Être assistée par un avocat indépendant de son choix, y compris pendant la phase d’enquête, et avoir accès, si nécessaire, à une aide juridictionnelle qualifiée, indépendante et gratuite  ;

iii) Demander et obtenir d’être examinée gratuitement par un médecin indépendant ou par le médecin de son choix, en plus de tout examen médical qui pourrait être réalisé à la demande des autorités. Les examens médicaux devraient être pratiqués hors de portée de voix et hors de la vue des policiers et du personnel pénitentiaire, à moins que le médecin concerné ne demande expressément qu’il en soit autrement, conformément au principe du secret médical  ;

iv) Informer un membre de sa famille, ou toute autre personne de son choix, de sa détention  ;

v) Voir sa détention enregistrée  ;

vi) Pouvoir contester la légalité de sa détention à n’importe quel stade de la procédure  ;

b) Modifier l’article 19 (par. 3) de sa Constitution et l’article 29 (par. 1) du Code de procédure pénale afin de garantir que toute personne arrêtée ou détenue du chef d’une infraction pénale soit présentée devant un juge dans un délai de quarante ‑ huit heures  ;

c) Modifier l’article 59 (par. 3) de son Code de procédure pénale afin d’empêcher la détention provisoire prolongée  ;

d) Garantir le strict respect des ordonnances judiciaires de libération sous c aution  ;

e) Faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur le nombre de plaintes reçues concernant le non-respect des garanties juridiques fondamentales et sur la suite donnée à ces plaintes, notamment sur les mesures disciplinaires prises à l’égard des fonctionnaires qui ne respectent pas ces garanties.

Allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis dans le contexte du conflit armé

14.Le Comité se félicite de la signature, le 2 novembre 2022, par le Gouvernement fédéral et le Front populaire de libération du Tigré d’un accord de cessation permanente des hostilités, mais il est profondément préoccupé par les allégations de violations massives du droit international relatif aux droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit international des réfugiés commises à l’encontre de civils soupçonnés d’être membres ou sympathisants des groupes d’insurgés et membres de l’opposition politique, en particulier les Tigréens, ainsi que les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes dissidents et les manifestants, notamment dans les régions du Tigré, d’Amhara et d’Afar. Il est vivement préoccupé par les informations faisant état d’exécutions sommaires, d’attaques délibérées, parfois à motivation ethnique, contre les populations civiles, de disparitions forcées, de tortures et de mauvais traitements, de détentions arbitraires et prolongées sans inculpation ni procédure judiciaire, de détentions au secret dans des lieux non officiels ou des centres militaires, du recrutement et de l’utilisation d’enfants dans les hostilités, de violences sexuelles et fondées sur le genre liées au conflit, de la traite de personnes, d’un refus d’accès à l’aide humanitaire et de la destruction de biens civils par les forces de sécurité fédérales et locales, les Forces éthiopiennes de défense nationale, les Forces de défense érythréennes, les forces spéciales et les milices du Tigré, les forces spéciales et les milices de l’Amhara et d’autres groupes alliés. Tout en prenant note des premières mesures prises dans le cadre des travaux de l’équipe spéciale interministérielle créée en novembre 2021, le Comité relève qu’un certain nombre de ces violations peuvent constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Il déplore l’insuffisance des enquêtes et des procédures visant à identifier et à poursuivre les auteurs, y compris les supérieurs hiérarchiques et les fonctionnaires qui avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance de ces actes mais n’ont pas pris les mesures appropriées pour les empêcher (art. 2, 12 et 16).

15. L’État partie devrait  :

a) Prendre les mesures appropriées pour assurer la sûreté et la sécurité des populations touchées par le conflit et pour prévenir toute violation de leurs droits humains par les parties au conflit, notamment en garantissant un accès total et inconditionnel à l’aide humanitaire dans toutes les zones touchées par le conflit  ;

b) Mener sans délai des enquêtes impartiales et efficaces sur les allégations de violations du droit international des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit international des réfugiés commises par des acteurs étatiques et non étatiques dans le contexte du conflit qui sévit dans la région du Tigré et les zones environnantes, afin d’identifier, de poursuivre et de sanctionner les responsables, y compris les supérieurs hiérarchiques et les fonctionnaires qui avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance de ces actes mais n’ont pas pris les mesures appropriées pour les empêcher, et veiller à ce que les victimes aient accès à des recours utiles et puissent obtenir pleinement réparation  ;

c) Veiller en particulier à ce que toutes les personnes soupçonnées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ou de complicité dans de tels actes, soient rapidement traduites en justice, y compris celles qui occupent des postes élevés dans les forces armées, comme les supérieurs hiérarchiques et les fonctionnaires qui avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance de ces actes mais n’ont pas pris les mesures appropriées pour les empêcher  ;

d) Coopérer pleinement avec la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie établie par le Conseil des droits de l’homme et continuer à coopérer avec le HCDH et d’autres acteurs internationaux et régionaux, ainsi qu’avec la Commission éthiopienne des droits de l’homme et les organisations de la société civile, afin de lutter contre l’impunité  ;

e) Envisager d’adhérer au Statut de Rome de la Cour pénale internationale ou, au minimum, d’accepter la compétence de la Cour en faisant la déclaration prévue à l’article 12 (par. 3) du Statut de Rome.

Violences sexuelles liées au conflit

16.Le Comité demeure alarmé par les allégations de recours généralisé à la violence sexuelle et fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles, notamment au viol, au viol collectif et à l’esclavage sexuel, comme méthode de guerre par toutes les parties au conflit armé dans les régions du Tigré, de l’Amhara et de l’Afar. Il prend note des premières mesures prises en vue de fournir un soutien aux victimes et d’amener les auteurs de tels actes à rendre des comptes, notamment grâce aux travaux de la Commission des enquêtes et des poursuites et du Comité sur la violence sexuelle et fondée sur le genre, mais il s’inquiète du fait que les victimes n’ont pas suffisamment accès à la justice, et que le manque d’indépendance des tribunaux civils et militaires compétents pour connaître des affaires de violences sexuelles liées au conflit armé crée un climat d’impunité généralisé. Il déplore que, de ce fait, très peu de victimes aient accès à des recours utiles, à des réparations ou à des services de réadaptation et de réintégration (art. 2, 12 à 14 et 16).

17. L’État partie devrait accélérer l’application des recommandations formulées à ce sujet dans le rapport d’enquête conjoint de la Commission éthiopienne des droits de l’homme et du HCDH (2021). Il devrait en particulier  :

a) Faire en sorte que tous les actes de violence sexuelle et fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles commis dans le cadre du conflit armé dans le nord du pays donnent rapidement lieu à une enquête efficace et que leurs auteurs, y compris les instigateurs et les complices, soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées  ;

b) Évaluer les besoins des victimes d’actes de violence sexuelle et fondée sur le genre et garantir à ces personnes un accès effectif à des voies de recours, notamment une indemnisation adéquate et des services médicaux et psychologiques spécialisés de réadaptation  ;

c) Accroître le nombre de juges spécialisés dans la violence sexuelle et fondée sur le genre dans les zones touchées par le conflit, améliorer leur formation et renforcer leurs capacités  ;

d) Faciliter l’accès des victimes à la justice, y compris dans les zones reculées, en éduquant le public, en protégeant les témoins et en créant, si nécessaire, des tribunaux itinérants.

Justice transitionnelle

18.Le Comité prend note avec satisfaction des mesures prises pour jeter les bases de la justice transitionnelle, notamment de la création, en 2023, du Groupe de travail d’experts sur la justice transitionnelle et des consultations publiques en cours sur le document intitulé « Policy options for transitional justice » (Possibilités d’action en faveur de la justice transitionnelle). Il souligne qu’il importe de mener ces consultations de la manière la plus inclusive possible, afin de susciter une large adhésion au processus de justice transitionnelle. Il s’inquiète néanmoins de la lenteur des progrès accomplis pour ce qui est d’amener les auteurs de graves violations des droits de l’homme commises dans le cadre du conflit armé, notamment des tortures et des mauvais traitements, à rendre des comptes. Il est particulièrement préoccupé par l’absence d’informations publiques sur l’état d’avancement des enquêtes et par le faible nombre de déclarations de culpabilité. Il est également préoccupé par l’absence d’un mécanisme global chargé d’accorder réparation aux victimes de violations des droits de l’homme, qui permettrait de garantir que toutes les victimes reçoivent une indemnisation adéquate et bénéficient de services de réadaptation et d’autres mesures, selon leurs besoins (art. 2, 12 à 14 et 16).

19. L’État partie devrait  :

a) Faire en sorte que les populations touchées par le conflit, en particulier les victimes, les membres de leur famille, les femmes et les filles, les membres des groupes ethniques minoritaires, les réfugiés et les demandeurs d’asile, les personnes déplacées à l’intérieur du pays, d’autres groupes de la société civile et les membres de la diaspora, participent véritablement à la conception et à la mise en œuvre du processus de justice transitionnelle envisagé. Le Comité souligne que les mécanismes de justice transitionnelle ne dispensent pas de l’obligation de mener des enquêtes et de poursuivre les responsables d’actes de torture ou d’autres crimes internationaux, et que les mécanismes finalement adoptés par l’État partie doivent comporter des dispositions garantissant le respect de ces obligations  ;

b) Redoubler d’efforts pour traduire les responsables en justice, en veillant à ce que les procès se déroulent de manière transparente et équitable, conformément aux normes internationales, et diffuser largement auprès de la population des informations sur les progrès réalisés en la matière  ;

c) Envisager d’accroître la participation internationale aux enquêtes, aux poursuites et aux procès concernant les violations présumées du droit international des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit international des réfugiés, sachant que celle-ci peut grandement contribuer à susciter la confiance dans la crédibilité, l’objectivité et l’impartialité des procédures judiciaires, y compris parmi les groupes de population qui ont été victimes de la violence récente et de l’impunité passée  ;

d) Protéger efficacement les victimes, les témoins et leur famille, ainsi que toutes les autres personnes qui participent aux procédures pénales, et empêcher leur revictimisation  ;

e) Mettre en place un mécanisme global de réparation afin que toutes les victimes et les membres de leur famille aient accès à un recours utile, soient adéquatement indemnisés et bénéficient de mesures appropriées de restitution et de réadaptation, compte tenu des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire et conformément à l’observation générale n o 3 (2012) du Comité.

État d’urgence

20.Le Comité est préoccupé par le fait que la loi no 05/2021 instaurant l’état d’urgence pour la période du 2 novembre 2021 au 15 février 2022, dans le contexte du conflit dans le nord du pays, contenait des dispositions d’une portée excessivement large permettant de procéder à l’arrestation et à la détention massives de personnes qui auraient soutenu des groupes d’opposition interdits, en particulier des Tigréens vivant en dehors du Tigré (art. 2).

21. L’État partie devrait veiller à ce que les restrictions liées à l’état d’urgence soient exprimées en termes clairs et précis afin de garantir le respect des principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité, ainsi que des droits non susceptibles de dérogation, notamment des droits à une procédure régulière et à un procès équitable et de l’interdiction de la torture. Il devrait s’abstenir de supprimer globalement les garanties juridiques et le contrôle judiciaire, en particulier le contrôle de la légalité de l’arrestation et de la détention.

Commission éthiopienne des droits de l’homme

22.Le Comité prend note de l’adoption de la loi no 1224/2020 du 18 août 2020 visant à renforcer l’efficacité et l’indépendance de la Commission éthiopienne des droits de l’homme. Il note également qu’en 2021, la Commission s’est vue accorder le statut « A » par l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme. Toutefois, le Comité s’inquiète de ce que les ressources allouées à la Commission soient insuffisantes pour lui permettre de s’acquitter pleinement de toutes ses fonctions, notamment pour ce qui est d’effectuer des visites dans les lieux de détention et de recevoir et traiter les plaintes relatives à des violations présumées des droits de l’homme. En outre, il regrette l’absence d’informations concernant la capacité de la Commission de mener des visites régulières et inopinées dans tous les lieux de privation de liberté. Enfin, il est préoccupé par l’absence d’informations sur les mesures concrètes prises par l’État partie pour garantir un contrôle, une application et un suivi efficaces des recommandations de la Commission (art. 2 (par. 1)).

23. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir l’indépendance de la Commission dans l’exercice de ses fonctions, en la dotant d’un budget suffisant qui lui permette de s’acquitter efficacement de son mandat en toute indépendance, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris). Il devrait également faire en sorte que la Commission puisse effectuer des visites inopinées et régulières dans tous les lieux de privation de liberté du pays. En outre, il devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’application effective des recommandations de la Commission et, en particulier, donner suite aux plaintes pour torture déposées auprès de la Commission, enquêter efficacement sur les faits dénoncés, en poursuivre les auteurs et veiller à ce que les victimes obtiennent réparation.

Violence fondée sur le genre

24.Le Comité prend note de l’ensemble des mesures mises en œuvre dans le cadre de la stratégie et du plan d’action nationaux visant à prévenir et à combattre la violence à l’égard des femmes et des enfants (2021-2026), adoptés récemment, mais il s’inquiète de l’ampleur considérable de la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles, y compris au sein du foyer et dans les lieux de détention. Le Comité est également préoccupé par :

a)L’absence de loi globale sur la violence fondée sur le genre et le fait que le viol conjugal n’est toujours pas érigé en infraction pénale ;

b)Le faible nombre de poursuites et de condamnations pour violence fondée sur le genre, la clémence des sanctions imposées et le manque de compétences en la matière au sein de l’appareil judiciaire ;

c)L’absence de réparation adéquate pour les victimes et l’insuffisance des ressources allouées aux programmes d’aide aux victimes ;

d)L’absence de données statistiques ventilées et à jour sur toutes les formes de violence fondée sur le genre et de renseignements sur les décisions rendues, y compris les poursuites engagées, les déclarations de culpabilité et les peines prononcées, et les mesures de réparation accordées aux victimes (art. 2 et 16).

25. L’État partie devrait  :

a) Adopter une loi complète sur la violence fondée sur le genre, prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, ériger le viol conjugal en infraction et envisager de lever sa réserve au Protocole de Maputo concernant l’incrimination du viol conjugal  ;

b) Faire en sorte que tous les cas de violence fondée sur le genre, en particulier ceux qui sont liés à des actes ou des omissions de la part des pouvoirs publics ou d’autres entités qui engagent la responsabilité internationale de l’État partie au regard de la Convention, donnent lieu à une enquête approfondie, que les auteurs présumés soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et que les victimes obtiennent réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate  ;

c) Veiller à ce que le personnel judiciaire, les procureurs, les policiers et les autres responsables de l’application des lois reçoivent une formation adéquate sur les droits des femmes et sur les procédures d’enquête et d’interrogatoire tenant compte des questions de genre dans les cas de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre  ;

d) Renforcer son système judiciaire pour que les femmes aient un accès effectif à la justice, et faciliter cet accès en augmentant le nombre de tribunaux spécialisés dans les affaires de violence domestique et familiale ainsi que le nombre de juges ayant des connaissances spécialisées dans ce domaine  ;

e) Tenir à jour des données statistiques, ventilées par âge et origine ethnique ou nationalité des victimes, concernant les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les déclarations de culpabilité et les peines auxquelles ont donné lieu des actes de violence fondée sur le genre ainsi que le nombre de femmes ayant obtenu réparation.

Pratiques traditionnelles préjudiciables

26.Le Comité prend note des mesures que l’État partie a prises pour éliminer le mariage d’enfants, de l’adoption de la feuille de route nationale chiffrée visant à mettre fin au mariage d’enfants et aux mutilations génitales féminines ou à l’excision d’ici à 2025, et de l’adoption, en 2013, de la stratégie et du plan d’action nationaux sur les pratiques traditionnelles préjudiciables aux femmes et aux enfants. Il constate toutefois avec préoccupation que les pratiques traditionnelles préjudiciables, notamment les mutilations génitales féminines et le mariage d’enfants, restent répandues, en particulier dans les zones rurales et au sein de certaines communautés. Il est également préoccupé par l’absence de données précises sur les cas de pratiques traditionnelles préjudiciables, par le signalement insuffisant de ces cas, par le taux relativement faible de poursuites et par l’impunité persistante des auteurs (art.2 et 16).

27. L’État partie devrait veiller à la mise en œuvre effective de la stratégie et du plan d’action nationaux sur les pratiques traditionnelles préjudiciables aux femmes et aux enfants, ainsi que de la feuille de route nationale chiffrée visant à mettre fin au mariage d’enfants et aux mutilations génitales féminines ou à l’excision d’ici à 2025, notamment au moyen de mesures ciblées visant à lutter contre les comportements discriminatoires dans les communautés , y compris parmi les acteurs du système de justice coutumière. Il devrait également faire en sorte que les peines prévues dans le Code pénal pour les mutilations génitales féminines (art. 561, 562, 567, 569 et 570) soient dûment appliquées et que les personnes, y compris les médecins, qui se livrent à de telles pratiques soient poursuivies et dûment sanctionnées. Il devrait prendre des mesures pour éliminer les mutilations génitales féminines, notamment au moyen de la coopération transfrontières et d’un renforcement des activités de sensibilisation des chefs religieux et traditionnels et du grand public, en coopération avec la société civile, au sujet du caractère criminel de ces actes, de leurs effets néfastes sur les droits humains et la santé des femmes, et de la nécessité d’éliminer cette pratique et les justifications culturelles qui s’y rapportent.

Réfugiés et demandeurs d’asile

28.Le Comité prend note de la politique généreuse de l’État partie, qui accueille un grand nombre de ressortissants, notamment érythréens, somaliens et soudanais, et leur accorde des permis de séjour, ainsi que de l’adoption de la loi no 1110/2019 du 17 janvier 2019 sur les réfugiés, qui permet à ceux-ci d’obtenir un permis de travail, d’accéder à l’enseignement primaire et de faire enregistrer les faits d’état civil. Il s’inquiète toutefois des graves répercussions du conflit armé sur la situation de ces personnes, en particulier celles qui ont dû quitter des camps de réfugiés de la région du Tigré sans bénéficier de mesures de protection ou d’un soutien appropriés. Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de violences ciblées commises par les parties au conflit armé contre les réfugiés érythréens, notamment de violences sexuelles et fondées sur le genre à l’égard des femmes et des filles, qui ont entraîné des décès, des déplacements et des cas de traite, de disparition et de refoulement. Il constate en outre avec préoccupation que l’État partie n’a pas présenté d’informations complètes sur les demandes d’asile reçues et acceptées ou sur les cas dans lesquels il a été procédé à un renvoi, une extradition ou une expulsion pendant la période considérée, ainsi que sur les garanties dont ont bénéficié les personnes concernées et l’appréciation du risque qu’elles couraient (art. 2, 3 et 16).

29. L’État partie devrait  :

a) Garantir la sûreté et la sécurité des réfugiés et des demandeurs d’asile touchés par le conflit armé, en particulier de ceux qui sont déplacés, pour prévenir efficacement toutes violations de leurs droits humains par les parties au conflit et y remédier, et pour faire en sorte que ces personnes aient un accès suffisant aux services essentiels  ;

b) Enquêter efficacement sur les cas de violence, notamment de violence sexuelle et fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles réfugiées, de traite, de disparition et de refoulement, en particulier ceux concernant des ressortissants érythréens, et traduire les auteurs de ces actes en justice  ;

c) Veiller à ce que, dans la pratique, aucune personne ne puisse être expulsée, refoulée ou extradée vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture  ;

d) Garantir à tous les demandeurs d’asile l’accès aux procédures de détermination du statut de réfugié et un traitement rapide et équitable de leur demande  ;

e) Veiller à ce que des garanties procédurales contre le refoulement soient en place et à ce que des recours utiles soient disponibles dans le cadre de toute procédure de renvoi, notamment à ce que les décisions de rejet des demandes de non-refoulement soient soumises à l’examen d’un organe judiciaire indépendant, en particulier en appel  ;

f) Veiller à la mise en place de mécanismes efficaces permettant de repérer rapidement les victimes de torture, de traite et de violence sexuelle et fondée sur le genre parmi les demandeurs d’asile.

Lieux de détention non officiels

30.Le Comité prend note de l’interdiction en droit interne de la détention dans des lieux non prévus à cet effet, ainsi que de l’affirmation de l’État partie selon laquelle tous les lieux de détention secrets ont été fermés. Toutefois, il a reçu des informations de sources crédibles concernant des cas de détention illégale et de détention au secret dans des lieux inconnus, en particulier dans le contexte du conflit armé (art. 2, 11 et 16).

31. L’État partie devrait veiller, à titre de priorité, à ce que la législation nationale soit effectivement appliquée dans l’ensemble du pays et fermer immédiatement tous les lieux de détention non officiels. En outre, il devrait fournir au Comité, lors de la présentation de son prochain rapport périodique, une liste complète de tous ses lieux de détention.

Détention provisoire

32.Le Comité prend note des mesures prises pour remédier au recours excessif à la détention provisoire prolongée et au surpeuplement chronique des lieux de détention, notamment de l’adoption, en 2010, du modèle de justice pénale basé sur le traitement en temps réel, mais il reste préoccupé par le nombre élevé de détenus en attente de jugement et par le fait que ceux-ci sont souvent maintenus en détention pour de longues périodes. En outre, il s’inquiète du fait que la législation nationale ne fixe pas de limite claire pour la durée de la détention provisoire et que les conditions de libération sous caution restent trop prohibitives pour avoir un effet concret (art. 2, 11 et 16).

33. L’État partie devrait  :

a) Réviser sa législation nationale afin de fixer clairement la durée maximale de la détention provisoire  ;

b) Veiller à ce que la réglementation relative à la détention provisoire soit scrupuleusement respectée et à ce que ce type de détention ne soit imposé qu’à titre exceptionnel, pour des périodes limitées et dans le respect de la loi, eu égard aux principes de nécessité et de proportionnalité  ;

c) Intensifier ses efforts pour réduire sensiblement la surpopulation carcérale en renforçant les capacités judiciaires dans le but de réduire l’arriéré d’affaires et en ayant davantage recours à des mesures de substitution à la détention, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo)  ;

d) Veiller au contrôle systématique de la légalité de la détention provisoire par le ministère public.

Conditions de détention

34.Le Comité prend acte des mesures que l’État partie a prises pour améliorer les conditions dans les lieux de détention, notamment de la fermeture de plusieurs établissements ne répondant pas aux normes, de la construction d’établissements supplémentaires et de la hausse du budget consacré à la fourniture de services essentiels, mais il reste préoccupé par les informations concernant le surpeuplement de certaines prisons, en particulier à la suite du conflit armé, et les mauvaises conditions matérielles de détention dans les lieux de privation de liberté, en particulier l’insalubrité et le manque d’hygiène, l’absence de ventilation, la qualité médiocre de la nourriture et de l’eau, fournies en quantités insuffisantes, ainsi que le manque d’activités récréatives ou éducatives favorisant la réinsertion. En outre, l’accès limité à des soins de santé de qualité, y compris en matière de santé mentale, en particulier pour les femmes enceintes et les femmes détenues avec leurs enfants, et le manque de personnel pénitentiaire formé et qualifié, y compris de personnel médical, continuent de poser de graves problèmes dans le système pénitentiaire. Le Comité est également préoccupé par les informations concernant l’ampleur de la violence carcérale, notamment des violences infligées aux détenus par les membres du personnel pénitentiaire et de la violence et des atteintes sexuelles entre détenus, et par le placement de personnes en détention provisoire avec des personnes condamnées et la détention d’enfants avec des adultes (art. 2, 11 et 16).

35. Le Comité invite l’État partie à redoubler d’efforts pour rendre les conditions de détention, notamment pour ce qui est de l’accès à la nourriture, à l’eau propre, à l’hygiène et aux soins de santé, conformes à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). L’État partie devrait aussi  :

a) Décongestionner les prisons, en particulier en ayant davantage recours à des mesures de substitution non privatives de liberté, et poursuivre la mise en œuvre des projets de développement des infrastructures pénitentiaires et d’amélioration des conditions de détention  ;

b) Allouer les ressources nécessaires à une bonne prise en charge médicale et sanitaire des détenus, y compris en matière de santé mentale, en particulier pour les femmes enceintes et les femmes détenues avec leurs enfants, conformément aux règles 24 à 35 des Règles Nelson Mandela  ;

c) Augmenter le nombre d’agents pénitentiaires formés et qualifiés, notamment le personnel de santé, et renforcer la surveillance et la gestion de la violence entre détenus, y compris la violence sexuelle  ;

d) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées rapidement sur toutes les allégations relatives à des actes de torture ou à des mauvais traitements infligés par des membres du personnel pénitentiaire et faire en sorte que les auteurs présumés soient poursuivis et dûment sanctionnés  ;

e) Garantir une séparation stricte entre les mineurs et les adultes, et entre les personnes en détention provisoire et les personnes condamnées, dans tous les lieux de détention.

Décès en détention

36.Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de décès, y compris de morts violentes, qui surviennent dans les lieux de détention. Il regrette que l’État partie n’ait pas fourni de données statistiques complètes pour l’ensemble de la période considérée. Il regrette également que l’État partie n’ait pas fourni d’informations concernant l’issue des enquêtes menées, les mesures spécialement prises pour éviter d’autres décès en détention et les éventuels cas d’indemnisation de proches de personnes décédées (art. 2, 11, 12 et 16).

37. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que tous les cas de décès en détention fassent sans délai l’objet d’une enquête impartiale menée par un organisme indépendant, en tenant dûment compte du Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux, et déterminer s’il est possible que des agents de l’État ou leurs supérieurs aient une responsabilité dans ces décès, et, si tel est le cas, punir les coupables comme il convient et accorder une réparation adéquate aux familles des victimes  ;

b) Évaluer l’efficacité des programmes de prévention, de dépistage et de traitement des maladies chroniques dégénératives et des maladies infectieuses ou contagieuses dans les prisons  ;

c) Réunir des informations détaillées sur les décès dans tous les lieux de détention et sur leurs causes, ainsi que sur l’issue des enquêtes, et les communiquer au Comité.

Surveillance des lieux de détention

38.Le Comité note que l’État partie a indiqué que les établissements pénitentiaires et autres lieux de privation de liberté faisaient régulièrement l’objet d’inspections par le ministère public, les commissions parlementaires et la Commission éthiopienne des droits de l’homme, mais il est préoccupé par les informations selon lesquelles la Commission s’est parfois heurtée à des restrictions injustifiées au cours de ses visites. En outre, il est préoccupé par l’absence d’informations sur les éventuelles visites inopinées des lieux de privation de liberté effectuées par des mécanismes indépendants et sur les mesures prises pour garantir l’application effective des recommandations de la Commission (art. 2, 11 et 16).

39. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que les organes de surveillance chargés de se rendre dans les lieux de privation de liberté soient en mesure d’effectuer des visites inopinées, en toute indépendance et sans entrave, dans tous les lieux de privation de liberté du pays et de s’entretenir confidentiellement avec toutes les personnes détenues  ;

b) Mettre en place un système national indépendant et efficace chargé de surveiller et d’inspecter tous les lieux de privation de liberté, et donner suite aux résultats de cette surveillance systématique  ;

c) Envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants  ;

d) Faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les lieux, les dates et la fréquence des inspections, notamment inopinées, effectuées dans les lieux de privation de liberté, et sur les conclusions et le suivi de ces visites.

Allégations de torture et impunité

40.Compte tenu des plaintes et allégations nombreuses, persistantes et cohérentes concernant des actes de torture et des mauvais traitements commis par des policiers, des gardiens de prison et d’autres membres des forces de sécurité, ainsi que des militaires, dans des commissariats de police, des centres de détention, des prisons fédérales, des bases militaires et des lieux de détention non officiels ou secrets, en particulier au stade de l’enquête, le Comité demeure profondément préoccupé par l’absence d’établissement des responsabilités, qui contribue à créer un climat d’impunité. Il regrette de ne pas avoir reçu d’informations complètes sur le nombre de cas de torture et de mauvais traitements qui ont donné lieu à des poursuites pénales, le nombre de déclarations de culpabilité prononcées et les sanctions et autres mesures disciplinaires imposées au cours de la période considérée. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles les détenus renoncent souvent à porter plainte par crainte de représailles et lorsque de telles plaintes sont déposées, aucun renseignement n’est donné sur les enquêtes menées et sur leur issue. En outre, il constate avec préoccupation qu’il n’existe toujours pas de véritable mécanisme indépendant et confidentiel, expressément chargé de recevoir les plaintes pour actes de torture ou mauvais traitements commis dans tous les lieux de privation de liberté, et que les organes d’enquête existants n’ont pas l’indépendance nécessaire car ils relèvent des mêmes autorités que les auteurs présumés (art. 2, 4, 11 à 13 et 16).

41. L’État partie devrait  :

a) Faire en sorte que toutes les plaintes dénonçant des actes de torture ou des mauvais traitements donnent rapidement lieu à une enquête impartiale menée par un organe indépendant dont les membres n’ont aucun lien administratif ou hiérarchique avec les suspects  ;

b) Faire en sorte que les autorités ouvrent d’office une enquête chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis ou que des mauvais traitements ont été infligés  ;

c) Faire en sorte que les personnes visées par des allégations de torture ou de mauvais traitements soient immédiatement suspendues de leurs fonctions pour la durée de l’enquête, en particulier lorsqu’il existe un risque de répétition de l’infraction, de représailles contre la victime présumée ou d’obstruction à l’enquête  ;

d) Faire en sorte que les auteurs présumés d’actes de torture et de mauvais traitements et les responsables hiérarchiques qui auraient ordonné ou toléré ce type d’actes soient dûment jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à une peine proportionnée à la gravité de l’infraction  ;

e) Mettre en place un mécanisme de plainte indépendant, efficace, confidentiel et accessible dans tous les lieux de détention, y compris les lieux de garde à vue et les prisons, et protéger les victimes, les témoins et les membres de leur famille de tout risque de représailles  ;

f) Compiler et diffuser des données statistiques à jour sur les plaintes déposées, les enquêtes menées, les poursuites intentées et les condamnations prononcées dans les affaires concernant des allégations de torture et de mauvais traitements, tant au niveau fédéral qu’au niveau des États.

Indépendance du pouvoir judiciaire

42.Tout en prenant note des mesures prises pour renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, comme l’adoption de la loi no 1233/2021 sur l’administration judiciaire fédérale et de la loi no 1234/2021 sur les tribunaux fédéraux, le Comité demeure préoccupé par les informations selon lesquelles le pouvoir judiciaire manquerait d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif et serait exposé à des pressions politiques, ce qui pourrait contribuer à l’impunité, notamment pour les cas de torture. À cela s’ajoutent les lacunes du système judiciaire, telles que le manque de ressources, notamment la pénurie de juges et d’avocats et l’absence de formation de base pour ces derniers, les retards dans le traitement des affaires et la non-exécution de certaines décisions de justice (art. 2, 12, 13 et 16).

43. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour  :

a) Garantir la pleine indépendance, l’impartialité et l’efficacité du pouvoir judiciaire et du ministère public dans la pratique ainsi que leur liberté d’agir sans aucune pression ni ingérence indues , notamment en veillant à l’application et l’exécution des ordonnances et décisions judiciaires, y compris par les responsables de l’application des lois  ;

b) S’assurer que les membres des autorités judiciaires ou autres reconnus responsables de corruption ou d’abus de pouvoir soient sanctionnés comme il convient  ;

c) Renforcer les effectifs et les compétences des ressources humaines du système judiciaire et mieux former les autorités judiciaires afin de rétablir la confiance des citoyens dans le système judiciaire.

Usage excessif de la force

44.Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles les forces de sécurité feraient un usage excessif de la force, notamment lors des manifestations, faisant des morts et des blessés, parmi lesquels des enfants, et se traduisant par des arrestations arbitraires, des détentions au secret, des actes de torture et mauvais traitements et des disparitions forcées. Il s’inquiète également du peu de progrès accomplis en matière d’enquêtes et de poursuites. En outre, s’il note que le Bureau du Procureur général prépare une nouvelle loi sur le recours à la force, le Comité constate néanmoins avec inquiétude que le cadre juridique de l’État partie relatif à l’usage de la force et des armes à feu par les agents de l’État n’est toujours pas conforme aux normes internationales (art. 2, 12, 13 et 16).

45. L’État partie devrait  :

a) Accélérer l’adoption du projet de loi sur le recours à la force par les agents de l’État, en veillant à ce qu’il soit conforme aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, élaborer des lignes directrices claires intégrant les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité et le principe de précaution, et former toutes les forces de sécurité à l’application de ces principes  ;

b) Veiller à ce que tous les cas de recours excessif à la force, en particulier à la force létale, donnent rapidement lieu à une enquête impartiale et efficace, que les responsables soient traduits en justice et que les victimes ou leur famille obtiennent pleinement réparation.

Aveux obtenus par la torture

46.S’il prend note des garanties énoncées à l’article 19 (par. 5) de la Constitution concernant l’irrecevabilité des preuves obtenues par la contrainte, le Comité regrette l’absence d’informations sur les décisions judiciaires dans des affaires dans lesquelles des aveux obtenus par la torture ou des mauvais traitements ont été admis comme éléments de preuve. En outre, il est préoccupé par les informations indiquant que la torture est couramment utilisée pour extorquer des aveux qui servent ensuite à démontrer la culpabilité des accusés devant les tribunaux. Le Comité est également préoccupé par les informations concordantes selon lesquelles les tribunaux n’enquêtent pas sur les plaintes de cette nature (art. 2, 15 et 16).

47. L’État partie devrait  :

a) Prendre des mesures efficaces pour que, dans la pratique, aucune confession ou déclaration obtenue par la torture ou des mauvais traitements ne puisse être admise comme élément de preuve, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite  ;

b) Garantir qu’une enquête est immédiatement ouverte lorsqu’il est allégué qu’une déclaration a été obtenue par la torture;

c) Développer des programmes de formation spécialisés destinés à donner aux juges et aux procureurs les moyens de reconnaître les signes de torture et de mauvais traitements et d’enquêter efficacement sur toute allégation concernant de tels actes  ;

d) Compiler et rendre publiques des informations sur les procédures pénales dans lesquelles les juges ont décidé, d’office ou à la demande des parties, de déclarer irrecevables des preuves obtenues par la torture, ainsi que sur les mesures prises à cet égard.

Peine de mort

48.Le Comité prend note du moratoire de facto sur la peine de mort appliqué par l’État partie, qui n’a procédé à aucune exécution depuis 2007, mais il reste préoccupé par : a) le fait que des condamnations à mort sont encore prononcées, y compris pour des infractions de moindre gravité n’impliquant pas d’homicide intentionnel, comme l’illustre la loi no 1176/2020 sur la prévention et la répression des crimes terroristes, qui prévoit la peine de mort pour des infractions du type « dommages à la propriété, aux ressources naturelles ou à l’environnement » ; b) les informations reçues indiquant que ces condamnations à mort s’accompagnent souvent d’une absence de garanties d’une procédure régulière et d’un procès équitable ; et c) les informations selon lesquelles les conditions de détention des condamnés à mort peuvent, en elles-mêmes, être constitutives de mauvais traitements (art. 2,11 et 16).

49. L’État partie devrait  :

a) Réviser sa législation, notamment la loi n o 1176/2020 sur la prévention et la répression des crimes terroristes et d’autres lois pertinentes, afin de limiter l’application de la peine de mort aux crimes les plus graves, c’est-à-dire ceux impliquant un homicide intentionnel  ;

b) Envisager de revoir sa politique en vue d’abolir la peine de mort en droit ou de prendre des mesures positives pour officialiser le moratoire sur la peine de mort, et prendre des mesures pour commuer la peine prononcée contre les personnes condamnées à mort en une peine de réclusion à perpétuité  ;

c) Faire en sorte que les conditions de détention des condamnés ne constituent pas une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en prenant des mesures immédiates pour renforcer les garanties juridiques et assurer l’accès à une aide judiciaire gratuite  ;

d) Envisager d’adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

Défenseurs des droits de l’homme et journalistes

50.S’il prend note de l’adoption de la loi no 1238/2021 du 5 avril 2021 sur les médias, qui vise à mieux protéger les professionnels des médias contre la détention arbitraire, le Comité est gravement préoccupé par les informations persistantes selon lesquelles des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes, des opposants politiques, des détracteurs du Gouvernement et des militants feraient l’objet de menaces, de harcèlement, d’intimidations, d’attaques, d’arrestations et de détentions arbitraires. Il est particulièrement préoccupé par les nombreuses informations faisant état d’arrestations de journalistes, notamment de 39 journalistes entre juin 2021 et juin 2022 à Addis-Abeba et dans les régions d’Amhara et d’Oromiya, ainsi que d’éminents journalistes critiques à l’égard du Gouvernement, au cours d’une campagne de répression des médias menée entre janvier et mai 2022. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles les autorités invoquent des dispositions pénales, notamment celles figurant dans la loi no 1176/2020 sur la prévention et la répression des crimes terroristes et dans la loi no 1185/2020 sur la prévention et la répression des discours de haine et de la désinformation, pour réprimer les opinions dissidentes et les reportages critiques, en particulier sur le conflit en cours. Le Comité regrette le faible nombre de condamnations pour les actes mentionnés ci-dessus. En outre, il est profondément préoccupé par les allégations selon lesquelles les défenseurs des droits de l’homme ayant dialogué avec lui au nom de la société civile éthiopienne lors de l’examen du deuxième rapport périodique de l’État partie ont été menacés de représailles (art. 2, 12, 13 et 16).

51. L’État partie devrait  :

a) Adopter des mesures efficaces pour protéger les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les opposants politiques, les détracteurs du Gouvernement et les militants contre les menaces, les intimidations, le harcèlement, les attaques ou les ingérences indues dans l’exercice de leur profession ou de leur droit à la liberté d’opinion et d’expression, et faire en sorte que de tels actes donnent lieu sans délai à des enquêtes indépendantes et approfondies, que les responsables soient traduits en justice et que les victimes disposent de recours utiles  ;

b) Mener sans délai des enquêtes impartiales et approfondies sur toutes les allégations d’arrestation, de détention et de poursuites illégales ou arbitraires, de torture ou de mauvais traitements, ou de violences à l’égard de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme, de détracteurs du Gouvernement et de militants, et libérer immédiatement toutes les personnes détenues pour avoir défendu leurs opinions ou manifesté pacifiquement  ;

c) Réviser la loi n o 1176/2020 sur la prévention et la répression des crimes terroristes et la loi n o 1185/2020 sur la prévention et la répression des discours de haine et de la désinformation afin de s’assurer qu’elles n’incriminent pas les activités des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes  ;

d) Veiller à ce que les membres de la société civile qui ont coopéré avec le Comité dans le cadre de son examen du deuxième rapport périodique de l’État partie soient protégés contre tout acte de représailles, d’intimidation ou de harcèlement. L’État partie devrait prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir les actes d’intimidation ou de représailles et promouvoir un environnement sûr et propice au dialogue avec l’Organisation des Nations Unies , ses représentants et ses mécanismes dans le domaine des droits de l’homme .

Violence à l’égard des enfants

52.Le Comité prend note des explications fournies par l’État partie au cours du dialogue mais regrette que l’État partie maintienne l’âge de la responsabilité pénale à 9 ans et continue de traiter les enfants de 15 à 18 ans comme des adultes. En outre, s’il accueille favorablement la promotion de formes positives de discipline au moyen de l’élaboration de programmes de sensibilisation et de formation, il constate avec préoccupation que la loi n’interdit pas expressément les châtiments corporels à la maison et dans les garderies et les institutions où les adultes exercent l’autorité parentale sur les enfants. De plus, il est préoccupé par les informations selon lesquelles, depuis novembre 2020, de plus en plus d’enfants sont victimes de violations graves et systématiques des droits humains commises par toutes les parties au conflit dans les régions du Tigré, de l’Amhara, de l’Afar et de l’Oromiya, notamment d’actes de torture et de mauvais traitements, de violences physiques et sexuelles, d’enlèvements, de séparation forcée d’avec leur famille, de recrutement comme enfants soldats et de traite à des fins de travail et d’exploitation sexuelle,. Il déplore l’absence de poursuites et de condamnations pour ces violations présumées et de services adéquats de réadaptation et de réintégration pour les victimes (art. 2, 11 à 14 et 16).

53. L’État partie devrait rendre son système de justice pour mineurs pleinement conforme à la Convention et aux autres normes internationales pertinentes. En particulier, il devrait privilégier les mesures de substitution à la détention et faire en sorte que la détention soit une mesure de dernier recours, appliquée pour une durée aussi brève que possible . L’État partie devrait aussi  :

a) Relever l’âge de la responsabilité pénale et recourir à des tribunaux spécialisés, dotés de juges spécialisés et formés pour tous les enfants, y compris ceux âgés de 15 à 18 ans  ;

b) Modifier son Code pénal et son Code de la famille en vue d’interdire le recours aux châtiments corporels dans tous les contextes, y compris à la maison et dans les centres de protection de remplacement, et continuer de sensibiliser le public à des formes positives, participatives et non violentes de discipline  ;

c) Faire en sorte que tous les cas de torture et de mauvais traitements, y compris les violences physiques et sexuelles, les enlèvements et la traite à des fins de travail et d’exploitation sexuelle des enfants, fassent l’objet sans délai d’une enquête efficace, que les auteurs soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, sanctionnés de manière appropriée, et que les victimes aient accès à des voies de recours utiles, y compris à des mesures de réadaptation et à une indemnisation, et à des moyens de protection et d’assistance . L ’ État partie devrait aussi mettre en place des mécanismes efficaces pour évaluer et déterminer l ’ étendue de ces violations  ;

d) Détecter le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats et mettre un terme à ces pratiques, veiller à ce que ces enfants soient rapidement désarmés, démobilisés, réadaptés et réinsérés, et retournent dans leur famille.

Formation

54.Le Comité prend note des efforts faits par l’État partie pour élaborer et mettre en œuvre des programmes d’éducation et de formation aux droits de l’homme à l’intention des policiers et du personnel judiciaire et pénitentiaire, mais il regrette le peu d’informations disponibles sur les activités de formation concernant les dispositions de la Convention et le contenu du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul, tel que révisé) organisées à l’intention des médecins légistes et du personnel médical s’occupant des détenus, afin de leur permettre de déceler et de constater les séquelles physiques et psychologiques de la torture. Il regrette également qu’aucun mécanisme n’ait été mis en place pour évaluer l’efficacité des programmes de formation (art. 10).

55. L’État partie devrait  :

a) Continuer d’élaborer et de mettre en œuvre des programmes de formation initiale et continue obligatoires, afin de s’assurer que tous les fonctionnaires, en particulier les membres des forces de l’ordre, le personnel militaire, les fonctionnaires judiciaires, le personnel pénitentiaire, le personnel des services d’immigration et les autres personnes susceptibles d’intervenir dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement des personnes soumises à une forme quelconque d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement, connaissent bien les dispositions de la Convention, en particulier l’interdiction absolue de la torture, et qu’ils sachent qu’aucun manquement ne sera toléré, que toute violation donnera lieu à une enquête et que les responsables seront poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés  ;

b) Faire en sorte que tout le personnel concerné, notamment médical, soit spécialement formé à déceler et constater les cas de torture et de mauvais traitements, conformément au Protocole d’Istanbul (tel que révisé)  ;

c) Concevoir et appliquer une méthode permettant d’évaluer l’efficacité des programmes de formation pour ce qui est de réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements et de permettre de repérer ces actes, de les consigner, d’enquêter sur eux et d’en poursuivre les auteurs.

Réparation

56.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations complètes sur les mesures de réparation et d’indemnisation ordonnées par les tribunaux et d’autres organes de l’État et effectivement accordées aux victimes d’actes de torture et à leur famille au cours de la période considérée, ni sur le niveau de coopération dans ce domaine avec les organisations non gouvernementales spécialisées. Il est préoccupé par les informations indiquant que les moyens de réadaptation médicale ou psychosociale accordés aux victimes d’actes de torture, notamment à celles touchées par le conflit armé dans le nord du pays, en plus de l’indemnisation sont très limités et il regrette l’absence d’informations sur la mise en place de programmes de réadaptation particuliers pour ces personnes. Il appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale no 3 (2012), dans laquelle il expose le contenu et la portée de l’obligation qui incombe aux États parties à la Convention d’assurer une réparation complète aux victimes d’actes de torture (art. 14).

57. L’État partie devrait veiller, en droit et dans la pratique, à ce que toutes les victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements obtiennent réparation, y compris le droit d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate et de bénéficier des moyens nécessaires à une réadaptation aussi complète que possible. Il devrait aussi établir et diffuser des statistiques à jour sur le nombre de victimes de torture et de mauvais traitements qui ont reçu une réparation, y compris des moyens de réadaptation médicale ou psychosociale et une indemnisation, ainsi que sur les formes de cette réparation et les résultats obtenus.

Données statistiques

58.Le Comité prend note des déclarations de l’État partie concernant les mesures qu’il prévoit de prendre pour améliorer la collecte et l’analyse des données mais regrette l’absence de données statistiques complètes et ventilées sur les cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment en ce qui concerne les allégations de violence policière et de recours excessif à la force, de violence fondée sur le genre et de traite de personnes, ainsi que d’autres questions pour lesquelles de telles données ont été demandées. Le Comité est préoccupé par l’absence d’un système de collecte et d’analyse des données plus ciblé et mieux coordonné, nécessaire pour contrôler efficacement le respect par l’État partie des obligations mises à sa charge par la Convention.

59. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour assurer la collecte coordonnée et ciblée des données statistiques utiles pour surveiller l’application de la Convention, notamment en ce qui concerne les plaintes enregistrées, les enquêtes ouvertes, les poursuites engagées et les déclarations de culpabilité prononcées dans les affaires de torture et de mauvais traitements, de violence fondée sur le genre et de traite des personnes, les mesures de réparation, y compris les indemnisations et les moyens de réadaptation, accordées aux victimes, et les autres questions à propos desquelles le Comité a demandé de telles données dans sa liste de points à traiter.

Procédure de suivi

60. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, le 12 mai 2024 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant les allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis dans le contexte du conflit armé, la justice transitionnelle et les données statistiques (voir par. 15 a) et b), 19 a) et 59). L’État partie est aussi invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour appliquer, d’ici à la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

61. Le Comité encourage l’État partie à étudier la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

62. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité des activités menées à cet effet .

63.Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le troisième, le 12 mai 2027 au plus tard. À cette fin, il invite l’État partie à accepter d’ici au 12 mai 2024 la procédure simplifiée d’établissement des rapports, dans le cadre de laquelle le Comité communique une liste de points à l’État partie avant que celui-ci ne soumette le rapport attendu. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le troisième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention.