Nations Unies

CAT/C/45/D/373/2009

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. restreinte*

3 décembre 2010

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-cinquième session

1er-19 novembre 2010

Décision

Communication no 373/2009

Présentée par:

Munir Aytulun et Lilav Güclü (représentés par un conseil, M. Ingemar Sahlström)

Au nom de:

Munir Aytulun et Lilav Güclü

État partie:

Suède

Date de la requête:

27 janvier 2009 (date de la lette initiale)

Date de la présente décision:

19 novembre 2010

Objet:

Expulsion des requérants vers la Turquie

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Interdiction du refoulement

Article de la Convention:

3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante-cinquième session)

concernant la

Communication no 373/2009

Présentée par:

Munir Aytulun et Lilav Güclü (représentés par un conseil, M. Ingemar Sahlström)

Au nom de:

Munir Aytulun et Lilav Güclü

État partie:

Suède

Date de la requête:

27 janvier 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 19 novembre 2010,

Ayant achevé l’examen de la requête no 373/2009 présentée par M. Ingemar Sahlström au nom de Munir Aytulun et de Lilav Güclü en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1 Les requérants sont M. Munir Aytulun (ci-après «le requérant»), né en 1965, et sa fille Lilav Güclü (ci-après «la requérante»), née en 2007, tous deux de nationalité turque et d’origine ethnique kurde. Ils vivent actuellement en Suède et font l’objet d’un arrêté d’expulsion vers la Turquie. Leur expulsion était initialement prévue à la fin du mois de février 2009. Ils affirment que l’expulsion vers la Turquie du requérant constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les requérants sont représentés par un conseil, M. Ingemar Sahlström. L’épouse du requérant a soumis une requête similaire au Comité (Mukerrem Güclü c. Suède, communication no 349/2008).

1.2Le Comité, agissant en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, a prié l’État partie de ne pas expulser les requérants vers la Turquie tant que leur requête serait à l’examen au Comité.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1En 1991, M. Aytulun, enseignant, est devenu membre du PKK. Peu de temps après, il a été envoyé rejoindre les combattants du PKK dans un camp situé à Haftanin, en Iraq. En 1995, il a suivi un cours d’éducation politique durant six mois au quartier général du PKK à Damas.

2.2À la fin de 1996, M. Aytulun a été blessé et a été soigné sur le terrain. Il n’a été envoyé dans un hôpital à Urimia, en Iran, que trois mois plus tard. Il a ensuite continué à travailler comme enseignant au sein du PKK. En 2000, il a été envoyé enseigner en Syrie et en 2003, en Iraq, où il a rencontré sa future femme, qui était un soldat du PKK. Le PKK interdisant toute relation avec des soldats, le requérant a été incarcéré pendant un mois. Il a «déserté» le PKK le 16 octobre 2005 et est arrivé en Suède quatre jours plus tard. Il affirme que sa photo a été publiée dans des journaux nationaux turcs en 1991 et 1992.

2.3Le requérant affirme être recherché par l’armée et la police, qui l’ont cherché chez ses parents. Ses frères et sœurs ont été forcés à plusieurs reprises d’accompagner les autorités lorsqu’elles le recherchaient dans les montagnes. Il affirme que les autorités ont mis et maintiennent le téléphone de sa famille sur écoute. Une lettre de son avocat confirme qu’il est recherché et qu’il sera poursuivi en justice pour les crimes visés par les articles 302 et 314 de la loi pénale turque. Le requérant affirme qu’en vertu de cette loi il sera condamné à une peine de quinze ans d’emprisonnement, et qu’il sera soumis à la torture par les forces de sécurité. Cela a été confirmé par la section de Diyabakir de l’Association pour les droits de l’homme.

2.4Le 18 janvier 2008, le Conseil des migrations a rejeté la requête des requérants. Ceux-ci ont fait appel devant le tribunal des migrations, qui les a déboutés le 2 septembre 2008 au motif que le requérant n’avait pas occupé un poste élevé au sein du PKK et qu’il n’avait jamais pris part aux combats. Deux juges sur quatre étaient en désaccord avec la décision du tribunal et ont estimé que la crainte du requérant d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers la Turquie était justifiée.

2.5Le 22 octobre 2008, la cour d’appel des migrations a refusé aux requérants l’autorisation de faire appel.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment que le renvoi forcé de M. Aytulun vers la Turquie constituerait une violation par la Suède de ses droits garantis à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

3.2Le conseil se réfère aux directives du Ministère britannique de l’intérieur, dans lesquelles il est indiqué que bien que la politique de tolérance zéro à l’égard de la torture ait permis d’éliminer les formes de torture et de mauvais traitements les plus graves, des cas de torture pendant la garde à vue continuent à être signalés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 18 septembre 2009, l’État partie a rappelé les faits présentés par les requérants ajoutant que, selon les informations données par M. Aytulun au cours d’entretiens avec les services d’immigration, il avait été arrêté une première fois en 1989 au motif qu’il était soupçonné d’entretenir une liaison avec une collègue enseignante, qui était membre du Parti communiste turc. Il avait été soumis à des interrogatoires pendant quatre jours, au cours desquels il avait été passé à tabac et soumis à des chocs électriques. Il avait également été poursuivi en justice pour avoir distribué des tracts politiques. Au procès, il avait réussi à démontrer que les accusations portées contre lui étaient fausses, et il avait été libéré.

4.2Jusqu’en 1994, le requérant avait également participé à l’instruction des nouvelles recrues du PKK. Il avait occupé un poste de dirigeant dans cette organisation de 1994 à 1995. À un certain moment, il avait émis des critiques concernant les politiques et les stratégies de l’organisation, affirmant que la stratégie du conflit armé ne permettrait pas de réaliser les objectifs politiques du PKK. Il avait alors été accusé par les dirigeants du PKK de mettre en doute l’organisation de la guérilla. Un des frères du requérant avait été détenu pendant sept mois en raison de l’appartenance au PKK de M. Aytulun.

4.3L’État partie admet que le Conseil des migrations n’a pas contesté la déclaration de M. Aytulun concernant ses activités dans le PKK et a reconnu qu’il y avait un risque qu’il soit arrêté et jugé s’il était renvoyé en Turquie. Toutefois, le Conseil a estimé que rien ne laissait penser que le requérant recevrait une peine plus sévère que d’autres personnes dans des situations similaires. Il a également évoqué la politique du Gouvernement turc de tolérance zéro à l’égard de la torture et les modifications législatives apportées à cet effet, qui ont donné aux victimes d’actes de torture davantage de moyens pour dénoncer les responsables de tels actes.

4.4L’État partie affirme qu’au cours de la procédure d’appel devant le tribunal des migrations, les requérants ont ajouté que le Conseil des migrations n’avait pas tenu compte du fait que M. Aytulun serait traduit devant un tribunal pénal spécial, chargé de connaître des infractions graves, et qu’il pourrait être condamné à la réclusion à perpétuité. Cette affirmation aurait été appuyée par une organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme et par l’avocat de M. Aytulun en Turquie. M. Aytulun a affirmé qu’il serait soumis à la torture et que sa fille serait placée dans une institution publique. Il a fait valoir que des permis de résidence avaient été accordés dans des affaires semblables. En outre, il avait reçu des menaces du PKK alors qu’il se trouvait en Suède.

4.5Le 2 septembre 2008, le tribunal des migrations a rejeté l’appel du requérant, faisant valoir que celui-ci n’avait pas occupé un poste élevé au sein du PKK et qu’il n’avait jamais participé aux combats. Ses actes ne pouvaient être considérés comme des actes terroristes et il n’avait passé que relativement peu de temps en Turquie. Le tribunal a reconnu que l’appartenance à une organisation terroriste pouvait entraîner une peine allant jusqu’à quinze ans d’emprisonnement; toutefois, l’octroi du statut de réfugié ne saurait être fondé uniquement sur le fait que l’intéressé risque d’être puni conformément à la législation de son pays. Le tribunal a estimé qu’il convenait de faire la distinction entre la persécution et une peine réprimant une violation de la loi, et a ajouté que la peine n’était pas disproportionnée compte tenu du fait que le requérant avait été membre d’une organisation terroriste. Concernant la question de savoir si les requérants pouvaient être considérés comme des personnes nécessitant une protection, le tribunal a appelé l’attention sur les réformes engagées par les autorités turques pour lutter contre le problème de la torture, bien qu’il ait reconnu qu’en dépit des mesures prises, des cas de torture continuaient à se produire. Toutefois, ces violations n’étaient pas systématiques et elles n’étaient pas cautionnées par le Gouvernement turc. Le tribunal a ajouté que le requérant n’avait pas apporté des arguments plausibles pour démontrer qu’il risquait d’être persécuté par le PKK en raison de sa défection et qu’il nécessitait une protection pour cette raison. Il a estimé que si le requérant risquait d’être persécuté par le PKK, c’était aux autorités judiciaires et de police turques qu’il incomberait d’assurer sa protection. Ce n’est que dans le cas où cette protection ne serait pas satisfaisante que l’intéressé nécessiterait une protection en Suède, et rien n’indiquait que les autorités turques ne pourraient pas assurer une protection adéquate. En outre, le tribunal a relevé que les requérants avaient une grande famille en Turquie, et a considéré que si les parents de Lilav Güclü étaient tous deux condamnés à une peine d’emprisonnement, il serait de la responsabilité des autorités turques de décider de sa prise en charge.

4.6L’État partie ajoute que le requérant a affirmé aux services d’immigration qu’il n’avait jamais eu de passeport, et qu’il avait présenté une copie d’un extrait du registre national turc de la population daté de 2003, ainsi qu’un extrait original de ce registre daté de 2005. L’État partie relève que la copie de l’extrait daté de 2003 indiquait que l’intéressé était recherché par la police à cette époque, alors que l’extrait original soumis par la suite ne contenait pas ces informations.

4.7Au sujet de la recevabilité, l’État partie dit que, à sa connaissance, la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il reconnaît également que tous les recours internes ont été épuisés. Il estime toutefois que les requérants n’apportent pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il fait valoir que la communication est manifestement infondée et donc irrecevable.

4.8En ce qui concerne le fond, l’État partie note que la Turquie a ratifié plusieurs des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et qu’elle a signé le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. Il note également que la Turquie coopère avec le Comité européen pour la prévention de la torture et accepte que ses rapports soient publiés. Il rappelle que le Gouvernement turc a adopté une politique de tolérance zéro et a mené d’importantes réformes législatives à cette fin. Il note en outre que malgré les efforts déployés, des actes de torture continuent à se produire, notamment au moment de l’arrestation et en dehors des centres de détention. Il se réfère à des rapports d’organisations de défense des droits de l’homme qui ont signalé une augmentation des cas de torture et de mauvais traitements en 2007. Il relève que les méthodes de torture les plus graves ont été éliminées, mais que des cas de mauvais traitements pendant la garde à vue continuent à se produire, que les tribunaux condamnent rarement les membres des services de sécurité accusés de torture et que, lorsqu’ils le font, ils ont tendance à imposer des peines relativement légères. Le pouvoir judiciaire n’est toujours pas indépendant du pouvoir exécutif et les procédures traînent en longueur. L’État partie se réfère au rapport du Département d’État des États-Unis pour 2007, où il est indiqué que les personnes soupçonnées d’infractions de droit commun risquent autant de subir des actes de torture et des mauvais traitements en détention que celles soupçonnées de crimes politiques, bien qu’il y ait moins de chances qu’elles signalent de tels actes. Il cite également le rapport publié par le Ministère suédois des affaires étrangères, où il est dit que les membres du PKK devraient être considérés comme un groupe cible particulier des agents de l’État qui enfreignent l’interdiction d’utiliser la torture. L’État partie fait toutefois valoir que les préoccupations relatives à la situation des droits de l’homme en Turquie ne permettent pas de conclure que les personnes susceptibles d’être arrêtées et inculpées courent ipso facto un risque réel d’être soumises à la torture.

4.9L’État partie dit qu’il doit tenir compte des faits nouveaux récents concernant les efforts déployés par le Gouvernement turc pour éliminer la torture; il fait valoir que l’utilisation de la torture n’est pas systématique et que les actes de torture qui continuent à se produire ne sont pas commis avec le consentement de l’État turc. Ainsi, l’État partie estime que l’on serait en droit de se demander si les cas de torture signalés peuvent être imputés à l’État turc ou s’il ne doivent pas plutôt être considérés comme des crimes pour lesquels la Turquie ne peut être tenue responsable.

4.10L’État partie relève que plusieurs dispositions de la loi de 2005 sur les étrangers reflètent les principes énoncés au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Ainsi, les autorités suédoises appliquent lors de l’examen d’une demande d’asile les mêmes critères que le Comité. Il estime que les autorités suédoises qui effectuent les entretiens sont bien placées pour apprécier les informations présentées par les demandeurs d’asile et vérifier la crédibilité de leurs allégations. Le Conseil des migrations a rendu sa décision à l’issue de deux entretiens approfondis; il disposait de suffisamment d’informations, qui ont été considérées conjointement avec les faits et documents versés au dossier.

4.11L’État partie ajoute que les services d’immigration n’ont pas contesté la participation du requérant aux activités du PKK, ni l’affirmation qu’il était recherché par la police turque et risquait d’être arrêté et traduit en justice. L’État partie souscrit aux conclusions des services d’immigration et estime que la participation de M. Aytulun aux activités du PKK doit être considérée comme ayant eu lieu à un niveau peu élevé, bien que celui-ci affirme avoir instruit de nouvelles recrues du PKK et dirigé un camp du PKK (jusqu’en 1995). Il avait été membre du PKK pendant de nombreuses années mais n’avait pas participé activement aux combats. Dans ce contexte, l’État partie doute que le requérant présente un grand intérêt pour les autorités turques.

4.12L’État partie dit qu’il est conscient du fait que toutes les personnes ayant des liens avec le PKK sont poursuivies au pénal et condamnées. Se référant à un rapport de l’ambassade de Suède à Ankara, il relève que les fondateurs ou les dirigeants d’organisations illégales et armées peuvent être condamnés à une peine allant de dix à quinze années d’emprisonnement. Si l’organisation concernée est classée comme une organisation terroriste, conformément à la législation antiterroriste turque, la peine est alourdie d’un facteur de 1,5. L’appartenance à une organisation illégale et armée peut entraîner une peine d’emprisonnement allant de 7,5 à quinze ans (une fois la peine augmentée d’un facteur de 1,5). L’État partie ne conteste donc pas l’allégation du requérant qui affirme courir le risque d’être arrêté et jugé à son retour en Turquie. Il fait toutefois valoir que rien n’indique que l’intéressé serait condamné à une peine plus sévère que d’autres personnes dans la même situation. Il rappelle les arguments avancés par les services d’immigration et estime que la peine qui pourrait être imposée n’est pas disproportionnée au crime que constitue l’appartenance au PKK, le requérant ayant participé aux activités d’une organisation qui est considérée comme une organisation terroriste par le Gouvernement turc et l’Union européenne. Il ajoute que grâce à l’adoption par le Gouvernement turc d’une politique de tolérance zéro à l’égard de la torture et aux modifications législatives effectuées, les victimes de torture disposent de plus de moyens pour dénoncer les responsables de tels actes.

4.13L’État partie estime que le requérant n’a pas démontré qu’il risquait d’être persécuté par le PKK en raison de sa défection de l’organisation et qu’il nécessitait une protection à ce titre. Il fait valoir que le risque qu’une personne soit soumise à des mauvais traitements par une entité non gouvernementale ou des particuliers, sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement, n’entre pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. En tout état de cause, il considère que le grief n’a pas été étayé. Il doute que le requérant présente aujourd’hui un intérêt pour le PKK, compte tenu du temps écoulé depuis son départ de la Turquie. L’État partie fait valoir que si un tel risque existe, le requérant pourrait certainement obtenir la protection des autorités turques.

4.14En ce qui concerne la requérante, l’État partie souscrit à l’appréciation du tribunal des migrations qui a relevé que les requérants ont une grande famille en Turquie. Si les deux parents étaient condamnés à une peine d’emprisonnement, il serait de la responsabilité des autorités turques de décider de la prise en charge de leur fille.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une note datée du 11 décembre 2009, les requérants ont contesté l’argument de l’État partie selon lequel le requérant a participé aux activités du PKK à un niveau peu élevé. Ils affirment qu’il a été membre de cette organisation pendant de nombreuses années et qu’en raison de sa position élevée il a servi dans de nombreux pays.

5.2Les requérants font valoir qu’une affaire pénale contre M. Aytulun est toujours ouverte à Van (affaire no 1999/190) concernant son appartenance à une organisation terroriste. En cas de renvoi, il serait condamné à quinze ans d’emprisonnement. Ils ajoutent que les cas de torture ont augmenté en Turquie.

5.3Le requérant relève que le tribunal des migrations était au courant du fait qu’une action pénale était engagée à son égard et que les cas de torture en Turquie étaient en augmentation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux alinéas a et b des paragraphes 5 de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

6.2Concernant l’allégation des requérants qui affirment que si M. Aytulun était renvoyé en Turquie, il serait tué par le PKK pour avoir quitté l’organisation sans autorisation, le Comité considère que la question de savoir si l’État partie a l’obligation de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement, est en dehors du champ d’application de l’article 3 de la Convention. Le Comité estime donc que ce grief est irrecevable en vertu de l’alinéa c de l’article 107 du Règlement intérieur du Comité.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable car manifestement dénuée de fondement, étant donné que l’affirmation des requérants que M. Aytulun risque de subir de la part des agents de l’État un traitement qui constituerait une violation de l’article 3 de la Convention n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve aux fins de la recevabilité. Le Comité est cependant d’avis que les requérants ont apporté assez d’éléments pour lui permettre d’examiner l’affaire sur le fond.

Examen au fond

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants en Turquie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.2Le Comité doit déterminer, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 3, s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risquent d’être soumis à la torture s’ils sont renvoyés en Turquie. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. À cet égard, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel des dispositions ont été prises pour améliorer la situation des droits de l’homme, notamment par l’adoption d’une politique de tolérance zéro et de modifications législatives appropriées. Il prend également note de l’argument des requérants qui affirment qu’en dépit de ces changements, des cas de torture pendant la garde à vue continuent à être signalés.

7.3Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour en Turquie. Même s’il existait en Turquie un ensemble systématique de violations, graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, cette situation ne constituerait pas en soi un motif suffisant pour conclure que le requérant risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs spécifiques donnant à penser que l’intéressé court personnellement un tel risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

7.4Le Comité rappelle son observation générale relative à l’application de l’article 3 de la Convention, où il est indiqué que l’existence d’un risque d’être soumis à la torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons mais qu’en tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.

7.5Le Comité note que l’État partie ne conteste pas le fait que le requérant ait participé aux activités du PKK, mais fait valoir que sa participation a eu lieu à un niveau peu élevé. Il note que l’État partie nie qu’il présenterait aujourd’hui un grand intérêt pour les autorités turques, mais qu’il admet, tout comme le Conseil des migrations, que s’il est recherché par les autorités turques, il y a un risque qu’il soit arrêté, placé en détention avant jugement et condamné à une longue peine d’emprisonnement (par. 4.11 et 4.12). Le Comité note également que les requérants ont donné des informations concernant l’action pénale engagée contre M. Aytulun (affaire no 1999/190) (par. 5.2) qui n’ont pas été contestées par l’État partie. Le Comité est donc d’avis que les requérants ont apporté suffisamment d’éléments indiquant que M. Aytulun risque d’être arrêté s’il est renvoyé en Turquie.

7.6Le Comité observe que, selon diverses sources, de graves allégations font état d’une utilisation persistante de la torture par les forces de sécurité et la police turques, en particulier pendant les interrogatoires et dans les centres de détention, en dépit de la politique de tolérance zéro à l’égard de la torture adoptée par le Gouvernement. Le Comité note également que, selon les propres observations de l’État partie (par. 4.8), le nombre de cas signalés de mauvais traitements a augmenté en 2007. Plusieurs des rapports cités par l’État partie indiquent que, malgré les mesures législatives prises par le Gouvernement turc, les auteurs de ces crimes bénéficient souvent de l’impunité, et mettent en doute l’efficacité de la réforme entreprise. Un grand nombre des rapports récents auxquels l’État partie renvoie font également état d’une augmentation des cas signalés de mauvais traitements et de torture commis par des membres des forces de sécurité ou de la police en dehors des locaux officiels, qui sont par conséquent plus difficiles à détecter et à documenter. Le Comité prend note en outre de l’affirmation qui figure dans le rapport publié par le Ministère suédois des affaires étrangères cité par l’État partie, où il est dit que les membres du PKK devraient être considérés comme un groupe cible particulier des agents de l’État qui violent l’interdiction d’utiliser la torture. Il note également que, d’après la section de Diyabakir de l’Association pour les droits de l’homme, des aveux sont extorqués aux personnes qui ont déserté le PKK afin d’obtenir le nom de leurs anciens camarades.

7.7En conclusion, le Comité note que le requérant a été membre du PKK pendant quatorze ans et que tout porte à croire qu’il est recherché en Turquie pour y être jugé en vertu de la législation antiterroriste et qu’il risque donc d’être arrêté à son arrivée dans le pays et contraint à des aveux forcés. À la lumière de ce qui précède, le Comité estime que les requérants ont présenté suffisamment d’éléments prouvant que M. Aytulun court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il est renvoyé dans son pays d’origine.

7.8Étant donné que l’affaire de la requérante, qui est l’enfant mineur du requérant, dépend de l’affaire de celui-ci, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner son cas séparément.

7.9Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer les requérants en Turquie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

8.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite aux présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]