NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/91/D/1426/200513 novembre 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑onzième session15 octobre‑2 novembre 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1426/2005

Présentée par:

Raththinde Katupollande Gedara Dingiri Banda (représenté par un conseil, l’Asian Legal Resource Centre)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

20 juin 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 23 août 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

26 octobre 2007

Objet: Mauvais traitements sur la personne d’un officier par d’autres membres des forces armées

Questions de procédure: Interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants; droit à la sécurité de la personne; droit à un recours utile

Questions de fond: Griefs non étayés

Articles du Pacte: 7, 9, 2 (par. 3)

Article du Protocole facultatif: 2

Le 26 octobre 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte figurant en annexe en tant que constatations concernant la communication no 1426/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑onzième session

concernant la

Communication n o  1426/2005*

Présentée par:

Raththinde Katupollande Gedara Dingiri Banda (représenté par un conseil, l’Asian Legal Resource Centre)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

20 juin 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1426/2005 présentée au nom de Raththinde Katupollande Gedara Dingiri Banda en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 20 juin 2005, est Raththinde Katupollande Gedara Dingiri Banda, de nationalité sri‑lankaise, né le 24 février 1962. Il se déclare victime de violations par Sri Lanka de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, l’Asian Legal Resource Centre. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour Sri Lanka le 11 septembre 1980 et le 3 janvier 1998, respectivement.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était un officier de l’armée sri‑lankaise, dans le régiment Gajaba. Dans la nuit du 21 octobre 2000, alors qu’il dormait dans ses quartiers au camp de Saliyapura, deux officiers supérieurs sont entrés dans sa chambre juste après minuit et l’ont agressé physiquement. Souffrant de lésions graves, l’auteur a été admis à l’hôpital militaire d’Anuradhapura le lendemain. Il a rapidement été transféré à l’hôpital général de la ville pour y recevoir d’autres soins car son état était jugé critique. Le 3 novembre 2000, il a été admis à l’unité de soins intensifs de l’hôpital général de Kandy où il est resté un mois. Il y est resté jusqu’au 26 janvier 2001. Il souffrait notamment d’insuffisance rénale et respiratoire, de saignement génital et de troubles hépatiques.

2.2L’auteur a obtenu un congé pour raisons médicales jusqu’au 16 février 2001. Après cette date, il a été transféré à l’hôpital militaire de Colombo pendant une semaine puis un congé maladie supplémentaire lui a été prescrit jusqu’au 20 avril 2001. Le 21 avril 2001, il a été admis au centre de réadaptation du camp militaire de Saliyapura. Son état de santé ayant continué de se détériorer, il a été admis de nouveau à l’hôpital militaire d’Anuradhapura le 30 avril 2001. Il a ensuite été jugé «inapte au maniement des armes à feu» par le psychiatre de l’hôpital général de Kandy. Le 20 octobre 2001, il a été inscrit dans la catégorie des personnes devant avoir des «activités sédentaires» parce que les lésions qu’il avait subies avaient entraîné une calcification de la rotule gauche. Depuis cette date, l’auteur a perdu son poste dans l’armée sri‑lankaise car il a été déclaré inapte au service.

2.3L’auteur a déposé plainte contre ses agresseurs auprès du tribunal militaire. Le commandant du détachement du régiment Gabaja au camp de Saliyapura a donc ordonné l’ouverture d’une enquête. Cependant, l’auteur n’a jamais eu la possibilité d’être entendu pendant l’enquête. Une commission d’enquête composée d’officiers du régiment Gabaja a conclu que les deux auteurs de l’agression avaient eu un comportement insultant et scandaleux qui jetait le discrédit sur l’armée sri‑lankaise. Néanmoins, les agresseurs n’ont pas été traduits devant un tribunal militaire et n’ont été sanctionnés que par une suspension temporaire de leur avancement. Ils ont par la suite été promus et sont aujourd’hui capitaines dans l’armée sri‑lankaise.

2.4À la suite de la présentation d’un rapport de police, une enquête préliminaire non sommaire a été ouverte devant le Magistrate’s Court (tribunal d’instance) d’Anuradhapura contre les deux auteurs des faits pour tentative de meurtre. Le 13 juin 2003, l’auteur a fait une déclaration devant le juge dans laquelle il a décrit les faits en détail. L’enquête est toujours en cours depuis cinq ans. Ce retard est dû au fait que le médecin militaire n’a pas communiqué son rapport sur les lésions subies par l’auteur, malgré les demandes répétées du tribunal.

2.5Le 19 août 2002, l’auteur a déposé une requête auprès de la Cour suprême de Sri Lanka pour violation de ses droits fondamentaux. Il était assisté d’un avocat qui lui avait été commis d’office par le Centre des droits de l’homme de l’ordre des avocats de Colombo. Ses agresseurs ayant fait à plusieurs reprises des démarches pour rechercher un règlement amiable, en date du 25 juin 2004 l’auteur a envoyé à son avocat une lettre lui indiquant expressément de refuser tout règlement de cette nature. Cependant, le 28 juin 2004, il a appris que l’avocat s’était présenté devant la Cour suprême et avait retiré sa requête. L’action engagée était donc close. L’auteur a immédiatement écrit au Président de la Cour suprême et à son avocat pour demander la réouverture de l’action et la tenue d’une audience, mais n’a reçu aucune réponse. Il a également porté plainte contre son avocat auprès de l’ordre des avocats de Colombo. Cependant, aucune enquête n’a été menée sur cette affaire à ce jour.

2.6Le 14 octobre 2002, l’auteur a engagé une action civile en dommages‑intérêts devant le tribunal de district d’Anuradhapura. La procédure a été ajournée à maintes reprises et aucune décision n’a été rendue.

2.7Le 3 septembre 2004, deux inconnus se sont présentés au domicile de l’auteur et ont demandé à lui parler. Sa sœur a répondu qu’elle ne savait pas où il était et ils lui ont dit qu’ils savaient comment le retrouver. Après cet incident, l’auteur a commencé à recevoir des menaces de mort lui intimant de renoncer à ses actions en justice. Il se cache depuis le 3 septembre 2004. Bien que son conseil actuel ait fait plusieurs demandes à cette fin, les autorités ne lui ont assuré aucune protection.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur déclare être victime d’une violation de l’article 7 du Pacte en ce qu’il a été violemment agressé par deux officiers de l’armée le 21 octobre 2000. Les blessures qu’il a reçues étaient d’une telle gravité qu’il a été ensuite déclaré inapte au service.

3.2L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte parce qu’il est en permanence menacé par ses agresseurs qui sont parvenus à échapper à toute sanction. Selon lui, il n’est pas rare que les victimes d’actes de torture à Sri Lanka soient harcelées pour la simple raison qu’elles engagent une action contre des membres de la police. En ne prenant pas les mesures nécessaires pour assurer sa protection contre ceux qui le menaçaient − ceux qui l’ont torturé ou des tiers agissant pour leur compte − l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 9.

3.3L’auteur fait également valoir qu’il y a violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il rappelle que, malgré les quatre actions distinctes qu’il a engagées, aucune juridiction nationale ne lui a offert de recours utile contre la violation de ses droits garantis par le Pacte. Il rappelle en outre que le Comité a conclu par le passé que l’absence de recours utile constituait en soi une violation du Pacte et renvoie à l’Observation générale no 20 sur l’article 7. Dans son cas, l’enquête sur les actes de torture qu’il avait subis n’avait toujours pas été engagée cinq ans après les faits. Aucune mesure disciplinaire ou autre n’a été prise contre les auteurs présumés et les procédures engagées sont au point mort. En outre, l’auteur a fait l’objet de menaces et d’autres actes d’intimidation.

3.4L’auteur affirme que sa plainte n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Au sujet de l’épuisement des recours internes, il rappelle qu’il a cherché à obtenir réparation en engageant une action en violation des droits fondamentaux, ainsi qu’une action pénale et une action civile. Il n’a obtenu aucun résultat au bout de cinq ans et a même fait l’objet de menaces et d’autres actes d’intimidation parce qu’il avait engagé ces actions. Il considère donc que les recours ne sont pas utiles et qu’il n’est pas tenu de les épuiser.

3.5L’auteur invite le Comité à recommander à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte:

Qu’il bénéficie d’une réparation complète, y compris de mesures de réadaptation, sans retard;

Que l’action pénale relative à l’agression et aux actes de torture qu’il a subis soit rapidement menée à bonne fin;

Qu’il ne fasse plus l’objet de menaces en raison des actions qu’il a engagées;

Et que les modifications législatives qui s’imposent soient apportées sans retard afin d’assurer des recours utiles, impartiaux et appropriés en cas de violation des droits individuels, en veillant à ce que les enquêtes et les procès soient menés avec célérité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note du 22 février 2006, l’État partie a contesté la séquence des événements que l’auteur avait présentée. Il a rappelé qu’après avoir servi dans plusieurs formations de l’armée sri‑lankaise, l’auteur avait rallié son poste au camp Saliyapura le 20 octobre 2000. Le 24 octobre 2000, il a demandé un congé maladie parce qu’il avait été pris en faute, n’ayant pas «respecté le rythme habituel pour le salut». Son comportement ayant été jugé suspect, il a été conduit devant le commandant du Centre. Il n’a fait état d’aucune agression à ce moment‑là. Le même jour, il a été admis à l’hôpital militaire d’Anuradhapura. Il a ensuite été transféré à l’hôpital général d’Anuradhapura puis à l’hôpital général de Kandy.

4.2À la suite de la plainte déposée par l’auteur, la police militaire et la police civile ont ouvert des enquêtes sur l’agression qu’auraient commise le capitaine Bandusena et le capitaine Rajpaksha du régiment Gajaba. Le 6 novembre 2000, la police militaire a remis les deux officiers à la police civile. Le lendemain, tous deux ont comparu devant le Magistrate’s Court d’Anuradhapura et ont été placés en détention. Ils ont été libérés sous caution le 22 novembre 2000. À la suite de la plainte déposée par l’épouse de l’auteur, la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka a demandé au commandant de l’armée un rapport sur l’agression dénoncée. Ce rapport a été présenté le 20 novembre 2000. L’auteur a également engagé une action devant la Cour suprême pour violation de ses droits fondamentaux. Le 28 juin 2004, l’action a été déclarée close.

4.3Le régiment Gajaba a nommé une commission chargée d’enquêter sur l’agression présumée. Cette commission d’enquête a conclu que les deux officiers mentionnés avaient agressé l’auteur le 21 octobre 2000. Conformément à la recommandation du commandant de l’armée, les deux officiers ont comparu dans le cadre d’une procédure simplifiée et ont plaidé coupable des chefs retenus contre eux. À titre de sanction, ils ont été condamnés à la perte de 10 et 9 rangs dans la liste d’ancienneté des officiers des forces régulières de l’armée sri‑lankaise. Ils ont également été interdits de promotion, de cours dans le pays et à l’étranger et d’autres privilèges.

4.4L’État partie fait valoir que c’est l’auteur qui a demandé, le 16 mars 2001, à comparaître devant le Conseil médical de l’armée parce qu’il voulait quitter l’armée. Le Conseil a recommandé qu’il soit libéré de ses obligations pour raisons médicales et l’auteur a pris sa retraite le 23 février 2002. Une indemnité forfaitaire lui a été versée et il a commencé à percevoir une pension mensuelle ainsi qu’une pension annuelle d’invalidité.

4.5En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 7, l’État partie fait observer que les deux officiers qui ont agressé l’auteur l’auraient «taquiné» parce qu’il était nouveau dans le régiment. Il relève que l’auteur n’a pas décrit le contexte de cette agression mais a seulement présenté au Comité des extraits du compte rendu de l’audience devant le Magistrate’s Court d’Anuradhapura. Il affirme que le texte intégral du compte rendu aurait montré pourquoi l’affaire avait été ajournée et aurait mis en lumière la faiblesse des éléments de preuve présentés par l’auteur. L’État partie indique également que toute forme de bizutage de nouveaux venus par des anciens est contraire aux règles et règlements relatifs à la discipline dans l’armée sri‑lankaise, laquelle a mis en place une commission d’enquête et a poursuivi les officiers responsables. Étant tous les deux capitaines, ceux‑ci ont fait l’objet de la procédure simplifiée, ce qui est la pratique habituelle pour tous les officiers de grade inférieur à celui de commandant. L’État partie explique que les officiers ont reçu la plus lourde peine susceptible d’être infligée dans le cadre d’une procédure simplifiée, c’est‑à‑dire la perte d’ancienneté. Il explique également que la procédure simplifiée qui s’est tenue conformément à la loi sur l’armée est équivalente à une procédure pénale. Par conséquent, étant donné que les deux officiers ont été jugés et punis, il est impossible de les juger à nouveau dans le cadre d’un autre procès pénal pour les mêmes faits. L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas montré qu’il y avait eu violation de l’article 7 du Pacte, que les officiers mis en cause ont été jugés et punis, que la peine la plus lourde prévue leur a été infligée, que la Cour suprême a mis un terme à l’action engagée car l’auteur avait accepté une indemnisation, et que l’auteur a demandé des dommages‑intérêts aux deux officiers devant le tribunal de district.

4.6En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a jamais affirmé ni prétendu avoir été arrêté ou placé en détention. L’auteur a vaguement indiqué avoir fait l’objet de menaces de la part de ses agresseurs. Il affirme avoir sollicité par écrit une protection mais il ne précise pas à qui il s’est adressé et ne joint pas de copie de ces documents. En tout état de cause, il aurait dû adresser ses demandes au poste de police le plus proche ou au commandant de l’armée. Il ne peut donc pas invoquer une violation du paragraphe 1 de l’article 9.

4.7En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie relève que l’auteur lui‑même reconnaît avoir engagé quatre actions distinctes. Pour ce qui est de la procédure simplifiée menée par l’armée sri‑lankaise, il explique que les infractions visées n’étaient pas de celles dont seul un tribunal militaire peut connaître; compte tenu de leur grade, les officiers mis en cause pouvaient seulement faire l’objet d’une procédure simplifiée puisqu’ils n’avaient pas demandé à comparaître devant un tribunal militaire. Étant donné que les officiers ont plaidé coupable, il n’était pas nécessaire de produire des preuves contre eux. La commission a prononcé la plus lourde peine prévue dans le cadre d’une procédure simplifiée. Quant à l’action engagée devant le Magistrate’s Court, l’État partie note que l’auteur «n’a pas fourni toutes les pièces à ce procès» et qu’en tout état de cause, le même accusé ne peut pas être jugé deux fois pour les mêmes faits, conformément à la règle non bis in idem. Enfin, pour ce qui est de l’action devant le tribunal de district, l’État partie note qu’il n’a pas été cité en tant que partie et qu’il ne peut donc pas être tenu pour responsable d’un éventuel retard.

4.8En ce qui concerne la requête adressée à la Cour suprême, l’État partie note qu’étant donné qu’il ne s’agit pas d’une procédure pénale, il est impossible de reconnaître coupables ou de condamner ceux qui ont porté atteinte aux droits fondamentaux de l’auteur: la Cour suprême peut seulement déclarer que les droits fondamentaux de l’intéressé ont été violés et éventuellement qu’il a droit à une réparation juste et équitable. L’État partie joint une attestation écrite de l’avocat de l’auteur, datée du 16 février 2006, dans laquelle il nie avoir reçu la lettre de l’auteur avant le règlement amiable qui a été accepté devant le tribunal le 28 juin 2004. L’avocat rappelle que l’auteur était présent à l’audience ce jour‑là et ne lui a jamais demandé de refuser ce règlement. L’État partie affirme que l’auteur a cherché à tromper le Comité en dissimulant certains faits, exposés ci‑après. Premièrement, l’auteur a bien écrit à la Cour suprême en date du 23 juillet 2004 pour demander le report de l’examen de l’affaire, requête qui devait être examinée par la Cour le 27 septembre 2004. Cependant, il ne s’est pas présenté à l’audience à la date prévue de sorte que la Cour a décidé de ne pas donner suite à sa demande. Deuxièmement, le 20 octobre 2004, l’auteur a de nouveau tenté d’obtenir un ajournement. Le Président de la Cour Suprême a rejeté cette demande compte tenu de la décision que la Cour avait prise le 27 septembre 2004.

4.9L’État partie ajoute que l’épouse de l’auteur a également déposé plainte auprès de la Commission nationale des droits de l’homme. Le 7 novembre 2000, celle‑ci a demandé à l’armée sri‑lankaise de lui remettre un rapport complet sur les faits. Le 20 novembre 2000, l’armée a présenté un rapport dans lequel elle expliquait qu’une commission d’enquête avait été constituée pour examiner cette affaire. La Commission nationale des droits de l’homme a dû juger satisfaisantes les mesures prises par l’armée puisqu’elle n’a pas envoyé d’autre communication.

4.10L’État partie fait valoir implicitement que les recours internes n’ont pas été épuisés en l’espèce, en affirmant que les mécanismes internes disponibles offrent des voies de recours plus qu’appropriées à toute personne qui, comme l’auteur, déclare que ses droits fondamentaux ont été violés.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse datée du 12 mai 2006, l’auteur note que l’État partie admet que deux officiers l’ont agressé et affirme que compte tenu du dossier médical détaillé sur les lésions subies, cette agression est assimilable à des actes de torture ou à des traitements cruels et inhumains visés à l’article 7 du Pacte. Il rappelle que la Convention contre la torture a été incorporée dans la législation sri‑lankaise par la loi no22 de 1994 et que, conformément à cette loi, l’auteur d’un acte de torture doit être jugé par la High Court. Il fait valoir que l’État partie n’a pas respecté son obligation de lui assurer un recours utile puisqu’il n’a disposé d’aucun recours pénal et qu’il n’a pas reçu la moindre réparation.

5.2L’auteur fait observer que les arguments avancés par l’État partie au sujet de la procédure simplifiée appliquée aux deux auteurs présumés de l’agression, c’est‑à‑dire la règle non bis in idem et la question de la procédure civile en cours, ne sont pas des moyens recevables en ce qui concerne son action pour violation de ses droits. Les officiers ont seulement été accusés d’infraction à la discipline militaire et ont eu le choix entre un jugement par un tribunal militaire et une procédure simplifiée. Au cours de celle‑ci, l’auteur n’avait aucune possibilité de présenter ses arguments. La sanction infligée aux deux officiers a été une perte d’ancienneté, mais elle n’a pas été effective puisque tous deux ont été promus depuis. Les deux officiers n’ont jamais été jugés ni condamnés pour avoir torturé l’auteur parce que le tribunal militaire n’est pas compétent pour connaître d’actes de torture, qui relèvent uniquement de la High Court. Au sujet de la règle non bis in idem, l’auteur rappelle que l’article 77 de la loi sur l’armée ne limite pas la compétence des juridictions civiles qui peuvent juger les deux officiers auteurs d’actes de torture. Rien ne s’oppose donc à ce que les deux officiers soient jugés par la High Court. En outre, l’auteur note que les deux officiers n’ont pas invoqué la règle non bis in idem devant le Magistrate’s Court, où la procédure initiale est en instance depuis cinq ans.

5.3En ce qui concerne son action en violation des droits fondamentaux, l’auteur rappelle que la Cour suprême y a mis un terme le 28 juin 2006 sans explication. Il n’est indiqué nulle part dans le rôle des audiences de la Cour que la procédure a été arrêtée avec le consentement des parties. Selon l’auteur, la Cour suprême a décidé que lorsque quelqu’un demanderait le retrait d’une affaire, elle userait à chaque fois de sa discrétion pour accepter ou rejeter cette demande. En l’espèce, rien n’indique que ce que la Cour a autorisé était ce à quoi les parties avaient consenti. L’auteur n’a consenti à aucune forme de clôture de l’action et n’a accepté aucune somme d’argent au titre du règlement de l’affaire. L’État partie laisse entendre que les deux parties sont parvenues à un règlement à l’amiable mais l’auteur affirme que ce n’est pas le cas. En tout état de cause, dans une action en violation des droits fondamentaux, la Cour suprême peut seulement, conformément à l’article 126 de la Constitution, déclarer qu’il n’y a pas matière ou accorder la réparation demandée. En conséquence, l’expression «mettre un terme à la procédure» n’a pas de sens au regard de la Constitution de Sri Lanka. L’auteur a soumis tous les documents nécessaires à la Cour suprême et celle‑ci aurait seulement pu se prononcer sur le fond.

5.4L’auteur a essayé d’obtenir la réouverture de son dossier par la Cour suprême à deux reprises. La première fois, la Cour a accepté de faire inscrire l’affaire au rôle. Cependant, l’auteur ayant reçu la convocation après la date prévue pour l’audience, il a déposé une nouvelle requête afin de demander à nouveau à la Cour de poursuivre l’examen de son affaire. Cette fois, la Cour ne l’a pas convoqué.

5.5En ce qui concerne l’affaire en instance devant le Magistrate’s Court, l’auteur rappelle que la procédure n’est toujours pas achevée alors que cinq ans et demi se sont écoulés depuis les faits. Elle ne peut donc pas être considérée comme un recours utile. Quant à l’action civile pendante devant le tribunal de district d’Anuradhapura, l’auteur note que l’État partie affirme que, puisqu’il n’est pas partie à la procédure, il ne reconnaît pas qu’il a l’obligation d’offrir un recours civil utile en cas de violation des droits de l’homme.

5.6En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’auteur affirme de nouveau qu’il a été menacé à maintes reprises et qu’il a déposé plusieurs plaintes auprès de la police et des autorités militaires. Il a même reçu une fois des menaces de mort émanant d’inconnus. Il change régulièrement de domicile afin d’échapper au danger.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a jamais affirmé ni prétendu avoir été arrêté ou placé en détention. En ce qui concerne les menaces que l’auteur affirme avoir reçues de la part de ses agresseurs, l’État partie a indiqué que l’auteur ne précise pas à qui il a adressé des plaintes et ne joint pas de copie de ces documents. Le Comité note que l’auteur s’est contenté de réaffirmer qu’il a déposé plusieurs plaintes auprès de la police et des autorités militaires, sans apporter d’autres précisions. Il conclut donc que l’auteur n’a pas étayé ce grief aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui fait valoir que les mécanismes internes disponibles offrent des voies de recours plus qu’appropriées à toute personne se plaignant d’une violation de ses droits fondamentaux, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les recours internes doivent être non seulement disponibles, mais aussi efficaces. Il considère qu’en l’espèce, l’exercice des recours invoqués par l’État partie a été indûment prolongé ou semble inefficace.

6.5Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité conclut que les griefs de violation de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2 sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et il déclare le reste de la communication recevable.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 2, le Comité note que l’action engagée contre les deux auteurs présumés est pendante devant le Magistrate’s Court d’Anuradhapura depuis 2003 et qu’il a été mis fin à l’action engagée par l’auteur devant la Cour suprême pour violation de ses droits fondamentaux dans des circonstances peu claires. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’État partie a le devoir d’enquêter à fond sur les allégations de violation des droits de l’homme et celui de poursuivre et punir les personnes tenues pour responsables de ces violations.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que les deux auteurs des faits ont déjà été jugés et punis par une commission d’enquête militaire et ne peuvent pas être jugés à nouveau. Il relève que cette commission d’enquête n’est pas compétente pour juger les responsables d’actes de torture, que l’auteur n’était pas représenté et que les deux agresseurs ont seulement été punis d’une perte d’ancienneté, alors que l’auteur avait dû être hospitalisé pendant plusieurs mois et avait produit plusieurs rapports médicaux décrivant les lésions subies. En ce qui concerne l’action engagée devant le Magistrate’s Court, le Comité note que si les deux parties se renvoient mutuellement la responsabilité de certains retards, l’affaire est toujours en cours plus de sept ans après les faits. Ce retard est encore aggravé du fait que l’État partie ne propose aucune date pour l’examen de l’affaire. Quant à l’action engagée devant le tribunal de district, qui est toujours en instance depuis cinq ans, le Comité note que l’État partie se limite à affirmer qu’il n’a pas été cité en tant que partie et qu’il ne peut être tenu pour responsable d’aucun retard éventuel. Le Comité réaffirme cependant la règle établie en droit international général selon laquelle tous les pouvoirs de l’État, y compris le pouvoir judiciaire, sont à même d’engager la responsabilité de l’État partie.

7.4En vertu du paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie a l’obligation de garantir que les recours soient utiles. La rapidité et l’efficacité sont particulièrement importantes dans le jugement des affaires de torture et autres formes de mauvais traitements. Le Comité estime que l’État partie ne saurait éluder ses responsabilités découlant du Pacte en faisant valoir que les tribunaux internes ont déjà traité ou traitent l’affaire, alors que les recours invoqués par l’État partie ont été de toute évidence différés et sont, semble‑t‑il, inefficaces. Pour ces motifs, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte. Ayant constaté une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, et étant donné que l’examen de l’affaire, relativement au grief de torture, est toujours en instance devant le Magistrate’s Court, le Comité n’estime pas nécessaire, dans la présente affaire, de statuer sur la question d’une éventuelle violation de l’article 7 du Pacte pris séparément.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective, y compris sous la forme d’une indemnisation adéquate. Il est tenu de prendre des mesures efficaces pour que l’action en instance devant le Magistrate’s Court soit rapidement menée à son terme et que l’auteur reçoive une réparation complète. Il est également tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe, dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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