Nations Unies

CAT/C/61/D/720/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 septembre 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention concernant la communication no 720/2015 * , **

Communication présentée par :

S. S. (représenté par un conseil, M. John Sweeney)

Au nom de :

S. S.

État partie :

Australie

Date de la requête :

4 décembre 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

9 août 2017

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka ; risque de torture

Questions de procédure :

Non‑refoulement

Questions de fond :

Recevabilité − requête manifestement dénuée de fondement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est S.S., Sri‑lankais né en 1984, actuellement sous le coup d’une mesure d’expulsion vers SriLanka à la suite du rejet de sa demande de statut de réfugié en Australie. Il affirme que les droits qu’il tient de l’article3 de la Convention seront violés si elle le renvoie de force. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article22 de la Convention le 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil, M. JohnSweeney.

1.2Le 16 décembre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas l’expulser vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen, en application de l’article 114 de son règlement intérieur. Le 20 juin 2016, l’État partie a prié le Comité de lever les mesures provisoires. Le 21 décembre 2016, le Comité, par l’intermédiaire du Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande de levée des mesures provisoires. Le 12 mai 2017, l’État partie a, une nouvelle fois, prié le Comité de lever les mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, Tamoul originaire du village de Palai, situé dans la province du Nord de Sri Lanka, a grandi dans les districts de Kilinochchi et de Jaffna, mais il a déménagé fréquemment à cause du conflit. Pour éviter d’être enrôlé de force par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les Tigres), il a vécu et travaillé au Qatar de 2006 à 2008. Début 2009, il est retourné à Sri Lanka pour s’occuper de sa mère malade et à son retour, il a été arrêté et interrogé à son arrivée à l’aéroport de Colombo. Il a été relâché après avoir soudoyé des fonctionnaires. Après sa libération, il est allé à Jaffna, où il a travaillé comme chauffeur‑livreur pour un commerçant tamoul qui vendait des boissons gazeuses.

2.2.Le requérant affirme que, début 2009, il a été enlevé par des soldats alors qu’il déchargeait des boissons gazeuses sur son lieu de travail à Jaffna. Un attentat à la bombe avait eu lieu dans le quartier le matin même et la police pensait que le requérant avait des liens avec les Tigres étant donné qu’il conduisait un camion de livraison. Le requérant affirme qu’on lui a bandé les yeux et qu’on l’a emmené dans ce qu’il suppose être un camp de l’armée. Les deux ou trois premiers jours, il a été roué de coups de pied et de coups de poing, et on lui a brisé plusieurs os de la main. Il affirme avoir été interrogé et physiquement agressé par un soldat parlant tamoul qui ne cessait de l’accuser d’être membre des Tigres. Ses blessures n’ont pas été soignées convenablement et il a été maintenu à l’isolement dans une petite pièce souterraine et obscure. Le requérant pense qu’il y a été détenu durant un mois et demi, période pendant laquelle il a été régulièrement battu. De ce fait, il souffre de pertes de mémoire. Il affirme qu’il a été libéré après que sa mère a versé, à la demande des soldats, une « rançon » de 30 000 roupies. Après sa libération, le requérant a été autorisé à se rendre à Colombo pour faire soigner ses blessures au dispensaire Sri Ganesha, un établissement médical privé. À la suite de cela, sa mère, craignant pour sa vie, l’a encouragé à quitter Sri Lanka. Il a quitté le pays par voie aérienne en utilisant son propre passeport et s’est rendu en Malaisie où il est resté quinze mois. Le requérant affirme qu’après son départ pour la Malaisie, des membres de la police judiciaire ou de l’armée sri-lankaise sont venus le chercher à son domicile à plusieurs reprises. Ensuite, il s’est rendu en Thaïlande, puis en Inde, où il a fait une demande de visa et où il est resté à peu près un an avant de prendre un bateau pour l’Australie.

2.3.Le requérant est arrivé en Australie le 11 mai 2012. Le 6 août 2012, il a demandé un visa de protection, qui lui a été refusé le 11 septembre 2012 par le représentant du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières conformément à l’article 65 de la loi relative aux migrations. Le représentant a rejeté sa demande, parce que s’il a jugé le requérant crédible et n’a pas mis en cause ses dires, il a considéré que celui‑ci ne courait pas de risque réel d’être persécuté ou de subir un préjudice grave à son retour à Sri Lanka, la situation s’étant améliorée sur le plan de la sécurité depuis 2009. Le requérant a saisi le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, devant lequel il a comparu le 6 décembre 2012, puis les 2 août et 12 septembre 2013. Le 4 octobre 2013, le Tribunal a confirmé la décision ministérielle. Il a considéré que l’Australie n’avait pas d’obligations de protection envers le requérant en sa qualité de réfugié et conclu, après examen des éléments de preuve, que celui‑ci ne courrait pas de risque réel de subir un préjudice grave constitutif de persécution à raison de son origine tamoule, de ses opinions politiques réelles ou supposées, ou de son statut de demandeur d’asile débouté. Le Tribunal a estimé qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que l’expulsion du requérant vers Sri Lanka l’exposerait à un risque réel et prévisible de préjudice grave.

2.4. Le requérant a saisi le Tribunal fédéral de circuit d’Australie pour contester la décision du Tribunal, faisant valoir que celui-ci n’avait pas tenu compte de sa crainte d’être enlevé et rançonné par des groupes armés. Le recours a été rejeté le 13 août 2014. Le Tribunal fédéral de circuit a confirmé la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, jugeant que celui‑ci n’avait pas commis d’erreur de droit. Aussi a‑t‑il rejeté la demande de contrôle juridictionnel du requérant.

2.5.Le requérant a fait appel de cette décision devant la Cour fédérale d’Australie, qui a examiné l’affaire le 23 février 2015. Il a fait valoir que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’avait pas pris en considération certaines des preuves qu’il avait présentées. Le 2 mars 2015, la Cour fédérale a confirmé la décision du Tribunal fédéral de circuit et rejeté l’appel. Le 3 juin 2015, la demande d’intervention ministérielle déposée par le requérant auprès du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières a été rejetée.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en cas de renvoi à Sri Lanka, il court un risque réel d’être soumis à la torture ou à des peines et à des traitements cruels, inhumains ou dégradants par la police judiciaire et les groupes paramilitaires associés au Gouvernement sri‑lankais. L’Australie violerait donc l’article 3 de la Convention et manquerait, en particulier, à l’obligation de non‑refoulement que cette disposition met à sa charge. Il affirme qu’une réinstallation dans une autre région de Sri Lanka n’est pas envisageable, puisque le Gouvernement contrôle désormais la totalité du territoire et que les personnes qui ont quitté le pays illégalement ou qui ont été déboutées d’une demande d’asile sont immédiatement repérées et arrêtées par les autorités à leur arrivée à l’aéroport de Colombo.

3.2.Le requérant affirme qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il courrait un risque réel s’il était renvoyé à Sri Lanka car, en tant que jeune homme tamoul, il serait soupçonné de faire partie des Tigres tamouls. Il allègue que s’il est renvoyé à Sri Lanka, il sera probablement incarcéré au Centre de détention provisoire de Negombo. Il indique qu’il est amplement attesté que ce centre est exigu et insalubre, que les occasions de faire de l’exercice physique y sont rares et que le surpeuplement y est tel que les détenus doivent se relayer pour dormir. Il fait valoir que cela constitue en soi un traitement dégradant, quelle que soit la durée de la détention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et demande de levée des mesures provisoires

4.1Par une note verbale en date du 16 juin 2016, l’État partie a fait parvenir au Comité ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication du requérant et lui a demandé de lever les mesures provisoires.

4.2L’État partie affirme que les griefs du requérant sont manifestement dénués de fondement et donc irrecevables au regard de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité. Toutefois, dans l’éventualité où le Comité jugerait les griefs du requérant recevables, ils sont sans fondement, rien ne permettant de démontrer qu’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention à son retour à Sri Lanka.

4.3L’État partie rappelle que l’obligation de non‑refoulement, énoncée à l’article 3 de la Convention, ne s’étend pas aux peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il affirme que le grief du requérant concernant sa possible incarcération à son retour à Sri Lanka, notamment les conditions de détention, devrait être déclaré irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 c) du règlement intérieur du Comité, étant incompatible avec les dispositions de la Convention.

4.4L’État partie affirme qu’il incombe au requérant d’établir qu’à première vue sa requête est recevable, ce qu’il n’a pas fait. Les allégations du requérant ont été minutieusement examinées par toute une série d’autorités de l’État partie, dont des agents des services de l’immigration et de la protection des frontières dans le cadre de sa demande de visa de protection, et le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le requérant a aussi déposé une demande de contrôle juridictionnel auprès du Tribunal fédéral de circuit d’Australie et de la Cour fédérale d’Australie, arguant d’une erreur de droit dans le jugement du Tribunal. Ses griefs ont également été évalués au cours de la procédure d’examen de sa demande d’intervention ministérielle. Il a été déterminé, à l’issue de procédures internes bien établies, que les griefs du requérant n’étaient pas crédibles et qu’ils n’engageaient pas l’État partie au titre de ses obligations en matière de non‑refoulement. Ces griefs ont notamment été examinés au regard des dispositions relatives à la protection subsidiaire du paragraphe 2) aa) de l’article 36 de la loi relative aux migrations, qui incorpore l’obligation de non-refoulement incombant à l’État partie au titre de la Convention et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.5L’État partie renvoie à l’observation générale no 1 (1997) du Comité relative à l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle celui-ci indique que n’étant ni un organe d’appel ni un organe juridictionnel, il accorde un poids considérable aux constatations de faits des organes de l’État partie intéressé. Il demande donc au Comité de retenir qu’il a soigneusement examiné les allégations du requérant dans le cadre de ses mécanismes internes et qu’il en a conclu qu’il n’avait pas d’obligation de protection envers le requérant au titre de la Convention. L’État partie est néanmoins bien conscient du fait qu’on peut rarement attendre des victimes de la torture une exactitude sans faille. Ce facteur a été pris en considération par tous les responsables nationaux qui ont eu à se prononcer sur la crédibilité du requérant. Par exemple, lors de l’examen de la demande de visa de protection du requérant, le responsable a jugé que le requérant était crédible de manière générale et qu’il n’avait pas de raison de douter de sa crédibilité, les renseignements fournis n’ayant pas varié entre son entrée dans le pays et les entretiens réalisés dans le cadre de sa demande de visa de protection.

4.6Le requérant a déposé une demande de visa de protection le 6 août 2012 après l’intervention du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières l’autorisant à le faire au titre de l’article 46A de la loi relative aux migrations. Le Ministre est aussi intervenu au titre de l’article 195A de la loi pour accorder au requérant un visa temporaire le 30 août 2012 et permettre ainsi sa libération du centre de détention des migrants pendant l’examen de sa demande de visa de protection. Le 11 septembre 2012, la demande de visa de protection du requérant a été rejetée. Le responsable s’est entretenu avec le requérant (avec le concours d’un interprète tamoul) et a examiné des éléments pertinents tels que les renseignements sur le pays fournis par le Ministère des affaires étrangères et du commerce, ainsi que des documents en accès libre. Le requérant affirmait qu’il craignait d’être victime d’un grave préjudice, voire de perdre la vie, s’il retournait à Sri Lanka.

4.7Le responsable s’est demandé si les Tamouls, en tant que groupe, étaient persécutés par les autorités sri‑lankaises. Bien qu’ayant admis que le placement en détention du requérant, en 2009, relevait de la persécution, il a considéré que les conditions de protection devaient être appliquées de manière prospective et, compte tenu des informations pertinentes sur le pays, il a conclu que les personnes d’ascendance tamoule n’étaient pas persécutées à Sri Lanka uniquement en raison de leur appartenance ethnique. Le responsable n’était pas convaincu que le requérant, même s’il était soumis à un interrogatoire à l’aéroport de Colombo au sujet de son ascendance tamoule et de ses liens supposés avec les Tigres, serait victime de persécutions pour cette raison. Il a noté que le requérant n’avait aucun lien d’aucune sorte avec les Tigres, qu’il n’avait pas non plus un autre profil à risque et que le conflit entre les autorités sri‑lankaises et les Tigres avait pris fin en mai 2009.

4.8Le responsable a considéré comme un fait établi que le requérant avait été battu pendant un interrogatoire alors qu’il était détenu par les autorités à la suite d’un attentat à la bombe en 2009. Toutefois, il a conclu que selon les éléments de preuve apportés par le requérant, le facteur déclencheur de sa détention à cette époque n’existait plus à Sri Lanka, puisque les attentats à la bombe, fréquents pendant le conflit, et les rafles qui s’ensuivaient avaient désormais pris fin. À la lumière des documents en accès libre dont il avait pris connaissance, le responsable a reconnu qu’il continuait d’arriver que des personnes soient battues ou victimes de violences physiques du type de celles redoutées par le requérant, mais il a estimé que celui‑ci n’avait pas un profil qui le conduirait à être victime de telles violences. Ensuite, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a tenu compte d’informations sur le pays indiquant que l’émigration depuis Sri Lanka était due à des raisons économiques et non à des persécutions et que l’Organisation des Nations Unies a fait savoir que plus de 440 000 personnes étaient retournées dans le nord de Sri Lanka depuis la fin de la guerre. Le responsable a conclu que ces retours massifs portaient à croire que l’ONU considérait que les rapatriés ne couraient plus de danger et que la peur généralisée des autorités qu’éprouvaient auparavant les hommes tamouls n’était plus justifiée par les faits.

4.9Le responsable a aussi relevé que le requérant avait légalement quitté Sri Lanka à deux reprises et qu’il n’avait pas été maltraité à sa sortie, ni à son retour en 2009. Il a conclu que, puisqu’il ressortait des informations sur le pays que la situation des Tamouls sur le plan de la sécurité s’était nettement améliorée depuis la fin de la guerre, le requérant risquait moins d’être victime de persécutions qu’au moment où il avait quitté, puis regagné Sri Lanka. Après avoir croisé les informations sur le pays et les données relatives au parcours du requérant, le responsable a jugé que le requérant n’avait pas un profil à risque et qu’il n’avait pas de raison fondée de craindre d’être persécuté à son retour. Il a également conclu que l’ensemble des arguments présentés par le requérant, à savoir qu’il était un jeune homme appartenant à l’ethnie tamoule, qu’il était originaire du nord de Sri Lanka, qu’il avait été arrêté à une occasion par l’armée sri‑lankaise et qu’il serait renvoyé dans son pays après avoir été débouté de l’asile ne permettaient pas de penser raisonnablement que le requérant courrait un risque réel d’être persécuté où que ce soit à Sri Lanka.

4.10Le requérant a ensuite déposé une demande d’examen quant au fond de la décision du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, le 9 octobre 2012. Il a assisté à l’audience du Tribunal et a pu faire des déclarations orales par le truchement d’un interprète tamoul ; il était représenté par un agent officiel de l’immigration. Le Tribunal de contrôle a retenu, comme le responsable du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières l’avait fait avant lui, que le requérant avait été arrêté, détenu et battu par des militaires sri‑lankais début 2009 et qu’il avait été relâché moyennant le versement d’un pot‑de‑vin. Le requérant n’a pas su dire exactement à quel moment de l’année 2009 il avait été arrêté et a déclaré que les coups qu’il avait reçus pendant sa détention avaient altéré sa mémoire. Le Tribunal a noté que le témoignage du requérant manquait de cohérence en ce qui concernait la durée de sa détention, le requérant ayant déclaré à l’audience avoir été détenu pendant vingt jours, alors qu’il avait précédemment indiqué, dans sa demande de visa de protection, avoir été détenu pendant un mois et demi. Le Tribunal a donné au requérant l’occasion d’expliquer cette incohérence ; le requérant a indiqué qu’il s’était trompé sur la durée de sa détention car il était troublé et ne se souvenait plus très bien. Le Tribunal a mis en doute l’allégation du requérant selon laquelle sa mémoire était altérée faisant observer que, s’il avait donné des détails sur les blessures causées par les coups reçus, le requérant n’avait pas expliqué en quoi ces coups avaient pu altérer sa mémoire. Le Tribunal n’a pas retenu que le requérant avait été détenu pendant un mois et demi, estimant qu’il avait exagéré la durée de sa détention.

4.11De surcroît, le Tribunal a constaté que le témoignage du requérant était relativement vague au sujet des raisons de son arrestation et de sa libération. Il n’a pas retenu que le requérant était soupçonné d’être membre des Tigres, suggérant à celui‑ci qu’il était possible que, dès le départ, ses ravisseurs ne l’aient pas réellement soupçonné, mais qu’ils voulaient seulement de l’argent, qu’ils ont fini par recevoir. Le Tribunal a aussi pris note de la conclusion du responsable du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières indiquant que, d’après le témoignage du requérant, son arrestation avait eu lieu dans le cadre des rafles qui suivaient régulièrement les attentats à la bombe. Étant donné que les faits remontent à 2009, le Tribunal a dit douter que le requérant risquerait d’attirer l’attention à cause de cet incident s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.12Le Tribunal de contrôle a examiné l’allégation du requérant selon laquelle à son retour à Sri Lanka en 2008, il avait prévu de rester quelques mois dans le pays avant de repartir au Qatar, mais a été empêché de partir par l’armée sri‑lankaise. Il a considéré comme plausible que le requérant se soit vu refuser l’autorisation de quitter Jaffna en 2009 et qu’il ait ensuite été autorisé à se rendre à Colombo pour raisons médicales. Toutefois, il n’a pas retenu que le requérant avait été soigné à l’hôpital aussi longtemps qu’il le prétendait − un jour sur deux pendant un mois −, étant donné que celui‑ci ne se souvenait ni du nom de l’hôpital, ni de l’endroit où il était situé, ni de son adresse dans la capitale.

4.13Le Tribunal a examiné l’allégation du requérant selon laquelle des membres de la police judiciaire ou de l’armée s’étaient présentés à son domicile après son départ de Sri Lanka − à deux reprises lorsqu’il était en Malaisie, une autre fois en juillet ou en août 2012, quand ils ont demandé s’il était en Australie, et encore une fois un mois ou deux avant la première audience du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, le 6 décembre 2012. Si le Tribunal a retenu que les autorités s’étaient rendues au domicile du requérant après son départ pour la Malaisie, il a cependant estimé que ces visites étaient la conséquence du signalement que la famille du requérant avait fait à la police pour déclarer sa disparition et qu’elles ne signifiaient pas que les autorités sri‑lankaises lui voulaient du mal. Le Tribunal n’a pas non plus retenu que le requérant avait payé des pots‑de‑vin pour pouvoir quitter Sri Lanka pour la Malaisie en 2009 et a noté que si les autorités s’étaient intéressées à lui, l’armée ne l’aurait pas autorisé à se rendre à Colombo pour se faire soigner en 2009. Le Tribunal a jugé peu plausible qu’après l’arrivée du requérant en Australie le 11 mai 2012 − plus de trois ans après son départ de Sri Lanka −, les autorités se soient rendues chez lui et aient demandé s’il se trouvait en Australie.

4.14Le Tribunal, lorsqu’il a confirmé la décision des Services de l’immigration et de la protection des frontières de ne pas accorder de visa de protection au requérant, s’est aussi référé à des informations sur la situation dans le pays, notamment le document du HCR intitulé Eligibility Guidelines for Assessing the Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka (5 juillet 2010), qui tendent à corroborer l’idée selon laquelle le requérant ne risquerait pas de subir de préjudice, ni parce qu’il est tamoul, ni même parce que c’est un Tamoul du nord de Sri Lanka. Le Tribunal a aussi expliqué au requérant que les informations sur le pays selon lesquelles le Gouvernement sri‑lankais cherchait à repérer les militants tamouls et les partisans du séparatisme tamoul lui permettaient de conclure que le requérant ne risquait pas de subir de préjudice puisque, selon son témoignage, il n’appartenait à aucun de ces groupes. Le requérant a choisi de ne pas s’exprimer oralement à ce sujet, mais, après l’audience, il a fait parvenir au Tribunal d’autres informations sur le pays. Le Tribunal en a pris connaissance, jugeant néanmoins préférable de se fier aux informations dont il disposait déjà, notamment aux lignes directrices du HCR, auxquelles il reconnaissait une valeur probante supérieure.

4.15Outre les arguments avancés par le requérant à l’appui de sa demande de protection, le Tribunal a examiné le moyen tiré par l’agent des services de l’immigration chargé de représenter le requérant, au titre des conditions de protection subsidiaire, de ce qu’il était probable que ce dernier serait emprisonné et subirait un préjudice grave en détention. Le requérant ayant quitté Sri Lanka légalement, le Tribunal a conclu qu’il ne serait pas arrêté à son retour et qu’il n’y avait donc pas de risque réel qu’il soit placé en détention ou qu’il subisse un préjudice grave en détention.

4.16Le 13 août 2014, le Tribunal fédéral de circuit a rejeté la demande introduite par le requérant aux fins du contrôle juridictionnel du jugement rendu par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le requérant arguait, par l’intermédiaire de son conseil, que le Tribunal avait commis une erreur de procédure en ce qu’il n’avait pas tenu compte d’une allégation ou d’un élément d’une allégation. Le Tribunal fédéral de circuit a conclu que le Tribunal avait dûment pris en considération les griefs du requérant. Il a aussi rappelé que le fait qu’une instance ne fasse pas référence à un élément de preuve n’implique pas nécessairement que l’instance a méconnu cet élément, et a conclu que s’il était possible que le Tribunal ait omis de se référer à un élément de preuve, il n’avait pas pour autant manqué à son obligation d’examiner les allégations du requérant dans leur intégralité.

4.17Le 3 septembre 2014, le requérant a déposé auprès de la Cour fédérale d’Australie une demande d’autorisation de faire appel aux fins du réexamen de la décision du Tribunal fédéral de circuit. Le 2 mars 2015, la Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle juridictionnel du jugement rendu par le Tribunal fédéral de circuit. Le requérant, présent à l’audience de la Cour, était représenté par un conseil. La Cour, confirmant la décision du Tribunal fédéral de circuit, a conclu que le requérant n’avait pas soulevé de nouveau grief, ni d’élément constitutif d’un grief qui soit suffisamment mis en évidence dans le dossier soumis au Tribunal pour mériter d’être examiné séparément.

4.18Le 3 juin 2015, le requérant a fait une demande d’intervention ministérielle en vertu de l’article 417 de la loi relative aux migrations, et le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a ouvert un dossier conformément à l’article 48B de la même loi. Le Ministère a conclu que la demande d’intervention ministérielle ne contenait pas de nouvel élément crédible portant à croire qu’une nouvelle demande de visa de protectionintroduite par le requérant aurait davantage de chances de connaître une suite favorable. Aussi a‑t‑il décidé, le 27 août 2015, que les griefs du requérant ne satisfaisaient pas aux conditions de l’intervention ministérielle énoncées à l’article 48B de la loi relative aux migrations ni à celles énoncées à l’article 417 de la même loi. Le 8 septembre 2015, la Ministre déléguée à l’immigration et à la protection des frontières a renoncé à exercer dans cette affaire son pouvoir d’intervention en vertu de l’article 417 de la loi relative aux migrations.

4.19L’État partie apporte en outre des éclaircissements sur plusieurs questions soulevées dans les écritures du requérant. En ce qui concerne la nouvelle allégation faite par le requérant dans la communication qu’il a soumise au Comité, selon laquelle à son retour du Qatar, début 2009, il avait été arrêté et interrogé à l’aéroport de Colombo et n’avait été relâché qu’après avoir soudoyé les autorités, l’État partie affirme que le requérant n’en avait pas fait état dans le cadre des procédures internes. Devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, le requérant a déclaré qu’il était retourné à Sri Lanka fin 2008 et n’a fait mention d’aucune difficulté à son retour. Au contraire, il a affirmé que lorsqu’il avait cherché à repartir au Qatar, l’armée sri‑lankaise l’avait empêché de quitter Sri Lanka, ce que le Tribunal avait accepté. Les Services de l’immigration et de la protection des frontières ont évalué cette nouvelle allégation mais ne l’ont pas jugée crédible, au motif que le requérant n’avait pas fait état auparavant de difficultés à son retour à Sri Lanka, et que son allégation initiale, légèrement différente, était qu’il avait été empêché de quitter Sri Lanka pour le Qatar, ce que le Tribunal avait considéré comme un fait établi. L’État partie relève aussi que l’on ignore la date exacte de retour du requérant à Sri Lanka, laquelle se situe, au gré des versions, en 2008 ou en 2009. Le requérant n’est pas non plus cohérent sur la question de savoir si, à son retour à Sri Lanka, son visa était déjà expiré, ou s’il allait bientôt l’être. Dans la communication qu’il a soumise au Comité, il affirme qu’il est retourné à Sri Lanka début 2009, mais il n’explique pas en quoi cette date est liée ou non à l’expiration de son visa pour le Qatar.

4.20En ce qui concerne la nouvelle allégation du requérant, selon laquelle son appartenance à la communauté tamoule et ses liens avec des membres de cette communauté qui ont quitté Sri Lanka illégalement et demandé l’asile en Australie l’exposeraient à un risque de préjudice, l’État partie affirme que le requérant n’a pas produit d’éléments de preuve étayant cette allégation. Les Services de l’immigration et de la protection des frontières se sont penchés sur de récentes informations concernant le pays, dont il ressort que les Tamouls soupçonnés d’entretenir des liens avec les Tigres peuvent être arrêtés et torturés à leur retour ; toutefois, il a été établi que le requérant n’avait aucun lien avec les Tigres. L’État partie fait valoir que, même s’il a des liens avec des Tamouls qui, ayant quitté le pays illégalement y ont été renvoyés après avoir été déboutés de l’asile, le requérant ne devrait pas courir de risque pour autant.

4.21En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve produits par le requérant dans la communication qu’il a soumise au Comité, notamment un certificat médical attestant qu’il avait souffert d’une fracture à la main lors de sa détention par l’armée sri‑lankaise, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a retenu que le requérant avait été blessé à la main et estimé que cela avait pu se produire alors qu’il était détenu par l’armée sri‑lankaise. Le Tribunal a également retenu que le requérant avait été autorisé à se rendre à Colombo pour raisons médicales. Il a toutefois considéré que ce préjudice avait eu lieu dans le passé et qu’il ne pouvait pas conclure que le requérant risquerait à présent de subir un préjudice ou d’être persécuté, étant donné que les autorités ne s’intéressaient pas à lui. L’État partie maintient donc que le certificat médical ne modifie pas le fondement de la constatation du Tribunal.

4.22En ce qui concerne la copie d’une attestation sur l’honneur de la mère du requérant dans laquelle celle-ci affirme que le requérant a été employé par les Tigres de 2002 à 2006, et placé en détention à son retour du Qatar, qu’elle a vendu sa propriété pour payer le voyage de son fils en Australie, que les autorités s’intéressent à lui et qu’il risque d’être tué s’il est renvoyé à Sri Lanka, l’État partie relève que le requérant n’a jamais revendiqué d’engagement auprès des Tigres, au contraire, il a même dénié tout engagement. En fait, le Tribunal a conclu que le requérant n’était pas soupçonné d’être lié aux Tigres et que les autorités ne s’intéressaient pas à lui. Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a donc accordé peu de poids à cet élément de preuve. Enfin, le requérant a aussi produit la copie d’un acte de vente de la propriété de sa mère pour prouver que c’était bien elle qui avait financé son voyage ainsi qu’elle l’affirmait. Toutefois, l’État partie note que la question de la vente de ces terres n’a pas de rapport direct avec les allégations du requérant concernant le risque qu’il subisse un préjudice à son retour à Sri Lanka. D’après l’État partie, le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a examiné ces nouvelles preuves et n’a pas jugé qu’elles apportaient, en elles‑mêmes ou en conjonction avec les décisions antérieures, des éléments nouveaux permettant de conclure que l’État partie manquerait aux obligations de non-refoulement mises à sa charge par l’article 3 de la Convention dans le cas où le requérant serait renvoyé à Sri Lanka.

4.23Enfin, l’État partie conteste l’allégation du requérant selon laquelle une réinstallation dans une autre région de Sri Lanka n’est pas envisageable pour une personne menacée par les autorités étant donné que le Gouvernement contrôle l’ensemble du territoire sri‑lankais et que les personnes ayant quitté le pays illégalement et les demandeurs d’asile déboutés sont immédiatement repérés et placés en détention à leur arrivée à l’aéroport de Colombo. À ce propos, l’État partie fait valoir que le requérant n’intéresse pas les autorités et qu’il ne serait pas placé en détention à son retour puisqu’il a quitté Sri Lanka en toute légalité. L’État partie affirme que le requérant a fourni des informations dépassées concernant les violations des droits de l’homme perpétrées dans la région de Sri Lanka dont il est originaire et que dans le cadre de toutes leurs évaluations de la situation du requérant, les responsables de l’État partie ont pris en considération des informations actuelles et pertinentes. L’État partie, renvoyant à la jurisprudence du Comité, rappelle que l’existence d’un risque général de violence dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans ce pays ; il doit exister des raisons particulières de penser que l’intéressé serait personnellement en danger. L’État partie maintient que le requérant n’a pas démontré l’existence de motifs supplémentaires de croire qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 16 novembre 2016, le conseil du requérant a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il souligne que l’État partie reconnaît que le représentant duMinistre de l’immigration et de la protection des frontières a estimé que la détention du requérant en 2009 relevait de la persécution tout en arguant qu’au moment de la décision, la cause de cette persécution avait disparu. Le requérant en déduit qu’il avait une raison valable de fuir SriLanka et de demander l’asile. Il conteste l’argument de l’État partie selon lequel son profil ne présente aucun intérêt pour les autorités et que la fin des hostilités ouvertes entre le Gouvernement sri‑lankais et les Tigres en mai 2009 signifie qu’il n’y a plus de danger.

5.2Le requérant affirme que les autorités de l’État partie considèrent comme un fait établi qu’il a été battu après l’attentat à la bombe de 2009 et que sa détention et les coups qu’il a reçus avaient pour cause cet attentat, sans retenir toutefois que la cause en était qu’il était soupçonné d’être impliqué dans l’attentat, et plus précisément de participer activement aux exactions des Tigres. Il fait valoir que s’il n’avait effectivement aucun lien avec les Tigres, les forces de sécurité avaient considéré, en 2009, qu’il avait bien de tels liens Il affirme qu’il existe un risque réel que les autorités sri‑lankaises continuent de le soupçonner d’être lié aux Tigres et qu’il soit de ce fait torturé dans le cadre d’interrogatoires. Le requérant avance que le fait qu’il ait été torturé par le passé est un bon indicateur du fait qu’il sera torturé à l’avenir.

5.3Le requérant avance que le raisonnement du représentant du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières selon lequel les informations sur le pays tendent à montrer que l’on émigre de Sri Lanka pour des raisons économiques et non à cause de persécutions ne peut pas s’appliquer pour écarter les allégations personnelles et concrètes formulées par le requérant en l’espèce, d’autant que sa crédibilité n’a pas été sérieusement mise en doute. Les décisions rendues retiennent que le requérant a été persécuté et qu’il a fui Sri Lanka pour cette raison. Il peut donc être raisonnablement conclu que les informations générales sur le pays qui semblent démentir les dires du requérant ne sont pas pertinentes en l’espèce. Il en va de même pour l’argument avancé au sujet des retours massifs à Sri Lanka. La présente affaire devrait être examinée en fonction de ses propres caractéristiques et non au regard d’affaires qui ne présentent pas les mêmes particularités.

5.4Le requérant affirme que le représentant du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières a reconnu qu’il avait été victime de persécutions, mais a conclu que, les causes de ces persécutions n’existant plus, il ne serait pas persécuté pour ces raisons à son retour. Il avance que la décision des autorités de l’État partie visait à éviter qu’il soit rattaché à tout autre profil à risque, mais qu’à aucun moment l’État partie n’a cherché à tenir compte de la question de savoir si, du fait des persécutions passées, il pourrait actuellement présenter un profil qui lui ferait courir un risque réel d’être victime de torture ou de traitements inhumains. Il déclare que l’appréciation des obligations de non‑refoulement de l’État partie n’avait guère été « plus qu’une formalité et que ces obligations n’avaient pas fait l’objet d’un examen quant au fond ».

5.5En outre, le requérant conteste le raisonnement du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés dans la mesure où celui‑ci, ayant retenu que le requérant avait été détenu et battu, a néanmoins trouvé peu crédible qu’il ne puisse pas expliquer en quoi les coups reçus avaient pu affecter sa mémoire. Il affirme que les conclusions du Tribunal concernant son manque de crédibilité sont injustifiées, puisque, si l’on admet qu’il a été battu, la possibilité existe qu’il présente des symptômes de trouble post‑traumatique. Il avance au surplus qu’il revenait au Tribunal de mettre au jour les effets du traumatisme. Le Tribunal avait à sa disposition un document intitulé « Orientations concernant les personnes vulnérables », destiné à l’usage des agents du Tribunal de contrôle des décisions concernant les migrants et du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, et dont un long chapitre est consacré aux troubles liés à la torture et à d’autres traumatismes. Ce document propose des stratégies concernant la manière de traiter les personnes présentant ce type de troubles. D’après le requérant, rien ne tend à montrer que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a appliqué l’une de ces stratégies. N’étant pas formé en psychologie, le requérant ne pouvait s’appuyer que sur sa propre expérience et ne maîtrisait pas la terminologie qui aurait pu lui permettre de fournir une explication plus convaincante. En conséquence, il s’est borné à décrire ses symptômes comme étant des « troubles de la mémoire », et à leur attribuer une cause, à savoir sa détention et les coups qu’il a reçus.

5.6À ce propos, le requérant rappelle que le Comité a pour pratique, en pareil cas, de reconnaître qu’il faut s’attendre à ce que les personnes victimes d’un traumatisme se montrent incohérentes. Il affirme qu’en réalité, le Tribunal n’a tenu aucun compte de ses propres règles concernant les personnes vulnérables, telles que les victimes de traumatismes, en particulier s’agissant des questions de crédibilité. Le Tribunal s’est contenté de conclure à une incohérence que le requérant ne pouvait expliquer de manière satisfaisante et en a déduit que le requérant avait embelli sa version des faits, autrement dit qu’il avait menti. Le requérant affirme aussi qu’il a obtenu un témoignage à l’appui de son allégation selon laquelle il avait été détenu par l’armée pendant plus d’un mois en 2009.

5.7Le requérant répète qu’il était évident que les forces de sécurité le soupçonnaient d’être impliqué, à titre de complice, dans l’attentat à la bombe, autrement dit d’être engagé auprès des Tigres. Le Tribunal a soulevé l’hypothèse que la police voulait en fait de l’argent, mais cette possibilité n’exclut pas la précédente : la police a demandé de l’argent parce qu’elle avait des motifs de garder le requérant en détention, le soupçonnant d’être impliqué dans l’attentat à la bombe. Rien ne justifie que l’on cherche à disjoindre ces mobiles possibles et que l’on fasse découler les actes commis de l’un plutôt que de l’autre en l’absence d’autres éléments de preuve. Le requérant estime que le Tribunal, ne disposant d’aucune preuve, s’est livré à une spéculation pure et simple dans son appréciation des motivations de ses persécuteurs. Il répète qu’on ne lui a pas suffisamment accordé le bénéfice du doute en ce qui concerne les faits traumatisants dont il a été reconnu victime.

5.8Le requérant conteste également le raisonnement du Tribunal lorsque celui‑ci retient que des représentants des autorités se sont présentés à son domicile, mais considère que cette visite visait simplement à donner suite au signalement, par sa famille, de sa disparition. Au contraire, il fait valoir que sa famille a signalé sa disparition après la venue des agents, dans le but d’éviter d’autres visites. On peine à imaginer pour quel motif sa famille aurait signalé sa disparition si les événements s’étaient déroulés dans l’ordre présumé par le Tribunal. Sa famille savait où il se trouvait et ne cherchait donc pas, par ce signalement, à le localiser. Le fait de signaler la disparition du requérant à la police pour que celle-ci se rende à son domicile relève de l’invraisemblable : l’effet prétendument recherché ne présentait guère d’intérêt pour le requérant et sa famille et leur faisait courir un risque considérable puisqu’ils attiraient ainsi l’attention de la police alors même que les forces de l’ordre s’intéressaient déjà à lui, qui selon l’hypothèse du Tribunal n’auraient pas eu d’autre raison de le faire. On ne voit pas bien pour quelles raisons la famille du requérant aurait agi de la sorte, l’hypothèse étant peu plausible, et le Tribunal n’apporte aucun élément de réponse à ce sujet. Le requérant a été considéré comme un témoin crédible de manière générale, hormis par le Tribunal, dont les conclusions en la matière sont jugées injustifiées par l’intéressé.

5.9Devant tant d’efforts faits pour en arriver à mettre en cause sa crédibilité sans raison valable, le requérant affirme que le Tribunal, comme on pouvait s’y attendre, s’est comporté de manière partiale à son endroit. Il ajoute que les conclusions du Tribunal sur la question de la protection subsidiaire sont « extrêmement brèves », puisqu’elles tiennent en trois phrases courtes : a) que les rapports concernant les mauvais traitements infligés aux Tamouls et les conditions générales de détention dans les prisons sri-lankaises ne permettent pas de conclure qu’il courrait un risque réel de subir un préjudice important s’il devait être emprisonné ; b) qu’il est peu probable qu’il serait arrêté, puisqu’il a quitté Sri Lanka légalement ; c) qu’il ne subirait pas d’autre préjudice à cause de son appartenance à l’ethnie tamoule, ni même du fait qu’il est Tamoul et originaire de la province du Nord, en raison de ses opinions politiques supposées, de sa qualité de demandeur d’asile débouté ou des liens qu’il est soupçonné d’entretenir avec les Tigres. Tous ces motifs ont été écartés lors de l’examen des griefs du requérant au titre de la Convention relative au statut des réfugiés. Le requérant affirme que le Tribunal n’a pas déterminé s’il courrait un risque réel d’arrestation, de détention ou de harcèlement en lien avec les persécutions dont il a été victime en 2009, si le fait qu’il ait demandé l’asile après ces persécutions éveillerait une nouvelle fois les soupçons des autorités quant à ses liens supposés avec les Tigres, la fuite du requérant pouvant facilement être interprétée comme un signe de culpabilité, et s’il serait en danger du fait qu’il a été témoin de persécutions policières.

5.10Le requérant soutient que les conclusions de l’évaluation des conditions carcérales faite par le Tribunal contrastaient singulièrement avec celle du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui a considéré que les conditions de détention dans les prisons sri‑lankaises pourraient bien être constitutives d’un « traitement cruel, inhumain et dégradant ». D’après le requérant, en rétrospective, le jugement du Tribunal montre que le Tribunal ne s’est pas renseigné sur ce sujet avec toute la diligence voulue. Le Tribunal n’a pas examiné le risque réel de torture que couraient les détenus, et encore moins les conditions carcérales, méconnaissant ainsi complètement les actes de torture que les forces de sécurité sri‑lankaises commettent régulièrement pendant les interrogatoires qu’elles mènent dans les lieux de détention.

5.11Le requérant soutient que l’état de droit continue de susciter de vives inquiétudes à Sri Lanka et renvoie à ce propos aux observations que la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats a faites lors de sa visite à Sri Lanka. La Rapporteuse spéciale affirme qu’en dépit de quelques réformes politiques engagées après les élections de 2015, il existait de graves problèmes à Sri Lanka en ce qui concerne l’état de droit et, en particulier que la torture était couramment pratiquée dans une grande majorité d’affaires. La police continuait d’agir en toute impunité. Le requérant fait valoir que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’avait pas évalué le risque que la police s’en prenne à lui justement parce que des agents l’avaient persécuté en 2009. Bien que cette hypothèse ne fasse pas partie des griefs soulevés devant le Tribunal, une appréciation suffisante des obligations de non‑refoulement de l’État partie aurait dû en tenir compte.

5.12Le requérant déclare qu’il a été persécuté et torturé par le passé, que les Nations Unies continuent de prier instamment Sri Lanka de mener des enquêtes approfondies − en particulier dans la province du Nord − sur les événements qui se sont déroulés à la fin de la guerre, en lien avec l’allégation de crimes de guerre et de disparitions forcées, et que la sécurité et le bien‑être des personnes pouvant être considérées comme les témoins de ces événements, dont il dit faire partie, suscitent de vives inquiétudes. Le Tribunal n’a pas non plus déterminé si, de nouveau confronté à la police sri-lankaise, le requérant serait affecté par le traumatisme subi en 2009 de telle manière que son comportement éveillerait de nouveau les soupçons des policiers. Un suspect traumatisé a tendance à se conduire d’une manière qui renforce les soupçons, sa peur pouvant donner l’impression qu’il a quelque chose à cacher.

5.13Le requérant est bien conscient que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ne peut examiner que les griefs clairement soulevés devant lui. La question des conditions de détention dans les prisons sri-lankaises, par exemple, a été soulevée devant le Tribunal. Le requérant estime qu’étant donné qu’il a déjà été battu lors d’un interrogatoire en détention, il serait tout à fait possible que cela se reproduise s’il retournait à Sri Lanka. Il demande au Comité non seulement d’examiner la procédure de décision suivie par les autorités de l’État partie, mais aussi d’évaluer le danger qu’il court à présent. Il affirme que ce danger est réel et que le type de traitement qu’il risquerait de subir peut être qualifié de torture. Enfin, il rappelle que son profil présente un certain nombre de caractéristiques qui lui feraient courir des risques en cas de renvoi : il est Tamoul, originaire du nord de Sri Lanka ; il a déjà été torturé par la police sri‑lankaise en lien avec un attentat à la bombe imputé aux Tigres ; il a déjà été arrêté par des agents du service sri‑lankais de l’immigration et n’a été relâché qu’après les avoir soudoyés.

Observations complémentaires de l’État partie et nouvelle demande de levée des mesures provisoires

6.1Dans une note verbale datée du 6 avril 2017, l’État partie a rappelé les arguments qu’il avait avancés dans ses observations du 16 juin 2016 et a informé le Comité qu’il n’avait pas l’intention de soumettre d’autres observations à ce stade.

6.2Dans une note verbale datée du 12 mai 2017, l’État partie a prié le Comité de retirer sa demande de mesures provisoires au vu de l’issue des procédures internes, mise en lumière dans les observations précédemment communiquées.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie

7.Le 20 juin 2017, le représentant du requérant a renouvelé les commentaires qu’il avait formulés le 16 novembre 2016.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si elle est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été et n’était pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la présente communication est manifestement dénuée de fondement et donc irrecevable au regard de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité. Il considère toutefois que la communication a été étayée aux fins de la recevabilité, le requérant ayant exposé les faits et les fondements de sa requête d’une manière suffisamment détaillée pour que le Comité puisse se prononcer.

8.3Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui‑ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il constate qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts. En conséquence, le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2En l’espèce, le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de penser que le requérant risquerait personnellement d’être torturé à son retour à Sri Lanka. Il doit à cet effet tenir compte, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle néanmoins qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque.

9.3Le Comité rappelle son observation générale no 1(1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention contre la torture, où il est indiqué que l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court personnellement un risque prévisible et réel. Même si aux termes de son observation générale no 1 le Comité accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

9.4Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle ses autorités nationales ont conclu que le requérant était généralement crédible. Il relève également que les autorités de l’État partie ont ajouté foi à bon nombre des allégations du requérant, retenant notamment qu’il avait été maltraité par le passé, sans toutefois estimer qu’il en découlerait à présent un risque pour lui, puisqu’il n’a aucun lien avec les Tigres. Le Comité constate que le requérant a déjà quitté Sri Lanka légalement à deux reprises et qu’il n’a été maltraité ni à sa sortie du territoire, ni à son retour en 2009. En ce qui concerne les allégations relatives aux conditions de détention au Centre de Negombo, le Comité fait observer que, comme le requérant a quitté Sri Lanka en toute légalité, il est peu probable qu’à son retour, il soit arrêté, placé en détention ou gravement maltraité en prison.

9.5Le Comité note que le requérant conteste l’issue de la procédure nationale et le raisonnement sur lequel elle se fonde. Il constate toutefois que le requérant n’a pas apporté la preuve que la procédure nationale ait été entachée d’irrégularité. En l’absence de toute information ou de tout document utile au dossier, il n’existe aucun élément de preuve permettant de conclure que les autorités de l’État partie ont été partiales à son endroit.

9.6En ce qui concerne l’allégation générale du requérant selon laquelle il risque d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka en raison de sa qualité de Tamoul ayant des liens réels ou supposés avec les Tigres et de rapatrié débouté d’une demande d’asile, le Comité reconnaît que les Tamouls de Sri Lanka ayant des liens familiaux ou personnels préalables, réels ou supposés, avec les Tigres et qui sont renvoyés de force à Sri Lanka risquent la torture. À ce propos, le Comité note la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et renvoie à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lequel il se dit préoccupé par des informations faisant état de la persistance de la pratique, de la part des forces de sécurité sri lankaises, notamment les miliaires et la police, de l’enlèvement, de la torture et des mauvais traitements, qui ont continué dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les Tigres en mai 2009 et à des rapports dignes de foi d’organisations non gouvernementalessur le traitement réservé à ceux qui rentrent dans le pays par les autorités sri lankaises. Il rappelle toutefois que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas en soi suffisante pour qu’il puisse conclure qu’une personne court personnellement le risque d’être soumise à la torture. Le Comité rappelle aussi que, si les événements passés peuvent certes avoir une importance, la principale question dont est saisi le Comité est de déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. En l’espèce, même s’il a été jugé généralement crédible quant aux événements passés, le requérant n’a pas apporté la preuve qu’il serait exposé actuellement à un risque réel, prévisible et personnel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il note de surcroît que, lorsque les autorités de l’État partie ont examiné la demande d’asile du requérant, elles ont aussi pris en considération le risque de mauvais traitements auquel les demandeurs d’asile déboutés pouvaient être exposés à leur retour, et il estime qu’en l’espèce, elles ont dûment tenu compte de l’argument invoqué par le requérant.

9.7À la lumière de ce qui précède et eu égard à toutes les informations données par le requérant et par l’État partie, notamment sur la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité considère que le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve, n’ayant pas montré comme il le devait qu’il y avait des motifs sérieux de croire que son renvoi forcé vers son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque prévisible et réel d’être victime de torture, au sens de l’article 3 de la Convention. Bien qu’il conteste la manière dont les autorités de l’État partie ont évalué sa situation, le requérant n’a pas démontré que la décision de lui refuser un visa de protection était clairement arbitraire ou constituait un déni de justice.

10.En conséquence, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.