NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/TKM/CO/5*

1 novembre 2005

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATIONDE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑septième session1- 19 août 2005

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

TURKMÉNISTAN

Le Comité a examiné le rapport initial et les deuxième, troisième, quatrième et cinquième rapports périodiques du Turkménistan présentés en un seul document (CERD/C/441/Add. 1) à ses 1717e et 1718e séances (CERD/C/SR.1717 et 1718), tenues les 11 et 12 août 2005. À ses 1725e et 1727e séances (CERD/C/SR.1725 et 1727), tenues les 17 et 18 août 2005, il a adopté les conclusions ci‑après.

A. Introduction

Le Comité se félicite du rapport présenté par le Turkménistan et se réjouit de la possibilité ainsi offerte d’entamer un dialogue franc avec l’État partie. Il regrette cependant que le rapport ne contienne pas d’informations détaillées sur l’application concrète de la Convention et ne soit pas conforme aux directives du Comité concernant l’établissement des rapports.

Le Comité note avec une vive préoccupation les contradictions majeures entre, d’une part, les informations cohérentes émanant d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales faisant état de graves violations de la Convention au Turkménistan, et d’autre part, les démentis parfois catégoriques de l’État partie. Le Comité souligne que l’examen des rapports vise à instaurer un dialogue constructif et sincère, et encourage l’État partie à redoubler d’efforts à cet effet.

GE.07-41017Notant que le rapport a été présenté avec environ neuf ans de retard, le Comité invite l’État partie à respecter les délais fixés pour la présentation de ses futurs rapports.

B. Aspects positifs

Le Comité se félicite de la présence d’une délégation de haut niveau et des efforts faits par celle‑ci pour répondre aux nombreuses questions posées par ses membres. Il note les assurances de la délégation quant à la volonté de l’État partie de poursuivre le dialogue avec le Comité.

Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a ratifié depuis son indépendance la plupart des principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme.

Le Comité note avec satisfaction l’adoption en mars 2005 d’un règlement sur la détermination du statut de réfugié, et que l’État partie accueille généreusement sur simple présomption plus de 10 000 réfugiés originaires du Tadjikistan.

Le Comité se félicite de la modification apportée le 2 novembre 2004 au Code pénal, par laquelle il a abrogé l’article 223/1 qui prévoyait des sanctions pénales pour les associations non enregistrées, y compris les organisations non gouvernementales.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

Le Comité note avec préoccupation l’absence de données cohérentes concernant la composition ethnique de la population. Il constate que la proportion des personnes appartenant à des minorités nationales et ethniques semble avoir nettement diminué entre 1995 et 2005, mais a du mal à interpréter ces chiffres qui peuvent être le résultat d’une politique d’assimilation menée par l’État partie, de l’émigration de nombreux membres de groupes minoritaires ou d’une distorsion présumée des statistiques par l’État partie pour minimiser l’importance des minorités sur son territoire.

Le Comité invite l’État partie à fournir des données cohérentes sur la composition de sa population.

Le Comité note que conformément à l’article 6 de la Constitution, l’État partie reconnaît la primauté des normes universellement reconnues du droit international mais constate avec préoccupation que la place de la Convention dans l’ordre juridique interne demeure peu claire. Il s’inquiète en outre du fossé existant entre le droit et la pratique (art. 2).

Le Comité recommande à l’État partie de garantir pleinement la primauté du droit, ce qui est indispensable pour l’application de la Convention, et de fournir des renseignements plus détaillés sur la place de la Convention dans l’ordre juridique interne.

Le Comité est vivement préoccupé par les cas signalés de discours haineux ciblant des minorités nationales et ethniques, notamment des déclarations attribuées à des responsables de haut rang et des personnalités publiques vantant la pureté ethnique turkmène, ce qui aurait un effet très néfaste sur la population compte tenu de restrictions draconiennes des libertés d’opinion et d’expression qui font qu’il n’est pas possible de s’opposer à un tel discours. Le Comité s’inquiète entre autres du fait que ce discours est incompatible avec les principes fondamentaux de l’égalité raciale et ethnique qui sous‑tendent la Convention (art. 4).

Le Comité invite instamment l’État partie à honorer l’obligation qui lui est faite à l’article 4 c) de la Convention de ne pas permettre aux autorités publiques ni aux institutions publiques nationales ou locales d’inciter à la discrimination raciale ou de l’encourager. Il souhaite recevoir des renseignements plus détaillés sur l’application concrète de l’article 4 de la Convention dans sa totalité.

Le Comité est vivement préoccupé par les informations persistantes relatives à la politique de «turkménisation» suivie par l’État partie et appliquée au moyen de différentes mesures dans les domaines de l’emploi et de l’éducation et dans la vie politique (art. 2 et 5).

Le Comité rappelle que les politiques d’assimilation forcée constituent des actes de discrimination raciale et des violations graves de la Convention. Il exhorte l’État partie à respecter et à protéger l’existence et l’identité culturelle de toutes les minorités nationales et ethniques qui vivent sur son territoire. Il souhaite recevoir des informations détaillées sur les mesures prises à cet effet, notamment celles visant à faire face à la situation de la minorité baloutche, dont l’existence en tant que communauté culturelle distincte serait menacée.

Le Comité note avec préoccupation que, selon certaines informations et compte tenu du paragraphe 2 e) de la résolution 59/206 de l’Assemblée générale en date du 22 décembre 2004, les minorités nationales ethniques sont victimes de restrictions sévères dans le domaine de l’emploi, en particulier dans le secteur public. Il s’inquiète en particulier d’informations faisant état de l’exclusion de nombreuses personnes qui ne sont pas turkmènes de souche de la fonction publique et de l’imposition du «critère de la troisième génération» aux personnes qui souhaitent accéder à l’enseignement supérieur et à des postes dans le secteur public (art. 2 et 5).

Le Comité invite l’État partie à vérifier si «le critère de la troisième génération» est appliqué et à garantir le droit du travail sans discrimination aucune fondée sur l’origine nationale ou ethnique. L’État partie est prié de fournir des données statistiques fiables sur l’emploi des membres des minorités nationales, en particulier dans le secteur public.

Le Comité note avec une vive préoccupation les informations selon lesquelles l’État partie a procédé à des déplacements forcés de populations, touchant en particulier des personnes de souche ouzbèke, vers des régions inhospitalières du Turkménistan. Il s’inquiète en outre des informations faisant état de restrictions à la liberté de circulation imposées au moyen de documents de voyage internes et de permis spéciaux que doivent détenir les personnes qui souhaitent se rendre dans les régions frontalières, mesure dont pâtissent particulièrement les membres des minorités nationales et ethniques (art. 2 et 5).

Le Comité invite l’État partie à s’abstenir de procéder à des déplacements forcés de populations et à réexaminer sa politique en la matière. L’État partie est prié de fournir des informations sur le nombre de personnes qui ont été réinstallées en application du décret présidentiel du 18 novembre 2002 et des dispositions pertinentes du Code pénal, sur leur origine ethnique, la date et le motif de leur réinstallation et leur lieu de résidence avant et après la réinstallation. Le Comité recommande en outre à l’État partie de lever ses restrictions à la liberté de circulation qui ont un effet disproportionné sur les membres de minorités nationales.

Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des personnes appartenant à des minorités nationales et ethniques sont empêchées d’exercer le droit de jouir de leur propre culture. Il s’inquiète en particulier de la fermeture présumée d’institutions culturelles appartenant aux minorités et de nombreuses écoles enseignant dans la langue des minorités, en particulier l’ouzbek, le russe, le kazakh et l’arménien et des possibilités de plus en plus limitées d’utiliser les langues des minorités dans les médias (art. 2 et 5).

Le Comité recommande à l’État partie de respecter pleinement les droits culturels des personnes appartenant à des minorités nationales et ethniques. En particulier l’État partie devrait envisager la réouverture des écoles ouzbèkes, russes, kazakhs, arméniennes et autres enseignant dans la langue d’une minorité. Le Comité propose à l’État partie de reconsidérer l’obligation faite aux étudiants appartenant à des minorités nationales ou ethniques de porter le costume national turkmène et lui demande de fournir plus d’informations à ce sujet. l’État partie devrait faire en sorte que les membres des minorités nationales et ethniques ne soient pas soumis à une discrimination dans l’accès aux médias et qu’ils aient la possibilité de créer et d’utiliser leurs propres médias dans leur propre langue.

Le Comité note que l’accord bilatéral entre la Fédération de Russie et le Turkménistan de 2003 sur la double nationalité a été abrogé par l’État partie. Il note avec préoccupation que les personnes qui ont choisi la nationalité russe auraient été obligées de quitter rapidement le pays (art. 2 et 5).

Le Comité, soulignant que la privation de la citoyenneté sur la base de l’origine nationale ou ethnique constitue une violation de l’obligation d’assurer la jouissance sans discrimination du droit à la nationalité, invite instamment l’État partie à n’adopter aucune mesure de nature à enchaîner directement ou indirectement sur une telle privation. Il appelle l’attention de l’État partie sur sa recommandation générale XXX (2004) concernant les non ‑ressortissants et souhaite recevoir des informations plus détaillées quant au nombre de personnes touchées par cette mesure et aux conséquences concrètes sur leur vie.

Tout en étant conscient de la relation complexe entre l’appartenance ethnique et l’appartenance religieuse au Turkménistan, le Comité note avec préoccupation l’information selon laquelle les membres de groupes religieux ne jouissent pas pleinement de leur droit à la liberté de religion et que certaines confessions religieuses ne sont pas encore reconnues. Il note, cependant, l’assouplissement des règles d’enregistrement en 2004.

Le Comité rappelle à l’État partie l’obligation d’assurer à toutes les personnes la jouissance du droit à la liberté de religion sans discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique, conformément à l’article 5 d) de la Convention. L’État partie devrait en conséquence respecter le droit des membres des religions reconnues et non reconnues d’exercer librement leur liberté de religion et d’autoriser les groupes religieux qui le souhaitent à s’enregistrer. Des informations détaillées devraient être fournies au Comité sur les religions actuellement reconnues au Turkménistan.

Le Comité se félicite de la déclaration du Gouvernement selon laquelle il accorderait la citoyenneté à environ 16 000 réfugiés qui résident au Turkménistan depuis quelques années, et le statut de résident permanent à 3 000 autres (art. 5).

Le Comité encourage l’État partie à poursuivre le processus de naturalisation sans discrimination fondée sur l’origine ethnique. Il recommande en particulier que le même traitement soit accordé aux réfugiés d’origine ethnique turkmène, ouzbèke ou autre comme ceux qui sont originaires d’Afghanistan. Le Comité souhaite recevoir des données détaillées ventilées par origine ethnique sur le résultat de ce processus.

Le Comité est vivement préoccupé par l’information selon laquelle l’État partie a adopté des mesures limitant de manière draconienne l’accès à la culture et à l’art étrangers, aux médias étrangers et à l’Internet. Tout en prenant acte de la suppression du visa de sortie en 2004, il demeure préoccupé par les restrictions imposées aux étudiants turkmènes qui souhaitent étudier à l’étranger (art. 7).

Le Comité recommande à l’État partie de respecter la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre les informations et les idées de toutes espèces, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen, de façon à promouvoir la compréhension et la tolérance entre les nations et les groupes ethniques. Le Comité recommande également à l’État partie d’autoriser les étudiants à étudier à l’étranger et de fournir des informations détaillées sur les règlements et pratiques en vigueur concernant la reconnaissance des diplômes étrangers.

Le Comité note que la «Ruhnama» dominerait les programmes scolaires au Turkménistan. Il est préoccupé par le contenu de ce texte et souhaite en recevoir un exemplaire (art. 7)

Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que les programmes scolaires favorisent la compréhension, la tolérance et l’amitié entre les nations et les groupes ethniques.

Le Comité note que depuis l’indépendance, aucune affaire de discrimination raciale n’a été soumise aux tribunaux. Selon certaines informations, les membres des minorités nationales et ethniques qui souffrent de discrimination raciale ne s’en plaignent pas devant les tribunaux par peur de représailles, par manque de confiance dans la police et dans les autorités judiciaires et parce que les autorités ne font pas preuve d’impartialité et de sensibilité dans les affaires de discrimination raciale (art. 6).

Le Comité recommande à l’État partie d’informer les victimes de leurs droits, notamment des recours disponibles, de faciliter leur accès à la justice, de garantir leur droit à une réparation juste et adéquate et de faire connaître les lois applicables. L’État partie devrait faire en sorte que ses autorités compétentes procèdent à une enquête rapide et impartiale sur les plaintes de discrimination raciale ou chaque fois qu’il y a des motifs sérieux de penser qu’il y a eu discrimination raciale sur le territoire. Les juges et les avocats, ainsi que les agents de la force publique devraient être formés en conséquence.

Tout en notant la déclaration de la délégation selon laquelle en 1996 l’État partie a créé un Institut des droits de l’homme, le Comité note que cette institution ne semble pas remplir les conditions requises pour être considérée comme une institution indépendante de défense des droits de l’homme au titre des principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) (résolution 48/134 de l’Assemblée générale) (art. 6).

Le Comité invite l’État partie à songer à créer une telle institution nationale indépendante de protection des droits de l’homme, avec pour mandat, en particulier, de surveiller le respect par le Gouvernement des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention.

Le Comité recommande à l’État partie de prendre en considération les sections pertinentes de la Déclaration et du Programme d’action de Durban en mettant en œuvre la Convention dans l’ordre juridique interne, notamment en ce qui concerne les articles 2 à 7, et qu’il fournisse dans son prochain rapport périodique des informations sur les plans d’action et autres mesures adoptés pour appliquer la Déclaration et le Programme d’action de Durban au niveau national.

Le Comité note que l’État partie n’a pas fait la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention et recommande qu’il songe à la faire.

Le Comité recommande vivement à l’État partie de ratifier les amendements au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention adoptés le 15 janvier 1992 à la quatorzième réunion des États parties à la Convention et approuvés par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111. À cet égard, le Comité se réfère à la résolution 59/176 de l’Assemblée générale en date du 20 décembre 2004, dans laquelle l’Assemblée a demandé instamment aux États parties de hâter leurs procédures internes de ratification de l’amendement et d’informer le Secrétaire général par écrit, dans les meilleurs délais, de leur acceptation de cet amendement.

Le Comité recommande que les rapports des États parties soient rendus accessibles au public dès leur publication et que les conclusions adoptées par le Comité à l’issue de l’examen de ces rapports soient diffusées de la même manière en turkmène et dans les principales langues des minorités, en particulier le russe.

Le Comité invite l’État partie à tirer parti de l’assistance technique disponible dans le cadre des services consultatifs et d’assistance technique du Programme du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en vue de revoir ses lois et ses politiques sous l’angle des préoccupations formulées ci‑dessus par le Comité. Compte tenu de la situation qui règne au Turkménistan, le Comité recommande vivement à l’État partie d’adresser une invitation au Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, pour qu’il effectue une visite dans le pays.

En application du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et de l’article 65 du Règlement intérieur du Comité, tel que modifié, le Comité invite l’État partie à l’informer de l’application des recommandations figurant aux paragraphes 11, 13, 14, 15 et 20 ci‑dessus dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes conclusions.

Le Comité recommande à l’État partie de présenter ses sixième et septième rapports périodiques en un seul document le 29 octobre 2007.

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