Nations Unies

CED/C/ESP/OAI/1

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

4 novembre 2021

Français

Original : espagnol

Comité des disparitions forcées

Observations finales concernant les renseignements complémentaires soumis par l’Espagne en application de l’article 29 (par. 4) de la Convention *

A.Introduction

1.Le Comité accueille avec satisfaction les renseignements complémentaires communiqués par l’Espagne en application de l’article 29 (par. 4) de la Convention et en réponse à la demande qu’il avait formulée dans ses observations finales de 2013. Il remercie également l’État partie des informations supplémentaires apportées par écrit en réponse à la liste des points à traiter qui lui avait été communiquée en mars 2021 et se félicite du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec lui lors de sa 370e séance, le 17 septembre 2021, sur les mesures prises pour s’acquitter des obligations découlant de la Convention, concernant les points suivants : a) l’harmonisation de la législation interne avec la Convention ; b) l’enquête sur les cas de disparition forcée, la recherche des personnes disparues et les réparations accordées aux victimes ; c) la prévention des disparitions forcées. Le Comité remercie également l’État partie pour les informations complémentaires qu’il lui a fournies par écrit à l’issue du dialogue.

2.À sa 376e séance, le 22 septembre 2021, le Comité a adopté les observations finales ci-après.

B.Aspects positifs

3.Le Comité prend note des mesures prises par l’État partie suite à ses précédentes observations finales, notamment : a) l’adoption de la loi no 4/2015 relative au statut des victimes d’infraction ; b) la création, par le décret royal no 139/2020, du Secrétariat d’État à la mémoire démocratique au sein des services de la première vice-présidence et du Ministère de la présidence, des relations avec le Parlement et de la mémoire démocratique.

C.Mise en œuvre des recommandations du Comité et évolution de la situation dans l’État partie

1.Renseignements d’ordre général

4.Le Comité considère qu’en dépit des diverses mesures prises par l’État partie depuis les précédentes observations finales, le cadre normatif en vigueur, ainsi que sa mise en œuvre, ne sont toujours pas conformes à la Convention. Le Comité engage l’État partie à tenir compte de ses recommandations, qui ont été formulées dans un esprit constructif de coopération, l’objectif étant de renforcer le cadre normatif existant et de faire en sorte que celui-ci, ainsi que tous les actes émanant des autorités de l’État partie, y compris ceux découlant des processus législatifs en cours, en particulier le projet de loi pour la mémoire démocratique et la proposition de loi sur les bébés volés en Espagne, soient conformes aux droits et obligations énoncés dans la Convention.

2.Harmonisation de la législation interne avec la Convention

Infraction autonome de disparition forcée

5.Le Comité se félicite de ce que l’article 167 (par. 2) du Code pénal vise les éléments constitutifs de la disparition forcée énoncés par l’article 2 de la Convention. Il prend note de la déclaration que l’État partie a faite pendant le dialogue selon laquelle l’absence de référence expresse au terme de « disparition forcée » dans cet article du Code pénal n’a pas de signification pratique et est le résultat de l’évolution historique de cette infraction, qui est la forme aggravée d’autres atteintes à la liberté. Cependant, le Comité constate avec regret que les actes visés ne sont pas expressément qualifiés de disparition forcée. En outre, il remercie l’État partie de ses explications sur le mode de détermination de la peine sanctionnant l’infraction prévue à l’article 167 (par. 2) du Code pénal et prend note de la déclaration faite pendant le dialogue selon laquelle cette infraction constitue une forme aggravée de l’infraction de base qu’est la détention illégale, et selon laquelle la peine est déterminée sur la base de la peine sanctionnant cette dernière infraction. Il estime toutefois nécessaire que la disparition forcée, en tant qu’infraction autonome, soit passible de peines expressément applicable à cette infraction (art. 2, 4 et 7).

6. Le Comité invite l’État partie à réviser l’article 167 (par. 2) du Code pénal afin : a) d’intégrer le terme de « disparition forcée » dans la description des actes visés ; b) de préciser les peines applicables à ces actes, en veillant à ce qu’elles soient proportionnées à leur extrême gravité.

Juridiction militaire

7.Le Comité se félicite de la déclaration que l’État partie a faite dans ses réponses à la liste des points à traiter et au cours du dialogue selon laquelle « de manière générale, les tribunaux ordinaires sont toujours compétents pour enquêter sur l’infraction visée à l’article 607 bis » du Code pénal (crime contre l’humanité) et pour en connaître. Cependant, il constate avec préoccupation que, selon les renseignements donnés par l’État partie, la juridiction militaire peut être compétente pour enquêter sur les cas de disparition forcée commis par des militaires et qui ne sont pas qualifiés de crime contre l’humanité lorsque certaines conditions exceptionnelles sont remplies, et pour sanctionner de tels actes. Le Comité réaffirme sa position selon laquelle, par principe, les cas de disparition forcée doivent toujours être exclus de la compétence de la juridiction militaire et être de la compétence exclusive de la juridiction pénale ordinaire (non militaire) (art. 11).

8. Le Comité rappelle sa déclaration sur les disparitions forcées et la juridiction militaire , et recommande à l’État partie d’exclure expressément de la compétence de la juridiction militaire les enquêtes sur les disparitions forcées et le jugement de tels faits.

Définition de la victime

9.Le Comité se félicite de l’adoption du statut des victimes d’infraction et prend note de la déclaration faite par l’État partie pendant le dialogue, selon laquelle la définition de la « victime directe » figurant à l’article 2 de ce cadre normatif peut être comprise comme englobant celle de la « victime » énoncée à l’article 24 (par. 1) de la Convention (art. 24).

10. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que le terme de « victime » figurant dans le statut des victimes d ’ infraction soit appliqué, dans la pratique, au sens de la définition de la victime énoncée à l ’ article 24 (par. 1) de la Convention , et de garantir que toutes les personne s physiques ayant subi un préjudice direct du fait d ’ une disparition forcée puissent, sans exception, exercer effectivement les droits prévus par le statut.

Droit à la vérité

11.Le Comité relève que l’article 5 du statut des victimes d’infraction prévoit le droit à l’information, et prend note de la déclaration de l’État partie selon laquelle le projet de loi pour la mémoire démocratique garantit le droit à la vérité concernant les violations commises pendant la guerre civile et sous la dictature franquiste. Le Comité constate toutefois que le droit à la vérité n’est pas encore garanti par la législation interne (art. 24).

12. Le Comité engage à nouveau l ’ État partie à prévoir dans sa législation le droit de toutes les victimes de disparition forcée à la vérité, conformément à l ’ article  24 (par. 2) de la Convention, quelle que soit la date à laquelle la disparition forcée a débuté.

Projet de loi pour la mémoire démocratique

13.Le Comité se félicite de l’approbation du projet de loi pour la mémoire démocratique par le Conseil des ministres, car son inscription dans la loi constituerait un progrès dans la garantie des droits des victimes à la justice, à la vérité et à la réparation, y compris les garanties de non-répétition des disparitions forcées commises dans le passé. Toutefois, il est préoccupé par les informations selon lesquelles certains aspects du projet, dans sa version actuelle, ne permettraient pas de donner pleinement effet aux droits et obligations énoncés par la Convention, notamment l’exclusion de l’indemnisation comme forme de réparation et l’absence de mesures visant à lever les obstacles juridiques aux enquêtes pénales sur les disparitions forcées qui ont débuté dans le passé, tels que la loi d’amnistie de 1977. Le Comité prend note de la déclaration faite pendant le dialogue selon laquelle l’évolution du contenu du projet de loi dépendra des débats parlementaires et, une fois qu’il aura été adopté, du cadre normatif et d’application s’y rapportant (art. 12 et 24).

14. Le Comité recommande à l ’ État partie de pr endre les mesures voulues pour assurer l ’ adoption rapide du projet de loi pour la mémoire démocratique et de faire en sorte que les dispositions adoptées donnent pleinement effet aux droits et obligations énoncés par la Convention. Le Comité lui rappelle également ses précédentes observations finales et l ’ invite à envisager de créer un mécanisme chargé d ’ établir la vérité sur les violations des droits de l ’ homme commises dans le passé.

Infractions relatives à la soustraction d’enfants

15.Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les actes visés à l’article 25 (par. 1) de la Convention sont réprimés par le Code pénal sous diverses qualifications, comme ceux visés à l’article 167 (par. 2), à savoir la simulation d’enfant et l’altération de la paternité, de l’état ou de la condition d’un mineur, la soustraction d’enfant et la falsification de document. Le Comité prend note des informations communiquées pendant le dialogue par l’État Partie au sujet de la jurisprudence pertinente du Tribunal suprême. Toutefois, sans préjudice de ce qui précède, il estime que les infractions auxquelles fait référence l’État partie ne suffisent pas pour couvrir entièrement tous les actes décrits à l’article 25 (par. 1 a)) de la Convention et qu’elles ne sont pas passibles de peines qui tiennent compte de l’extrême gravité de ces actes (art. 25).

16. Le Comité rappelle ses précédentes observations finales et recommande à l ’ État partie d ’ ériger en infraction distincte les actes visés à l ’ article 25 (par.  1  a)) de la Convention et de prévoir des peines proportionnées à leur extrême gravité.

3.Enquête sur les cas de disparition forcée, recherche des personnes disparues et réparations accordées aux victimes

Enquête sur les disparitions forcées commises dans le passé

17.Le Comité prend note avec préoccupation des allégations reçues concernant l’absence de progrès dans les enquêtes sur les disparitions forcées perpétrées dans le passé. À cet égard, il s’inquiète de ce que des plaintes continueraient d’être classées sans suite conformément à la jurisprudence établie par la Cour suprême en 2012 (arrêt no 101/2012), au motif, notamment, que les faits allégués seraient couverts par la loi d’amnistie de 1977 ou seraient prescrits. Le Comité se félicite de la déclaration faite pendant le dialogue selon laquelle, dans les cas de disparitions forcées de personnes dont on ignore si elles sont décédées, le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où cesse la disparition, autrement dit à partir du moment où l’on a connaissance du lieu où se trouve la personne disparue, compte tenu du caractère continu de cette infraction. Le Comité est toutefois préoccupé par les informations selon lesquelles les autorités judiciaires continuent de présumer que les personnes disparues sont décédées, en raison du temps écoulé depuis la disparition forcée (art. 8, 12 et 24).

18. Le Comité exhorte à nouveau l ’ État partie à faire en sorte que les délais de prescription commencent effectivement à courir à partir du moment où cesse la disparition forcée, c ’ est-à-dire lorsqu ’ on connaît le sort réservé à la personne disparue ou le lieu où elle se trouve. Il engage également l ’ État partie à ét ablir expressément dans sa législation que le délai de prescription de l ’ action pénale en cas de disparition forcée court à partir du moment où cesse la disparition.

19. Rappelant ses précédentes recommandations , le Comité engage également vivement l ’ État partie à :

a) Garantir qu ’ il soit procédé à des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les disparitions forcées qui ont pu débuter dans le passé et n ’ ont pas cessé, indépendamment du temps écoulé et même si aucune plainte officielle n ’ a été déposée ;

b) Prendre les mesures nécessaires pour surmonter les obstacles juridiques d ’ ordre interne susceptibles d ’ entraver les enquêtes, notamment la loi d ’ amnistie de 1977 ;

c) Veiller à ce que les auteurs des faits soient poursuivis et condamnés à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes ;

d) Veiller à ce que les institutions qui participent aux enquêtes sur les disparitions forcées disposent des ressources financières et techniques nécessaires et du personnel qualifié voulu  ;

e) Garantir que les autorités chargées d ’ enquêter et de rechercher les personnes disparues coordonnent leurs activités de manière systématique ;

f) Garantir que toute victime de disparition forcée puisse exercer ses droits à la justice, à la vérité et à une réparation complète.

Accès aux documents

20.Le Comité prend note de la législation applicable en matière de conservation des archives et d’accès à celles-ci, ainsi que de l’accord conclu entre le Ministère de la présidence, des relations avec le Parlement et de la mémoire démocratique et le Ministère de la culture et des sports, qui permettra la diffusion des documents produits par les organes répressifs du régime franquiste et l’accès à ceux-ci. Néanmoins, il est préoccupé par les obstacles qui, selon les allégations reçues, limitent l’accès aux archives et aux documents qui pourraient être utiles aux enquêtes et à la recherche des personnes disparues dans le passé. À cet égard, le Comité se félicite de la déclaration faite pendant le dialogue selon laquelle le Ministère de la culture et des sports interviendra pour régler les problèmes liés à l’accès aux archives et selon laquelle cette question est également traitée dans le cadre du projet de loi pour la mémoire démocratique (art. 12 et 24).

21. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour garantir la bonne conservation de tous les documents et informations publics et privés susceptibles d ’ être utiles à la recherche des personnes disparue s dans le passé et à l ’ enquête sur leur disparition forcée présumée, ainsi que l ’ accès effectif et en te mps voulu à ces documents et informations.

Entraide judiciaire internationale

22.Le Comité prend note de la déclaration formulée pendant le dialogue par l’État partie, qui affirme que la coopération judiciaire internationale fonctionne normalement et que toutes les demandes de coopération judiciaire reçues sont examinées. Il est toutefois préoccupé par les informations sur l’absence de coopération sans réserve avec le tribunal fédéral pénal et correctionnel no 1 de l’Argentine (l’Argentine étant également partie à la Convention) dans le cadre de l’enquête que celui-ci mène, notamment, sur les disparitions forcées qui ont eu lieu pendant la guerre civile et la dictature franquiste (art. 14 et 15).

23. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures voulues pour assurer l ’ entraide judiciaire la plus large possible, conformément aux articles 14 et 15 de la Convention, lorsque d ’ autres États parties le sollicitent à cette fin.

Recherche des personnes disparues

24.Le Comité se réjouit d’apprendre que l’État a pris des mesures pour rechercher les personnes qui ont été victimes de disparition forcée dans le passé, et notamment qu’il a mis en place le plan quadriennal (2020-2024) de recherche et d’identification des personnes disparues durant la guerre civile ou la répression politique qui s’est ensuivie, et a établi et tient à jour une carte des fosses communes. Il prend également note avec satisfaction du budget qui a été alloué en 2021 aux opérations de recherche, d’exhumation et d’identification des personnes disparues du fait de la guerre civile et de la dictature franquiste. Il se félicite aussi que le projet de loi pour la mémoire démocratique prévoie la création d’une banque publique d’ADN des victimes de la guerre et de la dictature, et que des démarches aient été entreprises en vue de la mise en place de celle-ci. Le Comité prend note des informations reçues, dans le cadre du dialogue, en ce qui concerne le nombre de squelettes et de fosses communes découverts à ce jour. Il est toutefois préoccupé par l’explication selon laquelle il n’est pas possible, en raison du temps écoulé, de recueillir des échantillons d’ADN sur environ 10 % des squelettes trouvés, compte tenu de leur état de dégradation très avancé, sans compter les personnes pour lesquelles aucune donnée génétique ne peut être obtenue, faute de parents suffisamment proches pour établir des correspondances, parce que les victimes n’ont pas eu de descendance ou parce que leurs parents les plus proches sont de la troisième génération (art. 12 et 24).

25. Le Comité engage l ’ État partie à prendre en considération, dans le cadre de l ’ élaboration et de la mise en œuvre de stratégies globales de recherche, les Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues et lui recommande de redoubler d ’ efforts pour  :

a) Rechercher, retrouver et libérer le plus rapidement possible les personnes disparues et, si celles-ci sont décédées, identifier et restituer leur dépouille dans des conditions dignes, dans le strict respect de leurs coutumes  ;

b) Continuer de faire en sorte que la recherche des personnes disparues et, lorsque celles ‑ci sont décédées, l ’ identification et la restitution de leur dépouille, soient menées par les autorités publiques, et veiller à ce que les proches des disparus puissent y participer le cas échéant ;

c) Accélérer la création de la banque publique d ’ ADN des victimes de la guerre et de la dictature, en veillant à ce qu ’ elle soit coordonnée et que son contenu puisse être comparé à celui d ’ autres bases de données génétiques existantes ou qui pourraient être créées à l ’ avenir, comme la banque unique d ’ ADN prévue dans la proposition de loi sur les bébés volés en Espagne  ;

d) Garantir que les organes compétents pour rechercher les personnes disparues et identifier leur dépouille en cas de décès disposent des ressources financières et techniques vou lues et du personnel qualifié dont ils ont besoin pour pouvoir remplir leur fonction ;

e ) Garantir que les recherches se poursuivent jusqu ’ à ce que le sort des intéressés ait été élucidé.

Soustraction d’enfants

26.Le Comité prend note avec satisfaction de la présentation, en mars 2020, de la proposition de loi sur les bébés volés en Espagne (122/39). Il regrette néanmoins que, d’après les renseignements dont il dispose, cette proposition soit examinée, depuis juillet 2020, par la Commission de la justice du Congrès des députés, sans qu’aucun progrès n’ait été enregistré depuis lors. Il prend note de la mise en place du Service d’information à l’intention des personnes qui pourraient avoir été victimes de soustraction de nouveau-né et de la création du fichier de profils génétiques de l’Institut national de toxicologie et des sciences médico‑légales. Il note toutefois qu’aucun de ces mécanismes n’a permis d’identifier de victimes de « vol de nouveau-né » et que, relativement au nombre de plaintes déposées, très peu de profils génétiques ont été enregistrés dans le fichier. À cet égard, il note avec satisfaction que la proposition de loi susmentionnée prévoit la création d’une banque unique d’ADN. En revanche, il relève avec préoccupation que, selon les informations disponibles, les autorités ont classé sans suite la plupart des enquêtes menées sur des cas de soustraction ou de disparition forcée de mineurs, faute notamment d’avoir pu accéder aux documents voulus et parce que l’action avait été déclarée prescrite, un certain laps de temps s’étant écoulé sans qu’aucun acte d’enquête ait été effectué. Le Comité prend note des informations reçues pendant le dialogue concernant les délais de prescription applicables dans les cas de soustraction de mineurs, qui différeraient selon que l’on considère l’enlèvement comme une disparition forcée ou comme une altération de la paternité. À ce propos, il note avec préoccupation qu’il ressort de la jurisprudence précitée que, dans un cas comme dans l’autre, le délai de prescription n’est pas calculé à compter de l’instant où l’identité du mineur est rétablie. Le Comité s’inquiète en particulier de la jurisprudence de l’Audiencia Provincial de Madrid, qui a été confirmée par le Tribunal suprême, selon laquelle le délai de prescription dans les affaires de « vols de bébé » commence à courir dès l’instant où prend fin la situation de privation de liberté, c’est-à-dire, selon le tribunal, le jour où le mineur atteint la majorité, conformément à l’article 132 (par. 1) du Code pénal (art. 8, 12 et 25).

27. Le Comité prie instamment l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour : a) rechercher et identifier les enfants qui ont pu être victimes de disparition forcée ou être soustraits à leurs parents ; b) garantir leur droit à l ’ identité ; c) enquêter sur les responsables présumés des faits. Il recommande également :

a ) De veiller à ce que la proposition de loi sur les bébés volés en Espagne (122/39) soit adoptée dans les meilleurs délais, et à ce qu ’ elle soit pleinement compatible avec la Convention ;

b ) De créer, le plus rapidement possible, une banque publique d ’ ADN qui centralise tous les échantillons d ’ ADN des victimes de faits signalés par les voies administratives ou judiciaires, à laquelle l es échantillons pourrai en t être confiés sur une base gratuite et volontaire, sans qu ’ une décision de justice soit nécessaire  ;

c ) Quel que soit le laps de temps écoulé depuis les faits, de garantir que les autorités engagent d ’ office et sans délai des recherches et une enquête approfondie, indépendante, impartiale et efficace sur tous les cas présumés de disparition forcée ou de soustraction d ’ enfants et permettent aux proches des victimes d ’ y participer activement le cas échéant. À ce propos, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur le principe 8 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues ;

d ) De veiller à ce que le délai de prescription soit calculé à compter du moment où l ’ identité des victimes est rétablie et à ce que les auteurs des faits soient traduits en justice et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes ;

e ) De garantir que toutes les victimes obtiennent pleinement réparation ;

f ) De veiller à conserver comme il se doit et à rendre accessible l ’ ensemble des archives et autres documents publics et privés susceptibles de s ’ avérer utiles pour les besoins des enquêtes et de la recherche des enfants qui ont pu être victimes de disparition forcée ou être soustraits à leurs parents au sens de l ’ article 25 (par. 1 a)) de la Convention.

Droit à réparation

28.Le Comité prend note des informations communiquées par l’État partie sur les droits consacrés par le statut des victimes d’infractions, notamment sur le droit des victimes de bénéficier de services d’aide et d’accompagnement et sur la mise en place de bureaux d’aide aux victimes de la criminalité. Il prend note également des mesures de réparation prévues dans le projet de loi pour la mémoire démocratique en faveur des victimes de la guerre civile et de la dictature franquiste, mesures qui seront précisées lors du débat parlementaire et, une fois le projet adopté, dans le cadre normatif et d’application s’y rapportant. Sans préjudice de ce qui précède, il relève que la législation espagnole ne prévoit toujours pas de régime de réparation intégral qui comprenne l’ensemble des mesures prévues par l’article 24 (par. 5) de la Convention et s’applique à toutes les victimes de disparition forcée quelle que soit la date de la disparition (art. 24).

29. Le Comité recommande à l ’ État partie de faire le nécessaire pour que sa législation prévoie un régime de réparation intégral qui comprenne l ’ ensemble des mesures de réparation prévues par l ’ article 24 (par. 5) de la Convention et s ’ applique à toutes les victimes de disparition forcée quelle que soit la date de leur disparition et même lorsqu ’ aucune procédure pénale n ’ a été engagée.

4.Prévention des disparitions forcées

Non-refoulement

30.Le Comité se félicite des informations qui lui ont été communiquées par l’État partie concernant les mesures de précaution qui ont été prévues dans la législation interne et établies par la pratique judiciaire et qui ont pour objectif d’éviter que le refoulement ou la remise de personnes réclamées par les autorités d’un autre État entraînent une violation des droits de l’homme des personnes concernées et exposent celles-ci au risque, notamment, d’être victimes d’une disparition forcée directement ou indirectement imputable à l’État. Le Comité fait observer que la législation n’interdit pas expressément l’expulsion, le refoulement, la remise et l’extradition d’une personne lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que celle‑ci risquerait d’être victime d’une disparition forcée. Il s’inquiète en outre des informations concernant le « rejet » de ressortissants d’autres États qui tentent de franchir clandestinement la ligne frontière qui délimite le territoire des villes autonomes de Ceuta et Melilla, rejet qui est autorisé par le régime spécial en vigueur dans ces deux villes. À ce propos, le Comité prend note de la déclaration faite par l’État partie pendant le dialogue selon laquelle la législation sur les étrangers est conforme au droit international des droits de l’homme et à la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire N. D. et N. T. c. Espagne . Néanmoins, il juge préoccupant que cette pratique des « rejets » ne permette pas de repérer les personnes qui risquent d’être victimes de disparition forcée étant donné que, dans ce cas de figure, les autorités ne procèdent pas à un examen exhaustif qui leur permettrait de déterminer l’existence possible d’un tel risque (art. 16).

31. Le Comité invite une nouvelle fois l ’ État partie à envisager d ’ interdire expressément dans sa législation l ’ expulsion, le refoulement, la remise ou l ’ extradition d ’ une personne lorsqu ’ il y a des motifs sérieux de croire que celle-ci risquerait d ’ être victime d ’ une disparition for cée. Il recommande également à l ’ É tat partie de garantir que le principe de non-refoulement consacré par l ’ article 16 de la Convention soit strictement respecté en toutes circonstances, et notamment qu ’ avant d ’ expulser, de refouler, de remettre ou d ’ extrader une personne, y compris lorsque cette personne tente de traverser irrégulièrement la ligne frontière des villes autonomes de Ceuta et Melilla, les autorités procèdent systématiquement et au cas par cas à un examen exhaustif visant à déterminer s ’ il existe des motifs sérieux de croire que la personne concernée risquerait d ’ être victime d ’ une disparition forcée.

Garanties juridiques fondamentales

32.Le Comité note que le régime de la détention au secret a fait l’objet d’une réforme en 2015 et que le nouveau régime n’impose pas la restriction de droits et est soumis à autorisation et à un contrôle judiciaire strict. Il note toutefois avec préoccupation que, dans le cadre de ce régime, les autorités peuvent restreindre, pendant une période maximale de cinq jours, renouvelable une fois dans le cas d’infractions liées au terrorisme et à la criminalité organisée, le droit du détenu de désigner l’avocat de son choix, de s’entretenir en privé avec son avocat et de communiquer avec les personnes avec lesquelles il a normalement le droit d’avoir des contacts ou avec certaines d’entre elles. À cet égard, le Comité prend note des informations reçues au cours du dialogue selon lesquelles il existe un projet de réforme de la loi de procédure pénale qui, entre autres, viserait à ce que la communication avec l’avocat, pour autant que celui-ci ait été désigné d’office, ne puisse être restreinte. En outre, il note avec intérêt que, selon l’article 520 (par. 2 e)) de la loi de procédure pénale, le droit de la famille du détenu d’être informée sans délai de la privation de liberté et du lieu de détention de celui-ci ne peut faire l’objet d’aucune restriction. Le Comité regrette toutefois de ne pas disposer de renseignements clairs sur la question de savoir comment est garanti, dans la pratique, le droit des membres de la famille ou de toute autre personne ayant un intérêt légitime, outre le représentant du parquet et l’avocat, d’obtenir des informations sur la privation de liberté et le lieu de détention des personnes soumises au régime de la détention au secret (art. 17 et 18).

33. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter les mesures voulues pour garantir, que dès le début et pendant toute la durée de la détention au secret : a) les personnes soumises à ce régime bénéficient des garanties prévues par l ’ article 17 (par. 2 d)) de la Convention et par d ’ autres instruments internationaux pertinents ; b) toute personne ayant un intérêt légitime puisse exercer dans la pratique le droit consacré par l ’ article 18 de la Convention. En outre, dans le droit fil des recommandations formulées par d ’ autres mécanismes de protection des droits de l ’ homme, le Comité encourage l ’ État à saisir l ’ occasion offerte par le projet de réforme de la loi de procédure pénale pour abolir le régime actuel de la détention au secret.

D.Mise en œuvre des droits et obligations énoncés dans la Convention, diffusion et suivi

34. Le Comité tient à rappeler les obligations auxquelles les États ont souscrit en devenant parties à la Convention et engage l ’ État partie à veiller à ce que toutes les mesures qu ’ il adopte soient pleinement conformes à la Convention et à d ’ autres instruments internationaux pertinents .

35. Le Comité souligne également l ’ effet particulièrement cruel qu ’ ont les disparitions forcées sur les femmes et les enfants . Les femmes victimes d ’ une disparition forcée sont particulièrement vulnérables à la violence sexuelle et aux autres formes de violence fondée sur le genre . Les femmes parentes d ’ une personne disparue sont particulièrement susceptibles d ’ être gravement défavorisées sur les plans économique et social et de subir des violences, des persécutions et des représailles du fait des efforts qu ’ elles déploient pour localiser leur proche. Les enfants victimes d ’ une disparition forcée, qu ’ ils y soient soumis eux-mêmes ou qu ’ ils subissent les conséquences de la disparition d ’ un proche, sont particulièrement exposés à la violation de leurs droits de l ’ homme . Le Comité insiste donc tout particulièrement sur le fait que l ’ État partie doit systématiquement tenir compte des questions de genre et des besoins particuliers des femmes et des enfants dans le cadre des mesures qu ’ il prend pour donner suite aux présentes recommandations, pour donner effet à l ’ ensemble des droits consacrés par la Convention et pour exécuter toutes les obligations que celle-ci met à sa charge.

36. L ’ État partie est invité à diffuser largement la Convention, les renseignements complémentaires qu ’ il a soumis en application de l ’ article 29 (par. 4) de la Convention et les présentes observations finales, en vue de sensibiliser les autorités publiques, les acteurs de la société civile et le grand public . Le Comité encourage aussi l ’ État partie à promouvoir la participation de la société civile à l ’ action menée pour donner suite aux recommandations formulées dans les présentes observations finales .

37. En vertu de l ’ article 29 (par. 4) de la Convention, le Comité demande à l ’ État partie de lui soumettre, au plus tard le 27 septembre 2024, des informations précises et actualisées sur la suite qu ’ il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 14 (Projet de loi pour la mémoire démocratique), 27 a) (Soustraction d ’ enfants), 31 (Non-refoulement) et 33 (Garanties juridiques fondamentales des présentes observations finales). Le Comité encourage l ’ État partie à promouvoir et à faciliter la participation de la société civile, en particulier des associations de victimes de disparition forcée, à la compilation de ces informations . Il rappelle également que, conformément à l ’ article 29 (par. 4) de la Convention, il pourra ensuite demander à l ’ État partie des renseignements complémentaires sur l ’ application de la Convention, y compris des informations sur les mesures adoptées pour mettre en œuvre l ’ ensemble des recommandations contenues dans les présentes observations finales.