Nations Unies

CAT/C/73/D/862/2018

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 août 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 862/2018 * , **

Communication soumise par :

T. B. (représenté par un conseil, Tarig Hassan)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

21 février 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 février 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22 avril 2022

Objet :

Expulsion du requérant de la Suisse vers l’Éthiopie

Questions de procédure :

Néant

Questions de fond :

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement) ; prévention de la torture

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est T. B., de nationalité éthiopienne, né en 1981. Sa demande d’asile a été rejetée, et il risque d’être expulsé vers l’Éthiopie. Il affirme que si l’État partie procédait à son expulsion, il violerait les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 2 décembre 1986. Le requérant est représenté par un conseil, Tarig Hassan.

1.2Le 23 février 2018, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas extrader le requérant vers l’Éthiopie tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est d’origine ethnique hadiya. Il résidait à Addis-Abeba, où il travaillait comme chauffeur de taxi. Il est politiquement actif depuis plus de dix ans. En mai 2005, il a participé à des rassemblements organisés par le Kinijit (coalition pour l’unité et la démocratie), au cours desquels il a été arrêté et battu par la police. Il a été détenu dans une cellule sombre pendant deux semaines et a reçu peu de nourriture. Le requérant a été menacé d’emprisonnement, mais après deux semaines il a été remis en liberté parce que la police supposait qu’il ne continuerait pas d’être politiquement actif.

2.2À sa libération, le requérant a tenté de quitter l’Éthiopie. Cependant, il a de nouveau été arrêté par la police dans la ville de Gonder. Il a été placé dans une cellule sombre et soumis à la torture psychologique ; on l’a notamment menacé d’emprisonnement à vie et de mort. Il a été remis en liberté au bout de six mois.

2.3Au cours de la période 2008-2009, le requérant est devenu membre de Ginbot 7. Il a commencé à distribuer des tracts de Ginbot 7 à Addis-Abeba. En 2012, certains de ses amis, qui avaient également l’habitude de distribuer des tracts avec lui, ont été arrêtés par la police. Peu après, le requérant a reçu un SMS de l’un de ses amis qui avait été arrêté, l’avertissant qu’il était également recherché par la police. Quelques jours plus tard, il a fui l’Éthiopie. Il s’est rendu au Soudan le 12 juin 2012, et est arrivé en Suisse le 18 juillet 2012.

2.4En Suisse, le requérant a poursuivi ses activités politiques. Il a officiellement rejoint Ginbot 7 et a continué de mener des activités politiques au sein de l’organisation. Il a participé à des manifestations organisées par Ginbot 7 en Suisse ainsi qu’à des réunions de cette organisation, a organisé le transport pour des assemblées, a distribué des tracts et a recruté de nouveaux membres. Le 11 février 2017, le requérant a participé à une réunion de Ginbot 7 à Fribourg (Suisse). Le président de Ginbot 7, Chekol Getahun, a assisté à la réunion et une vidéoconférence en ligne a été organisée avec le fondateur de Ginbot 7, Birhanu Nega, qui vivait aux États-Unis d’Amérique et avait été condamné à mort par contumace par un tribunal éthiopien.

2.5Le requérant est également devenu membre de l’organisation Ethiopian Human Rights and Democracy Task Force in Switzerland et s’est occupé du transport vers les manifestations organisées par elle. Enfin, il a participé à des activités de collecte de fonds pour la chaîne Ethiopian Satellite Television, qui est considérée par le Gouvernement éthiopien comme une machine de propagande pour les groupes dissidents.

2.6Le requérant souligne que le Tribunal administratif fédéral suisse a conclu à plusieurs reprises que les activités menées sur place par des ressortissants éthiopiens étaient surveillées par les autorités éthiopiennes et qu’il était probable que les militants politiques ainsi identifiés courraient le risque d’être arrêtés s’ils étaient renvoyés en Éthiopie. Le requérant fait également valoir que le Tribunal administratif fédéral, dans certains de ses arrêts, a souligné que cette surveillance ne s’exerçait pas seulement sur les membres de l’opposition ayant une grande notoriété, mais aussi sur les militants moins en vue, et que les autorités éthiopiennes avaient récemment renforcé la surveillance des militants politiques à l’étranger. Il affirme que, selon des rapports d’information sur le pays, les autorités éthiopiennes utilisent des logiciels modernes pour surveiller les télécommunications des mouvements d’opposition à l’étranger, en particulier celles des personnes affiliées à Ginbot 7.

2.7La demande d’asile de l’auteur a été rejetée par le Secrétariat d’État aux migrations le 3 août 2016. Celui-ci a jugé que les déclarations de l’auteur concernant son arrestation et son appartenance à Ginbot 7 quand il était en Éthiopie n’étaient pas crédibles. Il a relevé que, lors de son premier entretien, l’auteur avait déclaré avoir distribué des tracts en mai 2005, alors qu’il n’en a pas fait mention lors de son second entretien. Il a également relevé que, lors de son premier entretien, le requérant avait déclaré avoir été battu par la police pendant qu’on l’emmenait à la prison, tandis qu’à son second entretien, il a déclaré avoir été battu alors qu’il se trouvait à son domicile. Il a relevé en outre que, lors de son premier entretien, le requérant avait affirmé que son ami avait révélé son nom à la police, mais qu’il n’a pas repris cette affirmation lors du second entretien. Le Secrétariat d’État aux migrations a également estimé que la déclaration du requérant concernant sa détention et ses activités politiques n’était pas assez détaillée. Il a constaté que le requérant était politiquement actif en Suisse, mais a estimé qu’il était peu probable que les autorités éthiopiennes soient en mesure de l’identifier, étant donné le nombre de personnes participant à des manifestations en Suisse et sa faible notoriété.

2.8Le recours du requérant auprès du Tribunal administratif fédéral a été rejeté le 20 octobre 2016 et les conclusions du Secrétariat d’État aux migrations ont été confirmées. Le requérant a déposé une deuxième demande d’asile le 24 février 2017. Le Secrétariat d’État aux migrations a estimé que la demande n’avait aucune chance d’aboutir et lui a ordonné de payer une avance sur les frais. Le requérant ne l’ayant pas fait, sa demande a été rejetée par le Secrétariat aux migrations le 14 novembre 2017. Cette décision a été confirmée par le Tribunal administratif fédéral le 1er décembre 2017.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son expulsion de la Suisse vers l’Éthiopie l’exposerait à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, en raison de ses activités politiques et de sa détention antérieure et compte tenu des mauvais traitements qu’il a subis en Éthiopie. Il affirme qu’il y a un risque réel qu’il soit arrêté, très probablement à son arrivée à l’aéroport, et qu’il soit placé en détention, torturé et interrogé par les services secrets éthiopiens sur ses activités politiques en Éthiopie et en Suisse. Il soutient que les divergences entre les récits qu’il a livrés au premier et au deuxième entretien sont mineures et s’expliquent par le fait que l’entretien préliminaire vise à obtenir un résumé des allégations et que les demandeurs d’asile se voient rappeler au début de ce premier entretien que ce récit devait être bref. Le requérant estime que c’est à tort que le Secrétariat aux migrations et le Tribunal administratif fédéral ont conclu qu’il y avait des incohérences dans ses déclarations concernant la distribution de tracts lors de la manifestation de mai 2005. Il affirme que, dans le premier entretien, il a déclaré qu’il distribuait des tracts pendant la manifestation, alors que dans le second, il a clairement indiqué qu’il avait été arrêté parce qu’il tenait des tracts et que la police avait conclu qu’il les distribuait. En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements infligés par la police, il a déclaré lors du deuxième entretien qu’il avait été battu par la police à son domicile et que cela avait continué pendant qu’on l’emmenait à la prison. Il souligne également qu’il a eu trois entretiens, et que le troisième entretien a eu lieu près de quatre ans après le premier entretien, ce qui explique ce qui est pris pour des divergences. Il affirme que les déclarations qu’il a faites au cours de la procédure d’asile étaient cohérentes et détaillées, et que les procès-verbaux des entretiens sont longs, mais que le Tribunal administratif fédéral n’a pas tenu compte de ces déclarations détaillées et cohérentes dans le cadre de sa décision.

3.2Le requérant renvoie aux observations finales formulées en 2010 par le Comité concernant l’Éthiopie, dans lesquelles celui-ci s’est déclaré profondément préoccupé par « [...] les allégations nombreuses, persistantes et cohérentes concernant le recours routinier à la torture par la police, les agents pénitentiaires et d’autres membres des forces de sécurité, ainsi que par les militaires, en particulier contre des dissidents politiques et des membres de partis d’opposition, des étudiants, des personnes suspectées de terrorisme et des partisans présumés de groupes rebelles ». Il souligne également que des rapports de diverses organisations internationales de défense des droits de l’homme confirment que de nombreux membres de Ginbot 7 et d’autres dissidents ont été arrêtés et détenus en Éthiopie, que Ginbot 7 a été désignée comme une organisation terroriste par les autorités éthiopiennes et que certains de ses membres ont été condamnés à mort.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note en date du 16 août 2018, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la requête. Il indique qu’après avoir entendu le requérant à trois reprises, en 2012, 2014 et 2016, le Secrétariat aux migrations a rejeté sa demande d’asile le 18 juillet 2016. Le 20 octobre 2016, le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision du Secrétariat d’État aux migrations.

4.2En ce qui concerne la deuxième demande d’asile du requérant, l’État partie indique que celui-ci l’a soumise le 27 février 2017, accompagnée de deux lettres de confirmation, émanant de Ginbot 7 et d’Ethiopian Human Rights and Democracy Task Force in Switzerland. Dans sa décision provisoire, le Secrétariat aux migrations a souligné que dans sa deuxième demande d’asile, le requérant n’avait pas donné de renseignements sur la nature ou l’étendue de sa participations aux activités d’Ethiopian Human Rights and Democracy Task Force in Switzerland. Le Secrétariat d’État aux migrations a également relevé qu’exception faite de leurs dates, les lettres de confirmation étaient identiques à celles soumises lors de la première procédure d’asile, et que le requérant n’avait donné que de très vagues précisions sur ses activités politiques en Suisse, qui se seraient intensifiées. Le Secrétariat d’État aux migrations a donc considéré que la demande d’asile n’avait aucune chance d’aboutir et a exigé une avance sur les frais de procédure. Le requérant n’ayant pas effectué le paiement, le Secrétariat n’a pas examiné la deuxième demande d’asile. Le 1er décembre 2017, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours formé par le requérant contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations.

4.3L’État partie indique qu’il est conscient que la situation des droits de l’homme en Éthiopie reste préoccupante et que l’usage de la torture semble répandu, en particulier contre les opposants politiques et les membres présumés de groupes séparatistes. Cependant, la situation générale dans le pays ne saurait, à elle seule, constituer un motif suffisant pour conclure que le requérant risquerait d’y être victime de torture s’il y retournait. Qui plus est, la situation en Éthiopie a évolué récemment, l’état d’urgence instauré en février 2018 ayant été levé officiellement en juin 2018, le Premier Ministre Abiy Ahmed ayant conclu un accord de paix avec l’Érythrée et des centaines de prisonniers politiques ayant été remis en liberté.

4.4L’État partie indique en outre que les déclarations du requérant concernant ses activités politiques en Éthiopie étaient brèves, vagues et superficielles, et ce en ce qui concernait non seulement son engagement au sein de Ginbot7, mais aussi les activités auxquelles il aurait participé avant de rejoindre le groupe. De même, le requérant n’a pas donné de description détaillée des circonstances entourant son arrestation ni de ses conditions de détention. L’État partie souligne que le requérant allègue en termes très généraux qu’il a été torturé pendant sa détention en 2005, sans fournir de précisions ou d’éléments de preuve concernant la détention elle-même et les mauvais traitements qu’il a subis à la suite de sa tentative ratée de fuir le pays cette même année. En ce qui concerne la fuite du requérant d’Éthiopie, l’État partie indique que celui-ci n’a pas été en mesure de fournir d’informations précises sur la teneur du message d’avertissement qu’il a reçu d’amis à lui qui avaient été arrêtés, ni d’expliquer comment ils ont pu lui envoyer des SMS alors qu’ils étaient déjà en état d’arrestation.

4.5En ce qui concerne les activités politiques menées par le requérant en Suisse, l’État partie fait valoir qu’il ne suffit pas qu’une personne en exil mène quelque activité de ce type que ce soit pour conclure qu’elle courrait un risque important d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine. Seul le fait de promouvoir des idées ou de s’engager dans des activités politiques susceptibles d’attirer l’attention des autorités pourrait étayer l’existence d’un risque de ce type. Selon l’État partie, le requérant a fait des déclarations contradictoires sur sa participation à des manifestations organisées par Ginbot 7 ou sur la nature de ses activités au sein de cette organisation. Dans la lettre de confirmation de Ginbot 7 que le requérant a soumise, cette organisation se borne à indiquer que le requérant a participé à des manifestations publiques mais ne fait aucunement référence à d’autres activités. Enoutre, le requérant n’a pas été en mesure de décrire les objectifs de Ginbot7 ou la structure interne de l’organisation. L’État partie indique que le requérant était encore moins en mesure de donner des explications sur le groupe d’action d’Ethiopian Human Rights and Democracy Task Force in Switzerland, pour lequel, selon la lettre de confirmation fournie, il a organisé plusieurs activités. Ces activités comprendraient la préparation de réunions et de documents, ainsi que la réalisation d’analyses de politiques que le requérant lui-même n’a jamais pu décrire.

4.6L’État partie indique que dans sa deuxième demande d’asile, le requérant a fait état de ses rencontres avec des hauts responsables de Ginbot 7, mais qu’une fois encore il n’a pas fourni d’informations plus précises à ce sujet. Il indique également qu’il n’exclut pas que le requérant ait assisté à des conférences organisées par l’opposition, qu’il ait été en compagnie de membres de haut rang et qu’il ait été photographié avec eux. Toutefois, il souligne que le requérant n’a précisé ni les activités qu’il aurait menées lors des manifestations, ni la nature de ses contacts avec des hauts représentants de l’opposition, ce qui est très étonnant compte tenu de ce que cette absence de précisions avait été expressément soulignée par le Secrétariat d’État aux migrations dans sa décision provisoire du 17 octobre 2017.

4.7L’État partie explique que compte tenu des incohérences dans le récit du requérant et de l’absence d’informations plus précises concernant ses activités et ses contacts, les autorités et les tribunaux suisses ont conclu que les activités politiques du requérant en Suisse étaient trop marginales pour établir qu’il courrait personnellement et actuellement un risque important d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers l’Éthiopie. Il ne ressort pas de son dossier qu’il a exercé des fonctions très en vue au sein de Ginbot 7, ni qu’il a fait preuve d’un engagement personnel important, le nombre de manifestations auxquelles il affirme avoir participé étant faible.

4.8Enfin, l’État partie indique qu’outre les incohérences et le manque d’informations précises décrits ci-dessus, lors de la première procédure d’asile engagée par le requérant, les autorités suisses ont conclu que ses affirmations concernant sa famille n’étaient pas crédibles non plus. Lors des auditions, le requérant a déclaré que depuis son départ pour la Suisse, il n’avait pas essayé de reprendre contact avec sa famille ou avec ses amis qui étaient en détention. Ce manque d’intérêt pour le sort de ses amis, dont la détention en 2012 avait motivé son départ d’Éthiopie, a été jugé surprenant par les autorités suisses car elles se seraient attendues à ce que le requérant tente à tout le moins d’obtenir des informations à ce sujet.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

5.1Dans une note en date du 1er février 2021, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond. En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Éthiopie, le requérant fait observer que depuis novembre 2020 il y a eu une intensification du conflit entre la région éthiopienne du Tigré et le Gouvernement central et que le pays est actuellement au bord de la guerre civile. Il renvoie à divers rapports d’organisations internationales et d’organes d’information faisant état de personnes déplacées, d’attaques contre des minorités ethniques et de répression exercée contre les opposants politiques au Gouvernement central.

5.2Le requérant conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’a fait qu’un récit superficiel des mauvais traitements dont il a été victime, sans fournir de précisions ni de preuves. Il fait valoir que si, comme il est indiqué dans l’observation générale no 4 (2017) du Comité, la charge de la preuve repose sur l’auteur de la communication, lorsque celui-ci se trouve dans une situation dans laquelle il n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple, lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas de possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la communication.

5.3Le requérant affirme qu’il a donné un récit détaillé, cohérent et crédible de ses activités politiques en Éthiopie, de son arrestation et des persécutions dont il a été l’objet par la suite, et qu’il a donné une explication satisfaisante concernant les divergences alléguées. Il indique également qu’il ignore la raison pour laquelle le téléphone de son ami n’a pas été confisqué lorsqu’il était détenu par la police, mais qu’il n’estime pas qu’il devrait la connaître. Le requérant soutient que contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il a clairement indiqué aux autorités suisses la teneur du message que lui avait envoyé par son ami, et qu’il a quitté l’Éthiopie après avoir reçu ce message afin de ne pas être arrêté. Il soutient également que la rupture ultérieure des contacts avec sa famille ne devrait pas avoir d’incidence sur sa crédibilité en tant que demandeur d’asile.

5.4En ce qui concerne les activités politiques qu’il a menées après avoir quitté l’Éthiopie, le requérant fait valoir que deux lettres de soutien ont été soumises, émanant de Ginbot 7 et d’Ethiopian Human Rights and Democracy Task Force in Switzerland, qu’il y a des photographies où on le voit avec des représentants de Ginbot 7 et que ces documents prouvent sa participation active à l’action de Ginbot 7 en Suisse, ainsi que son engagement au sein de cette organisation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, le Comité n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

6.3Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare recevable la communication soumise en vertu de l’article 3 de la Convention et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant en Éthiopie constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), aux termes de laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité rappelle que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique du requérant et son appartenance religieuse ; b) les actes de torture subis antérieurement ; c) la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; d) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ; e) un mandat d’arrêt ou de détention sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; f) les violations du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; g) la fuite clandestine du pays d’origine suite à des menaces de torture.

7.5Le Comité rappelle que la charge de la preuve repose sur le requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire montrer de façon détaillée qu’il court personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. Cependant, lorsque celui-ci se trouve dans une situation dans laquelle il n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple, lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas de possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la communication. Le Comité accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie, mais il n’est pas tenu par ces constatations. Le Comité apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

7.6Afin d’apprécier le risque de torture en l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il risquerait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en Éthiopie, en raison des activités politiques qu’il a menées en Éthiopie et en Suisse en tant que membre de Ginbot 7 et d’Ethiopian Human Rights and Democracy Task Force in Switzerland, notamment l’organisation de réunions et de manifestations et la participation à celles-ci. Le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a été emprisonné et soumis à diverses formes de mauvais traitements avant de fuir l’Éthiopie. Il prend également note de son affirmation selon laquelle l’appréciation faite de sa crédibilité par les autorités suisses compétentes en matière d’asile était entachée d’erreur et que ce qui est pris pour des divergences dans ses déclarations s’explique par le fait que le troisième entretien a eu lieu près de quatre ans après l’entretien préliminaire.

7.7Le Comité constate que pour leur part, les autorités de l’État partie ont considéré que les déclarations du requérant sur ses activités politiques en Éthiopie étaient brèves, vagues et superficielles. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pu décrire qu’en termes très généraux les actes de torture qu’il aurait subis pendant sa détention en 2005, et qu’il n’a fourni aucune précision ou preuve concernant la détention elle-même et les mauvais traitements qu’il a subis à la suite de sa tentative ratée de fuir le pays cette même année. Il prend note en outre, s’agissant des activités politiques menées par les requérant en Suisse, du fait que l’État partie n’exclut pas que le requérant ait assisté à des conférences organisées par l’opposition, qu’il ait été en compagnie de membres de haut rang et qu’il ait été photographié avec eux. Toutefois, compte tenu des incohérences dans le récit du requérant et de l’absence d’informations plus précises concernant ses activités et ses contacts, l’État partie conclut que les activités politiques du requérant en Suisse étaient trop marginales pour établir qu’il courrait personnellement et actuellement un risque important d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers l’Éthiopie.

7.8En ce qui concerne les affirmations du requérant selon lesquelles de nombreux membres de Ginbot 7 et d’autres dissidents ont été arrêtés et placés en détention en Éthiopie, Ginbot 7 est qualifiée d’organisation terroriste par les autorités éthiopiennes et certains de ses membres ont été condamnés à mort, le Comité prend note de ce qu’en juin 2018, Ginbot 7 a annoncé qu’il abandonnait sa lutte armée contre le Gouvernement éthiopien en raison des réformes prévues par celui-ci. En outre, cette même année, le Gouvernement éthiopien a retiré Ginbot 7 de sa liste des organisations terroristes et le Président éthiopien a gracié le Secrétaire général de Gingot 7, M. Tsege, et l’a remis en liberté.

7.9Le Comité rappelle qu’il doit déterminer si le requérant courrait actuellement le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie. Le Comité constate que le requérant a amplement eu l’occasion d’étayer et de préciser ses griefs au niveau national, mais que les éléments apportés n’ont pas permis aux autorités nationales de conclure qu’il courrait le risque de subir des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé en Éthiopie. Le Comité constate que le requérant n’a pas soumis de nouvelles informations ou précisions lors de sa deuxième demande d’asile concernant ses allégations selon lesquelles il avait subi des actes de torture par le passé et mené des activités sur place, malgré le fait que cette absence d’informations avait été expressément soulignée par le Secrétariat d’État aux migrations dans sa décision provisoire du 17 octobre 2017.

7.10Le Comité constate en outre que le requérant n’a produit aucune preuve de son arrestation ou des mauvais traitements subis en Éthiopie, et qu’il n’a pas été en mesure de démontrer que les autorités éthiopiennes le recherchaient, que ce soit en raison d’événements passés ou pour toute autre raison. Il semble ressortir des éléments figurant dans le dossier qu’il n’a pas même pris contact avec sa famille, ses amis ou ses compagnons militants pour savoir si les autorités éthiopiennes s’intéressaient à lui.

7.11Compte tenu de ce qui précède, et en se fondant sur toutes les informations qui lui ont été soumises par le requérant et par l’État partie, notamment celles concernant la situation générale des droits de l’homme en Éthiopie, le Comité estime qu’il ne peut pas conclure que le renvoi du requérant en Éthiopie lui ferait courir personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. En outre, le requérant n’a pas non plus montré que les autorités de l’État partie n’avaient pas mené d’enquête en bonne et due forme sur ses griefs.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en Éthiopie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.