NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/91/D/1533/200614 décembre 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-onzième session15 octobre-2 novembre 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1533/2006

Présentée par:

Zdenek et Milada Ondracka(représentés par un conseil, M. James R. Shaules)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

17 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 4 décembre 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

31 octobre 2007

Objet: Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure: Abus du droit de présenter une communication

Questions de fond: Égalité devant la loi et égale protection de la loi

Article du Pacte: 26

Article du Protocole facultatif: 3

Le 31 octobre 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1533/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑onzième session

concernant la

Communication n o  1533 /2006 *

Présentée par:

Zdenek et Milada Ondracka(représentés par un conseil, M. James R. Shaules)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

17 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no1533/2006 présentée par Zdenek et Milada Ondracka en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication (datée du 17 avril et du 14 août 2006) sont M. Zdenek Ondracka et Mme Milada Ondracka, de nationalité américaine et tchèque, nés en 1929 et en 1933, respectivement, dans l’ancienne Tchécoslovaquie, et résidant actuellement aux États‑Unis. Ils se déclarent victimes d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Ils sont représentés par un conseil, M. James R. Shaules.

1.2Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Protocole facultatif) est entré en vigueur pour la République tchèque le 22 février 1993.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Du temps du régime communiste, les auteurs ont acheté une parcelle à Uherske Hradiste, en République tchèque, où ils ont construit leur maison avec l’aide financière et matérielle de leur famille. En raison de la répression politique pratiquée par le régime communiste, les auteurs, utilisant des passeports tchécoslovaques, ont quitté la Tchécoslovaquie en 1981 pour des vacances d’une durée de vingt et un jours en Bulgarie et en Yougoslavie, mais ne sont pas retournés dans leur pays à la date voulue. Par la suite, et sans l’autorisation des autorités publiques, ils ont émigré aux États-Unis. En 1982, ils ont été jugés par défaut par un tribunal tchécoslovaque et condamnés à trois années d’emprisonnement et à la confiscation de leurs biens pour avoir abandonné le pays. En 1988, les auteurs ont obtenu la nationalité américaine. En vertu d’un traité sur la naturalisation conclu en 1928 par les États-Unis et la Tchécoslovaquie, ils ont perdu leur nationalité tchécoslovaque.

2.2En 1991, le Gouvernement tchèque a adopté la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire, énonçant les conditions de restitution de leurs biens aux personnes auxquelles ils avaient été confisqués sous le régime communiste. En vertu de cette loi, pour pouvoir prétendre à la restitution de ses biens, il fallait notamment a) être de nationalité tchécoslovaque, et b) résider à titre permanent en République tchèque. Ces conditions devaient être satisfaites pendant la période fixée pour la présentation des demandes de restitution, à savoir entre le 1er avril et le 1er octobre 1991. Dans un arrêt du 12 juillet 1994 (no 164/1994), la Cour constitutionnelle tchèque a annulé la condition de résidence permanente et fixé de nouveaux délais − du 1er novembre 1994 au 1er mai 1995 − pour la présentation des demandes de restitution par les personnes qui remplissaient les conditions ainsi modifiées.

2.3En 1991, en vertu de la loi no 119/90, un tribunal tchèque a rendu une décision (no Rt 177/91‑4) par laquelle les auteurs étaient réhabilités et les conséquences du jugement les condamnant annulées. Le 31 octobre 1995, les auteurs ont présenté une demande de restitution de leurs biens confisqués au tribunal de district de Uherske Hradiste. Cette demande a été rejetée le 4 février 1998 (no 5C 224/95‑29) au motif que les auteurs ne remplissaient pas la condition de nationalité pendant la période au cours de laquelle les nouvelles demandes de restitution pouvaient être présentées (période qui s’est achevée le 1er mai 1995). Les auteurs n’ont pas fait appel de ce jugement car ils ont été informés qu’il serait vain d’attaquer la décision du tribunal. Leur attitude s’explique par le fait que la Cour constitutionnelle de la République tchèque avait déjà rendu une décision (Pl. US 33/96‑41, pièce K), confirmant la constitutionnalité de l’application discriminatoire du paragraphe 1 de la loi no 87/1991 dans une affaire extrêmement similaire, ainsi que par la décision de ladite juridiction dans l’affaire no 185/1997, dans laquelle elle avait estimé que l’exigence de la nationalité à des fins de restitution était raisonnable. Les auteurs font donc valoir qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs se disent victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte, la condition de nationalité fixée par la loi no 87/1991 constituant une discrimination illégale. Ils invoquent la jurisprudence du Comité dans les affaires Adam c. République tchèque, Blazek c. République tchèque, Marik c. République tchèque et Kriz c. République tchèque, dans lesquelles le Comité a estimé que l’État partie avait violé l’article 26.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note du 1er juin 2007, l’État partie a transmis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il conteste la recevabilité de la communication au motif qu’elle constitue un abus du droit de soumettre des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Il invoque la jurisprudence du Comité, en particulier dans l’affaire Gobin c. Maurice. Dans la présente affaire, l’État partie fait valoir que les auteurs se sont adressés au Comité le 17 avril 2006, soit huit ans et deux mois après la décision du tribunal de district de Uherske Hradiste, le 4 février 1998, sans donner de raison pour expliquer ce retard.

4.2L’État partie rappelle que les auteurs n’ont acquis la nationalité tchèque que le 23 juin 2000. Il fait valoir qu’ils n’ont pas été soumis à un traitement différent mais qu’ils ont été traités de la même manière que toutes les autres personnes qui ne remplissaient pas la condition de la nationalité au 1er octobre 1991, comme l’exigeait la loi no 87/1991. Étant donné que les auteurs n’ont acquis la nationalité de la République tchèque que le 23 juin 2000, cette condition n’était pas remplie. D’après l’État partie, il s’agit là de l’interprétation établie de cette loi, suivie également par la Cour suprême.

4.3L’État partie renvoie également à ses réponses dans des affaires analogues précédentes et souligne que les lois de restitution, y compris la loi no 87/1991, avaient deux objectifs: atténuer les conséquences des injustices commises sous le régime communiste et faciliter une vaste réforme économique en vue d’établir une économie de marché efficace. Vu qu’il n’était pas possible de réparer toutes les injustices commises dans le passé, les conditions préalables restrictives ont été mises en place, notamment la condition de la nationalité, dont le but essentiel était d’inciter les propriétaires à entretenir correctement les biens qui avaient fait l’objet d’une privatisation. D’après l’État partie, la condition de la nationalité a été déclarée conforme à la Constitution de la République tchèque, tant par le Parlement que par la Cour constitutionnelle.

4.4Enfin, l’État partie souligne que, outre le critère de nationalité, la loi no 87/1991 énonce d’autres conditions que les intéressés devaient remplir pour que leur demande de restitution aboutisse. En particulier, une des conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 5 de cette loi était que l’intéressé avait six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi, c’est‑à‑dire jusqu’au 1er octobre 1991, pour demander à l’actuel propriétaire de son bien la restitution, faute de quoi la demande serait caduque. L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas respecté cette condition, et ont déposé leur demande directement au tribunal de district, le 31 octobre 1995, c’est‑à‑dire après expiration du délai d’un an fixé au paragraphe 4 de l’article 5 de cette loi, qui dispose que si le responsable actuel du bien rejette la demande faite conformément au paragraphe 2 du même article l’intéressé peut porter l’affaire devant un tribunal, dans le délai d’un an, c’est‑à‑dire avant le 1er avril 1992.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Les auteurs ont adressé leurs commentaires, en date du 29 août 2007, sur la réponse de l’État partie. Au sujet de l’argument selon lequel leur communication constituerait un abus du droit de présenter des plaintes, les auteurs font valoir que le retard est imputable au fait que leur avocat en République tchèque ne les avait pas informés de la possibilité d’adresser une demande au Comité. Après le rejet de leur demande de restitution par un tribunal tchèque, en 1998, cet avocat leur avait en fait recommandé d’abandonner l’affaire. Les auteurs, âgés de 78 et 74 ans respectivement alors et ne possédant aucune formation juridique, n’ont eu connaissance de la jurisprudence du Comité concernant la restitution de biens qu’en 2005, par le canal d’Internet. Le 30 mars 2006, ils ont écrit au Comité, qui leur a demandé de soumettre des renseignements supplémentaires. Tout de suite après, ils ont engagé un avocat aux États-Unis pour saisir le Comité de l’affaire.

5.2Les auteurs réaffirment que, compte tenu de la jurisprudence claire du Comité sur la question de la restitution de biens, il y a eu une violation par l’État partie de l’article 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas contesté l’argument des auteurs qui affirment que dans leur cas il n’y a plus aucun recours interne disponible utile. Dans ce contexte, le Comité rappelle que seuls les recours qui sont disponibles et utiles doivent être épuisés. La loi applicable relative aux biens confisqués ne permet pas le rétablissement de la situation antérieure ni l’octroi d’une indemnisation. Après le jugement du tribunal de district de Uherske Hradiste, en date du 4 février 1998, rejetant la demande de restitution présentée par les auteurs, plus aucun recours utile ne s’offrait aux auteurs devant la justice tchèque. Dans son arrêt no 185/1997, la Cour constitutionnelle de la République tchèque a confirmé qu’elle considérait que la condition de la nationalité fixée pour obtenir la restitution était raisonnable. À ce propos, le Comité réaffirme que, lorsque la plus haute juridiction d’un État a statué sur la question objet d’un litige dans un sens tel que toute possibilité de succès d’un recours devant une juridiction interne est exclue, l’auteur de la communication n’est pas tenu d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif. Par conséquent, le Comité estime que les auteurs ont suffisamment montré qu’il serait inutile pour eux de chercher à attaquer le jugement rendu.

6.4Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie pour qui la communication doit être déclarée irrecevable car elle constitue un abus du droit de soumettre une communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du temps excessif qui s’est écoulé avant de soumettre la communication au Comité. L’État partie souligne que les auteurs ont attendu huit ans et deux mois après la date à laquelle le tribunal de district a rendu son jugement pour soumettre leur plainte. Le Comité réaffirme que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications et qu’un simple retard dans la soumission d’une plainte ne constitue pas en soi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. Dans l’affaire à l’examen, étant donné que l’avocat des auteurs leur a conseillé d’abandonner l’affaire, en 1998, et que les auteurs n’ont eu connaissance de la jurisprudence du Comité concernant la restitution de biens qu’en 2005, le Comité ne considère pas que les huit années de retard constituent un abus du droit de soumettre des communications. En conséquence, il décide que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’application faite aux auteurs de la loi no 87/1991 a constitué une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26 du Pacte. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.

7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Adam, Blazek, Marik, Kriz et Gratzinger, dans lesquelles il avait conclu à une violation de l’article 26 du Pacte. Étant donné que l’État partie lui‑même est responsable du départ des auteurs de l’ex‑Tchécoslovaquie, qu’ils avaient fuie pour chercher refuge dans un autre pays où ils ont fini par s’installer définitivement et dont ils avaient obtenu la nationalité, le Comité estime qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger d’eux qu’ils remplissent la condition de la nationalité pour obtenir la restitution de leurs biens ou, à défaut, pour demander une indemnisation.

7.4Le Comité considère que le principe établi dans les affaires susmentionnées s’applique également aux auteurs de la présente communication et que l’application qui leur a été faite par les tribunaux internes de la condition de la nationalité a représenté une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, y compris une indemnisation si leur bien ne peut pas leur être rendu. Le Comité engage à nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Abdelfattah Amor

Huit ans et deux mois après avoir épuisé les recours disponibles utiles, les auteurs se sont adressés au Comité. Ce retard ne constitue pas, selon le Comité et contrairement au point de vue de l’État, un abus du droit de soumettre des communications. En conséquence la communication est déclarée recevable.

Je ne partage pas cette appréciation du Comité qui me conduit à formuler trois observations.

Premièrement le Protocole facultatif ne fixe, il est vrai, aucun délai pour présenter une communication, mais indique en son article 3 que le Comité «déclare irrecevable toute communication … qu’il considère être un abus de droit de présenter de telles communications». Manifestement le Protocole, sans trancher la question des délais séparant l’épuisement des recours internes disponibles et utiles de la présentation des communications, a ainsi invité le Comité à faire face aux cas d’abus dont l’appréciation lui revient dans le cadre de la mission qui est la sienne. C’est dire que non seulement il n’y a pas d’interdiction faite au Comité de fixer un délai pour la présentation des communications, mais bien plus il y a une invitation à le faire. Et le Comité l’a fait, à maintes reprises, dans le cadre de sa jurisprudence comme il sera précisé ultérieurement. Je pense que le Comité, étant maître de son règlement intérieur, qui est pour l’essentiel un règlement de procédure, peut établir des règles formelles précises tenant à la question des délais relativement tant à l’épuisement des voies de recours internes qu’à la fin de la procédure d’examen par une instance internationale d’enquête ou de règlement autre que le Comité. Il est souhaitable qu’il le fasse et dans les meilleurs délais.

Il y va de l’intérêt des plaignants, lesquels seront clairement édifiés et à l’avance au sujet de leurs droits et des limites de ceux-ci.

Il y va de la sécurité juridique qui ne peut continuer à être déraisonnablement exposée à des aléas et ce n’est pas par hasard que la recevabilité des procédures soit soumise, tant en droit interne que très souvent en droit international, à des contraintes de délai et de limite temporelle. On rappellera à cet égard que le délai de présentation des requêtes au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme est de six mois à partir de l’épuisement des voies de recours internes.

Il y va enfin de la crédibilité du Comité lui-même dont l’accès ne peut être laissé aux équations temporelles et personnelles conjuguant le passé − même lointain − au présent parfait et l’objectivisation du droit en opération sinon subjective du moins bien relative. Il est temps que cet aspect de la procédure du Comité soit rationalisé, que cessent les hésitations et que s’établisse la cohérence nécessaire.

Deuxièmement, dans le cadre de sa jurisprudence, le Comité a été confronté à la question des délais dans sa relation avec l’abus de droit.

Dans la communication no 1076/2002, Kaspar et Sopanen c. Finlande, le Comité, après avoir noté que les auteurs ont présenté leur communication un an après que la Commission européenne des droits de l’homme eut déclaré leur requête irrecevable rationae temporis, a estimé dans les circonstances particulières de la cause, qu’«il n’est pas possible de considérer que le temps écoulé avant la présentation de la communication était excessif au point qu’il y ait eu abus du droit de présenter des communications».

Dans la communication no 1101/2002, Alba Cabriada c. Espagne, le Comité estime que le laps de temps écoulé avant de soumettre une communication (en l’espèce deux ans et demi) ne constitue pas en soi, hormis dans des cas exceptionnels, un abus de droit de présenter des communications. Il ajoute, par ailleurs, que «l’État partie n’a pas dûment motivé la raison pour laquelle il considère qu’un délai de deux ans serait excessif en l’espèce».

Dans une troisième communication où le délai était de trois ans et cinq mois (communication no 1445/2006, Polacková et Polacek c. République tchèque), le Comité déclare la recevabilité au motif que ce retard «ne saurait être considéré comme déraisonnable au point de constituer un abus de droit de présenter une requête».

D’un autre côté des communications, allant au-delà du délai que le Comité estime raisonnable, ont été déclarées irrecevables. Il en a été ainsi dans plusieurs affaires.

Dans la communication no 1434/2005, Fillacier c. France, le Comité note qu’en l’espèce l’arrêt du Conseil d’État remonte au 8 juin 1990, soit plus de quinze ans avant que la communication ne lui soit soumise et considère qu’un délai aussi long équivaut à un abus de droit de plainte. Il conclut à «l’irrecevabilité de la communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif…».

Dans la communication no 1452/2006, Chytil c. République tchèque, le Comité, après avoir relevé qu’«une période de près de dix ans s’est écoulée avant que l’auteur ne soumette sa plainte au Comité», «considère ce retard comme déraisonnable et excessif au point de constituer un abus de droit de présenter une communication et déclare par conséquent la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif».

Enfin dans la communication no 787/1997, Gobin c. Maurice, le Comité estime que «la présentation de la communication après un délai aussi long (cinq ans) doit être considérée comme un abus de droit de plainte, d’où il conclut à l’irrecevabilité de la communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif».

On constatera qu’au total des délais de quinze, dix et cinq ans ont été considérés par le Comité comme déraisonnables et excessifs et constituent, dès lors, un abus de droit de plainte conduisant à l’irrecevabilité. De l’autre côté des délais de trois ans et cinq mois, de deux ans et d’un an ne sont selon le Comité ni déraisonnables ni excessifs, ne constituent pas dès lors un abus de droit de plainte et ne font pas obstacle à la recevabilité.

Par contre, dans la présente affaire Ondracka, le Comité ne considère pas que «les huit années de retard constituent un abus du droit de soumettre des communications. En conséquence il décide que la communication est recevable».

Troisièmement, le Comité estime, à juste titre, qu’au cas où la longueur du délai, séparant l’épuisement des voies de recours disponibles utiles de la présentation de la communication, est justifiée, l’abus du droit de présenter des plaintes ne peut être retenu. L’absence d’explication ne fait pas obstacle à la recevabilité lorsque l’État ne coopère pas, comme c’est le cas dans la communication no 1134/2002, Fongum Gorji-Dinka c. Cameroun, où le retard était de douze ans. La justification tient, pour l’essentiel, en une explication fournie par l’auteur de la communication.

Dans l’affaire Chytil l’auteur «n’a pas expliqué, ni justifié pourquoi il avait attendu près de dix ans avant de soumette sa plainte au Comité. Le même reproche − absence d’explication − est indiqué dans les affaires Gobin et Fillacier. Dans ces deux dernières affaires mais également dans l’affaire Fongum Gorji-Dinka le Comité précise en outre que l’explication doit être convaincante, ce qui n’était pas le cas toutes les fois que l’abus du droit de soumettre des communications a été retenu. Le Comité ne définit pas a priori le caractère convaincant de l’explication. Mais son examen des faits et des éléments fournis au titre de la recevabilité le conduit à se faire une opinion du caractère convaincant ou non de l’explication. Mais la voie est fort glissante à ce niveau et n’est pas à l’abri d’appréciations subjectives et variables au point que certains pourraient dire qu’aux yeux du Comité, arithmétiquement, un délai de huit ans et deux mois est inférieur à un délai de cinq ans. Ainsi dans l’affaire Gobin l’explication fournie par l’auteur tenait à la découverte par son fils au cours de ses études en droit, de la procédure des plaintes individuelles devant le Comité. Dans la présente communication Ondracka, le Comité estime qu’il n’y a pas abus du droit et déclare la communication recevable «étant donné que l’avocat des auteurs leur a conseillé d’abandonner l’affaire, en 1998, et que les auteurs n’ont eu connaissance de la jurisprudence du Comité concernant la restitution des biens qu’en 2005» Curieuse explication! Qui fait du Comité juge des conseils donnés par les avocats! Qui fait de la découverte de la jurisprudence du Comité un argument pertinent pour convaincre.

Il y aura toujours des personnes de bonne volonté et de bonne foi qui découvriront dans l’avenir proche et lointain la jurisprudence du Comité. En somme nul n’est censé connaître la loi, nul n’est censé connaître la jurisprudence du Comité … jusqu’à ce qu’il en découvre, dans son intérêt propre, les vertus. Le Comité appréciera. Et il a apprécié dans cette affaire; de manière curieuse … une manière dont le caractère objectif et raisonnable est loin d’être évident, je le pense. C’est dire qu’il est urgent que le Comité se mette à l’abri des appréciations contestables et des incohérences en posant, comme il a le droit de le faire, des règles formelles et claires tenant au délai de présentation des communications.

(Signé) M. Abdelfattah Amor

[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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