NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/91/D/1223/200314 novembre 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑onzième session15 octobre‑2 novembre 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1223/2003

Présentée par:

Vjatseslav Tsarjov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Estonie

Date de la communication:

14 août 2003 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 novembre 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

26 octobre 2007

Objet: Refus arbitraire de délivrer un permis de séjour permanent entraînant l’impossibilité de voyager à l’étranger et de prendre part à la direction des affaires publiques

Questions de fond: Égalité devant la loi; discrimination illégale; droit à la liberté de mouvement; droit de quitter quelque pays que ce soit, y compris le sien; droit de prendre part à la direction des affaires publiques

Questions de procédure: Abus du droit de présenter des communications; non‑épuisement des recours internes

Articles du Pacte: 2 (par. 1); 12 (par. 2 et 4); 25; 26

Articles du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b)); 3

Le 26 octobre 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1223/2003 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑onzième session

concernant la

Communication n o  1223/2003*

Présentée par:

Vjatseslav Tsarjov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Estonie

Date de la communication:

14 août 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1223/2003 présentée par M. Vjatseslav Tsarjov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Vjatseslav Tsarjov, né le 7 décembre 1948 en République socialiste fédérative soviétique de Russie, qui dit être apatride et réside actuellement en Estonie. Il se déclare victime de violations, par l’Estonie, des droits consacrés aux paragraphes 2 et 4 de l’article 12, à l’article 25 et à l’article 26, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur vit depuis 1956 en Estonie, où il a étudié et travaillé. D’octobre 1975 jusqu’en août 1978, il a été employé comme agent du Comité de sécurité de l’État (KGB) de l’ancienne République socialiste soviétique (RSS) d’Estonie. Il a ensuite étudié à l’école supérieure du KGB de l’Union soviétique à Moscou et ce, jusqu’en juin 1981. D’août 1981 à avril 1986, il a occupé un poste d’agent gradé au sein du KGB de la République socialiste soviétique autonome de Bouriatie dans la République socialiste fédérative soviétique de Russie. D’avril 1986 à décembre 1991, il a travaillé comme agent de grade élevé pour le KGB de la RSS d’Estonie. En 19[9]1, il a obtenu le grade de lieutenant. Jusqu’en 1991, l’auteur était un ressortissant de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS ou Union soviétique) et il a été porteur du passeport soviétique unique jusqu’au 12 juillet 1996. Par la suite, il n’a jamais cherché à obtenir la nationalité d’un autre pays. Jusqu’en 1996, il bénéficiait d’une autorisation légale de séjour permanent en Estonie (propiska). En 1995, les autorités estoniennes l’ont contraint à demander un permis officiel de séjour, ce qu’il a fait le 17 juin de la même année.

2.2Le 31 décembre 1996, en vertu du décret no 1024 (le décret no1024) et du paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers, le Gouvernement estonien a accordé à l’auteur un permis de séjour temporaire valable jusqu’au 31 décembre 1998. Le 14 septembre 1998, l’auteur a demandé un permis de séjour permanent en se prévalant du règlement n° 137 en date du 16 juin 1998 concernant les conditions et la procédure régissant le dépôt d’une demande de permis de séjour permanent (le règlement no 137). Le 5 novembre 1998, le Conseil de la citoyenneté et des migrations (le Conseil) a rejeté la demande de l’auteur. Dans sa décision, le Conseil a invoqué le fait qu’un permis de séjour temporaire avait déjà été accordé à l’auteur. Il a fondé sa décision sur les articles premier et 36 du règlement no 368 relatif à la procédure régissant la délivrance, la prolongation et le retrait des permis de séjour et de travail pour étrangers, en date du 7 décembre 1995 (le règlement no 368).

2.3Le 4 décembre 1998, l’auteur a formé un recours contre la décision du Conseil devant le tribunal administratif de Tallinn en faisant valoir qu’il avait présenté sa première demande de permis de séjour avant le 12 juillet 1995. En vertu du paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers, les non‑ressortissants qui avaient demandé un permis de séjour avant le 12 juillet 1995, disposaient d’un titre de séjour et n’entraient pas dans l’une des catégories énumérées au paragraphe 4 de l’article 12 de ladite loi conservaient leurs droits et devoirs tels que définis dans la législation antérieure. Dans son recours, l’auteur a invoqué le règlement no 137 et soutenu que sa situation ne relevait pas des cas prévus au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers et que le choix du paragraphe 5 dudit article comme fondement juridique du décret no 1024 n’était pas adapté.

2.4Le 18 janvier 1999 et le 19 février 1999, le tribunal administratif de Tallinn a jugé l’affaire. À l’audience, l’auteur a contesté la validité des informations figurant dans le questionnaire joint en annexe à sa demande de permis de séjour permanent. Il a fait observer que l’Union soviétique était devenue un pays étranger après le 20 août 1991 (après le retour à l’indépendance de l’Estonie) et qu’il travaillait pour le KGB avant que l’Union soviétique ne soit considérée comme un autre État. Il a affirmé qu’il pouvait prétendre à un permis de séjour permanent au titre du paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers car il avait demandé un permis de séjour avant le 12 juillet 1995. Au tribunal, le Conseil a contesté la requête et a demandé qu’elle soit rejetée. Il a expliqué qu’il avait délivré à l’auteur un permis de séjour temporaire à titre exceptionnel, conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. Il a considéré que l’auteur avait travaillé pour les services de renseignement ou de sécurité d’un État étranger et qu’il entrait dans l’une des catégories d’étrangers, définies au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers, qui ne peuvent pas obtenir de titre de séjour.

2.5Dans sa décision rendue le 22 février 1999, le tribunal administratif de Tallinn a fait droit au recours de l’auteur et déclaré la décision du Conseil illégale pour vice de procédure. Il a constaté que le Conseil avait refusé de délivrer un permis de séjour permanent à l’auteur en invoquant les dispositions énoncées aux articles premier et 36 du règlement no368, alors que sa demande aurait dû être examinée sur la base du règlement no137, lequel prévoit une procédure s’appliquant aux non‑ressortissants qui ont demandé un permis de séjour temporaire avant le 12 juillet 1995, l’ont obtenu et n’entrent pas dans l’une des catégories énumérées au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. Étant donné que le Conseil avait étudié la demande de permis de séjour permanent présentée par l’auteur en se fondant sur des dispositions inappropriées, le tribunal a engagé cet organe à réexaminer le dossier et à rendre une nouvelle décision.

2.6Le tribunal a souscrit à l’affirmation de l’auteur selon laquelle les dispositions du paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers devaient être appliquées dans son cas. Il avait demandé un permis de séjour avant le 12 juillet 1995 et l’avait obtenu. Comme l’auteur contestait son assimilation aux non‑ressortissants visés au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers, une interprétation juridique devait être effectuée lors du réexamen de sa demande de permis de séjour permanent afin de déterminer si le poste d’agent de grade élevé qu’il avait occupé au sein du KGB de la RSS d’Estonie de 1986 à décembre 1991 pouvait être considéré comme un travail pour les services de renseignement ou de sécurité d’un pays étranger. Conformément à la nouvelle version de la disposition d’application prévue au paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers, la demande de permis de séjour permanent présentée par l’auteur ne pouvait pas être examinée à la lumière des dispositions du paragraphe 3 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. Jusqu’au 30 septembre 1999, la teneur dudit paragraphe était la suivante:

«Article 12. Conditions d’octroi des permis de séjour

[…] (3) Un permis de séjour permanent peut être délivré à un étranger qui, au cours des cinq années précédant la demande, a vécu pendant trois ans au moins en Estonie au titre d’un permis de séjour temporaire et qui a son lieu de résidence et son travail en Estonie ou d’autres moyens légaux de subsistance dans le pays, à moins que la présente loi n’en dispose autrement. L’étranger qui a reçu un permis de séjour au titre des alinéas 1 et 2 du paragraphe 1 du présent article ou qui a obtenu un permis de résidence à titre exceptionnel conformément au paragraphe 5 du présent article ne peut pas prétendre à un permis de séjour permanent.».

2.7Le Conseil a fait appel de la décision devant la cour d’appel de Tallinn. Le 12 avril 1999, cette dernière a cassé la décision du tribunal administratif en date du 22 février 1999 et a fait droit à l’appel interjeté par le Conseil. Elle a conclu que le tribunal de première instance avait mal appliqué les règles du droit positif. Elle a estimé que l’auteur relevait de l’une des catégories énumérées au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers et qu’en conséquence, le paragraphe 1 de l’article 20 de ladite loi et le règlement no 137 ne s’appliquaient pas à son cas. La cour d’appel a noté que la loi sur les étrangers ne contenait pas de disposition précisant quel type de travail une personne devait avoir exercé, à quelle période et dans quels organismes, pour que l’on puisse considérer qu’elle avait été employée par les services de renseignement et de sécurité d’un autre pays. La loi du 6 février 1995 sur la procédure d’enregistrement et d’identification des anciens employés ou collaborateurs des services de renseignement ou de contre‑espionnage des organismes de sécurité ou des forces armées des États qui ont occupé l’Estonie (la loi sur l’enregistrement et l’identification) définit quels sont les organismes des services de sécurité et de renseignement d’États ayant occupé l’Estonie et ce que l’on entend par personne ayant travaillé pour le compte de ces services. Conformément au paragraphe 2 de l’article 2 de ladite loi, l’expression «services de sécurité et de renseignement d’États ayant occupé l’Estonie» désigne les services de sécurité et les services de renseignement et de contre‑espionnage des forces armées de l’Union soviétique ou les organismes qui en dépendaient; conformément à l’alinéa 6 dudit paragraphe, cette définition englobe le KGB de l’Union soviétique. En vertu du paragraphe 2 de l’article 3 de ladite loi, tout étranger ayant travaillé pour ledit service de sécurité ou de renseignement pendant la période comprise entre le 17 juin 1940 et le 31 décembre 1991 et qui vit sur le territoire placé sous la juridiction de la République d’Estonie est considéré comme une personne employée par les services de sécurité ou de renseignement en question.

2.8Se fondant sur la loi susmentionnée et sur la signification de la loi sur les étrangers, la cour d’appel a conclu que le fait que l’auteur ait été employé par le KGB de la République socialiste soviétique d’Estonie et le KGB de la République socialiste soviétique autonome de Bouriatie, ce que l’auteur a lui‑même confirmé dans le questionnaire accompagnant sa demande de permis de séjour, devait être compris comme un engagement dans les services de renseignement ou de sécurité d’un pays étranger au sens de l’alinéa 5 du paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. La cour a noté qu’en vertu de l’accord conclu le 4 septembre 1991 entre le Premier Ministre de la République d’Estonie, le Directeur du KGB de l’Union soviétique et le Directeur du Comité de la sécurité nationale de la République d’Estonie, le Gouvernement estonien s’est engagé à garantir les droits sociaux et politiques des anciens employés du KGB de la RSS d’Estonie conformément aux normes de droit international généralement reconnues et à la législation estonienne. Cependant, l’existence de cet accord ne permet pas de conclure que le fait de rejeter une demande de permis de séjour sur la base des dispositions du paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers entrait en contradiction avec ledit accord.

2.9Compte tenu de ce qui précède, la cour d’appel de Tallinn a conclu que, bien que l’auteur ait déposé une demande de permis de séjour le 17 juin 1995 et ait obtenu un permis de séjour temporaire à titre exceptionnel, il n’était pas habilité à demander un permis de séjour en vertu du paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers et sa demande de permis de séjour permanent ne pouvait pas être réexaminée au regard du règlement no137 étant donné qu’il entrait dans l’une des catégories de non‑ressortissants visés au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. La cour d’appel a décidé que, conformément au paragraphe 3 de l’article de ladite loi, un permis de séjour pouvait être délivré à un étranger qui, au cours des cinq années précédant sa demande, avait vécu en Estonie pendant trois ans au moins au titre d’un permis de séjour temporaire et qui avait son lieu de résidence et un travail en Estonie ou qui disposait d’autres moyens légaux de subsistance en Estonie, sauf disposition contraire de ladite loi. L’étranger qui avait reçu un permis de séjour à titre exceptionnel conformément au paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers ne pouvait prétendre à un permis de séjour permanent. L’auteur avait reçu un permis de séjour de deux ans à titre exceptionnel en application du décret no1024 promulgué sur la base du paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. Par conséquent, la cour d’appel a conclu que le Conseil avait été fondé à rejeter la demande de permis de séjour de l’auteur. Comme le règlement no137 ne s’appliquait pas à son cas, le Conseil avait eu raison d’examiner sa demande de permis de séjour permanent en s’appuyant sur le règlement no368.

2.10Le 10 mai 1999, l’auteur a formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême contre la décision de la cour d’appel. Il a fait valoir que cette dernière avait commis des erreurs dans la façon dont elle avait appliqué la loi. Les fonctions qu’il avait assumées au sein du KGB de la RSS d’Estonie ne pouvaient pas être assimilées à un emploi dans les services de renseignement ou de sécurité d’un autre État et le fait de le ranger dans l’une des catégories de personnes visées au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers constituait une violation des articles 23 et 29 de la Constitution estonienne. Une activité exercée à l’intérieur des frontières de l’ex‑URSS ne saurait être considérée comme un engagement à l’étranger et personne ne pouvait être condamné pour avoir été employé par des services de sécurité. Tout en reconnaissant que l’obtention d’un permis de séjour permanent n’était pas un droit subjectif, l’auteur a fait observer que le refus d’octroyer un tel permis devrait être solidement argumenté. Les motifs justifiant le rejet d’une demande de permis de séjour devaient être compatibles avec la Constitution et ne sauraient violer les droits de la personne, notamment le droit à l’égalité de traitement. En conséquence, l’auteur parvenait à la conclusion qu’il était victime d’une discrimination fondée sur l’origine, en violation de l’article 26 du Pacte, puisqu’il s’était vu refuser un permis de séjour pour avoir été employé par des services étrangers de renseignement ou de sécurité. Le 16 juin 1999, l’appel interjeté par l’auteur devant la Cour suprême a été déclaré irrecevable au motif que le pourvoi en cassation était manifestement dénué de fondement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le refus de lui accorder un permis de séjour permanent constitue une violation des droits consacrés aux paragraphes 2 et 4 de l’article 12 du Pacte, étant donné que la durée de validité de son permis de séjour temporaire est trop brève pour qu’il puisse obtenir un visa vers certains pays. Pour les apatrides, le document de voyage nécessaire est le passeport pour étranger. Conformément au paragraphe 1 de l’article 27 de la loi sur les documents d’identité, les apatrides qui ont un titre de séjour valable peuvent obtenir un passeport pour étranger. Conformément à l’article 28 de ladite loi, la durée de validité d’un passeport pour étranger ne peut dépasser celle du permis de séjour. Comme la validité du dernier permis de séjour délivré à l’auteur était de deux ans, celle de son passeport pour étranger était également de deux ans. Au cas où l’auteur souhaiterait partir à l’étranger pendant une période plus longue, il pourrait avoir des difficultés à obtenir un visa d’entrée. En outre, s’il décidait de voyager pendant assez longtemps et ne parvenait pas à faire prolonger son permis de séjour avant son départ, il risquerait de se voir refuser l’entrée en Estonie à son retour étant donné qu’il n’aurait plus de titre de séjour.

3.2Enfin, l’auteur affirme que le refus de lui accorder un permis de séjour permanent constitue une violation du droit de voter et d’être élu consacré à l’article 25 du Pacte dans la mesure où ce droit n’est accordé qu’aux ressortissants estoniens ou aux titulaires d’un permis de séjour permanent. Le paragraphe 2 de l’article 60 de la Constitution et le paragraphe 1 de l’article 4 de la loi sur les élections législatives prévoient que tout ressortissant estonien âgé de 21 ans révolus ayant le droit de vote peut se présenter aux élections parlementaires. L’auteur est privé du droit de se présenter aux élections locales étant donné qu’il n’a ni la nationalité estonienne, ni la nationalité d’un pays membre de l’Union européenne, et il ne peut pas voter au plan local, puisqu’il n’a pas de permis de séjour permanent. Conformément à l’article 156 de la Constitution estonienne, toute personne âgée de 18 ans révolus qui est un résident permanent d’une circonscription a le droit de participer aux élections des organes des collectivités locales.

3.3Enfin, l’auteur soutient qu’il est victime d’une discrimination fondée sur son origine ethnique et sociale et que le fait de l’associer à un certain statut, à savoir celui d’ancien membre du personnel militaire de l’ex‑Union soviétique, constitue une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2. Il fait valoir que l’alinéa 7 du paragraphe 4 de l’article 12 de la loi estonienne sur les étrangers est discriminatoire car il empêche les étrangers qui ont servi dans les forces armées d’un État étranger d’obtenir un permis de séjour ou de le faire prolonger. Le texte de la disposition pertinente est libellé comme suit:

«Article 12. Conditions d’octroi des permis de séjour

[…] (4) La délivrance ou la prolongation d’un permis de séjour est refusée lorsque:

[…] (7) L’intéressé fait ou a fait partie des forces armées d’un autre État en tant que militaire de carrière, réserviste ou militaire à la retraite; […]».

3.4Conformément au paragraphe 5 de l’article 12, un permis de séjour temporaire peut être délivré à titre exceptionnel aux étrangers visés notamment à l’alinéa 7 du paragraphe 4 dudit article et être prolongé. En outre, en vertu du paragraphe 7 dudit article, la restriction prévue notamment à l’alinéa 7 du paragraphe 4 dudit article ne s’applique pas aux ressortissants des pays membres de l’Union européenne ou de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). L’auteur fait valoir que cette disposition a un caractère discriminatoire étant donné qu’elle sous‑entend que tous les étrangers qui ont servi dans des forces armées étrangères, à l’exception des ressortissants des pays membres de l’Union européenne ou de l’OTAN, représentent une menace pour la sécurité nationale de l’Estonie, quelle que soit la nature des activités qu’ils ont menées. L’auteur affirme que le fait que les militaires à la retraite en général ou que lui‑même en particulier représentent une telle menace reste à prouver. Il affirme en outre que la réalité de cette «menace» devrait être démontrée par un jugement ayant force exécutoire, par exemple. Il rappelle qu’il n’a pas demandé la nationalité estonienne et qu’un permis de séjour permanent lui aurait donné un statut plus stable dans le seul pays où il a des raisons de rester.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations en date du 1er juin 2004, l’État partie conteste à la fois la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui concerne la recevabilité, il estime que la communication devrait être considérée comme un abus du droit de plainte et que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Sur le fond, l’État partie soutient que les faits ne font apparaître aucune violation du Pacte.

4.2Selon l’État partie, l’auteur n’a pas expliqué pourquoi il a présenté sa communication au Comité plus de quatre ans après le jugement rendu en dernier ressort par la juridiction nationale compétente. Bien que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la présentation des communications écrites, c’est au Comité qu’il appartient de décider si la présentation après un tel délai constitue en soi un abus du droit de présenter de telles communications, tel que défini à l’article 3 du Protocole facultatif. L’Estonie a accédé au Pacte et au Protocole facultatif en 1991. Il est stipulé à l’article 3 de la Constitution que les principes et les normes universellement reconnus du droit international font partie intégrante du système juridique estonien et à l’article 123 que si les lois et autres actes de l’Estonie sont contraires aux traités internationaux ratifiés par le Parlement, les dispositions du traité international s’appliquent. L’État partie avance que l’auteur aurait dû connaître ces principes. Quiconque veut former un recours est censé faire les démarches pour saisir l’organe compétent dans un délai raisonnable.

4.3L’auteur n’a pas saisi le tribunal administratif d’un recours en inconstitutionnalité de la loi sur les étrangers. L’État renvoie à une décision du 5 mars 2001 dans laquelle la Chambre de contrôle constitutionnel, saisie par le tribunal administratif, a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la loi sur les étrangers en vertu desquelles le demandeur s’était vu refuser un permis de séjour. L’État partie fait en outre observer que la Cour suprême exerce, le cas échéant, son pouvoir de déclarer inconstitutionnelles les lois nationales qui sont en contradiction avec les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il ajoute que l’égalité devant la loi et la protection contre les discriminations étant protégées à la fois par la Constitution et par le Pacte, un recours en inconstitutionnalité aurait offert à l’auteur un recours disponible et utile. Eu égard à la jurisprudence récente de la Cour suprême, l’État partie considère qu’une telle démarche aurait eu de bonnes chances de réussir et aurait dû être tentée.

4.4L’auteur n’a pas non plus formé de recours devant le Chancelier des affaires juridiques pour vérifier la non‑conformité de la loi remise en question avec la Constitution ou le Pacte. Le Chancelier des affaires juridiques peut proposer une révision de la législation jugée inconstitutionnelle ou, à défaut de mesures législatives, renvoyer l’affaire à cet effet devant la Cour suprême. Cette dernière accepte de s’en saisir «dans la plupart des cas». Ainsi, si l’auteur ne se sentait pas capable de former lui‑même un recours en inconstitutionnalité, il aurait pu s’adresser au Chancelier des affaires juridiques pour qu’il le fasse à sa place.

4.5L’État partie note que le droit de se voir octroyer un permis de séjour permanent et les droits annexes ne sont pas garantis par le Pacte. En vertu du droit international, les États décident librement des conditions d’entrée ou de séjour des étrangers sur leur territoire et de la délivrance des permis de séjour. Les autorités estoniennes ont toute discrétion pour réglementer ces questions par la voie législative. Le fait de soumettre à des restrictions l’octroi des permis de séjour permanent est nécessaire pour garantir la sécurité nationale et l’ordre public. L’État partie renvoie à la décision du Comité dans l’affaire V. M. R. B. c. Canada, dans laquelle le Comité a fait observer qu’il ne lui appartient pas de contrôler la façon dont un État souverain évalue le danger que représente un étranger pour la sécurité nationale. Aussi l’État partie avance‑t‑il que le refus d’octroyer à l’auteur un permis de séjour permanent ne va à l’encontre d’aucun des droits dont ce dernier peut se prévaloir en vertu du Pacte.

4.6Pour ce qui est du bien‑fondé du grief formulé par l’auteur au titre de l’article 26, l’État partie invoque la jurisprudence constante du Comité qui établit que les différences de traitement ne sont pas toutes discriminatoires, et que celles qui sont fondées sur des motifs raisonnables et objectifs sont conformes à l’article 26. Le fait que des différences existent concrètement en dépit d’une application uniforme des lois ne constitue pas en soi une discrimination interdite. En vertu de la loi sur les étrangers, les personnes ayant servi dans les services de renseignement ou de sécurité d’un autre État ne se voient en règle générale pas octroyer de permis de séjour; à titre exceptionnel, elles peuvent obtenir un permis de séjour temporaire sous réserve que le Gouvernement l’autorise. L’auteur a bénéficié d’un permis de séjour temporaire à titre exceptionnel et s’est vu refuser un permis de séjour permanent, conformément aux dispositions de la législation nationale, parce qu’il avait servi dans les services de renseignement et de sécurité d’un autre État.

4.7L’État partie affirme que, pour des raisons de sécurité nationale et d’ordre public, il est nécessaire d’imposer des restrictions à l’octroi des permis de séjour permanent. Cela est également nécessaire dans les sociétés démocratiques pour protéger la souveraineté de l’État, et le niveau de restriction dépend de l’objectif que s’est fixé la loi. Lorsqu’il a refusé d’octroyer à l’auteur un permis de séjour permanent, le Conseil a justifié sa décision en invoquant des motifs raisonnables qui, de l’avis de l’État partie, étaient pertinents et suffisants. Lors de l’adoption de la loi en question, il avait également été tenu compte du fait que, dans certains cas, d’anciens membres des forces armées pourraient mettre en péril la souveraineté de l’Estonie depuis l’intérieur. Cela est particulièrement vrai des réservistes, qui connaissent bien le contexte estonien et peuvent être appelés à rejoindre les rangs de l’armée d’un autre État.

4.8L’État partie soutient que l’auteur n’a pas été victime d’un traitement inégal par rapport aux autres personnes ayant servi dans les services de renseignement d’un autre État, puisque la loi interdit d’octroyer un permis de séjour à ces personnes. En réponse à l’argument de l’auteur qui fait valoir que le paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers ne s’applique pas aux ressortissants des pays membres de l’UE et de l’OTAN, l’État partie rappelle que la demande de l’auteur a été rejetée en 1998 tandis que la disposition invoquée par l’auteur est entrée en vigueur le 1er octobre 1999. L’État partie soutient donc que le refus d’octroyer un permis de séjour à l’auteur était fondé sur des considérations ayant trait à la sécurité nationale, non pas à l’origine sociale de l’auteur. Le refus, formulé conformément à la loi, n’était pas arbitraire et n’a pas porté préjudice à l’auteur.

4.9D’après l’État partie, les droits annexes dont l’auteur prétend également avoir été privé sont étroitement liés à l’objet même du litige, à savoir le droit d’obtenir un permis de séjour. Tous ces droits doivent donc être examinés dans leur ensemble. Quoi qu’il en soit, l’État partie avance que la question de la violation présumée de l’article 12 ne se pose plus étant donné que l’auteur s’est vu délivrer un permis de séjour temporaire de cinq ans et un passeport pour étranger. Un passeport pour étranger est un document de voyage au moyen duquel le titulaire peut se rendre à l’étranger, même si l’entrée dans certains pays est subordonnée à l’obtention d’un visa. Les plaintes relatives aux critères régissant la délivrance de visas de ce type par les autorités d’autres pays ne sauraient être dirigées contre les autorités estoniennes.

4.10Quant à l’argument de l’auteur qui prétend qu’il risquerait de perdre le droit d’entrer en Estonie s’il séjournait trop longtemps à l’étranger, il est dénué de fondement. L’auteur pourrait adresser au Conseil une demande écrite pour faire prolonger son permis de séjour et se voir octroyer un passeport pour étranger. En vertu des articles 42 et 44 de la loi sur les affaires consulaires, les consulats d’Estonie sont habilités à délivrer des passeports pour étranger et des permis de séjour. L’auteur pourrait faire les démarches pour obtenir un passeport de ce type ou un permis de séjour de l’étranger.

4.11Face à l’argument de l’auteur qui se dit privé de son droit de voter et d’être élu, l’État partie rappelle que le droit de vote des étrangers titulaires d’un permis de séjour n’est pas visé à l’article 25, qui garantit ces droits uniquement aux citoyens de l’État concerné.

4.12L’État partie note que, outre le permis de séjour temporaire qui lui a été délivré le 31 décembre 1996 pour une période de deux ans, l’auteur s’est vu octroyer d’autres permis de séjour temporaire pour les périodes suivantes: 5 octobre 1999 au 1er février 2000, 11 mai 2000 au 31 décembre 2000, 1er janvier 2001 au 31 décembre 2001, 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003 et 1er janvier 2004 au 31 décembre 2008.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Les 20 et 30 juillet 2004, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Il a rappelé qu’il vivait en Estonie depuis l’âge de 8 ans, était citoyen de l’URSS jusqu’en 1991 et bénéficiait d’une autorisation légale de séjour permanent (propiska) en Estonie jusqu’en 1996. Avant le 31 décembre 1996, date à laquelle le décret a été adopté, il n’avait jamais été considéré comme une menace pour la sécurité nationale de l’Estonie. Les anciens employés du KGB de la République socialiste soviétique d’Estonie dont les parents étaient de nationalité estonienne jusqu’en 1940 avaient obtenu la citoyenneté estonienne après l’indépendance, bien qu’ils aient appartenu comme l’auteur à la catégorie des personnes constituant une menace pour la sécurité nationale de l’Estonie.

5.2L’auteur soutient en outre que la loi relative à la procédure d’enregistrement et d’identification sur laquelle s’appuie l’État partie (par. 2.7 ci‑dessus) n’est pas conforme à la première partie de l’article 23 de la Constitution, qui dispose que nul ne peut être condamné pour un acte qui ne constituait pas une infraction pénale selon la loi en vigueur au moment où cet acte a été commis. Que l’auteur ait été employé par le KGB entre 1975 et 1991 ne faisait pas de lui à l’époque un employé des services secrets d’un État étranger, ni ne signifiait qu’il coopérait avec les services secrets d’un État occupant.

5.3L’auteur ajoute que le fait que la durée de validité de ses permis de séjour temporaire soit variable − s’échelonnant entre quatre mois et cinq ans − prouve que l’argument relatif à la sécurité nationale mis en avant par l’État partie est dénué de fondement. L’État partie n’a pas expliqué en quoi et selon quels critères l’évaluation de la menace que fait peser l’auteur sur la sécurité nationale de l’Estonie pouvait justifier de telles variations dans la durée de validité de ses permis de séjour. L’auteur conteste également l’argument de l’État partie selon lequel «dans certaines circonstances, d’anciens membres des forces armées pourraient menacer la souveraineté de l’Estonie depuis l’intérieur» et «être appelés à rejoindre les rangs de l’armée d’un autre État», puisque dans son cas, l’URSS et la République socialiste soviétique d’Estonie n’existent plus, et que la République socialiste soviétique autonome de Bouriatie ne peut guère représenter une menace pour les intérêts de l’État estonien.

5.4L’auteur cite un long passage de l’accord conclu en 1991 entre l’Estonie et la Fédération de Russie relatif au statut des bases militaires et aux relations bilatérales pour étayer l’argument selon lequel ce traité n’exclut pas les anciens employés du KGB du champ d’application des dispositions de l’article 3, qui permet aux citoyens soviétiques de choisir librement la citoyenneté russe ou la citoyenneté estonienne. L’auteur ajoute que sa première intention était de demander la citoyenneté estonienne après avoir vécu en Estonie au titre d’un permis de séjour permanent de cinq ans. Toutefois, faisant partie des 175 000 apatrides qui résident en Estonie depuis de nombreuses années, l’auteur ne peut obtenir la citoyenneté estonienne puisqu’il appartient au groupe bien spécifique des anciens membres de l’armée soviétique.

5.5L’auteur réfute l’argument selon lequel sa communication constitue un abus du droit de plainte, puisque la Cour suprême d’Estonie ne l’a pas informé des autres possibilités de recours qui s’offraient à lui après lui avoir refusé l’autorisation de faire appel le 16 juin 1999.

5.6Quant à l’argument selon lequel il n’a pas entamé de procédure de contrôle de la légalité pour contester la constitutionnalité de la loi sur les étrangers, l’auteur avance qu’en vertu de l’article 6 de la loi sur le contrôle de la constitutionnalité (en vigueur jusqu’au 1er juillet 2002), seuls le Président estonien, le Chancelier des affaires juridiques et les tribunaux sont habilités à entamer une procédure de ce type. Contrairement à ce que prétend l’État partie, l’auteur a essayé en vain de soulever devant les tribunaux nationaux la question de l’inconstitutionnalité de la loi sur les étrangers et de son incompatibilité avec l’article 26 du Pacte.

5.7Quant à la possibilité de s’adresser au Chancelier des affaires juridiques, l’auteur fait observer qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la loi sur le Chancelier des affaires juridiques, ledit Chancelier est tenu de rejeter les demandes dont l’objet donne ou a donné lieu à une procédure judiciaire. Compte tenu des limites de la compétence du Chancelier des affaires juridiques, l’auteur a opté pour un contrôle juridictionnel de la décision du Conseil.

5.8Les 6, 12, 15 et 21 juin 2007, l’auteur a présenté d’autres commentaires sur les observations de l’État partie. Après avoir réitéré ses griefs antérieurs, il a déclaré qu’il avait été impliqué dans d’autres procédures judiciaires en Estonie entre 2004 et 2006 et que sa plainte portant sur les dernières procédures avait été enregistrée par la Cour européenne des droits de l’homme en 2007. Par ailleurs, suite à la demande qu’il avait présentée le 10 juillet 2006, le Conseil lui avait accordé le statut de «résident de longue durée − CE» en octobre 2006. Les personnes à qui ce statut est accordé n’ont pas besoin d’un permis de travail en Estonie; toutefois, ce statut ne leur permet pas d’acquérir la citoyenneté estonienne par naturalisation en raison des restrictions énoncées dans le décret no 1024.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme le prescrit l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note l’argument de l’État partie qui a fait valoir que la présentation de la communication équivaut à un abus du droit de plainte, compte tenu du délai excessif écoulé entre la décision des tribunaux nationaux et la présentation de la plainte. Pour ce qui est de ce délai jugé excessif, le Comité fait observer que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la présentation des communications et que la période de temps écoulée avant la présentation ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication, sauf dans des cas exceptionnels. En l’espèce, le Comité ne trouve pas qu’un délai de quatre ans entre l’épuisement des recours internes et la présentation de la communication constitue un tel abus.

6.4Quant à la règle de l’épuisement des recours internes concernant l’allégation de violation des paragraphes 2 et 4 de l’article 12 et de l’article 25, le Comité rappelle que l’auteur n’a pas soulevé ces questions devant les tribunaux nationaux. Il rappelle en outre que l’auteur d’une communication doit au moins mentionner l’objet de ses griefs devant une juridiction nationale avant d’en saisir le Comité. L’auteur n’ayant pas saisi les tribunaux nationaux pour se plaindre de la violation présumée de ses droits, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5Pour ce qui est de la plainte de l’auteur pour violation de l’article 26, que l’État partie juge irrecevable du fait qu’un recours en contrôle constitutionnel aurait pu être engagé, le Comité fait observer que l’auteur n’a eu de cesse de faire valoir, jusque devant la Cour suprême, que refuser un permis de séjour permanent au motif de l’origine sociale à une personne ayant été employée dans les services de renseignement ou de sécurité d’un pays étranger constituait une violation de la garantie d’égalité consacrée par la Constitution estonienne et l’article 26 du Pacte. Étant donné que les tribunaux ont rejeté ces arguments, le Comité considère que l’État partie n’a pas montré comment un tel recours pourrait avoir une chance raisonnable de réussir. Ce grief n’est donc pas irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

6.6Quant aux autres arguments de l’État partie, le Comité note que l’auteur ne revendique pas un droit autonome à un permis de séjour permanent mais prétend que le fait de lui refuser un permis de séjour permanent en raison de son origine sociale − à savoir au motif qu’il avait été employé dans les services de renseignement ou de sécurité d’un pays étranger − constitue une violation de son droit à la non‑discrimination et à l’égalité devant la loi. Ce grief relève du champ d’application du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 26, et il est, de l’avis du Comité, suffisamment étayé aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2L’auteur avance que l’alinéa 7 du paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers viole le paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 26 du Pacte, en ce sens qu’il impose des restrictions à la délivrance ou à la prolongation d’un permis de séjour à un étranger qui a été militaire de carrière dans un autre État. Dans le même temps, en vertu de l’alinéa 7 de l’article 12 de la loi, la restriction ne s’étend pas aux citoyens des pays membres de l’UE ou de l’OTAN. L’auteur affirme que la loi est discriminatoire car elle part du principe qu’à l’exception des citoyens des pays membres de l’UE et de l’OTAN tous les étrangers qui ont servi dans l’armée constituent une menace pour la sécurité nationale de l’Estonie, quelles que soient les caractéristiques propres du service ou de la formation dont il est question. À ce sujet, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la demande de l’auteur a été refusée en 1998 tandis que l’alinéa 7 de l’article 12, invoqué par l’auteur, n’est entré en vigueur que le 1er octobre 1999.

7.3Le Comité observe en outre que l’État partie invoque des raisons de sécurité nationale pour justifier son refus de délivrer un permis de séjour permanent à l’auteur. Le Comité fait référence à sa jurisprudence selon laquelle une personne est privée de son droit à l’égalité devant la loi si une disposition de la loi lui est appliquée de manière arbitraire, c’est‑à‑dire si l’application de cette loi au détriment d’une personne ne repose pas sur des motifs objectifs et raisonnables. Il rappelle également sa jurisprudence établie dans l’affaire Borzovc. Estonie, selon laquelle des considérations ayant trait à la sécurité nationale peuvent viser un but légitime lorsqu’il s’agit, pour un État partie dans l’exercice de sa souveraineté, d’accorder la citoyenneté ou, dans le cas présent, un permis de séjour permanent. Le Comité rappelle aussi que le fait qu’un État partie invoque la sécurité nationale ne signifie pas que l’affaire échappera entièrement et automatiquement à l’examen minutieux du Comité et reconnaît que son propre rôle pour examiner l’existence et la pertinence de telles considérations dépendra des circonstances de l’espèce.

7.4Alors que conformément aux articles 19, 21 et 22 du Pacte les restrictions motivées par la sécurité nationale doivent obéir à une nécessité, les critères prévus à l’article 26 et au paragraphe 1 de l’article 2 ont un caractère plus général, toute distinction établie en fonction des particularités individuelles énumérées à l’article 26, y compris celle de «toute autre situation», devant avoir une justification raisonnable et objective et viser un but légitime. Le Comité fait observer que l’adoption de la loi sur les étrangers et, en particulier, l’interdiction générale d’un permis de séjour permanent pour les «anciens membres des forces armées» d’un autre État, ne peuvent être examinées en dehors du contexte historique, c’est‑à‑dire les rapports historiques entre l’État partie et l’URSS. Il estime que, bien que l’interdiction générale susmentionnée constitue en soi un traitement différencié, dans les circonstances de l’espèce, le bien‑fondé d’un tel traitement dépendra de la base sur laquelle reposent les arguments de sécurité nationale invoqués par l’État partie.

7.5L’État partie a fait valoir qu’une législation n’est pas contraire à l’article 26 du Pacte si les critères de distinction qu’elle énonce peuvent être justifiés pour des motifs objectifs et raisonnables. En l’espèce, il a conclu qu’octroyer un permis de séjour permanent à l’auteur poserait des problèmes de sécurité nationale en raison des activités passées de l’intéressé au sein du KGB. Le Comité relève que ni le Pacte ni le droit international en général ne définissent des critères particuliers pour l’octroi de permis de séjour et que l’auteur a eu le droit de faire réexaminer par les juridictions de l’État partie le rejet de sa demande de permis de séjour permanent.

7.6Le Comité note que la catégorie de personnes exclues par la législation de l’État partie de la possibilité de se voir accorder un permis de séjour permanent est en rapport étroit avec les considérations de sécurité nationale. Par ailleurs, lorsque les motifs invoqués pour justifier un traitement différencié sont convaincants, il n’est pas nécessaire de justifier davantage l’application de la législation par les circonstances particulières de l’espèce. La décision rendue en l’affaire Borzov, sur la base d’une législation différente, est conforme au principe qui veut que les distinctions établies par la législation elle‑même, lorsqu’elles peuvent être justifiées par des motifs objectifs et raisonnables, n’ont pas besoin de trouver une justification supplémentaire dans leur application à un individu donné. Par conséquent, le Comité ne peut conclure, au vu des circonstances de l’espèce, à une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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