Nations Unies

CAT/C/73/D/941/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

27 juillet 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant lacommunication no 941/2019* , **

Communication soumis e par :

D. S. (non représenté par un conseil)

Victime (s) présumée (s):

Le requérant

État partie :

Australie

Date de la requête :

12 juillet 2019 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

22 avril 2022

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question (s) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine (non-refoulement)

Question (s) de procédure :

Fondement des griefs, épuisement des recours internes

1.1Le requérant est D. S., de nationalité sri-lankaise, né en 1993. Il affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention. Le requérant n’est pas représenté par un conseil. L’État partie a fait la déclaration au titre de l’article 22 (par. 1) de la Convention le 28 janvier 1993.

1.2Le 15 juillet 2019, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de rejeter la demande du requérant tendant à ce que l’État partie ne l’expulse pas tant que la communication serait à l’examen.

Exposé des faits

2.1Le requérant est de nationalité sri-lankaise, d’origine ethnique tamoule, de la province de Kilinochchi au nord du pays. Il dit qu’il a été torturé par des agents du Département d’investigation criminelle sri-lankais dans la zone 6 du camp de Vavuniya car il était soupçonné d’être lié et d’apporter son soutien au mouvement des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Ces actes de torture lui ont laissé une cicatrice sur le côté droit du visage.

2.2Le requérant a quitté Sri Lanka le 20 février 2013 à l’âge de 19 ans. Il est arrivé en Australie par bateau le 9 avril 2013. Il a été conduit sur l’île Christmas où il est resté détenu quarante jours. Ayant demandé un visa de protection temporaire, il a obtenu un visa relais le 31 mai 2013, date de sa sortie du centre pour immigrants où il était détenu à Sydney.

2.3La demande d’asile et de protection soumise par le requérant se fondait sur le traitement qu’il avait subi à Sri Lanka en raison de ses liens présumés avec les LTTE, et qui, ajouté à son départ illégal de Sri Lanka, justifiait sa crainte d’être persécuté et de subir un préjudice grave en cas de renvoi dans son pays. Il disait souffrir de troubles de stress post‑traumatique et de dépression à cause des persécutions qu’il avait subies à Sri Lanka et du traumatisme qu’avait entraîné sa traversée en bateau.

2.4Le Ministre de l’immigration et de la protection des frontières a rejeté la demande du requérant le 6 novembre 2014, considérant que ni son départ illégal ni les faits allégués ne permettaient de conclure qu’il serait persécuté à son retour.

2.5Le requérant a saisi le Tribunal des recours administratifs, qui a confirmé la décision du Ministre le 24 mars 2016.

2.6Le requérant a formé un recours devant la Cour fédérale d’Australie. Le 3 novembre 2016, la Cour d’appel de circuit fédéral a rejeté ce recours au motif que le droit de recours était prescrit, le requérant ayant dépassé l’échéance fixée. Le 8 décembre 2016, le requérant a demandé le rétablissement de son droit de recours et une prolongation du délai. Le critère de prolongation constitue un changement important des circonstances de l’espèce que la Cour, après avoir entendu les déclarations orales du requérant, a jugé non fondé. La demande a été rejetée le 11 avril 2017. Le requérant a déposé une requête en révision de cette décision le 28 avril 2017.

2.7Le 11 août 2017, la Cour fédérale d’Australie a refusé d’accéder à cette requête, considérant que la Cour n’avait pas commis d’erreur de droit en refusant de rouvrir la procédure. La demande d’ordonnance soumise ensuite par le requérant pour que soient exposées les raisons de ce refus a été rejetée par la Haute Cour d’Australie le 20 juin 2018.

2.8Le 24 décembre 2018, le requérant a soumis une demande d’intervention ministérielle. Il a fait valoir qu’avec sa dépression et son anxiété, son origine ethnique tamoule ainsi que le climat politique, devenu plus dangereux depuis le retour au pouvoir, après l’élection de 2018, de ceux qui étaient responsables des pires atrocités commises contre les Tamouls pendant la guerre civile à Sri Lanka, il avait de bonnes raisons de craindre d’être persécuté, notamment de subir un préjudice grave, s’il était expulsé. Il a soumis un rapport d’expertise psychologique faisant état du diagnostic de dépression et d’anxiété. Il a été informé le 7 mars 2019 qu’il ne remplissait pas les conditions requises en matière d’intervention ministérielle.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il affirme qu’il sera persécuté à cause de son origine ethnique, de ses opinions politiques réelles ou supposées en tant que personne soupçonnée d’avoir été un partisan des LTTE, de son départ illégal et de son statut de demandeur d’asile débouté. Il dit qu’il a été arrêté et torturé par des agents de l’État et qu’il présente donc un profil qui le mettrait en danger aujourd’hui.

3.2Le requérant dit qu’il souffre de troubles de stress post-traumatique et qu’il est émotionnellement perturbé à l’idée de retourner à Sri Lanka. Il affirme que son état de santé mentale se détériorera puisqu’il n’y a pas à Sri Lanka de services de santé mentale et de moyens institutionnels capables de répondre à ses besoins.

3.3Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant affirme qu’il craint d’être torturé par les autorités sri-lankaises à son retour. Il dit que, s’il est renvoyé, il sera harcelé par les autorités sri-lankaises à son arrivée parce qu’il a quitté illégalement le pays, et sera soumis à des mauvais traitements proscrits par la Convention. Il affirme que les autorités australiennes n’ont pas tenu compte dans leurs conclusions de ses déclarations concernant le traitement qu’il avait subi par le passé, eu égard aux changements intervenus sur le plan de la sécurité nationale et de l’aggravation de la situation des droits de l’homme à Sri Lanka.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 20 janvier 2020, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il affirme que les allégations du requérant sont manifestement dénuées de fondement et qu’elles sont donc irrecevables au regard de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité.

4.2L’État partie rappelle qu’aux termes de l’article 3 de la Convention, aucun État partie n’expulsera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Les constatations adoptées par le Comité dans l’affaire G. R. B. c. Suède ont confirmé que l’obligation énoncée à l’article 3 devait être interprétée en fonction de la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention. L’obligation de non-refoulement prévue dans la Convention se limite aux cas de torture et n’englobe pas les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.3S’il est établi que les actes allégués constitueraient des actes de torture, l’article 3 exige qu’il y ait des « motifs sérieux de croire » que l’intéressé risquerait d’être soumis à la torture. Le Comité considère que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ».

4.4Dans l’affaire G . R . B . c . Suède, le Comité a aussi considéré que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constituait pas en soi une raison suffisante de conclure qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Le requérant doit donc présenter des raisons supplémentaires donnant à penser qu’il serait personnellement en danger. En outre, le risque doit être apprécié selon des éléments « qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons ».

4.5L’État partie affirme que les griefs du requérant sont irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité parce qu’ils sont manifestement dénués de fondement. L’État partie renvoie aux constatations du Comité qui a considéré que les griefs d’un requérant étaient manifestement non fondés quand celui-ci n’avait pas apporté de pièces écrites ou autres preuves pertinentes à l’appui de ses allégations, ou quand ses affirmations n’étaient que « pure spéculation » et n’apportaient pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il incombe au requérant de présenter des arguments exhaustifs à l’appui de la violation alléguée de l’article 3 de façon à établir à première vue que sa requête est recevable. L’État partie affirme que le requérant n’a pas rempli cette obligation.

4.6Les allégations du requérant ont été examinées de manière approfondie par plusieurs décideurs internes, notamment par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières quand le requérant a fait une demande de visa de protection puis, au niveau administratif, par la division des migrations et des réfugiés du Tribunal des recours administratifs. Ses allégations ont aussi fait l’objet d’un contrôle juridictionnel par la Cour d’appel de circuit fédéral et la Cour fédérale d’Australie.

4.7L’État partie affirme que sa législation lui impose d’être, dans toutes les procédures, une partie exemplaire. Cette obligation exige qu’il traite honnêtement et équitablement les litiges et contentieux soumis par ou contre l’État ou l’une de ses institutions. Il doit notamment ne pas profiter du fait qu’un plaignant n’a pas suffisamment de ressources pour faire valoir une réclamation légitime et doit respecter par ailleurs les normes professionnelles les plus élevées, notamment en aidant le tribunal à parvenir à une conclusion appropriée et juste.

4.8L’État partie fait observer que les allégations du requérant ont aussi été évaluées dans le cadre de la procédure d’intervention ministérielle. Toutes les allégations du requérant ont donc été examinées dans le cadre de solides procédures internes à l’issue desquelles on a considéré qu’elles n’étaient pas crédibles et n’engageaient pas les obligations de l’État partie en matière de non-refoulement ou de protection complémentaire.

4.9L’État partie renvoie à ce qu’a dit le Comité dans son observation générale no 4 (2017), à savoir qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné. L’État partie lui demande donc de reconnaître que les allégations du requérant ont été examinées de manière approfondie dans le cadre de solides procédures internes et qu’il a été conclu qu’elles ne mettaient pas en jeu les obligations internationales découlant de l’article 3 de la Convention. L’État partie affirme qu’il prend au sérieux les obligations qui lui incombent au titre de la Convention et qu’il s’en est acquitté de bonne foi dans le cadre de ses procédures migratoires internes.

4.10L’État partie reconnaît que l’on peut rarement attendre des victimes de torture qu’elles relatent des événements passés avec une totale exactitude. Cependant, il dit que les décideurs internes ont tenu compte de ce fait lorsqu’ils sont parvenus à leurs conclusions sur la crédibilité du requérant.

4.11L’État partie demande au Comité de considérer que la communication du requérant ne satisfait pas au critère élémentaire de la recevabilité, et de la déclarer irrecevable car manifestement dénuée de fondement.

4.12Au cas où le Comité jugerait la communication recevable, l’État partie répète que les allégations du requérant ont été examinées soigneusement au fond par le décideur dans le cadre de la demande initiale de visa de protection soumise par le requérant, puis en appel par le Tribunal des recours administratifs. La décision initiale, l’examen au fond par le Tribunal des recours administratifs et les décisions judiciaires adoptées ensuite en appel ont été examinés et confirmés lors du contrôle juridictionnel effectué par la Cour d’appel de circuit fédéral, et à nouveau par la Cour fédérale d’Australie.

4.13Le décideur a interrogé le requérant, avec le concours d’un interprète, et a examiné les éléments pertinents, notamment les informations sur le pays communiquées par le Ministère des affaires étrangères et du commerce de l’État partie. Le décideur a examiné tous les griefs soulevés par le requérant dans sa communication.

4.14Le décideur a établi que le requérant est un homme tamoul originaire de Vaddakachchi, dans le district sri-lankais de Kilinochchi, qu’il a été déplacé à l’intérieur du pays entre janvier et mai 2009, qu’il a séjourné dans le camp d’Omanthai, à Vavuniya, entre mai 2009 et juin 2010, et qu’il est revenu à Vaddakachchi en juin 2010 et y est resté jusqu’à son départ de Sri Lanka le 20 février 2013.

4.15Le décideur a souligné qu’il avait conscience qu’une personne demandant le statut de réfugié pouvait avoir été traumatisée et que les épreuves qu’elle avait traversées pouvaient compromettre sa capacité de formuler ses allégations d’une manière cohérente et plausible. Il savait bien aussi que la procédure d’examen pouvait être stressante, ce qui risquait de nuire encore davantage à la capacité du demandeur de se souvenir précisément des faits et de présenter ses allégations de façon méthodique. Le décideur en a tenu compte dans ses conclusions de fait concernant les déclarations du demandeur. Des incohérences importantes ont toutefois été relevées concernant d’autres aspects des allégations du requérant.

4.16Le requérant a d’abord affirmé, dans sa demande écrite de visa de protection, que des membres des LTTE l’avaient enlevé début janvier 2009 pour le soumettre à des travaux forcés et qu’il s’était échappé la nuit même. Le décideur a noté qu’au cours d’interrogatoires ultérieurs, le requérant a donné de son enlèvement une version différente, disant qu’il avait été forcé de combattre avec les LTTE et qu’il ne s’était échappé qu’au bout de deux mois. Le décideur a également noté qu’à l’appui de cette nouvelle version des faits selon laquelle il avait été obligé de combattre aux côtés des LTTE, le requérant a donné des informations contradictoires quant aux dates et à la durée de cet engagement et à la question de savoir s’il avait dû suivre un entraînement. En raison de ces incohérences, le décideur n’a pas retenu comme avéré l’enlèvement du requérant par les LTTE.

4.17Dans sa demande de visa de protection, le requérant a également déclaré qu’il avait été soupçonné d’avoir des liens avec les LTTE quand il était détenu dans le camp d’Omanthai et qu’il avait été agressé par des membres du Département d’investigation criminelle avant d’être libéré du camp à cause de son âge. Le décideur a noté que cet aspect du récit du requérant ne concordait pas avec les informations sur le traitement réservé à l’époque aux hommes tamouls soupçonnés d’être liés aux LTTE. S’appuyant sur un ensemble d’informations concernant le pays, le décideur a en outre noté que s’il y avait le moindre soupçon qu’une personne, après avoir été interrogée, soit liée à quelque titre que ce soit aux LTTE, elle était transférée dans un « centre de protection » pour être « réadaptée ». Le décideur en a donc conclu qu’il n’était pas plausible que le requérant soit resté dans le camp d’Omanthai puis se soit réinstallé à Vaddakachchi si les autorités avaient le moindre soupçon qu’il était lié de quelque manière que ce soit aux LTTE.

4.18Dans sa demande écrite de visa de protection temporaire, le requérant a déclaré qu’avant son départ de Sri Lanka, des membres du Département d’investigation criminelle l’avaient interrogé sur ses liens avec les LTTE et lui avaient ordonné de se présenter à eux tous les mois. Le décideur a noté que la version donnée par le requérant de la manière dont il avait été traité par le Département d’investigation criminelle contredisait les informations sur le pays concernant la manière dont les Tamouls étaient traités dans la région où vivait alors le requérant. Le décideur a relevé en particulier des informations indiquant que les personnes soupçonnées par les autorités d’être liées aux LTTE étaient traitées durement et pouvaient être soumises à des interrogatoires violents, à des périodes de détention prolongée et à la torture, et qu’elles pouvaient même trouver la mort. Le décideur en a conclu que le traitement que le requérant a dit avoir subi aux mains du Département d’investigation criminelle était sans commune mesure avec le traitement que risquaient de subir les personnes soupçonnées de liens avec les LTTE dans la région où il vivait à l’époque.

4.19En déterminant si la crainte du requérant de subir un préjudice en tant que demandeur d’asile d’origine ethnique tamoule débouté était fondée, le décideur a reconnu qu’il était possible que le requérant se voie infliger une amende à son retour à cause de son départ illégal, mais il a considéré qu’aucune information crédible concernant le pays ne donnait à penser que le requérant courait un risque réel d’être persécuté pour l’une des raisons prévues par la Convention relative au statut des réfugiés, que sa crainte de persécution, au sens de cette Convention, n’était pas fondée, et que, par conséquent, les obligations de l’Australie en matière de protection n’étaient pas mises en jeu.

4.20Le requérant a également soutenu que l’Australie avait envers lui des obligations en matière de protection complémentaire au motif qu’il serait emprisonné ou torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour les raisons exposées plus haut, le décideur n’était pas convaincu qu’il y ait des motifs sérieux donnant à penser que le renvoi du requérant à Sri Lanka aurait pour conséquence nécessaire et prévisible l’existence d’un risque réel qu’il subisse un préjudice important. En conséquence, la demande de visa de protection temporaire du requérant a été rejetée faute de motifs sérieux de croire que le requérant courait un risque prévisible, réel et personnel de préjudice.

4.21Le 24 mars 2016, une membre du Tribunal des recours administratifs a confirmé le refus du Ministère d’accorder au requérant un visa de protection temporaire. L’État partie note que le requérant était physiquement présent à l’audience et a pu faire des déclarations orales avec le concours d’un interprète. Au début de l’audience, la membre du Tribunal a fait observer que rien, à sa connaissance, ne permettait d’attribuer à des problèmes de langue ou d’interprétation les contradictions ressortant des interrogatoires du requérant. Elle a constaté l’existence de nombreuses incohérences entre les éléments communiqués par le requérant au Tribunal et la version des faits présentée dans la demande écrite de visa. Elle a fait ensuite remarquer que le requérant n’avait donné au tribunal aucune explication à cet égard. Les incohérences relevées, combinées à l’absence d’explication, l’ont amenée à conclure qu’elle n’était pas convaincue que le requérant ait été recruté de force par les LTTE, qu’il se soit présenté dans le camp d’Omanthai comme quelqu’un lié aux LTTE, ni qu’il ait été interrogé et agressé par le Département d’investigation criminelle puis obligé de se présenter régulièrement devant lui.

4.22La membre du Tribunal a établi que le requérant était d’origine ethnique tamoule et venait de Kilinochchi. Elle a noté qu’avant mai 2009, l’identité du requérant aurait pu suffire à faire de lui une personne à risque du fait de ses liens avec les LTTE mais qu’actuellement il ne présentait pas un tel profil. Après avoir entendu les déclarations du requérant concernant sa situation familiale, elle n’a pas considéré que son profil actuel lui faisait courir un risque réel de préjudice grave ou important à Sri Lanka.

4.23La membre du Tribunal a examiné les éléments dont elle disposait pour déterminer si le requérant risquait de faire l’objet d’une quelconque forme de peine à Sri Lanka à cause de son départ illégal, notant qu’il retournerait à Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté et serait probablement soupçonné d’avoir cherché l’asile à l’étranger. Elle a examiné et considéré avec le requérant diverses sources d’information sur le traitement réservé aux demandeurs d’asile déboutés à leur retour à Sri Lanka, notamment un rapport sur le pays du Ministère australien des affaires étrangères et du commerce daté du 18 décembre 2015, et a considéré que le requérant serait probablement brièvement incarcéré à son retour.

4.24La membre du Tribunal n’était pas convaincue que le traitement susceptible d’être réservé au requérant à son retour équivaudrait à une persécution entraînant un préjudice grave ou donnerait lieu à un risque réel de tel préjudice dans un avenir raisonnablement prévisible. Elle a conclu que le requérant n’était pas quelqu’un à l’égard de qui l’État partie avait des obligations de protection au titre de la Convention relative au statut des réfugiés ou des obligations de protection complémentaire. Le rejet de sa demande de visa de protection temporaire a donc été confirmé, faute de motifs sérieux de croire qu’il courait un risque prévisible, réel et personnel de préjudice.

4.25Le 3 novembre 2016 et le 11 avril 2017, la Cour d’appel de circuit fédéral a examiné les demandes de contrôle juridictionnel de la décision rendue par la membre du Tribunal des recours administratifs. Le requérant était physiquement présent à l’audience et a fait des déclarations orales. La Cour d’appel de circuit fédéral a en particulier examiné le grief du requérant dénonçant le manque d’équité de la procédure devant le Tribunal des recours administratifs. Après avoir examiné attentivement la décision du Tribunal, elle n’a trouvé aucun élément susceptible d’étayer l’allégation du requérant concernant la partialité du Tribunal. Elle a conclu que la membre du Tribunal des recours administratifs n’avait pas commis d’erreur de droit en confirmant la décision du décideur.

4.26Le 11 août 2017, la Cour fédérale d’Australie a rejeté la demande d’autorisation de recours contre la décision de la Cour d’appel de circuit fédéral dont elle était saisie. Elle a considéré que la Cour d’appel de circuit fédéral n’avait pas commis d’erreur de droit et que les arguments présentés par le requérant n’étaient pas fondés. Le 20 juin 2018, la demande de contrôle juridictionnel soumise par le requérant auprès de la Cour fédérale d’Australie a également été rejetée.

4.27Le 24 décembre 2018, le requérant a déposé une demande d’intervention ministérielle. Ses allégations ont été réévaluées compte tenu des décisions adoptées par le décideur et par le Tribunal des recours administratifs. Le Ministère des affaires intérieures a examiné la demande et il a été établi que les griefs et les circonstances présentés par le requérant n’étaient pas conformes aux directives ministérielles régissant le renvoi des dossiers au Ministre de l’immigration, de la nationalité et des affaires multiculturelles.

4.28Le requérant se réfère dans sa requête à un examen de santé effectué par le Ministère des affaires intérieures. Le Gouvernement australien confirme que, le 11 février 2019, un médecin du Commonwealth a réalisé une évaluation de l’état de santé du requérant dans laquelle il a conclu que l’état de santé de l’intéressé n’empêcherait pas son renvoi à Sri Lanka.

4.29L’État partie se réfère aux rapports médicaux et à d’autres éléments joints à la requête du requérant, relevant qu’aucun argument particulier n’a été avancé à cet égard.

4.30L’État partie fait valoir que les aspects psychologiques et physiques de la santé du requérant évoqués dans les documents soumis par ce dernier ont été correctement traités dans l’évaluation du médecin du Commonwealth. Il dit que cette évaluation, effectuée en février 2019, donne de l’état de santé du requérant une appréciation plus récente que les documents joints à la requête.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 3 mars 2020, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Le requérant fait valoir que l’État partie n’a pas reconnu le fait qu’il était sans ressources quand il a demandé un visa de protection temporaire et que, ce visa lui ayant été refusé, il a été privé de son droit au travail et n’avait pas les moyens de constituer un dossier de recours. Il ajoute qu’il n’était pas représenté devant le Tribunal des recours administratifs. Concernant sa demande d’intervention ministérielle, il a bénéficié d’une assistance très limitée lors d’un entretien avec un agent des migrations qui ne parlait pas le tamoul. Cet agent ne l’a pas accompagné pour l’entretien du 30 septembre 2014 avec le représentant du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières, disant qu’il était occupé.

5.3Évoquant la membre du Tribunal des recours administratifs qui a statué sur son recours contre le rejet de sa demande de visa de protection temporaire, le requérant cite de nombreux autres cas dans lesquels la décision de cette personne confirmant le refus initial de l’organe des migrations a été annulée à la suite d’un contrôle juridictionnel et renvoyée pour réexamen au tribunal. Le requérant dit que les mêmes défauts ont marqué sa propre audition : la membre du Tribunal n’a pas appliqué des critères moins stricts alors qu’il s’agissait d’une demande d’asile, déclarant au contraire qu’il lui fallait être certaine, convaincue ou assurée de la vérité ; l’avocat de la partie adverse a mené un interrogatoire agressif (au lieu de chercher à obtenir des informations) ; le Tribunal s’est appuyé sur des informations générales sélectives concernant le pays (c’est-à-dire que, lorsque des informations contradictoires étaient présentées sur l’ampleur des violations des droits de l’homme dans le pays, il a rejeté celles qui émanaient d’organisations non gouvernementales respectées pour retenir celles qui provenaient de sources gouvernementales).

5.4Le requérant affirme qu’à l’audience du 3 novembre 2016 devant la Cour d’appel de circuit fédéral appelée à se prononcer sur sa demande de prolongation du délai de soumission de sa requête en révision de la décision du Tribunal des recours administratifs, la représentante de l’État a mené un interrogatoire agressif et, du fait de son origine ethnique à elle et de la teneur de ses griefs à lui, s’est montrée partiale à son égard. Il affirme donc que le refus de prolonger le délai au motif que sa demande n’était pas fondée était une erreur. Il fait en outre valoir que le rejet, le 11 août 2017, de sa demande d’autorisation de faire appel auprès de la Cour d’appel de circuit fédéral a constitué une erreur.

5.5Le requérant s’est pourvu auprès de la Haute Cour d’Australie contre les décisions du 11 août 2017, mais il a été débouté.

5.6En ce qui concerne la demande d’intervention ministérielle du 24 décembre 2018, qui a été rejetée le 7 mars 2019, le requérant était invité à joindre à sa demande un formulaire de consentement et des rapports médicaux à l’appui de son allégation selon laquelle ses problèmes de santé étaient des facteurs pertinents qui devaient être pris en considération conformément à l’article 417 b) de la loi de 1958 sur les migrations. Il déclare n’avoir jamais obtenu de copie de l’évaluation médicale effectuée par le médecin du Commonwealth ni aucune indication de sa teneur, n’ayant reçu qu’une lettre lui notifiant qu’il avait été décidé de ne pas renvoyer sa demande au Ministre et n’ayant eu aucun moyen de contester cette évaluation ou cette décision. Dans sa demande d’intervention ministérielle, il invoquait les obligations de protection internationale incombant à l’État partie, qui relèvent de pouvoirs exécutifs non statutaires et non délégables en vertu de la loi sur les migrations, et non de pouvoirs discrétionnaires. Il affirme donc que cette décision était erronée du point de vue de la compétence et que les règles d’équité procédurale élémentaires n’ont pas été respectées.

5.7Le requérant dit que les droits énoncés à l’article 3 de la Convention ne sont pas entièrement protégés par l’article 36 (par. 2 aa)) de la loi de 1958 sur les migrations, qui dispose que le décideur doit être « convaincu » que le demandeur a une crainte véritable, fondée sur un risque réel de persécution. Le requérant demande donc au Comité de prendre en considération les informations actualisées concernant le pays.

5.8Évoquant la situation politique à Sri Lanka, qui a radicalement changé avec l’élection de Gotabaya Rajapaksa à la présidence du pays le 17 novembre 2019, le requérant dit qu’il court désormais un risque encore plus grand s’il est renvoyé à Sri Lanka.

Autres observations de l’État partie

6.1L’État partie note que le requérant affirme que des changements importants, graves et graduels, se produisent à Sri Lanka, ce qui étaye sa crainte de persécution. Il dit que le Gouvernement sri-lankais a interdit 424 personnes et 7 organisations de la diaspora tamoule, invoquant leurs liens avec les LTTE. Il joint à l’appui de ses dires deux numéros spéciaux du Journal officiel de Sri Lanka : le no 2216/37 du 25 février 2021, qui énumère les « entités » désignées, dont des organisations basées à l’étranger, et le no 2150/77 du 22 novembre 2019, qui concerne le maintien de l’ordre public. Le requérant joint également des articles de presse relatifs à ces deux numéros du Journal officiel, ainsi qu’une communication au Comité du projet international Vérité et justice datée du 17 octobre 2016.

6.2L’État partie répète que les allégations du requérant concernant le risque de préjudice auquel il serait exposé en raison de son origine ethnique tamoule, de ses liens avec les LTTE, de son départ illégal et de son statut de demandeur d’asile débouté ont été examinées dans le cadre de solides procédures internes à l’issue desquelles on a considéré qu’elles ne mettaient en jeu aucune obligation en matière de non-refoulement.

6.3Le requérant dit aussi qu’il a assisté et participé à des manifestations de la diaspora tamoule en Australie (Journée des martyrs tamouls, le 27 novembre, et Journée du génocide tamoul, le 18 mai) entre 2013 et 2021. À l’appui de ces dires, il a joint trois photographies montrant, selon lui, qu’il assiste aux célébrations des journées des martyrs tamouls, ainsi qu’une note du service commémoratif. Il a également joint une photo qui représenterait sa sœur aînée.

6.4L’État partie constate que les dates figurant sur les photos ont été inscrites à la main et ne peuvent pas être vérifiées. En tout état de cause, elles ne concernent que la période 2017-2019 alors que le requérant dit avoir participé à des manifestations de la diaspora depuis 2013. Rien n’indique que les photos aient été publiées ou rendues publiques. Il est donc difficile de les associer à la personne du requérant et d’en conclure que celui‑ci est un partisan des LTTE ou risque de subir un préjudice pour avoir participé à des manifestations de la diaspora. De même, rien, dans la note du service commémoratif, ne permet d’identifier le requérant.

6.5En outre, à supposer que l’on puisse associer ces documents à la personne du requérant et en conclure que celui était un partisan des LTTE, des informations récentes sur le pays émanant du Ministère des affaires étrangères et du commerce indiquent que si certaines personnes renvoyées qui étaient soupçonnées d’être liées aux LTTE ont fait l’objet d’une surveillance, cela ne veut pas dire que les personnes renvoyées sont traitées d’une manière mettant en danger leur sécurité. L’État partie estime donc que le requérant n’a pas établi l’existence de raisons supplémentaires donnant à penser qu’il court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture à Sri Lanka.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

7.1Le 20 juillet 2021, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie.

7.2Le requérant dit que l’État partie ignore les décisions récemment rendues par le Tribunal supérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord au sujet du rapport du Ministère des affaires étrangères et du commerce sur Sri Lanka en date du 4 novembre 2019, dans lequel le Ministère affirme que le risque de torture à Sri Lanka est faible. Le requérant renvoie aux observations de l’État partie selon lesquelles ce rapport est « l’un des principaux documents » sur lesquels se fondaient le Ministère australien des affaires intérieures, et note que ce rapport passe largement sous silence les dangers auxquels étaient exposés, en cas de renvoi, les émigrés sri-lankais ayant participé à des activités politiques à l’étranger. En octobre 2020, le projet international Vérité et justice et le Centre australien pour la justice internationale, ont adressé au Ministère une lettre détaillée à propos de ce qu’ils appellent l’affirmation « stupéfiante », « au regard des preuves accablantes provenant de sources indépendantes et vérifiées », selon laquelle la torture ne serait plus soutenue par l’État à Sri Lanka.

7.3Le requérant se réfère aux conclusions du Tribunal supérieur du Royaume-Uni selon lesquelles les activités menées sur place pour le compte d’une organisation interdite en vertu du règlement de 2012 publié au Journal officiel de Sri Lanka no 2216/37 (2021) constituent un facteur de risque relativement important à prendre en compte dans l’évaluation du profil d’un individu, même si celui-ci ne joue pas un rôle officiel, n’est pas membre d’une organisation particulière ou n’est pas très en vue ou influent. Le Tribunal étend la liste des activités sur place comportant des risques, qui incluent la participation aux manifestations de célébration du Jour des héros, la signature de pétitions, l’activité sur les réseaux sociaux (publication ou republication) et la présence en ligne. Il indique en outre que « l’adoption du règlement de 2012 et l’interdiction d’un certain nombre d’organisations en 2014 et de nouveau en février 2021 ont officialisé et renforcé l’appréciation défavorable par les autorités de certains aspects des activités de la diaspora », et que le fait qu’une personne ne soit pas « membre » d’une organisation particulière ne l’empêche pas d’avoir un profil suffisant pour présenter un risque réel en cas de renvoi.

7.4Enfin, le requérant se réfère au rejet par le Tribunal supérieur de l’affirmation catégorique énoncée dans une lettre de la Haute Commission britannique à Colombo, datée du 18 mai 2017, selon laquelle les membres des huit groupes dont l’interdiction a été levée en 2015, qu’ils soient actifs ou non, n’ont aucune raison de craindre d’être persécutés par le pouvoir sri-lankais en raison de leur appartenance à ces groupes. Le tribunal a examiné le risque auquel seraient exposées les personnes frappées d’une mesure de renvoi en considérant ce qu’elles « feraient, ou du moins souhaiteraient faire, après leur retour » à Sri Lanka. Ceci vaut pour les personnes faisant l’objet d’un renvoi inscrites sur la liste de surveillance du gouvernement comme n’exerçant pas de rôle important mais aussi pour celles sur lesquelles le régime ne possède aucun dossier, sachant que, d’une manière générale, la crainte du demandeur doit être considérée comme fondée si celui-ci peut établir, dans une mesure raisonnable, que continuer de séjourner dans son pays d’origine lui est devenu intolérable pour les raisons énoncées dans la définition ou lui serait intolérable pour les mêmes raisons s’il y était renvoyé.

7.5Le rapport de pays de 2019 sur Sri Lanka indique que « la torture à l’égard des Tamouls n’est plus soutenue par l’État et que les Tamouls sri-lankais sont globalement exposés à un faible risque de torture ». Le Ministère des affaires intérieures continue de prononcer à l’égard des Tamouls des allégations immorales et légalement indéfendables alors qu’il existe des éléments prouvant qu’ils courent un risque réel de torture. « Un tel degré de déni concernant les enlèvements et les actes de torture qui se produisent constitue un niveau de violence supplémentaire envers les victimes et est parfaitement scandaleux. Il ne fait aucun doute que les actes d’enlèvement et de torture à l’égard des Tamouls se poursuivent sans relâche jusqu’à ce jour. Le projet international Vérité et justice n’a cessé de documenter des actes d’enlèvement, de torture et de viol commis contre des Tamouls par les forces de sécurité sri-lankaises, encore en 2020, et, de plus en plus souvent, les victimes de ces actes sont trop jeunes pour avoir joué un quelconque rôle dans la guerre. Leur seul tort est de revendiquer leurs droits ». Lors d’une conférence de presse à l’occasion de la Journée internationale des Nations Unies pour le soutien aux victimes de torture, la Directrice exécutive du projet international Vérité et justice a affirmé que Sri Lanka était devenu un leader mondial en matière de torture et que plus d’un millier de personnes avaient fui à l’étranger depuis la fin de la guerre, le dernier cas recensé datant de novembre 2020.

7.6Le requérant renvoie également au rapport 2019 du Département d’État des États‑Unis sur les droits de l’homme à Sri Lanka, selon lequel la torture dans le pays est « endémique ». Selon les Tamouls, les forces de sécurité surveillent et harcèlent régulièrement les militants, les journalistes et les anciens membres, réels ou présumés, des LTTE. Dans son rapport de décembre 2018, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a confirmé qu’une torture « endémique et systématique » sévissait à Sri Lanka et que les abus commis en détention demeuraient impunis.

7.7Certaines des déclarations selon lesquelles les personnes qui arrivent par bateau seraient des membres des LTTE semblent émaner directement ou indirectement du Gouvernement sri-lankais, qui considère depuis longtemps les civils tamouls comme ayant des liens avec les LTTE.

7.8Le requérant dit que le 12 mai 2021, vers 11 heures 5 du matin, l’agent S. chargée de la détermination du statut pour la Nouvelle-Galles du Sud l’a appelé sur son portable et l’a avisé de se déclarer auprès du bureau de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Sydney et de quitter l’Australie. Elle a précisé qu’elle ne pouvait lui octroyer un visa relais E (classe WE), avec autorisation de travailler en Australie, qu’après une telle démarche. Le requérant l’a informée qu’il avait saisi l’Ombudsman du Commonwealth et soumis au Comité contre la torture une requête qui était toujours en instance, et il a produit des éléments à l’appui de ses dires, comme elle le lui avait demandé.

7.9Le requérant affirme donc que le fait qu’il appartient à une minorité tamoule, qu’il est originaire d’une région auparavant entièrement contrôlée par les LTTE, qu’il est lié aux LTTE, que sa famille soutient politiquement les LTTE et que sa sœur aînée a perdu la vie en combattant contre l’armée sri-lankaise, fait qu’il court un risque grave d’être arrêté en vertu de la loi draconienne de 1997 sur la prévention du terrorisme, de subir les violences dont font l’objet les Tamouls à Sri Lanka et d’être torturé et tué.

7.10Au vu des activités qu’il a menées sur place, le requérant attirerait une attention suffisamment défavorable pour courir un risque en cas de renvoi. Il ajoute que le rapport du Ministère des affaires étrangères et du commerce sur Sri Lanka, qui pouvait être considéré comme fiable avant les élections présidentielles de novembre 2019, n’est pas le reflet fidèle de la situation qui prévaut depuis.

Observations complémentaires des parties

8.1Le 29 novembre 2021, l’État partie a soumis des observations complémentaires.

8.2S’agissant des allégations du requérant concernant le rapport du Ministère des affaires étrangères et du commerce sur le pays, l’État partie répète que le requérant n’a pas établi qu’il existait des raisons supplémentaires donnant à penser qu’il courait, en raison de ses activités sur place, un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka.

8.3L’État partie rejette l’argument du requérant contestant la fiabilité des informations contenues dans le rapport sur le pays. Le Tribunal supérieur du Royaume-Uni a certes observé qu’il était « difficile d’évaluer la fiabilité des sources » sur lesquelles se fondait le rapport mais il a également considéré que ce rapport apportait des éléments contextuels utiles et il a « accordé la considération voulue au rapport du Ministère des affaires étrangères et du commerce lors de son évaluation globale des informations sur le pays ». Le Tribunal supérieur se réfère en outre au rapport comme source de preuve et pour confirmer des informations émanant d’autres sources, notamment des témoignages d’experts. Il constate ainsi que « le Ministère des affaires étrangères et du commerce (...) corrobore des sources (...) indiquant que des agents infiltrés des forces de sécurité effectuent une surveillance ». Le Ministère précise qu’une telle surveillance est plus « subtile » qu’avant, ce à quoi l’État partie souscrit.

8.4À titre d’information, le Gouvernement australien explique que les rapports sur les pays sont établis par le Ministère des affaires étrangères et du commerce uniquement à des fins de détermination du statut de protection. Ils présentent le meilleur jugement et la meilleure évaluation du Ministère au moment de leur rédaction. Les rapports d’information sur les pays prennent en considération les informations en libre accès pertinentes et crédibles, ainsi que des informations recueillies sur le terrain. Ils donnent un aperçu de la situation du pays plus général qu’exhaustif. Le Gouvernement australien précise que les décideurs ne sont pas liés par les informations figurant dans les rapports du Ministère étant donné que les circonstances peuvent changer entre la date de leur publication et le moment où ils se prononcent sur la demande de visa de protection temporaire. Les décideurs ont accès à tout un ensemble d’informations d’actualité sur le pays qui présentent un intérêt au regard de la situation particulière du demandeur, et sont censés en tenir compte. Leurs sources comprennent d’autres rapports du Gouvernement, des rapports d’organisations non gouvernementales internationales et locales et d’organismes des Nations Unies, ainsi que des articles de presse.

8.5S’agissant des allégations du requérant dénonçant des mesures ou politiques dissuasives, l’État partie dit que l’enregistrement de l’entretien qui a eu lieu le 12 mai 2021 entre le requérant et l’agent chargée de statuer sur son statut de protection montre que cette dernière a contacté le requérant pour faire le point sur sa démarche auprès de l’OIM. L’enregistrement indique que le requérant a déclaré qu’il entendait rester en Australie et n’avait pas l’intention de s’inscrire auprès de l’OIM. L’État partie confirme qu’à aucun moment au cours de l’entretien, le requérant n’a été avisé par l’agent que l’octroi d’un visa relais E dépendait de son inscription auprès de l’OIM.

8.6S’agissant des allégations du requérant disant qu’il risque d’être torturé et tué à Sri Lanka parce qu’il appartient à la minorité tamoule, qu’il est lié aux LTTE et que sa sœur aînée était un cadre des LTTE qui a trouvé la mort en combattant contre l’armée régulière, l’État partie répète que le risque personnel de préjudice encouru par le requérant en cas de renvoi à Sri Lanka a été expressément et soigneusement examiné. À chaque étape des procédures, les décideurs ont estimé qu’il n’y avait pas de risque que le requérant subisse un préjudice grave à Sri Lanka et que les autorités sri-lankaises ne portaient pas au requérant une attention hostile. L’État partie répète que l’existence d’un risque général de violence dans un pays ne constitue pas un motif suffisant pour déterminer qu’une personne particulière risque d’être soumise à la torture dans ce pays. Ceci est conforme à l’approche suivie par le Comité dans d’autres communications. L’État partie répète donc que le requérant n’a pas présenté de raisons supplémentaires donnant à penser qu’il court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’il est renvoyé à Sri Lanka.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

9.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité des griefs soulevés par le requérant au titre de l’article 3 comme étant manifestement dénués de fondement puisque le requérant n’a pas établi que l’État partie avait commis des erreurs en appréciant le risque qu’il courait en cas de renvoi à Sri Lanka. Le Comité considère cependant que le requérant a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 3 concernant le risque qu’il court d’être soumis à la torture et à des mauvais traitements s’il est renvoyé à Sri Lanka. En conséquence, il déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si l’expulsion du requérant vers Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation qui incombe à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

10.3Le Comité doit donc déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture s’il est renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Dans ce contexte, le Comité renvoie à son examen du cinquième rapport périodique de Sri Lanka, lors duquel il s’est dit sérieusement préoccupé par des informations selon lesquelles les forces de sécurité de l’État, notamment la police, avaient continué à pratiquer des enlèvements, la torture et les mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après que le conflit avec les LTTE eut pris fin en mai 2009. Il renvoie aussi aux rapports d’organisations non gouvernementales concernant le traitement qu’ont réservé les autorités sri-lankaises à des personnes renvoyées à Sri Lanka. Toutefois, le Comité rappelle que le but de l’évaluation effectuée dans le cadre des communications individuelles est de déterminer si la personne concernée court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture dans le pays où elle serait renvoyée. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays en question n’est pas en soi un motif suffisant pour conclure que cette personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des raisons supplémentaires de penser qu’elle serait personnellement en danger. Le Comité rappelle également que, si des événements passés peuvent être pertinents, la question principale pour le Comité est de déterminer si le requérant court actuellement un risque de torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

10.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), dans laquelle il dit qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits crédibles démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion. Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, entre autres : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ou des membres de sa famille ; c) un mandat d’arrêt ou une détention sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace. S’agissant du fond d’une communication soumise au titre de l’article 22 de la Convention, le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court un risque prévisible, actuel, personnel et réel d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité par le paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire. Aux fins de la pleine application de l’article 3 de la Convention, le Comité rappelle que les États parties sont tenus de prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires et d’autres mesures préventives pour empêcher d’éventuelles violations du principe de non-refoulement, notamment de permettre aux personnes se disant victimes de torture de bénéficier gratuitement d’un examen médical indépendant.

10.5En l’espèce, le requérant affirme qu’il risque d’être soumis à Sri Lanka à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention car il serait persécuté sur la base de son origine ethnique, de ses opinions politiques réelles ou supposées pour avoir résidé dans une région contrôlée par les LTTE et avoir été recruté de force par les LTTE, de son statut de demandeur d’asile débouté ayant quitté illégalement Sri Lanka, et en tant que personne présentant un profil de risque défavorable auprès des autorités sri-lankaises puisqu’il a été interrogé et maltraité par le Département d’investigation criminelle et qu’il ne s’est pas présenté devant lui comme l’y obligeaient les conditions imposées à sa libération. Il ajoute que ses activités sur place, en particulier au vu de la situation politique actuelle à Sri Lanka, signifient qu’il risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 s’il est renvoyé à Sri Lanka. Il fait valoir que ses allégations n’ont pas été examinées de manière approfondie par l’État partie car des incohérences dans sa présentation des faits ont, en dépit de ses explications, servi de base à une évaluation négative de sa crédibilité, ce qui a invalidé la valeur probante attribuée à ses déclarations. Il soutient qu’il n’a pas bénéficié d’une assistance juridictionnelle adéquate et efficace et que les organes décideurs de l’État partie se sont fondés sur des informations générales concernant le pays qui sont en grande partie dépassées. Par conséquent, il affirme que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la Convention en évaluant le risque de refoulement qu’il court.

10.6Le Comité prend note de l’observation de l’État partie disant que les allégations du requérant ont été examinées de façon approfondie par une série de solides procédures administratives et judiciaires internes, ayant notamment fait l’objet d’un examen au fond par le Tribunal des recours administratifs et d’un contrôle juridictionnel par la Cour d’appel de circuit fédéral, la Cour fédérale d’Australie et la Haute Cour. L’État partie dit que la demande d’intervention ministérielle du requérant a également été soigneusement examinée mais qu’il a été considéré qu’elle n’était pas conforme aux directives régissant le renvoi des dossiers au ministre. L’État partie fait valoir que les allégations du requérant ont été considérées comme factuellement incohérentes sur des points importants et que le requérant n’a donc pas été jugé crédible. S’il a été admis que le requérant est un Tamoul venant d’une région contrôlée par les LTTE qui, ayant quitté illégalement Sri Lanka et y retournant en tant que demandeur d’asile débouté, serait soumis à un interrogatoire et à des contrôles de sécurité à son arrivée, les décideurs n’ont pas jugé crédible son récit des relations qu’il avait eues auparavant avec les autorités sri-lankaises ou les LTTE et n’ont pas conclu que l’une ou l’autre des activités sur place invoquées modifierait ce profil. Par conséquent, ils ont considéré que le requérant ne courrait pas, en cas de renvoi, un risque personnel grave qui engagerait les obligations de l’État partie en matière de non-refoulement.

10.7Le Comité observe donc que la question centrale en l’espèce est l’évaluation de la crédibilité du requérant effectuée initialement par l’État partie lorsqu’il a statué sur sa demande de visa de protection temporaire, cette évaluation étant décisive pour déterminer la valeur probante des déclarations du requérant. Le Comité doit par conséquent établir si les griefs soulevés par le requérant devant les autorités nationales étaient suffisamment étayés pour obliger l’État partie à s’acquitter de son obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour en établir la véracité.

10.8Le Comité prend note en particulier des allégations du requérant disant qu’il a été torturé par des agents du Département d’investigation criminelle, ce qui a eu pour conséquence qu’il souffre de troubles de stress post-traumatique et ce qui fonde sa crainte de présenter un profil de risque à Sri Lanka. Il déclare que son état s’est aggravé à l’idée d’être renvoyé à Sri Lanka, affirmant que sa santé mentale se détériorera encore dans ce pays, où les services de santé mentale et les moyens institutionnels sont insuffisants pour répondre à ses besoins. Il produit un rapport médical, daté du 2 septembre 2019, indiquant que ses symptômes d’anxiété et de dépression, notamment son sentiment de désespoir, d’impuissance et d’inutilité, se sont exacerbés après le rejet de ses recours judiciaires.

10.9Le Comité note également que le requérant, dans le cadre de l’examen de sa demande de visa de protection temporaire, a été interrogé sur les contradictions entre les déclarations qu’il a faites ce jour-là et les réponses qu’il avait données lors d’un premier examen approfondi, par exemple au sujet de l’année de son enlèvement par les LTTE, de la durée de sa détention, de l’heure à laquelle il avait été enlevé ou de la question de savoir s’il avait suivi un entraînement au maniement des armes et s’il était allé au front. Le Comité relève aussi que le décideur a considéré mais rejeté son explication selon laquelle ses premières déclarations différaient à cause du voyage stressant qu’il venait de faire. Cette explication n’a pas été jugée suffisante pour rendre compte des incohérences importantes qui marquaient son récit et il a donc été considéré que celui-ci avait été forgé de toutes pièces. La crédibilité du requérant a ainsi été évaluée à partir d’informations contradictoires et, lorsque l’intéressé a eu la possibilité d’expliquer ces contradictions, il ne l’a pas fait de manière convaincante. Le Comité note en outre que le requérant a eu ultérieurement l’occasion, dans le cadre des procédures intentées devant d’autres instances, de faire réexaminer les éléments de fait sur lesquels reposait l’évaluation de sa crédibilité mais qu’il n’a pas saisi cette occasion. Par exemple, sa demande de réexamen déposée auprès de la Haute Cour d’Australie en août 2017 était notamment motivée par le niveau de preuve utilisé dans l’évaluation de sa crédibilité plutôt que sur le fait que l’État partie n’avait pas ordonné la réalisation d’un examen psychologique indépendant pour une évaluation complète de sa crédibilité. De l’avis du Comité, en l’espèce, le requérant, en ne fournissant pas d’éléments convaincants pour expliquer les incohérences de ses déclarations, ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait de présenter devant les décideurs internes des arguments défendables au sujet des événements à Sri Lanka, suffisants pour renverser la charge de la preuve et obliger l’État partie à produire des éléments permettant de corroborer ou de réfuter sa version des faits.

10.10Au vu de ce qui précède et compte tenu de toutes les informations que lui ont communiquées le requérant et l’État partie, notamment sur la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité considère qu’en l’espèce, les informations dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que le renvoi du requérant à Sri Lanka exposerait celui-ci à un risque réel, prévisible, personnel et actuel d’être soumis à la torture, ni que les autorités de l’État partie n’ont pas dûment enquêté sur ses allégations.

11.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.