Nations Unies

CCPR/C/MEX/CO/6

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 décembre 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ homme

Observations finales concernant le sixième rapport périodique du Mexique *

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le sixième rapport périodique du Mexique (CCPR/C/MEX/6) à ses 3653e et 3654e séances (CCPR/C/SR.3653 et 3654), les 16 et 17 octobre 2019. À ses 3675e et 3676e séances (CCPR/C/SR.3675 et 3676), le 31 octobre et le 1er novembre 2019, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée de présentation des rapports et d’avoir soumis son sixième rapport périodique en s’appuyant sur la liste de points établie au préalable dans le cadre de cette procédure (CCPR/C/MEX/QPR/6). Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pendant la période considérée pour appliquer les dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses fournies oralement par sa délégation et des renseignements complémentaires qui lui ont été communiqués par écrit.

B.Aspects positifs

3.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption par l’État partie, au cours de la période considérée, des mesures législatives et institutionnelles ci-après dans le domaine des droits civils et politiques :

a)La loi générale relative à la prévention des actes de torture et autre peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux enquêtes sur de tels actes et à la répression de tels actes, adoptée le 26 juin 2017 ;

b)La loi générale relative aux disparitions forcées, aux disparitions imputables à des particuliers et au système national de recherche des personnes disparues, adoptée le 17 novembre 2017 ;

c)La loi générale relative aux victimes, modifiée le 3 janvier 2017, et le règlement d’application de la loi générale relative aux victimes, adopté le 28 novembre 2014 ;

d)Le décret venant modifier, supprimer et compléter plusieurs dispositions du Code de justice militaire, notamment l’article 57 modifié de sorte que les juridictions militaires ne puissent pas juger les affaires de violations de droits de l’homme commises contre des civils, adopté le 13 juin 2014 ;

e)La réforme constitutionnelle portant sur les droits de l’homme, publiée au Journal officiel de la Fédération le 10 juin 2011.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Cadre juridique de l’application du Pacte

4.Le Comité relève avec préoccupation le manque d’uniformité du cadre législatif applicable aux droits de l’homme dans l’État partie. Il note en particulier avec préoccupation que les dispositions du Pacte ne sont pas effectivement appliquées, principalement dans les États, et que certaines lois de l’État partie se contredisent entre elles, certaines dispositions législatives étant même incompatibles avec le Pacte. À cet égard, le Comité rappelle aux États parties dotés d’une structure fédérale qu’aux termes de l’article 50 du Pacte, les dispositions du Pacte « s’appliquent, sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives des États fédératifs » (art. 2 et 50).

5. Compte tenu des précédentes recommandations du Comité (CCPR/C/MEX/CO/5, par. 5), l ’ État partie devrait veiller à ce que la législation, tant au niveau de la Fédération qu ’ à celui des États, soit harmonisée avec le Pacte et effectivement appliquée sur tout son territoire. L ’ État partie devrait également prendre des mesures pour que les autorités, y compris les procureurs et les juges fédéraux et locaux, ainsi que les avocats, connaissent bien les droits énoncés dans le Pacte.

Constitution et processus législatif

6.Le Comité prend note de l’explication fournie par la délégation de l’État partie selon laquelle, dans des affaires récentes, les tribunaux ont appliqué des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme même lorsque ceux-ci étaient en contradiction avec la Constitution, mais il constate avec préoccupation que, dans sa décision sur l’affaire no 293/2011, qui concernait une interprétation divergente du droit applicable, la Cour suprême de justice de la nation a considéré qu’en cas de restriction explicite de l’exercice des droits de l’homme dans la Constitution, la norme constitutionnelle devait prévaloir (art. 2).

7.L ’ État partie devrait veiller à ce que le processus d ’ examen de la constitutionnalité des lois soit efficace et permette d ’ offrir suffisamment de garanties, en droit et dans la pratique, pour assurer la pleine protection des droits consacrés par le Pacte, y compris du principe pro persona, dans l ’ ordre juridique interne. Il devrait également renforcer son processus législatif, s ’ agissant en particulier des lois ayant une incidence sur l ’ exercice des droits de l ’ homme, en veillant à ce que toutes les réformes respectent les dispositions du Pacte et en garantissent l ’ application.

Loi générale relative aux victimes

8.Le Comité constate avec préoccupation que, si la loi générale relative aux victimes a bien été adoptée, elle n’est pas suffisamment appliquée. En particulier, le Comité est préoccupé par ce qui suit : un certain nombre d’États ne sont pas encore dotés d’organismes chargés de garantir l’application de cette loi ; la plupart des organismes locaux ne disposent pas des ressources nécessaires et manquent de personnel qualifié pour prendre les mesures prévues par la loi ; les mesures de réparation se concentrent presque exclusivement sur l’indemnisation ; les procédures administratives qui peuvent permettre d’obtenir la reconnaissance du statut de victime sont complexes et souvent à l’origine de nouveaux traumatismes. Le Comité est également préoccupé par le fait que la population, en particulier la population autochtone, n’a pas accès aux mécanismes prévus par la loi générale relative aux victimes et que les femmes victimes de violations de leurs droits fondamentaux ne bénéficient pas d’une prise en charge spécifique (art. 2).

9. Le Comité prie instamment l ’ État partie de fournir les ressources nécessaires aux organismes chargés de faire appliquer la loi générale relative aux victimes et de mettre à leur disposition une formation adéquate et des mécanismes de suivi efficaces pour que les victimes de violations des droits de l ’ homme reçoivent rapidement une réparation intégrale, qui tienne compte des aspects culturels et des questions de genre. L ’ État partie devrait également garantir, y compris au moyen de réformes législatives, la rapidité et l ’ efficacité de la procédure permettant d ’ obtenir la reconnaissance juridique du statut de victime.

Non-discrimination

10.Le Comité est préoccupé par la discrimination dont font l’objet les femmes, les communautés afro-mexicaines, les peuples autochtones et les personnes vivant dans les zones rurales, et par la participation limitée de toutes ces personnes à la vie politique et publique. Il est également préoccupé par la persistance de l’écart salarial entre hommes et femmes. Le Comité se félicite de la décision récente de la Cour suprême de justice selon laquelle tous les employés de maison bénéficieront désormais du système de sécurité sociale, mais constate que l’application de cette décision reste subordonnée à certains actes administratifs et législatifs (art. 2, 3, 25 et 26).

11.L ’ État partie devrait garantir une protection complète contre la discrimination, notamment celle dont font l ’ objet les femmes, les communautés afro-mexicaines et les peuples autochtones. Il devrait également adopter des mesures propres à accroître la présence des femmes, des peuples autochtones et des Afro-Mexicains dans la vie publique et politique, notamment, si nécessaire, des mesures temporaires spéciales qui permettent de donner pleinement effet aux dispositions du Pacte. Il devrait également poursuivre ses efforts pour combler l ’ écart de rémunération entre les hommes et les femmes, et éliminer, en théorie et en pratique, les stéréotypes sexistes concernant les responsabilités dévolues aux hommes et aux femmes en ce qui concerne les tâches domestiques ainsi que la place dans la famille et au sein de la société. Enfin, l ’ État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour appliquer la décision de la Cour suprême de justice visant à garantir que tous les employés de maison soient couverts par le système de sécurité sociale et à renforcer leur protection sociale et professionnelle en leur offrant les mêmes conditions et la même protection juridique qu ’ aux autres catégories de la population active.

Discrimination et violence fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre

12.Le Comité est préoccupé par la discrimination et par le taux élevé de violence, notamment le nombre élevé de meurtres motivés par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des victimes, et regrette l’absence de données consolidées sur les enquêtes menées, les poursuites engagées, les procès tenus, les peines prononcées et les réparations accordées dans ces affaires. En dépit des explications fournies par la délégation de l’État partie, le Comité s’inquiète des allégations selon lesquelles des interventions médicales invasives et irréversibles sont pratiquées sur des enfants intersexes (art. 2, 6, 7, 17 et 26).

13.L ’ État partie devrait adopter les protocoles d ’ enquête nécessaires pour que, dans le cas de crimes motivés par l ’ orientation sexuelle ou l ’ identité de genre de la victime : a) la question du sexe ou du genre soit systématiquement prise en compte lorsque l ’ affaire est enregistrée et l ’ enquête menée ; b) les responsables soient poursuivis, jugés et condamnés à des peines appropriées ; c) les victimes aient accès à des mécanismes de plainte sûrs, bénéficient de l ’ accompagnement et de l ’ assistance voulus ainsi que d ’ une protection adaptée et se voient accorder une réparation intégrale. L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour combattre les stéréotypes et préjugés visant les lesbiennes, les gays, les bisexuels, les transgenres et les intersexes, et pour garantir la prévention de la discrimination et de la violence à l ’ égard de ces personnes. Il devrait en outre prendre des mesures pour mettre un terme aux traitements médicaux irréversibles, en particulier aux interventions chirurgicales pratiquées sur les enfants intersexes, qui ne sont pas encore en mesure de donner leur consentement pleinement éclairé et libre, à moins que ces procédures ne soient absolument nécessaires d ’ un point de vue médical.   

Violence à l’égard des femmes

14. S’il salue les mesures institutionnelles prises par l’État partie pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et des filles, le Comité reste préoccupé par l’accroissement progressif de ce type de violence. Il note avec préoccupation :

a)Que la définition du crime de féminicide n’est pas harmonisée entre la loi générale relative au droit des femmes à une vie sans violence et les différents codes pénaux des États, et que les procédures d’enquête pénale sur le féminicide ne sont pas harmonisées non plus ;

b)Que la mise en place du mécanisme d’alerte concernant la violence fondée sur le genre rencontre certaines difficultés, notamment le manque de ressources financières et le manque d’informations de la part des autorités chargées de la coordination de ses opérations ;

c)Qu’il n’existe pas de mécanisme efficace et disponible sur tout le territoire de l’État partie qui soit chargé d’exécuter les ordonnances de protection prévues par la loi générale relative au droit des femmes à une vie sans violence ;

d)Que le nombre de poursuites engagées et de condamnations prononcées dans le cadre d’affaires de violence à l’égard de femmes ou de filles et de féminicides est peu élevé (art. 3, 6 et 7).

15. L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour prévenir et combattre la violence à l ’ égard des femmes et des filles. Il devrait en particulier :

a) Harmoniser la définition du crime de féminicide sur l ’ ensemble de son territoire, en application du Pacte, ainsi que les protocoles d ’ enquête pénale sur le féminicide, et mettre en place sans délai des mécanismes efficaces chargés de traiter et d ’ exécuter, sur l ’ ensemble de son territoire, les ordonnances de protection prévues par la loi générale relative au droit des femmes à une vie sans violence ;

b) Doter toutes les institutions chargées de faire appliquer la loi générale, y compris celles chargées de la mise en place du mécanisme d ’ alerte et de l ’ exécution des ordonnances de protection, de ressources financières et humaines suffisantes, et veiller à ce que leur personnel soit dûment formé ;

c) Faciliter le dépôt de plaintes par les victimes, veiller à ce que tous les actes de violence à l ’ égard de femmes ou de filles fassent promptement l ’ objet d ’ une enquête approfondie, impartiale et qui tienne compte des questions de genre, à ce que les auteurs soient jugés et sanctionnés et à ce que les victimes puissent obtenir une assistance et une réparation intégrale et avoir accès à des moyens de protection ;

d) Poursuivre les efforts déployés pour former le personnel des institutions judiciaires, les policiers et les experts légistes, afin d ’ éliminer les stéréotypes de genre et d ’ éviter que les victimes ne subissent un nouveau traumatisme ;

e) Encourager la collaboration avec les organisations de la société civile qui œuvrent en faveur des droits des femmes et des filles qui ont été ou sont victimes de violence.

Interruption volontaire de grossesse et droits en matière de procréation

16.Le Comité est préoccupé par le décalage entre les lois pénales des États relatives à l’interruption volontaire de grossesse et le fait que, dans de nombreux États, les motifs d’avortement sont érigés en infraction ou limités, avec pour conséquences un nombre élevé d’avortements non sécurisés ainsi que l’engagement de poursuites et l’imposition de peines d’emprisonnement. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que, dans certains États, des obstacles ont été mis à l’application de l’article 35 de la loi générale relative aux victimes et de la norme officielle mexicaine NOM-046-SSA2-2005 sur la violence familiale, la violence sexuelle et la violence à l’égard des femmes, qui autorise l’avortement en cas de viol. Il constate également avec préoccupation que l’objection de conscience introduite en 2018 par la loi générale relative à la santé n’est pas réglementée et qu’aucune garantie n’a été prévue pour que cette disposition ne limite pas l’accès des femmes à l’avortement. Il constate en outre avec inquiétude que des femmes qui se rendent dans des hôpitaux publics sont dénoncées par le personnel médical ou administratif pour avortement illégal. Le Comité est préoccupé par le taux élevé de grossesse chez les adolescentes, par la difficulté d’accéder à la contraception d’urgence et par les informations signalant le manque de services de santé procréative appropriés ainsi que les lacunes dans l’exécution du programme visant à fournir une éducation sexuelle complète. Le Comité est également préoccupé par les taux élevés de mortalité maternelle chez les femmes des communautés autochtones (art. 2, 3, 6, 7, 17 et 26).

17. L ’ État partie devrait :

a) Harmoniser sa législation aux niveaux de la Fédération et des États en vue de garantir la possibilité d ’ obtenir légalement une interruption volontaire de grossesse sécurisée lorsque la vie ou la santé de la femme ou de la fille enceinte est en jeu et lorsque le fait de mener la grossesse jusqu ’ à son terme pourrait causer une souffrance ou un préjudice grave à la femme ou à la fille enceinte, en particulier dans les cas où la grossesse est le résultat d ’ un viol ou d ’ un inceste ou lorsque le fœtus n ’ est pas viable ;

b) Éliminer les sanctions pénales visant les femmes et les filles qui ont recours à l ’ avortement et les prestataires de services médicaux qui les assistent, car ces sanctions obligent les femmes et les filles à recourir à des avortements non sécurisés, et garantir le respect du secret professionnel par le personnel médical ainsi que la confidentialité pour les patientes ;

c) Réglementer l ’ objection de conscience afin qu ’ elle ne devienne pas un obstacle de fait aux interruptions volontaires de grossesse légales et sécurisées ;

d) Garantir le plein accès aux services de santé sexuelle et procréative et à une éducation sexuelle complète fondée sur des preuves scientifiques afin de sensibiliser les hommes, les femmes, les garçons et les filles dans tout le pays, y compris dans les zones rurales et isolées.

Droit à la vie et à la sécurité de la personne

18.Le Comité est préoccupé par les taux d’homicide, élevés et en augmentation, ainsi que par les informations faisant état d’exécutions extrajudiciaires et les indices de létalité enregistrés dans l’État partie. Il se félicite que, selon ce qu’a déclaré la délégation de l’État partie, la Garde nationale soit définie comme une institution civile dans la Constitution et salue la décision de la Cour suprême de justice (action en inconstitutionnalité no 6/2018 et actions jointes nos 8/2018, 9/2018, 10/2018 et 11/2018) déclarant inconstitutionnelle la loi relative à la sécurité intérieure, mais il est préoccupé par la présence de militaires dans les forces de l’ordre en général, y compris dans la Garde nationale, et par le fait qu’aucun calendrier précis n’a été défini concernant le retrait des forces armées des missions de sécurité publique (art. 2, 6, 7, 9 et 14).

19. L ’ État partie devrait se défaire de son approche militaire du maintien de l ’ ordre, progresser dans le processus d ’ établissement de la Garde nationale en tant qu ’ institution civile et élaborer un plan visant à assurer le retrait progressif et ordonné des forces armées des missions de sécurité publique. À cet égard, l ’ État partie devrait veiller à ce que l ’ intervention des forces armées n ’ ait lieu que dans des circonstances exceptionnelles, qu ’ elle soit d ’ une durée limitée, qu ’ elle soit soumise à des protocoles clairs établis au préalable et qu ’ elle puisse relever de mécanismes de contrôle civil et de dispositifs de reddition de comptes. Il devrait également poursuivre ses efforts pour dispenser à tous les officiers de la Garde nationale une formation intensive sur les normes internationales relatives aux droits de l ’ homme et envisager d ’ introduire des périodes de pause entre le service dans les forces armées et l ’ entrée dans la Garde nationale. L ’ État partie devrait en outre faire en sorte que toutes les allégations d ’ exécutions extrajudiciaires et de violations des droits de l ’ homme donnent lieu sans délai à des enquêtes approfondies et impartiales, que les responsables soient traduits en justice et sanctionnés, et que les victimes obtiennent une réparation intégrale. L ’ État partie devrait adopter d ’ urgence des politiques visant à réduire efficacement le nombre d ’ homicides et d ’ exécutions extrajudiciaires.

Usage excessif de la force et loi nationale sur le recours à la force

20.Le Comité est préoccupé par les nombreuses informations faisant état d’un usage excessif de la force et des armes à feu de la part des forces de l’ordre. À cet égard, il note avec préoccupation que certaines dispositions de la loi nationale sur le recours à la force (publiée au Journal officiel de la Fédération le 27 mai 2019) ne sont pas conformes aux dispositions du Pacte et de l’observation générale no 36 (2019) sur le droit à la vie. En particulier, il constate avec préoccupation que la loi n’établit pas de critères clairs concernant les cas dans lesquels le recours à la force létale est autorisé, qu’elle n’établit pas de registre des cas dans lesquels il y a eu un recours à la force ni de mécanismes adéquats permettant d’assurer la transparence et l’établissement des responsabilités en ce qui concerne l’usage de la force, et qu’elle limite la protection contre l’usage des armes dans le cadre de manifestations ou de réunions publiques aux seules manifestations et réunions dont l’objet est licite (art. 6, 7 et 21).

21. L ’ État partie devrait adopter des mesures pour prévenir et éliminer effectivement toutes les formes d ’ usage excessif de la force de la part des forces de l ’ ordre et, en particulier :

  a) Réviser la loi nationale sur le recours à la force de manière à la mettre en conformité avec l ’ observation générale n o 36 et les Principes de base sur le recours à la force et l ’ utilisation des armes à feu par les responsables de l ’ application des lois ;

b) Intensifier la formation dispensée aux forces de l ’ ordre concernant les normes internationales relatives à l ’ emploi de la force et faire mieux connaître ces normes aux juges, aux procureurs et aux avocats ;

c) Établir des procédures garantissant une planification adéquate des opérations de maintien de l ’ ordre compte tenu de la nécessité de réduire le risque qu ’ elles présentent pour la vie humaine ;

d) Veiller à ce que tous les cas d ’ usage excessif de la force soient consignés et donnent lieu à une enquête indépendante, à ce que des poursuites soient engagées, à ce que les responsables soient condamnés à des peines proportionnées à la gravité des faits et à ce que les victimes reçoivent une réparation intégrale.

Impunité

22.Le Comité note avec préoccupation que les agents des forces de l’ordre ayant commis des violations graves des droits de l’homme, y compris des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des actes torture, restent fréquemment impunis. À cet égard, il prend note avec préoccupation des sérieuses insuffisances que présentent les enquêtes menées et les poursuites engagées en ce qui concerne des violations graves des droits de l’homme, en particulier : le fait que les responsables des enquêtes ne se voient pas allouer les ressources nécessaires ; le manque d’autonomie, d’indépendance, d’impartialité et de rapidité dont souffre l’exécution des procédures d’enquête ; l’absence de parquets ou d’unités spécialisées dans les violations graves et récurrentes des droits de l’homme ; le caractère limité de la formation des fonctionnaires chargés des enquêtes ; le manque d’autonomie et d’indépendance des experts chargés des enquêtes ; le faible nombre de poursuites et de condamnations. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles des victimes ou des proches de victimes ayant dénoncé des violations graves des droits de l’homme font l’objet d’actes d’intimidation et de violence. Parmi les innombrables violations graves des droits de l’homme qui restent impunies, le Comité renvoie au cas emblématique de la disparition forcée de 43 étudiants d’Ayotzinapa, en septembre 2014, et regrette que, malgré la gravité de l’affaire, les recommandations des divers organes internationaux de protection des droits de l’homme et les mesures adoptées, l’État partie n’ait pas fait la lumière sur le lieu où se trouvent les étudiants, n’ait pas puni les responsables et n’ait pas accordé une réparation intégrale aux victimes (art. 2, 6, 7, 9 et 14).

23.L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour que tous les crimes violents et autres infractions graves, y compris la disparition forcée de 43 étudiants d ’ Ayotzinapa en septembre 2014, donnent lieu rapidement à des enquêtes approfondies et impartiales, pour que les responsables soient poursuivis et punis, et pour que les victimes reçoivent une réparation intégrale. À cet égard, il devrait renforcer les capacités d ’ enquête et l ’ indépendance de tous les acteurs participant aux enquêtes, y compris le parquet et les experts, consolider le système accusatoire et accroître l ’ autonomie des institutions chargées de l ’ administration de la justice. Ce faisant, il devrait tenir compte des normes internationales relatives aux droits de l ’ homme, y compris le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul). Il devrait également prendre les mesures nécessaires pour protéger les témoins, les victimes et leurs proches, ainsi que les personnes qui conduisent les enquêtes, contre les menaces, les agressions et tout acte de représailles.    

Violations des droits de l’homme commises pendant la « guerre sale »

24.Le Comité prend note avec intérêt des informations fournies par l’État partie concernant les mesures de reconnaissance de la responsabilité, d’établissement des faits, d’enquête et de réparation en faveur des victimes de violations graves des droits de l’homme commises pendant la « guerre sale », ainsi que de la déclaration faite par le Président en 2019 concernant son intention d’ouvrir les archives du Centre national de recherche et de sécurité et du récent accord prévoyant le transfert des documents historiques aux Archives générales de la nation. Il regrette toutefois qu’à ce jour une seule personne ait été condamnée pour une disparition forcée ayant eu lieu au cours de la période dite de la « guerre sale » et que seuls les ossements de deux personnes enterrées clandestinement pendant cette période aient été retrouvés (art. 2, 6, 7, 9, 14 et 16).

25.L ’ État partie devrait intensifier ses mesures de reconnaissance de la responsabilité, d ’ établissement des faits, de recherche des personnes disparues, de création et de préservation de la mémoire et de réparation intégrale pour les victimes des crimes commis pendant la « guerre sale ». Il devrait instruire avec diligence toutes les affaires concernant des violations graves des droits de l ’ homme commises pendant cette période, y compris toutes les affaires de disparition forcée, d ’ exécution extrajudiciaire et de torture, identifier les responsables et veiller à ce qu ’ ils soient traduits en justice et condamnés à des peines appropriées et proportionnelles à la gravité des faits. Il devrait également prendre les mesures nécessaires pour que les archives transférées aux Archives générales de la nation et les archives du Centre national de recherche et de sécurité soient d ’ accès public, et mettre en place pour ce faire des mécanismes appropriés en vue de leur préservation, de leur sauvegarde, de leur systématisation et de leur diffusion.

Groupes d’autodéfense

26.Le Comité est préoccupé par l’existence de groupes d’autodéfense dans certains États, tels que ceux de Guerrero et de Michoacán, et par les informations faisant état de violations commises par ces groupes. Il prend note avec préoccupation du manque d’informations sur l’existence de ces groupes, leur nombre et les groupes actifs, et sur les enquêtes menées dans les affaires de violence dans lesquelles ils sont impliqués (art. 6, 7 et 14).

27. L ’ État partie devrait renforcer la présence des institutions civiles de sécurité publique afin de garantir la sécurité de la population sur l ’ ensemble de son territoire et éviter que des groupes d ’ autodéfense se substituent à l ’ État et exécutent des missions de maintien de l ’ ordre. Il devrait également conduire des enquêtes et poursuivre tous les membres présumés de groupes d ’ autodéfense qui ont commis des violations des droits de l ’ homme et, s ’ ils sont reconnus coupables, les condamner à des peines appropriées.

Disparitions forcées

28.Le Comité note avec satisfaction que la délégation de l’État partie a affirmé que la question des disparitions forcées était l’une des grandes priorités du Gouvernement fédéral. Malgré les informations fournies par l’État partie sur la mise au point d’un nouveau système d’enregistrement des personnes disparues, le Comité est préoccupé par la lenteur avec laquelle ce registre et d’autres registres et instruments prévus par la loi générale pertinente sont mis en place. Si la création de commissions de recherche et de parquets spéciaux chargés d’enquêter sur les disparitions forcées constitue un progrès, le Comité est préoccupé par l’impunité alarmante dont bénéficient les auteurs des faits signalés, notamment dans les cas où l’on soupçonne une collusion entre des groupes criminels et les forces de l’ordre, et par le nombre de corps qui ne sont toujours pas identifiés (art. 2, 6, 7, 9, 14 et 16).

29. L ’ État partie devrait :

a) Mettre en place tous les registres, bases de données et instruments prévus par la loi générale relative aux disparitions forcées, aux disparitions imputables à des particuliers et au système national de recherche des personnes disparues ;

b) Renforcer les parquets spéciaux chargés des disparitions et redoubler d ’ efforts pour enquêter de manière approfondie, crédible, impartiale et transparente sur tous les cas présumés de disparition forcée afin de faire la lumière sur le lieu où se trouvent les personnes disparues et de poursuivre et punir les responsables ;

c) Veiller à ce que les victimes et leurs proches soient régulièrement informés des progrès et des résultats des recherches et des enquêtes et reçoivent les documents administratifs officiels prescrits par les normes internationales, et à ce qu ’ ils bénéficient d ’ une réparation intégrale, y compris de moyens de réadaptation, d ’ une indemnisation adéquate, de mesures de satisfaction et de garanties de non-répétition ;

d) Veiller à ce que les auteurs soient poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité des faits ;

e) Prendre toutes les mesures nécessaires pour que les commissions de recherche disposent des conditions institutionnelles, budgétaires et de sécurité nécessaires pour s ’ acquitter sans délai de leur mandat conformément à la législation pertinente ;

f) Veiller à ce que l ’ institution médico-légale dispose des ressources, du personnel et des compétences nécessaires pour répondre aux besoins actuels s ’ agissant des enquêtes et de l ’ identification du grand nombre de cadavres et de restes humains non identifiés.

Interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

30.Le Comité salue l’adoption de la loi générale de 2017 relative à la prévention des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux enquêtes sur de tels actes et à la répression de tels actes, mais regrette que celle-ci ne soit pas effectivement appliquée. Il est préoccupé par les informations faisant état d’un recours généralisé à la torture, aux mauvais traitements et à l’usage excessif de la force de la part de la police, des forces armées et d’autres agents publics, en particulier au moment de l’arrestation et aux premiers stades de la détention. Il est également préoccupé par les informations reçues concernant le nombre limité d’enquêtes et de condamnations concernant des actes de torture. S’il note que la législation nationale interdit l’utilisation d’éléments de preuve obtenus par la torture ou la violation de droits fondamentaux, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles la torture est employée pour obtenir des aveux ou des informations, qui sont ensuite utilisés par les tribunaux comme des éléments de preuve, et par le fait que les tribunaux ne donnent pas suite à ce type d’allégations (art. 7 et 10).

31. L ’ État partie devrait mettre fin de toute urgence à la pratique de la torture et des mauvais traitements. Il devrait en particulier :

a) Assurer l ’ application effective, tant à l ’ échelle fédérale qu ’ au niveau des États, de la loi générale de 2017 relative à la prévention des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux enquêtes sur de tels actes et à la répression de tels actes ;

b) Veiller à ce que toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements donnent lieu sans délai à une enquête approfondie et efficace et, s ’ il y lieu, à ce que les auteurs soient jugés et condamnés à des peines proportionnées à la gravité des faits et à ce que les victimes aient accès à des recours utiles et bénéficient de mesures de réadaptation ;

c) Veiller à ce que la législation nationale soit appliquée de manière à ce que les aveux obtenus par la torture ne soient pas utilisés comme éléments de preuve ;

d) Adopter toutes les mesures nécessaires pour prévenir la torture et, en particulier, renforcer la formation dispensée aux juges, aux procureurs, aux médecins légistes et aux experts médico-légaux ainsi qu ’ aux membres de la Garde nationale, des forces armées et des autres forces de sécurité ;

e) Collecter des données précises sur les cas de torture et de mauvais traitements, les poursuites engagées, les condamnations prononcées et les peines imposées, et rendre ces informations publiques.

Migrants et demandeurs d’asile

32.En dépit des mesures adoptées par l’État partie, le Comité est préoccupé par les allégations récurrentes de violations à l’égard de migrants, surtout ceux qui sont en situation irrégulière, y compris des cas de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants, de disparitions forcées, d’extorsion, de traite, d’assassinat et d’autres infractions. Le Comité est préoccupé aussi par la récente politique migratoire appliquée dans l’État partie, qui se caractérise par un recours généralisé à la détention et, bien souvent, un recours à la force de la part des agents de l’État. Il est préoccupé en outre par le fait que la politique d’endiguement repousse les migrants vers des filières de migration plus dangereuses qui augmentent le risque qu’ils soient victimes d’infractions. Il s’inquiète également des Protocoles de protection des migrants mis en place en 2019, qui obligent les demandeurs d’asile aux États-Unis à rester sur le territoire mexicain pendant la durée de la procédure d’asile, ce qui a occasionné différentes violations, parmi lesquelles des cas d’enlèvement et d’extorsion. Le Comité est également alarmé par l’impunité et le manque d’accès à la justice que l’on constate dans l’État partie. Il est préoccupé, enfin, par certaines informations concernant la détention d’enfants et l’absence de protection et d’assistance suffisantes, en particulier à l’égard d’enfants migrants non accompagnés (art. 7, 9, 10, 12, 13, 14, 24 et 26).

33. L ’ État partie devrait :

a) Veiller à ce que toutes les allégations concernant des violations des droits de l ’ homme à l ’ égard de migrants, de réfugiés et de demandeurs d ’ asile donnent lieu à des enquêtes rapides, impartiales et approfondies et à ce que les auteurs soient poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, punis de peines appropriées ;

b) Éviter la détention administrative de demandeurs d ’ asile et de migrants, favoriser les mesures de substitution à la détention, en veillant à ce que la détention ne soit utilisée qu ’ en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible, s ’ abstenir de priver de liberté des enfants migrants ou demandeurs d ’ asile, et éviter de séparer des familles migrantes ;

c) Garantir protection et assistance, ainsi que l ’ accès aux services de base, aux migrants, aux réfugiés et aux demandeurs d ’ asile, en particulier aux enfants, dans des conditions appropriées ;

d) Redoubler d ’ efforts pour prévenir, combattre et sanctionner la traite des personnes, et veiller à ce que les mesures adoptées par l ’ État soient appliquées efficacement ;

e) Veiller à ce que les demandeurs d ’ asile aient accès à une aide judiciaire et droit à des procédures de recours ;

f) Veiller à ce que soient réalisés des programmes de formation sur le Pacte, les normes internationales relatives à l ’ asile et les droits de l ’ homme à l ’ intention du personnel des institutions migratoires et du personnel aux frontières.

Arraigo et détention provisoire officieuse

34.Bien que la délégation de l’État partie ait indiqué que l’arraigo a été retiré du cadre juridique, le Comité est préoccupé par le fait que cette mesure reste en vigueur étant donné que la réforme visant à son abrogation n’a pas été soumise à l’approbation du Sénat et des organes législatifs des États. Il est particulièrement préoccupé par la disposition pénale relative à la détention provisoire officieuse, qui ne répond pas aux critères prévus aux articles 9 et 14 du Pacte. Il regrette en particulier que cette disposition ait été étendue à d’autres infractions par la réforme constitutionnelle adoptée en avril 2019. Le Comité est préoccupé également par le nombre élevé de personnes placées en détention provisoire (art. 9 et 14).

35.L ’ État partie devrait se conformer à la recommandation antérieure du Comité et achever dès que possible le processus de réforme constitutionnelle visant à retirer l ’arraigo du cadre juridique de l ’ État partie (CCPR/C/MEX/CO/5, par. 15). Il devrait, de même, retirer la détention provisoire officieuse de la législation et y mettre fin en pratique. L ’ État partie devrait réduire sensiblement le recours à la détention provisoire et veiller à ce que la possibilité de recourir à des mesures de substitution à la privation de liberté soit envisagée, et faire en sorte que la détention provisoire soit le dernier recours et soit appliquée de façon exceptionnelle et raisonnable, lorsque cela est strictement nécessaire et pour la durée la plus brève possible, conformément à l ’ observation générale n o  35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne.

Conditions de détention

36.Le Comité note avec préoccupation que s’ils ont été réduits, les taux de surpopulation restent élevés dans le système pénitentiaire, ce qui a une incidence sur le manque de séparation entre détenus et condamnés et sur la précarité des conditions de vie. Le Comité note avec préoccupation que l’on a souvent recours à des transferts de détenus pour réduire la surpopulation et regrette que cette pratique porte souvent atteinte au droit de se défendre et limite les contacts des détenus avec leur famille. Le Comité prend note des explications fournies par l’État partie concernant l’existence d’un registre unique des détentions, mais il est préoccupé par les informations selon lesquelles ce système serait inefficace et ne contiendrait pas de renseignements complets et détaillés sur les personnes détenues. Le Comité note avec préoccupation que des enfants séjournent en prison avec leur mère pour des durées excessives et qu’il n’existe pas de règles précises en la matière (art. 6, 7, 9 et 10).

37. L ’ État partie devrait :

a) Appliquer effectivement des mesures visant à réduire la surpopulation carcérale, en particulier dans les États, notamment en favorisant des mesures de substitution à la détention, telles que la mise en liberté sous caution et l ’ assignation à domicile ;

b) Protéger le droit de toutes les personnes privées de liberté d ’ être traitées avec humanité et dignité et veiller à ce que les conditions de détention soient, dans tous les lieux de privation de liberté, conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et aux dispositions de la loi nationale sur l ’ application des peines ;

c) Prendre les mesures nécessaires afin de séparer les détenus en fonction de leur âge, de leur sexe et des motifs de leur détention, et de lutter contre l ’ autogestion dans les centres pénitentiaires ;

d) Adopter des règles claires concernant le séjour des enfants avec leur mère dans les centres de détention et veiller à ce que leurs conditions de vie soient appropriées à leur développement physique, psychologique, moral et social et à ce qu ’ ils soient protégés de la violence ;

e) Appliquer effectivement la loi nationale sur le registre des lieux de détention, en rendant celui-ci accessible aux personnes intéressées, y compris aux membres de la famille.

Juridiction militaire

38.Le Comité accueille avec satisfaction la réforme de 2014 du Code de justice militaire, qui prévoit que les atteintes commises contre des civils par des militaires doivent être jugées par la justice pénale ordinaire. Dans ce contexte, le Comité est préoccupé par des modifications ultérieures du Code de procédure pénale militaire et du Code de justice militaire qui accordent des compétences étendues aux procureurs et aux juges militaires pour perquisitionner les domiciles et les bâtiments publics et intervenir dans les télécommunications privées, sans décision préalable de la justice pénale ordinaire (art. 14 et 17).

39. L ’ État partie devrait modifier le Code de procédure pénale militaire et le Code de justice militaire afin que toute violation des droits de l ’ homme soit portée à la connaissance des tribunaux civils et qu ’ il n ’ y ait pas d ’ ingérence de la justice militaire dans les affaires dont les victimes sont des civils. Les victimes de violations des droits de l ’ homme perpétrées par des militaires devraient avoir accès à des recours utiles.

Indépendance du pouvoir judiciaire

40.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de tentatives fréquentes d’ingérence d’acteurs publics et privés dans le fonctionnement du système judiciaire et du ministère public. Il est préoccupé à cet égard par des initiatives qui compromettent l’irréductibilité des traitements des juges et magistrats. Il s’inquiète aussi d’initiatives de réforme qui, si elles étaient adoptées, porteraient atteinte à l’indépendance du système judiciaire et du ministère public, notamment en matière de désignation, de mutation, de promotion, de discipline et de révocation. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les juges et les magistrats seraient attaqués, en portant contre eux des accusations générales de corruption et en mettant leur nom sur la place publique, en leur imposant des mesures disciplinaires ou en les faisant muter d’office lorsqu’ils rendent des décisions contraires aux intérêts des autorités (art. 14 et 25).

41. L ’ État partie devrait prendre immédiatement des mesures pour protéger la pleine autonomie, l ’ indépendance, l ’ impartialité et la sécurité des juges, des magistrats et des procureurs ; veiller à ce qu ’ ils soient préservés de tout type de pression ou d ’ ingérence indue d ’ autres organes, notamment du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ; et veiller à ce que dans le cadre des procédures disciplinaires, toutes les garanties judiciaires et de procédure régulière soient respectées. L ’ État partie devrait veiller à ce que les initiatives législatives visant le pouvoir judiciaire soient amplement débattues avec les divers acteurs concernés, et garantissent l ’ indépendance et l ’ impartialité de la justice, et à ce que les organes de gestion du pouvoir judiciaire et du ministère public, qui sont chargés de la désignation, de la mutation, de la promotion, de la discipline et de la révocation des magistrats, soient composés principalement de juges et de procureurs élus par leurs pairs.

Liberté d’expression et d’association

42.Le Comité regrette le niveau élevé de violence, y compris de violence létale, et d’intimidation à l’égard des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes. Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption du Mécanisme de protection des défenseurs des droits de l’homme, mais note avec préoccupation : que les ressources allouées au Mécanisme et à ses unités de protection sont insuffisantes ; que l’État partie ne dispose pas d’une politique intégrée qui favorise l’application de mesures efficaces de protection et de prévention ; et que les mesures de protection adoptées ne prévoient pas d’orientation différenciée qui réponde aux préoccupations des femmes. Le Comité est préoccupé par la situation de grave impunité pour ce qui est des crimes visant des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes. À cet égard, il regrette qu’il n’existe pas actuellement d’unité spécialisée chargée de connaître des infractions contre les défenseurs des droits de l’homme et que le Bureau du Procureur spécial chargé des atteintes à la liberté d’expression ne soit pas parvenu à répondre efficacement aux graves violations des droits de l’homme qui ont été commises, qui n’ont donné lieu qu’à très peu de condamnations. Le Comité est également préoccupé par la persistance dans l’État partie, particulièrement au niveau des États, de dispositions qui criminalisent l’expression d’idées et d’opinions, et par le fait que ces dispositions aient été utilisées pour criminaliser le travail de journalistes, de personnes qui dénoncent la corruption et de défenseurs des droits de l’homme, particulièrement de défenseurs autochtones, de défenseurs de l’environnement et d’opposants à des projets économiques ou à des mégaprojets (art. 6, 7, 19, 21 et 22).

43. Le Comité invite instamment l ’ État partie :

a) À renforcer le Mécanisme de protection des défenseurs des droits de l ’ homme et des journalistes et les unités de protection qui en relèvent, en leur allouant les ressources financières et humaines dont ils ont besoin pour mener leur action, tenir compte des questions de genre dans leur travail, mener des interventions qui aient un effet sur les facteurs de risque structurels, d ’ une manière réactive aussi bien que préventive, et sensibiliser la population à la légitimité de leur action ;

b) À renforcer les institutions chargées de rendre et d ’ administrer la justice, ainsi que les organes administratifs de contrôle interne, pour faire en sorte que des enquêtes rapides, approfondies, indépendantes et impartiales soient menées systématiquement lorsque des attaques sont commises, que les auteurs soient traduits en justice et que les victimes bénéficient d ’ une réparation intégrale et d ’ une assistance appropriée ;

c) À veiller au respect des garanties d ’ une procédure régulière dans les affaires dans lesquelles des défenseurs et des journalistes sont mis en cause ;

d) À veiller à ce que toute limitation du droit à la liberté d ’ opinion et d ’ expression ou du droit de réunion ou d ’ association réponde pleinement aux exigences strictes énoncées au paragraphe 3 de l ’ article 19, à l ’ article 21 et au paragraphe 2 de l ’ article 22 du Pacte.

Droits des peuples autochtones

44.Le Comité note avec préoccupation que d’après un grand nombre d’informations, des permis de prospection et d’exploitation sur les territoires de peuples autochtones sont accordés dans le contexte de mégaprojets sans que les peuples concernés aient préalablement donné leur consentement libre et éclairé. Le Comité prend note des initiatives de réforme législative, y compris des réformes constitutionnelles, qui visent à garantir le droit de consultation, et regrette que des décisions de justice qui font une interprétation restrictive des principes de la consultation aient été rendues, et que des décisions de justice qui prescrivent de réaliser des consultations n’aient pas été respectées. Le Comité est également préoccupé par des informations selon lesquelles il est fait une interprétation restrictive de la notion de peuple autochtone afin de justifier l’absence de consultations (art. 2, 25, 26 et 27).

45. L ’ État partie devrait veiller à ce que les peuples autochtones participent effectivement à des consultations menées de bonne foi et qui visent à recueillir leur consentement préalable, libre et éclairé avant d ’ adopter et d ’ appliquer toute mesure qui aurait des effets sur leur mode de vie et leur culture. Il devrait faire en sorte que les peuples autochtones soient consultés avant l ’ adoption de tout instrument normatif ayant trait aux consultations. Il devrait également redoubler d ’ efforts pour garantir la promotion, la protection et la reconnaissance des droits des peuples autochtones, en particulier de leurs droits fonciers et de leurs droits liés aux territoires et aux ressources naturelles, tant sur le plan législatif que dans la pratique. Il devrait enfin veiller à ce que l ’ interprétation de la notion d ’ autochtone soit fondée sur le droit d ’ appartenir à une communauté ou à une nation autochtone et sur le droit de décider de sa propre identité ou appartenance.

D.Diffusion et suivi

46. L ’ État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, des deux Protocoles facultatifs s ’ y rapportant, de son sixième rapport périodique et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays ainsi qu ’ auprès du grand public, y compris des membres des communautés minoritaires et des peuples autochtones, pour faire mieux connaître les droits consacrés par le Pacte.

47. Conformément au paragraphe 5 de l ’ article 71 du R èglement intérieur du Comité, l ’ État partie est invité à faire parvenir, dans un délai de deux ans à compter de l ’ adoption des présentes observations finales, c ’ est-à-dire le 8 novembre 2021 au plus tard, des renseignements sur la suite qu ’ il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 19 (droit à la vie et à la sécurité de la personne), 23 (impunité) et 43 (liberté d ’ expression et d ’ association).

48. Conformément au calendrier prévu par le Comité pour la présentation des rapports, l ’ État partie recevra en 2025 la liste de points avant soumission du rapport et aura un an pour présenter ses réponses à la liste de points, qui constitueront son septième rapport périodique. Le Comité demande également à l ’ État partie, lorsqu ’ il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l ’ Assemblée générale, le rapport ne devra pas dépasser 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l ’ État partie se tiendra en 2027, à Genève.