Nations Unies

CAT/C/73/D/921/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 juillet 2022

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 921/2019*,**

Communication présentée par :M. D. (représentée par un conseil, de TRIAL International)

Victime(s) présumée(s) :La requérante

État partie :Burundi

Date de la requête :13 mars 2019 (date de la lettre initiale)

Références :Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 29 mars 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :29 avril 2022

Objet :Torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; absence d’enquête effective et de réparation

Question(s) de procédure :Défaut de coopération de l’État partie

Question(s) de fond :Torture ; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; prévention de la torture ; investigation rapide et impartiale ; traitement des prisonniers ; réparation

Article(s) de la Convention :1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16

1.1La requérante est M. D., de nationalité burundaise, née en 1970. Elle affirme être victime de violations par l’État partie de ses droits protégés au titre des articles 2 (par. 1) et 11 à 14 de la Convention, lus conjointement avec l’article 1er et, subsidiairement, avec l’article 16, ainsi que de l’article 16 de la Convention lu seul. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 10 juin 2003. La requérante est représentée par un conseil de l’organisation TRIAL International.

1.2Le 29 mars 2019, en application de l’article 114 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de prévenir efficacement, tant que l’affaire serait à l’examen, toute menace ou tout acte de violence auxquels la requérante et sa famille pourraient être exposés, en particulier du fait de la présentation de la présente requête, et de tenir le Comité informé des mesures adoptées à cet effet.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1Depuis avril 2015, le Burundi a été le théâtre d’une effrayante escalade de la violence et de très nombreuses violations graves des droits humains, dans un contexte de totale impunité. Cette répression concerne particulièrement les opposants au Gouvernement ou les personnes qui sont perçues comme telles, y compris les membres du parti d’opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie. Les attaques du 11 décembre 2015, commanditées par des personnes armées non identifiées contre quatre bases militaires, ont constitué un réel tournant dans la crise burundaise. En effet, au lendemain de ces attaques, les forces de l’ordre ont conduit une campagne de répression d’une ampleur inégalée dans plusieurs quartiers associés à l’opposition. Selon certaines estimations, environ 160 personnes auraient été tuées par suite de ces attaques. Pourtant, si certaines personnes abattues avaient participé aux attaques ou ouvertement combattu les forces de l’ordre dans les quartiers ciblés, il n’en est rien pour un grand nombre d’entre elles. Ces exécutions extrajudiciaires ont été accompagnées de nombreuses arrestations arbitraires, d’actes de torture et de viols.

2.2La requérante et son époux étaient tous deux membres du Mouvement pour la solidarité et la démocratie. Dans la matinée du 12 décembre 2015, soit au lendemain des attaques précitées, le domicile de la requérante a fait l’objet d’une fouille-perquisition par des militaires sans qu’aucune pièce justificative lui soit présentée. Alors qu’elle était avec les deux militaires qu’elle avait autorisés à entrer, un troisième s’est introduit chez elle à son insu et a décrété avoir « trouvé » une arme de type Kalachnikov dans sa chambre.

2.3Bien qu’elle ait nié savoir d’où provenait cette arme, la requérante a été emmenée par les militaires et ils se sont dirigés à pied vers le marché Kukansoko. Sur l’ensemble du trajet et sous les yeux des passants, les militaires l’ont obligée à porter l’arme très lourde prétendument trouvée à son domicile et l’ont exhibée en tant que criminelle à la vue de tous, tout en la photographiant dans cette humiliante situation. Durant le trajet, les militaires étaient au téléphone avec des agents du Service national de renseignement, qui semblaient leur suggérer d’exécuter la requérante. Les militaires ont toutefois refusé de procéder à son exécution et ont continué à se diriger vers le marché, où la requérante a été remise à un groupe de policiers. Tout en étant questionnée sur son affiliation politique et accusée d’avoir participé aux attaques du 11 décembre 2015, la requérante a été rouée de coups pendant une heure par une policière à l’aide d’une matraque, pendant que d’autres policiers la menaçaient de mort.

2.4Après ce passage à tabac, la requérante a été détenue une nuit au cachot de Musaga avant d’être transférée le lendemain aux locaux du Service national de renseignement situé à Rohero, où elle a été placée en garde à vue. Le 13 décembre 2015, elle a été soumise à un interrogatoire avec un officier de la police judiciaire. Durant cet échange, qui a duré une demi-heure, la requérante ne s’est pas vu notifier ses droits, n’a pas été informée de son droit au silence et n’a pas pu s’entretenir avec un avocat. Bien qu’elle ait dénoncé verbalement les tortures subies, et malgré ses douleurs au niveau des fesses et inflammations du dos, l’officier a constaté sur le procès-verbal que la requérante lui avait été présentée dans un état de santé normal.

2.5La requérante a été détenue dans les locaux du Service national de renseignement pendant neuf jours,dans une petite cellule qu’elle a dû partager avec cinq autres personnes, sans matelas ou couverture. Elle n’a pas pu s’entretenir avec un avocat, entrer en contact avec ses proches ou même bénéficier de l’attention médicale qui lui était nécessaire pour soigner ses blessures.

2.6Le 22 décembre 2015, la requérante a été présentée au parquet de la République de Bujumbura, où elle s’est vu notifier ses droits, a pu s’entretenir avec ses proches et a pu jouir d’une assistance juridique. Elle a dénoncé une fois de plus les tortures subies, mais aucune référence n’a été faite à ces dénonciations et ces actes ont tout simplement été ignorés.

2.7À l’issue de cette présentation devant le parquet, la requérante a été placée en détention préventive à la prison centrale de Mpimba, où elle a de nouveau fait état auprès des autorités pénitentiaires des tortures subies. Elle a pu bénéficier d’une certaine attention médicale, qui a toutefois seulement consisté en des comprimés destinés à apaiser les inflammations au niveau de son dos et les douleurs qui continuaient à la tenailler au niveau des fesses.

2.8Le maintien de la requérante en détention préventive a été confirmé successivement le 6 janvier 2016 par le tribunal de grande instance en Mairie de Bujumbura et le 9 juin 2016 par la cour d’appel de Bujumbura. Bien qu’elle ait une nouvelle fois dénoncé les actes de torture devant les juges du tribunal de grande instance, cette dénonciation ne figure pas sur l’acte de jugement. Puis, par suite de sa comparution devant le tribunal de grande instance de Muha le 20 février 2017, la requérante a été déclarée coupable de l’infraction de détention illégale d’armes à feu et a été condamnée à trois ans et six mois de servitude pénale. Elle n’a pas interjeté appel et a été détenue à la prison de Mpimba dans des conditions déplorables, jusqu’à sa libération le 16 mars 2018.

2.9Bien que la requérante ait dénoncé les tortures subies à maintes reprises et auprès de différentes entités, ses dénonciations ont été ignorées par les autorités. Or, les exactions subies l’ont profondément marquée. En effet, bien que les douleurs physiques de la requérante se soient estompées après quelques mois, de douloureuses séquelles psychologiques persistent : elle souffre d’importants troubles du sommeil et est régulièrement en proie à de violents cauchemars. Ces actes de torture n’ayant pas été reconnus par les autorités, aucune enquête n’a été ouverte plus de trois ans après leur perpétration, et aucun acte d’investigation n’a été entrepris.

2.10Par conséquent, les autorités burundaises ont à plusieurs reprises été informées des tortures subies par la requérante et, de ce fait, ne pouvaient les ignorer. Toutefois, à la date de soumission de la présente requête au Comité, plus de trois ans s’étaient écoulés depuis la survenance des faits, et aucun acte d’investigation n’avait été entrepris.Outre le refus manifeste des autorités d’établir les responsabilités dans cette affaire, la requérante relève le climat général d’impunité au Burundi, notamment pour les actes de torture, lequel a fait l’objet de nombreux rapports d’organismes des Nations Unies. Dans ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Burundi, le Comité s’est dit préoccupé par la faiblesse et la lenteur des enquêtes ouvertes et des poursuites engagées corroborant ainsi des allégations d’impunité prévalant à l’égard des responsables d’actes de torture et d’exécutions extrajudiciaires impliquant notamment la Police nationale du Burundi et le Service national de renseignement.

2.11La requérante fait en conséquence valoir ce qui suit : a) les voies de recours internes disponibles ne lui ont donné aucune satisfaction, les autorités n’ayant pas réagi à ses dénonciations alors qu’elles auraient dû ouvrir une enquête pénale sur la base de ses allégations ; b) ces voies de recours ont excédé les délais raisonnables, puisque plus de trois ans après la dénonciation des actes de torture, aucune enquête n’avait été ouverte ; et c) il était dangereux pour elle d’entreprendre d’autres démarches, car elle risquait des représailles du fait de sa détention à la prison de Mpimba et de celle de son époux dans la même prison.

Teneur de la plainte

3.1La requérante affirme être victime d’une violation par l’État partie de ses droits protégés par les articles 2 (par. 1) et 11 à 14, lus conjointement avec l’article 1er et, subsidiairement, avec l’article 16 de la Convention, ainsi que de l’article 16 de la Convention lu seul.

3.2Selon la requérante, les sévices qui lui ont été infligés ont provoqué des souffrances aiguës, tant physiques que psychologiques. Parmi les séquelles psychologiques des actes de torture subis le 12 décembre 2015, la requérante souffre d’importants troubles du sommeil et de violents cauchemars. Le but des policiers qui l’ont violemment battue était bien de provoquer une telle souffrance et de la maintenir dans une situation de grande détresse psychologique. De plus, elle s’est vu refuser l’accès aux soins. Ces actes de torture infligés intentionnellement par des agents de police visaient à l’intimider, à la punir et à faire pression sur elle en raison de son appartenance politique. La requérante maintient donc que ces sévices constituent des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention.

3.3Au titre de l’article 2 (par. 1) de la Convention, la requérante fait valoir que l’État partie n’a pas pris de mesures efficaces pour prévenir la commission d’actes de torture dans le territoire sous sa juridiction. En particulier, tout au long de sa détention, la requérante n’a pas reçu de soins appropriés, à l’exception de comprimés pour apaiser quelque peu les douleurs ressenties. La requérante n’a eu accès à un avocat que lors de l’audience au parquet du 22 décembre 2015, soit dix jours après son arrestation, sans avoir été assistée lors de l’interrogatoire au Service national de renseignement en date du 13 décembre 2015. Elle n’a pu prendre contact avec ses proches qu’en date du 22 décembre 2015. Ensuite, malgré les dénonciations présentées par la requérante, l’État partie ne s’est pas acquitté de ses obligations d’enquêter sur les tortures infligées et de traduire en justice les responsables de ces actes. En conséquence, la requérante soutient que l’État partie n’a pas adopté les mesures, notamment législatives, qui s’imposaient au titre de l’article 2 (par. 1) de la Convention.

3.4Invoquant l’article 11 de la Convention et la pratique du Comité, la requérante fait valoir que malgré son état critique au moment de l’arrestation, elle n’a pas reçu de soins appropriés. Elle a été arrêtée sans être informée des chefs d’accusation retenus contre elle ; elle n’a pas bénéficié de voies de recours efficaces pour contester les actes de torture ; et elle a été détenue dans des conditions déplorables à la prison de Mpimba, malgré son état de santé critique.

3.5Par ailleurs, la requérante fait valoir qu’alors même qu’elles étaient informées des tortures qu’elle avait subies par suite de ses nombreuses dénonciations verbales, les autorités burundaises n’ont pas effectué d’enquête prompte et effective sur les allégations de torture, en violation de l’obligation imposée par l’article 12 de la Convention. Elle allègue également que l’État partie n’a pas respecté son droit de porter plainte en vue de l’examen immédiat et impartial des faits allégués, contrevenant ainsi à l’article 13 de la Convention.

3.6En privant la requérante d’une procédure pénale, l’État partie l’a privée par la même occasion de toute voie de recours pour obtenir une indemnisation par suite de crimes graves tels que la torture. En outre, elle n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation après les tortures subies, avec pour objectif sa réadaptation la plus complète possible, sur les plans physique, psychologique, social et financier. Au regard de la passivité des autorités judiciaires, d’autres recours, notamment pour obtenir réparation au moyen d’une action civile en dommages et intérêts, n’ont objectivement aucune chance de succès. Peu de mesures d’indemnisation des victimes de torture ont été prises par les autorités burundaises, ce qui avait été relevé par le Comité dans ses observations finales concernant le rapport initial du Burundi, en 2006. En 2014, tout en notant que le nouveau Code de procédure pénale burundais prévoyait une indemnisation pour les victimes de tortures, le Comité avait exprimé sa préoccupation sur le manque d’application de cette disposition, en violation de l’article 14 de la Convention. Enfin, en 2016, le Comité avait réitéré l’obligation de l’État partie de garantir l’accès des victimes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants à des réparations adéquates. Ainsi, les autorités burundaises n’ont pas respecté leurs obligations au titre de l’article 14 de la Convention car, d’une part, les violations perpétrées contre la requérante restent impunies du fait de la passivité de l’État et, d’autre part, la requérante n’a reçu aucune indemnisation et n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation.

3.7La requérante réitère que les violences qui lui ont été infligées constituent des actes de torture, conformément à la définition de l’article premier de la Convention. Si le Comité ne devait pas retenir cette qualification, elle maintient que les sévices qu’elle a endurés constituent des traitements cruels, inhumains ou dégradants et que, à ce titre, l’État partie était également tenu de prévenir et de réprimer leur commission, leur instigation ou leur tolérance par des agents étatiques, en application de l’article 16 de la Convention. En outre, elle rappelle les conditions de détention qui lui ont été imposées dans les cachots du Service national de renseignement et au sein de la prison centrale de Mpimba. La requérante se réfère de nouveau aux observations finales du Comité concernant le rapport initial du Burundi, dans lesquelles celui-ci avait considéré les conditions de détention au Burundi comme assimilables à un traitement inhumain et dégradant. Enfin, la requérante rappelle qu’elle n’a reçu aucun soin médical durant sa détention, malgré son état critique, et conclut que les conditions de détention auxquelles elle a été exposée sont constitutives d’une violation de l’article 16 de la Convention.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

4.Le 29 mars 2019 ainsi que les 9 septembre 2020, 11 novembre 2020 et 18 janvier 2022, l’État partie a été invité à présenter ses observations concernant la recevabilité et le fond de la requête. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune réponse et regrette l’absence de collaboration de l’État partie pour partager ses observations sur la présente plainte. Il rappelle que l’État partie concerné est tenu, en application de la Convention, de soumettre par écrit au Comité des explications ou des déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation.

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.2En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité de la communication, le Comité procède à l’examen quant au fond des griefs présentés par la requérante au titre des articles 2 (par. 1), 11 à 14 et 16 de la Convention.

Examen au fond

6.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties. L’État partie n’ayant fourni aucune observation sur le fond, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de la requérante qui ont été dûment étayées.

6.2Le Comité note l’allégation de la requérante selon laquelle elle a été battue pendant une heure par une policière, qui lui a administré des coups violents sur le dos et sur les fesses avec une matraque. Le Comité note également : a) que la requérante a été maintenue dans cette souffrance du fait de l’absence de soins adaptés, des conditions de détention insalubres et du manque de nourriture ; b) que les militaires et les policiers ont tenu des propos dégradants à son égard, l’ont menacée et l’ont forcée à porter une arme lourde en l’exhibant en tant que criminelle, et l’ont photographiée dans cette humiliante situation ; et c) qu’elle a été détenue dans des « conditions déplorables » dans les locaux du Service national de renseignement et dans la prison centrale de Mpimba. Le Comité note en outre que pendant dix jours, la requérante n’a pas eu accès aux soins de santé, à un avocat ni à sa famille.Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle toute personne privée de liberté doit bénéficier d’une assistance juridique et médicale prompte et indépendante, et doit pouvoir prendre contact avec sa famille afin de prévenir la torture.Le Comité prend également note des allégations de la requérante selon lesquelles les coups reçus lui ont occasionné des souffrances aiguës, y compris morales et psychologiques, et que ces coups lui auraient été infligés intentionnellement par des agents étatiquesdans le but de la punir et de l’intimider. Le Comité note aussi que ces faits n’ont été contestés à aucun moment par l’État partie. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits, tels qu’ils sont présentés par la requérante, sont constitutifs de torture au sens de l’article premier de la Convention.

6.3Le Comité note l’allégation de la requérante selon laquelle, à défaut d’être considérés comme des actes de torture, les actes et traitements qu’elle a subis constituent des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conformément à l’article 16 de la Convention. Or, le Comité considère que ces allégations portent sur des faits qui constituent de la torture au sens de l’article premier de la Convention. Par conséquent, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner séparément les griefs tirés de l’article 16.

6.4Le Comité prend note de l’argument de la requérante basé sur l’article 2 (par. 1) de la Convention, en application duquel l’État partie aurait dû prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes constitutifs de torture soient commis sur l’ensemble du territoire sous sa juridiction. À cet égard, le Comité rappelle ses conclusions et recommandations concernant le rapport initial du Burundi, dans lesquelles il a exhorté l’État partie à prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires effectives pour prévenir tout acte de torture et tout mauvais traitement, et à prendre des mesures urgentes pour que tout lieu de détention soit sous autorité judiciaire afin d’empêcher ses agents de procéder à des détentions arbitraires et de pratiquer la torture. Dans le cas présent, le Comité prend note des allégations de la requérante selon lesquelles elle a été battue par des policiers, puis détenue sans mandat d’arrêt et sans avoir la possibilité d’entrer en contact avec un défenseur pendant dix jours, demeurant ainsi soustraite à la protection de la loi. Le Comité note également que l’État partie n’a pris aucune mesure pour protéger la requérante. Finalement, les autorités étatiques n’ont pris aucune mesure pour enquêter sur les actes de torture subis par la requérante et prendre les sanctions qui s’imposaient, et ce, malgré les plaintes qu’elle avait présentées à cet égard à plusieurs reprises.Au vu de ce qui précède, le Comité conclut à une violation de l’article 2 (par. 1), lu conjointement avec l’article 1er de la Convention.

6.5Le Comité note également l’argument de la requérante selon lequel l’article 11 de la Convention − qui demande à l’État partie d’exercer une surveillance systématique sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit sur tout territoire sous sa juridiction, en vue d’éviter tout cas de torture − aurait été violé. La requérante allègue, en particulier, ce qui suit : a) malgré son état critique au moment de l’arrestation, elle n’a pas reçu de soins médicaux appropriés ; b) elle n’a eu accès à un avocat que dix jours après son arrestation, sans avoir été assistée lors de l’interrogatoire dans les locaux du Service national de renseignement en date du 13 décembre 2015 ; c) elle a été arrêtée sans être informée des chefs d’accusation retenus contre elle ; d) elle n’a pas bénéficié de voies de recours efficaces pour contester les actes de torture ; et e) elle a été détenue dans des « conditions déplorables » dans les locaux du Service national de renseignement et à la prison de Mpimba, malgré son état de santé critique. Le Comité rappelle ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Burundi, dans lesquelles il s’est dit préoccupé par la durée excessive de la garde à vue, les nombreux cas de dépassement du délai de garde à vue, la non-tenue et tenue incomplète des registres d’écrou, le non-respect des garanties juridiques fondamentales des personnes privées de liberté, l’absence de dispositions prévoyant l’accès à un médecin et à l’aide juridictionnelle pour les personnes démunies, et le recours abusif à la détention préventive en l’absence d’un contrôle régulier de sa légalité et d’une limite à sa durée totale. En l’espèce, la requérante semble avoir été privée de tout contrôle judiciaire. En l’absence de toute information pertinente contraire de la part de l’État partie, l’existence de ces conditions et traitements déplorables suffit à établir que l’État partie a failli à son obligation d’exercer une surveillance systématique sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit sur tout territoire sous sa juridiction, en vue d’éviter tout cas de torture, et que ce manquement a entraîné un préjudice pour le requérant. Le Comité conclut donc à une violation de l’article 11 de la Convention.

6.6S’agissant des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité prend note des allégations de la requérante selon lesquelles, le 12 décembre 2015, elle a été battue pendant une heure par une policière et a reçu des menaces de mort. Bien qu’elle ait dénoncé les tortures subies devant l’officier du Service national de renseignement, devant le Procureur et devant les juges,aucune enquête n’avait été menée plus de six ans après les faits dénoncés.Le Comité considère qu’un tel délai avant l’ouverture d’une enquête sur des allégations de torture est manifestement abusif. À cet égard, il rappelle l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article 12 de la Convention, qu’il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale d’office chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. En l’espèce, le Comité constate donc une violation de l’article 12 de la Convention.

6.7Au vu des conclusions qui précèdent, l’État partie a également manqué à la responsabilité qui lui incombait, au titre de l’article 13 de la Convention, de garantir à la requérante le droit de porter plainte, qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale. Le Comité note que l’article 13 n’exige pas qu’une plainte pour torture soit présentée en bonne et due forme selon la procédure prévue dans la législation interne, et ne demande pas non plus une déclaration expresse de la volonté d’exercer l’action pénale ; il suffit que la victime se manifeste, simplement, et porte les faits à la connaissance d’une autorité de l’État pour que naisse pour celui-ci l’obligation de la considérer comme une expression tacite, mais sans équivoque de son désir d’obtenir l’ouverture d’une enquête immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention. Le Comité conclut que l’article 13 de la Convention a également été violé.

6.8S’agissant des allégations de la requérante au titre de l’article 14 de la Convention, le Comité rappelle que cette disposition non seulement reconnaît le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne réparation. Le Comité rappelle que la réparation doit impérativement couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire. En l’espèce, en l’absence d’enquête diligentée de manière prompte et impartiale, malgré l’existence de preuves matérielles manifestes indiquant que la requérante a été victime d’actes de torture − restés impunis −, le Comité conclut que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 14 de la Convention.

7.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 2 (par. 1) et 11 à 14, lus conjointement avec l’article 1er de la Convention.

8.Dans la mesure où l’État partie n’a pas répondu aux demandes du Comité de soumettre des observations sur la présente requête, refusant par là même de coopérer avec le Comité et l’empêchant d’examiner effectivement les éléments de la plainte, le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, décide que les faits dont il est saisi constituent une violation par l’État partie de l’article 22 de la Convention.

9.Le Comité invite instamment l’État partie : a) à ouvrir une enquête impartiale et approfondie sur les événements en question, en pleine conformité avec les directives du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), dans le but de poursuivre en justice les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé à la requérante ; b) à indemniser la requérante de façon adéquate et équitable, y compris avec les moyens nécessaires à une réadaptation la plus complète possible ; et c) à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir toute menace ou tout acte de violence auxquels la requérante ou sa famille pourraient être exposés, en particulier pour avoir déposé la présente requête.

10.Conformément à l’article 118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.