Nations Unies

CRPD/C/25/D/44/2017

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

11 octobre 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 44/2017 * , * *

Communication présentée par :Magdolna Rékasi (représentée par un conseil, Hüttl Tivadar)

Victime(s) présumée(s) :L’auteure

État partie :Hongrie

Date de la communication :27 juillet 2017 (date de la lettre initiale)

Date des constatations :6 septembre 2021

Références :Décision prise en application de l’article 70 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 novembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Objet :Exercice de la capacité juridique en matière financière

Question(s) de procédure :Épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés

Question(s) de fond :Exercice de la capacité juridique

Article(s) de la Convention :3 et 12 (par. 3, 4 et 5)

Article(s) du Protocole facultatif :2 (al. d) et e))

1.L’auteure de la communication est Magdolna Rékasi, de nationalité hongroise, née le 20 décembre 1970. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 3 et 12 (par. 3, 4 et 5) de la Convention. Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention est entré en vigueur pour l’État partie le 3 mai 2008. L’auteure est représentée par un conseil.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure fait savoir qu’elle a un handicap psychosocial mineur. Le 29 janvier 2009, elle a été placée pour la première fois sous tutelle, en application de l’article 15 (par. 1) du Code civil (loi IV) de 1959, par le tribunal municipal de Jászberény, après qu’un diagnostic de schizophrénie a été posé. Selon la dernière expertise psychiatrique, obligatoire dans les procédures judiciaires de mise sous tutelle, elle présente des symptômes de désorientation délirante.

2.2En 2013, l’auteure a engagé une procédure de contrôle de la tutelle. Dans un jugement définitif du 16 juin 2014, le tribunal de district central de Pest a considéré qu’en raison de son état mental, l’auteure n’était pas en mesure de gérer ses affaires et devait donc être placée sous « tutelle générale » conformément à l’article 14 (par. 4) du Code civil de 1959. En 2015, l’auteure a demandé un nouveau contrôle judiciaire de son cas. Le 17 février 2016, le tribunal de district central de Pest a limité la tutelle aux questions liées aux soins de santé de l’auteure, conformément à l’article 2:19 (par. 2) du Code civil (loi V) de 2013.

2.3L’auteure explique que, jusqu’en 2016, elle n’avait pas la capacité juridique d’exercer ses droits sur ses actifs financiers, car la tutelle restreignant totalement sa capacité juridique. À l’issue de la procédure de contrôle, elle a retrouvé sa capacité juridique concernant ses finances. Le 20 juin 2016, sa tutrice a remis le rapport comptable final sur la gestion de ses finances. Il en ressortait que, le 22 mars 2012, la tutrice avait souscrit un contrat d’assurance‑vie au nom de l’auteure. L’autorité de tutelle de la ville d’Újszász avait approuvé le paiement des frais d’assurance neuf jours après la souscription du contrat. L’auteure explique que, comme l’atteste le document d’approbation, elle n’a pas été informée de l’existence du contrat d’assurance et n’a pas eu l’occasion d’exprimer son opinion ou sa préférence personnelle à ce sujet, la tutrice ne lui ayant jamais demandé son avis. Elle n’a jamais reçu de copie du contrat ou de la demande soumise par la tutrice, ni de la réponse positive de l’autorité de tutelle.

2.4Les frais d’assurance s’élevaient à environ 1 500 dollars des États-Unis. Le seul but du contrat d’assurance était de couvrir les frais funéraires en cas de décès de l’auteure. Le seul bénéficiaire était une société fournissant des services d’inhumation. Bien qu’en vertu du contrat, l’auteure ait le droit de racheter l’assurance, elle ne peut pas récupérer le montant total, ce qui représente une perte importante pour elle sachant qu’elle ne perçoit qu’une pension mensuelle de 203 dollars des États-Unis.

2.5L’auteure affirme n’avoir eu accès à aucun recours interne effectif puisqu’elle n’a été informée de l’existence du contrat d’assurance qu’a posteriori. Si elle avait été informée plus tôt, elle aurait pu contester la décision auprès de l’autorité de tutelle. Quand elle a eu connaissance de l’existence du contrat, elle a déposé une plainte écrite auprès de l’autorité de tutelle. Elle n’a toutefois reçu aucune réponse. Elle relève que, même si l’autorité de tutelle avait répondu à sa plainte, cela n’aurait pas suffi à faire modifier le contrat d’assurance-vie. Bien que l’auteure ait recouvré sa pleine capacité juridique en matière financière, cela ne change rien au fait que le contrat est valide et exécutoire.

2.6L’auteure fait savoir, sans donner de date précise, que son père a déposé devant le Commissaire aux droits fondamentaux une plainte dans laquelle il soulevait notamment la question de la souscription du contrat d’assurance-vie. Le Commissaire a été informé par l’autorité de tutelle que la souscription d’une assurance-vie était une mesure couramment adoptée par les tuteurs au nom de leurs clients. L’auteure fait observer que le nom de la compagnie d’assurances est automatiquement mentionné à la section 3 du formulaire utilisé pour l’établissement des rapports comptables relatifs à la gestion des finances par les tuteurs, ce qui prouve que ces polices d’assurance sont souscrites sans évaluation préalable des intérêts particuliers des personnes handicapées. Le Commissaire n’a constaté aucune violation des droits fondamentaux de l’auteure. L’auteure explique qu’en tout état de cause, le Commissaire n’aurait pu formuler que des recommandations de nature non contraignante à l’intention de l’autorité de tutelle.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie n’a pas adopté de mesures de nature à garantir de manière appropriée et effective l’exercice de sa capacité juridique en matière financière, ce qui constitue une violation des droits qu’elle tient des articles 3 et 12 (par. 4 et 5) de la Convention. Au moment de la souscription du contrat d’assurance-vie, l’auteure était âgée de 42 ans et en bonne santé. L’objectif de l’assurance-vie étant de couvrir les frais funéraires en cas de décès de l’auteure, la souscription du contrat était une décision financière inutile, prise par la tutrice et l’autorité de tutelle sans avoir consulté l’auteure. En conséquence, l’auteure a été privée de toute capacité de décision concernant ses finances. La décision a eu des répercussions considérables sur sa situation financière. L’auteure ne peut pas racheter le contrat sans subir un préjudice pécuniaire important. La structure contractuelle n’a clairement pas permis de respecter ses intérêts, sa volonté ou ses préférences.

3.2L’auteure fait valoir qu’en application de l’article 12 (par. 3) de la Convention, les États parties ont l’obligation de donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement nécessaire pour exercer leur capacité juridique. Les États parties doivent s’abstenir de refuser aux personnes handicapées le droit d’exercer leur capacité juridique et doivent, au contraire, leur donner accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour prendre des décisions ayant des effets juridiques. Les mesures d’accompagnement visant à faciliter l’exercice de la capacité juridique doivent respecter les droits, la volonté et les préférences des personnes handicapées et ne doivent jamais relever de la prise de décisions substitutive.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 15 janvier 2018, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication. Il affirme que la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Il fait observer qu’en vertu de la législation nationale, l’auteure aurait pu faire valoir ses griefs à l’encontre de son ancienne tutrice dans le cadre d’une action civile, à condition de respecter le délai de prescription d’un an.

4.2L’État partie explique que, dans sa décision du 17 février 2016, par laquelle il autorisait l’auteure à gérer elle-même ses actifs, le tribunal de district central de Pest a ordonné que la totalité des actifs gérés par la tutrice soient transférés à l’auteure. Dans sa décision, il a informé la tutrice, dont la mission de tutelle avait pris fin, des règles applicables à la comptabilité finale. Il a également informé l’auteure qu’elle pouvait saisir la justice de tout grief éventuel à l’encontre de la tutrice professionnelle. Il a en outre souligné que le délai de prescription pour de telles demandes était d’un an, sauf si la partie concernée ne prenait connaissance des motifs qui sous-tendaient sa demande qu’à une date postérieure. En pareil cas, le délai court à partir de cette date, à condition que la période pendant laquelle le recours reste exécutoire n’ait pas expiré. Si le contrat d’assurance-vie a été dûment souscrit, il peut être résilié dans les mêmes conditions que si l’auteure avait eu la capacité juridique au moment de sa souscription. Il est du ressort d’un tribunal hongrois d’évaluer si le contrat a été dûment souscrit. Il est également du ressort d’une juridiction compétente de contrôler si l’autorité de tutelle a agi de manière appropriée lorsqu’elle a autorisé la tutrice à souscrire un contrat d’assurance-vie.

4.3L’État partie fait valoir que l’ancienne tutrice a remis son rapport comptable final à l’auteure le 20 juin 2016 et à l’autorité de tutelle le 27 juin 2016. Selon une déclaration que l’ancienne tutrice a faite le 13 décembre 2017, l’auteure n’a pas intenté d’action en justice pour contester les décisions comptables la concernant, alors que la loi prévoyait un tel recours ; elle n’a donc pas épuisé les recours internes qui étaient effectifs et disponibles non seulement en théorie, mais aussi en pratique. L’auteure s’est contentée de déposer plainte auprès du Commissaire aux droits fondamentaux en vue d’obtenir une protection juridique. Or, la saisie de cette institution juridique ne constitue pas un recours interne effectif, puisque le Commissaire ne peut pas prendre de décisions juridiquement contraignantes.

4.4Par sa décision du 29 janvier 2009, devenue exécutoire le 7 mars 2009, le tribunal municipal de Jászberény avait placé l’auteure sous tutelle, restreignant totalement sa capacité d’agir, et établi, dans le même temps, que le réexamen obligatoire du placement sous tutelle aurait lieu au plus tard dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le jugement aurait force contraignante. Il avait fondé sa décision sur l’avis de l’expert psychiatre, selon lequel la schizophrénie paranoïde dont l’auteure souffrait depuis plusieurs années avait gravement altéré sa personnalité, la privant de ses facultés de jugement critique. L’auteure exprimait ses émotions de manière incongrue, elle était indifférente aux problèmes de la vie quotidienne et son état de santé ne lui permettait pas de mener une vie indépendante.

4.5En janvier 2012, avant la date limite de réexamen de son placement sous tutelle, l’auteure a demandé qu’il soit mis fin à sa tutelle. À l’issue d’une procédure judiciaire, le tribunal de district central de Pest a mis fin, par une décision rendue le 31 mai 2013, à la tutelle dans le cadre de laquelle la capacité d’agir de l’auteure était totalement restreinte et a ordonné la mise en place d’un autre régime de tutelle, qui restreignait sa capacité d’agir dans les domaines de portée générale, étant donné que la capacité de compréhension de l’auteure, nécessaire à la gestion de ses affaires, avait été durablement et gravement altérée. Selon l’avis de l’expert psychiatre, l’auteure souffrait toujours de schizophrénie paranoïde. Aucune pathologie aiguë ne pouvait être décelée sur le plan cognitif, mais les caractéristiques perturbantes de son trouble sous-jacent pouvaient être observées dans sa personnalité. Sa maladie avait entraîné une grave altération de ses facultés de jugement critique. Elle ne pouvait pas mobiliser utilement ses compétences pratiques et formulait des projets d’avenir irréalistes. Elle ne pouvait pas mener une vie indépendante, car sa capacité de compréhension, qui était nécessaire à la gestion de ses affaires quotidiennes, avait été altérée de manière persistante et substantielle. Il avait été décidé que le prochain réexamen de son placement sous tutelle avec restriction de la capacité d’agir aurait lieu cinq ans plus tard à compter de la date à laquelle le tribunal avait rendu sa décision.

4.6En 2015, l’auteure a demandé qu’il soit mis fin à son placement sous tutelle. Par sa décision du 17 février 2016, devenue exécutoire le 22 mars 2016, le tribunal de district central de Pest a levé la mesure de tutelle avec restriction de la capacité d’agir dans les domaines de portée générale et ordonné la mise en place d’un régime de tutelle limitant la restriction de la capacité d’agir aux seules questions liées à l’exercice des droits concernant les soins de santé. Dans tous les autres domaines, l’auteure a retrouvé sa pleine capacité d’agir. Le tribunal a décidé que le prochain réexamen de son placement sous tutelle aurait lieu deux ans plus tard. Selon l’avis de l’expert psychiatre chargé du dossier, l’auteure présentait un trouble psychiatrique caractérisé par des références pathologiques et des pensées pathologiques, c’est-à-dire un trouble délirant. Toutefois, ses facultés de pensée critique et de jugement étaient préservées, elle ne présentait plus de symptômes psychiatriques aigus depuis un certain temps, et sa capacité de consentement, nécessaire à la gestion de ses affaires quotidiennes, ne semblait avoir été durablement et gravement altérée que dans un domaine très précis, à savoir les soins de santé.

4.7L’État partie affirme que la tutelle a contribué à l’amélioration de l’état de santé de l’auteure. En raison d’un manque de soins de la part de ses proches, ses relations familiales étant détériorées ou très conflictuelles, sa tutrice avait fait en sorte qu’elle soit placée en institution d’accueil. Grâce à une prise en charge adéquate et professionnelle, l’auteure, qui ignorait jusque-là souffrir d’un trouble, a pu retrouver sa capacité de compréhension. L’État partie explique que, selon le droit interne, seuls les adultes qui, en raison de leur état psychologique ou d’une déficience mentale, sont dépourvus de manière persistante et totale de la capacité de compréhension nécessaire à la gestion de leurs affaires quotidiennes, peuvent être placés sous tutelle. Il est obligatoire de réexaminer le placement sous tutelle. L’État partie affirme que cette garantie législative a été pleinement respectée dans le cas de l’auteure.

4.8L’État partie explique que le Code civil de 1959 prévoyait trois mesures judiciaires de restriction de la capacité : la tutelle restreignant totalement la capacité d’agir, la tutelle restreignant la capacité d’agir dans les domaines de portée générale et la tutelle restreignant la capacité d’agir dans certains domaines seulement. Il affirme que, puisque l’auteure était sous le régime de tutelle restreignant totalement sa capacité d’agir, sa tutrice était autorisée à souscrire un contrat d’assurance-vie en son nom. Il précise que la tutrice était également tenue d’obtenir l’approbation de l’autorité de tutelle pour souscrire le contrat, ce qu’elle a fait. L’actuel Code civil, comme l’ancien, prévoit que, avant de prendre une décision, le tuteur doit entendre les souhaits et les demandes de la personne sous tutelle si celle-ci est capable d’exprimer une opinion, et en tenir compte autant que possible. Une autre garantie importante est que la gestion des actifs doit avoir pour objet le bien-être de la personne sous tutelle. Le tuteur doit prendre en considération les souhaits de la personne sous tutelle et satisfaire tous ses besoins légitimes dans la mesure du possible, en fonction de l’état des actifs.

4.9L’État partie fait savoir que, pendant la période où l’auteure était sous tutelle avec restriction totale de la capacité d’agir, l’autorité de tutelle lui avait attribué successivement un certain nombre de tuteurs professionnels. À chaque fois qu’un nouveau tuteur devait être trouvé, l’autorité de tutelle a cherché à savoir si l’auteure pouvait désigner elle-même une personne susceptible de jouer le rôle de tuteur et si l’un quelconque de ses proches accepterait d’assumer cette fonction et était apte à le faire. Aucun proche n’a accepté d’être le tuteur de l’auteure et, à l’issue d’une procédure de vérification, il a été conclu que la personne désignée par l’auteure, à savoir son partenaire de vie, n’était pas apte à assumer cette tâche. L’auteure percevait un revenu régulier grâce à l’intervention de sa tutrice. En outre, elle a accumulé une somme importante d’argent en raison du versement rétroactif d’allocations, somme qui a été placée sur un compte de dépôt de l’autorité de tutelle avec accès restreint. La tutrice a agi avec la diligence requise dans sa gestion des revenus de l’auteure, qu’elle a toujours transférés sur le compte de dépôt enregistré au nom de l’auteure après avoir déduit les dépensées liées à ses soins et les dépenses de subsistance prévues. L’institution financière était autorisée à effectuer des transactions à la demande de la tutrice et avec le consentement de l’autorité de tutelle.

4.10L’État partie affirme que, par une décision datée du 22 mars 2012, devenue exécutoire le même jour, l’autorité de tutelle a approuvé un versement unique d’une somme d’environ 1 500 dollars des États-Unis, prélevée sur le compte de l’auteure, à une compagnie d’assurances pour la souscription d’une assurance-vie, qui couvrirait les coûts de l’organisation de funérailles décentes à la mort de l’auteure.

4.11L’État partie explique que, pendant la procédure, la situation de l’auteure n’a pas permis à sa tutrice et à l’autorité de tutelle de recueillir son avis. S’il avait été possible de demander l’avis de l’auteure, l’autorité de tutelle aurait eu l’obligation d’en tenir compte selon le règlement en vigueur.

4.12En 2014, l’auteure a déposé plainte auprès du Bureau du Commissaire aux droits fondamentaux concernant son assurance-vie. Dans une lettre datée du 18 septembre 2014, le Commissaire a informé le Bureau des affaires sociales et des questions de tutelle relevant des autorités du comté de Jász-Nagykun-Szolnok qu’au cours de l’examen de la plainte, il avait constaté que la tutrice professionnelle désignée maintenait un contact régulier avec l’auteure, dont elle avait la charge, et qu’elle assurait une permanence tous les lundis à l’institution sociale d’accueil où l’auteure résidait. En raison de problèmes familiaux complexes, les proches de l’auteure n’avaient pas accepté de prévoir des funérailles décentes en cas de décès de celle-ci. En pareille situation, la souscription d’un contrat d’assurance-vie, qui permettait de couvrir les frais funéraires en cas de décès de la personne handicapée, était une pratique bien établie. Étant donné que la vie de famille de l’auteure était marquée par de nombreux conflits, qui se sont aggravés et ont abouti à des violences physiques nécessitant l’intervention de la police, tant la tutrice que l’autorité de tutelle ont estimé qu’un tel contrat d’assurance servirait les intérêts de l’auteure. Par conséquent, le Commissaire aux droits fondamentaux a conclu, sur la base des documents disponibles, que la mesure prise par la tutrice n’avait entraîné aucune violation des droits fondamentaux de l’auteure. Il a donc mis fin à la procédure.

4.13L’État partie conclut que, dans la gestion des biens de l’auteure, la tutrice désignée avait pleinement tenu compte des intérêts de l’auteure. Indépendamment de cette conclusion, l’auteure n’avait pas épuisé les recours effectifs disponibles et sa plainte devait donc être rejetée.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 14 mars 2018, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle ne conteste pas que l’article 2:37 du Code civil de 2013 prévoit une procédure selon laquelle un ancien tuteur peut être poursuivi s’il présente un rapport comptable incorrect. Elle fait valoir qu’il ne s’agit pas d’un recours effectif dans son cas, puisque cette procédure vise à remédier à des irrégularités ou omissions dans la présentation d’un rapport comptable par le tuteur ou à un préjudice financier résultant d’un acte illégal du tuteur.

5.2L’auteure fait observer qu’en l’espèce, elle ne prétend pas que le rapport comptable était frauduleux et ne conteste pas la légalité du contrat d’assurance. Elle affirme que, le contrat d’assurance étant licite au regard du droit contractuel, il aurait été inutile d’engager une action en justice contre sa tutrice. Elle fait valoir que le recours interne dont l’État partie fait mention est inefficace, car il ne pourrait pas remédier au fait qu’elle n’a pas été consultée au cours du processus décisionnel qui a eu lieu en 2012, d’autant plus qu’elle n’a été informée de l’existence du contrat qu’en 2016.

5.3L’auteure conteste essentiellement la procédure selon laquelle le contrat d’assurance a été souscrit, puisque sa volonté et ses préférences ont été complètement négligées, ce qui constitue une violation de l’article 12 (par. 4) de la Convention, et que, par conséquent, elle n’a pas pu contrôler la gestion de ses affaires financières, ni même donner son avis sur la question, ce qui constitue une violation de l’article 12 (par. 5) de la Convention. La procédure suivie par la tutrice et l’autorité n’allait pas dans le sens de l’approche préconisée dans la Convention, en particulier à l’article 12 (par. 3), selon lequel l’État partie doit donner aux personnes handicapées l’accompagnement dont elles ont besoin pour exercer leur capacité juridique. La participation de l’auteure à la prise de décisions aurait dû être obligatoire en vertu de l’article 12 de la Convention puisque cette obligation subsiste même si la capacité juridique de la personne intéressée est restreinte en application de la législation nationale. La loi en vertu de laquelle la capacité juridique de l’auteure avait été restreinte était clairement contraire à l’article 12 de la Convention.

5.4En ce qui concerne les deux arguments de l’État partie selon lesquels la simple existence d’une tutelle empêchait la tutrice et l’autorité de tutelle d’obtenir l’avis de l’auteure, et la souscription du contrat d’assurance se justifiait puisque la vie familiale de l’auteure était très conflictuelle, l’auteure fait observer que l’autorité de tutelle n’a avancé ni l’un ni l’autre de ces arguments dans le document d’approbation du contrat. Elle souligne également que l’État partie ne conteste pas le fait que l’obligation de l’associer à la prise de décisions n’avait pas du tout été respectée. Il aurait dû être du devoir des autorités de prendre des mesures positives pour garantir la participation de l’auteure, en veillant à ce qu’elle soit informée et incluse dans la prise de décisions.

5.5L’auteure renvoie au paragraphe 17 de l’observation générale no 1 (2014) du Comité, selon lequel l’accompagnement des personnes handicapées dans l’exercice de leur capacité juridique peut également comprendre des mesures relatives à la conception universelle et à l’accessibilité afin de permettre aux personnes handicapées d’accomplir les actes juridiques nécessaires pour ouvrir un compte bancaire, souscrire des contrats ou effectuer d’autres actes de la vie sociale. Un tel accompagnement ne lui a jamais été offert.

5.6L’auteure renvoie également aux observations finales concernant le rapport périodique initial de l’État partie, dans lesquelles le Comité a recommandé à l’État partie de profiter de la révision en cours de son code civil et des lois connexes pour prendre des mesures immédiates visant à limiter la portée du régime de tutelle et ainsi passer d’une prise de décisions substitutive à une prise de décisions accompagnée, qui respectait l’autonomie de la personne ainsi que sa volonté et ses préférences, et était pleinement conforme à l’article 12 de la Convention, notamment eu égard au droit de chacun à titre individuel de donner et de retirer son consentement éclairé à recevoir un traitement médical, d’accéder à la justice, de voter, de se marier, de travailler et de choisir son lieu de résidence. L’auteure fait valoir que l’État partie n’a pas encore pris de telles mesures pour passer d’une prise de décisions substitutive à une prise de décisions accompagnée. Dans son cas, « son autodétermination » a été complètement substituée par la décision de sa tutrice et de l’autorité de tutelle.

5.7Enfin, l’auteure renvoie à la liste de points établie avant la soumission du rapport de l’État partie valant deuxième et troisième rapports périodiques, dans laquelle le Comité a demandé à l’État partie de préciser les mesures prises pour abolir tous les régimes de tutelle et de prise de décisions substitutive et de les remplacer intégralement par une prise de décisions accompagnée, conformément à la Convention et à l’observation générale no 1, et d’informer le Comité des moyens par lesquels le choix, la volonté et les préférences de l’intéressé étaient respectés lorsqu’on lui fournissait une aide à la prise de décisions.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 12 septembre 2018, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication. Il fait savoir qu’il maintient sa position telle que détaillée dans ses observations précédentes.

6.2L’État partie considère que l’auteure ne conteste pas l’adéquation de la réglementation applicable dans l’État partie, mais se plaint plutôt de n’avoir pas été informée des décisions prises dans ce cas particulier. Il a donc présenté au Comité une déclaration de la tutrice, datée du 11 septembre 2018, en vue d’étayer sa position selon laquelle la tutrice avait agi avec une diligence raisonnable tout au long de son mandat. Il demande au Comité de prendre en considération cette déclaration, dans laquelle la tutrice fait valoir que, tous les lundis après‑midi, elle assurait des heures de permanence dans l’établissement où l’auteure résidait. Pendant ces heures de permanence, l’auteure ne lui a jamais rendu visite de son propre chef. La tutrice a rendu visite à l’auteure à plusieurs reprises. Cependant, l’obtention de son avis sur des questions financières semblait impossible, car l’auteure « la repoussait et refusait de quitter son lit ». La tutrice a indiqué qu’elle avait consulté régulièrement le personnel médical et maintenu avec lui un contact étroit. Elle soutenait que la nécessité de l’assurance-vie était suffisamment motivée, étant donné que les proches de l’auteure avaient refusé de prévoir des funérailles décentes pour elle, que le dossier de l’auteure contenait des signalements de violences domestiques qui avaient nécessité l’intervention de la police et que l’auteure avait admis que sa situation familiale avait aggravé son état de santé. Elle a conclu qu’au moment de la souscription du contrat d’assurance-vie, l’auteure n’était pas en mesure d’exprimer son opinion en raison de son état, et que les membres de sa famille n’avaient jamais demandé d’informations sur les affaires de l’auteure.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 8 mai 2019, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond. Elle a souligné que l’État partie n’avait plus contesté la recevabilité de la plainte.

7.2L’auteure réaffirme que l’État partie n’a pas pris toutes les mesures appropriées et efficaces pour faire en sorte que ses intérêts soient pris en considération en ce qui concernait ses finances, en violation des articles 3 et 12 (par. 4 et 5) de la Convention.

7.3L’auteure conteste la déclaration de la tutrice. Elle nie que la tutrice ait tenté de lui demander son avis au sujet de la souscription du contrat d’assurance. En atteste le fait que ni la tutrice ni l’autorité de tutelle ne lui ont remis une copie du cautionnement et du contrat d’assurance avant la fin de la tutelle. L’auteure conteste également l’affirmation selon laquelle elle était incapable d’exprimer son opinion en raison de son état. Au moment de la signature du contrat d’assurance-vie, elle avait 42 ans et elle était, et est toujours, en bonne santé. Elle déclare que la souscription de cette assurance destinée à couvrir les dépenses liées à ses funérailles était par conséquent une décision financière irresponsable et contraire à ses intérêts. Selon elle, il relève du bon sens que les personnes pour lesquelles il pourrait être nécessaire de prévoir les moyens de couvrir les frais funéraires en cas de décès sont les personnes âgées sans famille ou les personnes atteintes de maladies physiques graves ou mortelles. De l’avis de l’auteure, l’État partie n’a pas démontré que la souscription du contrat était une décision raisonnable au regard de sa situation personnelle. Le caractère irrationnel et inutile de la lourde charge financière contractée par la tutrice constitue un abus de pouvoir, que l’État partie n’a pas su prévenir.

7.4L’auteure affirme qu’en supposant, sans le concéder, qu’elle n’était pas en mesure d’exprimer son opinion sur des décisions financières graves concernant la très grande majorité de ses économies, la tutrice et l’autorité de tutelle auraient dû attendre que son état s’améliore. L’État partie n’a pas avancé d’arguments suffisants pour démontrer qu’il a pris toutes les mesures appropriées et effectives pour garantir le droit de l’auteure de contrôler ses finances.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Le 29 juillet 2019, l’État partie a soumis des observations complémentaires. Il affirme une nouvelle fois que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes. Si le contrat d’assurance‑vie a été dûment souscrit, il peut être résilié dans les mêmes conditions que si l’auteure avait eu la capacité juridique au moment de sa souscription. L’État partie réaffirme qu’il est du ressort d’une juridiction compétente de contrôler si l’autorité de tutelle a agi de manière appropriée lorsqu’elle a autorisé la tutrice à souscrire un contrat d’assurance-vie.

8.2L’État partie réaffirme également que la tutrice a contribué à améliorer l’état de santé de l’auteure en la plaçant dans une institution d’accueil où des soins appropriés et professionnels lui ont été dispensés et lui ont permis retrouver sa capacité de compréhension.

8.3L’État partie réaffirme en outre que, pendant la procédure de souscription du contrat d’assurance-vie, la tutrice n’a pas été en mesure de recueillir l’avis de l’auteure puisque celle‑ci était placée sous tutelle avec restriction totale de sa capacité d’agir.

8.4L’État partie conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes et qu’en tout état de cause, la tutrice désignée a pleinement tenu compte des intérêts de l’auteure dans la gestion de ses biens.

Commentaires de l’auteure sur les observations complémentaires de l’État partie

9.1Le 18 novembre 2019, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Elle réaffirme que les recours internes ont été épuisés, car la procédure prévue à l’article 2:37 (par. 4 et 5) du Code civil et mentionnée par l’État partie n’est pas un recours utile. En effet, cette procédure ne concerne que les demandes découlant d’irrégularités ou d’omissions dans la présentation de rapports comptables, et n’était donc pas utile en l’espèce. Aucun recours interne n’était disponible pour contester le fait que sa volonté et ses préférences avaient été complètement négligées et que, par conséquent, elle n’avait pas pu contrôler la gestion de ses finances ni même donner son avis sur la question.

9.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’assurance-vie destinée à couvrir les frais funéraires en cas de décès a contribué à améliorer son état, l’auteure conteste cette affirmation, qui est manifestement mal fondée. Elle affirme qu’il est impossible d’établir un lien direct entre l’amélioration de son état de santé mentale, dégradé par un trouble psychiatrique, et l’existence d’un contrat d’assurance-vie. Elle fait valoir que l’impossibilité d’établir un tel lien, en plus de relever de la « rationalité générale », est démontrée par le fait que l’auteure n’avait même pas connaissance du contrat avant que sa tutrice présente le rapport comptable final sur la gestion de ses finances.

9.3L’auteure ne conteste pas l’argument de l’État partie selon lequel l’activité de la tutrice a, d’une manière générale, contribué à son bien-être. Toutefois, elle fait observer que sa plainte ne porte pas sur l’évaluation globale de la tutelle, mais sur l’absence de consultation concernant le contrat d’assurance-vie. Elle répète que les frais d’assurance-vie représentaient une part importante de ses économies.

9.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel elle n’a pas été consultée en raison de son état de santé, l’auteure affirme que cela n’est étayé par aucun rapport médical. Le simple fait qu’elle ait été placée sous tutelle ne suffit pas à étayer cet argument. L’auteure fait valoir que son état de santé était satisfaisant grâce au traitement qu’elle recevait. Son droit d’être consultée au sujet des décisions financières importantes la concernant ne devrait pas dépendre de son état de santé, puisqu’il n’existe aucune disposition en ce sens dans la Convention ou dans le Code civil.

9.5L’auteure ne conteste par l’argument de l’État partie selon lequel la souscription d’un contrat d’assurance-vie est une pratique bien établie et couramment suivie par l’autorité de tutelle pour garantir la couverture des frais funéraires d’une personne handicapée. Toutefois, selon elle, cela ne signifie pas qu’il n’était pas nécessaire de la consulter. Elle rappelle qu’elle n’avait que 42 ans au moment de la souscription du contrat et que la tutelle était sous contrôle judiciaire en 2012. Elle doute que beaucoup de personnes de cet âge, avec des moyens financiers similaires, aient souscrit une telle assurance. Elle souligne également que la tutelle est limitée dans le temps, et que l’hypothèse de départ devait donc être qu’elle retrouverait sa pleine capacité. Elle affirme que la souscription d’une assurance-vie couvrant les frais funéraires ne peut être considérée comme une décision bien raisonnée et servant l’intérêt d’une personne handicapée à moins que celle-ci ne soit en phase terminale d’une maladie ou âgée.

9.6L’auteure conclut que l’État partie ne conteste pas l’argument central de sa plainte, à savoir l’absence de consultation. Elle rappelle que l’article 12 (par. 4 et 5) de la Convention et le Code civil obligent les autorités à mener des consultations afin de prévenir tout abus s’agissant des intérêts financiers de la personne handicapée. La décision a été prise sans tenir compte de sa volonté et de ses préférences et l’assurance-vie n’a pas servi son bien-être.

B.Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif, qu’il n’avait pas déjà examiné la même question et que la question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, puisqu’il appartenait à un tribunal compétent de l’État partie d’examiner si l’autorité de tutelle avait agi correctement dans la souscription du contrat d’assurance-vie lorsqu’elle avait autorisé la tutrice à souscrire le contrat au nom de l’auteure. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure aurait pu engager une action civile contre son ancienne tutrice, dans le délai de prescription d’un an, ce qu’elle n’a pas fait. Toutefois, le Comité prend également note des arguments de l’auteure, que l’État partie n’a pas contesté, selon lesquels : a) conformément au droit interne, les tuteurs ne peuvent être poursuivis qu’en cas d’irrégularités ou d’omissions dans la présentation de rapports comptables ou en cas de préjudice financier résultant d’un acte illégal du tuteur ; b) dans son cas, ce recours n’était pas utile, puisqu’elle ne prétend pas que les agissements de la tutrice étaient frauduleux et ne conteste pas la légalité du contrat d’assurance ; c) aucune voie de recours interne ne lui permettait de faire valoir qu’elle n’avait pas été consultée et que sa volonté et ses préférences n’avaient pas été prises en considération au moment de la souscription du contrat d’assurance-vie. Le Comité constate en outre que l’État partie n’a pas précisé lequel des recours internes l’auteure aurait pu former pour exposer ses griefs. Compte tenu de ce qui précède, il considère qu’aucun recours effectif n’était à la disposition de l’auteure et que ses griefs relatifs à l’article 12 (par. 3, 4 et 5) de la Convention sont recevables au regard de l’article 2 (al. d)) du Protocole facultatif.

10.4En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire de l’article 3 de la Convention, le Comité rappelle que, compte tenu de son caractère général, cet article ne peut pas, en principe, faire l’objet de griefs distincts et ne peut être invoqué que conjointement avec d’autres droits garantis par la Convention. En l’espèce, il constate que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses griefs au titre de l’article 3 de la Convention et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 (al. e)) du Protocole facultatif.

10.5Par conséquent, et en l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable en ce qui concerne les griefs que l’auteure tire de l’article 12 (par. 3, 4 et 5) de la Convention, et passe à son examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 73 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

11.2En l’espèce, la question que le Comité est appelé à trancher est celle de savoir si la décision par laquelle l’autorité de tutelle a autorisé la tutrice de l’auteure à souscrire un contrat d’assurance-vie au nom de celle-ci constitue une violation des droits que l’auteure tient de l’article 12 (par. 3, 4 et 5) de la Convention. Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles elle n’a pas été consultée avant la souscription du contrat d’assurance-vie et que sa volonté et ses préférences n’ont pas été prises en considération.

11.3Le Comité prend note de l’explication de l’État partie selon laquelle, en raison de l’existence de la tutelle restreignant totalement la capacité d’agir de l’auteure et de son état au moment de la souscription du contrat, il n’était pas possible de lui demander son avis. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la nécessité de souscrire le contrat d’assurance-vie au nom de l’auteure s’expliquait par la situation familiale conflictuelle de l’auteure, d’une part, et par le fait que ses proches n’avaient pas accepté d’organiser des funérailles décentes pour elle, d’autre part. Toutefois, il prend également note de l’argument de l’auteure selon lequel le document par lequel l’autorité de tutelle a approuvé la souscription du contrat ne contient aucune mention de ces raisons.

11.4Le Comité constate également que, au moment de la souscription du contrat, l’auteure n’avait que 42 ans, était en bonne santé et ne courait aucun risque immédiat de décès. Il constate en outre que l’état de l’auteure s’est beaucoup amélioré grâce au traitement reçu. Il prend note de la déclaration de l’auteure selon laquelle la souscription du contrat d’assurance, dont le seul but était de couvrir les dépenses liées à ses funérailles, était à son avis une décision financière irresponsable et contraire à ses intérêts. Il constate que, bien qu’en vertu du contrat l’auteure ait le droit de racheter l’assurance, elle ne peut pas récupérer le montant total, ce qui représente une perte importante pour l’auteure, qui ne perçoit qu’une pension mensuelle de 203 dollars. À cet égard, il observe que l’État partie n’a pas expliqué en quoi il était urgent ou nécessaire de souscrire le contrat d’assurance-vie au nom de l’auteure, compte tenu de toutes ces circonstances.

11.5Le Comité rappelle qu’en application de l’article 12 de la Convention, les États parties ont l’obligation de reconnaître que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres. Aux termes de l’article 12 (par. 4), les États parties font en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus, conformément au droit international des droits de l’homme. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêts et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe compétent, indépendant et impartial ou une instance judiciaire. Le Comité rappelle également que, conformément à l’article 12 (par. 5) de la Convention, les États parties sont également tenus de prendre toutes mesures appropriées et effectives pour garantir le droit qu’ont les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, de contrôler leurs finances.

11.6Le Comité rappelle également que, conformément au paragraphe 21 de son observation générale no 1, lorsque, en dépit d’efforts significatifs à cette fin, il n’est pas possible de déterminer la volonté et les préférences d’un individu, l’« interprétation optimale de la volonté et des préférences » doit remplacer la notion d’« intérêt supérieur ». On respecte ainsi les droits, la volonté et les préférences de l’individu, conformément à l’article 12 (par. 4) de la Convention. Le principe de l’« intérêt supérieur » n’est pas une garantie conforme à l’article 12 s’agissant d’adultes. Le paradigme « de la volonté et des préférences » doit remplacer le paradigme de « l’intérêt supérieur » pour que les personnes handicapées jouissent de leur droit à la capacité juridique à égalité avec les autres. À cet égard, le Comité constate que l’État partie n’a pas démontré qu’il avait fait des efforts significatifs pour déterminer la volonté et les préférences de l’auteure ou avait respecté le principe de l’interprétation optimale de la volonté et des préférences.

11.7Le Comité prend note également de l’argument de l’auteure selon lequel l’autorité de tutelle et la tutrice n’ont pas non plus respecté l’article 12 (par. 3) de la Convention, qui dispose que les États parties sont tenus de donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique. Il est d’avis que, si les États parties ont une certaine marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de déterminer les aménagements procéduraux à mettre en place pour permettre aux personnes handicapées d’exercer leur capacité juridique, ils sont néanmoins tenus de respecter les garanties procédurales et les droits de l’intéressé. À cet égard, il rappelle que, dans ses observations finales concernant le rapport périodique initial de l’État partie, il a recommandé à l’État partie de profiter de la révision en cours de son Code civil et des lois connexes pour prendre des mesures immédiates visant à limiter la portée du régime de tutelle et ainsi passer d’une prise de décisions substitutive à une prise de décisions accompagnée, qui respectait l’autonomie de la personne ainsi que sa volonté et ses préférences, et était pleinement conforme à l’article 12 de la Convention, notamment eu égard au droit de chacun à titre individuel de donner et de retirer son consentement éclairé à recevoir un traitement médical, d’accéder à la justice, de voter, de se marier, de travailler et de choisir son lieu de résidence. Dans le cas de l’auteure, il constate que, sa capacité d’agir étant totalement restreinte au moment de la souscription du contrat, elle n’a eu aucune possibilité d’exercer ses droits relatifs à ses finances et n’a eu accès ni à l’accompagnement ni aux aménagements nécessaires à cet effet.

11.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la décision de l’autorité de tutelle d’autoriser la tutrice de l’auteure à souscrire un contrat d’assurance-vie au nom de l’auteure, sans avoir fait d’efforts significatifs pour déterminer sa volonté ou ses préférences ni pour appliquer le principe de l’« interprétation optimale » de la volonté et des préférences, constitue une violation des droits que l’auteure tient de l’article 12 (par. 3, 4 et 5) de la Convention.

C.Conclusion et recommandations

12.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 12 (par. 3, 4 et 5) de la Convention. En conséquence, il adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissant de l’auteure, l’État partie a pour obligation :

i)De lui fournir un recours effectif, notamment de l’aider à racheter le contrat d’assurance-vie si elle le souhaite, et de l’indemniser du préjudice pécuniaire subi, de manière à garantir la pleine restitution des sommes engagées, y compris les frais de justice liés à la soumission de la présente communication, ainsi qu’une indemnisation pour la violation des droits qu’elle tient de la Convention ;

ii)De rendre publiques les présentes constatations et de les diffuser largement, sous des formes accessibles, auprès de tous les secteurs de la population ;

b)De façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent, à savoir :

i)Prendre immédiatement des mesures pour déroger à la tutelle, notamment en abrogeant les dispositions pertinentes du Code civil, afin de passer d’une prise de décisions substitutive à une prise de décisions accompagnée, qui respecte l’autonomie, la volonté et les préférences de la personne, en pleine conformité avec l’article 12 de la Convention, y compris en ce qui concerne le droit de la personne de contrôler elle-même ses finances ;

ii)Veiller à ce qu’une formation appropriée et régulière sur la reconnaissance de la capacité juridique des personnes handicapées et sur les mécanismes de prise de décisions accompagnée soit dispensée, en concertation et en collaboration avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent, à tous les acteurs concernés, y compris les agents de la fonction publique, les juges et les travailleurs sociaux, aux niveaux national, régional et local.

13.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité.