Nations Unies

CAT/C/73/D/1037/2020

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

28 juillet 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 1037/2020 * , **

Communication soumise par :

A. S. (représenté par un conseil, Marjaana Laine)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Finlande

Date de la requête :

4 novembre 2020 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 9 novembre 2020 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22 avril 2022

Objet :

Expulsion de la Finlande vers la Fédération de Russie

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; défaut manifeste de fondement

Questions de fond :

Risque de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Article(s) de la Convention :

Article 3

1.1Le requérant est A. S., de nationalité russe, né en 1993. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 9 novembre 2020, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a accédé à la demande de mesures provisoires formulée par le requérant et a prié l’État partie de ne pas le renvoyer en Fédération de Russie tant que la communication serait à l’examen. L’État partie a informé le Comité qu’il donnerait suite à sa demande.

1.3Le 29 septembre 2021, en application de l’article 115 (par. 3) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé d’accéder à la demande de l’État partie, qui l’avait prié d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant affirme qu’il est né en République d’Ingouchie, mais qu’il a vécu toute sa vie dans la ville de Sernovodsk, en République tchétchène (Fédération de Russie). Il est d’origine ethnique tchétchène et de religion musulmane. Il affirme avoir été victime d’actes de torture à plusieurs reprises dans le passé, plus précisément en 2016.

2.2Le requérant affirme qu’il ne partage pas les convictions religieuses du Gouvernement actuel de son pays d’origine, mais qu’il n’a jamais été politiquement actif, ni participé à des activités de la rébellion. Toutefois, certains de ses proches ont activement pris part à des actions menées par les rebelles en République tchétchène. Trois de ses oncles ont été arrêtés en 2004. L’un d’entre eux a été blessé lors de l’arrestation, puis a été tué à l’hôpital. Un autre a été condamné à trois ans d’emprisonnement pour ses activités avec les rebelles. Le troisième, A.R.B., a réussi à s’enfuir en Finlande et y a obtenu l’asile. Le requérant précise qu’A.R.B. était le chef d’un groupe d’insurgés pendant la guerre. En 2011, la Fédération de Russie a demandé son extradition aux autorités finlandaises. Selon le requérant, cette demande reposait sur des accusations de terrorisme fabriquées de toutes pièces.

2.3En ce qui le concerne, le requérant a été arrêté par les autorités tchétchènes pour la première fois en août 2016. Ce jour-là, il était à la mosquée avec ses amis pour la prière du vendredi. Le requérant et deux de ses amis, qui étaient avec lui à la mosquée, ont été emmenés au poste de police. Des policiers ont commencé à les interroger, les menaçant de « conséquences graves ». Le requérant a ensuite été battu pendant trente à quarante minutes et torturé avec un pistolet à impulsion électrique. Lui et ses deux amis ont été torturés dans des cellules différentes, mais ils ont été réunis dans la même pièce pour la nuit. Le lendemain matin, ils ont été séparés et torturés de nouveau. On a conduit le requérant à l’hôpital pour vérifier s’il présentait des signes de blessure susceptibles d’être considérés comme une preuve de torture. Il a été libéré le troisième jour et a reçu pour instruction de se présenter régulièrement à la police.

2.4Après cette première arrestation, le requérant a été conduit au poste de police à plusieurs reprises. Il a été contraint de regarder des vidéos éducatives sur l’idéologie officielle du Gouvernement et a été battu à quatre ou cinq reprises. En outre, le 30 novembre 2016, les autorités tchétchènes ont perquisitionné chez lui et il a été emmené dans un lieu inconnu et placé dans une cellule souterraine. Il a subi des actes de torture consistant à le pendre avec les mains attachées dans le dos. On l’a empêché de dormir et des policiers lui jetaient régulièrement de l’eau froide dessus. Ils lui ont également administré des décharges électriques et ont menacé de le tuer. Les policiers qui le torturaient lui ont aussi parlé de ses trois oncles.

2.5À partir du 30 novembre 2016, le requérant n’a plus jamais dormi dans sa propre maison. Avec une de ses connaissances, qui avait également été arrêtée puis relâchée, il est allé en voiture à Saint-Pétersbourg où ils ont tous deux obtenu un visa pour la Finlande. Ils s’y sont rendus en train le 27 janvier 2017. Après son arrivée en Finlande, le requérant a été informé par sa mère que quatre ou cinq jeunes hommes, qui étaient tenus, comme lui, de se présenter aux autorités, avaient été tués à Grozny, en République tchétchène. Il a également appris que les autorités le recherchaient et qu’elles avaient dit à sa mère qu’il devait rentrer de son plein gré, faute de quoi elles émettraient un mandat d’arrêt contre lui. En mai 2018, les autorités lui ont envoyé une convocation lui ordonnant de se présenter au poste de police. Une copie de cette convocation a été communiquée aux autorités finlandaises chargées de l’asile. En mars ou avril 2020, les autorités se sont de nouveau rendues à son domicile. Elles ont dit à sa mère qu’elles savaient qu’il vivait en Finlande avec son oncle A.R.B. Le requérant craint à présent que la vendetta impliquant son oncle s’étende à lui.

2.6Le requérant affirme que les autorités chargées de l’asile ont considéré comme un fait établi qu’il avait été arrêté par accident en août 2018 et qu’en raison de cette arrestation, il devait se présenter régulièrement à la police. Elles ont néanmoins jugé que la description qu’il avait faite de ses arrestations et des violences subies à l’automne 2016 était « courte et générale ». Les services d’immigration ont estimé que les autorités tchétchènes ne menaçaient généralement que les membres les plus proches de la famille des activistes rebelles et que les parents plus éloignés attiraient rarement l’attention.

2.7Ainsi, les autorités chargées de l’asile ont estimé que le père du requérant n’avait eu aucun problème avec les autorités. Elles n’ont donc pas admis que le requérant pouvait être ciblé à cause de ses oncles. Sur la base de tous les renseignements fournis par le requérant et des informations sur le pays d’origine, les autorités finlandaises n’ont pas considéré que le requérant pouvait raisonnablement craindre d’être persécuté dans son pays d’origine, comme l’exigeait l’article 87 (par. 1) de la loi sur les étrangers. En outre, elles n’ont pas considéré comme un fait établi que le requérant était recherché par les autorités russes, étant donné qu’il n’avait enfreint aucune loi, n’avait été accusé d’aucun crime et avait quitté la Russie selon les voies régulières en utilisant un passeport délivré en toute légalité.

2.8Selon les services de l’immigration, le requérant pourrait facilement vivre et travailler à Moscou, car il a fait des études et est en bonne santé, et les Tchétchènes sont une minorité bien établie à Moscou. Le requérant a déposé un recours contre la décision initiale, mais il a été débouté par le tribunal administratif d’Helsinki le 3 janvier 2020. Le 5 juin 2020, la Cour suprême finlandaise a refusé de l’autoriser à faire appel. Le 10 juin 2020, il a tenté de déposer un autre recours en matière d’asile, qui a lui aussi été rejeté le 21 septembre 2020 sans qu’aucune audience soit tenue, les autorités estimant que toutes les questions soulevées dans la nouvelle demande d’asile avaient déjà été « réglées sur le plan juridique ». Le requérant affirme donc avoir épuisé tous les recours internes.

2.9Le requérant soumet une déclaration d’un psychiatre datée du 27 août 2020 selon laquelle il souffre de troubles post-traumatiques, d’un trouble de l’adaptation et d’une dépression prolongée, qui nécessitent tous une prise en charge médicale et thérapeutique.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que son expulsion vers la Fédération de Russie constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 9 mars 2021, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la requête. Il confirme que le requérant a demandé l’asile en Finlande le 2 février 2017. Le 17 août 2018, la demande d’asile du requérant a été rejetée par les services finlandais de l’immigration et une ordonnance d’expulsion a été émise contre lui. Le 3 janvier 2020, le tribunal administratif d’Helsinki a rejeté le recours du requérant. Dans une décision du 5 juin 2020, la Cour administrative suprême a refusé d’autoriser le requérant à faire appel.

4.2Le 10 juin 2020, le requérant a entamé une seconde procédure en déposant une nouvelle demande d’asile, qui a été rejetée le 21 septembre 2020. Le 7 octobre 2020, le tribunal administratif d’Helsinki a rejeté la demande du requérant visant à interdire l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. Plus tard, le 23 novembre 2020, le tribunal a rendu une ordonnance interlocutoire dans laquelle il interdisait l’expulsion du requérant vers la Russie, dans l’attente d’une nouvelle ordonnance. À l’heure actuelle, aucune décision définitive n’a été rendue concernant la deuxième demande d’asile du requérant.

4.3L’État partie fait observer que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, le Comité n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Le requérant est arrivé au terme d’une première procédure, mais il en a entamé une seconde, qui est actuellement en cours. La jurisprudence du Comité, notamment l’affaire A.K. c. Suisse, vient étayer la position de l’État partie. Dans cette affaire, le Comité avait jugé la communication irrecevable, car la Commission de recours en matière d’asile n’avait pas encore pris de décision sur le recours du requérant. De même, dans l’affaire L.M.V.R.G. et M.A.B.C. c. Suède, il a jugé la requête irrecevable, le requérant n’ayant pas introduit de recours auprès de la Commission de recours des étrangers.

4.4La Cour européenne des droits de l’homme a adopté une approche similaire, par exemple dans l’affaire L.T. c. Belgique, affirmant que la deuxième demande d’asile du requérant était pendante et que cette procédure avait un effet suspensif sur l’expulsion. En l’espèce, la deuxième procédure engagée par le requérant a elle aussi un effet suspensif sur son renvoi dans son pays d’origine.

4.5L’État partie affirme que si le Comité se prononce sur le cas du requérant alors qu’une procédure est en cours, cela empêcherait les autorités nationales d’examiner les nouveaux motifs allégués par le requérant pour obtenir l’asile. Le recours du requérant devant le tribunal administratif n’est ni une simple formalité, ni un recours extraordinaire. Une fois que le tribunal administratif aura rendu sa décision, le requérant aura la possibilité de saisir la Cour administrative suprême d’une autorisation de faire appel, s’il le souhaite. Il est donc évident que le requérant n’a pas, pour l’instant, rempli la condition énoncée à l’article 22 (par. 5 b)) et que sa requête doit être déclarée irrecevable. Dans l’éventualité où le Comité la déclarerait recevable, l’État partie lui demande de suspendre l’examen de la présente communication jusqu’à ce que les autorités nationales aient rendu des décisions définitives.

4.6En outre, la requête est manifestement dénuée de fondement et insuffisamment motivée. Le Comité a pour pratique bien établie de déterminer, aux fins de l’article 3 de la Convention, s’il existe des « motifs sérieux » de croire que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ». L’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture si elle était renvoyée dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Les demandes du requérant ont été examinées au titre de la loi no 301/2004 sur les étrangers. Les dispositions de cette loi intègrent les principes énoncés dans l’article 3 de la Convention et les deux demandes sont susceptibles d’appel.

4.7Le Comité a déjà considéré, ainsi qu’il ressort de l’affaire Attia c. Suède, que le risque d’être torturé en raison des liens de parenté était généralement insuffisant pour étayer des griefs tirés de l’article 3 de la Convention. En l’espèce, les services d’immigration finlandais ont estimé que les violations alléguées des droits du requérant en Tchétchénie résultaient d’actes arbitraires des autorités. Le requérant n’a pris part à aucune activité susceptible de le faire accuser d’avoir commis des infractions ou d’être affilié à un mouvement extrémiste. Les services d’immigration finlandais ont jugé qu’il n’y avait pas « lien de causalité » entre les persécutions alléguées et la raison de celles-ci. Compte tenu des antécédents du requérant, ils n’ont pas trouvé de motifs raisonnables de croire que le requérant risquerait d’être persécuté ou de subir un préjudice grave s’il vivait dans d’autres régions de la Fédération de Russie.

4.8Le requérant se réfère à l’observation générale no 4 (2017) du Comité, en particulier aux possibilités de trouver refuge à l’intérieur du pays, et affirme que cette possibilité ne peut être considérée comme « une option fiable ou utile » dans son cas, mais la jurisprudence du Comité repose sur le postulat que les autorités tchétchènes ou russes le soumettraient à des persécutions et le renverraient en Tchétchénie, même s’il vivait dans une autre partie du pays. L’État partie estime qu’il n’a aucune raison de partir de ce postulat.

4.9L’État partie estime donc que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes et n’a pas présenté dans sa requête d’éléments à première vue suffisants aux fins de la recevabilité, et que sa requête devrait donc être déclarée irrecevable au regard de l’article 22 (par. 3) de la Convention et de l’article 113 (al. b)) du Règlement intérieur du Comité. Quoi qu’il en soit, la présente communication ne fait apparaître aucune violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 16 août 2021, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie n’avait pas avancé de véritables raisons justifiant que la communication soit jugée irrecevable. Les autorités n’ont tenu compte ni de sa situation personnelle, ni des renseignements sur son pays d’origine. Ainsi, elles ont choisi d’ignorer que le 3 janvier 2020, le tribunal administratif d’Helsinki avait conclu que sa crainte d’être persécuté en Tchétchénie était fondée.

5.2Le tribunal administratif d’Helsinki a rejeté le recours du requérant le 5 mars 2021. Il a déclaré que le 3 janvier 2020, il avait déjà constaté que le requérant était victime de torture et avait examiné son état de santé. Il a toutefois souligné que le requérant n’avait pas présenté de nouvelles informations le concernant, ni justifié pourquoi les autorités tchétchènes s’intéresseraient à lui. Si les autorités ne s’intéressent pas au requérant, il y a lieu d’envisager la possibilité qu’il trouve refuge à l’intérieur du pays, dans une autre région de la Fédération de Russie.

5.3Le tribunal a ajouté que la deuxième demande du requérant ne contenait aucune nouvelle information susceptible d’augmenter ses chances de pouvoir prétendre à une protection internationale. Il a donc considéré que la seconde demande était une nouvelle demande et qu’elle ne remplissait pas les conditions de recevabilité énoncées à l’article 103 (par. 2) de la loi sur les étrangers. À la fin de sa décision, il a précisé, par souci de clarté, que même si la demande était rejetée, cela était sans incidence sur la mesure provisoire demandée par le Comité. Le 19 mars 2021, le requérant a demandé l’autorisation de faire appel, autorisation qui lui a été accordée par la Cour administrative suprême le 24 mars 2021. L’affaire est en cours devant la Cour administrative suprême.

5.4L’État partie affirme que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes, alors qu’il a entamé la seconde procédure. Il convient de noter que lorsque le requérant s’est adressé au Comité, l’ordonnance d’expulsion vers la Fédération de Russie était devenue exécutoire, tous les recours internes avaient été épuisés et la police avait pris des mesures pour appliquer l’ordonnance. Le recours devant le tribunal administratif ne suspend pas l’exécution d’une ordonnance d’expulsion, sauf si le tribunal lui-même le décide. Le requérant a introduit un recours auprès du tribunal administratif d’Helsinki et a été débouté le 7 octobre 2020, date à laquelle l’ordonnance d’expulsion est devenue exécutoire. Après qu’il a soumis sa communication au Comité, la police a accepté de suspendre l’expulsion. Le 23 novembre 2020, le tribunal administratif d’Helsinki a rendu une décision interlocutoire et a adopté des mesures provisoires.

5.5En ce qui concerne le fait d’avoir établi que ses griefs contre l’État partie étaient à première vue recevables, le requérant affirme qu’une requête doit apporter le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il soutient qu’il a exposé avec suffisamment de détails les faits et les fondements de sa requête au titre de l’article 3 de la Convention. Dans sa décision du 3 janvier 2020, le tribunal administratif a établi le lien de causalité entre les persécutions subies et le motif de celles-ci. Les informations sur le pays d’origine confirment que les autorités tchétchènes recherchent activement les personnes qui les intéressent en dehors de la Tchétchénie. Il ressort d’un rapport publié récemment par le Comité d’Helsinki norvégien qu’un Tchétchène autrefois persécuté qui s’installe dans une autre partie du pays devra s’enregistrer auprès des autorités locales, ce qui fait que ses informations seront facilement accessibles aux autorités tchétchènes.

5.6Les communications soumises au Comité auxquelles l’État partie se réfère n’étayent pas la conclusion d’irrecevabilité. Dans l’affaire Attia c. Suède, le Comité a déclaré qu’étant donné que les allégations de risque de torture étaient uniquement fondées sur les liens de parenté de la requérante, le risque était insuffisant pour justifier un grief au regard de l’article 3. La présente requête est différente, car elle est fondée sur l’impossibilité de trouver refuge ailleurs dans le pays et sur le fait que le requérant a lui-même subi le traumatisme de la torture, comme l’ont reconnu les autorités finlandaises. Dans les affaires A.K. c. Suisse etM.K.M. c. Australie, le Comité a remis en question le fond, pas la recevabilité. Dans l’affaire A.K. c. Suisse, l’État partie a remis en doute la crédibilité du requérant. En l’espèce, les autorités de l’État partie ont reconnu que le requérant avait été détenu et torturé.

5.7Le requérant soutient donc que sa requête doit être considérée comme recevable et prie le Comité d’examiner ses griefs sur le fond. Il accepterait la solution alternative consistant à suspendre l’examen de la communication jusqu’à ce que les autorités nationales aient rendu une décision définitive. En outre, il demande respectueusement au Comité de ne pas lever sa demande de mesures provisoires.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas s’il a été établi que les procédures de recours ont dépassé les délais raisonnables ou qu’il est peu probable que le requérant obtienne réparation par ce moyen.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il a soumis sa requête au Comité avant que le tribunal administratif d’Helsinki ait pu rendre ses conclusions dans le cadre d’une procédure qui, selon l’État partie, n’est ni une simple formalité, ni de nature extraordinaire et pourrait lui permettre d’obtenir réparation. Le requérant fait remarquer que lorsqu’il a soumis sa requête au Comité le 4 novembre 2020, il faisait l’objet d’une ordonnance exécutoire d’expulsion vers la Fédération de Russie. L’ordonnance n’a pas été exécutée uniquement parce que le Comité a émis une demande de mesures provisoires tendant à suspendre l’expulsion et a enregistré la présente requête. Le 23 novembre 2020, le tribunal administratif d’Helsinki a rendu une ordonnance interlocutoire dans laquelle il interdisait l’expulsion du requérant vers son pays d’origine.

6.4Le Comité note que le requérant ne conteste pas le fait que plusieurs procédures internes sont en cours devant le tribunal administratif d’Helsinki et la Cour administrative suprême. En outre, le requérant a eu la possibilité de saisir la Cour administrative suprême d’une demande d’autorisation de faire appel, ce qu’il n’a pas fait. Le Comité note également que personne ne conteste que l’ordonnance du 23 novembre 2020 a un effet suspensif et empêche l’État partie d’expulser le requérant vers la Fédération de Russie. Il rappelle sa jurisprudence, selon laquelle de simples doutes quant à l’utilité d’un recours interne ne dispensent pas le requérant de s’en prévaloir, en particulier si le recours en question lui est raisonnablement accessible et a un effet suspensif. Au vu des renseignements dont il est saisi, le Comité estime qu’en l’espèce, le requérant dispose d’un recours utile qu’il n’a pas épuisé. Il conclut donc que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention.

6.5Compte tenu de cette conclusion, le Comité considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner d’autres motifs d’irrecevabilité.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.