Nations Unies

CAT/C/61/D/654/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

3 octobre 2017

Original: français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no654/2015 * , **

Communication p résentée par:Rached Jaïdane, représenté par TRIAL (Track Impunity Always) et l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France)

Au nom de:Le requérant

État partie:Tunisie

Date de la requête:7 janvier 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :11 août 2017

Objet :Tortures et mauvais traitements par des autorités étatiques

Question ( s ) de procédure:Néant

Question ( s ) de fond:Torture ; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; mesures visant à empêcher la commission d’actes de torture ; surveillance systématique quant à la garde et au traitement des personnes détenues ; obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale ; droit de porter plainte ; droitd’obtenir une réparation ; interdiction de l’utilisation dans une procédure de déclarations obtenues sous la torture

Article ( s ) de la Convention:1, 2 et 11 à 16

1.1Le requérant est Rached Jaïdane, ressortissant tunisien né le 25 mars 1963 à Tunis. Il allègue être victime d’une violation par la Tunisie des articles 1, 2et 11 à 16 de la Convention.Il est représenté. La Convention est entrée en vigueur pour la Tunisie le 23octobre 1988.

1.2Le 27 janvier 2015, conformément à l’article 114, paragraphe 1, de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de prévenir efficacement, tant que l’affaire serait à l’examen, toute menace ou tout acte de violence auquel le requérant et sa famille pourraient être exposés, en particulier pour avoir présenté la présente requête, et de tenir le Comité informé des mesures prises à cet effet.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est professeur de mathématiques au collège-lycée de Hay Khadra, à Tunis. En 1993, alors qu’il était enseignant universitaire en France, le requérant s’est rendu en Tunisie pour assister au mariage de sa sœur. Le 29 juillet 1993, vers 2heures du matin, alors qu’il se trouvait au domicile de sa tante où il séjournait, une quinzaine d’agents de la sûreté de l’État, en civil, ont débarqué à son domicile, en pleine nuit, sans mandat d’arrêt, et l’ont interpellé sous les yeux de sa famille. Les agents ont également fouillé la chambre du requérant, saisi son passeport, ainsi que les 2000 dinars qu’il comptait offrir comme cadeau de mariage à sa sœur. Suspecté de fomenter un coup d’État contre le Rassemblement constitutionnel démocratique – partiau pouvoir à l’époque –, il a été conduit menotté au Ministère de l’intérieur et interrogé sur ce supposé attentat, ainsi que sur ses liens présumés avec Salah Karker, un dirigeant du parti Ennahda exilé en France.

Garde à vue, interrogatoire et actes de torture

2.2Arrivé au Ministère de l’intérieur, le requérant a été escorté jusqu’au 4e étage, dans un bureau cossu aux portes capitonnées. A.S., accompagné d’un agent, était assis derrière le bureau. Il s’est présenté comme le Directeur de la sûreté nationale, sans décliner son nom, puis a demandé au requérant « où étaient cachées les bombes ». Ce dernier a répondu qu’il n’avait aucune connaissance de cache de bombe, et qu’il n’était venu que pour le mariage de sa sœur. L’échange a duré deux minutes, puis A.S. a menacé d’aller chercher sa sœur. Rached Jaïdane l’a alors insulté, et le Directeur de la sûreté nationale a alors fait un signe de tête à un agent, qui a emmené le requérant dans une autre pièce où se trouvait Mohamed Koussai Jaïbi, présenté à Rached Jaïdane comme l’un de ses complices présumés. Mohamed Koussai Jaïbi était allongé sur le sol, les habits déchirés, le visage en sang et tuméfié, pieds nus, une fracture apparente au pied droit ensanglanté et des hématomes aux mains.Il y avait environ six agents dans la pièce. Ces derniers ont ordonné à Mohamed Koussai Jaïbi de dire que Rached Jaïdane avait comme mission de le mettre en relation avec Salah Karker, un militant du mouvement islamiste Ennahda exilé en France à l’époque. Une douzaine d’agents a ensuite conduit Rached Jaïdane dans une autre pièce au même étage.

2.3Le requérant souligne que les équipes d’agents du Ministère se sont alors relayées pendant dix-sept heures d’affilée pour lui faire subir des actes de torture. Les agents lui posaient des questions tout en le menaçant de torture et de mort. Rached Jaïdane a reçu une première claque sur la nuque. Il s’est retourné et a craché sur l’agent. En représailles, tous les agents présents lui ont assené des coups de poing, des coups de matraque et des coups de bâton pendant plusieurs minutes. Puis on l’a amené dans une autre pièce équipée d’une chaise et de deux bureaux espacés sur lesquels était appuyé un bâton en bois. Les agents lui ont ordonné de retirer ses vêtements. Comme il refusait, ils l’ont déshabillé de force, le laissant en slip. Ils lui ont donné des gifles et des coups de matraque, et lui ont infligé des décharges électriques à l’abdomen. Puis on l’a suspendu au bâton, en l’attachant au niveau des chevilles et des poignets avec des morceaux de tissu. Il a ensuite été frappé dans cette position pendant environ trente minutes par un dénommé Belgacem, surnommé « Bokassa », dont il entendra parler par la suite par d’autres détenus ayant également subi des supplices de sa part.

2.4Le requérant a réussi à se détacher et est tombé au sol. Les agents ont recommencé à le frapper, notamment sur les ongles (il en garde aujourd’hui une marque au pouce droit) ; ils lui ont écrasé des cigarettes sur plusieurs parties du corps, dont la main et l’appareil génital. Ils lui ont ensuite introduit un bâton dans l’anus, en lui disant « voilà, on te l’a enfoncé, tu penses que t’es un homme ? ». Les agents ont également menacé de faire venir sa sœur et de la violer. Rached Jaïdane a perdu connaissance à deux reprises. La victime a pu faire la prière de 12h30 dans la position du « poulet rôti », après avoir promis à ses tortionnaires qu’il allait tout avouer. Belgacem l’a alors fait asseoir et lui a apporté un café. Rached Jaïdane s’est ressaisi et l’a giflé. Belgacem a riposté et la torture a repris. Les agents ont apporté une bassine en fer. Le détenu a été menotté dans le dos. Deux agents, surnommés respectivement Gatla et Fil,sont arrivés dans la pièce. Ils ont plongé la tête de Rached Jaïdane dans la bassine à plusieurs reprises. Quand il se noyait, Fil s’asseyait sur son ventre pour lui faire cracher de l’eau. Puis ils ont à nouveau mis le détenu dans la position du poulet rôti, en le frappant surtout sur les organes sexuels. Cette séance de torture a duré jusqu’à environ 19h45.

2.5À la fin de journée, Rached Jaïdane a fini par rédiger des aveux qui lui ont été dictés,dans lesquels il reconnaissait s’entraîner aux arts martiaux dans la faculté parisienne de Jussieu, connaître Mohamed Koussaï Jaïbi, et avoir conclu une entente avec l’opposant islamiste Salah Karker.

2.6Vers 19h45, Rached Jaïdane a été descendu dans la geôle no8, située au sous-sol du Ministère. Mesurant environ 3,5x4mètres, la cellule était équipée d’un matelas et d’un trou dans le sol en guise de toilettes. Le requérant a partagé cette cellule pendant plusieurs jours avec un codétenu. Pendant les vingt jours de garde à vue suivants, Rached Jaïdane a continué à être frappé à coups de poings et coups de bâton, et à être menacé pour lui faire signer toujours de nouvelles feuilles d’aveux. Les sévices étaient moins intenses que ceux subis au cours des dix-septpremières heures de garde à vue. Un des agents dira à Rached Jaïdane que c’était grâce au médecin que les sévices avaient diminué après le premier jour. Le détenu a perdu connaissance à plusieurs reprises le jour suivant son arrestation et ne se souvient pas avoir vu un médecin.

2.7Les tortures ont cessé le vingtièmejour de la garde à vue, sans que Rached Jaïdane ne sache pourquoi. Le trentièmejour, un agent travaillant pour les renseignements généraux, ami d’enfance de Rached Jaïdane, est venu dans la geôle du Ministère de l’intérieur pour amener un nouveau détenu. Il a reconnu Rached Jaïdane et est venu lui parler. Il a demandé à ce que ce dernier voie un médecin mais l’agent infirmier, surnommé « Sabromicine », s’est contenté de lui donner des antalgiques et de la bétadine pour désinfecter ses plaies. Rached Jaïdane est resté en détention au Ministère de l’intérieur du 30 juillet au 4 septembre 1993, date de sa première présentation devant un juge d’instruction. Pendant trente-septjours, il a été détenu arbitrairement. Il a été maintenu en garde à vue bien plus longtemps que la durée légale autorisée. Le Code de procédure pénale en vigueur à l’époque limitait en effet la garde à vue à quatre jours, renouvelables une fois et prolongeables de deux jours supplémentaires dans des circonstances exceptionnelles, soit dixjours maximum. De plus, en violation du Code de procédure pénale, sa famille n’a pas été prévenue de son placement en garde à vue au Ministère de l’intérieur. Il est ainsi resté détenu au secret au Ministère, qui n’est pas un centre de détention officiel.

Procès

2.8Le 4 septembre 1993, après trente-septjours de garde à vue au Ministère de l’intérieur, Rached Jaïdane a été conduit au tribunal de première instance de l’Ariana, accompagné de son codétenu. Dans la geôle du tribunal, les deux ont retrouvé un autre de leurs complices présumés, qui venait lui aussi d’être torturé au Ministère de l’intérieur, sous la direction des mêmes agents.Les détenus ont été présentés devant un premier juge d’instruction, Mostafa Mbazaa, qui a été choqué par leur état et a refusé de prendre l’affaire, en raison, a-t-il dit, de l’absence de preuve. Les trois détenus ont été placés en détention provisoire le même jour à la prison du 9 avril. Rached Jaïdane présentait encore des traces de torture lors de son arrivée en prison.

2.9Afin d’étayer le dossier de garde à vue, Rached Jaïdane a été ramené au Ministère de l’intérieur le 20 septembre 1993 pour être interrogé par deux agents. Il a signé le procès-verbal d’interrogatoire sous la menace de subir de nouvelles tortures.Quelques jours plus tard, ses coaccusés et lui ont été ramenés au tribunal pour être présentés l’un après l’autre devant le troisième juge d’instruction. Rached Jaïdane présentait alors encore des traces de torture, notamment une brûlure de cigarette sur la main gauche et l’ongle du pouce droit arraché. Il boitait et saignait toujours de l’anus en raison du viol subi pendant sa garde à vue. Le juge Ben Aïssa, qui se trouve être un parent éloigné de Rached Jaïdane, a dit à ce dernier qu’il ne pouvait pas dénoncer la torture sous peine de se retrouver à sa place en prison.

Condamnation

2.10Le 30 mai 1996, après trois années de détention provisoire, RachedJaïdane a été condamné aux côtés de 11 coaccusés à vingt-six ans d’emprisonnement pour tentative d’attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement (art. 72 du Code pénal) et association de malfaiteurs (art. 131 et 132) par la chambre criminelle de la cour d’appel de Tunis statuant en première instance. Il leur a été reproché d’avoir fomenté un attentat contre le congrès du Rassemblement constitutionnel démocratique – le parti au pouvoir –,contre des hôtels et contre la synagogue de Djerba, ainsi que d’avoir planifié l’enlèvement de la fille du Ministre de l’intérieur et de la fille de Ben Ali. Tous ont été condamnés à l’issue d’un procès expéditif de quarante-cinq minutes, sur la base d’aveux obtenus sous la torture. La possibilité de faire appel en matière pénale n’ayant été introduite dans le droit tunisien qu’en 2000, les condamnés se sont pourvus en cassation. Leur demande a été rejetée le mois suivant.

Conditions de détention durant la peine

2.11Rached Jaïdane a été détenu successivement dans les prisons suivantes : prison du 9 avril de 1993 à la fin de l’année 1997 ; prison de Nadhor de 1997 à 1998 ; prison de Borj Erroumi de 1998 à 1999 ; prison de Mahdia de 1999 à 2001 ; prison de Monastir de 2001 à 2002 ; prison de Gabès de 2002 à 2003 ; et prison de Borj Erroumi de 2003 à 2006. Il n’a pu recevoir la visite de sa famille en prison qu’à partir de décembre 1993. Il a été soumis à l’isolement cellulaire à de nombreuses reprises pendant sa détention, pendant des durées parfois très longues. À la prison du 9 avril, où il a été placé en détention provisoire après sa garde à vue au Ministère de l’intérieur, il a, à de nombreuses reprises, été placé au cachot pour le punir de revendiquer ses droits, pendant des périodes allant de dix à quarante-cinq jours. Il était placé dans une cellule d’environ 3 x 3 mètres, parfois seul, parfois avec d’autres détenus. La cellule ne comprenait ni lit, ni couverture, seulement un trou en guise de toilettes. Les détenus n’avaient droit qu’à un morceau de pain par jour et n’avaient pas accès aux douches, ni à la promenade. Lorsqu’il était seul, Rached Jaïdane était le plus souvent enchaîné au mur, au niveau de la jambe gauche et du poignet droit. Les derniers trente mois de sa détention à la prison du 9 avril, il a été détenu à l’isolement, seul dans une chambre de 3 x 2,5 mètres. Il ne pouvait sortir, séparément des autres détenus, que deux fois par jour, pendant cinq à dix minutes chaque fois. Ainsi, entre les nombreuses mises au cachot et les trente mois d’isolement, Rached Jaïdane a passé environ quatre ans à l’isolement dans le pavillon E de la prison du 9 avril. Il y entendait souvent des cris de prisonniers torturés ou enchaînés à la grille de la porte de leur chambre. Il a pu communiquer à travers la porte avec plusieurs autres détenus islamistes placés en isolement eux aussi.

2.12Lorsqu’il n’était pas à l’isolement ni au cachot, Rached Jaïdane a été placé successivement dans plusieurs chambres surpeuplées dans lesquelles la majorité des détenus dormaient par terre, entre les lits, voire sous les lits. L’une de ces chambres, la plus surpeuplée, appelée la « Karaka » et située dans le pavillon G, abritait environ 400 détenus qui se partageaient seulement deux toilettes. Comme d’autres détenus d’opinion, Rached Jaïdane a souvent été privé de la douche hebdomadaire.

2.13Outre les conditions de détention déplorables, Rached Jaïdane a été torturé à plusieurs reprises pendant sa détention à la prison du 9 avril. Chaque mise au cachot était précédée d’une séance de torture au cours de laquelle des gardiens le frappaient sur tout le corps avec des matraques, des tuyaux en plastique, des coups de pieds. Chaque fois, ils l’allongeaient sur le sol, lui attachaient les poignets et les chevilles et lui frappaient la plante des pieds avec une matraque ou un tuyau en plastique avant de l’enfermer dans le cachot. Au cours de deux de ces séances, Rached Jaïdane a perdu connaissance. Il s’est réveillé avec un médecin de la prison à ses côtés, surnommé « le Serbe », qui s’est assuré qu’il n’avait pas de fractures mais ne l’a jamais soigné. Les sévices et les mises au cachot se sont intensifiés durant plusieurs mois.

2.14À la fin de l’année 1994, Rached Jaïdane a été agressé par l’un des chefs de secteur de la prison. Ce dernier a insulté le détenu qui l’a insulté en retour. En représailles, le garde a dénudé le détenu et l’a menotté à la porte d’une des cellules d’isolement, l’a frappé avec un bâton en bois sur tout le corps pendant environ une heure, puis il l’a mis au cachot dans une cellule de 3 x 3 mètres, sans fenêtre, où se trouvaient déjà 17 personnes. Pendant dix jours, tous ces détenus se sont relayés pour dormir, sans lit ni couverture. Ils étaient privés de douche et de promenade et n’avaient droit qu’à un morceau de pain par jour. Rached Jaïdane n’est sorti du cachot qu’au bout de trente jours.

2.15Le requérant a été à nouveau agressé en 1996, pour le punir d’avoir rédigé une lettre à l’attention de Ben Ali. Quatre agents l’ont attaché dans la position du poulet rôti et l’ont frappé sur tout le corps y compris sur les organes génitaux et la plante des pieds (supplice de la falaqa). Les coups ont occasionné des séquelles, notamment un problème à l’œil droit pour lequel il n’a été opéré que cinq ans plus tard et une fracture au bras droit et au nez pour lesquelles il n’a pas été immédiatement soigné. Un codétenu lui confectionnera un plâtre avec du dentifrice et de la mie de pain pour soulager sa fracture au bras.

2.16Rached Jaïdane n’a vu le médecin de la prison du 9 avril que lors de ses grèves de la faim. Le médecin venait lui rendre visite pour le dissuader de continuer. Il a été hospitalisé à plusieurs reprises au cours de sa détention : en 1996, en raison d’un malaise cardiaque, en 1997, en raison d’une grève de la faim, puis à deux reprises en 2001, pour subir une opération à l’œil endommagé par les tortures.

2.17Dans les autres prisons dans lesquelles il a été détenu par la suite, Rached Jaïdane a été placé une fois à l’isolement pendant cinq mois, à la prison de Nadhor, et de nombreuses fois au cachot. Comme à la prison du 9 avril, pendant toutes ses périodes de cachot, il n’avait ni lit, ni couverture, ne mangeait qu’un morceau de pain par jour et était privé de douche et de promenade. Les cellules étaient dépourvues de fenêtre à l’exception du cachot de la prison de Mahdia. À raison de plusieurs périodes allant de sept à quinze jours, il a passé au total une semaine au cachot à la prison de Nadhor, environ quarante jours à la prison de Borj Erroumi, vingt jours à la prison de Mahdia, quinze jours à la prison de Monastir et dix jours à la prison de Gabès. L’une de ses mises au cachot pendant sa première incarcération à la prison de Borj Erroumi a été précédée d’une séance de tortures du même type que celles qu’il subissait avant d’être mis au cachot à la prison du 9 avril.

Libération et séquelles des tortures

2.18Rached Jaïdane a été libéré en février 2006, après treize années de tortures et de mauvais traitements dans les prisons tunisiennes. Il continue aujourd’hui de souffrir de graves séquelles physiques et psychologiques découlant des actes de torture subis et caractérisées par un taux d’incapacité de 35 %. Entre autres séquelles, il souffre notamment d’une implosion de l’œil droit, d’une déviation de la pyramide nasale, de bourdonnements aux oreilles, de vertiges positionnels, de fractures dentaires multiples, d’une aggravation d’une hernie et d’une varicocèle, et enfin d’une névrose post-traumatique (une expertise médicale est jointe). Rached Jaïdane ne peut pas concevoir d’enfant en raison de plusieurs de ces pathologies.

Démarches entreprises pour obtenir justice

2.19Le 3 juin 2011, RachedJaïdane a porté plainte pour torture contre plusieurs agents du Ministère de l’intérieur et de l’administration pénitentiaire, ainsi que contre le juge qui l’a condamné en première instance. Le juge d’instruction près le tribunal de première instance de Tunis saisi du dossier a ordonné une expertise médicale, qui a été réalisée le 4octobre 2011. Le médecin légiste a évalué l’incapacité permanente partielle résultant des sévices infligés à 35%.

2.20Le requérant souligne que le juge d’instruction n’a pas mené l’enquête de façon diligente, puisqu’il n’a pas cherché à identifier tous les auteurs de la torture etles témoins potentiels,ni cherché à vérifier, notamment au sein des archives du Ministère de l’intérieur, le rôle véritable et les prérogatives de chacun dans le cadre de leurs fonctions de l’époque au Ministère de l’intérieur et à la sûreté.En outre, le juge a choisi de renvoyer l’affaire devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Tunis et non devant la chambre criminelle. Le crime de torture n’existant pas dans le Code pénal à l’époque des faits, le juge d’instruction a donc choisi de poursuivre les personnes accusées des actes commis contre RachedJaïdane pour simple délit d’agression sur le fondement de l’article 101 du Code pénal.

2.21Le procès s’est ouvert devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Tunis en avril 2012. Malgré les demandes de l’avocat de la victime, la chambre a refusé de se désister en requalifiant l’infraction en crime, comme elle aurait pu le faire. De plus, depuis son ouverture, le procès n’a cessé d’être reporté, soit sur demande de la défense qui essaie ainsi de gagner du temps, soit en raison de l’absence à l’audience de l’un ou l’autre des accusés, prétendument malade ou tout simplement suite à un refus pur et simple de se présenter au tribunal. Toutes les demandes de report d’audience ont été acceptées. Par ailleurs, le requérant a été contacté à plusieurs reprises par des proches des accusés qui tentaient de le faire revenir sur ses accusations. Plus récemment, il a commencé à recevoir des appels téléphoniques anonymes le menaçant de le renvoyer en prison.

Conclusions concernant la condition d’épuisement des voies de recours internes

2.22Le requérant conclut qu’il a tenté d’utiliser les voies de recours internes disponibles, lesquelles se sont avérées inefficaces et vaines,puisqu’aucune enquête efficace n’a été menée pour les actes de torture subis. Il rappelle qu’il a, à plusieurs reprises, dénoncé les tortures subies au cours de sa garde à vue. Tout d’abord auprès du premier juge d’instruction devant lequel il a été présenté le 4 septembre 1993, après trente-septjours de détention arbitraire et de tortures au Ministère de l’intérieur. Le magistrat a refusé de prendre l’affaire en raison de l’état déplorable des accusés et de la faiblesse du dossier monté à leur encontre. Puis Rached Jaïdane a réitéré ses dénonciations lors de sa présentation devant le deuxièmejuge d’instruction, fin septembre 1993, mais elles ont été ignorées. Lors des deux entretiens avec ces magistrats instructeurs, Rached Jaïdane présentait des traces de torture apparentes. Malgré les allégations et les traces visibles de torture, les deux juges ont omis de dénoncer le crime. Les tortures se sont poursuivies tout au long de ses treizeannées d’emprisonnement. Ce n’est qu’après la révolution que Rached Jaïdane a pu espérer obtenir enfin justice pour les sévices subis. Il a porté plainte le 3 juin 2011 auprès du tribunal de première instance de Tunis et a enfin obtenu l’ouverture d’une instruction qui s’est close le 16 février 2012. Toutefois, saisi du dossier, le troisième juge d’instruction près le tribunal de première instancede Tunis n’a pas mené l’enquête de façon diligente, comme exposé précédemment. De manière évidente, la victime se heurte à la passivité et à un manque manifeste de diligence des autorités tunisiennes dans le traitement du dossier.

2.23Le requérant ajoute que le climat général d’impunité prévalant encore aujourd’hui en Tunisie pour les violations graves des droits de l’homme, notamment pour les actes de torture, implique qu’il est peu probable qu’il ait pu obtenir gain de cause devant les juridictions nationales. Les dysfonctionnements du système judiciaire ont un impact préoccupant sur la répression des crimes graves, et notamment des actes de torture. À la lumière des résultats de toutes les démarches entreprises par Rached Jaïdane pour obtenir justice,ce dernier demande au Comité de constater qu’il a tenté d’utiliser les voies de recours internes qui étaient disponibles mais qu’elles se sont avérées objectivement inefficaces, partiales et vaines, et qu’elles ont excédé les délais raisonnables. Plus de vingt et unans après la survenance des faits, la cause n’a toujours pas été examinée en vue de la poursuite et de la sanction des présumés auteurs. Au regard de la jurisprudence du Comité, un tel délai est manifestement excessif. Dès lors, le délai de plus de dix-huitans pour ouvrir une enquête sur les allégations de torture et celui de plus de trente-cinqmois depuis le début du procès, sans qu’un examen effectif de la cause n’ait mené à la poursuite et à la sanction de tous les auteurs et à la réparation de la victime, constituent des délais déraisonnables justifiant le non-épuisement des voies de recours internes.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant allègue la violation des articles 1, 2(par. 1), 4, 11, 12, 13, 14, 15 et16.

Qualification de torture (article premier)

3.2Selon le requérant, les actes dont il a fait l’objet sont des actes de torture, au sens de l’article premier de la Convention : Rached Jaïdane a incontestablement fait l’objet de sévices d’une extrême gravité qui ont provoqué des souffrances aiguës, a été soumis à de nombreuses tortures, tant au Ministère de l’intérieur qu’au cours de ses treizeans d’emprisonnement (voir les paragraphes 2.3 et suivants pour la période de garde à vue, et les paragraphes 2.13 et suivants relatifs aux tortures subies en détentionaprès la condamnation). Il continue aujourd’hui de souffrir de graves séquelles physiques et psychologiques découlant des actes de torture subis.

3.3L’intention des tortionnaires de Rached Jaïdane de le soumettre à des souffrances aiguës est manifeste. Le caractère coordonné des tortures infligées parces individus révèle donc sans ambiguïté une action délibérée des tortionnaires, avec pour finalité l’obtention d’aveux. Les sévices exercés en prison, quant à eux, avaient pour objectif de punir Rached Jaïdane de revendiquer ses droits.Il ne fait pas de doute que les actes de torture ont été infligés par des agents étatiques(la sûreté de l’État–service relevant du Ministère de l’intérieur– avec la complicité du Ministre de l’intérieur de l’époque et du Directeur de la sûreté nationale appartenant au même Ministère). Selon le requérant, sont aussi complices les deux magistrats instructeurs qui ont vu la victime le mois suivant sa garde à vue et se sont gardés de dénoncer les faits. Quant aux tortures infligées en prison, elles ont été le fait d’agents et de cadres de l’administration pénitentiaire opérant vraisemblablement avec le consentement des directeurs et sous-directeurs des prisons.

3.4Le requérant ajoute qu’il a été détenu au secret pendant les trente-septjours de détention au Ministère de l’intérieur en 1993, ce qui est également constitutif d’une violation de l’article premier. Sa famille n’a pas été prévenue de son placement en garde à vue et encore moins de son lieu de détention. Le Ministère de l’intérieur n’était d’ailleurs pas –et n’est toujours pas– un lieu de détention officiel.

3.5Le requérant a été exposé à des conditions de détention constitutives de torture, comme décrit ci-dessus aux paragraphes 2.11 et suivants.

Mesures efficaces pour prévenir des actes de torture (article 2, par. 1)

3.6Selon le requérant, un certain nombre de garanties procédurales devant entourer toute privation de liberté n’ont pas été respectées. Il est resté détenu au secret au Ministère de l’intérieur du 30 juillet au 4 septembre 1993, date de sa première présentation devant un juge d’instruction, soit pendant trente-septjours. Sa garde à vue a ainsi duré bien plus longtemps que le maximum autorisé par la loi à l’époque. De plus, en violation du Code de procédure pénale, sa famille n’a pas été prévenue de son placement en garde à vue au Ministère de l’intérieur et il n’a pas eu accès à un médecin. En sus, il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat car le droit tunisien ne garantit pas un tel droit aux gardés à vue. Rached Jaïdane est ainsi resté détenu arbitrairement au Ministère. Après qu’il a été présenté devant un premier juge d’instruction le 4 septembre 1993, puis devant la direction de la prison du 9 avril le même jour, présentant des traces visibles de torture, il a été ramené au Ministère de l’intérieur le 20 septembre pour lui faire signer des procès-verbaux sous la menace de nouvelles tortures. Sa détention provisoire a duré près de trois ans, un délai déraisonnable. Les autorités tunisiennes ont donc, à plusieurs reprises, violé l’article2 (par. 1) de la Convention.

3.7Le requérant ajoutequ’au moment des faits la torture n’était pas criminalisée dans l’ordre juridique tunisien, et qu’il a fallu attendre 1999 pour que le Code pénal intègre le crime de torture. Il ajoute que la définition de la torture n’est pas conforme à la Convention. L’article 101bis, tel qu’introduit dans le Code pénal tunisien en 1999, a été modifié après la révolution par le décret-loi 106 du 22 octobre 2011, prétendument pour accroître la répression du phénomène tortionnaire. Le résultat en est une définition de la torture plus éloignée que la précédente de la définition internationale donnée par la Convention contre la torture.Les actes de torture commis avant l’introduction de l’article 101bis dans le Code pénal en 1999 ne devraient théoriquement pas être sanctionnés sur ce fondement, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Toutefois, l’article 148-9 de la nouvelle Constitutionprévoit que pour les crimes soumis au mécanisme de justice transitionnelle, parmi lesquels la torture, estirrecevable « l’évocation de la non-rétroactivité des lois, de l’existence d’une amnistie antérieure, de l’autorité de la chose jugée, ou de la prescription du crime ou de la peine ».

Mesures visant à s’assurer que les actes de torture constituent des infractions au regard du droit pénal, assorties de sanctions appropriées (article 4)

3.8Selon le requérant, le magistrat aurait dû qualifier les actes de violation des articles 250 et 251 du Code pénal, au regard de la détention arbitraire du requérant. L’article 251 « punit de dix ans d’emprisonnement et de 20000 dinars d’amende quiconque, sans ordre légal, aura capturé, arrêté, détenu ou séquestré une personne ». L’article 251 prévoit des circonstances aggravantes: « La peine est de vingt ans d’emprisonnement et de 20000 dinars d’amende : a) si la capture, arrestation, détention ou séquestration a été accompagnée de violences ou de menaces […] La peine est de l’emprisonnement à vie si la capture, arrestation, détention ou séquestration a duré plus d’un mois ou s’il en est résulté une incapacité corporelle ou maladie ou si l’opération a eu pour but soit de préparer ou faciliter la commission d’un crime ou délit, soit de favoriser la fuite ou d’assurer l’impunité des auteurs et complices d’un crime ou délit, soit de répondre à l’exécution d’un ordre ou condition, soit de porter atteinte à l’intégrité physique de la victime ou des victimes ». Selon le requérant, ces qualifications juridiques auraient été plus respectueuses de l’article 4 de la Convention.Les actes ayant été qualifiés de « délits », les personnes mises en cause encourent une peine de cinq ans d’emprisonnement maximum, ce qui paraît bien faible au regard de la gravité des faits.

Surveillance systématique des règles (article 11)

3.9Selon le requérant, de toute évidence, au regard de l’état critique dans lequel il se trouvait suite à l’interrogatoire, les autorités tunisiennes n’ont pas exercé la surveillance nécessaire sur le traitement qui lui était réservé. En outre, plusieurs irrégularités procédurales ont été relevées, notamment la détention au secret au Ministère de l’intérieur pendant trente-septjours ; le dépassement du délai maximal de garde à vue ; l’absence d’information de la famille ; le déni d’accès à des soins médicaux ; l’absence d’assistance d’un avocat, car le droit tunisien ne garantit pas un tel droit aux gardés à vue ; et la détention dans un lieu de privation de liberté nonreconnu.

3.10En outre, pendant ses treizeans d’incarcération, il a été privé à de nombreuses reprises de son droit de recevoir les visites de sa famille. Placé en détention le 4 septembre 1993, il n’a pu recevoir leur visite pour la première fois qu’en décembre de la même année. Par la suite, il a été privé de ce droit à chaque fois qu’il a été mis au cachot. Son droit d’être examiné par un médecin en prison n’a pas été respecté. Les rares médecins qu’il a vus se sont en effet contentés de vérifier qu’il n’avait pas de fracture après deux séances de passage à tabac et, à plusieurs reprises, lui ont rendu visite pour le dissuader de poursuivre ses grèves de la faim. Ils ne l’ont jamais soigné, si bien que Rached Jaïdane a dû être hospitalisé à plusieurs reprises pendant son incarcération, parfois dans un état critique.

Enquête prompte et impartiale (article 12)

3.11Le requérant invoque également l’article 12, en soulignant que les autorités judiciaires ont été informées des tortures subies par Rached Jaïdane dès la fin de sa garde à vue le 4 septembre 1993, lors de sa présentation devant un premier juge d’instruction, après trente-septjours de détention arbitraire et de tortures au Ministère de l’intérieur. Puis Rached Jaïdane a réitéré ses dénonciations lors de sa présentation devant le deuxièmejuge d’instruction, fin septembre. Lors des deux entretiens avec ces magistrats instructeurs, ilprésentait des traces de torture apparentes. Pourtant, les deux juges ont omis de dénoncer le crime et d’ordonner une expertise médicale.

3.12Après le dépôt de sa plainte le 3 juin 2011 auprès du tribunal de première instance de Tunis, l’instruction a été clôturée le 16 février 2012, et il ne peut être considéré qu’une enquête a été immédiatement initiée sur les faits, ni qu’elle a été prompte et impartiale, étant donné que plus de vingt et unans se sont écoulés depuis la première dénonciation des faits sans qu’une enquête effective ne soit menée nique des poursuites soient engagées contre les présumés responsables. La qualification juridique retenue par le juge d’instructionétait le simple délit de violence. Enfin, le procès ouvert en avril 2012 a déjà fait l’objet de 15reports d’audience, ce qui manifeste un manque de volonté de l’institution judiciaire de rendre justice à l’auteur de la plainte.

Examen immédiat et impartial des allégations(article 13)

3.13Le requérant ajoute que, pour les mêmes motifs exposés au titre de l’article 12, une violation de l’article 13 de la Convention doit également être retenue.

Droit à réparation (article 14)

3.14Au titre de l’article 14, le requérant rappelle qu’un certain nombre de garanties procédurales entourant sa détention n’ont pas été respectées, et qu’en le privant d’une procédure pénale tel qu’exposé ci-dessus, l’État tunisien l’a privé par la même occasion de la voie légale privilégiée pour obtenir une indemnisation pour les préjudices matériels et immatériels dusà des crimes graves tels que la torture.

3.15Le 15 mars 2012, sur la base de son attestation d’amnistie qui lui a été délivrée après la révolution en tant qu’ancien prisonnier politique injustement condamné, Rached Jaïdane a adressé une demande d’indemnisation au Ministère des droits de l’homme et de la justice transitionnelle –qui n’existe plus aujourd’hui. Il n’a jamais obtenu de réponse. En outre, il n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation, et souffre toujours aujourd’hui de séquelles tant physiques que psychologiques, faute d’avoir bénéficié de mesures adaptées à son état.

3.16En janvier 2013, Rached Jaïdane a été recruté comme professeur de mathématiques au collège-lycée de Hay Khadra, à Tunis, sur le fondement de la loi n° 2012-4 du 22 juin 2012 qui permet aux anciens détenus politiques amnistiés ou à leurs ayants droit de demander l’accès à un poste dans la fonction publique dans les six mois. Le requérant souligne toutefois que ce recrutement ne suffit pas à remplir les obligations assignées à l’État partie par l’article 14 de la Convention.

Non-utilisation des déclarations obtenues par la torture (article 15)

3.17Se référant à la jurisprudence du Comité,le requérantindique que c’estsur la base de ses aveux qu’il a été placé en détention provisoire puis condamné à vingt-sixans d’emprisonnement. Malgré ses allégations de torture, les conditions d’établissement du procès-verbal n’ont jamais été vérifiées par les autorités et les aveux n’ont pas été frappés de nullité.

Peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 16)

3.18Il est fermement soutenu que les violences infligées à Rached Jaïdane constituent des tortures conformément à la définition de l’article premier de la Convention. Néanmoins, si le Comité estimait ne pas devoir retenir cette qualification, il est subsidiairement maintenu que les sévices endurés par la victime constituent en tout cas des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Demande de mesures provisoires

3.19Le requérant, se référant aux observations finales du Comité, rappelle que, depuis qu’il a porté plainte le 3 juin 2011, des proches des accusés l’ont enjoint de retirer sa plainte ou d’abandonner ses accusations. En octobre 2014, il a reçu des appels anonymes menaçant de le faire renvoyer en prison. Parmi les personnes responsables des faits de torture, certains jouissent encore vraisemblablement de pouvoirs et de moyens de pression importants. C’est le cas notamment du très redouté ancien Directeur de la sûreté de l’État poursuivi par contumace. Suspecté dans plusieurs affaires de torture en cours d’instruction, il a déjà été condamné à cinq ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès, le 14 novembre2011, mais a été récemment libéré. Il est considéré comme étant en fuite alors qu’il se trouverait en Tunisie et bénéficie toujours d’une grande influence au sein de la police. De la même façon, leDirecteur de la prison de Borj Erroumi occupe aujourd’hui un haut poste au sein de l’administration pénitentiaire. Le requérant craint donc légitimement des représailles.

3.20Le requérant demande par conséquent au Comité des mesures de protection, afin qu’aucun préjudice irréparable ne lui soit causé, et des garanties quant à la protection des archives du Ministère de l’intérieur, du Ministère de la justice et de l’administration pénitentiaire qui pourraient être utile à la recherche de la vérité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations du 31 juillet 2015, l’État partie relève que le requérant a déposé une plainte contre un certain nombres d’individus, dont l’ancien président Zine el Abidine Ben Ali, pour actes de torture commis sur sa personne. La plainte a été enregistrée au parquet du tribunal de première instance sous le numéro 7028088/011 le 3 juin 2011. Le parquet a autorisé l’ouverture d’une information provisoire, prise en charge par le premier juge d’instruction prèsletribunal de première instance de Tunis. Le juge a qualifié les actes de crime d’usage de violence grave sans motif légitime commis par un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions, en vertu de l’article 101 du Code pénal.Le juge a alors renvoyé l’affaire devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Tunis pour l’engagement des poursuites. Le requérant a alors interjeté appel de l’ordonnance de clôture d’instruction. Lors de l’audience du 8 avril 2015, le tribunal de première instance de Tunis a condamné à cinq ans de prison ferme l’accusé Zine el Abidine Ben Ali pour avoir fait usage de violence dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions sans motif légitime envers des personnes ; ce dernier a aussi été condamné à supporter les frais de procédure de l’action publique. Quant aux infractions relatives aux autres prévenus, le tribunal a statué la prescription de l’action publique.

4.2Selon l’État partie, le requérant n’a pas épuisé les recours internes, puisque l’affaire fait toujours l’objet d’un examen devant la cour d’appel et que la décision de la cour d’appel pourra également faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

4.3Pour ce qui est du fond de l’affaire, et de manière subsidiaire, l’État partie souligne que dès le dépôt, devant le parquet, de la plainte du requérant, le Procureur de la République a autorisé l’ouverture d’une information provisoire, en en chargeant le tribunal de première instance de Tunis qui, après les enquêtes nécessaires, a terminé ses travaux par l’ordonnance de clôture de l’instruction en renvoyant les accusés devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Tunis, pour l’engagement des poursuites en rapport avec les chefs d’inculpation retenus. Zine el Abidine Ben Ali a été condamné. Par ailleurs, le requérant, qui a interjeté appel du jugement initial, n’a pas épuisé les recours internes.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 25 août 2016, le requérant a mis en exergue le caractère vain des recours internes disponibles en Tunisie, ainsi que le dépassement des délais raisonnables. Selon lui, le nouveau développement survenu depuis la saisine du Comité, soit la décision du tribunal de première instance de Tunis rendue le 8 avril 2015, confirme ces deux constatations.

5.2Le procès s’étant ouvert devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance en avril 2012, il a donc duré trois ans. Le plaignant a interjeté appel et, en juillet 2016, l’appel n’a toujours pas été examiné. Le requérant demande donc au Comité de considérer que les recours ont excédé les délais raisonnables. Par ailleurs, l’inefficacité et le caractère vain des voies de recours internes sont d’autant plus patents que le tribunal de première instance a considéré les faits prescrits, et non susceptibles de poursuites.

5.3Le requérant en conclut qu’en refusant de poursuivre ses tortionnaires, au motif que les faits sont prescrits, en raison du choix de la qualification juridique de délit de violence, prescriptible en trois ans, les juges tunisiens ont violé les articles 2, 4 et 14 de la Convention.

5.4L’auteur souligne qu’une telle qualification résulte de la non-rétroactivité de l’article 101 bis du Code pénal tunisien, qui criminalise la torture et qui n’a été adopté qu’en 1999. Avant l’adoption de la loi no 98 de 1999, le crime de torture n’était pas sanctionné en tant que tel, mais en tant que simple violence, en vertu de l’article 101 du Code pénal (voir le paragraphe 2.20 ci-dessus). Dès lors, l’usage de violence par un agent public était qualifié de délit et non de crime. La loi no 98 a introduit l’article 101 bis, qui « punit d’un emprisonnement de huit ans le fonctionnaire ou assimilé qui soumet une personne à la torture, et ce, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ».

5.5Or, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, un accusé ne peut être condamné que sur le fondement d’une loi applicable au moment où il a commis l’infraction, avec pour seule exception le principe de lex mitior,soit l’application de la loi la plus favorable, même si cette dernière est entrée en vigueur après l’infraction. En l’espèce, l’article 101 bis du Code pénal prévoyant des peines plus lourdes que l’article 101, il ne peut donc s’appliquer rétroactivement aux violences exercées par des agents publics avant 1999.

5.6Le requérant réitère pour ces raisons que l’absence de criminalisation de la torture avant 1999, malgré la ratification de la Convention par la Tunisie en 1988, constitue une violation de l’article 4 de ladite Convention. Il ajoute que la qualification de délit de violence retenue dans cette affaire est aussi la conséquence d’un manque de diligence et, probablement, d’un manque d’indépendance et d’impartialité des magistrats.

5.7Malgré les demandes des avocats des victimes, les juges ont maintenu qu’en raison de la qualité d’agent public des auteurs, l’article 101 du Code pénal devait obligatoirement trouver à s’appliquer.

5.8L’article 218 du Code pénal prévoit que tout individu – donc pas nécessairement un agent public – qui, volontairement, blesse, porte des coups ou commet toute autre violence ou voie de fait est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 1 000 dinars et, en cas de préméditation, de trois ans d’emprisonnement et 3 000 dinars d’amende. L’article 219 ajoute que, si les violences en question ont été suivies de mutilation, perte de l’usage d’un membre, défiguration, infirmité ou incapacité permanente dont le taux ne dépasse pas 20 %, le coupable est puni de cinq ans d’emprisonnement, et la peine encourue est de dix ans de prison, s’il est résulté de ces violences une incapacité dont le taux dépasse 20 %. Dans ce dernier cas, la peine encourue étant de plus de cinq ans, c’est la chambre criminelle et non plus la chambre correctionnelle qui est compétente.

5.9Cette question de l’incapacité de la victime comme circonstance aggravante n’est pas prévue par l’article 101 du Code pénal qui concerne les violences perpétrées par les seuls agents publics. Le paradoxe réside dans le fait que l’article 101 prévoit une peine plus lourde que l’article 218 au motif que le fait, pour l’auteur de l’acte, d’être un agent public constitue une circonstance aggravante. En revanche, la peine prévue par l’article 101 est plus légère que celle prévue par l’article 219 qui prévoit des circonstances aggravantes qui ne sont pas prises en compte par l’article 101. Par conséquent, grâce à leur qualité d’agents publics, les auteurs des actes de torture dans la présente affaire échappent aux peines lourdes prévues par l’article 219 qui s’appliqueraient à eux s’ils n’étaient pas des agents publics.

5.10Par ailleurs, les magistrats ont implicitement rejeté une autre qualification juridique, à l’article 250 du Code pénal, qui « punit de dix ans d’emprisonnement et de 20 000 dinars d’amende quiconque, sans ordre légal, aura capturé, arrêté, détenu ou séquestré une personne ». Or, Rached Jaïdane a été arrêté sans mandat et détenu au secret au sein du Ministère de l’intérieur pendant plusieurs semaines, en violation du Code de procédure pénale.

5.11Le recours à la qualification de violence est lourd de conséquences dans la mesure où le délit de violence se prescrit après trois ans. Même s’il est requalifié en crime en tenant compte de circonstances aggravantes, les faits sont prescrits au bout de dix ans.

5.12Le requérant ajoute que la prescription contrevient en outre à l’article 2 de la Convention, interprété par le Comité comme interdisant aux États de retenir la prescription pour empêcher la poursuite des crimes de torture. Dans le cas d’espèce, bien que l’imprescriptibilité du crime de torture soit consacrée par la nouvelle Constitution tunisienne, l’État partie s’est soustrait aux obligations fixées par l’article 2 de la Convention en retenant une autre qualification des faits afin de déclarer l’infraction prescrite.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête, en faisant valoir que le requérant n’avait pas épuisé les recours internes. À cet égard, le Comité relève: que le requérant a déposé une plainte pénale, enregistrée au parquet du tribunal de première instance le 3 juin 2011 ; que le procès s’est ouvert en avril 2012 ;qu’une décision a été rendue le 8 avril 2015, soit trois ans après, déclarant les faits prescrits et nonsusceptibles de poursuites (à l’exception des faits imputables à l’ancien Président Ben Ali) ; et que le requérant a interjeté appel de la décision, mais qu’à ce jour, la cause n’a pas été entendue, la prochaine audience étant fixée au 20 octobre 2017. Le Comité estime que l’entrave procédurale insurmontable imposée au requérant par suite de l’inaction des autorités compétentes a rendu fort improbable l’ouverture d’un recours susceptible de lui apporter une réparation utile. En l’absence de renseignements pertinents émanant de l’État partie, le Comité conclut que les procédures internes ont excédé les délais raisonnables. En conséquence, le Comité n’est pas empêché d’examiner la présente communication au titre du paragraphe 5 b de l’article 22 de la Convention.

6.3Ne voyant pas d’autre obstacle à la recevabilité de la requête, le Comité la déclare recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 del’article 22de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité note que le requérant impute à l’État partie les violations des articles 1, 2(par.1), 4 et 11 à 16 de la Convention.

7.3Concernant le grief tiré de l’article premier, le Comité prend note des allégations du requérant,selon lesquelles il a été exposé à des actes de torture de la part d’agents de l’État partie, et ce dernier n’a pas pris toutes les mesures efficaces pour empêcher qu’il soit soumis à de tels actes. Le Comité relève tout d’abord que le requérant a été arrêté dans la nuit du 29 au 30 juillet 1993, puis conduit au Ministère de l’intérieur, où il a été interrogé et détenu arbitrairement vingt jours durant (voir les paragraphes 2.2 et suivants). LeComité relève que le requérant a fourni un compte rendu détaillé de tortures effroyables subies au Ministère de l’intérieur, commises lorsque la victime était sous le contrôle d’agents de la sûreté nationale, qu’il a identifiés et nommés. Le Comité relève en outre qu’à la prison du 9 avril, le requérant a été torturé à plusieurs reprises, détenu à l’isolement, et privé de soins médicaux durant de longues périodes, malgré un besoin évident de soins (paragraphes 2.11 et suivants).

7.4Le Comité relève également que le requérant affirme souffrir aujourd’hui de nombreuses séquelles physiques et psychologiques des tortures subies, et qu’il a fourni des rapports d’examens médicaux à cet égard (par.2.18).Le Comité observe que l’État partie n’a réfuté aucune de ces allégations. Dans ces circonstances, et sur la base des informations mises à sa disposition, le Comité conclut que les allégations du requérant doivent être prises pleinement en considération ; que les sévices qui ont été infligés à ce dernieront été commis par des agents de l’État partie à titre officiel ; et que ces actes sont constitutifs d’actes de torture au sens de l’articlepremier de la Convention.

7.5Ayant constaté une violation de l’article premier de la Convention, le Comité ne se penchera pas sur les griefs invoqués par le requérant, de manière subsidiaire, au titre de l’article 16 de la Convention.

7.6Le requérant invoque également le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, en vertu duquel l’État partie aurait dû prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction. Le Comité observe, en l’espèce, que le requérant a été arrêté sans qu’un mandat ne lui soit présenté ; qu’il a été détenu au secret au Ministère de l’intérieur du 30 juillet au 4 septembre 1993, soit pendant trente-septjours, dépassant ainsi largement le maximum de quatre jours autorisé par la loi (par.2.7 ci-dessus) ; que le contrôle de la légalité de sa détention n’a pas été effectué dans les délais légaux impartis ; et qu’il a, en détention préventive, été privé de contact avec sa famille et de soins médicaux pourtant nécessaires à son état. Victime d’actes de torture d’une extrême violence, qu’il a dénoncés à plusieurs reprises, les actes en question demeurent impunis. En conséquence, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article premier de la Convention.

7.7S’agissant de la violation présumée de l’article 4 de la Convention, le Comité rappelle que l’un des objectifs de la Convention est d’empêcher l’impunité des personnes qui ont commis des actes de torture. Il rappelle aussi que l’article 4 fait obligation aux États parties d’ériger les actes de torture en infraction pénale, et d’imposer aux auteurs d’actes de torture des peines appropriées eu égard à la gravité des actes en question. Le Comité rappelle qu’en l’espèce, plus de vingt et unans après la survenance des faits, la cause n’a toujours pas été examinée en vue de la poursuite et de la sanction des présumés auteurs des tortures infligées au requérant. Le Comité relève également qu’en raison du principe de non-rétroactivité de l’article 101 bis, criminalisant la torture, les accusés ont été poursuivis pour délit, passible de peines de cinq ans de prison maximum, bien que la gravité des accusations portées contre eux eût mérité des charges pénales et des sanctions correspondantes exemplaires. À cet égard, le Comité rappelle ses observations finales, dans lesquelles il a exprimé sa préoccupation quant à l’application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, eu égard aux actes commis avant l’introduction, dans le Code pénal révisé de 1999, du crime de torture (à l’article 101 bis), ainsi que sa recommandation corollaire, adressée à l’État partie, de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer que les actes de torture commis avant 1999 font l’objet de poursuites pour des infractions passibles de peines reflétant la gravité du crime » (voir CAT/C/TUN/CO/3, par. 35 et 36).Le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention.

7.8Le Comité note également l’argument du requérant selon lequel l’article 11 aurait été violé car l’État partie n’a pas exercé la surveillance nécessaire quant au traitement qui lui a été réservé lors de son arrestation et durant sa détention. Il a allégué, en particulier, que son arrestation et sa détention n’ont pas été assorties des garanties procédurales et du contrôle qui s’imposaient ; qu’il a été privé de soins médicaux, malgré l’état critique dans lequel il se trouvait ; qu’il a été privé à plusieurs reprises de contacts avec sa famille ; qu’il n’a pas été assisté par un conseil lors de sa détention préventive ; et qu’il a été détenu dans des conditions déplorables. En l’absence d’informations probantes de la part de l’État partie, susceptibles de démontrer que la détention du requérant a en effet été placée sous sa surveillance, le Comité conclut à une violation de l’article 11 de la Convention par l’État partie.

7.9S’agissant des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité relève avec préoccupation que,malgré l’enregistrement de la plainte du requérant pour actes de torture en 2011 auprès du tribunal de première instance de Tunis, l’instruction a été clôturée le 16 février 2012, sans qu’aucune enquête effective ne soit entreprise, bien que près de vingt-quatre ans se soient écoulés depuis la première dénonciation des faits par la victime, lors de sa présentation devant le juge d’instruction à la fin de sa garde à vue le 4 septembre 1993.

7.10Bien que l’État partie ait revendiqué l’ouverture d’une enquête, il n’a fourni aucun détail sur l’état d’avancement de cette procédure ni sur la poursuite des auteurs présumés des actes de torture et de mauvais traitements. Le Comité rappelle l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article 12 de la Convention, de veiller à ce qu’il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale ex officio chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. Une telle enquête doit être rapide, immédiate et efficace. De plus, une enquête criminelle doit chercher tant à déterminer la nature et les circonstances des faits allégués qu’à établir l’identité des personnes qui ont pu être impliquées.

7.11Le Comité conclut que l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation, imposée par l’article 12 de la Convention. Ce faisant, il a également manqué à la responsabilité qui lui revenait, au titre de l’article 13 de la Convention, d’assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes, qui doivent apporter une réponse adéquate à une telle plainte par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale.

7.12Au titre de l’article 14, le requérant a argué qu’en le privant d’une procédure pénale tel qu’exposé ci-dessus, l’État tunisien l’a privé par la même occasion de la voie légale privilégiée pour obtenir une indemnisation pour les préjudices matériels et immatériels dusà des crimes graves tels que la torture. Le Comité relève en outre que la victime n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitationconcernant les séquelles lourdes dont elle souffre aujourd’hui, tant sur le plan physique que psychologique, attestées médicalement de manière accablante.Le Comité considère par conséquent que le requérant a été privé de ses droits d’obtenirréparation et d’être indemnisé au titre del’article14 de la Convention.

7.13En ce qui concerne l’article 15, le Comité a pris note de l’allégation du requérant selon laquelle la procédure judiciaire initiée à son encontre, puis sa condamnation à vingt-six ans de prison,ont été établies sur la base du procès-verbal qu’il a signé sous la torture. Malgré ses dénonciations, ses allégations n’ont jamais été vérifiées par les autorités et ses aveux n’ont pas été frappés de nullité. L’État partie n’a pas apporté d’argument susceptible de contrer cette allégation. Le Comité rappelle que la généralité des termes de l’article 15 de la Convention découle du caractère absolu de la prohibition de la torture et implique, par conséquent, une obligation pour tout État partie de vérifier si des déclarations faisant partie d’une procédure pour laquelle il est compétent n’ont pas été faites sous la torture. En ne procédant pas aux vérifications qui s’imposaient, et en utilisant de telles déclarations dans la procédure judiciaire engagée à son encontre, l’État partie a violé ses obligations au regard de l’article 15 de la Convention.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation del’article 2 (par. 1), lu conjointement avec l’article 1, et des articles 4 et 11 à 15 de la Convention.

9.Le Comité invite instamment l’État partie : a) à s’assurer que tous les actes de torture commis avant 1999 fassent l’objet de poursuites pour des infractions passibles de peines reflétant la gravité du crime et à modifier sa législation pénale de sorte qu’elle permette de telles poursuites ; b) à mener à bien l’enquête qui a été engagée sur les événements en question, dans le but de poursuivre en justice toutes les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé au requérant ; c) à octroyer au requérant une réparation appropriée, incluant des mesures d’indemnisation pour les préjudices matériels et immatériels causés, de restitution, de réhabilitation, de satisfaction et de garantie de non-répétition ; et d) à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir toute menace ou acte de violence auquel le requérant et sa famille pourraient être exposés, en particulier pour avoir déposé la présente requête. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité enjoint l’État partie de l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci-dessus.