NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/91/D/1306/200414 décembre 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-onzième session15 octobre-2 novembre 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1306/2004

Présentée par:

Erlingur Sveinn Haraldsson et Örn Snævar Sveinsson (représentés par un conseil, M. Ludvik Emil Kaaber)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Islande

Date de la communication:

15 septembre 2003 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 1er septembre 2004 (non publiée sous forme de document)

CCPR/C/87/D/1306/2004 − décision concernant la recevabilité adoptée le 5 juillet 2006

Date de l’adoption des constatations:

24 octobre 2007

Objet: Compatibilité d’un système de gestion des pêcheries avec le principe de non‑discrimination

Questions de procédure: Notion de victime, épuisement des recours internes, compatibilité avec les dispositions du Pacte

Questions de fond: Discrimination

Article du Pacte: 26

Articles du Protocole facultatif: 1 et 5 (par. 2 b))

Le 24 octobre 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 1306/2004.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-onzième session

concernant la

Communication n o  1306/2004*

Présentée par:

Erlingur Sveinn Haraldsson et Örn Snævar Sveinsson (représentés par un conseil, M. Ludvik Emil Kaaber)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Islande

Date de la communication:

15 septembre 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 octobre 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no  1306/2004 présentée au nom de M. Erlingur Sveinn Haraldsson et M. Örn Snævar Sveinsson en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont M. Erlingur Sveinn Haraldsson et M. Örn Snævar Sveinsson, tous deux de nationalité islandaise. Ils se disent victimes d’une violation par l’Islande de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par M. Ludvik Emil Kaaber.

1.2Les auteurs sont des pêcheurs professionnels depuis leur jeunesse. Leur plainte porte sur le système islandais de gestion des pêcheries et ses conséquences pour eux. Le système de gestion des pêcheries, qui a été institué par la loi, s’applique en Islande à tous les pêcheurs.

Législation applicable

2.1Le conseil et l’État partie se réfèrent à l’affaire Kristjánssonet aux explications fournies à propos de cette affaire concernant le régime de gestion des pêcheries en Islande. Pendant les années 70, la capacité de la flotte de pêche islandaise a dépassé la faculté de reconstitution des stocks halieutiques et des mesures se sont imposées pour préserver la principale ressource naturelle du pays. Après plusieurs tentatives infructueuses pour limiter les prises de plusieurs espèces et assujettir l’usage de certains types d’engins ou de certains types de bateaux à l’obtention d’une licence, la loi no 82/1983, initialement promulguée pour un an, a instauré un système de gestion des pêcheries. Ce système (dit «régime des quotas») était fondé sur l’attribution de quotas de captures aux bateaux de pêche en fonction de leurs captures antérieures. L’attribution de quotas était largement utilisée depuis les années 60 en ce qui concerne les captures de homards, crevettes, coquillages, capelans et harengs, pour lesquels un régime de quotas avait déjà été établi en 1975.

2.2Les exploitants des bateaux ayant pratiqué la pêche d’espèces démersales pendant la période allant du 1er novembre 1980 au 31 octobre 1983 se sont vu reconnaître la possibilité d’obtenir une licence de pêche, en vertu du règlement no 44/1984 (sur la gestion des espèces démersales) portant application de la loi susmentionnée. Ces bateaux ont été admis au bénéfice de quotas de pêche déterminés en fonction du volume de leurs captures pendant la période de référence. De nouveaux règlements sont venus préciser les principes ainsi posés − qui ont été incorporés dans un texte législatif (loi no 97/1985) disposant que nul ne pouvait capturer sans permis les espèces suivantes: poissons démersaux, crevettes, homards, coquillages, harengs et capelans. La principale règle voulait que les permis de pêche soient réservés aux bateaux ayant reçu un permis pour la campagne de pêche antérieure. En conséquence, il fallait qu’un bateau de la flottille soit au préalable mis hors service pour qu’un permis de pêche soit attribué à un nouveau bateau. Le régime des quotas de captures est devenu permanent avec l’adoption de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries (ci‑après désignée «la loi») encore en vigueur et plusieurs fois modifiée.

2.3L’article premier de la loi dispose que les bancs de pêche entourant l’Islande sont le patrimoine commun de la nation islandaise et que l’attribution de quotas n’ouvre pas droit à une appropriation privative ou une maîtrise irrévocable desdits bancs par des particuliers. L’article 3 de cette loi charge le Ministre de la pêche d’édicter un règlement fixant les totaux admissibles de captures (TAC) par période ou saison donnée pour les différents stocks marins exploitables dans les eaux islandaises dont on a jugé nécessaire de plafonner l’exploitation. Les droits de pêche institués par la loi sont calculés en se fondant sur ces TAC et chaque bateau se voit attribuer une fraction déterminée du TAC pour chaque espèce visée (la part de quota). Aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 de la loi, nul ne peut pratiquer la pêche commerciale dans les eaux islandaises sans être titulaire d’un permis de pêche générale. Le paragraphe 2 de l’article 4 autorise le Ministre à édicter des règlements instituant l’obligation d’obtenir un permis spécial pour la capture de certaines espèces ou pour certaines zones ou de faire usage de certains types d’engins ou de certains types de bateaux. Le paragraphe 1 de l’article 7 dispose que la pêche des espèces marines vivantes ne faisant pas l’objet des TAC visés à l’article 3 est ouverte à tous les bateaux dotés d’un permis de pêche commerciale. Le paragraphe 2 de l’article 7 dispose que les droits de pêche concernant les espèces dont le total des captures est plafonné sont attribués à titre individuel aux bateaux. Les parts de quota pour les espèces non assujetties auparavant à des TAC sont calculées sur la base des captures des trois dernières campagnes de pêche. Pour les espèces déjà assujetties à une restriction de pêche, les parts de quota sont calculées sur la base des attributions des années précédentes. Le paragraphe 6 de l’article 11 de la loi dispose que la part de quota d’un bateau peut être transférée en tout ou partie à un autre bateau ou fusionnée avec la part de quota d’un autre, étant entendu qu’un tel transfert ne doit pas avoir pour résultat de porter les droits de pêche du bateau bénéficiaire à un niveau manifestement supérieur à sa capacité de pêche. Celles des parties admises à titre permanent au bénéfice d’une part de quota qui n’exercent pas de manière satisfaisante ce droit s’exposent à le perdre à titre permanent. La loi sur la gestion des pêcheries plafonne en outre la part de quota qu’un particulier ou une personne morale est susceptible de détenir. Enfin, la loi fixe des sanctions en cas de violation, allant d’une amende de 400 000 couronnes islandaises à une peine de six ans d’emprisonnement au maximum.

2.4L’État partie fournit quelques statistiques pour illustrer le rôle majeur que le secteur des pêches joue dans l’économie islandaise. Il souligne que toutes les modifications apportées au régime de gestion des pêcheries peuvent avoir d’immenses répercussions sur le bien‑être économique du pays. Au cours des dernières années, la question de savoir comment se doter du régime de gestion des pêches le plus efficace, à la fois dans l’intérêt de la nation en général et dans l’intérêt de ceux qui travaillent dans le secteur de la pêche, a fait l’objet d’un vif débat public et d’intenses discussions politiques. Les tribunaux islandais ont examiné le système de gestion des pêcheries à la lumière des principes constitutionnels d’égalité devant la loi (art. 65 de la Constitution) et de liberté du travail (art. 75 de la Constitution), à propos de deux affaires en particulier.

2.5En décembre 1998, dans l’affaire Valdimar Jóhannesson c. République d’Islande (l’affaire Valdimar), la Cour suprême islandaise a rendu un arrêt dans lequel elle a estimé que les restrictions imposées à la liberté du travail découlant de l’article 5 de la loi sur la gestion des pêcheries n’étaient pas compatibles avec le principe d’égalité énoncé à l’article 65 de la Constitution. Elle a estimé que l’article 5 de la loi imposait des restrictions excluant d’avance l’aptitude de certaines personnes à exercer la pêche comme activité. Elle a considéré qu’en vertu des restrictions en vigueur à l’époque, les licences de pêche n’étaient accordées qu’à certains bateaux qui faisaient partie de la flotte de pêche pendant une certaine période, ou aux nouveaux bateaux de pêche qui les avaient remplacés, et que de telles restrictions étaient inconstitutionnelles. Toutefois, elle n’a pas pris position sur l’article 7 2), concernant les restrictions à l’accès des titulaires de licence de pêche aux stocks de poissons. Le Parlement a ensuite adopté la loi no 1/1999 qui a sensiblement assoupli les conditions d’obtention de licences de pêche commerciale. Avec l’adoption de cette loi, l’octroi d’une licence de pêche à un nouveau bateau de pêche n’était plus subordonné à la mise hors service d’un bateau qui se trouvait déjà dans la flotte. Des conditions générales ont été fixées pour la délivrance de licences de pêche à tous les bateaux.

2.6L’autre arrêt pertinent rendu par la Cour suprême, daté du 6 avril 2000, concerne l’affaire Procureur général de l’État c. Björn Kristjánsson, Svavar Gudnason et Hyrnó Ltd (l’affaire Vatneyri). En ce qui concerne l’article 7 de la loi, la Cour suprême a conclu que les restrictions imposées à la liberté des particuliers de se livrer à la pêche commerciale étaient compatibles avec les articles 65 et 75 de la Constitution car elles étaient fondées sur des considérations objectives. En particulier, la Cour a noté que la mesure visant à rendre les droits de capture permanents et cessibles se justifiait parce que cela permettait aux exploitants de planifier leurs activités à long terme et d’augmenter ou de réduire leurs droits de capture de certaines espèces à leur convenance.

2.7Après l’affaire Valdimar, un comité a été chargé de revoir la législation sur la gestion des pêcheries. Des modifications faisant suite à ses recommandations ont été introduites par la loi no 85/2002, aux termes de laquelle une redevance dite «redevance fondée sur les prises» devrait être perçue pour l’utilisation des lieux de pêche. Cette redevance est calculée à partir des résultats économiques du secteur de la pêche. Elle consiste en une part fixe qui tient compte des frais engagés par l’État pour la gestion des pêcheries et en une part variable qui est fonction des résultats économiques du secteur. Pour l’État partie, cette modification de la législation montre que le Parlement islandais cherche constamment les meilleurs moyens de parvenir à une gestion de la pêche qui soit la plus efficace possible compte tenu des intérêts de la nation dans son ensemble.

2.8Les auteurs déclarent qu’en pratique et malgré l’article premier de la loi (disposant que les bancs de pêche entourant l’Islande sont le patrimoine commun de la nation islandaise et que l’attribution de quotas n’ouvre pas droit à une appropriation privative desdits bancs par des particuliers), les quotas de pêche sont traités comme le bien personnel de ceux à qui ils ont été alloués sans frais pendant la période de référence. Les autres personnes, comme les auteurs, doivent par conséquent acheter ou louer un droit de pêche aux bénéficiaires de cet arrangement, ou à d’autres personnes qui, pour leur part, ont acheté ce droit aux bénéficiaires en question. Les auteurs considèrent que la plus importante ressource économique de l’Islande a par conséquent été donnée à un groupe privilégié. L’argent versé pour accéder aux bancs de pêche ne revient pas au propriétaire de la ressource − la nation islandaise − mais aux particuliers détenteurs des quotas.

Exposé des faits

3.1Pendant la période de référence, les auteurs ont travaillé en tant que capitaine et maître d’équipage. En 1998, ils ont créé une société privée, Fagrimúli ehf, avec un troisième partenaire, et ont acheté le bateau de pêche Sveinn Sveinsson, qui avait une licence de pêche générale. La société était le propriétaire déclaré du bateau. Pendant la campagne de pêche 1997‑1998, année de l’achat du bateau, plusieurs droits de pêche (droits de capture) ont été transférés au bateau, mais aucune part spécifique de quota ne lui était attribuée. Au début de la campagne de pêche 2001‑2002, le Sveinn Sveinsson s’est vu pour la première fois attribuer des droits de capture pour les espèces lingue, brosme et lotte, c’est‑à‑dire des droits de capture très faibles. Les auteurs affirment avoir à plusieurs reprises demandé des droits de capture en divers lieux de pêche, mais sans succès. En particulier, l’Agence des pêcheries a déclaré ne pas être habilitée par la loi à leur accorder un quota. En conséquence, il leur a fallu louer tous les droits de prises à d’autres, à des prix exorbitants, et ils ont finalement été acculés à la faillite.

3.2Ils ont décidé de dénoncer le système et, le 9 septembre 2001, ont écrit au Ministère de la pêche, en déclarant qu’ils avaient l’intention de prendre du poisson sans détenir les droits de capture, afin d’obtenir une décision judiciaire sur cette question et de savoir s’ils allaient pouvoir continuer à exercer leur métier sans payer des sommes d’argent exorbitantes à d’autres. Dans sa réponse du 14 septembre 2001, le Ministère de la pêche a appelé l’attention des auteurs sur le fait que, en vertu des dispositions pénales de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries, et de la loi no 57/1996 sur le traitement des stocks marins exploitables, les prises excédentaires par rapport au permis de pêche étaient sanctionnées par des amendes ou une peine pouvant aller jusqu’à six ans de prison, ainsi que par le retrait des permis de pêche.

3.3Les 10, 11, 13, 19, 20 et 21 septembre 2001, le premier auteur, en sa qualité de Directeur général, membre du conseil de Fagrimúli ehf, propriétaire de la société exploitant le Sveinn Sveinsson et capitaine de ce bateau, et le second auteur, en sa qualité de Président du conseil d’administration de la société, ont envoyé le bateau pêcher, et ont débarqué, sans détenir les droits de capture nécessaires, une prise représentant au total 5 292 kg de morue éviscérée, 289 kg d’églefin éviscéré, 4 kg de barbue éviscérée et 606 kg de plie éviscérée. Leur seul objectif en agissant ainsi était d’être dénoncés afin que leur affaire puisse aller devant la justice. Le 20 septembre, l’Agence des pêcheries a été avisée que le Sveinn Sveinsson avait débarqué une capture le jour même à Patreksfjörður.

3.4En conséquence, l’Agence des pêcheries a déposé plainte contre les auteurs auprès du commissaire de police de Patreksfjörður pour violation de la loi no 57/1996 sur le traitement des stocks marins exploitables, de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries et de la loi no 79/1997 sur la compétence en matière de pêcheries en Islande. Le 4 mars 2002, le Commissaire national de la police a engagé des poursuites pénales contre les auteurs devant le tribunal de district des Fjords occidentaux. Les auteurs ont reconnu les faits qui leur étaient reprochés mais ont contesté la validité constitutionnelle des dispositions pénales sur lesquelles étaient fondés les chefs d’accusation retenus contre eux. Le 2 août 2002, se référant au précédent de l’arrêt rendu par la Cour suprême le 6 avril 2000 dans l’affaire Vatneyri, le tribunal de district a déclaré les auteurs coupables et les a condamnés à une amende de 1 million de couronnes islandaises chacun ou à trois mois d’emprisonnement, et au paiement des frais de justice. En appel, le 20 mars 2003, la Cour suprême a confirmé le jugement du tribunal de district.

3.5Le 14 mai 2003, la société des auteurs a été déclarée en faillite. Leur bateau a été vendu aux enchères pour une fraction du prix que les auteurs avaient payé pour l’acheter quatre ans auparavant. Leur banque a alors demandé la vente forcée des installations côtières de la société et des habitations des auteurs. L’un des auteurs a pu conclure avec la banque un accord de paiements échelonnés et a commencé à travailler comme maître d’équipage à bord d’un navire industriel. L’autre auteur a perdu son habitation, a dû quitter son quartier d’origine et s’est mis à travailler comme maçon. À la date de présentation de la communication, il était dans l’incapacité de payer ses dettes.

Teneur de la plainte

4.1Les auteurs se disent victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte, parce qu’ils sont obligés par la loi de verser de l’argent à un groupe privilégié de leurs concitoyens pour pouvoir exercer la profession de leur choix. Les auteurs demandent, conformément aux principes de liberté du travail et d’égalité, la possibilité d’exercer la profession de leur choix sans devoir franchir des obstacles préalables qui constituent des privilèges pour d’autres.

4.2Les auteurs demandent une indemnisation pour les pertes qu’ils ont subies en raison du régime de gestion des pêcheries.

Observations de l’État partie

5.1Dans une note datée du 29 octobre 2004, l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour trois motifs: défaut de fondement du grief des auteurs selon lequel ils sont victimes d’une violation de l’article 26, non‑épuisement des recours internes et incompatibilité de la communication avec les dispositions du Pacte.

5.2L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas montré en quoi l’article 26 du Pacte s’appliquait à leur cas ni en quoi le principe d’égalité avait été violé à leur égard, en tant que particuliers. Ils n’ont pas démontré qu’ils avaient été traités plus mal que d’autres personnes dans une situation comparable, ou avaient subi une discrimination par rapport à elles, ni apporté la preuve qu’aucune distinction faite entre eux et d’autres personnes ait été fondée sur des considérations non pertinentes. Ils se sont bornés à affirmer d’une manière générale que le système de gestion des pêcheries islandaises violait le principe d’égalité énoncé à l’article 26.

5.3L’État partie note que les auteurs ont travaillé en mer pendant de nombreuses années, l’un d’eux en qualité de capitaine et l’autre de mécanicien de marine. Ils étaient employés sur des bateaux de pêche dont les prises se traduisaient par des gains directs non pas pour eux mais pour leurs employeurs, lesquels, à la différence des auteurs, avaient investi dans des bateaux et dans du matériel afin d’exploiter une entreprise de pêche. L’une des principales raisons pour lesquelles la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries a été adoptée était de créer des conditions d’exploitation acceptables pour ceux qui avaient investi dans la pêche, au lieu de les assujettir aux mêmes restrictions de capture que les autres personnes n’ayant pas fait ces investissements. Les auteurs n’ont pas démontré en quoi ils avaient fait l’objet d’une discrimination lorsqu’un quota leur avait été refusé, et n’ont pas démontré non plus que des quotas avaient été attribués à d’autres capitaines de bateaux ou marins dans la même situation qu’eux. En outre, ils n’ont fait aucune tentative pour obtenir que les refus soient infirmés par les tribunaux au motif qu’ils constituaient une discrimination contraire à l’article 65 de la Constitution ou à l’article 26 du Pacte.

5.4Lorsqu’ils ont investi dans l’achat du Sveinn Sveinsson en 1998, les auteurs connaissaient le système. Ils ont acheté le bateau sans quota, dans l’intention d’en louer un dans le cadre de l’échange de quotas pour démarrer leurs activités de pêche. Par suite de l’augmentation de la demande de quotas sur le marché, leur prix est monté, ce qui a changé la donne économique pour l’entreprise des auteurs. Après avoir pêché sans quota, ils ont été jugés et condamnés, comme cela aurait été le cas pour toute autre personne dans les mêmes circonstances. L’État partie conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione personae en vertu de l’article premier du Protocole facultatif, les auteurs n’ayant pas suffisamment étayé leurs griefs selon lesquels ils sont victimes d’une violation du Pacte.

5.5L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles, parce qu’ils n’ont fait aucune tentative pour obtenir l’infirmation par les tribunaux de la décision de leur refuser un quota. Ils auraient pu soumettre les décisions administratives en question aux tribunaux en demandant leur annulation. L’État partie indique que cela s’est produit dans l’affaire Valdimar, où une personne à laquelle un permis de pêche avait été refusé a demandé l’annulation de la décision administrative. Sa demande a été acceptée par les tribunaux, ce qui montre qu’il s’agit d’un recours utile. L’État partie conclut que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.6Enfin, l’État partie fait valoir que l’affaire porte en fait sur la question de savoir si la restriction à la liberté du travail subie par les auteurs est excessive, du fait qu’ils considèrent que les prix de certains quotas de captures commerciales sont inacceptables et constituent un obstacle à leur droit de choisir librement leur profession. L’État partie souligne que la liberté du travail n’est pas protégée en tant que telle par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et qu’en l’absence d’arguments spécifiques montrant que les restrictions à cette liberté du travail ont été discriminatoires la communication devrait être irrecevable parce que incompatible avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

5.7L’État partie présente également des observations sur le fond de la communication. Il fait valoir qu’aucune discrimination contraire à la loi n’a été faite entre les auteurs et les personnes auxquelles des droits de pêche ont été attribués. En l’occurrence, il s’agit d’une différence de traitement justifiable puisque son objet était licite et fondé sur des motifs raisonnables et objectifs, énoncés par la loi et se caractérisant par une proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché. L’État partie explique que l’intérêt public exige que des restrictions soient imposées à la liberté des individus de pratiquer la pêche commerciale afin d’empêcher la surexploitation. Des restrictions à cet effet sont inscrites dans les dispositions de la législation relative à la pêche. L’État partie fait en outre observer que la répartition de ressources limitées ne peut s’effectuer sans une forme ou une autre de discrimination et indique que le législateur a fait preuve de pragmatisme dans la méthode d’attribution des permis. L’État partie rejette l’opinion des auteurs selon laquelle le principe d’égalité protégé par l’article 26 du Pacte doit s’interpréter comme imposant l’obligation d’attribuer une partie de ressources limitées à tous les citoyens qui sont ou ont été employés comme marin ou capitaine. Cela serait contraire au principe d’égalité en ce qui concerne le groupe de personnes qui, grâce à d’importants investissements dans l’exploitation de leur bateau et dans le développement d’entreprises commerciales, ont engagé leur compétence de pêcheur et leurs avoirs dans le secteur de la pêche, dont ils ont fait leur moyen de subsistance.

5.8L’État partie souligne que la règle conférant aux droits de pêche un caractère permanent et transférable vise principalement à permettre aux individus de planifier leurs activités à long terme et d’augmenter ou de réduire leurs droits de pêche pour une espèce particulière à leur convenance, d’où une utilisation des stocks de poissons qui est profitable à l’économie nationale. L’État partie affirme que le caractère permanent et transférable des droits de pêche est garant d’efficacité économique et constitue la meilleure méthode pour concilier les objectifs économiques et biologiques assignés à la gestion des pêcheries. Enfin, l’État partie signale que la troisième phrase de l’article premier de la loi sur la gestion des pêcheries indique clairement que l’attribution de droits de pêche à une partie ne l’investit pas d’un droit de propriété ni d’un pouvoir irrévocable sur les droits de pêche. Les droits de pêche ne sont donc permanents qu’au sens où ils peuvent seulement être abolis ou modifiés par un texte législatif.

5.9L’État partie conclut que la différenciation découlant du système de gestion des pêcheries repose sur des considérations objectives et pertinentes et vise à atteindre des objectifs légitimes fixés par la loi. Des restrictions ont été imposées à la liberté du travail, mais dans le respect du principe d’égalité, et les auteurs n’ont pas apporté suffisamment d’éléments pour étayer l’affirmation selon laquelle ils seraient victimes d’une discrimination contraire à la loi constituant une violation de l’article 26 du Pacte.

Commentaire des auteurs

6.1Le 28 décembre 2004, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Au sujet du premier argument de l’État partie, à savoir que les auteurs ne sont pas victimes d’une violation du Pacte, les auteurs soulignent qu’ils ne prétendent pas avoir été traités de manière contraire au droit interne, mais de manière contraire au Pacte. Les auteurs affirment que la décision de l’État partie d’interdire les bancs de pêche aux personnes qui n’exerçaient pas la pêche pendant la «période de référence» revenait, en réalité, à donner l’usage des bancs de pêche aux personnes qui la pratiquaient à cette période et, vu le tour qu’ont pris les choses, à donner à certains le droit personnel d’exiger un paiement d’autres citoyens pour pêcher dans l’océan entourant l’Islande. Ces droits ont en pratique le caractère d’un bien. La plainte des auteurs porte sur cet acte de don et sur la situation dans laquelle se sont trouvés les auteurs à la suite de ce don. Ils rappellent qu’ils ont été élevés et formés pour être des pêcheurs, qu’ils ont le bagage culturel des pêcheurs et veulent être pêcheurs. Or, pour exercer le métier de leur choix, ils doivent surmonter des obstacles qui ne se trouvent pas sur le chemin de leurs concitoyens privilégiés. C’est pourquoi ils affirment être victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte. Le fait que tous les Islandais, à l’exception d’un groupe particulier de citoyens, soient dans la même situation et feraient également l’objet de poursuites pénales s’ils n’acceptaient pas ce régime, n’entre pas en ligne de compte. Les auteurs reconnaissent que la plupart des autres Islandais se trouveraient confrontés aux mêmes obstacles qu’eux. Ils estiment en revanche que leur situation doit être comparée non pas à celle des autres personnes qui sont dans le même cas qu’eux, mais à celle du groupe dont les membres ont reçu un privilège et qui ont le droit de percevoir de l’argent de toute personne extérieure au groupe, comme les auteurs, désireuse de travailler dans le même domaine que les membres de ce groupe.

6.2Les auteurs rappellent qu’à la différence de M. Kristjánsson, dont la communication a été déclarée irrecevable par le Comité, ils étaient quant à eux propriétaires de l’entreprise qui exploitait le bateau qu’ils utilisaient. Ils avaient un intérêt direct, personnel et immédiat à être autorisés à exercer la profession de leur choix, et ils ont à plusieurs reprises demandé un quota.

6.3Les auteurs soulignent que, au moment où ils ont décidé de pêcher en violation des règles en vigueur, la société islandaise était divisée par des conflits et des débats sur la nature du système de gestion des pêcheries. Le public en général et de nombreux hommes politiques étaient d’avis que le régime de gestion des pêcheries islandais ne pouvait pas être maintenu encore longtemps et que l’exploitation des bancs de pêche devrait le plus tôt possible être ouverte à tout citoyen répondant aux conditions générales.

6.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés, les auteurs notent que les dispositions de la Constitution l’emportent sur les autres sources du droit. L’incompatibilité d’une disposition pénale avec la Constitution est par conséquent un moyen de défense valide en droit pénal islandais et une déclaration de culpabilité affirme la validité constitutionnelle d’une disposition pénale. C’était pour cette raison que deux des sept juges à la Cour suprême voulaient acquitter M. Kristjánsson dans l’affaire Vatneyri. Les auteurs ont été condamnés en référence à l’affaire précédente. Ils soulignent que l’objet de la plainte qu’ils soumettent au Comité est la loi islandaise.

6.5Les auteurs se réfèrent à l’argument invoqué par l’État partie selon lequel ils n’ont pas attaqué devant les tribunaux islandais le refus de leur accorder des quotas de pêche, comme l’a fait M. Jóhanesson dans l’affaire Valdimar, et qu’ils n’ont par conséquent pas épuisé les recours internes. Ils notent qu’il appartient au législateur d’énoncer les règles devant régir la gestion des pêcheries, qu’il appartient aux autorités administratives d’appliquer ces règles dans la pratique et qu’il appartient aux tribunaux de régler les conflits liés à l’interprétation ou à l’application desdites règles. Les auteurs notent en outre que, comme l’a souligné l’État partie, le jugement rendu dans l’affaire Valdimar ne portait pas sur la question des quotas donnés à un groupe privilégié avec l’obligation qui en découlait pour les autres de payer les premiers pour avoir une part de ce don. Dans l’affaire Vatneyri, la Cour suprême a déclaré que le régime de gestion des pêcheries était constitutionnellement valide. En vertu de ces règles, les auteurs ne pouvaient se voir attribuer de quotas puisqu’ils ne remplissaient pas les conditions requises.

6.6En ce qui concerne l’affirmation par l’État partie que la plainte est incompatible avec les dispositions du Pacte, les auteurs concèdent que des mesures visant à empêcher la surexploitation en limitant le volume des captures sont nécessaires à la protection et à l’utilisation rationnelle des stocks de poissons et que l’intérêt public exige que des restrictions soient imposées à la liberté qu’ont les individus de pratiquer la pêche commerciale. Ils admettent que l’on affirme que le droit à ce travail ne peut être conféré qu’à un groupe restreint. Mais ils maintiennent que de telles restrictions doivent avoir un caractère général et que tous les citoyens remplissant les critères généraux pertinents doivent avoir des chances égales de faire partie de ce groupe limité. À leur avis, le critère selon lequel il faut avoir reçu un quota personnel permanent ou avoir acheté ou loué ce quota n’est pas un critère valable.

Décision du Comité sur la recevabilité

7.1À sa quatre‑vingt‑septième session, le 5 juillet 2006, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a constaté que l’État partie avait contesté la recevabilité de la communication au motif que les auteurs n’étaient pas victimes d’une violation du Pacte. Les auteurs se disaient victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte parce qu’ils avaient l’obligation légale de verser de l’argent à un groupe privilégié de concitoyens pour pouvoir exercer la profession de leur choix. Le Comité a pris acte de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs avaient été traités de la même manière que toute personne dans leur situation, c’est‑à‑dire des pêcheurs n’ayant pas acquis de quota pendant la période de référence. Or, les auteurs affirment en fait avoir reçu un traitement différent par rapport à ceux qui ont acquis un quota pendant la période de référence. Le Comité a noté que la seule différence entre les auteurs, qui étaient propriétaires de l’entreprise qui possédait et exploitait le bateau Sveinn Sveinsson et à qui un quota avait été refusé, et les pêcheurs qui en avaient reçu un, résidait dans la période pendant laquelle ils avaient pratiqué la pêche. Il a observé que la condition relative à la période de référence était depuis lors devenue un critère permanent. Cela était confirmé par le fait que les auteurs avaient à maintes reprises demandé un quota et que toutes leurs demandes avaient été rejetées. Dans ces circonstances, le Comité a considéré que les auteurs étaient directement affectés par le régime de gestion des pêcheries dans l’État partie et qu’ils avaient un intérêt personnel à l’examen de la communication.

7.2Le Comité a noté l’affirmation de l’État partie selon laquelle les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes parce qu’ils n’avaient pas tenté de faire infirmer par les tribunaux islandais la décision de leur refuser un quota. Il a pris en compte l’affaire Valdimar, à laquelle l’État partie avait fait référence, afin d’illustrer le fait que les auteurs disposaient d’un recours utile. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que:

«Bien que des mesures temporaires de ce type visant à éviter l’épuisement des stocks de poissons aient pu se justifier, établir de manière permanente par la loi la discrimination découlant de la règle énoncée à l’article 5 de la loi no 38/1990 sur la question des droits de pêche ne saurait être considéré comme logiquement nécessaire. Le défendeur [l’État partie] n’a pas apporté la preuve que d’autres moyens ne peuvent être employés pour atteindre l’objectif légitime qu’est la protection des stocks de poissons autour de l’Islande.».

La Cour suprême a estimé que l’article 5 de la loi no 38/1990 était contraire au principe d’égalité. Toutefois, elle a conclu que:

«Le Ministère de la pêche ne peut être considéré comme ayant refusé conformément à la loi la demande de licence de pêche générale et spéciale présentée par l’appelant en invoquant les motifs sur lesquels le refus a été fondé. En conséquence, le refus du Ministère sera invalidé. En revanche, la Cour ne prendra pas position dans la présente affaire sur la question de savoir si le Ministère était en l’espèce obligé d’accorder la demande présentée par l’appelant, étant donné que le recours n’est formé que pour obtenir l’invalidation de la décision du Ministère, et non pour obtenir la reconnaissance d’un droit pour l’appelant de recevoir des quotas de capture particuliers.».

Le Comité ne sait pas si l’appelant en l’espèce avait été ultérieurement admis au bénéfice d’un quota, suite à l’arrêt de la Cour suprême annulant la décision administrative qui lui en refusait un. Il a considéré que cet exemple à lui seul ne pouvait servir à démontrer que les auteurs disposaient d’un recours utile.

7.3Le Comité a observé en outre que la validité constitutionnelle du système de gestion des pêches avait été ultérieurement affirmée par la Cour suprême, dans l’affaire Vatneyri, qui avait été citée comme précédent dans l’examen de l’affaire des auteurs par le tribunal de district et par la Cour suprême. Dans ces circonstances, et compte tenu du fait que les auteurs ne remplissaient pas les conditions légales et administratives voulues pour se voir attribuer un quota, il était difficile de concevoir que la Cour suprême eût pu statuer en faveur des auteurs s’ils avaient tenté de former un recours contre les décisions administratives leur refusant un quota. Le Comité a considéré par conséquent que le recours mentionné par l’État partie n’était pas un recours utile, aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.4Enfin, le Comité a relevé que les auteurs avaient à maintes reprises demandé un quota et que toutes leurs demandes avaient été rejetées, parce qu’ils ne remplissaient pas la condition requise pour en recevoir un, à savoir avoir exercé l’activité de pêcheur entre le 1er novembre 1980 et le 31 octobre 1983. De l’avis du Comité, les auteurs n’avaient aucune chance d’obtenir un quota de l’État partie parce que ce dernier, ayant attribué tous les quotas disponibles au début des années 80 et ayant ensuite reconnu aux bénéficiaires des quotas le statut de propriétaires permanents, n’en avait plus à distribuer. Le Comité a conclu que les auteurs n’avaient par conséquent aucun recours utile leur permettant de contester le refus de leur attribuer un quota et que rien ne l’empêchait d’examiner la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la plainte des auteurs ne relevait pas du champ d’application du Pacte, le Comité a considéré que les faits dont il était saisi soulevaient des questions étroitement liées au fond de la communication, qu’il vaudrait mieux examiner en même temps que celle‑ci au regard de l’article 26 du Pacte. Le 5 juillet 2006, le Comité a déclaré la communication recevable.

Observations de l’État partie sur le fond

8.1Le 19 janvier 2007, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il rappelle les termes de l’article 65 et du paragraphe 1 de l’article 75 de la Constitution concernant respectivement l’égalité devant la loi et la liberté du travail. S’agissant de la législation relative à la pêche, l’État partie fait observer que la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries a instauré en 1991 un régime uniforme de quotas individuels cessibles. Auparavant, de nombreux systèmes de gestion différents avaient été expérimentés, dont des quotas de capture globale, des permis d’accès aux pêcheries, la régulation de l’effort de pêche, des contrôles sur les investissements et des programmes de rachat des bateaux de pêche. L’expérience acquise avec ces différents systèmes a conduit à l’adoption du système uniforme de quotas individuels cessibles.

8.2L’État partie joint la version mise à jour du texte de la loi sur la gestion des pêcheries. En 2006, la loi no 38/1990 a été modifiée et remplacée intégralement par la loi no 116/2006. Les principales dispositions qui s’appliquent à l’affaire des auteurs sont demeurées pour l’essentiel inchangées.

8.3Sur le fond, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas apporté d’arguments susceptibles d’étayer leur prétention au titre de l’article 26 du Pacte, se contentant d’affirmer en termes généraux qu’ils avaient subi une discrimination contraire à la loi du fait que les autorités leur avaient refusé un quota dans les mêmes conditions que les exploitants admis au bénéfice de droits de pêche conformément à la loi no 38/1990 en fonction du volume de leurs captures antérieures.

8.4L’État partie considère que les restrictions imposées au travail des auteurs ne constituaient pas une violation de l’article 26 du Pacte. Aucune discrimination contraire à la loi ne s’est exercée entre les auteurs et les personnes à qui des parts de quota ont été attribuées en vertu de l’article 7 de la loi no 38/1990. La différence de traitement entre les auteurs qui appartenaient à un groupe important de marins islandais et les exploitants de bateaux de pêche était justifiable. L’État partie renvoie aux normes fixées par les tribunaux islandais et la Cour européenne des droits de l’homme pour apprécier si une différence se justifie. Premièrement, cette différence avait un objectif légitime et fondé sur des motifs raisonnables et objectifs. Deuxièmement, elle était prévue par la loi. Troisièmement, aucune discrimination excessive n’a été pratiquée à l’encontre des auteurs si l’on considérait l’objectif global de la législation sur les pêcheries. L’État partie évoque la jurisprudence du Comité selon laquelle une distinction ne constitue pas systématiquement une discrimination et des différences de traitement objectives et raisonnables sont permises. Il fait valoir que dans le cas des auteurs toutes les conditions étaient réunies pour que cette différence ne soit pas contraire à l’article 26.

8.5En ce qui concerne le but de la différence de traitement, l’État partie observe que des intérêts publics importants évidents sont liés à la protection et à l’utilisation économique des stocks de poissons. L’État partie a contracté des obligations juridiques internationales pour garantir l’utilisation rationnelle de ces ressources, en particulier au titre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. En Islande, le risque de surexploitation est réel et imminent en raison des progrès des techniques de pêche, de l’augmentation du volume des prises et de la croissance de la flotte de pêche. L’épuisement des stocks de poissons aurait des conséquences désastreuses pour la nation islandaise pour laquelle la pêche est une activité professionnelle essentielle depuis la nuit des temps. Les mesures de prévention de la surpêche par le plafonnement du volume des captures constituent un élément indispensable de la protection et de l’utilisation rationnelle des stocks. C’est pourquoi l’intérêt public exige d’imposer des restrictions à la liberté des individus de pratiquer la pêche commerciale. Ces restrictions, prévues par la loi, sont définies en détail dans la législation relative à la pêche. L’État partie soulève la question de savoir comment les ressources limitées que constituent les stocks de poissons du pays doivent être réparties et considère qu’il est impossible d’attribuer des parts égales à tous les citoyens.

8.6L’État partie fait valoir que la décision du législateur islandais de restreindre et de contrôler les prises au moyen d’un système de quotas permettant d’attribuer des droits de pêche sur la base des captures antérieures des bateaux de pêche au lieu d’autres modes de gestion repose sur des motifs raisonnables et objectifs. Il fait référence à l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Valdimar:

«La mesure visant à rendre les droits de capture permanents et cessibles se justifie aussi parce qu’elle permet aux exploitants de planifier leurs activités à long terme et d’augmenter ou de réduire leurs droits de capture de certaines espèces à leur convenance à un moment donné dans le temps. À cet égard, la loi est fondée sur le calcul selon lequel les avantages économiques du caractère permanent des droits de pêche et la cessibilité des droits et des quotas de pêche permettent une utilisation profitable des stocks de poissons dans l’intérêt de l’économie nationale.».

8.7L’État partie renvoie à la loi no85/2002 qui imposait aux exploitants de bateaux une redevance spéciale fondée sur les prises pour le droit d’accéder aux zones de pêche, la redevance étant calculée de façon à tenir compte des résultats économiques des pêcheries. Cette redevance a les mêmes effets qu’une taxe spéciale qui serait imposée aux exploitants de bateaux. Cela montre que le Parlement islandais a toujours le souci de rechercher les meilleurs moyens d’exercer un contrôle efficace sur la pêche, dans l’intérêt supérieur de l’Islande. Le Parlement ne cesse pas non plus de réviser les dispositions arrêtées en matière de gestion des pêcheries et de droit de capture. Il peut aussi assortir ce droit de conditions ou choisir un meilleur moyen de servir l’intérêt public.

8.8L’État partie note qu’il ressort clairement d’une comparaison entre les différents régimes de gestion des pêcheries en Islande et à l’étranger et de travaux de recherche effectués par des scientifiques en matière de biologie marine et d’économie maritime qu’un régime de quotas tel celui institué en Islande est le meilleur moyen de concilier les objectifs économiques et biologiques assignés aux régimes modernes de gestion des pêcheries. Il évoque un rapport intitulé «On Fisheries and Fisheries Management in Iceland − A background report» qui décrit les principaux atouts et caractéristiques du système de quotas individuels cessibles et l’expérience qui en a été faite dans d’autres pays. Il rappelle par ailleurs le rapport de l’OCDE intitulé «Vers des pêcheries durables − Aspects économiques de la gestion des ressources marines vivantes».

8.9L’État partie fait observer que les motifs raisonnables et objectifs qui existaient lorsque le régime des quotas individuels cessibles a été institué n’ont pas disparu. Si tous les ressortissants islandais, sur la base de l’égalité devant la loi, avaient un droit égal de se lancer dans la pêche et de se faire attribuer des quotas de prises à cet effet, les fondements sur lesquels le régime de gestion des pêcheries islandais repose ne manqueraient pas de s’effondrer. Une telle situation saperait en effet la stabilité du régime. Les droits de quota attribués initialement en fonction du volume des prises ont été depuis cédés en grande partie à d’autres propriétaires. Les personnes qui ont acquis ces quotas par la suite les ont, soit achetés aux prix forts sur le marché, soit loués. Il ne s’agit pas d’un «groupe privilégié». Ces personnes ont accepté les règles en vigueur en matière de gestion des pêcheries en Islande. Si, subitement, on réduisait ces droits ou les retirait à leurs propriétaires pour les répartir équitablement entre toutes les personnes qui souhaitent se lancer dans la pêche commerciale, on porterait sérieusement atteinte aux droits de ceux qui ont investi dans ces droits et comptent à juste titre pouvoir continuer à les exercer.

8.10L’État partie explique que les conséquences des lois et règlements n’étaient pas excessives pour les auteurs et, conformément à l’article 26 du Pacte, ne violaient donc pas le principe de proportionnalité. Il considère la situation des auteurs à deux moments différents dans le temps: a) au moment de l’adoption de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries et de l’attribution initiale des droits de prise et b) au moment où la demande de quota des auteurs a été rejetée parce qu’ils ne remplissaient pas les conditions requises par la loi.

8.11Premièrement, le 1er janvier 1991, lorsque la loi sur la gestion des pêcheries est entrée en vigueur, les auteurs travaillaient tous deux en mer sur le même bateau, en qualité de capitaine et de maître d’équipage. Ils se trouvaient dans la même situation que des milliers d’autres membres d’équipage qui n’avaient pas investi dans les bateaux de pêche dont ils dépendaient pour assurer leur subsistance. Vu leurs prises antérieures, les bateaux sur lesquels ils travaillaient ont bénéficié d’une part de quota au titre du nouveau régime de gestion des pêcheries. Le nouveau régime n’a rien changé aux conditions de travail des auteurs, l’un comme capitaine et l’autre comme maître d’équipage. Ils pouvaient continuer de travailler et ne subissaient aucune conséquence excessive. Ils n’avaient pas à interrompre l’activité professionnelle à laquelle leur éducation et leur culture les avaient préparés ainsi qu’ils le soutiennent.

8.12L’État partie rejette l’idée que l’article 26 du Pacte empêchait les autorités qui rédigeaient la nouvelle loi de faire une distinction entre les personnes qui étaient propriétaires de bateaux de pêche («le groupe privilégié» pour reprendre les termes des auteurs) et les autres qui travaillaient dans le secteur de la pêche. Il s’élève contre l’idée qu’il eût fallu attribuer des droits de prise aux uns et aux autres dans des conditions d’égalité. Il existait une différence fondamentale entre les propriétaires du bateau de pêche sur lequel les auteurs travaillaient et les marins employés à bord.

8.13L’État partie considère donc que la distinction faite entre les auteurs et les propriétaires de bateaux de pêche lorsque la loi a été adoptée ne saurait être considérée comme constituant une discrimination contraire à la loi au regard de l’article 26.

8.14Deuxièmement, l’État partie considère le moment où les auteurs ont décidé d’exploiter un bateau de pêche et en ont acheté un au bénéfice de droits de prise limités. Lorsqu’ils se sont rendus acquéreurs du bateau, les auteurs n’avaient pas les moyens de concrétiser leurs intentions notamment parce que le volume total des prises de certaines espèces en danger avait été revu sensiblement à la baisse. Ces réductions s’appliquaient également à tous les bateaux de pêche qui détenaient des parts de quota dans les espèces en question et se sont traduites par une augmentation temporaire des prix du marché des quotas de prise pour ces espèces. La décision des autorités de ne pas attribuer de quota aux auteurs était prévisible. Le fait qu’ils aient perdu leurs biens et leur source de revenus découlait de la décision qu’ils avaient prise eux‑mêmes de démissionner de leur emploi de salarié dans l’industrie de la pêche et d’exploiter une entreprise fondée sur un projet bancal et risqué. Nul n’ignorait quelles étaient les conditions juridiques applicables à toute personne qui se proposait à l’époque de se lancer dans l’exploitation de bateaux de pêche.

8.15L’État partie fait valoir que, si le Comité reconnaît que, suite à leur achat d’un bateau de pêche en 1998, les auteurs avaient le droit de se voir attribuer un quota et de démarrer une entreprise de pêche, il doit alors aussi admettre qu’au moins toutes les personnes qui travaillaient en qualité de capitaine ou de membre d’équipage avaient elles aussi un droit égal à se lancer dans la pêche et à se voir attribuer une part de quota. Le régime en vigueur a des conséquences qui ne sont pas plus graves pour les auteurs que pour des milliers d’autres marins islandais qui pourraient vouloir acheter un bateau de pêche et créer leur entreprise. Pour l’État partie, rien ne justifie que les exploitants de bateaux fassent délibérément des prises illégales pour protester contre un régime de gestion de la pêche qu’ils estiment injuste. Il va de soi que les contrevenants feront l’objet de poursuites. Ils n’acquièrent pas pour autant le statut de «victimes» d’une discrimination contraire au droit.

8.16Enfin, l’État partie fait valoir que, si aujourd’hui il était décidé de distribuer des parts de quota égales à toutes les personnes qui travaillent en mer ou désirent acheter et exploiter des bateaux de pêche, cette décision aurait de graves conséquences pour les personnes qui jouent actuellement un rôle actif dans l’industrie de la pêche et ont investi dans de tels droits. Une telle décision nuirait à l’intérêt de la société dans son ensemble de préserver la stabilité de ce secteur. L’augmentation de la demande de parts dans les stocks de poissons (ressource limitée) et l’obligation faite au Gouvernement d’attribuer des parts égales à tous les pêcheurs menaceraient la stabilité de ces droits. Il s’ensuivrait que les investissements dans les bateaux de pêche ne seraient plus profitables, que le secteur dans son ensemble rencontrerait des difficultés et que l’on reviendrait à la situation qui existait avant l’entrée en vigueur des dispositions actuelles.

8.17L’État partie fait valoir que l’on ne saurait imputer au régime de gestion des pêcheries les pertes financières que les auteurs auraient subies et que celles‑ci découlent plutôt de la décision qu’ils ont prise d’acheter un bateau de pêche alors qu’ils ne détenaient pas de part de quota tout en étant au courant des dispositions en vigueur et des conséquences prévisibles de leur initiative.

Commentaires des auteurs

9.1Le 23 mars 2007, les auteurs ont fait part de leurs commentaires au sujet des observations de l’État partie sur le fond. Ils font valoir que celui‑ci a soutenu avec constance la politique adoptée à la suite de l’arrêt Valdimar, laissant échapper toutes les occasions de mettre en place un régime de gestion des pêcheries qui respecte les principes des droits de l’homme fondamentaux. Alors que l’État partie déclare que la «grande majorité» des droits de pêche prévus par le régime ont maintenant été vendus, les auteurs conviennent que «beaucoup de gens sont devenus millionnaires en vendant leurs droits». Pourtant de nombreuses personnes et entreprises restent en possession des droits qui leur ont été donnés et soit les louent à d’autres, soit les utilisent pour elles‑mêmes. Il n’a pas été tenu de comptes ni de relevés des ventes. L’État partie aurait réussi à persuader des personnes innocentes d’acheter des biens acquis illégalement. Les auteurs soutiennent cependant que l’achat de biens acquis illégalement ne donne pas lieu à un droit de propriété.

9.2Les auteurs affirment que les droits de l’homme ne peuvent pas être prescrits et ne peuvent pas être écartés par prescription. Ils ne revendiquent pas une part de privilège. Ils insistent au contraire sur le fait qu’il faut imposer des restrictions à la pêche dans des conditions généralement applicables. Ils déclarent que tout régime juridique interne normal interdit de limiter une fois pour toutes la pêche en haute mer à un groupe restreint qui s’est vu accorder ce droit à titre gracieux et d’obliger les autres personnes intéressées à acheter une part des privilèges des membres de ce groupe à titre onéreux au profit de ces derniers.

9.3Pour les auteurs, le principe d’égalité interdit la discrimination pour les motifs énoncés à l’article 26 du Pacte, notamment pour des raisons de «situation» (status en anglais). Aux fins de ces dispositions, la «discrimination» s’entend du traitement moins favorable réservé à une personne par rapport à d’autres pour des motifs de cet ordre. Si on accorde à certaines personnes un privilège qui est refusé à d’autres, on crée par là une «situation» particulière, non seulement une situation de privilégié, mais aussi une situation de non‑privilégié. Quiconque enfreindrait l’article 26 ne peut logiquement tirer un moyen de défense du fait que les personnes qui ne jouissent pas de ce privilège se trouvent toutes dans la même situation.

9.4En ce qui concerne l’argument avancé par l’État partie selon lequel il n’y a pas eu de discrimination au regard de l’article 26, les auteurs conviennent que l’objectif de la différence de traitement, en l’occurrence la préservation et la protection des ressources naturelles, était légitime. Toutefois, ils rappellent que la méthode utilisée à cette fin a consisté à distribuer l’ensemble des parts des TAC entre les exploitants en activité à une certaine période. La décision a alors été prise de faire de ces parts un bien privé cessible, ce qui a eu pour effet d’instituer un privilège en faveur des bénéficiaires aux dépens des droits civils des autres. De ce fait, seuls les bénéficiaires peuvent pratiquer la pêche commerciale. Tous les autres, dont les auteurs, doivent acheter aux premiers une fraction de la part des TAC qui leur a été attribuée, s’ils veulent eux aussi exercer cette activité. Pour les auteurs, vu les effets de la mesure, la préservation et la protection de la ressource perdent leur légitimité.

9.5Les auteurs considèrent que l’institution du privilège manque de fondement légal du fait de son inconstitutionnalité. Ils ajoutent que la discrimination n’est jamais justifiée et que le terme «discrimination» s’entend de la non‑application par l’État de règles qui profiteraient à tous ou de l’application de règles désavantageuses pour certains seulement.

9.6En ce qui concerne la prétention de l’État partie qui affirme qu’il était nécessaire de respecter le droit au travail des personnes actives dans le secteur de la pêche, les auteurs s’interrogent sur l’impartialité de cet argument. Ils font valoir qu’avec l’instauration et la pérennisation du régime de gestion des pêcheries l’idée s’est répandue que le travail ou le droit de continuer de travailler dans le secteur dans lequel on est actif constitue en fait un bien protégé comme tel par l’article 72 de la Constitution. Cet argument a été inventé après coup pour justifier le régime de gestion en mettant en avant la nécessité de protéger les droits constitutionnels des bénéficiaires des restrictions imposées à l’exploitation des bancs de pêche.

9.7Les auteurs rappellent que le régime de gestion des pêcheries s’est mis progressivement en place et qu’une décision l’a pérennisé ultérieurement. La raison pour laquelle il a tout d’abord été toléré tenait à ce qu’il fallait donner aux individus et aux entreprises qui avaient investi dans des bateaux et du matériel la possibilité d’amortir leurs investissements. Ils renvoient à l’affaire Valdimar dans laquelle le tribunal a déclaré:

«Bien que des mesures temporaires de cette nature aient pu être justifiées pour empêcher l’épuisement des stocks de poissons, question qui n’est pas en jeu en l’espèce, on ne saurait considérer comme logiquement nécessaire de pérenniser légalement la discrimination qui découle de […] l’octroi de droits de pêche.».

9.8Les auteurs font observer que c’est au Gouvernement islandais et non à eux‑mêmes qu’il incombe de concevoir un régime de gestion des pêcheries qui ne viole pas le droit international des droits de l’homme. Ce qu’ils réclament, c’est d’avoir la possibilité d’exercer la profession de leur choix dans les mêmes conditions que les autres. Il appartient au Gouvernement ou au Parlement islandais de décider des modalités pour ce faire.

9.9Quant à la crainte de l’État partie de voir immanquablement s’effondrer «les fondements du régime de gestion des pêcheries de l’Islande», les auteurs sont d’avis que c’est précisément la crainte de voir s’effondrer le régime des privilèges accordés gratuitement qui a maintenu le système en vie. Les répercussions catastrophiques qui pourraient découler d’une remise en cause du régime seraient dans une certaine mesure compensées par le rétablissement des principes de droit et le renforcement de la légalité.

9.10En ce qui concerne l’affirmation par l’État partie que le régime de gestion des pêcheries n’a pas affecté les auteurs parce qu’ils pouvaient continuer à travailler comme ils l’avaient fait pendant toute leur vie professionnelle, les auteurs invoquent le principe de l’égalité des chances: la possibilité pour les personnes de quelque rang ou condition que ce soit de s’élever dans la société et de s’enrichir par leur travail, de quelque nature qu’il soit a été jusqu’ici la force de l’Islande.

9.11Les auteurs considèrent que, dans un environnement dont la légalité est contestée aux plans national et international, quand quelqu’un essaie d’adapter ses activités à cet environnement il ne faudrait pas en conclure qu’il reconnaît la légalité de cet environnement ou qu’il renonce au droit d’en dénoncer l’illégalité. Les auteurs renvoient à l’article premier de la loi qui reconnaît le «patrimoine commun de la nation». Les personnes qui parlent en public au nom du Gouvernement islandais expriment de plus en plus souvent l’avis que cette disposition ne veut rien dire, donnant ainsi à entendre qu’elle a été incluse dans la loi dans l’intention de tromper. De plus, les auteurs ont agi comme ils l’ont fait parce qu’ils éprouvaient un profond sentiment d’injustice.

9.12Les auteurs soulignent qu’ils réclament non pas de se faire attribuer une part de quota par les autorités, mais de pouvoir continuer à exercer la profession de leur choix dans les mêmes conditions que les autres. Il ne leur appartient pas de préciser les modalités pour ce faire.

9.13Les auteurs expliquent que la morue est et a toujours été de loin l’espèce la plus commune pêchée dans les eaux qui entourent l’Islande, de même que l’espèce la plus rentable à l’exportation. Cette espèce se répartit sur une zone si étendue et elle est si commune qu’elle accompagne en général les autres captures océaniques. La capture de n’importe quelle autre espèce inclut normalement de 5 à 15 % de morue. Les prises accessoires de morue rendent nécessaire l’imposition d’un quota de morue au pêcheur quand bien même il aurait l’intention de pêcher uniquement d’autres espèces. Pour pêcher d’autres espèces pour lesquelles ils détenaient un quota, les auteurs auraient dû recevoir ou acheter un quota de morue afin de couvrir les inévitables prises accessoires de morue. Comme on ne leur en avait pas attribué, ils avaient dû s’en procurer un en le louant ou en l’achetant.

9.14Le Sveinn Sveinsson, le bateau des auteurs, avait 24 tonnes de jauge brute. Les auteurs voulaient exploiter des bateaux de pêche à peu près de cette taille, voire beaucoup plus grands, c’est‑à‑dire des bateaux de pêche hauturière modernes. Ils avaient été formés pour travailler à bord de ce type de bateau qui était leur outil de travail. Le régime des quotas institué en 1984 s’appliquait automatiquement à tous les propriétaires de bateaux de plus de 10 tonnes de jauge brute, à l’exclusion dans l’immédiat des bateaux plus petits auxquels il a été étendu progressivement, en plusieurs étapes. La loi no 97/1985 a soumis à des restrictions toute la pêche au filet pratiquée avec des bateaux de moins de 10 tonnes. La loi no 8/1988 a ramené la limite de 10 à 6 tonnes. Enfin, la loi no 38/1990 a prévu le maintien du régime mis en place pour tous les bateaux de plus de 6 tonnes. Même s’il est exact que le processus n’a pris pleinement effet qu’en 2004, cela ne change rien aux griefs des auteurs.

9.15En ce qui concerne la protection du droit à la liberté du travail, les auteurs font valoir que l’article 75 de la Constitution a pour but de permettre à tous de travailler, sous réserve des exigences généralement applicables. Cette disposition est censée non pas protéger les intérêts de personnes qui exercent déjà une activité, mais au contraire empêcher des groupes d’intérêts de monopoliser tel ou tel secteur d’activité ou d’empêcher d’autres personnes d’y accéder.

9.16Le conseil conclut que le contrôle exercé sur la pêche hauturière au moyen de la propriété individuelle des droits de pêche est judicieux. Aussi est‑il crucial, quand l’on met un tel système en place, de le faire légalement, sans violer les principes constitutionnels et les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Cela ne peut se faire légalement si des élus réservent l’utilisation des bancs de pêche à un groupe particulier et transforment les privilèges des membres de ce groupe en leurs biens propres que ces derniers sont habilités à vendre ou à louer au reste de la population.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

10.2La principale question sur laquelle le Comité doit se prononcer est de savoir si les auteurs, que la loi oblige à verser de l’argent à des concitoyens pour acquérir les quotas nécessaires à l’exploitation commerciale de certaines espèces et avoir ainsi accès aux bancs de poissons qui sont le patrimoine commun de la nation islandaise, sont victimes de discrimination en violation de l’article 26 du Pacte. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que, selon l’article 26, les États parties sont tenus, dans les mesures législatives, judiciaires et administratives qu’ils prennent, de veiller à ce que chacun soit traité dans des conditions d’égalité et sans discrimination notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Il réaffirme que la discrimination ne doit pas s’entendre seulement comme impliquant des exclusions et des restrictions mais s’entend également de préférences fondées sur l’un quelconque des motifs cités si ces préférences ont pour objectif ou pour effet d’annuler ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, en toute égalité, de droits et libertés. Il rappelle qu’une distinction ne constitue pas systématiquement une discrimination en violation de l’article 26, mais que les distinctions doivent être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs, dans la poursuite d’un but légitime au regard du Pacte.

10.3Le Comité relève tout d’abord que la plainte des auteurs porte sur la différence de traitement entre deux groupes de pêcheurs. Le premier groupe a reçu gratuitement une part de quotas parce qu’ils avaient pratiqué la pêche de poissons faisant l’objet de quotas pendant la période allant du 1er novembre 1980 au 31 octobre 1983. Les pêcheurs de ce groupe ont non seulement le droit d’utiliser ces quotas eux-mêmes mais peuvent aussi les vendre ou les louer à d’autres. Les pêcheurs de l’autre groupe sont obligés d’acheter ou de louer une part de quotas à ceux du premier groupe s’ils veulent pêcher des espèces visées par les quotas pour la simple raison qu’ils n’étaient pas propriétaires et exploitants de bateaux pendant la période de référence. Le Comité conclut que cette distinction repose sur des motifs qui équivalent à la «fortune».

10.4Le Comité considère que l’objectif de la distinction appliquée par l’État partie, qui est d’assurer la protection de ses bancs de poissons constituant une ressource limitée, est légitime, mais il doit déterminer si la distinction repose sur des critères raisonnables et objectifs. Il note que tout système de quotas mis en place pour réguler l’accès à des ressources limitées privilégie dans une certaine mesure les titulaires des quotas et désavantage les autres sans nécessairement être discriminatoire. Parallèlement, il relève les spécificités de la présente affaire: d’un côté l’article premier de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries dispose que les bancs de pêche entourant l’Islande sont le patrimoine commun de la nation islandaise; de l’autre, la distinction établie en fonction de l’activité pendant l’année de référence qui, à l’origine, quand il s’agissait d’une mesure temporaire, pouvait être un critère raisonnable et objectif, non seulement est devenue permanente avec l’adoption de la loi mais en outre a fait du droit initial d’utiliser et d’exploiter une richesse publique un droit de propriété individuel. Les quotas alloués qui ne sont plus utilisés par leurs titulaires initiaux peuvent être vendus ou loués aux prix du marché au lieu de revenir à l’État, qui pourrait les redistribuer à de nouveaux titulaires selon des critères justes et équitables. L’État partie n’a pas montré que ce régime particulier de quotas et les modalités de son application répondaient au critère du caractère raisonnable de la mesure. Sans avoir à examiner la question de la compatibilité avec le Pacte des régimes de quotas instaurés pour l’exploitation de ressources limitées, le Comité conclut que, dans les circonstances particulières de l’affaire, le privilège consistant à donner à titre permanent un droit de propriété aux titulaires initiaux des quotas, au détriment des auteurs, ne repose pas sur ces critères raisonnables.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’offrir aux auteurs un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée et de la révision de son régime de gestion des pêcheries.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion dissidente de M me  Elisabeth Palm, M. Ivan Shearer et M me  Iulia Antoanella Motoc

Comme l’a constaté la majorité des membres du Comité, il existe une différence de traitement entre le groupe des pêcheurs qui ont obtenu un quota sans avoir à payer et l’autre groupe de pêcheurs, qui sont obligés d’acheter ou de louer un quota auprès du premier groupe pour pouvoir pêcher les espèces visées par les quotas. Comme la majorité, nous pensons que l’objectif de cette distinction, qui est de protéger les bancs de poissons d’Islande constituant une ressource limitée, est légitime. Il reste à déterminer si la distinction repose sur des critères raisonnables et objectifs.

À ce sujet, nous relevons que dans son arrêt de 1998 dans l’affaire Valdimar, la Cour suprême a considéré que les avantages économiques que présentaient le caractère permanent des droits de pêche et la possibilité de transférer des droits de pêche et des quotas permettaient une utilisation profitable des stocks de poissons, dans l’intérêt de l’économie nationale. De plus, dans l’affaire Vatneyri (avril 2000), la Cour suprême a conclu que les restrictions imposées à la liberté des particuliers de se livrer à la pêche commerciale étaient compatibles avec la Constitution de l’Islande car elles étaient fondées sur des considérations objectives. La Cour suprême a relevé en particulier que la mesure visant à rendre les droits de capture permanents et cessibles se justifiait parce qu’elle permettait aux exploitants de planifier leurs activités à long terme et d’augmenter ou de réduire à leur convenance leurs droits de capture pour certaines espèces.

Il faut aussi relever que, bien que des bateaux particuliers bénéficient de quotas, la loi no 85/2002 leur fait obligation de payer une redevance spéciale sur les prises, pour avoir le droit d’accéder aux zones de pêche, la redevance étant calculée en tenant compte des résultats économiques des pêcheries. D’après l’État partie, la redevance a les mêmes effets qu’une taxe spéciale qui serait imposée aux exploitants de bateau. Pour l’État partie, modifier le régime de gestion des pêcheries aurait des conséquences graves pour tous ceux qui ont acheté des droits de pêche aux titulaires de droit initiaux et risquait de compromettre la stabilité du secteur de la pêche. D’après lui, cela aurait également des conséquences pour l’État tout entier, dont l’intérêt légitime est de préserver la stabilité du secteur de la pêche. Après l’échec de plusieurs tentatives visant à réglementer la gestion des pêches, le système actuel a été mis en place et il a fait la preuve de son efficacité économique et de sa durabilité.

Au vu de tous les éléments mentionnés plus haut et des avantages que le système actuel présente pour la gestion de la pêche en Islande, en particulier la nécessité d’avoir un système stable et solide, ainsi que des inconvénients du système pour les auteurs, c’est-à-dire les restrictions qui sont imposées à leur liberté de se livrer à la pêche commerciale, nous estimons que l’État partie a réussi à trouver un juste équilibre, par ses procédures législatives et judiciaires, entre l’intérêt général et l’intérêt particulier. De plus, nous estimons que la distinction entre les deux groupes de pêcheurs repose sur un motif objectif et représente une mesure proportionnée à l’objectif légitime poursuivi. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 26 dans la présente affaire.

(Signé) MmeElisabeth Palm

(Signé) M. Ivan Shearer

(Signé) Mme Iulia Antoanella Motoc

[Fait en anglais (version originale) en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion dissidente de Sir Nigel Rodley

Je suis généralement d’accord avec l’opinion dissidente de M. Iwasawa et l’opinion conjointe de Mme Palm et de M. Shearer. Je suis sensible au sentiment d’injustice que les auteurs doivent éprouver face à la création d’une catégorie privilégiée, qui a le droit d’exploiter une ressource précieuse associée à leurs moyens de subsistance alors qu’eux sont exclus de l’accès à cette ressource, mais je ne peux pas conclure que l’État partie a commis une violation du Pacte à l’égard des auteurs.

L’État partie a appelé l’attention sur des facteurs qui montrent que, comme il l’affirme, son régime de quotas individuels cessibles est le plus efficace du point de vue économique (voir par. 8.8) et, pour cette raison sa mise en place était une mesure raisonnable et proportionnée au but recherché. Ce sont des arguments concrets auxquels les auteurs ne répondent pas suffisamment (voir par. 9.8). Il était d’autant plus essentiel qu’ils traitent de cette question qu’un organe international non spécialisé dans le domaine ne peut pas facilement saisir les questions en jeu, et doit par conséquent accorder crédit à l’argumentation de l’État partie.

De plus, les constatations du Comité semblent être affectées, peut‑être de façon déterminante, par la circonstance particulière, qui est que la pêche est le patrimoine de la nation islandaise. Je ne suis pas sûr que les mêmes faits dans un autre pays qui n’aurait pas adopté la doctrine du «patrimoine commun» ne pourraient pas conduire le Comité à une conclusion différente de la part du Comité.

(Signé) Sir Nigel Rodley

[Fait en anglais (version originale) en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion dissidente de M. Yuji Iwasawa

D’après la jurisprudence constante du Comité des droits de l’homme, toute différence de traitement ne constitue pas une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte; précisément, une différence de traitement peut être justifiée par des motifs raisonnables et objectifs et pour poursuivre un objectif légitime en vertu du Pacte.

La majorité des membres du Comité, dans la décision, ne conteste pas que l’État partie avait un but légitime quand il a adopté un système particulier de gestion des pêcheries afin de préserver ses ressources naturelles limitées, mais a conclu que le régime des quotas introduit par l’État partie n’était pas justifié par des motifs «raisonnables» et constituait donc une violation de l’article 26 du Pacte. Par cette opinion individuelle j’exprime mon désaccord avec cette conclusion.

L’article 26 du Pacte énonce une série de motifs spécifiques − comme la race, la couleur, le sexe, par exemple − pour lesquels toute discrimination est interdite et qui demandent une attention particulière. Ce n’est certainement pas une liste exhaustive, comme l’indiquent l’adverbe «notamment» («toute discrimination, notamment de race») et l’expression indéterminée «de toute autre situation», mais il est important de noter que dans l’affaire à l’examen aucun des motifs de discrimination interdite expressément énoncés n’est en jeu. De plus, le droit touché par le régime des quotas est le droit de mener l’activité économique de son choix et ne vise aucun des droits civils et politiques qui constituent le fondement d’une société démocratique, comme la liberté d’expression ou le droit de vote. Les États devraient avoir un pouvoir discrétionnaire plus étendu quand ils conçoivent des politiques de réglementation dans le secteur économique, que lorsqu’il s’agit de restreindre, par exemple, la liberté d’expression ou le droit de vote. Les États devraient avoir un pouvoir discrétionnaire plus étendu quand ils conçoivent des politiques de réglementation dans le secteur économique, que lorsqu’il s’agit de restreindre, par exemple, la liberté d’expression ou le droit de vote. Le Comité ne devrait pas oublier les limites de ses compétences en ce qui concerne des politiques économiques qui ont été élaborées avec soin à l’issue de processus démocratiques. Il devrait tenir pleinement compte de ces facteurs quant il détermine si une distinction peut être justifiée sur des motifs «raisonnables».

La «fortune» («property») figure au nombre des motifs de discrimination interdits et la majorité des membres semble supposer qu’en l’espèce il y a une discrimination fondée sur «la fortune» quand elle dit − ce qui n’est pas très clair − que la distinction «repose sur des motifs qui équivalent à la fortune». Le régime de quotas introduit par l’État partie en 1983 et devenu définitif en 1990 consistait en l’attribution de quotas de prises à des bateaux en fonction des tonnages pêchés pendant la période de référence, entre le 1er novembre 1980 et le 31 octobre 1983. La distinction établie en fonction des captures précédentes pour chaque bateau pendant la période de référence ne constitue pas à mon avis une distinction fondée sur la «fortune» mais représente une distinction objective fondée sur les activités économiques d’un individu pendant une période de temps déterminée.

La capacité de la flotte de pêche de l’Islande dépassait le potentiel de production des stocks halieutiques et il était devenu nécessaire de prendre des mesures pour protéger les ressources naturelles limitées du pays. L’État partie a fait valoir − à juste titre − que l’intérêt de la population exigeait que des restrictions soient imposées à la liberté des particuliers de se livrer à la pêche commerciale, afin d’empêcher la surpêche, comme l’ont fait de nombreux autres États parties au Pacte. La mise en place de droits de pêche permanents et cessibles a été considérée comme une mesure nécessaire dans la situation de l’État partie afin de garantir la stabilité de l’activité de ceux qui avaient investi dans des opérations de pêche et de leur permettre de prévoir leur activité à long terme. En 2002, le régime a été modifié de façon à imposer aux exploitants des bateaux une redevance fondée sur les prises pour l’utilisation des lieux de pêche. L’État partie a expliqué que la redevance avait les mêmes effets qu’une taxe spéciale qui serait imposée aux exploitants de bateaux. Le régime actuel a fait la preuve de son efficacité économique et de la durabilité de son application. L’État partie a fait valoir que si le système devait être modifié aujourd’hui, la décision aurait de graves conséquences pour les personnes qui jouaient actuellement un rôle actif dans l’industrie de la pêche et avaient investi dans des opérations de pêche, et pourrait même menacer la stabilité du secteur de la pêche.

Tandis que des pêcheurs qui avaient investi dans les opérations de pêche et étaient propriétaires de bateaux pendant la période de référence ont reçu un quota, d’autres pêcheurs ne peuvent pas se livrer à la pêche commerciale s’ils n’achètent pas ou ne louent pas un quota auprès de titulaires de quotas, et ils sont donc désavantagés. Toutefois, un régime de gestion des pêches doit nécessairement prévoir des restrictions à la liberté de particuliers de se livrer à la pêche commerciale si l’on veut atteindre l’objectif visé. Compte tenu des avantages qu’offre le système actuel, je ne peux pas considérer que les désavantages qui en résultent pour les auteurs − les restrictions à leur droit de se livrer à l’activité économique de leur choix autant qu’ils souhaitent − sont démesurés. Pour ces raisons, je ne peux pas adhérer à la conclusion de la majorité qui a constaté que la distinction établie par l’État partie en fonction des captures de poissons précédentes de chaque bateau pendant la période de référence était «déraisonnable» et constituait une violation de l’article 26 du Pacte.

(Signé) M. Yuji Iwasawa

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion dissidente de M me  Ruth Wedgwood

Je fais mienne l’analyse minutieuse des faits de la présente affaire faite par mes collègues Elisabeth Palm et Ivan Schearer. L’État partie a donné une explication détaillée des raisons pour lesquelles les autorités islandaises ont conclu qu’un régime de quotas de pêche fondé sur les prises antérieures serait le moyen le plus réaliste de réguler et de protéger le secteur de la pêche.

Je suis également d’accord avec Yuji Iwasawa sur un point de principe important: le Comité des droits de l’homme a une marge de manœuvre clairement limitée pour s’occuper de questions de réglementation économique, quand il s’agit de l’article 26.

La discrimination qui est alléguée ici serait faite entre des pêcheurs selon qu’ils exploitaient des bateaux avant ou après une certaine date. Rien ne laisse entendre que la distinction serait fondée sur l’origine ethnique, la religion, le sexe ou l’appartenance politique ni sur aucune autre caractéristique énoncée à l’article 26 ou protégée dans un autre article du Pacte. Le maintien de droits acquis par l’activité précédente demeure une pratique courante dans de nombreux États − par exemple sous la forme d’attribution de licences de taxi, de subventions agricoles, de fréquences à des services de télécommunications. L’entrée libre sur un secteur économique nouveau est peut‑être souhaitable mais le Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’a pas été conçu comme un manifeste en faveur de la déréglementation économique. Pour protéger effectivement des droits importants qui entrent dans le champ d’application du Pacte, le Comité doit également respecter les limites de sa compétence, du point juridique comme du point pratique.

(Signé) Mme Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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