Nations Unies

CAT/C/73/D/952/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

1 juillet 2022

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 952/2019 * , **

Communication présentée par :

Cyrille Ndayirukiye(représenté par deux conseils, Jean Claude Ntiburumunsi et Divine Ntiranyuhura)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Burundi

Date de la requête :

7 juin 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 4 septembre 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

12 mai 2022

Objet :

Torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;absence d’enquête effective et de réparation

Question ( s ) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question ( s ) de fond :

Torture ; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; prévention de la torture ; investigation rapide et impartiale ; traitement desprisonniers ; réparation

Article ( s ) de la Convention :

1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16

1.1Le requérant est Cyrille Ndayirukiye, de nationalité burundaise, né en 1954. Il a affirmé être victime de violations par l’État partie de ses droits protégés au titre des articles 2 (par. 1), 11, 12, 13 et 14 de la Convention, lus conjointement avec l’article 1er et, subsidiairement, avec l’article 16, ainsi que de l’article 16 de la Convention lu seul. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 10 juin 2003. Le requérant est représenté par deux conseils, Jean Claude Ntiburumunsi et Divine Ntiranyuhura.

1.2Le 4 septembre 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de permettre au requérant de bénéficier d’une assistance juridique en ayant accès à l’avocat de son choix, d’être examiné par un médecin de son choix, d’avoir accès aux soins appropriés pour son état de santé et, avec son représentant, d’avoir accès à tous les documents de la procédure judiciaire tenue à son égard, notamment toutes les décisions de justice précédemment rendues.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant était un ancien officier général de la Force de défense nationale du Burundi et ancien Ministre de la défense. Il était l’un des 18 officiers de l’armée et de la police burundaises qui ont fomenté la tentative de coup d’État du 13 mai 2015. Le 15 mai 2015, vers 5 h 30 du matin, le requérant a été attaqué dans un quartier de Bujumbura par un groupe de militaires appartenant au bataillon de la garde présidentielle. Lors de l’attaque, il a subi un violent passage à tabac infligé par ces militaires. Ventre à terre, il a reçu des coups de bottines et de crosses d’armes à feu avant d’être menotté et embarqué dans un camion, sous une pluie de coups et d’insultes à caractère ethnique.

2.2Le requérant a été transporté jusqu’à un terrain de basket où un groupe nombreux de militaires royalistes lui ont craché dessus et lui ont proféré des insultes à caractère ethnique. Il a ensuite été conduit au cachot du Service national de renseignement et placé dans une cellule de 4 mètres sur 3 mètres, avec trois codétenus. Ses compagnons de cellule et lui ont été maintenus menottés deux par deux dans cette cellule pleine de moustiques, sans couverture ni matelas. Ils bénéficiaient d’un seul seau pour faire leurs besoins, qu’ils ne pouvaient vider qu’une fois par jour.

2.3Le même jour, lors de son premier interrogatoire dans les locaux du Service national de renseignement, l’Administrateur général dudit service est venu dans la salle d’interrogatoire et a proféré des menaces de mort envers le requérant, si ce dernier refusait de coopérer.

2.4Le lendemain de son arrestation, le 16 mai 2015, le requérant a été traîné contre son gré devant les caméras de la Radio-Télévision nationale du Burundi pour demander pardon à la population d’avoir cherché à renverser le régime en place, et pour adresser un message d’apaisement aux manifestants, alors dans les rues pour protester contre le troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza.

2.5Le 17 mai 2015, lors de son interrogatoire devant l’officier du ministère public, le requérant a dénoncé les circonstances de son arrestation ainsi que les tortures et mauvais traitements qu’il subissait au moment même, puisqu’il comparaissait menotté, pieds nus et un œil rougi à cause de coups de bottines et de bastonnades. Après l’interrogatoire, il a été renvoyé au cachot du Service national de renseignement, où il a continué à subir le même traitement.

2.6Le requérant s’est vu interdire de recevoir des visites, y compris d’un avocat, ou de rencontrer un médecin. Sa famille n’a pas non plus été informée de son lieu de détention. Il a été transféré à la prison de Gitega le 20 mai 2015, où il est demeuré détenu. Entre octobre et fin décembre 2015, le requérant a été maintenu en incarcération permanente dans une cellule qu’il partageait avec trois codétenus, tous menottés deux par deux de jour comme de nuit. Tous leurs besoins se faisaient dans un seau placé dans la cellule. Une heure de repos hygiénique leur était autorisée chaque jour pour manger et sortir les déchets se trouvant dans la cellule. Par suite d’un arrêt préalable rendu par la Cour suprême fin décembre 2015, les conditions de détention du requérant se sont cependant améliorées : il n’était plus maintenu constamment menotté, avait désormais le droit de communiquer avec ses coaccusés, et pouvait pratiquer sa religion et faire de l’exercice à l’extérieur de sa cellule. Il avait également accès aux lieux d’aisance prévus pour cet usage.

2.7Le 15 janvier 2016, la Cour suprême a condamné le requérant à l’emprisonnement à perpétuité, peine maintenue en appel par ladite cour le 9 mai 2016. Le 20 décembre 2016, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi. Le requérant a saisi la Ministre de la justice pour solliciter une révision de son procès, mais aucune suite n’a été donnée à sa requête.

2.8Le requérant a dénoncé à plusieurs reprises les circonstances de son arrestation et les mauvais traitements subis : dès son premier passage devant un officier du ministère public le17 mai 2015, puis devant les juges de la Cour suprême durant son audience en chambre du conseil le 14 octobre 2015, durant ses plaidoiries du 4 janvier 2016 en réplique aux accusations du ministère public, et lors de son procès en appel devant la chambre d’appel de la Cour suprême le 11 avril 2016. Aucune suite n’a été donnée à ses dénonciations. Ayant dénoncé les actes de torture infligés au requérant devant les médias locaux et internationaux à la sortie de l’audition du 17 mai 2015, son avocat s’est vu menacé par les agents étatiques et a dû s’exiler au Rwanda.

2.9Le requérant a disposé des services d’un avocat au moment de son interrogatoire devant le magistrat du parquet général à sa deuxième comparution, devant la chambre du conseil et lors de sa première comparution devant le juge de fond le 14 décembre 2015. Lors de cette audience, ses avocats ont dénoncé une nouvelle fois les actes de torture et mauvais traitements subis par le requérant et demandé une remise de l’affaire afin de pouvoir consulter le dossier judiciaire, initiative à la suite de laquelle ils ont fait l’objet d’intimidations de la part du système judiciaire et ont été écartés du dossier par une décision de la cour, avant d’être radiés. Son avocat étranger s’est d’abord vu refuser l’accès sur le territoire avant d’être incriminé comme putschiste. Après cela, le requérant n’a pas pu bénéficier de l’assistance d’un avocat durant le reste de la procédure judiciaire.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant a prétendu être victime d’une violation par l’État partie de ses droits protégés par les articles 2 (par. 1) et 11 à 14, lus conjointement avec l’article 1er et, subsidiairement, avec l’article 16 de la Convention, ainsi que de l’article 16 de la Convention lu seul. Les sévices qu’il a subis lors de son arrestation et ses conditions de détention ont provoqué chez lui des souffrances aiguës, tant physiques que psychologiques.

3.2Le requérant a indiqué que le violent passage à tabac infligé par les militaires de la garde présidentielle ainsi que les propos dégradants qu’ils ont tenus lors de son arrestation, les menaces qu’il a reçues et son passage forcé devant les caméras l’avaient plongé dans un grand état de détresse psychologique. Il a été maintenu dans cette souffrance du fait de l’absence de soins adaptés, de ses conditions de détention insalubres et du manque de nourriture. Ces actes de torture infligés par des membres de la garde présidentielle et du Service national de renseignement visaient manifestement à le punir de sa participation dans la tentative de coup d’État du 13 mai 2015 et à faire pression sur lui. Selon lui, ces sévices constituaient donc des actes de torture tels que les définit l’article premier de la Convention.

3.3En application de l’article 2 (par. 1) de la Convention, le requérant a fait valoir que l’État partie n’avait pas pris de mesures efficaces pour prévenir la commission d’actes de torture dans le territoire sous sa juridiction. Durant l’ensemble de la procédure judiciaire, le requérant n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat. Malgré la réforme du Code pénal, la torture demeure soumise à un délai de prescription de vingt ou trente ans, ce qui constitue un obstacle juridique dans la prévention efficace de la commission d’actes de torture.

3.4Invoquant l’article 11 de la Convention et la pratique du Comité, le requérant a fait valoir que ses proches n’avaient pas été informés du lieu de sa détention et qu’il n’avait pas le droit de recevoir de visites jusqu’au moment de son procès. Il n’a pas bénéficié des services d’un avocat durant l’ensemble de la procédure et on ne lui a pas permis de consulter le dossier judiciaire afin de bien préparer sa défense, en violation du principe d’égalité des armes.

3.5Au titre de l’article 12 de la Convention, le requérant a fait valoir qu’alors même qu’elles étaient informées des tortures qu’il avait subies par ses dénonciations répétées lors des audiences du 17 mai 2015, du 14 octobre 2015, du 4 janvier 2016 et du 11 avril 2016, les autorités burundaises n’ont pas mené d’enquête prompte et effective sur les allégations de torture, en violation de l’obligation imposée par l’article 12 de la Convention. Il a également affirmé que l’État partie n’avait pas respecté son droit de porter plainte en vue de l’examen immédiat et impartial des faits allégués, contrevenant ainsi à l’article 13 de la Convention.

3.6En privant le requérant d’un certain nombre de garanties procédurales, l’État partie l’a privé par la même occasion de la voie légale pour obtenir une indemnisation pour les préjudices matériels et immatériels subis du fait des actes de torture infligés. En outre, le requérant n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation après les tortures subies, avec pour objectif sa réadaptation la plus complète possible, sur les plans physique, psychologique, social et financier. Enfin, en n’engageant aucune poursuite contre les auteurs des actes de torture, l’État partie a manqué à son devoir d’adopter des mesures nécessaires à la non‑répétition de tels actes. En 2014, tout en notant que le nouveau Code de procédure pénale burundais prévoyait une indemnisation pour les victimes de tortures, le Comité a exprimé sa préoccupation sur le manque d’application de cette disposition, en violation de l’article 14 de la Convention. Ainsi, les autorités burundaises n’ont pas respecté leurs obligations au titre de l’article 14 de la Convention car, d’une part, les violations perpétrées contre le requérant sont restées impunies du fait de leur passivité et, d’autre part, le requérant n’a reçu aucune indemnisation et n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation.

3.7Le requérant a réitéré que les violences qui lui avaient été infligées constituaient des actes de torture, conformément à la définition de l’article premier de la Convention. Il a maintenu que, si le Comité ne devait pas retenir cette qualification, les sévices qu’il a endurés constituaient des traitements cruels, inhumains ou dégradants et que, à ce titre, l’État partie était également tenu de prévenir et de réprimer leur commission, leur instigation ou leur tolérance par des agents étatiques, en application de l’article 16 de la Convention. L’État partie devait en outre réparer les dommages causés par ce traitement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1L’État partie a été invité à soumettre ses observations sur la recevabilité et le fond le 4 septembre 2019. Des rappels lui ont été envoyés les 27 mars et 29 mai 2020. Le 29 juin 2020, l’État partie a formulé des commentaires sur la recevabilité de la requête. Il soutient que le Comité doit rejeter la communication en application de l’article 22 (par. 2 et 5 b)) de la Convention pour abus de droit, puisque le requérant n’a pas épuisé les voies de recours disponibles en droit interne.

4.2L’État partie explique que la torture a été érigée en une infraction sévèrement punie par le Code pénal, dont l’article 138 qualifie la torture de crime et les peines encourues d’incompressibles. L’article 206 dudit code décrit ce qu’est la torture au sens pénal du terme et l’article 207 détermine la sanction encourue à ce titre. En conséquence, l’État partie considère que la requête constitue un abus de procédure au sens de l’article 113 (al. b)) du Règlement intérieur du Comité. Étant donné que les délais de saisie des juridictions internes indiqués à l’article 148 du Code pénal n’étaient pas échus, l’État partie invitait le requérant à saisir préalablement la justice burundaise pour que sa cause soit entendue.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 11 décembre 2020, le requérant a transmis ses commentaires relatifs aux observations de l’État partie. Il y rejetait l’argument selon lequel il n’aurait pas épuisé les voies de recours internes. Il a fait valoir qu’il était dangereux pour lui d’entreprendre d’autres démarches, car il avait fait l’objet de tortures de la part des militaires de la garde présidentielle, des agents du Service national de renseignement − relevant de la présidence de la République et faisant partie du système répressif burundais − et, en prison, de la police pénitentiaire, sous les ordres du haut commandement de la police. Tous bénéficiaient d’une impunité totale et, relevant de la présidence de la République, avaient à leur disposition un important arsenal leur permettant de faire pression et de nombreux contacts prêts à exécuter de possibles représailles à l’encontre du requérant comme de ses proches. Les conseils du requérant ont également subi des menaces et des intimidations de la part des autorités policières et judiciaires, et l’un d’entre eux a été forcé à l’exil.

5.2D’ailleurs, dans ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Burundi, le Comité s’était dit préoccupé par la faiblesse et la lenteur des enquêtes ouvertes et des poursuites engagées corroborant ainsi des allégations d’impunité prévalant à l’égard des responsables d’actes de torture et d’exécutions extrajudiciaires impliquant notamment la Police nationale du Burundi et le Service national de renseignement.

5.3Pour le requérant, au regard de la défaillance du système judiciaire et de la persistance du climat d’exaction et d’impunité, tout recours entrepris par ses soins aurait été vain, justifiant ainsi le non-épuisement des recours internes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête pour non‑épuisement des voies de recours internes, dans la mesure où le requérant n’aurait pas soulevé formellement les allégations de torture devant les autorités compétentes. Or, le Comité note les allégations du requérant, non contestées par l’État partie, indiquant qu’il a expressément dénoncé les tortures subies devant l’officier du ministère public le 17 mai 2015, où il a comparu menotté, pieds nus et avec des signes visibles de torture, puis devant les juges de la Cour suprême durant son audience en chambre du conseil le 14 octobre 2015. Le requérant a affirmé avoir ensuite dénoncé les actes de torture subis devant le juge de fond le 14 décembre 2015, durant ses plaidoiries du 4 janvier 2016 et lors de son procès en appel le 11 avril 2016, mais qu’à aucun moment, les autorités n’ont diligenté une enquête. Le Comité note en outre l’argument du requérant selon lequel il était dangereux pour lui d’entreprendre d’autres démarches, car les personnes responsables des faits de torture étaient des militaires de la garde présidentielle, des agents du Service national de renseignement relevant de la présidence de la République et la police pénitentiaire sous les ordres du haut commandement de la police. Enfin, le Comité note que les conseils du requérant ont subi des menaces et des intimidations de la part des autorités policières et judiciaires pour avoir dénoncé les actes de torture infligés au requérant devant les médias et que l’un d’entre eux a été forcé à l’exil.

6.3Le Comité note que, dans ses observations, l’État partie s’est contenté d’alléguer que la torture est punie dans le Code pénal et que le requérant devait saisir la justice. Le Comité observe que le requérant a dénoncé les tortures subies à plusieurs reprises devant les autorités judiciaires compétentes, sans qu’aucune enquête ait été diligentée. L’État partie n’a en revanche pas démontré, notamment par l’intermédiaire de la jurisprudence interne, que des enquêtes sur des actes de torture allégués dans des affaires similaires avaient été diligentées par suite de la saisine du juge.

6.4En l’absence de renseignements pertinents de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut que l’exception d’irrecevabilité de la requête soumise par l’État partie n’est pas pertinente en l’espèce, puisque celui-ci n’a pas démontré que les recours existants pour dénoncer les actes de torture avaient été, en pratique, mis à la disposition du requérant pour faire valoir ses droits au titre de la Convention.

6.5En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité de la communication, le Comité procède à l’examen quant au fond des griefs présentés par le requérant au titre des articles 2 (par. 1), 11 à 14 et 16 de la Convention.

Défaut de coopération de l’État partie

7.Les 4 septembre 2019, 27 mars 2020, 29 mai 2020, 13 août 2020 et 13 janvier 2022, l’État partie a été invité à présenter ses observations concernant le fond de la requête. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune information à ce titre. Il regrette le refus de l’État partie de communiquer toute information concernant le fond des griefs du requérant. Il rappelle que l’État partie concerné est tenu, en application de la Convention, de soumettre par écrit au Comité des explications ou des déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties. L’État partie n’ayant fourni aucune observation sur le fond, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations du requérant qui ont été dûment étayées.

8.2Le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle il a été battu par un groupe de militaires appartenant au bataillon de la garde présidentielle, qui lui ont administré des coups violents sur tout le corps avec leurs bottines et les crosses de leurs fusils. Le Comité note également : a)que le requérant a été maintenu dans cette souffrance du fait de l’absence de soins adaptés, de conditions de détention insalubres et du manque de nourriture ;b)que les militaires ont tenu des propos dégradants à son égard,l’ont menacé et l’ont forcé à comparaître devant les caméras de télévision ; et c)qu’entre octobre et fin décembre 2015, il a été placé dans une cellule de 4mètres sur 3 mètres avec trois codétenus, tousmaintenus menottés deux par deux. Le Comité note en outre que le médecin de la prison n’a pas donné suite aux demandes du requérant de lui fournir son dossier médical afin de pouvoir présenter aux autorités des preuves des sévices qu’il avait subis. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle toute personne privée de liberté doit bénéficier d’une assistance juridique et médicale prompte et indépendante, et doit pouvoir prendre contact avec sa famille afin de prévenir la torture.Le Comité prend également note des allégations du requérant selon lesquelles les coups reçus lui ont occasionné des souffrances aiguës, ycompris morales et psychologiques, et que ces coups lui auraient été infligés intentionnellement par des agents étatiquesdans le but de le punir et de l’intimider.Le Comité note aussi que ces faits n’ont été contestés à aucun moment par l’État partie. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits, tels qu’ils sont présentés par le requérant, sont constitutifs de torture au sens de l’article premier de la Convention.

8.3Le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle, à défaut d’être considérés comme des actes de torture, les actes et traitements qu’il a subis constituent des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conformément à l’article 16 de la Convention. Or, le Comité considère que ces allégations portent sur des faits qui constituent de la torture au sens de l’article premier de la Convention. Par conséquent, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner séparément les griefs tirés de l’article 16.

8.4Le requérant a également invoqué l’article 2 (par. 1) de la Convention, en application duquel l’État partie aurait dû prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes constitutifs de torture soient commis sur l’ensemble du territoire sous sa juridiction. À cet égard, le Comité rappelle ses conclusions et recommandations concernant le rapport initial du Burundi, dans lesquelles il a exhorté l’État partie à prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires effectives pour prévenir tout acte de torture et tout mauvais traitement, et à prendre des mesures urgentes pour que tout lieu de détention soit sous autorité judiciaire afin d’empêcher ses agents de procéder à des détentions arbitraires et de pratiquer la torture. Dans le cas présent, le Comité prend note des allégations du requérant sur le traitement infligé par les agents de l’État lors de son arrestation, sans qu’il ait pu entrer en contact avec sa famille ou avoir accès à un conseil ou à un médecin. Le Comité note également que l’État partie n’a pris aucune mesure pour protéger le requérant. Finalement, les autorités étatiques n’ont pris aucune mesure pour enquêter sur les actes de torture subis par le requérant et prendre les sanctions qui s’imposaient, et ce, malgré les plaintes qu’il avait présentées à cet égard à plusieurs reprises devant l’officier du ministère public et devant les juges. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut à une violation de l’article 2 (par. 1), lu conjointement avec l’article 1er de la Convention.

8.5Le Comité note également l’argument du requérant selon lequel l’article 11 de la Convention − qui demande à l’État partie d’exercer une surveillance systématique sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit sur tout territoire sous sa juridiction, en vue d’éviter tout cas de torture − aurait été violé. Le requérant a, en particulier, allégué ce qui suit : a) malgré son état critique au moment de l’arrestation, il n’a pas reçu de soins médicaux appropriés ; b) il n’a pas eu accès à un avocat lors de son premier interrogatoire dans les locaux du Service national de renseignement, lors de son premier interrogatoire devant l’officier du ministère public et après sa première comparution devant le juge de fond ; c) il n’a pas bénéficié de voies de recours efficaces pour contester les actes de torture ; et d) entre octobre et fin décembre 2015, il a été maintenu en incarcération permanente à la prison de Gitega, dans une cellule qu’il partageait avec trois codétenus, tous menottés deux par deux. Le Comité rappelle ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Burundi, dans lesquelles il s’est dit préoccupé par la durée excessive de la garde à vue, les nombreux cas de dépassement du délai de garde à vue, la non-tenue et tenue incomplète des registres d’écrou, le non-respect des garanties juridiques fondamentales des personnes privées de liberté, l’absence de dispositions prévoyant l’accès à un médecin et à l’aide juridictionnelle pour les personnes démunies, et le recours abusif à la détention préventive en l’absence d’un contrôle régulier de sa légalité et d’une limite à sa durée totale. En l’espèce, le requérant semble avoir été privé de tout contrôle judiciaire. En l’absence de toute information pertinente contraire de la part de l’État partie, l’existence de ces conditions et traitements déplorables suffit à établir que l’État partie a failli à son obligation d’exercer une surveillance systématique sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit sur tout territoire sous sa juridiction, en vue d’éviter tout cas de torture, et que ce manquement a entraîné un préjudice pour le requérant. Le Comité conclut donc à une violation de l’article 11 de la Convention.

8.6S’agissant des articles12 et 13 de la Convention, le Comité prend note des allégations du requérant selon lesquelles, le 15 mai 2015, il a été attaqué et battu par un groupe de militaires appartenant au bataillon de la garde présidentielle, a reçu des menaces de mort lors de son premier interrogatoire dans les locaux du Service national de renseignement, et a continué à être soumis à des actes de torture pendant sa détention. Bien qu’il ait dénoncé les tortures subies devant l’officier du ministère public et devant les juges à plusieurs reprises et qu’il ait comparu avec des signes visibles de torture,aucune enquête n’avait été menée sept ans après les faits dénoncés. Le Comité considère qu’un tel délai avant l’ouverture d’une enquête sur des allégations de torture est manifestement abusif. À cet égard, il rappelle l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article12 de la Convention, qu’il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale d’office chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. En l’espèce, le Comité constate donc une violation de l’article12 de la Convention.

8.7Au vu des conclusions qui précèdent, l’État partie a également manqué à la responsabilité qui lui incombait, au titre de l’article13 de la Convention, de garantir au requérant le droit de porter plainte,qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale. Le Comité note que l’article 13 n’exige pas qu’une plainte pour torture soit présentée en bonne et due forme selon la procédure prévue dans la législation interne, et ne demande pas non plus une déclaration expresse de la volonté d’exercer l’action pénale ; il suffit que la victime se manifeste, simplement, et porte les faits à la connaissance d’une autorité de l’État pour que naisse pour celui-ci l’obligation de la considérer comme une expression tacite, mais sans équivoque de son désir d’obtenir l’ouverture d’une enquête immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention. Le Comité conclut que les faits de l’espèce constituent également une violation de l’article13 de la Convention.

8.8S’agissant des allégations du requérant au titre de l’article14 de la Convention, leComité rappelle que cette disposition reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de tortureobtienne réparation. Le Comité rappelle que la réparation doit impérativement couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire.En l’espèce, en l’absence d’enquête diligentée de manière prompte et impartiale, malgré l’existence de preuves matérielles manifestes indiquant que le requérant a été victime d’actes de torture − restés impunis −, le Comité conclut que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombaient au titre de l’article14 de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article22 (par.7) de la Convention, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles2 (par.1) et11 à 14, lus conjointement avec l’article1erde la Convention.

10.Dans la mesure où l’État partie n’a pas respecté les mesures provisoires demandées par le Comité et n’a pas répondu aux demandes du Comité de soumettre des observations sur la présente requête, refusant par là même de coopérer avec le Comité et l’empêchant d’examiner effectivement les éléments de la plainte, le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, décide que les faits dont il est saisi constituent une violation par l’État partie de l’article 22 de la Convention.

11.Le Comité invite instamment l’État partie : a)à ouvrir une enquête impartiale et approfondie sur les événements en question, en pleine conformité avec les directives du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(Protocole d’Istanbul), dans le but de poursuivre en justice les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé au requérant ;et b)àindemniser la famille du requérant de façon adéquate et équitable.

12.Conformément à l’article118 (par.5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.