Nations Unies

CAT/C/73/D/872/2018

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

30 août 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 872/2018 * , **

Communication soumise par :

Yacob Berhane (représenté par un conseil, Tarig Hassan)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

16 mai 2018 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

28 avril 2022

Objet :

Expulsion vers l’Érythrée

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Risque de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est un citoyen érythréen né en 1977. Il a déposé une demande d’asile en Suisse, mais sa requête a été rejetée le 13 novembre 2017. Il fait l’objet d’une décision de renvoi vers l’Érythrée et considère qu’un tel renvoi constituerait une violation, par la Suisse, de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil, Tarig Hassan.

1.2Le 17 mai 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Érythrée tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un ressortissant érythréen d’ethnie tigrinya, originaire d’Asmara. Après avoir obtenu son diplôme en 1994, il a été convoqué pour leservice militaire. Il a suivi une formation militaire à Sawa (Érythrée) pendant six mois, après quoi il a été transféré pour exécuter un service civil d’un an sur des chantiers de construction. En 1996, il est retourné à Asmara, où il a joué dans une équipe de football. En 1997, il a de nouveau été appelé sous les drapeaux. Il a servi comme soldat pendant la guerre entre l’Érythrée et l’Éthiopie jusqu’en 2000. Par la suite, il a été affecté au club de football de la police Al Tahrir. Il a été footballeur professionnel,en tant que civil,jusqu’à son départ d’Érythrée en 2013.

2.2Le 21 janvier 2013 a eu lieu une manifestation d’environ 200 soldats qui protestaient contre le régime érythréen, appelée Opération Forto. Les soldats ont encerclé le bâtiment où se trouve la chaîne de télévision érythréenne ERiTV et ont demandé la libération de prisonniers politiques. Le requérant, qui soutenait l’opération, en a discuté avec ses collègues du football. Certains d’entre eux étaient opposés à ce mouvement.

2.3Le 11 février 2013, alors que le requérant rentrait chez lui après un entraînement, deux individus armés l’ont arrêté dans le quartier de Campo-Bolo à Asmara et l’ont fait monter de force dans une voiture. Ils lui ont bandé les yeux et l’ont emmené dans une petite maison où il a été détenu, interrogé et battu pendant deux jours. Ils l’ont accusé d’être un « fauteur de troubles » qui incitait à la rébellion. Ils voulaient savoir avec qui il collaborait et qui l’avait engagé. Après deux jours, le requérant a été ramené à l’endroit où il avait été enlevé. Il a reçu l’ordre de ne parler à personne de ce qui lui était arrivé. Après cet incident, il a décidé de fuir l’Érythrée.

2.4En avril 2013, le requérant a été emmené d’Asmara à Tesseney, dans la partie occidentale de l’Érythrée, par deux passeurs dans une voiture particulière. Il a été conduit de l’autre côté de la frontière, au Soudan. Un mois et demi plus tard, il a quitté Khartoum par avion pour l’Europe via le Caire, avec un faux passeport soudanais. Le 14 juillet 2014, il a déposé une demande d’asile en Suisse. Le 11 juin 2016, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté sa demande. Le 13 novembre 2017, le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette décision. Il a constaté que le requérant avait fait plusieurs déclarations incohérentes lors de ses entretiens d’asile, notamment sur le point de savoir si la pièce où il avait été détenu était éclairée ou non. Le requérant affirme que son deuxième entretien d’asile, mené le 22 décembre 2014, a été trop bref et qu’il a par conséquent été privé de la possibilité de faire une déclaration circonstanciée sur les événements qui l’avaient poussé à quitter l’Érythrée. Il fait valoir que, lors des entretiens, il a décrit de manière crédible son arrestation et sa détention.

2.5Le Tribunal administratif fédéral a également estimé qu’il était probable que le requérant avait été libéré de ses obligations militaires. Il a conclu que celui-ci ne s’était donc pas soustrait au service militaire et n’avait pas déserté. En ce qui concerne le service national en Érythrée et la situation des rapatriés, le Tribunal a constatéqu’à leur retour en Érythrée, les demandeurs d’asile qui avaient été libérés de leurs obligations militaires n’étaient généralement pas soumis de nouveau au service national. À cet égard, le requérant explique qu’au moment où il a quitté l’Érythrée, il servait dans l’armée depuisplusieurs années et n’avait pas encore été libéré de ses obligations militaires ; il jouait encore dans l’équipe de football de la police. Il était donc toujours au service de l’armée, mais en tant que civil, et continuait d’être payé par l’armée. Il fait valoir que l’affirmation des autorités suisses compétentes en matière d’asile selon laquelle il aurait été libéré de son obligation de servir est une pure conjecture et n’est étayée par aucun élément de preuve. Il soutient également qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments pour conclure que les personnes libérées de leurs obligations militaires en Érythrée qui ont demandé l’asile à l’étranger ne risquent pas d’être punies à leur retour, de subir des actes de torture ou d’être soumises de nouveau au service militaire. Il fait observer que le Tribunal lui-même relève qu’il existe très peu d’informations concernant la situation en Érythrée. Il fait aussi observer que, dans leurs décisions, les autorités nationales ont fait référence à une nouvelle directive érythréenne qui disposerait que les rapatriés volontaires ne sont pas punis ; toutefois ladite directive n’a pas été publiée et n’est donc pas accessible.

2.6Le requérant fait valoir que le Secrétariat d’État aux migrations a fondé sa décision sur des entretiens menés avec seulement 27 Érythréens qui sont retournés en Érythrée après avoir quitté le pays illégalement. Outre le fait qu’il n’en est ressorti aucune information cohérente, les entretiens ont été organisés par le Ministère érythréen des affaires étrangères et se sont déroulés en présence d’un employé du Ministère qui a traduit les conversations. En outre, le rapport du Secrétariat d’État aux migrations est basé sur les observations des représentants du Gouvernement érythréen et du personnel de l’ambassade de l’Union européenne. Le Secrétariat d’État lui-même reconnaît que l’évaluation faite par les observateurs internationaux repose presque exclusivement sur des connaissances anecdotiques tirées de conversations avec des Érythréens. Par conséquent, les sources auxquelles se réfèrent le Secrétariat d’État et le Tribunal administratif fédéral ne répondent pas aux exigences nécessaires d’indépendance, de fiabilité et d’objectivité. Le Tribunal a conclu que l’obligation de servir dans l’armée était généralement levée après cinq à dix ans de service. Toutefois, cette affirmation est incorrecte car la limite d’âge pour le service national est d’environ 50 ans. Le requérant fait valoir que dans la pratique, le service militaire est d’une durée indéfinie. Il se réfère à un rapport d’experts de l’Institut allemand d’études mondiales et régionales, qui conclut que les conscrits ne sont jamais ou que très rarement libérés de leurs obligations militaires après dix ans.

2.7Le requérant soutient que l’affirmation des autorités suisses compétentes en matière d’asile selon laquelle il aurait été libéré de son obligation de servir est une pure conjecture et n’est étayée par aucun élément de preuve. Il fait valoir que la charge de la preuve revient à l’État partie si le demandeur présente un dossier défendable reposant sur des informations vérifiables. Il appartient donc aux autorités de l’État partie chargées de l’asile de prouver qu’il a été libéré de ses obligations militaires lorsqu’il a fui le pays.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il risque d’être persécuté s’il retourne en Érythrée car il a quitté le pays illégalement. Il soutient que les conclusions auxquelles sont parvenus le Tribunal administratif fédéral et le Secrétariat d’État aux migrations sont contraires à plusieurs rapports d’information sur le pays. Il fait référence à un rapport publié par Amnesty International selon lequel les demandeurs d’asile érythréens doivent en principe s’attendre à être immédiatement arrêtés et privés de libertépar la police ou par l’armée en cas d’expulsion vers l’Érythrée. Il fait observer que les personnes qui ne contactent pas les autorités érythréennes après leur départ et qui ne paient pas la taxe de la diaspora ne seraient vraisemblablement pas considérées comme des membres de la diaspora érythréenne mais comme des déserteurs. En cas de retour, ces personnes s’exposeraient à des mesures punitives telles que le transfert dans un camp pénal militaire pour une durée indéterminée et le rappel sous les drapeaux.

3.2Le requérant fait référence à une décision rendue par la Chambre chargée des affaires relatives à l’immigration et à l’asile de l’Upper Tribunal du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord selon laquelle, en Érythrée, une personne dont la demande d’asile n’a pas été jugée crédible, mais qui est en mesure de convaincre un décideur i) qu’elle est partie illégalement ; et ii) qu’elle a l’âge du service militaire ou qu’elle s’en approche, risque d’être perçue à son retour commeun insoumis ou un déserteur et, par conséquent, de courir un risque réel de persécution ou de préjudice grave.

3.3Le requérant renvoie également au rapport de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Érythrée, qui conclut que les personnes rapatriées de force sont inévitablement considérées comme ayant quitté le pays illégalement, et par conséquent comme des délinquants graves, mais aussi comme des « traîtres ». Les rapatriés sont souvent arrêtés à leur arrivée en Érythrée. Ils sont interrogés sur les circonstances de leur fuite et sur les points de savoir s’ils ont reçu de l’aide pour quitter le pays, comment leur départ a été financé, s’ils étaient en contact avec des groupes d’opposition à l’étranger, etc. De plus, ils subiraient systématiquement des mauvais traitements allant jusqu’à la torture pendant la phase d’interrogatoire.

3.4Le requérant fait en outre observer que, selon les informations fournies par les autorités norvégiennes, une demande d’asile à l’étranger est perçue comme une critique du régime et les agents des services de sécurité érythréens cherchent particulièrement à savoir comment les demandeurs d’asile ont fui le pays, qui les a aidés et ce qu’ils ont pu dire contre le Gouvernement érythréen pendant la procédure d’asile. Des rapatriés ont rapporté qu’ils avaient été contraints par la torture ou la menace de torture de déclarer qu’ils avaient commis une trahison en formulant de fausses allégations de persécution dans leurs demandes d’asile.

3.5Le requérant affirme que son expulsion de la Suisse vers l’Érythrée l’exposerait à un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il affirme qu’il existe un ensemble de violations systématiques, graves et flagrantes des droits de l’homme en Érythrée. Il fait référence au rapport de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Érythrée, dans lequel il est indiqué que la torture est répandue dans toute l’Érythrée et qu’elleest infligée aux détenus − dans les commissariats de police, les prisons civiles et militaires, et les lieux de détention secrets et non officiels − mais aussi aux conscrits pendant leur formation militaire et tout au long de leur vie dans l’armée. Le rapport indique également que les mêmes méthodes de torture et de sanction sont appliquées dans les camps d’entraînement militaire et dans les lieux de détention. La répétition et la fréquence de certaines méthodes de torture constituent des indices sérieux que la torture est systémique et infligée de manière routinière.

3.6Le requérant affirme qu’il était déjà connu des autorités érythréennes en tant que partisan de l’Opération Forto avant de quitter l’Érythrée. Il a été détenu, interrogé et torturé pendant deux jours en raison de cette prise de position. Lorsqu’il a quitté le pays, il n’avait pas été libéré de ses obligations militaires ou exempté du service national. C’est pourquoi son retour en Érythrée l’exposerait à un risque réel de torture et de mauvais traitements. Les autorités érythréennes l’interrogeraient directement à son retour et le renverraient à son unité, car il n’a ni passeport ni visa de sortie et il est en âge de servir. Son unité le punirait alors pour avoir déserté et lechoix de la sanction serait entièrement à la discrétion du commandant. En ce qui concerne les sanctions infligées aux déserteurs, le requérant renvoie à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Said c. Pays-Bas, dans lequel la Cour a conclu que « les traitements réservés aux déserteurs en Érythrée […], qui allaient de la détention au secret à des expositions prolongées sous le soleil à de fortes températures, en passant par le ligotage des mains et des pieds dans des positions douloureuses » étaient inhumains.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 8novembre 2018, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la requête. Ily rappelle les éléments qui doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas de retour dans le pays d’origine : a) preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine ; b) allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent, et preuves indépendantes à l’appui de celles-ci ; c)activités politiques du requérant à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine ; et d) preuves de la crédibilité du requérantet incohérences factuelles dans les affirmations du requérant.

4.2L’État partie rappelle que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit établir si le requérant risque « personnellement » d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. D’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, au sens de l’article 3 (par. 1) de la Convention, de prévisible, réel et personnel.

4.3L’État partie décrit ensuite la pratique des autorités suisses en matière de traitement des demandes d’asile des ressortissants érythréens au regard de l’article 3 de la Convention. Le Secrétariat d’État aux migrations évalue régulièrement des rapports concernant ce pays et procède à des échanges d’informations avec des experts et des autorités de pays partenaires. Sur cette base, il dresse un état des lieux actualisé qui sert de fondement à la pratique suisse en matière d’asile. En mai 2015, le Secrétariat d’État a établi un rapport intitulé « Érythrée − étude de pays »‚ regroupant l’ensemble de ces informations. Ce rapport a été validé par quatre autorités partenaires en matière d’asile et de migration, un expert scientifique et le Bureau européen d’appui en matière d’asile. En février et mars 2016, le Secrétariat d’État a effectué une mission sur place afin de réexaminer, approfondir et compléter ces informations, en y incluant d’autres sources parues entre-temps. Sur la base de toutes ces informations, il a publié une mise à jour, le 22 juin 2016. Le rapport indique que les personnes qui souhaitent rentrer volontairement doivent s’acquitter d’un impôt de la diaspora (2 %) auprès d’une représentation diplomatique érythréenne et, si elles n’ont pas achevé leur service national, signer une reconnaissance de culpabilité. Le rapport précise que lorsque des déserteurs ou des personnes ayant quitté illégalement l’Érythrée reviennent volontairement, les sanctions sévères prévues par la loi ne sont apparemment pas appliquées si les intéressés ont préalablement régularisé leur situation auprès des autorités érythréennes. Une récente directive non publiée prévoit que ces personnes peuvent revenir dans le pays sans être sanctionnées.

4.4L’État partie fait valoir que le Secrétariat d’État aux migrations évalue chaque demande d’asile à la lumière de toutes les informations disponibles. Lorsque le demandeur d’asile démontre l’existence d’une situationde persécution au sens de l’article 3 de la loi relative à l’asile, sur la base d’événements survenus avant son départ d’Érythrée, il est reconnu comme réfugié et se voit accorder l’asile. En juin 2016, le Secrétariat d’État a modifié sa pratique en précisant que le fait d’avoir quitté illégalement le pays n’implique plus un risque de persécution. Les demandeurs d’asile qui ne démontrent pas qu’ils ont des motifs sérieux de craindre d’être persécutés à leur retour en Érythrée ne sont pas reconnus comme des réfugiés.

4.5Bien que la situation des droits de l’homme en Érythrée ait été décrite dans plusieurs rapports comme très préoccupante, la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt concernant l’affaire M. O. c. Suisse, a estimé qu’aucun de ces rapports ne concluait que la situation actuelle en Érythrée était telle que tout ressortissant érythréen, s’il était renvoyé dans le pays, risquerait d’être persécuté ; et que les rapports ne contenaient pas non plus d’informations qui pourraient conduire à une telle conclusion. Les mêmes considérations s’appliquent au départ illégal du pays et à l’obligation d’accomplir le service national.

4.6L’État partie considère que le fait qu’un requérant ait été victime d’actes de torture dans le passé est l’un des facteurs à prendre en considération lorsqu’il s’agit de déterminer si l’intéressé courrait un risque de torture s’il était renvoyé dans son pays. Cependant, en l’espèce, le récit du requérant concernant les mauvais traitements qu’il aurait subis lors de sa détention en 2013 est resté vague et superficiel,tant devant le Comité que devantle Secrétariat d’État aux migrations. Le requérant n’a ni mentionné ni fourni de preuves à l’appui de ses allégations.

4.7Selon ses propres déclarations, le requérant était favorable à l’Opération Forto et en a parlé avec des joueurs de son équipe de football. L’État partie fait valoir que le requérant n’a toutefois pas pris part à la manifestation du 21 janvier 2013 et n’a parlé de son soutien que de manière clandestine avec certains de ses coéquipiers. Le requérant ne prétend donc pas avoir mené publiquement des activités politiques en Érythrée ou en dehors.

4.8L’État partie fait valoir que les autorités de l’immigration ont relevé plusieurs incohérences dans le récit du requérant. Lorsqu’il a été entendu par ces autorités, le requérant a exposé de manière plausible qu’il avait reçu une formation militaire et qu’il avait servi dans l’armée à partir de 1994 puis de 1997. Les autorités de l’immigration ont toutefois conclu que le requérant avait été démobilisé en 2000 et que, par conséquent, l’allégation de désertion n’était pas crédible. Elles sont parvenues à la même conclusion en ce qui concerne l’arrestation du requérant en janvier 2013 et ont exclu l’idée que le requérant soit exposé au risque de subir des mauvais traitements en raison de son départ prétendument illégal de son pays d’origine. Le Tribunal administratif fédéral a estimé que le requérant, qui avait été démobilisé, ne pouvait pas être considéré comme un déserteur étant donné que lui-même n’avait pas déclaré avoir déserté pendant la procédure lorsqu’il avait été entendu par le Secrétariat d’État aux migrations. Cette omission infirme l’argument de sa désertion, invoqué a posteriori.

4.9L’État partie fait valoir que le Tribunal administratif fédéral avait aussi analysé les possibilités de démobilisation en 2017 en se fondant sur divers rapports internationaux, notamment ceux du Secrétariat d’État aux migrations et du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni. Le Tribunal a constaté que des personnes étaient régulièrement démobiliséesen Érythrée et qu’en principe, la démobilisation était susceptible d’intervenirau bout de cinq à dix ans de service militaire. En ce qui concerne le rapport d’expert de l’Institut allemand d’études mondiales et régionales mis en avant par le requérant, l’État partie fait valoir que ce rapport ne peut à lui seul modifier l’appréciation faite par les autorités de l’immigration concernant la démobilisation du requérant. Il souligne que le requérant a servi dans l’armée à partir de 1994 et a quitté son pays d’origine en avril 2013, à l’âge de 35 ans. À supposer que le requérant ait déserté lorsqu’il a quitté l’Érythrée, il aurait alors accompli dix‑neuf années de service. Compte tenu de ses conclusions dans son arrêt de référence et du fait que, lorsqu’il a été entendu par le Secrétariat d’État aux migrations, le requérant n’a pas affirmé avoir déserté, le Tribunal a conclu que le requérant avait quitté son pays d’origine après s’être acquitté de son obligation d’effectuer son service militaire. Il était donc peu probable que le requérant soit emprisonné ou de nouveau soumis au service national s’il retournait en Érythrée. Tant les faits relatés eux-mêmes que les circonstances de l’affaire rendent peu probable l’existence d’un risque de persécution du requérant.

4.10Le Tribunal administratif fédéral a conclu que les raisons avancées par le requérant pour expliquer son départ du pays (en particulier ses allégations de détention) ne pouvaient pas être considérées comme crédibles. Il a estimé en particulier que les descriptions données par le requérant étaient stéréotypées et incohérentes. En outre, le requérant n’avait pas étayé son affirmation selon laquelle l’audience du 22 décembre 2014 avait été entachée d’irrégularités. En ce qui concerne la courte durée (deux heures) de cette audience, l’État partie note que le requérant n’a pas soulevé ce point lorsqu’il a été entendu par le Tribunal. En particulier, il ne ressort pas de l’audience que le requérant ait été interrompu dans son récit lorsqu’il a été entendu par le Secrétariat d’État aux migrations. Si le requérant n’a pas voulu saisir l’occasion qui lui était offerte d’entrer davantage dans les détails et n’a donc été entendu que pendant deux heures, ce n’était certainement pas parce que l’audience aurait présenté des lacunes.

4.11L’État partie fait valoir que dans un arrêt du 30 janvier 2017, le Tribunal administratif fédéral, se fondant sur de nombreux rapports d’organismes gouvernementaux et non gouvernementaux, a conclu qu’en Érythrée, le départ illégal n’entraînait pas, en soi, un risque de torture. D’autres éléments aggravants, comme le fait d’être considéré comme un contestataire ou un déserteur, doivent être réunis. Le Tribunal a conclu que les autorités érythréennes ne considéreraient plus automatiquement les personnes ayant quitté le pays illégalement comme des traîtres. Il ressortait des rapports qu’il avait consultés qu’en cas de retour volontaire, il était possible d’éviter le risque de sanction en payant une taxe de la diaspora auprès d’une représentation diplomatique érythréenne et en signant un aveu de culpabilité. En l’espèce, le requérant n’a pas pu rendre plausible la présence d’éléments aggravants. Au contraire, il est fort probable qu’il ait été officiellement démobilisé, si bienqu’il ne saurait être considéré comme un déserteur. Il ne présente aucun élément qui pourrait faire que les autorités érythréennes s’intéressent à lui. L’État partie affirme que les déclarations du requérant concernant la préparation de son départ, l’itinéraire suivi et le déroulement de son voyage étaient inconsistantes et contenaient des contradictions importantes (départ sans sa partenaire ; absence d’information sur les sommes payées pour l’organisation du voyage ; demande d’assistance auprès de hauts responsables de l’armée sans connaître leur grade ; versions divergentes concernant le transfert vers le Soudan). L’État partie reconnaît qu’il existe peu d’informations fiables sur l’attitude des autorités érythréennes à l’égard des personnes renvoyées dans le pays, étant donné que ces dernières années, les renvois vers l’Érythrée n’ont eu lieu qu’à partir du Soudan (et peut-être de l’Égypte). Contrairement à celles qui reviennent volontairement, ces personnes ne peuvent pas régulariser leur situation vis-à-vis de l’État érythréen. Les quelques rapports disponibles montrent que les autorités traitent ces personnes de la même manière que celles qui sont arrêtées à l’intérieur du pays ou celles qui quittent le pays illégalement.

4.12L’État partie fait valoir que la charge de la preuve ne peut incomber aux autorités de l’immigration pour ce qui est de démontrer que le requérant a quitté l’Érythrée légalement, sachant en particulier que le récit du requérant n’a pas été jugé crédible. Contestant l’argument que le requérant tire d’une décision de la Haute Cour du Royaume-Uni, l’État partie rappelle que selon l’arrêt rendu dans l’affaire MST and Othersdevant l’Upper Tribunal du Royaume-Uni, une personne dont la demande d’asile n’avait pas été jugée crédible ne pouvait pas être considérée comme ayant quitté illégalement l’Érythrée. Le tribunal a également estimé qu’il était probable que des démobilisations régulières aient lieu. Le fait qu’une personne soit déboutée de sa demande d’asile ne signifiait pas en soi que celle‑ci serait exposée à un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi en Érythrée. L’Upper Tribunal a en outre fait observer que 9 personnes sur 10 n’étaient pas soumises au service national et qu’une période de service de sept ans serait acceptée par les autorités érythréennes. En l’espèce, le requérant était âgé de 35 ans lorsqu’il a quitté son pays. Selon ses propres déclarations devant les autorités de l’immigration, il a été démobilisé en 2001 après avoirservi depuis1994. Par conséquent, l’État partie conclut que le requérant ne serait pas rappelé sous les drapeauxen cas de retour.

4.13En conclusion, rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de penser que le requérant risquerait personnellement et concrètement d’être soumis à la torture en cas de retour en Érythrée. Ses allégations et les moyens de preuve fournis ne permettent pas de considérer que son renvoi l’exposerait à un risque réel, concret et personnel d’être torturé.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 2 juin 2020, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond. En ce qui concerne la situation en Érythrée, le requérant fait valoir que le recours généralisé et systémique à la torture dans le pays est confirmé par le rapport de 2019 de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée. La Rapporteuse spéciale estime que les violations des droits de l’homme dans le pays persistent et que « les autorités érythréennes n’ont pas encore engagé de processus de réforme sur le plan interne et la situation des droits de l’homme reste inchangée ». Plus important encore, elle critique les récents changements dans la politique d’asile en Suisse, en faisant expressément référence aux arrêts du Tribunal administratif fédéral. Elle reconnaît qu’un renvoi en Érythrée exposerait les demandeurs d’asile au risque d’être arrêtés, harcelés ou victimes de violences. En 2016, la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Érythrée a dénoncé une attaque généralisée et systématique contre la population civile et la Commission africaine des droits de l’homme a exprimé ses préoccupations concernant la torture et le droit à la vie en Érythrée. Le requérant fait valoir que les pays européens continuent derendre des décisions favorables aux demandeurs d’asile érythréens en raison de la situation critique en Érythrée. Au premier trimestre de 2019, le taux d’octroi du statut de réfugié pour les Érythréens dans l’Union européenne atteignait 79 % ou 81 %, selon la source, ce qui fait de l’Érythrée le pays d’origine ayant le deuxième taux le plus élevé après la République arabe syrienne.

5.2En ce qui concerne les allégations de torture ou de mauvais traitements dans un passé récent, le requérant réaffirme qu’il a été torturé parce qu’il avait divulgué des informations sur l’Opération Forto. Pour ce qui est de ses activités politiques en Érythrée, le requérant affirme qu’il a été enlevé et interrogé pendant deux jours par des inconnus parce qu’il avait parlé de l’Opération Forto aux membres de son équipe et qu’il avait ouvertement évoqué une certaine forme de protestation contre le Gouvernement érythréen et exercé son droit à la liberté d’expression. Il est vu comme un adversaire politique. C’est pourquoi, selon lui, il risquerait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements s’il retourne en Érythrée.

5.3Concernant la crédibilité de ses allégations, le requérant fournit des informations supplémentaires sur : a) sa désertion, b) son arrestation et sa détention et c) son départ illégal d’Érythrée. Le requérant fait valoir qu’il est pratiquement impossible de quitter le service national en Érythrée. Il a servi dix-neuf ans dans l’armée sans être démobilisé et faisait encore partie duservice national lorsqu’il s’est enfui. En réponse aux arguments de l’État partie concernant la crédibilitédu récit de son arrestation et de sa détention en février 2013, le requérant explique que, comme il avait les yeux bandés au moment de son enlèvement, il lui serait impossible de diresi les lumières étaient allumées ou éteintes pendant qu’on le torturait. Le fait qu’il n’ait pas apporté cette précision ne signifie pas que ses déclarations ne sont pas crédibles, comme le soutient l’État partie. Les légères incohérences dans son récit sont dues au traumatisme qu’il a subi lors de son arrestation et de sa détention, ainsi qu’il est décrit dans le Protocole d’Istanbul et le British Medical Journal. Le requérant réaffirme que son audience n’a duré que deux heures et qu’elle a eu lieu plusieurs années après les faits en question. Il conteste l’argument de l’État partie selon lequel le fait d’avoir quitté illégalement le pays ne suffit pas à en soi à exposer un déserteur au risque d’être soumis à la torture. Il fait valoir qu’il n’a pas étélibéré du service national mais simplement transféré. Il ajoute qu’en Érythrée, il ne faut pas seulement tenir compte du service national, mais aussi de l’armée populaire, dans laquelle des hommes et des femmes âgés de 18 à 70, voire 75 ans, sont recrutés. En 2012, des membres de l’armée populaire, prétendument sous le commandement de l’armée régulière, ont reçu des armes et ont dû participer chaque semaine à un entraînement militaire. Le risque que le requérant doive rejoindre les rangs de l’armée populaire est élevé. Dans tous les cas, le requérant devra, une nouvelle fois, effectuer son service national ou servir dans l’armée populaire et sera donc rappelé sous les drapeaux, d’une manière ou d’une autre.

5.4En ce qui concerne le risque personnel et réel de torture ou de traitement inhumain ou dégradant, le requérant affirme que l’Érythrée n’a pas, comme l’insinue l’État partie, changé d’approche à l’égard des citoyens quittant le pays illégalement. Par exemple, la Commission d’enquête faisait référence à des Érythréens renvoyés dans leur pays depuis le Soudan, qui, à leur arrivée, ont été arrêtés et détenus. Des citoyens érythréens renvoyés de force dans leur pays ces dernières années ont été arrêtés et incarcérés immédiatement. On ne sait toujours pas ce qu’ils sont devenus. La Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée a déclaré en 2017 que les autorités érythréennes considéraient celles et ceux qui quittaient le pays sans visa de sortie comme des opposants politiques assimilables à des traîtres. La signature d’une lettre de regret − que l’État érythréen exigeait à des fins de « régularisation » − donnait carte blanche aux autorités pour infliger des sanctions arbitraires. Le requérant soutient que cela est confirmé par la décision du Comité dans l’affaire A. N. c. Suisse, dans laquelle le Comité a estimé qu’un renvoi en Érythrée constituait une violation des articles 3, 14 et 16 de la Convention. Dans cette affaire, le requérant, qui avait quitté illégalement l’Érythrée, avait été arrêté immédiatement après son retour, puis détenu pendant deux mois à Agordat, torturé et puni de sept ans de prison. Le requérant fait également valoir qu’en 2020, le magazine numérique indépendant Republik, en collaboration avec le collectif de recherche suisse Reflekt, a confirmé que les rapatriés convoqués par les autorités à leur arrivée en Érythrée étaient torturés et détenus, disparaissaient ou fuyaient à nouveau le pays parce qu’ils étaient persécutés par les autorités. Il réaffirme par conséquent qu’il court un danger grave et concret d’être arrêté, incarcéré et torturé parce qu’il a quitté le pays illégalement et sera considéré comme ayant déserté s’il est renvoyé en Érythrée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une requête, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune requête d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles, et n’a pas mis en doute la recevabilité de la requête.

6.3Le Comité considère que le requérant a suffisamment étayé l’allégation selon laquelle son retour en Érythrée l’exposerait au risque d’être persécuté et torturé, car il serait perçu comme un déserteur et un partisan de l’Opération Forto. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable au regard de l’article 3 de la Convention et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Érythrée. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé et qu’il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité rappelle que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel » (par. 11). Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique et l’appartenance religieuse ; b) les actes de torture subis antérieurement ; c) la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; et d) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant (par. 45).

7.4Le Comité rappelle en outre que la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant qu’il court personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. Toutefois, lorsque le requérant n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple, lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas de possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État partie intéressé d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels la requête est fondée. Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé mais qu’il n’est pas lié par celles-ci. Il s’ensuit qu’il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

7.5Le Comité prend note de l’allégation du requérant selon laquelle il pourrait être persécuté ou soumis à la torture en Érythrée parce qu’il a quitté le pays illégalement pour échapper au service militaire et comme suite aux tortures qu’il a subies après avoir révélé des informations concernant l’Opération Forto aux membres de son équipe de football. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les rapports récents sur l’Érythrée montrent que la situation dans le pays a évolué en ce qui concerne les rapatriés qui ont quitté le pays illégalement, que les rapatriés doivent désormais seulement payerune taxe de la diaspora auprès d’une mission diplomatique érythréenne et que ceux qui n’ont pas accompli leur service national doivent signer un aveu de culpabilité. Il prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel si le requérant a servi dans l’armée depuis 1994 jusqu’à ce qu’il quitte l’Érythrée en avril 2013, à l’âge de 35 ans, cela signifie qu’il est resté dans l’armée pendant dix-neuf ans après s’être acquitté de son obligation d’effectuer le service militaire. Il est donc peu probable que le requérant soit emprisonné ou rappelé sous les drapeaux s’il est renvoyé en Érythrée. Dans le même temps, le Comité constate que l’affirmation de l’État partie selon laquelle le requérant aurait été libéré de ses obligations militaires n’est étayée par aucun document probant.

7.6Le Comité prend note du rapport établien 2021 par le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Érythrée. Selon ce rapport, les demandeurs d’asile renvoyés en Érythrée feraient l’objet de lourdes sanctions à leur retour, notamment de longues périodes de détention au secret, d’actes de torture et de mauvais traitements. Le Comité fait aussi observer que la précédente titulaire du mandat de Rapporteur spécial s’était inquiétée du fait que le retour volontaire, en 2019, de 56 Érythréens qui séjournaient en Suisse pourrait « faire courir des risques à ces personnes, car les conditions de leur retour ne [pouvaient] être suivies comme il [convenait] ». En outre, le Comité constate que dans une déclaration au Conseil des droits de l’homme le 4 mars 2022, le Rapporteur spécial a observé que les faits récents en Érythrée montraient que la situation des droits de l’homme dans le pays ne s’améliorait toujours pas.

7.7Par conséquent, le Comité ne peut pas conclure qu’en l’espèce,le requérant ne courrait pas personnellement un risque prévisible, actuel et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays. Le Comité considère donc que le renvoi du requérant en Érythrée constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en Érythrée constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité est d’avis que, conformément à l’article 3 de la Convention, l’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en Érythrée. Conformément à l’article 118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.