Nations Unies

CAT/C/73/D/933/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

13 juin 2022

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la c ommunication n o  933/2019*, **

Communication présentée par :

A.H. et S.H. (représentés par des conseils, Martin Pradel et Marc Bailly)

Victime(s) présumée(s) :

H.

État partie :

France

Date de la requête :

14 mai 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 24 mai 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22 avril 2022

Objet :

Rapatriement depuis la République arabe syrienne

Question ( s ) de procédure :

Recevabilité −requête manifestement mal fondée; qualité à agir ; recevabilité − ratione personae

Question ( s) de fond :

Prévention de la tortureet des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Article ( s ) de la Convention :

2 et 16

1.1Les requérants sont A.H. et S.H., de nationalité française, nés respectivement en 1959 et en 1962. Ils allèguent que l’État partie a violé les droits de leur fils, H., de nationalité française, né en 1990, actuellement détenu en République arabe syrienne. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par.1) de la Convention le 23 juin 1988. Les requérants sont représentés par des conseils, Martin Pradel et Marc Bailly.

1.2Le 24 mai 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de ne pas donner suite à la demande de mesures provisoires des requérants. Cependant, il a prié l’État partie de prendre toutes les mesures à sa disposition afin de s’assurer que la vie et l’intégrité de H. soient préservées.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants indiquent qu’en juin 2016, comme d’autres ressortissants français, H. a quitté la France pour la zone iraqo-syrienne, en passant par la Turquie, dans le contexte de la guerre civile syrienne. Dès son franchissement de la frontière turco-syrienne, H. a été arrêté par les forces kurdes, qui contrôlent une zone étendue au nord-est de la République arabe syrienne. En février 2018, sur décision des forces kurdes, H. a été transféré à la prison de Mezzeh, à Damas, qui est sous contrôle du Gouvernement de Bachar Al-Assad. Selon les requérants, il est probable que ce transfert ait eu lieu avec l’autorisation des autorités françaises, ces dernières étant régulièrement en contact avec les forces kurdes. Par la suite, H. a été transféré à la prison d’Adra, à Damas, où il reste détenu à ce jour. Depuis son arrestation, aucun procès n’a eu lieu. Il n’a jamais été présenté à un juge et n’a jamais pu s’entretenir avec un avocat. Les requérants sont en contact avec lui ponctuellement par téléphone, mais disposent de peu de nouvelles le concernant et sont inquiets de ses conditions de détention.

2.2Les requérants se réfèrent à des informations indiquant que les détenus sont « systématiquement torturés ou autrement maltraités dans les prisons syriennes », qu’on y dénombre « plus de 300 décès par mois » et que « [d]ans les locaux gérés par les services de renseignement, les personnes détenues se sont vu infliger d’incessants actes de torture et d’autres mauvais traitements pendant qu’on les interrogeait, généralement dans le but de leur extorquer des “aveux” ou d’autres informations, ou bien de les punir ». Les conditions sanitaires dans les prisons gérées par les services de renseignement sont déplorables en raison de la surpopulation et de la rétention délibérée de nourriture, d’eau potable et de soins de santé. Les infestations par la gale et les poux sont fréquentes, et les maladies se propagent facilement. Les requérants font valoir que H. est ainsi exposé à un risque de mort et d’atteintes irréversibles à son intégrité physique et psychique résultant des actes de tortures et des traitements pratiqués dans les prisons du régime syrien.

2.3Les requérants font valoir qu’ils relèvent de la juridiction de l’État partie étant donné qu’ils sont de nationalité française et résident en France. Ils notent que, dans une affaire concernant la demande de retour de ressortissants français détenus en République arabe syrienne, le tribunal administratif de Paris, saisi d’un référé, s’est déclaré incompétent au motif que l’objet de sa saisine concernait non pas une responsabilité administrative de l’État, mais un acte de gouvernement relevant des relations diplomatiques. Selon les requérants, aucune juridiction française n’est ainsi compétente pour statuer sur le positionnement de l’État partie à l’égard des ressortissants français détenus en République arabe syrienne. Quand même bien une juridiction ordonnerait aux autorités de mettre en œuvre des mesures de protection, ni H. ni les requérants n’auraient de moyens juridiques pour faire exécuter une telle décision, dès lors que seul le Gouvernement français peut ordonner de telles mesures. Les requérants et leurs avocats ont pris contact avec le Président de la République, la Ministre de la justice et le Ministre de l’Europe et des affaires étrangères, mais ces démarches n’ont pas abouti. Les requérants font valoir qu’il n’existe conséquemment aucun recours interne disponible et efficace.

2.4Les requérants notent qu’en janvier 2019, le Ministre de l’intérieur de l’État partie a annoncé la décision de rapatrier environ 130 ressortissants français de République arabe syrienne, mais que les autorités françaises ont ensuite nié tout projet de rapatriement de ressortissants français détenus dans ce pays ou en Iraq. Ils critiquent l’inaction des autorités de l’État partie, compte tenu de leurs contacts réguliers avec les autorités du Rojava, de la mobilisation des autorités judiciaires et pénitentiaires pour organiser des rapatriements, et du récent rapatriement de plusieurs ressortissants français détenus par les forces kurdes.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants invoquent une violation de l’article 2 lu conjointement avec l’article16 de la Convention. Ils soutiennent que l’observation générale no2 (2007) du Comité permet d’étendre la notion de juridiction en considérant que les États parties doivent prévenir les violations des droits des personnes sur lesquelles ils exercent leurs compétences, notamment personnelles. Ainsi, l’article 2 de la Convention oblige l’État partie à adopter les mesures nécessaires pour mettre fin à des traitements prohibés par la Convention en la personne de leurs ressortissants. En outre, l’article5 (par.1c)) de la Convention fait référence aux ressortissants des États parties.

3.2Les requérants font valoir que l’article 2 couvre également les traitements cruels, inhumains ou dégradants visés à l’article 16 de la Convention. Selon eux, l’article2 de la Convention couvre l’obligation de lever tous les obstacles juridiques entraînant un risque d’exposition à des traitements interdits par la Convention.

3.3Les requérants notent que l’observation générale no2 (2007) du Comité précise au paragraphe 19 que dans les cas où un individu doit être transféré ou dirigé à des fins de garde ou de surveillance vers une personne ou une institution, publique ou privée, dont on sait qu’elle a été impliquée dans des actes de torture ou des mauvais traitements ou qu’elle n’a pas mis en place de garanties suffisantes, l’État est tenu pour responsable, et ses agents passibles de sanctions pour avoir ordonné ce transfert, l’avoir autorisé ou y avoir participé. Dans le cas présent, H. a été arrêté par les forces kurdes, qui l’ont remis aux autorités syriennes. Compte tenu des communications régulières entre les forces kurdes et l’État partie et de la nationalité française de H., son transfert n’aurait pu être possible sans l’autorisation des autorités de l’État partie. Par leur décision de refuser de rapatrier H., ces dernières n’ont pas pris les mesures nécessaires pour le protéger et l’ont exposé à un risque de violations graves et irréparables de ses droits au titre de l’article 2 lu conjointement avec l’article 16 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 23 juillet 2019, l’État partie affirme que la présente requête est irrecevable car manifestement infondée, en l’absence d’éléments de preuve étayant la capture de H. par les forces kurdes, son transfert aux autorités syriennes, sa détention à Damas et l’affirmation selon laquelle l’État partie aurait été informé de ces allégations. L’État partie note que la lettre des avocats des requérants au Président de la République mentionne H. dans une liste de ressortissants français « dont la localisation précise n’est aujourd’hui pas permise », et ajoute que H. est « probablement » détenu à la prison de Mezzeh, ce qui montre l’incertitude de sa localisation.

4.2L’État partie ajoute que la présente requête est également irrecevable pour défaut de qualité à agir, les requérants ne prouvant pas qu’ils sont les parents de H. ni que ce dernier les a mandatés pour le représenter, alors qu’ils affirment être en contact.

4.3L’État partie fait en outre valoir que la présente requête est irrecevable pour défaut de juridiction. Il fait valoir que le Comité doit vérifier que relève de la juridiction de l’État partie non pas les requérants, mais bien la personne dont les droits auraient été violés. L’État partie note que les États n’ont entendu s’engager à respecter les droits énoncés par les instruments internationaux en matière de droits humains, dont fait partie la Convention, que pour les situations qui relèvent de leur souveraineté, de leur compétence et sur lesquelles ils sont susceptibles d’avoir un contrôle effectif. Il ne paraît pas possible, selon l’État partie, d’engager la responsabilité des États au regard des instruments internationaux en matière de droits humains pour des situations dont ils ne sont pas à l’origine et sur laquelle ils n’ont aucun contrôle effectif, en leur imputant les agissements d’autres États ou acteurs nonétatiques. L’État partie affirme que le Comité doit garder à l’esprit, d’une part, ce à quoi les États ont entendu s’engager lorsqu’ils se sont soumis à l’obligation de prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous leur juridiction, et d’autre part, les liens consubstantiels entre les notions de juridiction et de contrôle effectif sur une situation. En outre, il ne paraît pas possible d’étendre artificiellement la notion de juridiction pour donner à la Convention un champ d’application que les États n’ont pas entendu lui conférer lors de sa ratification.

4.4L’État partie note qu’en droit international public, la notion de juridiction est principalement territoriale et que c’est uniquement de manière exceptionnelle que la juridiction d’un État peut être amenée à s’exercer en dehors de ses frontières au titre de la Convention, lorsque l’État exerce un contrôle effectif sur une personne se trouvant sur un autre territoire. L’État partie note que le Comité a, de ce fait, déclaré irrecevables ratione personae des requêtes ayant pour fondement des actes commis en dehors du territoire d’un État partie et par les agents d’un autre État.

4.5L’État partie note que la Cour européenne des droits de l’homme considère que le contrôle effectif d’un État partie peut résulter du contrôle exercé sur une zone située en dehors de son territoire, soit directement, par l’intermédiaire de ses forces armées, soit indirectement, par l’intermédiaire d’une administration locale subordonnée. En outre, pour qu’un État soit responsable d’une violation des droits humains commise sur un territoire qui n’est pas le sien, il faut établir une influence sur l’administration de ce territoire si décisive que l’État a en réalité le contrôle effectif de cette région, au point que sans son soutien, l’administration locale ne pourrait fonctionner. La Cour internationale de Justice a développé une notion similaire de la compétence extraterritoriale sur la base du contrôle effectif. Dans Djamel Ameziane c . É tats-Unis, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a constaté l’exercice de juridiction extraterritoriale caractérisé par un contrôle total et exclusif de l’État partie, par l’intermédiaire de ses agents, sur la personne dont les droits étaient en cause.

4.6L’État partie soutient que, à la lumière de cette jurisprudence, l’argument des requérants selon lequel la Convention oblige l’État partie à protéger H. étant donné sa nationalité française n’est pas conforme à la lettre ou à l’esprit de la Convention. Selon l’État partie, l’observation générale no2 (2007) du Comité indique uniquement que la responsabilité des États est engagée par les actes et les commissions de leurs fonctionnaires, d’une part, et que les États parties doivent prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis sur leur propre territoire mais aussi dans tout territoire sous leur juridiction, d’autre part. Similairement, l’État partie fait valoir que l’article5 (par.1b)) de la Convention a pour objectifs la punition des infractions visées à l’article 4 de la Convention et l’ouverture d’un recours pour la victime, mais qu’il n’étend pas la juridiction des États parties au sens de l’article 2 de la Convention à l’ensemble de leurs ressortissants se trouvant en dehors de leur territoire ou sur un territoire dont ils ont le contrôle effectif.

4.7L’État partie soutient que H. ne se trouve ni sous le contrôle et l’autorité de fonctionnaires et d’agents français, ni sur un territoire sous le contrôle effectif de l’État partie. Si H. est détenu à la prison d’Adra, à Damas, il est sous le seul contrôle des autorités syriennes. En outre, le transfert de H. des forces kurdes aux autorités syriennes et le prétendu consentement des autorités françaises à celui-ci sont de simples suppositions avancées par les requérants, qui ne sont étayées par aucun document ou élément tangible.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Dans leurs commentaires du 26 août 2019, les requérants notent qu’en 2019, les autorités françaises ont rapatrié plusieurs orphelins, des militaires français étant directement intervenus dans les camps concernés. Ils font valoir que le rapatriement de 12 combattants français de la République arabe syrienne vers l’Iraq, annoncé par le Président de l’Iraq lors d’une conférence de presse avec le Président de la République de l’État partie, et exécuté en présence d’officiels français, signifie que ce transfert n’aurait pas pu être réalisé sans l’autorisation de l’État partie. Ils affirment qu’au vu de ces rapatriements, les autorités de l’État partie ont le pouvoir de décider du sort de leurs ressortissants en République arabe syrienne.

5.2Les requérants font valoir que l’article 113 du Règlement intérieur du Comité leur permet de présenter la requête au nom de H. sans prouver leur lien de parenté, étant donné son incapacité à la présenter lui-même et à les mandater. Ils fournissent une copie de l’acte de naissance de H. pour prouver qu’ils sont ses parents et font valoir qu’il leur a donné son accord verbal pour agir en son nom devant le Comité. En tout état de cause, l’exigence d’un consentement formel constituerait un obstacle insurmontable à la présentation de la requête, en violation de la lettre et de l’esprit de la Convention.

5.3Les requérants contestent l’interprétation par l’État partie de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ils affirment qu’il faut distinguer deux situations: l’application extraterritoriale de juridiction sur la base d’un acte extraterritorial de l’État, et l’application extraterritoriale sur la base d’un acte purement national de l’État qui vise la personne concernée et influe directement sur sa situation juridique. Ils soutiennent qu’il est de jurisprudence constante que la juridiction d’un État « peut entrer en jeu à raison d’actes émanant de [ses] organes et déployant leurs effets en dehors [du territoire national] ». La Cour n’a jamais retenu le critère du contrôle effectif comme condition sine qua non de l’exercice extraterritorial de la juridiction ; elle a plutôt privilégié une approche plus large fondée sur la notion « d’influence décisive » qui n’implique ni un contrôle sur l’autorité locale ni la participation directe des agents de l’État partie.À ce titre, la Cour a estimé que « [d]u fait qu’il assure la survie de cette administration grâce à son soutien militaire et autre, cet État engage sa responsabilité à raison des politiques et actions entreprises par elle ». Les requérants font valoir qu’en l’espèce, l’État partie exerce une telle influence sur le nord de la République arabe syrienne, compte tenu de son intervention militaire dans le cadre de l’opération Chammal, qui a considérablement aidé les Forces démocratiques syriennes à chasser Daech de la région, et de son partenariat avec lesdites Forces pour stabiliser les zones libérées et y structurer la gouvernance. Ils se réfèrent à un communiqué de la présidence de l’État partie daté du 15 mars 2019, dans lequel le Ministre de l’Europe et des affaires étrangères remercie les Forces démocratiques syriennes pour leur coopération dans le rapatriement de plusieurs orphelins et rappelle l’engagement français dans la lutte contre Daech. Selon les requérants, l’État partie a donc une pleine connaissance de la situation des combattants de Daech détenus par les forces kurdes, a fortiori concernant ses propres ressortissants.

5.4Les requérants notent que, dans l’affaireStephens c . Malte (n o  1), la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la demande d’extradition formulée par Malte faisait naître un lien juridictionnel entre l’État requérant et l’individu visé par la demande, dans la mesure où la privation de liberté du requérant avait pour « origine unique » les mesures prises par les autorités maltaises. De même, la Commission européenne des droits de l’homme a reconnu que les ressortissants d’un État relevaient partiellement de sa juridiction, où qu’ils se trouvent.En l’espèce, lorsqu’elles ont arrêté H., les forces kurdes en ont nécessairement informé les autorités de l’État partie afin que ces dernières puissent prendre en charge sa situation, compte tenu des nombreux appels de hauts responsables kurdes syriens en faveur du rapatriement des ressortissants étrangers détenus dans leurs camps et de leurs liens étroits avec les autorités de l’État partie, notamment concernant le soutien à la gestion de ces détenus. En outre, au regard des rapatriements déjà opérés sur décision de l’État partie en mars et en juin 2019, ainsi que du transfert de 12 combattants français vers l’Iraq, il est incontestable que les autorités de l’État partie ont le pouvoir de décider du sort de ses ressortissants détenus en République arabe syrienne. Conséquemment, il est exclu que les forces kurdes aient pu transférer H. vers l’une des prisons du Gouvernement syrien sans l’accord formel préalable de l’État partie. Au regard du communiqué de presse de la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires daté du 12 août 2019 et concernant le rôle de l’État partie dans le transfert de sept ressortissants français vers l’Iraq,il doit même être envisagé que l’État partie ait été à « l’origine unique » du transfert de H. vers Damas. Selon les requérants, la décision de transfert a ainsi fait naître un lien juridictionnel entre l’État partie et H.

5.5Les requérants réitèrent leur allégation au titre de l’article 2 lu conjointement avec l’article 16 de la Convention. Ils réitèrent également que les détenus dans les prisons des autorités syriennes sont systématiquement torturés et que la détention de H. dans une telle prison l’expose quotidiennement à un risque de mort et de dommages irréversibles à sa santé physique et psychique. Ils fournissent la copie d’une attestation de la prison d’Adraconfirmant que H. y est détenu.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1Par note verbale datée du 26 novembre 2019, l’État partie conteste qu’il exerce sa compétence à l’égard de H. sur la base de toute décision prise sur son territoire national. Il note que dans l’affaireAl - Skeini et autres c . Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la juridiction d’un État contractant pouvait s’étendre aux actes de ses organes qui déployaient un effet en dehors de son territoire comme un cas particulier où l’État contractant exerçait son autorité et son contrôle par l’intermédiaire d’un de ses agents (ratione personae), et non comme une exception distincte à la règle générale de la juridictionterritoriale. En outre, la notion selon laquelle toute personne subissant les effets négatifs d’un acte imputable à un État contractant relèverait automatiquement de la juridiction de cet État a été rejetée par la Cour européenne des droits de l’homme.L’État partie conteste la pertinence de la jurisprudence invoquée par les requérants pour la présente affaire.

6.2L’État partie réfute également la notion selon laquelle le droit international public reconnaît un lien entre la juridiction et la nationalité. Il soutient que les requérants confondent la notion de compétence personnelle de l’État − c’est-à-dire les compétences que l’État exerce sur ses ressortissants à l’étranger en raison de leur nationalité − et celle de juridiction extraterritoriale. En tant que pouvoir juridique en vertu duquel un État est fondé à agir à l’égard de ses nationaux et ressortissants à l’étranger en leur donnant des ordres, en réglant leur statut personnel et en exerçant son pouvoir vis-à-vis d’eux, la compétence personnelle peut être exercée sans que cela heurte la juridiction territoriale des États sur les territoires desquels se trouvent les personnes concernées. Dès lors, H. ne relève pas de la juridiction de l’État partie au seul motif de sa nationalité.

6.3De plus, l’introduction d’une confusion entre la nationalité et la juridiction accorderait aux ressortissants des États parties en dehors de leur pays d’origine une protection dont les non-nationaux en dehors de ces territoires ne pourraient pas se prévaloir, contrairement à la logique de la Convention de protéger les individus indépendamment de leur nationalité. La jurisprudence citée par les requérants confirme que la juridiction extraterritoriale s’exerce sur les ressortissants dans la mesure où les représentants de l’État exercent leur autorité sur ces personnes. En revanche, la conception de la juridiction avancée par les requérants revient à admettre une juridiction universelle et rendrait responsable tout État qui refuserait une demande d’intervention d’un citoyen pour toute violation potentielle de la Convention commise dans un État tiers ou par ce dernier. Une telle conception excède le champ d’application que l’État partie a entendu conférer à la Convention lors de sa ratification, et signifierait que les États sont susceptibles de se voir opposer des obligations positives d’intervenir pour mettre fin à des violations des droits humains dans d’autres États, dès lors qu’on leur en fait la demande, ce qui est contraire au principe de souveraineté étatique.

6.4Subsidiairement, l’État partie soutient qu’il n’a pris aucune décision susceptible de faire relever H. de sa juridiction. Il note que les requérants n’ont fourni aucun élément pour démontrer que H. aurait été capturé et détenu par les Forces démocratiques syriennes, qu’il aurait été transféré ou que l’État partie aurait autorisé un tel transfert. La simple existence de contacts entre l’État partie et les forces kurdes n’établit pas l’existence d’une telle autorisation, et le communiqué de presse de la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ne concerne pas le cas de H. Sa détention ne trouve pas son origine dans une quelconque action de l’État partie, mais plutôt dans son choix de se rendre en République arabe syrienne. L’État partie conteste avoir une influence décisive sur les Forces démocratiques syriennes, mais note qu’en tout état de cause, H. n’est pas détenu par celles-ci.

6.5Sur le fond, l’État partie rappelle que les requérants n’ont apporté aucun élément démontrant sa participation au transfert hypothétique de H. ou le fait qu’il a été informé de son arrestation. L’État partie observe que la demande de rapatriement adressée au Président de la République est datée du 1er février 2019, soit bien après la détention présumée de H. par les Forces démocratiques syriennes. Ainsi, il ne pourrait être reproché à l’État partie de ne pas l’avoir rapatrié pendant sa détention par les Forces démocratiques syriennes.

6.6Selon l’État partie, le non-rapatriement de H. des prisons contrôlées par les autorités syriennes ne peut pas non plus constituer une violation de la Convention. Premièrement, les requérants ne produisent aucun élément précis et étayé sur la situation particulière de H. ou sur ses conditions de détention. Deuxièmement, la Convention n’impose pas une obligation positive de rapatrier les ressortissants susceptibles d’être exposés à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ce qui porterait atteinte à la souveraineté des États et dépasserait ce à quoi les États ont souhaité être liés en ratifiant la Convention. Une telle obligation serait également contraire à l’approche flexible adoptée par le Comité, qui reconnaît la discrétion des États parties pour apprécier la situation de ses ressortissants. Troisièmement, une telle obligation ne serait qu’une obligation de moyens, nécessitant une différenciation entre les cas territoriaux et extraterritoriaux et applicable dans le respect du principe de souveraineté desÉtats. Ainsi, l’État partie ne pourrait pas organiser le retour de H. sans le consentement des autorités syriennes. Or, l’État partie ne dispose plus d’aucune représentation à Damas. Quatrièmement, l’État partie n’a refusé aucune demande de rapatriement faite au nom de H., puisque la lettre adressée au Président de la République demande le rapatriement de « plusieurs femmes françaises détenues avec leurs enfants en bas âge dans les camps contrôlés par les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie ». H. n’est mentionné que parmi « plusieurs autres ressortissants français dans la zone iraqo-syrienne, dont la localisation précise n’est aujourd’hui pas permise », et cette lettre indique qu’il est « probablement » détenu dans la prison de Mezzeh, à Damas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité note que l’État partie soutient que la présente requête est irrecevable pour défaut d’autorisation.Il note cependant que les requérants ont présenté une copie de l’acte de naissance de H. pour prouver qu’ils sont ses parents, et ont affirmé que H. leur a donné son accord verbal pour agir en son nom devant le Comité. En conséquence, et compte tenu des circonstances dans lesquelles H. se trouverait,lesquelles ne lui offrent pas une possibilité réaliste de fournir une autorisation écrite, le Comité estime qu’il n’est pas empêché, au titre de l’article 113a) de son règlement intérieur, d’examiner la présente requête.

7.3Le Comité note que l’État partie soutient par ailleurs que la présente requête est irrecevable au motif qu’il n’a pas juridiction à l’égard de H.Il note également l’argument de l’État partie selon lequel, en application de la Convention et du droit international public en général, il n’a juridiction que sur les personnes se trouvant sur son territoire ou sous son contrôle effectif et que, dans le cas présent, H. ne se trouve ni sur le territoire de l’État partie, ni sous le contrôle et l’autorité de fonctionnaires et d’agents français, ni sur un territoire sur lequel l’État partie a un contrôle effectif. Le Comité note aussi que l’État partie fait valoir que H. serait sous le seul contrôle des autorités syriennes, et que le consentement des autorités françaises à son transfert des forces kurdes aux autorités syriennes n’est aucunement étayé.

7.4Le Comité note que les requérants font valoir que le contrôle effectif n’est pas une condition sine qua non pour établir la juridiction extraterritoriale, qui peut également être fondée sur l’identification d’une « influence décisive ».Il note également que les requérants affirment que l’État partie est à « l’origine unique » du transfert de H. aux autorités syriennes, compte tenu de l’étendue de son influence militaire et politique dans le nord de la République arabe syrienne, y compris à la lumière du rapatriement par l’État partie des enfants des camps situés dans cette région, et de la nationalité française de H.

7.5Afin de déterminer si H. peut être considéré comme relevant de la juridiction de l’État partie au sens de l’article 22 (par.1) de la Convention et d’établir les obligations découlant de l’article 2 de la Convention à son égard, le Comité note que dans son observation générale no2 (2007), il a rappelé que l’article 2 (par.1) de la Convention impose à tout État partie de prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis non seulement sur son propre territoire, mais aussi « dans tout territoire sous sa juridiction ».En l’espèce, le Comité note que, pour déterminer si H. peut être considéré comme relevant de la juridiction de l’État partie au sens de l’article 22 de la Convention, il est donc nécessaire d’examiner si l’État partie exerce une autorité ou un contrôle légal sur lui. À cet égard, le Comité considère que la jurisprudence invoquée par les requérants et leur référence à l’article5 (par.1c)) de la Convention n’établissent pas un seuil inférieur ou une norme différente pour déterminer si H. est sous la juridiction de l’État partie.

7.6À cet égard, le Comité note l’absence d’éléments concrets indiquant le contrôle de l’État partie sur la situation de H.Il estime que les activités de l’État partie dans le nord de la République arabe syrienne ne peuvent être considérées comme étayant l’affirmation des requérants selon laquelle l’État partie a ou avait juridiction sur H., d’autant que ce dernier n’y est pas détenu puisqu’il se trouve dans la prison d’Adra, à Damas, laquelle serait contrôlée par les autorités syriennes. Le Comité note en outre que les requérants n’ont présenté aucun élément tangible à l’appui de leur affirmation selon laquelle l’État partie aurait autorisé le transfert présumé de H. aux autorités syriennes. Ils n’ont pas non plus établi que la lettre de leurs conseils datée du 1er février 2019 et adressée au Président de la République de l’État partie, laquelle allègue que H.peut se trouver à la prison de Mezzeh, et l’absence de rapatriement par l’État partie par la suite l’ont placé sous la juridiction de l’État partie.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie n’exerce pas sa juridiction à l’égard de H.

9.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au titre de l’article 22 (par. 1) de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée aux requérants et à l’État partie.