Nations Unies

CED/C/MLI/CO/1

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

4 octobre 2022

Original : français

Comité des disparitions forcées

Observations finales concernant le rapport soumis par le Mali en application de l’article 29 (par. 1) de la Convention*

1.Le Comité des disparitions forcées a examiné le rapport soumis par le Mali en application de l’article 29 (par. 1) de la Convention à ses 403e et 404e séances, les 12 et 13 septembre 2022. À sa 418e séance, le 22 septembre 2022, il a adopté les présentes observations finales.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport établi par le Mali en application de l’article 29 (par. 1) de la Convention conformément à ses directives. En outre, il remercie l’État partie pour ses réponses écrites à la liste de points à traiter.

3.Le Comité se félicite également du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie sur les mesures prises pour appliquer les dispositions de la Convention, et salue l’ouverture d’esprit avec laquelle la délégation a répondu aux questions qu’il a posées. Il remercie l’État partie pour les renseignements complémentaires fournis et les précisions apportées oralement.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a adhéré à la quasi-totalité des instruments internationaux relatifs aux droits humains, y compris plusieurs protocoles facultatifs s’y rapportant, et a ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

5.Le Comité félicite l’État partie d’avoir reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications individuelles et interétatiques, en application des articles 31 et 32 de la Convention, respectivement.

6.Le Comité salue également les avancées de l’État partie dans des domaines intéressant la Convention, notamment :

a)L’incorporation dans le Code pénal des infractions issues du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, notamment de la disparition forcée en tant que crime contre l’humanité (art. 29 du Code pénal) ;

b)La validation du projet de nouveau code pénal lors d’un atelier qui s’est tenu du 15 au 20 août 2022, regroupant des représentants du Conseil national de transition, des membres de la société civile, des universitaires et des partenaires techniques et financiers ;

c)L’adoption de la loi no 2019-072 du 24 décembre 2019 portant loi d’orientation et de programmation de la justice pour la période 2020-2024.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

7.Le Comité est conscient des nombreuses et graves difficultés auxquelles fait face l’État partie et prend note des mesures prises par celui-ci pour se conformer aux obligations découlant de la Convention. Toutefois, il considère qu’au moment de l’adoption des présentes observations finales, la législation en vigueur dans l’État partie visant à prévenir et à réprimer les disparitions forcées et à garantir les droits des victimes, son application, ainsi que le comportement de certaines des autorités compétentes n’étaient pas pleinement conformes aux obligations découlant de la Convention. Le Comité est préoccupé en particulier par les très nombreuses allégations de disparitions forcées, dont beaucoup se sont produites après l’entrée en vigueur de la Convention. Il encourage l’État partie à mettre en œuvre ses recommandations, qui ont été formulées dans un esprit constructif de coopération, afin de garantir en droit et dans la pratique la pleine application de la Convention. À ce propos, il l’invite à mettre à profit les débats en cours sur différents projets de loi dans des domaines intéressant la Convention pour donner suite aux recommandations formulées dans les présentes observations finales.

1.Renseignements d’ordre général

Applicabilité de la Convention

8.Le Comité regrette qu’aucune décision de justice relative à des cas de disparition forcée n’ait été recensée et que, selon l’État partie, la non-application de la Convention soit notamment due au fait que les magistrats hésitent à mettre en œuvre ses dispositions. À cet égard, le Comité note avec satisfaction les informations transmises au cours du dialogue sur les efforts mis en œuvre pour faire connaître la Convention (art. 23).

9. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ intensifier ses efforts pour assurer la formation des juges, des procureurs et des avocats sur la Convention, de sorte qu ’ elle soit appliquée et prise en compte par les tribunaux nationaux.

Impossibilité de déroger à l’interdiction de la disparition forcée

10.Le Comité constate avec préoccupation que le droit interne n’établit pas expressément qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour déroger à l’interdiction de la disparition forcée, et que l’État partie n’a pas fourni d’informations sur les dispositions législatives et les mesures adoptées pour garantir qu’aucune circonstance exceptionnelle ne permet de déroger au droit de ne pas être soumis à une disparition forcée (art. 1er).

11. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires pour incorporer expressément dans le droit interne l ’ interdiction absolue de la disparition forcée, conformément à l ’ article premier (par. 2) de la C onvention , et de s ’ assurer que les mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme n ’ aient aucune incidence sur l ’ application effective de la Convention et qu ’ aucune circonstance exceptionnelle ne puisse être invoquée pour justifier la disparition forcée.

Institution nationale des droits de l’homme

12.Le Comité se félicite de la création, en vertu de la loi no 2016‑036 du 7 juillet 2016, de la Commission nationale des droits de l’homme. Il salue également le fait que la Commission s’est vu réaccréditée au statut « A » en mars 2022 par l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme. Toutefois, il relève que l’État partie ne donne pas de précisions suffisantes sur les mesures adoptées pour que la Commission dispose des ressources financières, techniques et humaines nécessaires pour remplir efficacement ses fonctions sur l’ensemble du territoire de l’État partie. L’État partie ne précise pas non plus les mesures adoptées pour promouvoir la connaissance de la Commission par l’ensemble de la population et des autorités nationales et locales.

13. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que la Commission nationale des droits de l’homme dispose des ressources financières, techniques et humaines nécessaires pour remplir correctement ses fonctions sur l ’ ensemble du territoire malien. Il lui recommande également de promouvoir la connaissance de la Commission et de ses compétences auprès de l ’ ensemble de la population et des autorités nationales et locales.

Mécanisme national de prévention de la torture

14.Le Comité note l’existence d’un mécanisme national de prévention de la torture au sein de la Commission nationale des droits de l’homme, et reconnaît l’importance du rôle que ce mécanisme peut jouer dans la prévention des disparitions forcées. Cependant, il constate que l’État partie ne fournit pas suffisamment d’informations sur la composition du mécanisme et sa relation avec la Commission, la manière dont il remplit sa mission, les lieux de détention qu’il visite, la façon dont ses visites sont organisées, le nombre de visites effectuées par année, leurs résultats et la manière dont les autorités compétentes coopèrent pour les appliquer.

15. Le Comité recommande à l ’ État partie de lui fournir des informations sur la structure du mécanisme national de prévention de la torture, le rapport qu ’ il entretient avec la Commission nationale des droits de l’homme en terme s d ’ indépendance et la manière dont il s ’ acquitte de sa mission. Il lui recommande en outre d ’ allouer au mécanisme les moyens matériels et humains qui lui permettent d ’ accomplir sa mission préventive avec efficacité.

2.Définition et incrimination de la disparition forcée (art. 1er à 7)

Informations statistiques et bases de données

16.Le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ne dispose ni de statistiques ni de bases de données sur les personnes disparues (art. 1er, 2, 3, 12 et 24).

17. L ’ État partie devrait établir sans délai une base de données et générer des informations statistiques précises et à jour sur les personnes disparues, ventilées par sexe, orientation sexuelle, identité de genre, âge, nationalité, lieu d ’ origine et origine raciale ou ethnique. Ces informations devraient comprendre la date de la disparition , le nombre de personnes disparues qui ont été localisées, vivantes ou non , et le nombre de cas dans lesquels l ’ État aurait participé, d ’ une manière ou d ’ une autre, au sens de l ’ article 2 de la Convention.

Crime autonome de disparition forcée et peines appropriées

18.Le Comité constate avec préoccupation que la disparition forcée ne constitue pas encore une infraction autonome en droit interne. Il note toutefois que l’article 324-55 du projet de nouveau code pénal érige la disparition forcée en crime autonome et constate que la définition qui y est prévue est conforme aux dispositions de l’article 2 de la Convention (art. 2, 4 et 8).

19. Le Comité invite l ’ État partie à conclure sans attendre la procédure d ’ adoption du nouveau c ode pénal en s ’ assurant qu ’ il contien ne une disposition incrimin ant la disparition forcée en tant qu ’ infraction autonome, conformément à la définition figurant à l ’ article 2 de la Convention, et prévoie notamment un délai de prescription de longue durée et proportionné à l ’ extrême gravité du crime qui, compte tenu du caractère continu de la disparition forcée, commence à courir lorsque cesse l ’ infraction.

Responsabilité pénale du supérieur hiérarchique et devoir d’obéissance

20.Le Comité constate avec préoccupation que la législation pénale : a) ne prévoit pas la mise en cause de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques dans les conditions établies à l’article 6 (par. 1 b)) de la Convention ; et b) n’exclut pas expressément l’invocation du devoir d’obéissance pour justifier une disparition forcée (art. 6 et 23).

21. Le Comité recommande à l ’ État partie de tenir pénalement responsable et de punir comme il se doit toute personne qui commet une disparition forcée, l ’ ordonne ou la commandite, tente de la commettre, en est complice ou y participe, conformément à l ’ article 6 (par. 1 a)) de la Convention. Il invite également l ’ État partie à garantir que la législation nationale établisse expressément la responsabilité pénale des supérieurs et prévoie l ’ interdiction d ’ invoquer les ordres ou les instructions d ’ un supérieur pour justifier une infraction de disparition forcée, conformément à l’article 6 (par. 1 b) et 2) de la Convention.

Circonstances aggravantes et atténuantes

22.Le Comité note que les articles 18 et 19 du Code pénal ne prennent pas en compte les circonstances aggravantes et atténuantes dans les cas de disparition forcée, et que les circonstances atténuantes prévues à l’article 6.5 du projet de nouveau code pénal ne comprennent pas expressément le fait d’avoir contribué efficacement à la « récupération en vie de la personne disparue », conformément à l’article 7 (par. 2) de la Convention.

23. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ assurer que l ’ infraction de disparition forcée incluse dans le projet de nouveau code pénal soit passible de peines appropriées qui prennent en compte son extrême gravité, mais qui excluent la peine de mort. Il invite également l ’ État partie à envisager d ’ établir pour l ’ infraction de disparition forcée toutes les circonstances atténuantes et aggravantes particulières prévues à l ’ article 7 (par. 2) de la Convention.

Amnistie

24.Le Comité est préoccupé par la loi no 2012-020 du 18 mai 2012 portant amnistie des faits survenus lors de la mutinerie ayant abouti à la démission du Président de la République ainsi que par la loi no 2019-042 du 24 juillet 2019 portant loi d’entente nationale, en ce qu’elles pourraient être interprétées comme s’appliquant aux crimes de disparitions forcées. Le Comité est particulièrement préoccupé de ce que dans l’affaire concernant Amadou Haya Sanogo, les inculpés aient été libérés par application de la loi d’entente nationale (art. 7, 11 et 24).

25. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ abroger toute disposition qui aurait pour effet d ’ exonérer les auteurs de disparitions forcées de poursuite s ou de sanctions pénales. Il lui recommande en particulier de prendre les mesures législatives nécessaires pour supprimer la possibilité d ’ accorder l ’ amnistie dans les cas de crimes internationaux, notamment de disparition forcée.

Actes commis par des acteurs non étatiques sans participation de l’État

26.Le Comité est conscient des nombreux défis auxquels l’État partie est confronté en raison des graves exactions, y compris des disparitions, commises par des groupes armés non étatiques. Néanmoins, il regrette de n’avoir pas reçu d’informations sur les enquêtes menées sur ces disparitions et leurs résultats, y compris les sanctions infligées aux auteurs, ainsi que sur l’assistance apportée aux victimes et sur la recherche et la localisation des personnes disparues (art. 3).

27. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler ses efforts pour que les allégations faisant état d ’ agissements définis à l ’ article 2 de la Convention commis par des groupes armés sans l ’ autorisation, l ’ appui ou l ’ acquiescement de l ’ État fassent l ’ objet d ’ enquêtes immédiates, approfondies et impartiales, et que les auteurs présumés soient traduits en justice et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes. Le Comité recommande en outre à l ’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour porter assistance aux victimes, pour rechercher et localiser les personnes disparues par suite des agissements de ces groupes armés et pour prévenir de tels actes.

3.Responsabilité pénale et coopération judiciaire en matière de disparition forcée (art. 8 à 15)

Allégations de disparitions forcées, enquêtes et recherches

28.Le Comité est préoccupé par les très nombreuses allégations de disparitions forcées qui auraient été commises notamment par les Forces armées maliennes, par la Direction générale de la sécurité d’État, ou par des groupes armés agissant sous le contrôle, avec l’autorisation ou l’acquiescement de l’État, et par le fait qu’aucune des enquêtes ouvertes sur ces allégations n’a jusqu’à présent abouti à des condamnations, ce qui a pour effet d’entretenir un climat d’impunité. Le Comité s’inquiète des informations selon lesquelles le système de prévôté ne garantirait pas la transmission effective des signalements de crimes, et que les enquêteurs rencontrent des difficultés pour obtenir la sécurisation de leurs déplacements sur les scènes de crimes dans les zones de conflits. Le Comité est également préoccupé par les allégations selon lesquelles le personnel judiciaire se rendrait, dans certaines circonstances, complice de disparitions forcées imputables à la Direction générale de la sécurité d’État. En outre, il regrette de n’avoir pas reçu d’informations précises quant aux mécanismes qui permettent d’écarter de l’enquête sur une disparition forcée toute personne qui pourrait être soupçonnée d’avoir participé à une disparition forcée (art. 1er, 11, 12 et 24).

29. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler ses efforts pour garantir le droit de toutes les victimes de disparition forcée à la justice, à la vérité et à la réparation, tout en assurant que les mesures prises pour lutter contre le terrorisme soient pleinement conformes à la Convention. En ce sens, l ’ État partie doit :

a) Assurer que toutes les allégations de disparition forcée fassent l ’ objet d ’ une enquête immédiate, approfondie et impartiale, même si aucune plainte n’a été officiellement déposée , et que les auteurs soient poursuivis et condamnés à une peine proportionnée à la gravité de leurs actes ;

b) Assurer que les agents de l ’ État soupçonnés d ’ être impliqués dans la commission d ’ un crime de disparition forcée soient suspendus de leurs fonctions dès le début de l ’ enquête et pendant toute sa durée, sans préjudice du respect du principe de la présomption d ’ innocence, et que les forces de l ’ ordre ou de sécurité dont les membres sont soupçonnés d ’ avoir participé à une disparition forcée ne puissent pas prendre part à l ’ enquête ;

c) Encourager et faciliter le dépôt de plaintes en toute sécurité ainsi que la participation aux enquêtes, active et sans réserve, des victimes, y compris les proches de la personne disparue qui le souhaitent ;

d) Veiller à ce que le personnel judiciaire ne cautionne la disparition forcée et n’y participe en aucune manière ;

e) Veiller à ce que le droit des victimes à la vérité soit pleinement respecté à toutes les phases de la procédure, en particulier en assurant qu ’ elles soient régulièrement informées du déroulement et des résultats des enquêtes, même lorsqu ’ elles ne se sont pas constituées parties civiles ;

f) Prendre toutes les mesures nécessaires pour retrouver, libérer et, en cas de décès, identifier toutes les personnes victimes de disparition forcée dont le sort n ’ a pas encore été élucidé, et veiller à ce que les procédures de recherche mises en œuvre soient conformes aux P rincipes directeurs concernant la recherche de personnes disparues du Comité ;

g) Assurer une coordination et une coopération efficaces entre tous les organes prenant part aux enquêtes et aux recherches, et veiller à ce qu ’ ils disposent des structures et des ressources financières, techniques et humaines ainsi que de l ’ expertise nécessaires pour s ’ acquitter de leurs tâches avec diligence et efficacité  ;

h) Envisager la création d ’ un pôle spécialisé d ’ enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l ’ humanité et, au sein de cette structure, d ’ une équipe spécialisée dans les enquêtes sur les disparitions forcées.

Fosses communes

30.Tout en notant l’affirmation de l’État partie selon laquelle la découverte d’une fosse commune donne lieu à l’ouverture d’une enquête, le Comité est préoccupé par les allégations relatives à la découverte de nombreuses fosses communes sur le territoire malien et par l’absence d’informations précises sur les efforts engagés en vue d’assurer l’identification, l’analyse médico-légale, le respect et la restitution des dépouilles des personnes disparues. Le Comité salue la création de la Direction générale de la police technique et scientifique ainsi que le projet d’opérationnalisation d’un centre de traitement d’ADN, mais regrette de n’avoir pas reçu suffisamment d’informations sur la manière dont ces institutions contribueront à la recherche des personnes victimes de disparitions forcées.

31. Le Comité engage l ’ État partie à prendre en considération, dans le cadre de l ’ élaboration et de la mise en œuvre d ’ une stratégie de recherche, les Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues et lui recommande de faire en sorte que chaque fosse commune signalée soit protégée et exploitée en faisant usage des méthodes de médecine légale pertinentes. Il lui recommande également de faire en sorte que l ’ identification des personnes disparues soit spécifiquement et effectivement intégrée d ans l es missions et finalités de la Direction générale de la police technique et scientifique et du centre de traitement de l ’ ADN.

Compétence universelle

32.Le Comité est préoccupé de ce que les tribunaux de l’État partie ne peuvent exercer leur compétence sur le crime de disparition forcée dans toutes les hypothèses prévues par la Convention, y compris en vertu du principe de compétence universelle (art. 9).

33.Le Comit é prie instamment l ’ État partie de veiller à garantir l ’ exercice de la compétence des tribunaux nationaux pour conna î tre d ’ infractions de disparition forcée, conformément aux obligations qui découlent de l ’ article 9 de la Convention et notamment au principe aut dedere aut judicare énonc é dans celui-ci.

Juridiction militaire

34.Le Comité est préoccupé de ce que la législation nationale prévoit la compétence des tribunaux militaires pour enquêter sur les allégations de disparitions forcées commises par des militaires (art. 11).

35. Rappelant sa D éclaration sur les disparitions forcées et la juridiction militaire , le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures législatives nécessaires afin d ’ exclure de la juridiction militaire les enquêtes et poursuites relatives à des disparitions forcées dans tous les cas.

Protection des personnes qui participent à une enquête

36.Le Comité regrette de n’avoir pas reçu d’informations plus précises sur l’avant-projet de loi relatif à la protection des victimes et des témoins (art. 12).

37. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ établir des mécanismes, y compris un programme structuré, pour assurer la protection efficace de toutes les personnes visées à l ’ article 12 (par. 1) de la Convention contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite.

4.Mesures de prévention des disparitions forcées (art. 16 à 23)

Non-refoulement

38.Le Comité prend note des renseignements fournis par la délégation de l’État partie sur les mesures prises pour assurer le respect du principe de non-refoulement. Il regrette toutefois le manque de précision quant aux critères appliqués ou aux procédures suivies pour vérifier si une personne courrait le risque d’être soumise à une disparition forcée dans le pays de destination avant de l’expulser, de la refouler, de la remettre ou de l’extrader (art. 16).

39. Le Comit é recommande à l ’ État partie de garantir le strict respect, en toutes circonstances, du principe de non-refoulement consacré par l ’ article 16 (par. 1) de la Convention. En particulier, l ’ État partie devrait :

a) Envisager d ’ inscrire expressément dans la législation nationale l ’ interdiction d ’ expulser, de refouler, de remettre ou d ’ extrader une personne s ’ il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elle risque d ’ être victime d ’ une disparition forcée ;

b) Garantir qu ’ avant de procéder à une expulsion, à un refoulement, à une remise ou à une extradition, toutes les procédures pertinentes ont été épuisées et un examen individuel approfondi a été effectué afin de déterminer s ’ il existe des motifs sérieux de croire que la personne concernée risquerait d ’ être victime d ’ une disparition forcée et, si de tels motifs existent, que la personne concernée n ’ est pas expulsée, extradée, remise ou refoulée ;

c) Garantir en droit et dans la pratique l ’ effet suspensif des recours contre les décisions d ’ expulsion, de refoulement, de remise ou d ’ extradition.

Détention au secret et garanties juridiques fondamentales

40.Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles certaines personnes seraient placées illégalement dans des lieux non officiels de privation de liberté par les Forces armées maliennes ou par la Direction générale de la sécurité d’État, sans contact avec l’extérieur ni possibilité de consulter un avocat ou de communiquer avec les membres de leur famille. Il regrette également l’absence de clarté quant aux dispositions du droit interne établissant un recours spécifique, conformément à l’article 17 (par. 2 f)) de la Convention. Tout en prenant note des informations relatives aux registres de détention, le Comité s’inquiète des rapports faisant état de défaillances dans la tenue de registres des personnes privées de liberté (art. 17, 18, 19 et 20).

41. Le Comité recommande à l ’ État partie de garantir que nul ne soit détenu au secret, y compris en veillant à ce que toute personne privée de liberté jouisse de toutes les garanties fondamentales énoncées à l ’ article 17 de la Convention. En ce sens, l ’ État partie doit :

a) Assurer que les personnes privées de liberté soient uniquement placées dans des lieux de privation de liberté officiellement reconnus et contrôlés à toutes les étapes de la procédure ;

b) Garantir, d ès le début de sa privation de liberté , que toute personne, quelle que soit l ’ infraction dont elle est accusée, a un accès effectif à un avocat , et que ses proches, toute autre personne de son choix et, s ’ il s ’ agit d ’ un étranger, les autorités consulaires de son pays soient effectivement informés de sa privation de liberté et de son lieu de détention ;

c) Garantir à toute personne privée de liberté, y compris en garde à vue, et, en cas de soupçon de disparition forcée, la personne privée de liberté se trouvant dans l ’ incapacité de l ’ exercer elle-même, à toute personne ayant un intérêt légitime, le droit d ’ introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue à bref délai sur la légalité de la privation de liberté et ordonne la libération si cette privation de liberté est illégale ;

d) Consigner tous les cas de privation de liberté, sans exception, dans des registres officiels et/ou des dossiers tenus à jour et comportant au moins les informations requises à l ’ article 17 (par. 3) de la Convention ;

e) Sanctionner le non-respect de l ’ obligation d ’ enregistrer une privation de liberté, l ’ enregistrement d ’ informations incorrectes ou inexactes, le refus de fournir des informations sur une privation de liberté ou la fourniture d ’ informations inexactes.

Inspection des lieux de privation de liberté

42.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie sur les acteurs étatiques et non étatiques autorisés à visiter les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté. Toutefois, il regrette le manque d’informations sur le nombre de visites des lieux de détention officiels et leur fréquence. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles la Commission nationale des droits de l’homme, dans l’exécution de son mandat de mécanisme national de prévention de la torture, ne se voit pas toujours autorisée à accéder à tous les lieux de privation de liberté (art. 17).

43. Le Comité recommande à l ’ État partie de s ’ assurer que tous les acteurs autorisés aient un accès effectif à l ’ ensemble des lieux de privation de liberté, officiels ou non officiels. Il lui recommande en particulier de faire en sorte que la Commission nationale des droits de l’homme , en tant que mécanisme national de prévention de la torture , puisse remplir librement et sans entrave son mandat d ’ inspection.

Formation aux droits humains, en particulier aux dispositions de la Convention

44.Le Comité prend note des renseignements concernant la formation du personnel de la police et des agents pénitentiaires aux droits humains et aux normes régissant la privation de liberté. Il constate néanmoins que ces formations ne portent pas expressément sur la Convention (art. 23).

45. Le Comit é encourage l ’ État partie à s ’ assurer que les formations proposées au personnel militaire et civil chargé de l ’ application des lois, au personnel médical, aux agents de la fonction publique et aux autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde ou le traitement de toute personne privée de libert é , y compris les juges, procureurs et autres praticiens du droit de tous rangs, intègrent l ’ enseignement de la Convention, conformément à l’ article 23 de cette dernière .

5.Mesures de réparation (art. 24)

Droit à la vérité et à la réparation

46.Tout en saluant la tenue par la Commission vérité, justice et réconciliation d’une audition sur les disparitions forcées, le Comité regrette de n’avoir pas été informé du résultat de cette audition et des conclusions de la Commission à l’issue de son mandat. Le Comité constate avec inquiétude que le droit interne ne prévoit pas de système de réparation intégrale et ne reconnaît pas le droit de toute victime de savoir la vérité. Il regrette de n’avoir pas reçu d’informations plus précises sur la mise en œuvre des mesures prévues aux articles 28 à 32 de la loi d’entente nationale de 2019 (art. 24).

47. Le Comit é recommande à l ’ État partie de reconnaître dans la législation nationale le droit de savoir la vérité à l’égard des victimes de disparition forcée , et d ’ y inclure un système de réparation intégrale qui soit pleinement conforme aux dispositions de l ’ article 24 (par. 4 et 5) de la Convention et aux autres normes internationales en la matière , et assurant ainsi des garanties de non-répétition . Il lui recommande également de faire en sorte que ce système soit applicable même lorsqu ’ aucune procédure judiciaire n ’ a été engagée , et se fonde sur une approche différenciée qui tienne compte de la situation particulière de chaque victime, notamment le sexe, l’ orientation sexuelle, l’ identité de genre, l’ âge, l’ appartenance ethnique, la condition sociale et le handicap.

Situation des femmes membres de la famille d’un disparu

48.Le Comité rappelle les limitations subies par les femmes maliennes en matière d’héritage et d’accès aux prestations sociales, qui ont été signalées par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, et s’inquiète du potentiel impact négatif de ces limitations sur la pleine jouissance par les femmes des droits consacrés à l’article 24 de la Convention (art. 24).

49. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ assurer que toutes les femmes et filles membres des familles de personnes disparues puissent exercer sans restriction tous les droits consacrés par la Convention, y compris ceux qui figurent à l ’ article 24.

Situation juridique des personnes disparues dont le sort n’a pas été élucidé

50.Le Comité considère qu’un système de détermination de la situation juridique des personnes disparues dont le sort n’a pas été élucidé, tel que celui prévu par les articles 67, 68 et 76 à 83 du Code des personnes et de la famille, qui oblige à déclarer l’absence et éventuellement le décès de la personne disparue, ne tient pas suffisamment compte de la vulnérabilité sociale et économique que les disparitions forcées engendrent pour les familles des disparus (art. 24). Le Comité est préoccupé par le fait que de très longs délais doivent s’écouler avant que les proches puissent faire valoir leurs droits familiaux et patrimoniaux.

51. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures législatives nécessaires pour régler, conformément à l ’ article 24 (par. 6) de la Convention, la situation juridique des personnes disparues dont le sort n ’ a pas été élucidé ou dont on ignore où elles se trouvent, ainsi que celle de leurs proches, dans des domaines tels que la protection sociale, le droit de la famille et les droits de propriété, dans un délai raisonnable et sans qu’il soit nécessaire de déclarer la mort présumée de la personne disparue. À cet égard, le Comité encourage l ’ État partie à prévoir dans sa législation une déclaration d ’ absence pour disparition forcée qui soit conforme à la Convention .

Droit de former des organisations et des associations

52.Le Comité est préoccupé par l’information fournie par l’État partie selon laquelle il n’existerait pas d’associations de victimes de disparitions forcées dans le pays. Il note également avec inquiétude les préoccupations exprimées par l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali concernant le « rétrécissement continu de l’espace civique » et les informations selon lesquelles des membres de la société civile seraient victimes de disparitions forcées (art. 24).

53. Le Comité recommande à l ’ État partie de respecter et de promouvoir le droit de former des organisations et des associations ayant pour objet de contribuer à l ’ établissement des circonstances de disparitions forcées et du sort des personnes disparues ainsi qu ’ à l ’ assistance aux victimes de disparitions forcées, mais aussi de respecter et de garantir le droit de toute personne de participer librement à de telles organisations ou associations.

6.Mesures de protection des enfants contre les disparitions (art. 25)

Soustraction d’enfant

54.Le Comité regrette de n’avoir pas reçu de renseignements sur les mesures prévues en droit interne pour prévenir et réprimer les actes visés à l’article 25 (par. 1) de la Convention et pour rendre les enfants concernés à leur famille d’origine (art. 25).

55. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De revoir sa législation pénale en vue d ’ ériger en infractions distinctes les actes visés à l ’ article 25 (par. 1) de la Convention et de prévoir pour ces infractions des peines appropriées, qui tiennent compte de leur extrême gravité ;

b) De mettre en place des procédures spécifiques pour rendre à leur famille d ’ origine les mineurs visés à l ’ article 25 (par. 1 a)) de la Convention  ;

c) De fournir aux personnes concernées le soutien dont elles ont besoin pour déterminer leur identité et leur filiation ainsi que pour faire toute la lumière sur les circonstances dans lesquelles elles ont été adoptées , et de leur garantir un droit à réparation.

D.Diffusion et suivi

56. Le Comité tient à rappeler les obligations que les États ont contractées en devenant parties à la Convention et, à cet égard, engage l ’ État partie à veiller à ce que toutes les mesures qu ’ il adopte, quelles que soient leur nature et l ’ autorité dont elles émanent, soient pleinement conformes aux obligations qu ’ il a assumées en devenant partie à la Convention et à d ’ autres instruments internationaux pertinents.

57. Le Comité tient à souligner l ’ effet particulièrement cruel qu ’ ont les disparitions forcées sur les droits humains des femmes et des enfants qu ’ elles touchent. Les femmes soumises à une disparition forcée sont particulièrement vulnérables à la violence sexuelle et aux autres formes de violence fondée sur le genre. Les femmes parentes d ’ une personne disparue sont particulièrement susceptibles d ’ être gravement défavorisées sur les plans économique et social, et de subir des violences, des persécutions et des représailles du fait des efforts qu ’ elles déploient pour localiser leur proche. Les enfants victimes d ’ une disparition forcée, qu ’ ils y soient soumis eux-mêmes ou qu ’ ils subissent les conséquences de la disparition d ’ un membre de leur famille, sont particulièrement exposés à de nombreuses violations des droits humains , notamment la substitution d ’ identité. C ’ est pourquoi le Comité insiste particulièrement sur la nécessité, pour l ’ État partie, de suivre des approches qui tiennent compte des questions de genre et des besoins des enfants lorsqu ’ il met en œuvre les droits et obligations énoncés dans la Convention.

58. L ’ État partie est invité à diffuser largement la Convention, le rapport qu ’ il a soumis en application de l ’ article 29 (par. 1) , ses réponses écrites à la liste de points établie par le Comité et les présentes observations finales, en vue de sensibiliser les autorités judiciaires, législatives et administratives, la société civile, les organisations non gouvernementales actives dans le pays et le grand public. Le Comité encourage aussi l ’ État partie à promouvoir la participation de la société civile, en particulier les associations de familles de victimes, à l ’ action menée pour donner suite aux présentes observations finales.

59. En application de l ’ article 29 (par. 4) de la Convention, le Comité demande à l ’ État partie de lui soumettre, au plus tard le 23 septembre 2025 , des informations précises et à jour sur la mise en œuvre de toutes ses recommandations, ainsi que tout renseignement nouveau concernant l ’ exécution des obligations énoncées par la Convention, dans un document établi conformément aux prescriptions énoncées dans les d irectives concernant la forme et le contenu des rapports que les États parties doivent soumettre en application de l ’ article 29 de la Convention . Le Comité informe l ’ État partie qu’il souhaite procéder à l’examen de ce rapport en 2026, et l’ encourage à continuer de consulter la société civile, en particulier les associations de familles de victimes, dans le cadre de la compilation de ces informations.