Nations Unies

CAT/C/73/D/971/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

6 juillet 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 971/2019 * , * *

Communication présentée par :

N. S. (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Australie

Date de la requête :

15 novembre 2019(date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 novembre 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22 avril 2022

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine (non-refoulement)

Article(s) de la Convention :

2, 3 et 16

1.1Le requérant est N. S., de nationalité sri-lankaise, né en 1977. Il affirme qu’en l’expulsant vers Sri Lanka, l’Australie commettrait une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 2, 3 et 16 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue par l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 28 janvier 1993. Le requérant n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 19 novembre 2019, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que la communication serait à l’examen.

Exposé des faits

2.1Le requérant, ressortissant sri-lankais d’origine tamoule et de religion hindoue, est né à Trincomalee, dans la province de l’Est (Sri Lanka). En 1984, ses parents ont quitté Kuchchaveli, ville du district de Trincomalee (province de l’Est) où ils vivaient, emmenant avec eux le requérant, alors âgé de 7 ans, et ses quatre frères et sœurs, pour rejoindre le district de Mannar, situé dans la province du Nord, afin d’échapper à la guerre civile. L’année suivante, la famille s’est rendue par bateau de Mannar au Tamil Nadu (Inde), où elle a séjourné dans trois camps de réfugiés différents.

2.2En 1994, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a estimé que les membres de la famille devaient se voir accorder le statut de réfugié et les a aidés à retourner à Sri Lanka. Puisqu’elle ne pouvait retourner chez elle, à Kuchchaveli, la ville étant désormais située dans une zone de haute sécurité placée sous le contrôle de la marine sri‑lankaise, la famille s’est installée dans un camp de personnes déplacées géré par le HCR, à Trincomalee.

2.3En 1997, le camp, jusqu’alors administré par le HCR, a été placé sous l’autorité du Gouvernement sri-lankais. Il était situé entre la base de la marine sri-lankaise et celle de l’armée. Le père du requérant, qui était pêcheur, devait obtenir une autorisation auprès des deux autorités chaque fois qu’il partait pêcher.

2.4En 1997, l’armée sri-lankaise a commencé à effectuer des rafles, rassemblant au hasard des groupes de résidents des camps. Un informateur masqué repérait alors parmi eux les sympathisants des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et des soldats les emmenaient. Le requérant a, à nombreuses occasions, fait partie de ces rafles et, en 1999, peu après qu’il eut obtenu son diplôme de fin d’études secondaires, il a été identifié par un informateur comme sympathisant des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Il affirme ne pas savoir pourquoi il a été visé étant donné qu’il n’entretenait aucun lien avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Le requérant et d’autres personnes ont alors été conduits non loin de là à la base de l’armée sri-lankaise, où on les a interrogés et torturés pour leur arracher des renseignements sur les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Comme suite à cela, le requérant a dû être hospitalisé à Trincomalee pendant deux semaines.

2.5En 2000, pour échapper à une nouvelle rafle, le requérant a décidé de partir en Inde ; il y a séjourné pendant un an dans un camp de réfugiés, où il travaillait comme peintre. En 2001, il est retourné à Sri Lanka en avion muni d’un document de voyage non réutilisable délivré par les autorités indiennes. Ses parents avaient organisé son mariage et son père avait besoin de son aide pour gérer son entreprise de pêche.

2.6En mai 2002, le requérant s’est marié et ses parents et sa plus jeune sœur ont quitté le camp pour personnes déplacées pour s’installer de nouveau chez eux, dans la ville de Kuchchaveli, qui était alors encore située dans la zone de haute sécurité. La marine sri‑lankaise leur a ordonné de partir, ce qu’ils ont refusé de faire. En décembre 2003, des officiers de la marine ont emmené la mère du requérant, sous les yeux de sa plus jeune sœur. En janvier 2004, la police a informé la famille qu’un corps décomposé, identifié comme celui de la mère du requérant, avait été trouvé au poste de contrôle de la marine. Un juge appelé sur les lieux a déterminé que la victime avait été étranglée. L’oncle maternel du requérant a été blessé par balle alors qu’il se rendait au tribunal pour témoigner au sujet du décès de sa sœur. Il en est resté paralysé.

2.7En 2005, le requérant a adhéré à la Société de développement des pêcheurs de Vikneswara, dont il est devenu secrétaire et trésorier. Dans le cadre de ses fonctions, il était chargé de collecter et de mettre en banque les frais d’adhésion mensuels versés par les membres. L’armée et la marine assistaient régulièrement aux réunions de la Société et exigeaient qu’on leur verse de l’argent pour que les bateaux de la Société puissent naviguer en toute sécurité.

2.8En 2008, le groupe Karuna a commencé à exiger des paiements de la part de la Société. Au cours de la campagne électorale de 2010, il a réclamé une importante somme d’argent et a commencé à demander aux responsables de l’organisation eux-mêmes de lui verser de l’argent. Le requérant, qui a refusé de payer, a été détenu pendant dix jours et battu. On a également menacé de le tuer s’il dénonçait son enlèvement. En avril 2012, son oncle, qui était Président de la Société, a été tué.

2.9Le requérant a prévenu la police que le groupe Karuna réclamait de l’argent à la Société. Des agents du groupe se sont rendus au domicile du requérant et l’ont menacé de lui faire du mal pour le punir d’avoir fait un signalement à la police. Lorsqu’ils sont revenus deux semaines plus tard, le requérant a refusé de leur ouvrir la porte. Craignant des représailles, il est parti s’installer dans le district voisin de Batticaloa, où il a été hébergé par un ami pendant deux mois. Pendant cette période, le groupe Karuna n’a pas pris contact avec lui ni avec sa famille.

2.10Le 27 juillet 2012, le requérant a quitté Sri Lanka par bateau. Le 17 août 2012, il est arrivé à l’île Christmas (Australie), où il a passé plusieurs entretiens. Entre août 2012 et février 2013, il a séjourné dans des centres de détention, après quoi il s’est vu accorder un visa temporaire, a été replacé au sein de la population en Australie continentale et a été inscrit sur les registres des bénéficiaires de la procédure accélérée d’obtention de permis de séjour.

2.11En 2015, un groupe d’hommes qui se disaient membres de la Direction de la police judiciaire, mais n’ont pas justifié de leur identité, se sont présentés au domicile du requérant, à Sri Lanka, et ont demandé où celui-ci se trouvait. L’épouse du requérant leur a expliqué qu’il se trouvait en Australie et leur a donné son numéro de téléphone, mais ceux-ci n’ont pas pris contact avec lui. La même année, l’un des beaux-frères du cousin du requérant a été tué et son corps a été retrouvé sur une plage, et un ami du requérant a été porté disparu.

2.12Le 1er avril 2016, le requérant a déposé une demande de visa de refuge. En présence de l’agent des services d’immigration chargé de son dossier, il s’est entretenu avec le Délégué du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières, et a pu à cette occasion expliqué les motifs de sa demande. Le 16 décembre 2016, le Délégué a décidé de ne pas lui accorder de visa.

2.13Le 27 mars 2017, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a confirmé la décision du Délégué de ne pas accorder de visa de protection au requérant. Elle a retenu le témoignage du requérant concernant l’installation de sa famille en Inde et la situation de sa famille à Trincomalee, et a ajouté foi à son récit concernant le décès de sa mère. Elle a également ajouté foi à ses allégations selon lesquelles il avait été identifié comme sympathisant des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et avait été détenu et torturé par des militaires, avant d’être remis en liberté quinze jours plus tard. Elle a toutefois fait valoir que quinze ans s’étaient écoulés depuis les faits, qu’entre-temps, les autorités sri-lankaises ne semblaient pas s’être intéressées à lui, ne le soupçonnant vraisemblablement pas de faire partie des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et que, depuis la fin de la guerre, les Tamouls étaient bien moins surveillés et harcelés qu’auparavant. Elle a constaté que le requérant avait pu se rendre sans encombre en Inde et en revenir en passant par l’aéroport de Colombo, qu’il s’était fait délivrer un passeport sans difficulté en 2008, et qu’il avait eu des contacts réguliers avec les autorités du fait de ses fonctions de trésorier de la Société de développement des pêcheurs de Vikneswara et n’avait jamais rencontré aucune difficulté. Elle a retenu que l’armée et le groupe Karuna avaient extorqué des fonds à la Société et avaient enlevé et menacé le requérant, mais elle a relevé que le groupe Karuna aurait pu localiser le requérant à Batticoloa et ne l’avait pas fait, et que celui-ci n’était plus gestionnaire de la Société et n’intéressait donc plus le groupe Karuna.

2.14Concernant son appartenance ethnique et le fait qu’il résidait auparavant dans la zone contrôlée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a renvoyé aux directives du HCR, dans lesquelles il est dit que le simple fait d’être tamoul ne suffit pas en soi à justifier un besoin de protection. Elle a admis, d’autre part, qu’en tant que demandeur d’asile débouté, le requérant pourrait être arrêté et interrogé à son retour, et même brièvement détenu, pendant une période maximale de quatre jours, dans l’attente d’être déféré devant un magistrat. Néanmoins, selon les informations sur le pays, des milliers de demandeurs d’asile déboutés étaient retournés à Sri Lanka depuis 2009 et les cas signalés de torture et de mauvais traitements étaient relativement rares. Du reste, cette procédure s’appliquait à tous les ressortissants sri-lankais et n’était pas discriminatoire, ni en théorie ni dans son application.

2.15Le requérant a saisi le tribunal de circuit fédéral d’une demande de contrôle juridictionnel de la décision de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration et a introduit un recours auprès de la Cour fédérale d’Australie, faisant valoir une erreur d’appréciation ayant entaché ladite décision ; il a été débouté par les deux instances. Le 13 juin 2018, l’autre recours introduit par le requérant auprès de la Cour fédérale a été rejeté. La demande d’autorisation spéciale introduite par le requérant auprès de la Haute Cour d’Australie et sa demande d’intervention ministérielle ont également été rejetées les 12 septembre 2018 et 17 avril 2019, respectivement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation des articles 2, 3 et 16 de la Convention. Il ajoute qu’il serait persécuté en raison de son appartenance ethnique, de ses opinions politiques, ou de celles qu’on lui prête en tant que partisan présumé des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et parce qu’il résidait auparavant dans une zone contrôlée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul et qu’il a présenté une demande d’asile qui a été rejetée. Il affirme avoir été enlevé et torturé par le groupe Karuna pour avoir refusé de verser de l’argent lorsqu’il occupait les fonctions de secrétaire et trésorier de la Société de développement des pêcheurs de Vikneswara. Selon lui, le groupe Karuna le recherche parce qu’il a signalé à la police sa tentative d’extorsion.

3.2Le requérant dit avoir été détenu pendant quinze jours par les autorités sri-lankaises, et qu’il a été interrogé, battu et torturé parce qu’il était soupçonné d’être membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Il affirme qu’en cas de renvoi à Sri Lanka, il risquerait de subir des préjudices de la part de l’armée et de la marine sri-lankaises, et de groupes paramilitaires progouvernementaux, comme le groupe Karuna.

3.3Le requérant dit souffrir de troubles post-traumatiques et être tourmenté à l’idée de retourner à Sri Lanka. Les autorités australiennes n’ont pas suffisamment tenu compte des préjudices moral et corporel que le requérant a subis en raison de son exposition au conflit armé prolongé et aux violations graves des droits de l’homme qui ont été commises à Sri Lanka. Le requérant affirme que son état de santé mentale se dégraderait étant donné que Sri Lanka ne dispose pas de services de santé mentale adaptés ni d’une capacité institutionnelle suffisante pour répondre à ses besoins.

3.4Le requérant affirme qu’il serait exposé à un risque réel de subir des préjudices pour avoir quitté illégalement Sri Lanka et pour avoir séjourné en Australie et tenté d’y obtenir l’asile. Selon lui, Sri Lanka ne dispose pas d’une législation pénale adaptée, d’un système de justice suffisamment impartial, ni d’une police suffisamment efficace. L’armée commet des actes de torture et de violence sexuelle dans différents camps aux quatre coins du pays, et la communauté tamoule reste opprimée et victime de discrimination sur le plan institutionnel. Le requérant évoque également l’évolution de la situation sur le plan de la sécurité et des droits de l’homme et la violence qui règne dans le pays depuis les attentats de Pâques 2019, et affirme qu’au vu de la dégradation de la situation à Sri Lanka, l’appréciation de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’est plus valable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 16 juillet 2020, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond. Il affirme que le requérant n’a pas étayé ses allégations concernant la violation présumée des articles 2 ou 16 de la Convention, qui ont trait à l’interdiction et à la prévention de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur le territoire des États parties. L’État partie fait observer que les articles 2 et 16 de la Convention font obligation aux États parties d’empêcher que des actes de torture soient commis dans « tout territoire sous [leur] juridiction ». Ces dispositions, limitées territorialement, n’imposent pas d’obligation à l’État partie s’agissant d’actes qui auraient été commis à Sri Lanka. L’État partie soutient, par conséquent, que les griefs soulevés par le requérant au titre des articles 2 et 16 sont irrecevables ratione materiae.

4.2Concernant le grief du requérant selon lequel, en cas de renvoi à Sri Lanka, il risquerait de subir des préjudices de la part de l’armée et de la marine sri-lankaises et de groupes paramilitaires progouvernementaux, comme le groupe Karuna, l’État partie affirme que les préjudices que le requérant risquerait de subir à son retour à Sri Lanka et qui font l’objet de certaines de ses allégations ne sont pas constitutifs de torture au sens de l’article 3 de la Convention. Pour ce qui est des allégations du requérant selon lesquelles, s’il était renvoyé à Sri Lanka, il serait victime de persécution et d’actes graves de discrimination, ilserait probablement angoissé et son état de santé mentale se dégraderait certainement, l’État partie fait observer que ces allégations sont irrecevables ratione materiae, puisque l’obligation de non-refoulementénoncée à l’article 3 de la Convention se limite aux situations dans lesquelles il existe des motifs sérieux de croire que la personne risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi.L’État partie fait valoir que pour déterminer l’applicabilité de l’article 3 de la Convention, le Comité a toujours distingué, d’une part, les actes de torture et, d’autre part, les traitements ne satisfaisant pas aux critères requis pour être considérés comme tels, parmi lesquels les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.3L’État partie affirme que les allégations du requérant concernant sa crainte d’être victime de persécution et de discrimination, son angoisse et le fait qu’il n’y aurait pas, à Sri Lanka, de services d’assistance médicale suffisants pour traiter ses troubles de santé mentale ne satisfont pas aux critères requis pour être considérées comme mettant en évidence un risque de torture au sens de l’article premier de la Convention et, partant, ne mettent pas en jeu les obligations de non-refoulement qui incombent à l’État partie au regard de l’article 3 de la Convention.

4.4L’État partie affirme en outre que les griefs du requérant sont irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité au motif qu’ils sont manifestement dénués de fondement. À cet égard, il renvoie à des décisions antérieures dans lesquelles le Comité avait conclu que des griefs étaient manifestement infondés lorsqu’ils n’étaient pas étayés par des pièces écrites ou autres preuves pertinentes suffisantes, ou lorsqu’ils n’étaient que pures suppositions et qu’il n’était pas apporté le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il incombe à l’auteur d’une communication d’étayer ses griefs de violation de l’article 3 de la Convention par des arguments exhaustifs qui permettent de conclure, à première vue, à la recevabilité de la communication. Or le requérant n’a pas satisfait à cette exigence.

4.5L’État partie relève que les griefs du requérant ont été soigneusement examinés par un certain nombre d’organes décisionnels nationaux, et notamment que la demande de visa de refuge présentée par le requérant a été étudiée par le Délégué du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières et a fait l’objet d’un examen indépendant au fond par l’Autorité d’examen des demandes d’immigration. Le requérant a également introduit une demande de contrôle juridictionnel auprès du tribunal de circuit fédéral, ainsi qu’un recours auprès de la Cour fédérale d’Australie, faisant valoir une erreur d’appréciation ayant entaché la décision de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration. Enfin, il a sollicité auprès de la Haute Cour d’Australie l’autorisation spéciale d’interjeter appel de la décision rendue par la Cour fédérale d’Australie. Ses griefs ont en outre été examinés dans le cadre de la procédure d’intervention ministérielle.

4.6Pour ce qui est de la crédibilité du requérant, l’État partie relève qu’il a été établi, dans le cadre des processus décisionnels internes, que le requérant avait exagéré certains aspects de ses allégations. L’État partie est conscient qu’on ne saurait attendre une exactitude parfaite de la part de victimes de la torture, mais ce facteur a été pris en considération par les autorités décisionnaires nationales qui ont eu à se prononcer sur les griefs du requérant. Par exemple, lorsqu’elle a eu à examiner la demande présentée par le requérant aux fins du réexamen de la décision de rejet de sa demande de visa de refuge, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a accordé au requérant une marge raisonnable d’erreur et d’incohérence. L’État partie conclut que les griefs soulevés par le requérant au titre de l’article 3 de la Convention restent manifestement dénués de fondement et devraient par conséquent être déclarés irrecevables. En outre, eu égard à la position adoptée de longue date par le Comité concernant les critères de recevabilité, l’État partie demande au Comité d’examiner spécifiquement les arguments formulés dans les présentes observations concernant la recevabilité de la requête et d’y répondre dans ses constatations.

4.7Dans l’éventualité où le Comité jugerait les griefs du requérant recevables, ceux‑ci devraient être écartés pour défaut de fondement, au regard des conclusions formulées dans les décisions des organes internes concernant les allégations du requérant, et de l’examen par l’État partie d’autres questions soulevées dans la communication que le requérant a soumise au Comité.

4.8L’État partie affirme que les griefs du requérant ont été soigneusement examinés au fond dans le cadre de sa demande de visa de refuge, notamment par l’Autorité d’examen des demandes d’immigration , et dans le cadre du traitement de demandes d’intervention ministérielle présentées ultérieurement en vertu de la loi sur les migrations. La décision de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration , qui coïncidait avec celle du Délégué, a par la suite été confirmée, ayant été jugée régulière par différentes instances à l’issue des procédures internes de réexamen suivantes : contrôle juridictionnel par le tribunal de circuit fédéral, contrôle juridictionnel par la Cour fédérale d’Australie, et demande d’autorisation spéciale auprès de la Haute Cour d’Australie.

4.9Le 16 décembre 2016, la demande de visa de refuge présentée par le requérant a été rejetée par le Délégué du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières, qui avait apprécié les réponses apportées par le requérant au cours d’un entretien (le requérant était alors assisté par un interprète de langue tamoule) et avait également tenu compte d’autres éléments pertinents, tels que les renseignements sur le pays communiqués par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce. L’État partie relève que certains griefs formulés par le requérant dans sa demande de visa de refuge diffèrent des allégations faites par celui-ci dans les informations qu’il a communiquées au Comité.

4.10À l’issue d’une évaluation des allégations formulées par le requérant dans sa demande de visa de refuge et au cours de l’entretien qui a fait suite à celle-ci, et compte tenu des renseignements sur le pays issus de différents rapports, le Délégué du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières a estimé que les informations dont on disposait au sujet du pays venaient étayer les allégations du requérant concernant les activités de l’armée dans la région et a retenu que le requérant avait été interrogé par les autorités sri-lankaises à plusieurs occasions lorsqu’il résidait dans un camp pour personnes déplacées et qu’à une occasion, il avait été détenu pendant quinze jours, interrogé, battu et torturé, car il était soupçonné d’être membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Le Délégué a toutefois relevé que le requérant ne prétendait pas avoir subi de préjudice de la part des autorités sri-lankaises entre son retour à Sri Lanka en 2001 et son départ pour l’Australie en 2012. Étant donné que le requérant était entré sans difficulté sur le territoire sri-lankais, où il avait ensuite géré un commerce pendant onze ans, y compris pendant le conflit, et s’était fait délivrer un passeport en 2008, le Délégué a conclu que le requérant n’intéressait pas les autorités sri-lankaises, qui ne semblaient pas lui prêter de liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

4.11Le Délégué a relevé qu’en dépit des interactions quasi quotidiennes qu’il avait avec les autorités et la marine sri-lankaises, le requérant n’avait pas déclaré que son activité de pêcheur lui avait valu de subir des préjudices ou d’être victime de harcèlement de la part des autorités sri-lankaises depuis 2009. Le Délégué a retenu que la mère du requérant avait été portée disparue, que son corps avait été retrouvé en janvier 2004 au poste de contrôle de la marine, et qu’elle avait été emmenée par des officiers de la marine sous les yeux de la sœur du requérant ; il a aussi retenu que l’oncle maternel du requérant avait été grièvement blessé par balle alors qu’il se rendait au tribunal où il devait témoigner au sujet du décès de la mère du requérant. Le requérant n’avait toutefois subi aucun préjudice de la part des autorités sri‑lankaises depuis 1997 et le Délégué n’a pas estimé qu’en raison de ses liens familiaux, il avait un profil qui intéressait les autorités sri-lankaises.

4.12Ayant examiné les renseignements sur le pays concernant les activités du groupe Karuna, le Délégué n’a pas jugé crédible que le groupe Karuna ait continué à réclamer de l’argent à la Société pendant deux ans après avoir appris que celle-ci avait été dissoute, ni que les membres du groupe aient simplement quitté les lieux après que le requérant eut refusé de se plier à leurs exigences. Quant aux allégations du requérant selon lesquelles des membres du groupe Karuna lui auraient rendu visite par deux fois et l’auraient menacé comme suite au signalement qu’il avait fait à la police, le Délégué ne les a pas jugées crédibles pour les raisons suivantes : rien ne portait à croire que le groupe Karuna ait été impliqué dans la mort de l’oncle du requérant ni que la police ait pris des mesures à l’égard du groupe Karuna comme suite aux déclarations du requérant ; si le groupe Karuna avait voulu faire du mal au requérant, il l’aurait probablement fait et ne se serait pas contenté de le menacer avant de repartir. De plus, le requérant n’a pas prétendu que sa famille avait été harcelée ou interrogée après qu’il eut quitté son village d’origine, et le fait que le requérant soit retourné dans son village avant de quitter Sri Lanka porte à croire qu’il ne craignait pas que le groupe Karuna attente à sa vie.

4.13L’État partie fait savoir en outre que, compte tenu des renseignements sur le pays et des informations diffusées par les médias, le Délégué a conclu que la situation des Tamouls à Sri Lanka avait considérablement évolué depuis l’arrivée du requérant en Australie et que celui-ci n’avait pas un profil qui justifiait qu’il craigne légitimement d’être persécuté pour de quelconques liens qu’on lui prêterait avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou pour le soutien qu’il serait soupçonné d’apporter à cette organisation. S’agissant de l’argument du requérant concernant son renvoi à Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté, le Délégué a considéré que les éventuelles amendes ou sanctions qui pourraient lui être infligées en raison de son départ illégal résulteraient d’une loi d’application générale et ne relèveraient pas de la persécution. Le Délégué n’était donc pas convaincu que la situation du requérant, considérée dans son ensemble, était de nature à susciter une crainte légitime de persécution.

4.14Pour ce qui est du préjudice grave que le requérant risquerait de subir en raison de son origine tamoule et du fait qu’au surplus, il est originaire de l’Est − zone contrôlée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul − ou que l’on considérait qu’il soutenait cette organisation ou qu’il entretenait des liens avec elle, le Délégué a estimé qu’il n’y avait pas de raison sérieuse de croire que le requérant serait réellement exposé à un risque de préjudice grave s’il retournait à Sri Lanka.

4.15L’État partie affirme que, le 27 mars 2017, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a confirmé la décision du Délégué de ne pas accorder de visa de refuge au requérant et a fait savoir qu’elle avait examiné la demande de protection du requérant et conclu que la crainte de persécution dont celui-ci faisait état n’était pas fondée et qu’il n’existait pas de raisons sérieuses de croire que, par suite de son renvoi de l’Australie à Sri Lanka, le requérant serait nécessairement exposé à un risque réel et prévisible de subir un préjudice important (et notamment d’être victime de torture).

4.16L’État partie affirme que, le 31 janvier 2018, le tribunal de circuit fédéral a débouté le requérant de sa demande de contrôle juridictionnel de la décision de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration. Le requérant, qui était physiquement présent à l’audience du tribunal de circuit fédéral, s’est exprimé oralement. Il a tiré moyen, en premier lieu, du fait que l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’avait pas tenu compte du risque de préjudice auquel il risquait d’être exposé s’il était renvoyé à Sri Lanka et assumait de nouveau les fonctions de trésorier ou de secrétaire de la Société de développement des pêcheurs de Vikneswara ; à ce titre, il a fait valoir que l’Autorité d’examen des demandes d’immigration avait commis une erreur d’appréciation, de sorte que sa décision devait être contrôlée. Le tribunal de circuit fédéral a écarté ce moyen au motif qu’il ne ressortait pas des éléments dont avait été saisie l’Autorité d’examen des demandes d’immigration que le requérant craignait que l’éventualité qu’il assume de nouveau l’une ou l’autre fonction lui vaille de subir un préjudice ni qu’il envisageait d’assumer de nouveau ces fonctions. Par conséquent, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’était pas tenue d’envisager cette possibilité et n’avait pas commis d’erreur d’appréciation.

4.17S’agissant du deuxième moyen invoqué par le requérant, l’État partie explique que celui‑ci a fait valoir que l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’avait pas examiné cumulativement les motifs de la demande de protection qu’il avait présentée au titre de la Convention relative au statut des réfugiés. Le tribunal de circuit fédéral a estimé qu’au vu du dispositif des conclusions de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration concernant la question de savoir si la crainte de persécution du requérant était fondée et si celui-ci risquait réellement de subir un préjudice grave à son retour à Sri Lanka, un examen cumulatif des moyens écartés ne permettrait pas de parvenir à un résultat différent. Le tribunal a conclu en outre que, puisque l’Autorité d’examen des demandes d’immigration avait rejeté dans leur ensemble les moyens invoqués par le requérant, il n’y avait pas lieu de procéder à l’examen cumulatif de ces moyens. Par conséquent, il n’y avait pas eu d’erreur d’appréciation et le requérant a été débouté de son recours.

4.18Le 9 février 2018, le requérant a demandé l’autorisation d’interjeter appel contre la décision du tribunal fédéral de circuit auprès de la Cour fédérale d’Australie, faisant valoir que l’Autorité d’examen des demandes d’immigration n’avait pas examiné cumulativement les motifs de sa demande de protection pour déterminer si sa crainte d’être persécuté était fondée. L’État partie fait observer que, selon la jurisprudence australienne, la Cour fédérale d’Australie a déterminé qu’il fallait examiner cumulativement les « arguments ou moyens » permettant de déterminer l’existence d’une crainte fondée. Le requérant a motivé sa demande de protection en faisant valoir ce qui suit : 1) sa crainte fondée sur sa qualité de jeune Tamoul originaire de l’est et sympathisant ou soupçonné d’être sympathisant des Tigres de libération de l’Eelam tamoul ; 2) sa crainte suscitée par les actions du groupe Karuna ; 3) sa crainte fondée sur son départ illégal de Sri Lanka. Tous ces arguments ont été écartés par l’Autorité d’examen des demandes d’immigration au motif que, conformément à la jurisprudence australienne, il n’y a aucune obligation d’effectuer un examen cumulatif lorsque les différents moyens ont été écartés un à un pour des raisons de fait, ou ont permis d’aboutir à la conclusion que les éléments invoqués ne continuaient pas ou ne continueraient pas d’occasionner des problèmes pour le demandeur du visa, s’il retournait dans le pays destinataire. La Cour fédérale d’Australie a conclu qu’un examen cumulatif des constatations de fait de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration ne permettrait pas d’aboutir à un résultat différent de celui auquel était parvenue l’Autorité d’examen des demandes d’immigration , étant donné que celle-ci avait écarté chacun des moyens tirés par le requérant. Le 13 juin 2018, la Cour a débouté le requérant de son recours.

4.19L’État partie affirme que, le 25 juin 2018, le requérant a demandé l’autorisation spéciale d’interjeter appel contre la décision de la Cour fédérale d’Australie ; sa demande a été rejetée par la Haute Cour d’Australie le 12 septembre 2018.

4.20L’État partie fait observer en outre que, le 7 octobre 2018, le requérant a présenté sa première demande d’intervention ministérielle, faisant valoir, sans en apporter la preuve, qu’il ne pouvait retourner à Sri Lanka parce qu’il était dépressif et angoissé. S’il a tenu compte des renseignements actualisés concernant le pays, le Ministère de l’intérieur a estimé que ces nouvelles informations ne permettraient probablement pas de conclure à la mise en jeu des obligations qui incombaient à l’Australie en matière de protection. Le 17 avril 2019, le Ministère a estimé que les griefs du requérant ne répondaient pas aux critères définis dans les directives relatives aux interventions ministérielles ; la demande du requérant n’a pas été transmise au Ministre pour examen.

4.21Le 13 septembre 2019, le requérant a déposé une deuxième demande d’intervention ministérielle, à laquelle il a joint un rapport médical délivré par un assistant social et daté du 2 septembre 2019, ainsi que des informations indépendantes sur Sri Lanka. L’État partie fait savoir que le Ministère des affaires intérieures a tenu compte des informations sur le pays communiquées par le requérant, ainsi que des directives du HCR, des informations sur Sri Lanka communiquées par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce et le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et du profil du requérant. Il a conclu que les Tamouls auxquels on attribuait des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou ceux qui étaient considérés comme menaçant l’intégrité de l’État sri-lankais étaient effectivement en danger, mais que le requérant n’avait aucun lien avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ni n’était associé à aucun groupe représentant une menace pour l’intégrité de l’État sri-lankais.

4.22Concernant le moyen tiré par le requérant de son état de santé mentale, le Ministère de l’intérieur a reconnu qu’il pouvait être vulnérable, qu’il avait pu éprouver une angoisse et un stress, et que les services de santé mentale étaient rares à Sri Lanka, mais il a conclu que le requérant pourrait bénéficier de services de santé mentale et de services médicaux de base grâce au système de santé universel sri-lankais. S’agissant des préoccupations du requérant au sujet de la situation politique à Sri Lanka en 2018, après la révocation du Premier Ministre élu, le Ministère a estimé que cette situation n’ajoutait pas au risque que le requérant courait de subir un préjudice grave ou important. Le Ministère a estimé que la demande d’intervention ministérielle présentée par le requérant ne comportait aucun élément nouveau ou complémentaire permettant de conclure à la mise en jeu des obligations qui incombaient à l’Australie en matière de protection et a donc décidé de ne pas transmettre la demande du requérant au Ministre pour examen.

4.23Concernant trois autres questions soulevées par le requérant dans la communication qu’il a soumise au Comité, à savoir les griefs relatifs aux irrégularités des procédures et des normes internes, les griefs concernant la situation actuelle à Sri Lanka et la situation dans laquelle le requérant se trouverait probablement à son retour, et les griefs concernant l’état de santé mentale du requérant et la possibilité d’accéder à des services de santé à Sri Lanka, l’État partie donne des précisions et fait observer que les griefs du requérant ont été examinés de manière approfondie par un certain nombre d’organes décisionnels internes, notamment par un délégué du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières dans le cadre du traitement de la demande de visa de refuge présentée par le requérant et dans le cadre d’un examen indépendant au fond, effectué par l’Autorité d’examen des demandes d’immigration. En outre, le requérant a également introduit une demande de contrôle juridictionnel auprès du tribunal de circuit fédéral, de la Cour fédérale d’Australie et de la Haute Cour d’Australie, au motif que la décision de l’Autorité d’examen des demandes d’immigrationmettait en évidence une erreur d’appréciation de la part de celle-ci. Les griefs du requérant ont également été examinés par deux fois dans le cadre de la procédure d’intervention ministérielle. L’État partie fait observer, en outre, que l’Autorité d’examen des demandes d’immigrationn’a pas l’obligation de citer expressément, dans ses décisions et motifs de décision, chaque élément de preuve dont elle est saisie ni tous les éléments dont elle a tenu compte.

4.24Concernant l’évaluation accélérée, l’État partie dit garantir aux demandeurs l’équité de la procédure, dont la finalité première est de permettre de traiter plus efficacement le nombre important de demandes résultant de l’afflux massif de personnes arrivant dans le pays par bateau. Dans le cadre de cette procédure, il importe que les demandeurs d’asile formulent leur demande de protection en donnant des informations complètes et exactes dès que possible. L’État partie affirme que l’évaluation accélérée des demandes de visa permet de garantir aux demandeurs un moyen de faire examiner leurs demandes de protection de façon exhaustive et approfondie et dans les meilleurs délais, et que la demande présentée par le requérant a été traitée équitablement tout au long de cette procédure.

4.25L’État partie affirme que les obligations qui incombent à l’Australie en matière de non-refoulement, y compris l’obligation énoncée à l’article 3 de la Convention, sont transposées dans la loi sur les migrations et les textes réglementaires connexes, et que la loi sur les migrations prévoit l’octroi d’un visa de protection aux personnes à l’égard desquelles l’obligation de non-refoulement entre en jeu. L’État partie répète que le Comité a dit par le passé que le système judiciaire australien offrait une solide procédure d’examen des griefs sur le fond et de contrôle juridictionnel permettant de corriger toute erreur commise dans une décision initiale. Les griefs du requérant ont été examinés de manière approfondie par plusieurs autorités internes, qui ont estimé qu’ils n’étaient pas de nature à mettre en jeu les obligations de non-refoulement qui incombent à l’Australie en vertu de la Convention. Pour ces raisons, l’État partie soutient qu’il convient que le Comité accorde un poids considérable aux constatations faites dans le cadre des procédures internes australiennes concernant les griefs du requérant. Il insiste sur l’équité des procédures internes dans le cadre desquelles la demande de protection du requérant a été examinée.

4.26Concernant les moyens tirés par le requérant de la situation actuelle à Sri Lanka et de la situation dans laquelle il se trouverait probablement à son retour, ainsi que de l’évolution de la situation sur le plan de la sécurité et des droits de l’homme, dont il est fait état dans plusieurs documents, notamment dans le rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, l’État partie est conscient que l’article 3 (par. 2) de la Convention dispose que, pour déterminer si le paragraphe 1 du même article s’applique, il faut tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. L’État partie ajoute toutefois que l’existence d’un risque général de violence ne permet pas en soi de conclure que telle ou telle personne serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; ildoit exister des motifs précis donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. L’État partie soutient que les éléments apportés par le requérant dans sa communication, en particulier les deux rapports complémentaires, ont trait au risque général de violence à Sri Lanka, risque qui concerne particulièrement les personnes accusées d’actes terroristes, mais n’expliquent pas en quoi le requérant courrait personnellement un risque. Enconséquence, le requérant n’a pas démontré qu’il existait des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel de torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.27L’État partie renvoie aussi au dernier rapport du Ministère australien des affaires étrangères et du commerce sur Sri Lanka et fait observer que, si les musulmans sont victimes de représailles et de diffamation et de discrimination généralisées depuis les attentats de Pâques, les Sri-lankais non musulmans, notamment les Tamouls, ne risquent guère d’être victimes de discrimination fondée sur leur origine ethnique, que ce soit au sein de la société ou de la part des autorités.

4.28Concernant l’argument du requérant selon lequel les services de santé mentale et l’accompagnement des personnes souffrant de troubles de santé mentale font défaut à Sri Lanka et, en cas de renvoi à Sri Lanka, il serait probablement angoissé, du fait des troubles de santé mentale dont il souffre, et son état de santé mentale se dégraderait probablement, l’État partie rappelle que le Comité a estimé par le passé qu’en l’absence d’autres facteurs, le fait que le renvoi d’une personne aggraverait son état de santé mentale ne constituait pas une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie fait remarquer que le requérant a cherché à bénéficier de soins médicaux en septembre 2019, alors qu’il résidait en Australie depuis sept ans environ. Selon le rapport, le requérant présentait une aggravation de ses symptômes d’anxiété et de dépression comme suite au rejet de son recours par la Cour. L’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait que l’aggravation des symptômes de dépression du requérant s’expliquait par le rejet de son recours, et non par les préjudices et les faits de torture qu’il aurait subis à Sri Lanka. Il souligne que le Comité a estimé par le passé que le seul fait qu’un requérant souffre de difficultés psychologiques ne pouvait être considéré, en soi, comme un motif suffisant pour obliger l’État partie à ne pas l’expulser.

4.29L’État partie souligne que les moyens tirés par le requérant de son état de santé mentale ont été examinés par le Ministère des affaires intérieures dans le cadre du traitement de sa deuxième demande d’intervention ministérielle. Ayant examiné le rapport médical produit par le requérant, ainsi que les renseignements communiqués par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce au sujet du pays, le Ministère a estimé que, si les services de santé mentale faisaient effectivement défaut à Sri Lanka, le requérant pourrait bénéficier de services de santé mentale et de services de santé de base grâce au système de santé universel sri-lankais. L’État partie affirme que, bien que le requérant ait transmis un rapport médical au Comité, rien ne porte à croire que son état de santé mentale se dégraderait à Sri Lanka ou que le requérant se verrait délibérément privé de traitements médicaux à son retour dans le pays. L’État partie considère par conséquent que le requérant n’a pas démontré qu’il existait des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une note en date du 29 octobre 2020, le requérant a commenté les observations de l’État partie et maintenu que celui-ci violerait l’article 3 de la Convention s’il le renvoyait à Sri Lanka.

5.2Le requérant affirme que l’État partie l’a privé de ses moyens d’action en ne lui donnant pas accès à l’aide juridique à différentes étapes de la procédure d’évaluation de sa demande de protection. Pendant ses entretiens avec les responsables du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, il était seul et n’avait personne pour le représenter. Il affirme que l’État partie ne l’a pas considéré comme un indigent, ce qui est contraire au rôle de l’État partie, qui en tant que partie à une procédure a l’obligation d’être exemplaire.

5.3Le requérant affirme que les persécutions dont il était victime à Sri Lanka et son trajet vers l’Australie par bateau lui ont causé des troubles psychologiques, et qu’il souffre désormais de troubles anxieux graves, de troubles post-traumatiques et de dépression.

5.4Le requérant affirme que l’État partie n’a pas étayé ses arguments relatifs à la recevabilité de la communication et relève qu’il avait dépassé le délai de deux mois qu’il lui était imparti pour soumettre ses observations à ce propos.

5.5Le requérant soutient en outre que ses griefs n’ont pas été examinés de manière approfondie par les autorités et les juridictions nationales compétentes. Il répète que les différents facteurs qui caractérisent sa situation personnelle, à savoir le fait qu’il est d’origine tamoule, qu’on l’associe avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, qu’il a déjà été victime de mauvais traitements, puisqu’il a notamment été arrêté, détenu à plusieurs reprises et torturé, et qu’il craint d’être persécuté, sont authentiques et bien réels ; il ne s’agit pas de simples suppositions. Le requérant affirme que le Délégué n’a pas tenu compte du fait que le niveau de preuve requis pour établir les faits matériels était relativement faible, ce qu’il fallait pourtant garder à l’esprit tout au long de la procédure. Il ajoute que le niveau de preuve nécessaire au regard de la loi sur les migrations est plus élevé que celui exigé par la Convention.

5.6Le requérant affirme qu’en rejetant ses demandes d’intervention ministérielle, l’État partie l’a privé du droit à une procédure équitable. Il ajoute que le Délégué n’a pas permis au Ministre de l’immigration, de la citoyenneté, des services pour les migrants et des affaires multiculturelles de disposer d’une analyse assez approfondie des renseignements qui lui étaient communiqués, en particulier de l’évolution récente de la situation politique et des violences à Sri Lanka.

5.7Le requérant renvoie aux observations préliminaires et aux recommandations du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur la visite que celui-ci a effectuée à Sri Lanka, du 29 avril au 7 mai 2016, dans lequel le Rapporteur spécial a souligné que la torture était une pratique courante et que le cadre juridique actuel et l’absence de réforme dans les structures des forces armées, du Bureau du Procureur général et de l’appareil judiciaire perpétuaient le risque bien réel que la torture continue d’être pratiquée.

5.8Le requérant affirme que Sri Lanka est le théâtre d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, et que la situation politique dans le pays a radicalement changé depuis l’arrivée au pouvoir du Président Gotabaya Rajapaksa en novembre 2019. Le requérant affirme que les autorités sri-lankaises continuent de s’intéresser à lui et que, s’il était renvoyé à Sri Lanka, il serait véritablement exposé à un risque important d’être torturé par des soldats de l’armée et des membres de groupes paramilitaires, et de la Direction de la police judiciaire.

Réponses complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note en date du 18 janvier 2021, l’État partie a fait savoir au Comité que rien dans les renseignements communiqués par le requérant ne permettait de remettre en question son appréciation initiale et que les griefs du requérant étaient irrecevables ou devraient être écartés pour défaut de fondement.

6.2Concernant les griefs du requérant selon lesquels l’État partie n’a pas transmis ses objections quant à la recevabilité dans le délai de deux mois, l’État partie souligne qu’il a transmis ses observations sur la recevabilité et le fond en temps utile, comme suite à sa correspondance avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. L’État partie soutient respectueusement que ses allégations concernant la recevabilité des griefs du requérant étaient claires et, au regard de l’obligation d’examiner la recevabilité et de se prononcer sur cette question, répète que le Comité devrait examiner spécifiquement ses arguments concernant la recevabilité de la requête et y répondre dans ses constatations.

6.3Concernant l’argument du requérant selon lequel ses griefs n’ont pas été examinés de manière approfondie par les autorités et les juridictions nationales compétentes, l’État partie répète qu’il a déjà amplement montré dans ses observations initiales que les griefs du requérant avaient été examinés dans le cadre de solides procédures internes ; qu’il avait été établi que ces griefs n’étaient pas crédibles et ne mettaient pas en jeu les obligations de l’État partie en matière de non-refoulement ; qu’il convient que le Comité accorde un poids considérable aux constatations faites à l’issue des procédures internes. Chaque organe décisionnel interne a estimé que la demande de protection du requérant n’était pas étayée et que son récit des événements, sur lequel reposait sa demande, n’était pas crédible. Le requérant a introduit une demande de contrôle juridictionnel auprès du tribunal de circuit fédéral et de la Cour fédérale d’Australie, faisant valoir une erreur d’appréciation entachant la décision rendue par l’Autorité d’examen des demandes d’immigration. Le tribunal de circuit fédéral et la Cour fédérale d’Australie ont tous deux débouté le requérant de sa demande, estimant que l’existence de l’erreur d’appréciation n’était pas démontrée.

6.4Concernant le grief du requérant selon lequel les demandeurs d’asile sont pénalisés en ce qu’ils ne bénéficient pas de l’aide juridique à différentes étapes de la procédure d’asile, l’État partie relève que le requérant était représenté par un conseil dans le cadre des recours qu’il a introduits auprès du tribunal de circuit fédéral et de la Cour fédérale d’Australie, et que les organes décisionnels internes ont tenu compte de sa vulnérabilité lorsqu’ils ont examiné ses demandes, comme l’a déjà expliqué l’État partie dans ses observations initiales.

6.5S’agissant des allégations du requérant selon lesquelles les autorités nationales l’ont privé du droit à une procédure équitable en rejetant ses demandes d’intervention ministérielle et n’ont pas tenu compte de l’évolution de la situation politique et humanitaire à Sri Lanka, l’État partie appelle l’attention du Comité sur ses observations initiales, dans lesquelles il a expliqué que les demandes d’intervention ministérielle présentées par le requérant avaient été soigneusement examinées par le Ministère des affaires intérieures conformément aux directives ministérielles applicables. Le Ministère avait tenu compte des renseignements actualisés sur le pays qui avait été communiqués par le requérant, ainsi que des directives du HRC, et des informations sur Sri Lanka communiquées par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce et le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni. Il avait estimé que les demandes d’intervention ministérielle présentées par le requérant ne comportaient aucun élément nouveau ou complémentaire permettant de conclure à la mise en jeu des obligations de l’État partie en matière de protection.

6.6Concernant l’argument du requérant selon lequel l’État partie n’a pas respecté l’obligation qui lui incombait de se montrer exemplaire en tant que partie à une procédure, l’État partie répète que, lorsqu’ils ont eu à apprécier la crédibilité des griefs du requérant, les organes décisionnels internes ont été attentifs à l’existence possible de circonstances atténuantes et à l’incidence potentielle de ces circonstances sur le comportement du requérant ou sur sa capacité à présenter ses griefs. L’État partie fait savoir par exemple que, lorsqu’elle a examiné la demande présentée par le requérant aux fins du réexamen de la décision de rejet de sa demande de visa de refuge, l’Autorité d’examen des demandes d’immigration lui a accordé une marge raisonnable d’erreur et d’incohérence.

6.7Concernant le certificat médical délivré au requérant et les allégations selon lesquelles les troubles psychologiques dont souffre celui-ci résultent des persécutions qu’il a subies à Sri Lanka et de son voyage vers l’Australie, l’État partie renvoie à ses observations initiales et répète que rien ne prouve que l’état de santé mentale du requérant se dégraderait ou qu’il se verrait délibérément privé de soins médicaux à son retour à Sri Lanka.

6.8S’agissant des griefs du requérant selon lesquels, lorsqu’il a examiné sa demande de visa de refuge, le Délégué du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières n’a pas tenu compte du fait que le niveau de preuve requis pour établir les faits était relativement faible, l’État partie appelle l’attention du Comité sur ses observations initiales et fait valoir que le droit n’impose pas de charge de la preuve en matière administrative, et que la norme générale relative à la prise de décisions administratives au regard de la loi sur les migrations a trait à la notion de « conviction », qui suppose que le décideur dispose de suffisamment d’informations pour pouvoir se prononcer à l’aune du critère ou de la règle applicables. Concernant la loi sur les migrations, l’État partie affirme qu’elle fait obligation au requérant de démontrer qu’il courrait « un risque réel » d’être persécuté s’il était renvoyé dans son pays d’origine. La Convention dispose, quant à elle, que le requérant doit démontrer l’existence de « motifs sérieux de croire » qu’il risquerait d’être soumis à la torture. L’État partie affirme par conséquent que la loi sur les migrations fixe un critère moins élevé s’agissant du de degré de conviction de l’organe décisionnel à partir duquel il est conclu à la mise en jeu des obligations de l’Australie en matière de non-refoulement.

6.9Concernant l’argument du requérant selon lequel la situation politique à Sri Lanka a radicalement changé depuis l’élection de Gotabaya Rajapaksa, en novembre 2019, l’État partie renvoie aux dernières informations actualisées publiées par le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni sur la situation à Sri Lanka, dans lesquelles le Ministère constate que les groupes minoritaires, parmi lesquels les Tamouls, s’inquiètent encore de savoir si le Gouvernement va protéger les intérêts des Sri-lankais minoritaires, mais ne conclut pas que les Tamouls risquent plus qu’auparavant d’être victimes de discrimination, que ce soit au sein de la société ou de la part des autorités, depuis l’élection du Président Gotabaya Rajapaksa et la nomination du Premier Ministre Mahinda Rajapaksa. À ce propos, l’État partie rappelle que l’existence d’un risque général de violence dans un pays ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans ce pays, et qu’il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que cette personne courrait personnellement un risque.

6.10Enfin, renvoyant aux allégations du requérant selon lesquelles ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul et le fait que les autorités s’intéressent à lui lui feraient courir un risque prévisible et réel de subir un préjudice de la part de l’armée sri-lankaise, de groupes paramilitaires et de la Direction de la police judiciaire s’il était renvoyé à Sri Lanka, l’État partie répète que ces allégations ont été examinées de manière approfondie dans le cadre de solides procédures internes, à l’issue desquelles il a été conclu qu’elles étaient dénuées de fondement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

7.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au regard des articles 2 et 16 de la Convention, faisant valoir que ces dispositions imposaient à l’État partie l’obligation d’empêcher que les actes visés soient commis dans tout territoire sous sa juridiction et qu’elles étaient donc limitées territorialement et n’imposaient pas d’obligation à l’État partie s’agissant d’actes qui auraient été commis à Sri Lanka. Le Comité conclut qu’en l’absence d’autres informations pertinentes dans le dossier, cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

7.4Le Comité considère que le requérant a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs soulevés au titre de l’article 3 de la Convention concernant le risque qu’il courrait d’être victime de torture et de mauvais traitements s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il déclare donc la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si l’expulsion du requérant vers Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. À ce sujet, le Comité renvoie à son examen du cinquième rapport périodique de Sri Lanka, au cours duquel il a exprimé sa grave préoccupation quant aux informations selon lesquelles les forces de sécurité de l’État, notamment la police, avaient continué de commettre des enlèvements et des actes de torture et à infliger des mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, en mai 2009. Le Comité renvoie également à des informations provenant d’organisations non gouvernementales concernant la manière dont les individus renvoyés à Sri Lanka sont traités par les autorités sri-lankaises. Il rappelle toutefois que l’examen des requêtes émanant de particuliers a pour but de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Le Comité rappelle aussi que, si les événements passés peuvent avoir leur importance, la principale question dont est saisi le Comité est de savoir si le requérant courrait actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

8.4Le Comité, renvoyant à son observation générale no 4 (2017), rappelle qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion. Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ou des membres de sa famille ; c) l’arrestation ou le placement en détention sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par défaut (par. 45). En ce qui concerne le fond d’une communication présentée en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture (par. 38). LeComité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné ; cependant, il n’est pas tenu par ces constatations et il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

8.5En l’espèce, le requérant affirme qu’il risquerait de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka, puisqu’il serait persécuté en raison de son appartenance ethnique, de ses opinions politiques, ou de celles qu’on lui prête en tant que sympathisant présumé des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et parce qu’il résidait auparavant dans une zone contrôlée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul et a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée. Le Comité note, en outre, que l’auteur dit avoir été enlevé et torturé par le groupe Karuna pour avoir refusé de verser l’argent que celui-ci lui réclamait lorsqu’il travaillait au sein de la Société de développement des pêcheurs de Vikneswara et affirme que le groupe Karuna le recherche parce qu’il a prévenu la police de sa tentative d’extorsion.

8.6Le Comité note que, d’après l’État partie, les allégations du requérant ont été soigneusement examinées par un certain nombre d’organes décisionnels nationaux, notamment par un délégué du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières dans le cadre du traitement de la demande de visa de refuge présentée par le requérant et dans le cadre d’un examen indépendant au fond, effectué par l’Autorité d’examen des demandes d’immigration. En outre, le requérant a introduit des demandes de contrôle juridictionnel de la décision de l’Autorité d’examen des demandes d’immigration auprès du tribunal de circuit fédéral et de la Cour fédérale d’Australie, et s’est pourvu devant la Haute Cour d’Australie, faisant valoir une erreur d’appréciation ayant entaché ladite décision. Les allégations du requérant ont également été examinées par deux fois dans le cadre de la procédure d’intervention ministérielle. Le Comité note que, d’après l’État partie, les autorités et les juridictions nationales compétentes ont estimé que les allégations du requérant n’étaient pas crédibles et ne mettaient pas en jeu les obligations de non-refoulement de l’État partie, et qu’une fois de retour à Sri Lanka, le requérant ne risquerait pas de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Le Comité note que l’Autorité d’examen des demandes d’immigration a retenu que le groupe Karuna avait réclamé de l’argent au requérant et conclu que le requérant ne serait plus inquiété par le groupe Karuna étant donné qu’il n’était plus dépositaire des fonds de la Société de développement des pêcheurs de Vikneswara. L’Autorité d’examen des demandes d’immigration a en outre examiné les allégations du requérant selon lesquelles il avait dû partir s’installer ailleurs de crainte d’être persécuté par le groupe Karuna et a conclu que le groupe Karuna ne s’intéressait plus au requérant ni ne cherchait à savoir où il se trouvait au moment où celui-ci a quitté Sri Lanka par bateau.

8.7Le Comité prend note, en outre, des allégations du requérant selon lesquelles il serait en danger parce qu’il a quitté illégalement Sri Lanka et parce qu’il a présenté une demande de protection en Australie. Il note qu’à la lumière des renseignements dont elles disposaient sur le pays et des informations diffusées par les médias, les autorités de l’État partie ont souligné que la situation des Tamouls de Sri Lanka avait considérablement évolué depuis l’arrivée du requérant en Australie et ont conclu que le requérant n’avait pas un profil qui justifiait qu’il craigne légitimement d’être persécuté pour de quelconques liens qu’on lui prêterait avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou pour le soutien qu’il serait soupçonné d’apporter à cette organisation. S’agissant de l’argument du requérant concernant son renvoi à Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté, les autorités nationales ont considéré que les éventuelles amendes ou sanctions qui pourraient lui être infligées en raison de son départ illégal résulteraient d’une loi d’application générale et ne relèveraient pas de la persécution.

8.8Concernant l’argument du requérant selon lequel il a été identifié comme sympathisant des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, détenu et torturé par des militaires, avant d’être remis en liberté quinze jours plus tard, le Comité note que quinze ans se sont écoulés depuis les faits, qu’entre-temps, les autorités sri-lankaises ne semblent pas s’être intéressées à lui, ne le soupçonnant vraisemblablement pas de faire partie des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et que, depuis la fin de la guerre, les Tamouls sont bien moins surveillés et harcelés qu’auparavant. Le Comité prend note, en outre, de l’appréciation faite par l’État partie, qui fait valoir que le requérant a pu se rendre en Inde et en revenir sans encombre, en passant par l’aéroport de Colombo, qu’il s’est fait délivrer un passeport sans difficulté en 2008, qu’il était régulièrement en contact avec les autorités du fait de ses fonctions de trésorier de la Société de développement des pêcheurs de Vikneswara et n’a jamais rencontré aucune difficulté, et qu’il n’était plus gestionnaire de la Société. Le Comité note que l’État partie conclut que les autorités sri-lankaises ne s’intéressent pas au requérant, auquel elles ne prêtent pas de liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

8.9S’agissant de l’argument du requérant concernant son état de santé mentale et le fait que les autorités n’avaient pas suffisamment tenu compte des préjudices moral et corporel qu’il avait subis en raison de son exposition au conflit armé prolongé et aux violations graves des droits de l’homme qui avaient été commises à Sri Lanka, le Comité note que l’État partie a considéré que le requérant pouvait être vulnérable, qu’il pouvait avoir éprouvé une angoisse et un stress, et que les services de santé mentale étaient rares à Sri Lanka, mais qu’il a conclu que le requérant pourrait bénéficier de services de santé mentale et de services médicaux de base grâce au système de santé universel sri-lankais et que rien ne portait à croire que son état de santé mentale se dégraderait à Sri Lanka ni qu’il se verrait délibérément privé de traitements médicaux à son retour dans le pays.

8.10Concernant l’argument du requérant relatif à l’aggravation de la situation des droits de l’homme à Sri Lanka depuis l’élection du Président Gotabaya Rajapaksa en novembre 2019, le Comité prend note de dernières informations actualisées publiées par le Ministère de l’intérieur sur la situation à Sri Lanka. Celui-ci constate que les groupes minoritaires, parmi lesquels les Tamouls, s’inquiètent encore de savoir si le Gouvernement va protéger les intérêts des Sri-lankais minoritaires, mais ne conclut pas que les Tamouls risquent plus qu’auparavant d’être victimes de discrimination, que ce soit au sein de la société ou de la part des autorités, depuis l’élection du Président Gotabaya Rajapaksa et la nomination du Premier Ministre Mahinda Rajapaksa. Le Comité note que, selon l’État partie, cette situation n’ajouterait pas au risque que le requérant courrait de subir un préjudice grave ou important s’il retournait à Sri Lanka. Il relève en outre que l’existence d’un risque général de violence ne permet pas en soi de conclure que telle ou telle personne serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque.

9.Compte tenu de ce qui précède et sur la base de toutes les informations communiquées par le requérant et par l’État partie, notamment celles concernant la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité estime qu’en l’espèce, les faits dont il est saisi ne font pas apparaître que le renvoi du requérant à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. En outre, le requérant n’a pas démontré que les autorités de l’État partie n’avaient pas dûment enquêté sur ses allégations.

10.Le Comité conclut donc que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs suffisants de croire qu’il courrait personnellement un risque réel, prévisible et actuel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

11.Le Comité, agissant conformément à l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.