Quarante-quatrième session

20 juillet-7 août 2009

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes

Suisse

Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la Suisse (CEDAW/C/CHE/3) à ses 894e et 895e séances, le 27 juillet 2009 (voir CEDAW/C/SR.894 et 895). Les questions suscitées par le rapport périodique figurent dans le document CEDAW/C/CHE/Q/3 et les réponses de la Suisse dans le document CEDAW/C/CHE/Q/3/Add.1.

Introduction

Le Comité félicite l’État partie pour son troisième rapport périodique, qui est bien construit et instructif et tient compte de ses précédentes observations finales, mais regrette qu’il l’ait présenté avec un certain retard. Il apprécie que l’État partie ait répondu par écrit à la liste des questions du groupe de travail d’avant session.

Le Comité remercie également l’État partie pour l’envoi de sa délégation, conduite par le Directeur adjoint de la Direction du droit international public du Département fédéral des affaires étrangères, qui comptait parmi ses membres des représentants des divers départements fédéraux, notamment le Département fédéral de la justice et de la police et le Département fédéral de l’intérieur, un représentant du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes et un représentant de l’un des cantons. Le Comité apprécie le dialogue constructif qui s’est instauré entre la délégation et ses propres membres.

Aspects positifs

Le Comité se félicite du retrait par l’État partie, en avril 2004, de sa réserve concernant l’article 7 de la Convention, et de la ratification, en septembre 2008, du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

Le Comité se félicite aussi de la ratification par l’État partie, en octobre 2006, du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

Le Comité salue l’État partie pour les efforts qu’il a engagés afin de renforcer l’égalité des sexes et les droits de la femme en Suisse, notamment grâce à un éventail de lois, de politiques et de programmes, en particulier l’instauration du congé de maternité payé, et de mesures et programmes juridiques pour lutter contre la violence et la traite dont les femmes sont victimes.

Le Comité se réjouit que l’État partie reconnaisse l’importance des organisations non gouvernementales, des associations de femmes et d’autres groupes de la société civile dans la défense des droits de la femme et de l’égalité des sexes. Il se félicite des initiatives prises par l’État partie pour consulter les organisations non gouvernementales et les associations de femmes durant l’élaboration de son troisième rapport périodique.

Le Comité note avec satisfaction que combattre la violence à l’encontre des femmes et promouvoir les femmes sont des objectifs prioritaires dans la politique internationale de l’État partie en matière de droits de l’homme. Il note aussi la priorité faite, dans les programmes d’assistance internationale et de coopération pour le développement de l’État partie, à une budgétisation qui soit soucieuse de l’égalité des sexes et la favorise.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Tout en rappelant l ’ obligation qu ’ a l ’ État partie d ’ appliquer les dispositions de la Convention de manière systématique et en permanence, le Comité considère que les préoccupations et recommandations identifiées dans les présentes observations finales nécessitent l ’ attention prioritaire de l ’ État partie. En conséquence, il demande à ce dernier de centrer son attention sur ces domaines dans ses activités de mise en œuvre et de décrire les mesures prises et les résultats atteints dans son prochain rapport périodique. Il demande également à l ’ État partie de communiquer les présentes observations finales au Conseil fédéral, à tous les départements fédéraux compétents, aux autres structures de l ’ État aux niveaux fédéral, cantonal et communal, à l ’ Assemblée fédérale, aux assemblées cantonales et au système judiciaire, pour en assurer l ’ application effective.

Parlements

Tout en réaffirmant qu ’ il incombe au premier chef à l ’ État de s ’ acquitter des obligations qui découlent de la Convention, le Comité souligne que cet instrument est contraignant pour tous les secteurs de l ’ État et invite l ’ État partie à encourager ses parlements, aux échelons fédéral, cantonal et communal, conformément à ses procédures, selon que de besoin, à faire le nécessaire en vue de l ’ application des présentes observations finales et de l ’ élaboration du prochain rapport périodique.

Réserves

Le Comité note que la Suisse maintient les réserves formulées au sujet du paragraphe 2 de l’article 15, et des alinéas g) et h) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. Il prend note de l’explication de l’État partie selon laquelle le retrait de la réserve relative à l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 pourra être envisagé dès que la nouvelle loi sur le droit de choisir un nom patronymique sera adoptée. Le Comité prend note aussi de l’explication fournie par l’État partie selon laquelle les réserves qu’il a formulées au sujet du paragraphe 2 de l’article 15 et de l’alinéa h) du paragraphe 1 de l’article 16 relèvent de la loi de transition et seront retirées lorsqu’il n’y aura plus de différends concernant la propriété matrimoniale basée sur la loi applicable avant le 1er janvier 1988.

Le Comité réitère ses observations finales antérieures, formulées en 2003, et exhorte l ’ État partie à indiquer dans son prochain rapport périodique, si possible et le cas échéant, dans quel délai il prévoit de retirer ses réserves.

Précédentes observations finales

Le Comité regrette qu’un grand nombre des préoccupations et recommandations qu’il a exprimées (voir A/58/38, première partie, par. 97 à 141) à la suite de son examen du rapport unique valant premier et deuxième rapports périodiques (CEDAW/C/CHE/1-2 et Add.1) en 2003 n’aient pas suscité toute l’attention requise. Il s’agit par exemple des préoccupations et recommandations relatives au statut juridique de la Convention, au mécanisme national pour l’égalité, à la persistance de stéréotypes traditionnels profondément ancrés concernant le rôle et les responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et dans la société en général, à la prévalence de la violence dirigée contre les femmes, à la situation des migrantes, à la prévalence de la traite des femmes et des filles et de l’exploitation de la prostitution, à la sous-représentation des femmes aux postes d’élection et de représentation dans la vie publique et à l’inégalité entre les sexes dans le domaine de l’éducation et sur le marché du travail.

Le Comité exhorte l ’ État partie à n ’ épargner aucun effort pour appliquer intégralement ses recommandations antérieures et pour répondre aux préoccupations exprimées dans les présentes observations finales.

Statut juridique de la Convention

Le Comité note que, conformément au principe du monisme appliqué par l’État partie, les dispositions des traités auxquels la Suisse est partie peuvent être invoquées directement devant les tribunaux nationaux si celles-ci sont considérées comme directement applicables. Il constate à cet égard avec préoccupation que la Cour suprême fédérale et d’autres autorités judiciaires aux niveaux fédéral et cantonal estiment qu’en règle générale les dispositions de la Convention ne sont pas directement applicables. Le Comité note en outre que les décisions de la Cour suprême fédérale reposent sur des dispositions constitutionnelles relatives à l’égalité et à la non-discrimination dont le champ d’application est plus étroit que celui de la définition de la discrimination visée à l’article 1 de la Convention. Il s’inquiète aussi du fait que la Convention est rarement invoquée dans le cadre des procédures judiciaires au niveau fédéral ou cantonal, ce qui témoigne d’une connaissance limitée de la Convention, y compris les recommandations générales du Comité, parmi les magistrats et au sein de l’appareil judiciaire et parmi les femmes elles-mêmes.

Le Comité exhorte l ’ État partie à apporter des éclaircissements quant à l ’ applicabilité directe de la Convention dans le cadre du système juridique suisse. Il réitère ses observations finales antérieures, formulées en 2003, et recommande que l ’ État partie mène des campagnes de sensibilisation sur la Convention à l ’ intention des spécialistes de l ’ appareil judiciaire et des juristes ainsi que du grand public. Il invite par ailleurs l ’ État partie à informer régulièrement les membres des professions juridiques et les magistrats de la portée et de l ’ importance de la Convention pour les inciter à l ’ invoquer dans le cadre de procédures judiciaires. Le Comité invite aussi l ’ État partie à faire de la Convention et de son Protocole facultatif un élément obligatoire des programmes d ’ enseignement et de formation des membres des professions judiciaires, notamment les juges, les avocats et les procureurs.

Définition de l’égalité et de la non-discrimination

Le Comité, tout en notant que les principes généraux de l’égalité et de la non-discrimination sont garantis dans l’article 8 de la Constitution et inscrits dans la législation nationale, s’inquiète que la Cour suprême ait donné à ces principes un champ d’application restreint en déclarant que […] la Constitution ne confère aucun droit d’établir l’égalité en fait […].

Le Comité recommande que l’État partie prennent des mesures visant à s’assurer que les principes d’égalité et de non-discrimination à l’égard des femmes sont appliqués conformément à l’article 1 de la Convention.

Mise en œuvre de la Convention

Tout en ayant conscience de l’existence de différents niveaux d’autorité et de compétences au sein de la structure fédérale de l’État partie pour ce qui est de la mise en œuvre de la Convention, et prenant note de l’explication orale de l’État partie selon laquelle le fédéralisme offre des possibilités en termes de concurrence pour l’obtention des meilleurs résultats et l’élaboration de pratiques optimales liées à la mise en œuvre de la Convention, le Comité reste préoccupé par les disparités entre les différents cantons et communes. Il continue aussi de s’inquiéter de l’efficacité des structures et mécanismes en place pour assurer la coordination et l’application uniforme de la Convention sur l’ensemble du territoire de l’État partie.

Le Comité rappelle que c’est au Gouvernement fédéral qu’il incombe au premier chef de pleinement s’acquitter des obligations de l’État partie au titre de la Convention. Conformément à ses observations finales antérieures, formulées en 2003, le Comité recommande que l’État partie veille, particulièrement grâce à une coordination efficace, à la mise en œuvre cohérente et uniforme de la Convention à tous les niveaux et dans tous les domaines.

Mécanisme national de promotion de la femme et souci de l’égalité des sexes

Le Comité prend note en s’en félicitant des activités entreprises par diverses structures institutionnelles pour promouvoir les femmes et l’égalité des sexes aux niveaux fédéral, cantonal et communal, notamment par le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, la Commission fédérale pour les questions féminines et les bureaux ou les commissions qui s’occupent de ces questions dans la plupart des cantons et dans certaines communes. Il s’inquiète toutefois de ce que ces institutions n’aient pas les pouvoirs, la visibilité et les ressources voulus et que les considérations budgétaires aient compromis leur existence et entraîné une réduction des ressources humaines et financières qui leur sont allouées. Il s’inquiète aussi de l’absence d’une stratégie globale intégrée d’institutionnalisation de l’égalité des sexes, et incluant l’ouverture de crédits pour la lutte contre le sexisme, dans l’État partie lui-même. À cet égard, le Comité constate que quelques initiatives seulement ont été engagées par quelques départements fédéraux, cantons et villes.

Le Comité recommande que l ’ État partie veille à ce que le mécanisme national de promotion de la femme qui est en place soit doté des pouvoirs, de la visibilité et des ressources humaines et financières nécessaires aux fins de la promotion effective de l ’ égalité des sexes et de la mise en valeur des femmes à tous les niveaux. Il recommande aussi la création de bureaux de l ’ égalité des sexes dans tous les cantons et le renforcement de la coordination entre toutes les structures et tous les mécanismes institutionnels compétents, notamment grâce à la mise en place d ’ un dispositif spécial de coordination au niveau fédéral. Le Comité recommande en outre que l ’ État partie énonce et applique une stratégie intégrée d ’ institutionnalisation de l ’ égalité des sexes, y compris au moyen de processus budgétaires soucieux de la parité, assortie de mécanismes de suivi et de redevabilité couvrant tous les secteurs et tous les niveaux du Gouvernement.

Mesures spéciales temporaires

Le Comité note que le Tribunal, se fondant sur la Constitution fédérale, a déterminé que les mesures positives destinées à établir l’égalité sont admissibles en principe. Il note toutefois avec préoccupation que les décisions récentes prises par le Tribunal fédéral contre le recours à de telles mesures, de même qu’à leur application limitée dans tous les secteurs, indiquent que les mesures temporaires spéciales ne sont pas clairement comprises, non plus que les raisons pour lesquelles elles sont appliquées, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et à la recommandation générale no 25 du Comité.

Le Comité encourage l ’ État partie à faire mieux connaître à tous les fonctionnaires compétents, et en particulier aux magistrats, la notion de mesures temporaires spéciales énoncée au paragraphe 1 de l ’ article 4 de la Convention et dans sa recommandation générale n o  25. Il recommande que l ’ État partie envisage dûment la possibilité d ’ adopter et d ’ appliquer des mesures spéciales temporaires, y compris des mesures législatives et administratives, des programmes de vulgarisation et d ’ appui, l ’ affectation de ressources et la création d ’ incitations, un recrutement ciblé et la fixation d ’ objectifs et de quotas assortis de délais dans les domaines où les femmes sont insuffisamment représentées ou défavorisées et dans les secteurs public et privé.

Stéréotypes

Le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie pour éliminer les représentations stéréotypées des femmes et de leur rôle dans la famille et dans la société, dont les campagnes « Fairplay-at-home » et « Fairplay-at-work », l’adoption de lois sur l’égalité dans divers cantons ainsi que la révision de programmes scolaires dans un certain nombre de cantons. Il demeure toutefois préoccupé par la persistance de stéréotypes traditionnels enracinés, notamment de stéréotypes sexistes véhiculés par les médias et la publicité, qui fragilisent la situation sociale des femmes et contribuent aux désavantages dont elles sont victimes dans un certain nombre de domaines, notamment l’éducation, le marché du travail, l’accès aux postes de décision et la participation à la vie politique et publique. Le Comité se préoccupe également de la persistance des images stéréotypées et négatives que donnent les médias des femmes appartenant à un groupe ethnique ou à une minorité et des femmes migrantes.

Le Comité demande à l ’ État partie de s ’ employer davantage à éliminer les images et attitudes stéréotypées concernant les rôles des femmes et des hommes dans la famille et dans la société, conformément aux articles 2 f) et 5 a) de la Convention. Ces efforts devraient comprendre, de manière coordonnée, des mesures juridiques, politiques et de sensibilisation destinées aux femmes et aux hommes en général ainsi qu ’ aux différentes formes de médias, et des programmes ciblés dans le système éducatif, pour mieux diversifier les choix scolaires offerts aux filles et aux garçons et promouvoir un plus grand partage des responsabilités familiales. Le Comité recommande également des mesures ciblées à l ’ intention des médias et du système éducatif en vue de favoriser la représentation positive des femmes appartenant à un groupe ethnique ou à une minorité et des femmes migrantes. Il demande à l ’ État partie d ’ examiner périodiquement les mesures prises pour en évaluer les effets, de prendre les mesures de suivi voulues et de les exposer au Comité dans son prochain rapport périodique.

La violence à l’égard des femmes

Le Comité salue la gamme de mesures prises par l’État partie pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et prend note en particulier des mesures législatives telles que les révisions du Code pénal, en vertu desquelles les actes de violence, et notamment la contrainte sexuelle et le viol, même commis à l’intérieur du couple, sont poursuivis d’office par les autorités, ou la révision du Code civil qui donne aux autorités judiciaires le pouvoir d’expulser l’auteur du délit du logement commun pour une durée déterminée ou d’interdire à l’auteur de s’approcher de la victime ou de prendre contact avec elle. Toutefois, le Comité s’inquiète de la persistance de la violence à l’encontre des femmes, y compris au sein de la famille, et s’inquiète également de l’absence d’une législation nationale sur la violence à l’égard des femmes. Il prend note également du nombre limité d’abris pour les victimes (18 dans l’ensemble du territoire) et s’inquiète de ce que l’État partie ne se reconnaisse pas la responsabilité d’installer et de financer des maisons d’accueil et des services d’aide aux victimes et qu’aucune législation, fédérale ou cantonale, ne prévoie de réglementation à cet effet. Le Comité s’inquiète également de l’absence actuelle de moyens de collecte de données normalisées sur la violence à l’égard des femmes, notamment sur le nombre de plaintes, enquêtes et poursuites liées à des affaires de violence dans tous les cantons. Le Comité note que ces données ne seront disponibles qu’en 2010.

Rappelant ses observations finales de 2003, le Comité invite instamment l ’ État partie à continuer à redoubler d ’ efforts pour traiter de la question de la violence à l ’ égard des femmes et des filles. En particulier, il invite l ’ État partie à promulguer dans les meilleurs délais une législation générale contre toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes, y compris la violence conjugale. Une telle législation devrait réprimer toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes, garantir aux femmes et aux filles qui sont victimes de la violence un accès immédiat à des moyens de recours et à une protection et prévoir des poursuites et des sanctions appropriées; elle devrait également prévoir la création de services supplémentaires d ’ aide aux victimes, notamment de maisons d ’ accueil, et faire assurer leur financement par l ’ État. Conformément à sa recommandation générale n o  19, le Comité recommande également de développer des activités et des programmes de formation à l ’ intention des parlementaires, des magistrats, des fonctionnaires et en particulier des policiers et des soignants, de façon à les sensibiliser à toutes les formes de violence contre les femmes, pour qu ’ ils puissent convenablement aider les victimes. Il recommande également d ’ étendre les campagnes de sensibilisation à toutes les formes de violence contre les femmes. Le Comité invite l ’ État partie à normaliser les données et tendances relatives aux différentes formes de violence et celles qui concernent le nombre de plaintes, enquêtes et poursuites associées à ce type d ’ affaires.

Traite des êtres humains et prostitution

Le Comité se félicite de l’intention de l’État partie de ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains et prend acte, par ailleurs, des autres mesures adoptées par l’État partie pour lutter contre la traite des femmes et des enfants. Il se félicite de l’adoption du nouvel article 182 du Code pénal, qui érige en infraction pénale la traite des êtres humains aux fins de l’exploitation sexuelle ou de travail, ou du prélèvement d’organes, de la révision de la loi relative à l’assistance aux victimes, qui fait obligation aux cantons de prendre en compte les besoins spécifiques des différentes catégories de victimes, en particulier les victimes de la traite des êtres humains, ainsi que de l’adoption de la nouvelle loi relative aux étrangers qui dispose que les victimes de la traite des êtres humains et les témoins peuvent rester dans l’État partie pour une période de réflexion et pour les besoins de la procédure judiciaire. Le Comité constate cependant avec préoccupation que la traite des femmes et des filles se poursuit dans le pays et s’inquiète de l’absence de données et d’études sur tous les aspects de ce phénomène. Il se préoccupe également de ce que l’accompagnement et le soutien psychologique spécialisé aux victimes de la traite et les mécanismes de coopération n’existent que dans quelques cantons seulement, certains bénéficiant de ressources limitées du Gouvernement fédéral et d’autres en étant exclus. Le Comité constate en outre que les cantons n’appliquent pas uniformément ou systématiquement la législation relative à la protection des victimes et à la délivrance de permis de résidence temporaires à celles-ci et que ces permis sont accordés en collaboration avec les autorités dans le cadre de procédures judiciaires.

Le Comité encourage l ’ État partie à ratifier rapidement la Convention du Conseil de l ’ Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Il lui demande instamment de renforcer les mesures qu ’ il a prises pour lutter contre toutes les formes de traite des femmes et des enfants, y compris par une coopération internationale, régionale et bilatérale accrue avec les pays d ’ origine et de transit, comme le prescrit l ’ article 6 de la Convention. À cet égard, le Comité demande à l ’ État partie non seulement de veiller à ce que les trafiquants fassent l ’ objet de poursuites et de sanctions pénales, mais aussi d ’ assurer la protection et la réinsertion des victimes de la traite, en octroyant notamment les ressources nécessaires aux services spécialisés existants et en créant de nouveaux services dans tous les cantons. Il lui demande également d ’ envisager de délivrer des permis de résidence temporaires et de prendre d ’ autres mesures afin d ’ être en conformité avec les Principes directifs concernant les droits de l ’ homme et la traite des êtres humains élaborés en 2002 par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l ’ homme. Le Comité demande à l ’ État partie de collecter et d ’ analyser des données sur tous les aspects de la traite des êtres humains, ventilées par âge et par pays d ’ origine, afin de cerner les tendances et les causes profondes de ce phénomène, ainsi que les domaines d ’ action prioritaires, et d ’ élaborer des politiques à cet égard. Il lui demande de faire figurer ces renseignements, ainsi que les informations sur les effets des mesures prises pour lutter contre la traite des être humains dans son prochain rapport périodique.

Le Comité est préoccupé par la situation des danseuses de cabaret, qui sont particulièrement exposées à la prostitution forcée et à la violence, malgré les mesures diverses prises par l’État partie dont notamment la diffusion d’informations et de documentation dans tous les consulats et ambassades.

Compte tenu de la précarité de la situation des danseuses de cabaret, le Comité encourage l ’ État partie à continuer de revoir régulièrement les règles applicables en matière d ’ octroi de visas à ces personnes, ainsi que d ’ autres règles les concernant, et à envisager d ’ introduire des dispositions les autorisant à changer d ’ activité.

Participation à la vie politique et à la vie publique

Le Comité prend note de certaines mesures prises par l’État partie pour accroître la représentation et la participation des femmes dans la prise de décisions politique et publique, telles que le projet de tutorat pour jeunes femmes et les recommandations adressées aux professionnels des médias pour promouvoir une couverture plus égalitaire de l’activité des candidats et des candidates avant les élections fédérales. Le Comité constate cependant que de telles mesures ne sont pas prises de façon systématique et fructueuse. Il s’inquiète de ce que les femmes continuent d’être nettement sous-représentées, notamment dans les postes de direction et de décision, dans les fonctions publiques pourvues par élection ou par nomination, dans les partis politiques, dans la diplomatie et dans la justice. Le Comité s’inquiète aussi que la Cour suprême fédérale ait rejeté le recours à des quotas rigides dans la politique et pour la représentation des femmes dans les organes des branches législative, exécutive et judiciaire.

Le Comité rappelle ses observations finales de 2003 et demande instamment à l ’ État partie de prendre des mesures juridiques durables et d ’ autres mesures pour accroître la représentation des femmes dans les fonctions publiques pourvues par élection ou par nomination, dans les partis politiques, dans la diplomatie et dans la justice, conformément à sa recommandation générale n o  23. Il recommande à l ’ État partie d ’ adopter des mesures temporaires spéciales, conformément au paragraphe 1 de l ’ article 4 de la Convention et à sa recommandation générale n o  25, afin de garantir une représentation équilibrée des femmes et des hommes. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de multiplier les programmes de formation et de renforcement des capacités destinés aux femmes qui souhaitent entrer dans la fonction publique ou qui y sont déjà employées ainsi que les campagnes de sensibilisation visant à souligner l ’ importance de la participation des femmes à la vie politique et publique. À cet égard, le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour encourager les médias à couvrir équitablement les activités des candidats et des candidates, puis des représentants élus des deux sexes, notamment en période électorale.

L’éducation

Malgré les mesures prises par l’État partie, le Comité note la persistance de la ségrégation dans l’éducation, notamment dans la formation professionnelle et l’enseignement supérieur, et de choix éducationnels stéréotypés puisque les hommes continuent d’être largement majoritaires dans les filières technologiques et scientifiques. Le Comité constate également la faiblesse de la représentation féminine dans les postes de direction.

Le Comité encourage l ’ État partie à prendre des mesures visant à proposer davantage de choix aux femmes en matière d ’ études et de profession, notamment par le plaidoyer, la formation et l ’ orientation. Il l ’ encourage également à prêter la plus grande attention aux perspectives de carrière des femmes dans le système éducatif de manière à assurer l ’ égalité d ’ accès des femmes et des hommes et à prévenir ou éliminer toute discrimination voilée ou indirecte à l ’ égard des femmes.

Emploi et autonomisation économique

Le Comité note les diverses mesures prises par l’État partie pour favoriser la participation des femmes au marché de l’emploi et permettre de concilier vie familiale et vie professionnelle, dont la récente introduction du congé de maternité payé et la création de structures supplémentaires d’accueil pour enfants. Le Comité note que le droit à l’égalité de rémunération est garanti par la Constitution et la loi sur l’égalité de 1995. Il reste toutefois préoccupé par la persistance de la ségrégation horizontale et verticale sur le marché du travail, les femmes étant concentrées dans le secteur des services aux salaires bas, un taux de chômage plus élevé chez les femmes, la persistance de l’écart de salaire entre femmes et hommes et le fait que la majorité des femmes occupe un emploi temporaire ou à temps partiel en raison de leur rôle traditionnel de prestataires de soins aux enfants et du manque chronique de services d’accueil disponibles et abordables pour les enfants. Le Comité note aussi à cet égard que l’actuel régime fédéral d’imposition conjointe des couples mariés à deux revenus, sans déductions fiscales possibles pour les frais de garde des enfants, constitue un autre obstacle à la participation des femmes au marché de l’emploi. Le Comité est également préoccupé par la faible représentation des femmes aux postes de direction et de responsabilité.

Le Comité engage l’État partie à redoubler d’efforts pour garantir l’égalité des chances aux femmes et aux hommes sur le marché du travail, notamment en adoptant des mesures spéciales temporaires, comportant des objectifs assortis d’un calendrier précis, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et à sa recommandation générale 25. Il recommande que l’État partie continue de prendre des mesures dynamiques et concrètes pour éliminer la ségrégation professionnelle, tant horizontale que verticale, au moyen notamment de l’éducation, de la formation et du perfectionnement et de mécanismes efficaces d’application des règles. Il recommande également de continuer à développer des systèmes d’évaluation des emplois fondés sur des critères d’équité entre les sexes de façon à réduire et éliminer l’écart de salaire entre hommes et femmes. En outre, le Comité engage l’État partie à offrir davantage de possibilités aux femmes d’accéder à un emploi à plein temps. Le Comité recommande que l’État partie poursuive ses efforts pour permettre aux femmes et aux hommes de concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles et pour promouvoir le partage équitable des tâches domestiques et familiales entre hommes et femmes, en offrant notamment davantage de structures d’accueil des enfants et le congé de paternité payé. Le Comité encourage l’État partie à entreprendre la réforme prévue de l’actuel régime d’impôt fiscal dans les délais de façon à éliminer la charge pesant sur les couples mariés à deux revenus, et à rendre compte des progrès réalisés ou, le cas échéant, des résultats obtenus dans son prochain rapport périodique.

Les femmes en milieu rural

Le Comité déplore l’absence, dans le rapport de l’État partie, d’informations et de données statistiques complètes sur la situation des femmes en milieu rural. Il est préoccupé par la situation des femmes travaillant dans l’agriculture et constate que la valeur sociale ou économique de celles qui travaillent sur des exploitations appartenant à leur époux ou à des membres de leur famille n’est guère reconnue et que, souvent, elles ne sont pas rémunérées. En cas de divorce, ces femmes ne peuvent souvent pas récupérer le patrimoine personnel qu’elles ont investi dans l’exploitation et, étant donné qu’elles ne sont pas considérées comme ayant été employées pendant le mariage, elles ne peuvent prétendre à des prestations d’assurance-chômage. En outre, les lois régissant l’héritage empêchent souvent la veuve d’hériter de l’exploitation agricole en cas de décès du mari.

Le Comité demande à l ’ État partie de présenter dans son prochain rapport une évaluation complète, assortie de données, sur la situation des femmes rurales, notamment des agricultrices. Le Comité engage l ’ État partie à accorder toute l ’ attention voulue à l ’ autonomisation économique des femmes rurales, notamment des agricultrices, et à veiller à ce qu ’ elles aient accès à la terre et la contrôlent et qu ’ elles aient accès aux facilités de crédit et aux possibilités de formation.

Mariage et vie familiale

Le Comité est préoccupé par le fait que l’actuelle loi de l’État partie sur la répartition des biens après le divorce ne tienne pas suffisamment compte des disparités économiques fondées sur le sexe existant entre les époux, fruit des modes traditionnels de travail et de vie familiale. Il en résulte souvent une augmentation du capital humain et du potentiel de gain des hommes au détriment des femmes, de sorte qu’à l’heure actuelle les époux ne partagent pas équitablement les conséquences économiques du mariage et de sa dissolution, ce que l’État partie qualifie de « lacunes ». Le Comité est en outre préoccupé par le fait que ni la législation en vigueur ni la jurisprudence ne traitent de la répartition du futur potentiel de gain ou capital humain de façon à remédier aux éventuelles disparités économiques fondées sur le sexe. Le Comité est par ailleurs préoccupé par le fait que l’application du nouveau droit du divorce s’agissant de la compensation de la prévoyance professionnelle (art. 122 ff du Code civil) ne soit pas satisfaisante du point de vue de l’égalité des sexes. Le Comité se préoccupe aussi de ce que les femmes vivant une union libre n’aient pas de droits économiques ni de protection lorsque cette relation prend fin.

Le Comité demande à l ’ État partie de mettre à profit les conclusions de l ’ étude publiée en juin 2007 par la Commission fédérale des questions féminines sur les effets du nouveau droit du divorce et d ’ examiner sérieusement les recommandations formulées par la Commission de façon à mieux remédier aux disparités fondées sur le sexe et aux disparités économiques après le divorce. Il demande également à l ’ État partie de poursuivre les travaux concernant le projet de loi visant à assurer que pendant la prise de décisions concernant l ’ entretien et la pension alimentaire à l ’ issue d ’ un divorce ou d ’ une séparation, tout déficit financier soit convenablement réparti entre les deux époux. Le Comité engage l ’ État partie à adopter les mesures juridiques nécessaires pour garantir aux femmes vivant une union libre une protection économique égale à celle accordée aux femmes mariées, en reconnaissant leurs droits aux biens accumulés pendant la relation, conformément à sa recommandation générale 21.

Groupes de femmes vulnérables

Le Comité est préoccupé par la situation des groupes de femmes vulnérables, notamment les femmes de communautés ethniques et minoritaires et les migrantes, qui peuvent être plus vulnérables à la pauvreté et à la violence et être exposées à de multiples formes de discrimination en ce qui concerne l’éducation, la santé, la participation sociale et politique et l’emploi, notamment en raison de la non- reconnaissance des titres et diplômes délivrés par des universités étrangères. Le Comité est également préoccupé par la différence de traitement dont font l’objet les femmes provenant de l’Union européenne ou des États-Unis d’Amérique et du Canada par rapport à celles provenant d’autres parties du monde. Par ailleurs, le Comité est préoccupé par le fait que les conditions imposées par la nouvelle loi relative aux étrangers, notamment la preuve d’une intégration réussie après au moins trois ans de mariage ou de difficultés d’intégration sociale dans le pays d’origine, pourraient rendre difficile pour les victimes de violence d’acquérir ou de renouveler des permis de résidence et continuer d’empêcher les victimes de mettre fin à des relations abusives ou de rechercher de l’aide.

Le Comité demande à l ’ État partie de prendre des mesures efficaces pour éliminer la discrimination à l ’ égard des femmes des communautés ethniques et minoritaires et des migrantes, quel que soit leur pays d ’ origine, aussi bien dans la société qu ’ au sein de leurs communautés. Il demande également à l ’ État partie de prendre des mesures dynamiques, notamment en élaborant des programmes et stratégies ciblés pour sensibiliser davantage les femmes aux services d ’ éducation, de santé et d ’ assistance sociale, à la formation et à l ’ emploi et promouvoir leur accès à ces services, et de les familiariser à leurs droits en matière d ’ égalité des sexes et de non-discrimination. Le Comité demande en outre à l ’ État partie de recueillir des données et de réaliser régulièrement des études globales sur la situation de ces femmes et d ’ inclure les informations ainsi recueillies dans son prochain rapport. Par ailleurs, le Comité engage l ’ État partie à maintenir à l ’ examen et à surveiller minutieusement les effets de ses lois et politiques sur les femmes des communautés ethniques et minoritaires et des migrantes, en vue de prendre des mesures correctives qui répondent effectivement aux besoins de ces femmes.

Institution nationale de défense des droits de l’homme

Le Comité note que, comme suite à l’engagement qu’il a volontairement pris dans le contexte de l’examen périodique universel effectué par le Conseil des droits de l’homme, l’État partie envisage de créer une institution nationale de défense des droits de l’homme conformément aux Principes de Paris. Le Comité note également qu’une initiative pilote de cinq ans sur la mise en place de réseaux et de processus consultatifs concernant les droits de l’homme est en cours, à l’issue de laquelle une décision pourrait être prise sur la proposition.

Le Comité demande que des informations plus détaillées sur la mise en œuvre et les résultats de l ’ initiative pilote et sur les progrès accomplis vers la création d ’ une institution nationale de défense des droits de l ’ homme soient fournies dans le prochain rapport périodique.

Déclaration et Programme d’action de Beijing

Le Comité invite l ’ État partie à s ’ appuyer pleinement, pour s ’ acquitter de ses obligations en vertu de la Convention, sur la Déclaration et le Programme d ’ action de Beijing, qui renforcent les dispositions de la Convention, et lui demande d ’ inclure des informations à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

Objectifs du Millénaire pour le développement

Le Comité souligne aussi que la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement passe nécessairement par l ’ application intégrale de la Convention. Il demande que le principe de l ’ égalité des sexes et les dispositions de la Convention soient expressément pris en considération dans toutes les initiatives visant à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement et prie l ’ État partie d ’ inclure des informations à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

Ratification des traités

Le Comité souligne que l ’ adhésion des États aux neuf principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme contribue à promouvoir l ’ exercice effectif des droits individuels et des libertés fondamentales des femmes dans tous les aspects de la vie. Il encourage donc le Gouvernement suisse à envisager de ratifier les instruments auxquels il n ’ est pas encore partie, à savoir la Convention relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Diffusion des observations finales

Le Comité demande que les présentes observations finales soient largement diffusées en Suisse pour que la population du pays, en particulier les membres de l’administration, les responsables politiques, les parlementaires, les associations féminines et les organisations de défense des droits de l’homme, soit au courant des mesures prises pour assurer l’égalité de droit et de fait entre les sexes et sache quelles mesures restent à prendre à cet égard. Il demande à l’État partie de diffuser largement, surtout auprès des associations féminines et des organisations de défense des droits de l’homme, le texte de la Convention et de son Protocole facultatif; ses propres recommandations générales; la Déclaration et le Programme d’action de Beijing; et les textes issus de la vingt-troisième session extraordinaire de l’Assemblée générale, intitulée « Les femmes en l’an 2000 : égalité entre les sexes, développement et paix pour le XXI e  siècle ».

Suivi

Le Comité demande à l ’ État partie de fournir par écrit, dans un délai de deux ans, des informations concernant les mesures qu ’ il aura prises pour mettre en œuvre les recommandations formulées aux paragraphes 28, 34 et 44 ci-dessus.

Date du prochain rapport

Le Comité prie l ’ État partie de répondre aux préoccupations exprimées dans les présentes observations dans le prochain rapport périodique qu ’ il présentera en application de l ’ article 18 de la Convention. Il l ’ invite à présenter dans un rapport unique, en 2014, son quatrième rapport périodique, qu ’ il devait soumettre en avril 2010, et son cinquième rapport périodique, prévu pour avril 2014.