Nations Unies

CAT/OP/GAB/1

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 juin 2015

Original: français

Français, anglais et espagnol seulement

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Rapport sur la visite au Gabon du Sous-Comité pour la Prévention de la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ******

Table des matières

Paragraphes Page

I.Introduction1−93

II.Accès et coopération10-144

III.Observations générales concernant la torture et les mauvais traitements154

IV.Mécanisme National de Prévention16-175

V.Problèmes Fondamentaux18-506

A.Cadre normatif et fondement des décisions sur les aveux en tant que moyens de preuve18-276

B.Cadre institutionnel et impunité28-327

C.Garanties juridiques fondamentales33-458

D.Education, formation et recrutement du personnel46-5011

VI.Situation des personnes privées de liberté51-10012

A.Postes de gendarmerie et de police51-5412

B.Etablissements pénitentiaires55-9413

C.Hôpital psychiatrique95-10019

VII.Répercussions de la visite et conclusion101-10520

Annexes

I.Lieux de privation de liberté visités par le SPT22

II.Lieux de privation de liberté visités par le SPT24

I.Introduction

1.Le Sous-comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après “SPT”) a effectué sa première visite régulière au Gabon du 3 au 12 décembre 2013, en vertu des dispositions du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après “Protocole facultatif”).

2.La délégation était composée des membres suivants du SPT : M. Emilio Gines (chef de la délégation), M. Hans-Jörg Viktor Bannwart, Mme Suzanne Jabbour et M. Fortuné Gaetan Zongo.

3.Les membres du SPT ont bénéficié de l’assistance de cinq membres du personnel du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), dont un agent de sécurité.

4.Le SPT a effectué des visites dans vingt-sept lieux de privation de liberté, dont des commissariats de police, des gendarmeries, des établissements pénitentiaires, une institution psychiatrique, et des centres de rétention dans les villes de Libreville, Port-Gentil et Lambaréné, situées dans les provinces de l’Estuaire, du Moyen-Ogooué et de l’Ogooué Maritime. Il s’est, en outre, entretenu avec les autorités compétentes du Gabon, la Commission nationale des droits de l’homme ainsi qu’avec des membres de la société civile et des représentants d’organismes des Nations Unies. Il tient à les remercier pour les informations précieuses qu’ils lui ont communiquées.

5.La visite, limitée en durée et en portée, n’a pu couvrir tous les lieux de privation de liberté au Gabon. Elle a, néanmoins, permis au SPT d’avoir une représentation de la réalité existante dans le pays, lui permettant, par conséquent, d’affirmer que la situation des personnes privées de liberté est extrêmement préoccupante.

6.A l'issue de la visite, le SPT a, en date du 12 décembre, présenté oralement aux autorités gabonaises ses observations préliminaires et confidentielles. Dans le présent rapport, le SPT expose ses conclusions et recommandations concernant la prévention de la torture et des mauvais traitements à l’encontre des personnes privées de liberté dans l’Etat partie. L’expression « mauvais traitements » est utilisée au sens générique et vise toutes les formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

7. Le SPT demande aux autorités gabonaises de lui rendre pleinement compte, dans les six mois qui suivront la transmission du présent rapport, des mesures qui auront été prises pour donner suite aux recommandations formulées.

8.Le rapport du SPT demeurera confidentiel jusqu’à ce que les autorités gabonaises décident de le rendre public, en conformité avec l’article 16(2) du Protocole facultatif. Le SPT tient à appeler l’attention de l’Etat partie sur la possibilité de solliciter un financement du Fonds spécial établi conformément à l’article 26 du Protocole facultatif, pour des projets spécifiques visant à mettre en œuvre les recommandations contenues dans le présent rapport, à la condition que ce dernier ait été rendu public.

9. Le SPT recommande au Gabon d ’envisager la publication du présent rapport conformément au paragraphe 2 de l’article 16 du Protocole facultatif.

II.Accès et coopération

10.Le SPT tient à remercier les autorités gabonaises de leur coopération et de leur contribution au bon déroulement de sa visite. Il tient, tout spécialement, à remercier le Gouvernement gabonais de lui avoir accordé l’accès sans restriction aux lieux de détention conformément au Protocole et pour avoir désigné Mme Edna Paola Biyogou, épouse Minko, Directrice de la promotion des Droits de l’Homme au Ministère de la Justice et des Droits Humains, comme son interlocutrice pour la durée de la visite.

11.Le SPT note, néanmoins, que les informations et documents qu’il avait requis préalablement à la visite n’ont été fournis que très tardivement, notamment lors de la réunion qui s’est tenue à Libreville, le 3 décembre 2013. Le SPT regrette que la soumission tardive et parfois lacunaire d’informations essentielles n’ait pas permis au SPT de préparer sa visite de manière totalement satisfaisante.

12.Les autorités ont permis au SPT d’accéder à tous les lieux visités. Toutefois, dans de nombreux commissariats et gendarmeries, le SPT a dû attendre avant que les responsables du lieu confirment l’autorisation donnée par leurs supérieurs. En outre, dans plusieurs cas, il lui a été difficile d’obtenir l’accès à des lieux fermés à clef comme certaines salles ou bureaux, en particulier les endroits où se déroulent généralement les interrogatoires et où sont entreposés les registres. A trois reprises, le SPT a été confronté à des obstructions dans l’exercice de son mandat. Lors de la visite au Commissariat Central de Port-Gentil le 6 décembre, les autorités en charge ont tenté de cacher la réalité des lieux puis d’empêcher les membres du SPT de rencontrer les personnes détenues et de s’entretenir avec elles. Ce n’est qu’après beaucoup d’insistance que la Commandante a satisfait à la requête du SPT, non sans réticence et craintes de représailles. A la base navale de Port-Gentil, le SPT s’est également vu refusé l’accès aux cellules disciplinaire et au registre par l’officier de garde. A Libreville, alors que le SPT faisait le tour des lieux lors de sa visite des Bureaux de la police judiciaire (PJ), douze des dix-huit détenus ont été déplacés hors des locaux afin que le SPT ne puisse s’entretenir avec eux, contrairement à ce qui avait été convenu avec le responsable de la PJ qui n’a par ailleurs pas été en mesure de donner des explications convaincantes quant à ces transferts. De tels comportements sont graves et contraires aux obligations prévues par le Protocole facultatif.

13.Le SPT note avec satisfaction le dialogue franc et constructif engagé avec les autorités lors du compte rendu de la mission et prend acte de l’engagement au plus haut niveau des pouvoirs publics et du ferme appui politique pour remédier aux carences constatées.

14. Le SPT encourage vivement les autorités gabonaises à renforcer leur coopération avec le SPT afin que ce dernier puisse remplir son mandat dans le cadre des obligations internationales souscrites par le Gabon.

III. Observations générales concernant la torture et les mauvais traitements

15.Le SPT constate qu’en dépit de quelques mesures, la torture et les mauvais traitements demeurent répandus, favorisés principalement par un certain nombre de problèmes structurels et systémiques préoccupants, liés:

Au faible respect des garanties édictées par la Constitution, les traités internationaux, les lois et règlements applicables au Gabon ;

Au maintien et à la survivance du système de preuve basé sur l’aveu strictement appliqué par la PJ et le système judiciaire ;

A des services de maintien de l’ordre et des organes judiciaires qui fondent leurs décisions sur les aveux, et l’absence de contrôle effectif des activités répressives de la part des parquets et des tribunaux ;

A l’absence ou la faiblesse des ressources mises à la disposition de la police technique et scientifique concernant l’usage de la criminalistique visant à administrer la preuve dans le procès pénal et limiter le recours aux aveux ;

A l’absence d’accès à des examens médicaux indépendants et qualifiés et l’accès insuffisant des détenus à des soins médicaux appropriés ;

A l’impunité et l’absence générale de responsabilisation des fonctionnaires de police et de gendarmerie ;

A une indifférence généralisée à l’égard des personnes privées de leur liberté et une certaine résignation des victimes et du public en général;

A l’impassibilité et le consentement passif des pouvoirs publics vis-à-vis des abus entre codétenus induits par le système d’autogestion observé dans les trois établissements pénitentiaires visités ;

Aux mauvaises conditions matérielles et financières inhérentes aux lieux de privation de liberté qui entraînent généralement des mauvais traitements (et sont même, dans certains cas, constitutifs de torture).

IV.Mécanisme National de Prévention

16.Le Gabon a adhéré au protocole facultatif le 22 septembre 2010. En vertu de l’article 7 du protocole, l’Etat gabonais disposait d’un délai d’une année, soit au plus tard le 22 septembre 2011, pour mettre en place un mécanisme national de prévention (MNP). Le SPT a constaté lors de sa visite que le mécanisme n’avait toujours pas été mis en place, soit un retard de plus de deux ans.

17. Le SPT recommande à l’ Etat partie de désigner et mettre en place un MNP dans les meilleurs délais. Dans ce cadre, les autorités devraient prendre toutes les mesures nécessaires afin que le MNP soit pleinement conforme aux Principes de Paris, tel que stipulé par le Protocole facultatif , et aux directives du SPT concernant les MNP, en lui allouant notamment un budget adéquat , en garantissant l’indépendance de ses membres. Il rappelle également que la sélection et la nomination des membres du MNP devraient faire l’objet d’un processus ouvert, inclusif et transparent et que ces derniers devraient posséder collectivement les compétences et les connaissances requises pour permettre au MNP de fonctionner efficacement.

V.Problèmes Fondamentaux

A.Cadre normatif et fondement des décisions sur les aveux en tant que moyens de preuve

18.Le SPT note que le Gabon dispose d’un cadre normatif qui permet de manière générale de lutter contre la torture et autres peines traitements inhumains ou dégradants même si celui-ci présente quelques insuffisances. Le SPT observe que le Gabon a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (ci-après “Convention”), le 8 septembre 2000. Il n’a cependant accepté aucune des procédures de plainte ou d’enquêtes prévues par cette Convention. Le SPT observe aussi que le Gabon a présenté son rapport initial au Comité contre la torture, le 26 octobre 2011, avec un retard de 10 ans. Le Comité l’a examiné en date des 8 et 9 novembre 2012 et formulé ses recommandations.

19.Le SPT note que la Constitution du Gabon prévoit l’interdiction de la torture et des mauvais traitements en son article 1, alinéa 1, qui dispose que « Nul ne peut être humilié, maltraité ou torturé, même lorsqu’il est en état d’arrestation ou d’emprisonnement ».

20.Le SPT note que le Gabon a adopté un nouveau Code pénal en 2011 dans le but de renforcer l’appareil judiciaire ainsi que les droits de la défense. Ainsi, le Code pénal se réfère à la torture (article 253) et prévoit la punition des auteurs de tels actes (article 228). Le SPT est préoccupé néanmoins, que le Code pénal ne donne pas une définition de la torture, ce qui permettrait de pouvoir qualifier la torture dans ses éléments constitutifs et faciliter la poursuite des actes de torture par les tribunaux. De même, les dispositions du Code pénal relatives à la non justification d’un acte de torture donné par un supérieur ou une autorité publique ont été jugés non conformes à la Convention, par le Comité contre la torture. Le SPT note aussi l’adoption par le Gabon d’un nouveau Code de procédure pénale par la Loi no. 036/2010 du 25 novembre 2010, qui prévoit un certain nombre de garanties juridiques fondamentales pour les personnes arrêtées et détenues notamment aux articles 50-54.

21.Quant à l’administration de la preuve, les dispositions des articles 313 à 315 prévoient que tout mode de preuve, y compris l’aveu, peut être présenté au tribunal mais laissé à son appréciation. Les procès-verbaux ou rapports n’ont de valeur probante que s’ils sont réguliers dans la forme. En revanche, les procès-verbaux et rapports des officiers et agents de police judiciaire font foi jusqu’à preuve contraire fournie par écrit. Néanmoins, comme le SPT l’explique plus loin, il a constaté que ces dispositions ne sont pas toujours appliquées par les autorités judiciaires et de police. De plus, les règles relatives à l’administration de la preuve ne sont pas suffisamment claires pour laisser penser que les aveux obtenus sous la torture ne sont pas admis par les tribunaux.

22.Le SPT est préoccupé par les informations recueillies au cours de sa visite qui laisseraient penser qu’un certain nombre de condamnations sont fondées sur des aveux, y compris ceux obtenus sous la torture. Il est également inquiet des informations recueillies à la prison de Lambaréné, selon lesquelles, le Procureur aurait frappé d’interdiction de communiquer avec leurs familles, pour une durée de 10 mois, plusieurs détenus ayant refusé de faire des aveux afin « de les affaiblir jusqu’à ce qu’ils craquent ». Il est par ailleurs inquiet des informations recueillies lors d’entretiens dans les locaux de la PJ de Libreville, selon lesquelles, des personnes gardées à vue auraient été contraintes de signer des procès-verbaux d’audition sans avoir pu les lire sous la menace de la torture.

23.Le SPT note que le recours important aux aveux est exacerbé parle manque d’équipements techniques et scientifiques, notamment en matière de criminalistique. Le SPT considère qu’une enquête pénale axée sur des éléments objectifs de preuve et non sur l’aveu est une des garanties fondamentales puisque cela réduit considérablement le risque que des personnes en garde à vue subissent de mauvais traitements.

24.Le SPT a été informé que l’organisation des services pénitentiaires et le régime pénitentiaire sont régis par la Loi No. 55/59 du 15 décembre 1959 et par le Décret No. 1002/PR/MISPD, portant organisation du port autonome de la sécurité pénitentiaire. Le SPT s’inquiète qu’une législation datant de 1959 continue de s’appliquer et n’ait pas été adaptée. Le SPT a été informé qu’un nouveau texte est en préparation et contient des dispositions sur les droits des détenus.

25.Le SPT rappelle que la torture et les mauvais traitements ne peuvent se justifier en aucune circonstance et doivent être totalement interdits. En ce sens, le SPT recommande aux autorités gabonaises de réviser le Code pénal afin d’y inclure une disposition qui définit la torture dans tous ses éléments et qui incrimine tous ses aspects, en conformité avec l’article 1 de la Convention.

26. Le SPT recommande qu’il ne soit exercé aucune pression pour obtenir l’aveu d’une personne privée de liberté. Il recommande également de mieux former la police aux méthodes d’investigation et de donner les moyens aux services de police technique et scientifique de réaliser des examens et des analyses d’ordre scientifique, notamment en laboratoire, aux fins de constatation des infractions pénales et d’identification de leurs auteurs.

27. L’ Etat partie devrait s’assurer que des aveux ne soient obtenus illégalement, notamment par le biais de la torture ou toute autre forme de traitements inhumains ou dégradants. Le SPT recommande également que l’on veille à ce que les détenus puissent connaître et comprendre le contenu de toute déclaration ou de tout procès-verbal avant signature, par exemple en leur en remettant un exemplaire à lire ou en leur en donnant lecture. Le SPT recommande , en outre, aux autorités d’amender le Code de procédure pénale afin d’y expliciter que les aveux obtenus illégalement, notamment sous la torture, ne peuvent avoir de valeur probante devant les tribunaux. Le SPT recommande enfin que toutes les mesures nécessaires soient prises pour s’assurer que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture.

B.Cadre institutionnel et impunité

28.Le SPT note que le Gabon dispose d’un Ministère de la Justice qui doit veiller au bon fonctionnement des institutions judiciaires et l’administration pénitentiaire. Le Comité note également que le Ministère de la justice a un département chargé de la promotion et de la protection des droits de l’homme. L’ordre judiciaire en matière pénale est essentiellement composé des tribunaux correctionnels, de la chambre correctionnelle de la Cour d’Appel, des juridictions pénales d’exception et de la Cour criminelle.

29.Le SPT relève qu’une Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a été créée par la Loi 19/2005 du 3 janvier 2006. Elle a pour compétence d’examiner des violations des droits de l’homme de sa propre initiative et de recevoir les plaintes individuelles. Cependant, le SPT observe que la CNDH n’a été mise en place qu’en février 2012 par le décret nommant ses membres. Le SPT note que la CNDH a procédé à un certain nombre de visites de lieux de privation de liberté. A cet égard, le SPT regrette la lenteur dans l’établissement de la CNDH qui n’était pas encore pleinement opérationnelle au moment de la visite, notamment en raison de l’absence de locaux aménagés et du manque de ressources financières et humaines à sa disposition.

30.Le SPT a été informé de l’adoption par le Gabon de la Loi 39/2010 du 25 novembre 2010 portant régime judiciaire de protection des mineurs qui prévoit des dispositions et des organes autonomes concourant à l’administration de la justice pénale des mineurs et des mesures de protection qui favorisent la réhabilitation et la réinsertion sociale. Le SPT a été également informé du nombre insuffisant de juges spécialisés pour mineurs dans tout le pays et que les mineurs en conflit avec la loi sont renvoyés vers leurs familles ou vers les centres d’accueil des ONGs. Le SPT est, par conséquent, préoccupé par l’absence de structures étatiques pour les mineurs en conflit avec la loi (voir aussi paragraphes 85-86).

31.Le SPT observe qu’il existe des mécanismes de recours judiciaires concourant à lutter contre l’impunité, notamment la saisine des tribunaux. Il note, cependant, que ces mécanismes ne sont pas très efficaces et que les personnes ne sont pas informées de la possibilité de déposer plainte lorsqu’elles sont victimes de mauvais traitements. Dans les prisons, le SPT a été informé de l’existence de mécanismes de plaintes mais dont le fonctionnement est, dans la réalité, défaillant et inefficace. Bien qu’il ait été informé par les autorités de l’existence de sanctions judiciaires ou disciplinaires pour mauvais traitements, la consultation des registres ainsi que les entretiens menés par le SPT n’ont pas permis de confirmer l’existence de plaintes ou même de sanctions infligées aux agents fautifs. Pis, le SPT est préoccupé par le climat général d’impunité qui semble régner dans les lieux de privation de liberté. Ce climat est de nature à faciliter voire à encourager la pratique de mauvais traitements.

32. Le SPT recommande aux autorités du Gabon de rendre pleinement opérationnelle la CNDH en allouant les ressources nécessaires à son fonctionnement et d’assurer sa pleine conformité avec les Principes de Paris. Le SPT recommande également aux autorités du Gabon de poursuivre la formation des juges pour mineurs et d’en recruter en nombre suffisant afin d’en doter toutes les juridictions pénales. Il recommande , en outre, que le Gabon mette en place, dans les meilleurs délais, des structures d’accueil pour mineurs en conflit avec la loi et évite les mesures de détention. Le SPT trouve que le climat d’impunité est inadmissible et recommande, en urgence, aux autorités d’améliorer les mécanismes permettant les plaintes contre les mauvais traitements, d’en faire une large sensibilisation, de faciliter de telles plaintes et de prendre des mesures énergiques afin que les actes de torture par les fonctionnaires de police et de gendarmerie ou autres agents responsables soient poursuivis et sanctionnés.

C.Garanties juridiques fondamentales

33.Le SPT prend note de ce que la législation de l’Etat partie, bien qu’elle ne soit pas en pleine conformité avec la Convention, prévoit tout de même le respect des garanties juridiques fondamentales pour les personnes privées de liberté.

Le droit à être informé de ses droits et des motifs de son arrestation

34.La Loi no. 036/2010 du 25 novembre 2010, portant Code de procédure pénale du Gabon prévoit à son article 51, que toute personne placée en garde à vue soit immédiatement informée de ses droits par l’Officier de police judiciaire ou sous son contrôle, qu’il en soit fait mention dans le procès-verbal qui doit par ailleurs être émargé par la personne gardée à vue. Cependant, le SPT est préoccupé par le fait que des entretiens avec un grand nombre de personnes en garde à vue font ressortir de manière concordante que tant lors de l’arrestation, du placement en garde-à-vue que de lors de l’audition par l’officier de police judiciaire ou sous son contrôle, ces personnes n’ont pas été dûment informées de leurs droits.

35. L’ Etat partie devrait s’assurer que des instructions soient données à tous les officiers en charge de l’arrestation de personnes et de leur placement en garde à vue afin que soit mis en œuvre de manière effective et systématique le droit des personnes privées de leur liberté à être informées oralement et par écrit de leurs droits, dans un langage qu’elles comprennent, et cela dès le début de leur détention. De telles procédures doivent être dûment enregistrées. Des informations à ce sujet devraient par ailleurs être portées à la connaissance de tous dans tous les lieux de détention au moyen de pancartes ou d’affiches posées là où les détenus peuvent les voir.

Le droit d’informer une tierce personne de sa détention

36.Le Code de procédure pénale prévoit à son article 52, que tout gardé à vue a le droit d’informer, par tout moyen, une personne de sa famille, de son entourage ou son employeur de la mesure dont elle fait l’objet. Le SPT a pu constater que ce droit était appliqué de manière variable selon les commissariats de police ou les gendarmeries. Néanmoins, la plupart des personnes en garde à vue interrogées ont pu attester que leur famille ou un membre de leur entourage était informée de leur détention. Cette information était favorisée par la proximité sociale et ne résultait pas nécessairement de l’application de la loi par l’officier de police judiciaire. Dans de rares cas, il a été refusé aux personnes de prévenir leur famille ou leur entourage. Le SPT note par ailleurs que de nombreux détenus étrangers, par exemple à la gendarmerie de Bifoun, et à la PJ de Libreville, ne savaient pas si les mesures nécessaires pour informer leurs consulats avaient été prises.

37. Le SPT recommande que les autorités prennent les mesures nécessaires pour s’assurer que toute personne gardée à vue puisse effectivement informer ses proches et, pour les étrangers, un représentant de l’ Etat dont elle a la nationalité , de sa mise en détention et que cette information soit dûment inscrite dans le registre de garde à vue ainsi que dans le procès-verbal , en conformité avec le Code de procédure pénale. Les officiers de police judiciaire devraient par ailleurs s’assurer que les détenus sont dûment informés des démarches qui ont été entreprises pour leur compte.

Le droit d’accès à un avocat et le système d’aide judiciaire

38.L’officier de police judiciaire doit informer le gardé à vue de ce droit. Les entretiens menés par le SPT montrent que les personnes gardées à vue ne sont presque jamais informées de leur droit de s’entretenir avec un avocat ou de la possibilité de demander qu’il leur en soit commis d’office conformément à l’article 54 du Code de procédure pénale et, lorsqu’ils en font la demande, ce droit leur est parfois refusé ou leur est accordé tardivement. Ce droit n’est donc pas appliqué dans les faits de manière systématique. Les entretiens menés par le SPT amènent à observer que l’accès à un avocat est plus usuel au niveau des audiences criminelles. En outre, le SPT a pu constater la pénurie d’avocats dans les petites villes, notamment Lambaréné, ce qui rend leur accès difficile à la grande majorité des détenus vu les coûts que cela peut engendrer.

39. Le SPT recommande que les autorités garantissent l’accès à un avocat à toute personne dès s on placement en garde à vue et pendant toute la durée de la procédure judiciaire, notamment par la mise en œuvre d’un mécanisme d’assistance judiciaire gratuite effectif. Les autorités devraient envisager des mesures pour accroitre le nombre d’avocats formés dans le pays chaque année et pour les inciter à s’installer dans les différentes régions du pays et allouer un budget adéquat pour le système d’aide judiciaire gratuite.

Le droit à un examen médical

40.Le droit à un examen médical est prévu dans le Code de procédure pénale à son article 53, qui dispose que toute personne gardée à vue doit être examinée à sa demande ou à celle de sa famille ou de son entourage, par un médecin désigné par le Procureur de la République ou par l’Officier de police judiciaire. Le SPT a constaté que l’accès à un examen médical à la demande des gardés à vue n’était pas systématique et que les registres médicaux faisaient défaut dans les commissariats et les postes de gendarmerie. Le SPT veut faire observer l’importance d’un examen médical du fait qu’il constitue également une garantie contre l’impunité.

41. Le SPT recommande que soit pratiqué un examen médical de toute personne arrêtée le plus tôt possible après s on placement en garde à vue, notamment lorsqu’elle présente des problèmes de santé liés, ou non, à son arrestation. De tels examens médicaux doivent être gratuits et menés conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul).

La durée de la garde à vue

42.Le SPT note qu’en vertu de l’article 50 du Code de procédure pénale, la durée de la garde à vue est de 48 heures. Celle-ci peut être prolongée de 48 heures avec l’autorisation écrite du Procureur de la République. Les entretiens lors de la visite ont fait ressortir le dépassement régulier des délais de garde à vue. Le SPT n’a pas trouvé dans les registres ou autres documents, des autorisations délivrées par le Procureur aux fins de prorogation de la garde à vue et a été informé que celles-ci se faisaient le plus souvent oralement.

43. Le SPT recommande aux autorités gabonaises de renforcer les contrôles afin d’assurer le strict respect de cette règle édictée par le Code de procédure pénale et constitutive d’une garantie au profit des personnes privées de liberté. Un registre coté , parafé et harmonisé devrait être mis en place pour le contrôle de l’effectivité de la garde à vue. .

Le recours à la détention préventive

44.Le SPT note que la détention préventive est régie par les articles 115 à 122 du Code de procédure pénale. L’article 117 prescrit que la durée de la détention préventive en matière correctionnelle ne peut excéder six mois. Elle peut être prolongée de six mois sur réquisitions du Procureur de la République. Une nouvelle prolongation est possible par arrêt motivé de la Chambre d’accusation. En matière criminelle, la durée de la détention préventive ne peut excéder un an. Elle peut être prolongée de six mois sur réquisitions du Procureur de la République. Une nouvelle prolongation ne peut être obtenue que sur arrêt de la Chambre d’accusation et ne peut aller au-delà de six mois. Cependant, le SPT note avec préoccupation que le nombre de prévenus est très élevé dans les prisons du Gabon et qu’aucune mesurealternative à la privation de liberté n’est appliquée. Ainsi, il constateavec préoccupation que la prison de Libreville accueillait 1656 détenus en date du 5 décembre 2013, dont 1168 prévenus pour 485 condamnés. Le SPT a pu également constater que la prison de Lambaréné accueillait 150 prévenus pour 76 condamnés et que celle de Port-Gentil contenait 2/3 de prévenus. Pis, lors des entretiens que le SPT a eus, il a pu noter que certains prévenus étaient en détention depuis plusieurs années. Il a constaté que cette situation était aussi due à l’engorgement des tribunaux et à la détention systématique de personnes pour des délits très mineurs. En outre, le SPT est préoccupé par le fait que les mesures de libération provisoire sont peu utilisées et que les personnes ne soient pas non plus libérées d’office lorsque le juge d’instruction et la Chambre d’accusation n’ont pas statué avant l’expiration de la durée de la détention préventive. Le SPT craint que le recours à la détention préventive ne soit une pratique systématique.

45. Le SPT rappelle que la détention doit être une mesure exceptionnelle, la liberté devant rester le principe et la détention l’exception. Le recours à la détention préventive doit être utilisé en dernier ressort, uniquement pour les crimes et les délits les plus graves lorsqu’il existe des motifs suffisants (sécurité, collusion, risque de fuite, altération des moyens de preuves, etc.). Dans tous les autres cas, le SPT recommande à l’ Etat gabonais de recourir à des mesures alternatives à la privation de liberté, ceci en accord avec les Règles minima des Nations Unies pour l'élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et en application du Code de procédure pénale gabonais. Le SPT recommande également à l’ Etat gabonais de prendre des mesures afin de désengorger les tribunaux.

D.Education, formation et recrutement du personnel

46.Dans les établissements pénitentiaires, le SPT a constaté l’insuffisance chronique de personnel (par exemple la prison centrale de Port-Gentil comptait deux tournus de 4 agents pour 373 détenus) et le manque de formation de ce dernier. Le SPT a aussi noté qu’il n’existe pas de niveau d’éducation minimum requis pour le recrutement du personnel pénitentiaire. Ainsi, selon les témoignages recueillis,  le personnel pénitentiaire n’a pas un niveau d’éducation suffisant, sa formation est inadéquate et il n’est pas à la hauteur de la tâche, ce qui entraîne des dérapages.  

47.Dans les commissariats et gendarmeries, le SPT prend note d’initiatives récentes visant à sensibiliser le personnel sur l’interdiction de la torture notamment la pose d’affiches y relatives dans les commissariats. Il note néanmoins l’insuffisance de ces actions et la pauvreté de la formation en matière de droits de l’homme dont bénéficie le personnel tant durant les études que par le biais de formations continues.

48. Le SPT souligne l’importance de la formation du personnel chargé de l'application des lois, principalement de ce lui qui intervient dans la garde, l'interrogatoire ou le traitement de détenus. Il rappelle que, selon les articles 10 et 11 de la Convention contre la torture, l’ Etat partie a l’obligation de veiller à ce que l'enseignement et l'information concernant l'interdiction de la torture et des mauvais traitement fassent partie intégrante de la formation du personnel et qu’il doit surveiller que les instructions et pratiques d'interrogatoire ainsi que les dispositions concernant la garde des personnes détenues respectent la Convention. Le SPT demande par ailleurs aux autorités de former les officiers de police judiciaire sur les techniques d’interrogatoire de mineurs auteurs ou victimes d’infractions.

49. Le SPT recommande aux autorités d’intégrer les droits de l’homme dans le programme d’études des agents des forces de l’ordre et du personnel pénitentiaire, et de former les juges, les procureurs et les avocats aux droits de l’homme dans l’administration de la justice.

50. Le SPT encourage les autorités de réviser les critères de recrutement du personnel pénitentiaire en établissant un niveau d’éducation minimum et de recruter davantage de fonctionnaires pénitentiaires et de police de sexe féminin.

VI.Situation des personnes privées de liberté

A.Postes de gendarmerie et de police

i.Torture et mauvais traitement

51.Le SPT relève avec vives préoccupations que le recours à la torture et aux mauvais traitements des personnes gardées à vue est fréquent dans les commissariats de police et les gendarmeries et quasiment systématique dans les locaux des PJ visités. Les détenus en garde à vue sont torturés de façon routinière, sans objectif spécifique et cela avant qu’ils soient présentés à une autorité judiciaire. Au cours de sa visite, le SPT a entendu de nombreuses allégations et témoignages concordants sur les méthodes employés parmi lesquels « le pont », méthode par laquelle la victime est suspendue par une barre de fer placée entre deux chaises et reçoit des coups sous la plante des pieds et les jambes à l’aide de machettes, barres de fer, câbles électriques ou tuyaux plastiques, soumis à des décharges électriques dans la bouche ou dans l’anus, ou subissent même parfois des viols. Dans les locaux de la PJ de Libreville, des témoins ont fait état de tabassages quotidiens et quasiment systématique et de violences sexuelles. Le SPT a pu y attester des tortures subies par des personnes en garde à vue, y compris des femmes. Au Commissariat Central de Libreville, le SPT a interviewé plusieurs prévenus qui montraient des signes visibles de sévices, notamment un mineur âgé de 12 ans, qui n’avait pas bénéficié de soins au moment de la visite. L’absence de mise en œuvre des garanties fondamentales décrites aux paragraphes 33-44 ci-dessus ne fait que faciliter une telle pratique.

ii.Conditions matérielles et sanitaires

52.Lors de sa visite, le SPT a constaté que des personnes privées de liberté étaient détenues dans des conditions inhumaines et dégradantes. Le SPT est alarmé par les conditions sanitaires épouvantables de la plupart des cellules de garde à vue visitées. Il a pu constater l’absence quasi systématique de toilettes – les gardés à vue devant ainsi uriner dans des bouteilles et déféquer dans des sacs plastiques à la vue de tous-, de douches, le manque de lumière et d’aération. D’une manière générale, il n’y a ni matelas ni nattes et les gardés à vue dorment à même le sol. Le SPT a aussi constaté que les hommes, les femmes et les mineurs partagent souvent une même cellule. Le SPT a été particulièrement choqué par les conditions matérielles de détention du Commissariat Central de police de Port-Gentil qui sont, selon lui, effroyables. Les gardés à vue sont, en effet, détenus dans une cellule sans lumière naturelle et quasiment dépourvue d’aération dont une partie sert de déchetterie et zone où les gardés à vue se « soulagent ». C’est dans cette partie, infestée par les rats, les cafards et les blattes, que les familles jettent la nourriture qu’elles apportent aux gardés à vue, depuis le trou d’aération situé à plus de deux mètres de hauteur.

53.La plupart des commissariats et gendarmeries visités n’avaient pas de budget pour fournir de la nourriture aux gardés à vue, si bien que ces derniers comptaient sur les familles pour pourvoir à leurs besoins. Dans certains cas, le SPT a été informé que des responsables payaient, de leurs propres deniers, de la nourriture et de l’eau pour les gardés à vue ne pouvant pas compter sur leur famille. Il arrive, par conséquent, que des détenus restent sans alimentation et avec une quantité très limitée d’eau pendant plusieurs jours.

54. Le SPT rappelle à l’ Etat gabonais qu’à chaque fois qu’il prive une personne de sa liberté il en devient responsable et il lui incombe de lui assurer des conditions dignes de détention. Le SPT recommande à l’ Etat gabonais de prendre des mesures urgentes afin d’assurer des conditions de vie dans les cellules de garde à vue dignes et acceptables, notamment en y assurant le nettoyage et l’aération, et en fournissant une alimentation en nourriture et en eau à toute personne gardée à vue . Par ailleurs, l’ Etat partie doit assurer la séparation des gardés à vue, en particulier les femmes et les mineurs, afin d’assurer leur protection notamment contre les violences physiques et sexuelles. Le SPT recommande à l’État partie d’élaborer un programme de réhabilitation des cellules en conformité avec les normes internationales.

B.Etablissements pénitentiaires

i.Torture et mauvais traitement

55.Le SPT a pu constater les répercussions positives de l’engagement pris par les autorités pour mettre un terme aux actes de torture et mauvais traitements dans les établissements pénitentiaires, notamment au travers de la nomination récente de nouveaux Directeurs ayant reçu des instructions claires et précises, à cet égard. Les Directeurs des trois établissements visités ont tous exprimé leur volonté de marquer un changement significatif dans la manière dont les détenus sont perçus et traités et dans la gestion de la discipline au sein de la prison. Le SPT a pu constater l’impact positif de l’engagement personnel et des initiatives individuelles prises par les Directeurs des établissements pénitentiaires visités, constat qui a d’ailleurs été étayé par des témoignages de détenus et du personnel.

56.D’une manière générale, la délégation a entendu relativement peu d’allégations de mauvais traitements infligés à des détenus par le personnel pénitentiaire. Il a néanmoins entendu des témoignages concordants sur la pratique au sein de la prison centrale de Libreville, qui consisterait à « passer à tabac » les nouveaux arrivants, femmes et enfants inclus, et sur la possibilité d’y échapper contre une somme d’argent (voir aussi paragraphe 79) . Des ex-détenus ont par ailleurs rapporté que les mineurs étaient ensuite présentés devant des « anciens » pour être violés. Plusieurs allégations ont également fait état de mesures disciplinaires prenant la forme de tabassages sévères avec des fouets, ceintures, cannes, bâtons, etc. ou, pour les femmes, de rasage du crâne.

57.Dans le contexte du système d’autogestion observé dans les prisons de Libreville et Port-Gentil, la délégation a entendu plusieurs allégations faisant état de violences entre détenus. Il relève notamment que les mesures disciplinaires précitées sont souvent choisies par les chefs de cellules et de quartiers et infligées par d’autres détenus. Le SPT est alarmé par les informations selon lesquelles des personnes vulnérables ou ne bénéficiant pas de l’appui de leur famille, en particulier les mineurs et les étrangers, seraient obligées de se prostituer pour subvenir à leurs besoins. En octobre 2012, le décès d’un jeune détenu de vingt ans des suites d’une sodomisation intensive relevé par les médias avait suscité une vive polémique.

58.Lorsque l’État prive une personne de sa liberté, il devient responsable de sa sécurité. Il a notamment pour obligation de la protéger de ses codétenus et de sanctionner les auteurs de violence qui agissent avec leur consentement tacite ou exprès. Le non-respect de cette obligation est un manquement au devoir de protection.

59. Le SPT recommande à l’ Etat partie de prendre toutes les mesures afin de faire cesser tous les mauvais traitements et actes de torture envers les détenus, notamment en condamnant fermement tous ces actes et en établissant un cadre juridique répondant aux obligations internationales de l’ Etat .

60. Le SPT recommande à l’État partie de mettre en place un système d’examen indépendant dans le cadre duquel des médecins légistes et des psychologues qualifiés procéderont à des investigations approfondies chaque fois qu’il y a des raisons de croire qu’un détenu a été soumis à la torture et à des mauvais traitements. Les résultats d’un tel examen devraient être pris en compte dans le cadre d’une enquête rapide, approfondie et indépendante sur tous les cas allégués et présumés de torture et de mauvais traitements.

61. Le SPT recommande , en outre , aux autorités de revoir entièrement la gestion des prisons de sorte que l’administration pénitentiaire ait le contrôle et soit en mesure de garantir la sécurité de tous à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, y compris leur protection contre la violence entre détenus.

62. Le SPT rappelle aussi le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois, adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979 (résolution 34/169) ainsi que les Lignes directrices de Robben Island pour la prohibition et la prévention de la torture en Afrique, adoptées par une résolution de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en octobre 2002.

ii.Conditions matérielles

63.Le SPT a visité trois prisons situées respectivement à Libreville, à Port-Gentil et à Lambaréné. Le SPT est conscient que ces établissements ne constituent qu’une partie des neuf établissements répartis dans les neuf provinces du pays. Toutefois, ces trois établissements constituent un échantillon représentatif, tant d’un point de vue structurel, puisque toutes les prisons ont été construites durant la même période et sur le même modèle, que de par la population carcérale couverte, à savoir 60% de la totalité des personnes incarcérées, toutes catégories confondues (hommes, femmes, mineurs, ressortissants étrangers).

64.Le SPT est extrêmement préoccupé par les conditions matérielles déplorables prévalant dans les prisons visitées. Il est d’avis que ces conditions sont constitutives de torture. En effet, toutes les prisons gabonaises datent de l’ère coloniale, elles sont vétustes, mal entretenues et totalement inadéquates pour servir de lieux de privation de liberté. Les cellules ont, dans la plupart des cas, très peu ou pas du tout de ventilation et, de ce fait, la température peut y être extrêmement élevée, l’humidité peut y atteindre jusqu’à 70% dans la journée. Par ailleurs, le minimum de lumière, naturelle ou artificielle, n’est pas assuré et il n’existe pas d’équipements sanitaires à l’intérieur des cellules et ceux des quartiers de détention ne sont souvent pas pleinement fonctionnels. En outre, les détenus dorment à même le sol sur de simples nattes ou de vieux matelas sales. Les conditions prévalant dans la cellule disciplinaire de la prison centrale de Libreville (6m2) sont par ailleurs effroyables : il y fait une chaleur étouffante et l’odeur est nauséabonde, il n’y a pas de latrines, obligeant ainsi les détenus à se « soulager » dans des bouteilles ou sacs plastiques, la nourriture est passée à travers une fenêtre avec des barreaux et les détenus n’ont pas la possibilité de sortir dans la cour. Parmi les trois personnes qui s’y trouvaient au moment de la visite, l’une y avait déjà passé un mois.

65.Le SPT est alarmé par l’état sanitaire des établissements visités. Il a notamment pu constater l’absence de réseaux d’assainissement et d’évacuation fonctionnels et, à Libreville, l’existence de poubelles à ciel ouvert. Le SPT a été choqué de voir des détenus vider les fosses septiques et évacuer les déchets à main nue. Dans ces conditions, les quelques efforts de nettoyage et désinfection restent vains si bien que des rats, blattes et cafards coexistent avec les détenus et que les maladies parasitaires et problèmes dermatologiques notamment la gale se répandent au sein de la population carcérale.

66.La délégation a également reçu des témoignages concordants faisant état de l’insuffisance des produits de nettoyage distribués et d’une grave pénurie de produits d’hygiène personnelle. Pour s’en procurer les détenus dépendent donc de leurs proches, créant ainsi des inégalités entre les « sans famille » et les autres.

67.Tous les détenus rencontrés par le SPT se sont plaints aussi bien de la qualité que de la quantité de nourriture fournie par les établissements pénitentiaires. Le budget nourriture est extrêmement limité et cette dernière est exclusivement constituée de pain, soit une baguette de pain par jour et par personne et d’une portion de riz accompagnée d’un morceau de poulet ou de poisson (parfois en boîte ou séché). Les détenus ne reçoivent ni fruit, ni légume. Une telle pauvreté alimentaire est la cause directe de nombreuses maladies dont souffrent les détenus. Par conséquent, les détenus qui ont des familles à proximité des prisons dépendent largement de la nourriture apportée par leurs proches alors que d’autres ne reçoivent rien ou rarement et se voient contraints d’effectuer des corvées ou de rendre des « services », y compris sexuels, à leurs codétenus pour bénéficier de leurs largesses.

68. Dans l’attente de la construction de prisons modernes, le SPT exhorte l’ Etat partie à prendre des mesures immédiates afin d’améliorer les conditions matérielles de détention qui prévalent dans les établissements pénitentiaires du pays.

69. L’ Etat partie devrait réduire les heures durant lesquelles les détenus sont enfermés dans leur cellule et s’assurer que ces dernières soient éclairées et suffisamment ventilées.

70. L ’ Etat partie devrait faire nettoyer et désinfecter toutes les prisons du pays. Des mesures pour assainir les établissements devraient également être prises : les déchets liquides et solides ainsi que les excréments devraient être collectés, traités et évacués non pas par les détenus mais par des entreprises spécialisées afin de prévenir la propagation de maladies. L’ Etat partie devrait également assurer l’approvisionnement en eau courante de manière continue dans tous les quartiers pénitentiaires et fournir des produits d’hygiène corporelle en quantité suffisante.

71. L’ Etat partie d evrait s’assurer que la quantité et la qualité de la nourriture distribuée dans les prisons soient conformes aux standards internationaux en la matière , et, de fait, augmenter immédiatement le budget nourriture afin qu’il corresponde au nombre de détenus incarcérés et non pas à la capacité initiale des prisons.

72. Au vu de l’urgence de la situation, le SPT exhorte l’ Etat partie à accélérer les projets de construction de nouveaux établissements pénitentiaires afin de fermer les prisons actuelles , au plus vite. La conception et la réalisation des nouveaux établissements devraient être en conformité avec les Règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

iii.Surpopulation carcérale et détention préventive

73.Le SPT est vivement préoccupé par la surpopulation carcérale endémique à tous les établissements visités, comme illustré par l’exemple de la prison centrale de Libreville qui comptait au moment de la visite 1,653 détenus pour une capacité initiale de 300 personnes, ce qui représente un taux d’occupation de près de 550%. La surpopulation carcérale est telle que les cours ne peuvent souvent pas accueillir tous les détenus de la section en même temps et des étages ont dû être aménagés dans certaines cellules afin d’en augmenter la capacité. A Libreville par exemple, le SPT a visité des cellules de 16m2 dans lesquelles 22 personnes étaient enfermées plus de 12 heures par jour.

74.Le SPT note que la surpopulation est exacerbée par le nombre particulièrement élevé de personnes en détention préventive. Il relève que les mandats de dépôt décernés par le juge d’instruction ne semblent pas être systématiquement motivés, violant ainsi les principes de la liberté individuelle et de la présomption d’innocence. Cet état de choses n’est pas conforme à l’Etat de droit.

75.Le SPT a par ailleurs appris que de nombreux prisonniers placés en détention préventive avaient passé en prison bien plus de temps que la peine maximale d’emprisonnement à laquelle ils pouvaient être condamnés. Rien ne saurait justifier la détention préventive au-delà de la durée équivalant à la peine maximale dont est passible l’infraction dont l’intéressé est accusé.

76.Le SPT s’inquiète de témoignages recueillis, faisant état de l’obligation pour les détenus de présenter des résultats d’audience émis par le tribunal, ce qui constituerait dans les faits, un obstacle à leur libération. Il est, par ailleurs, préoccupé par la situation de détenus, notamment des mineurs, dont la condamnation à la peine de mort n’a pas encore été commuée suite à l’adoption de la Loi no 3/2010 du 15 février 2010 portant abolition de la peine de mort.

77. Pour réduire la population carcérale le SPT recommande aux autorités d’adopter une stratégie concertée conjuguant différentes mesures, et notamment:

De libérer toutes les personnes placées en détention préventive qui ont déjà passé en détention plus de temps que ne le justifierait la peine de prison maximale dont est passible l’infraction qui leur est reprochée;

D’imposer aux mineurs des mesures autres que privatives de liberté;

De substituer au placement en détention de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mineures des mesures alternatives à la privation de liberté (telle que la libération sous caution) ou des amendes d’un montant proportionnel à leurs moyens financiers;

De recourir à la mise en liberté provisoire conformément à l’article 121 et suivants du Code de procédure pénale (avec ou sans caution) et de n’avoir recours à la détention préventive qu’à titre exceptionnel, comme stipulé à l’article 115 du même Code ;

D’accroître la communication et la coopération entre les tribunaux et les prisons pour réduire le plus possible les retards de transmission des jugements et des ordonnances et , en particulier , des ordonnances de libération, afin que les personnes soient libérées dès que le tribunal en donne l’ordre;

De commuer toutes les condamnations à mort en condamnations à perpétuité afin qu’il y ait une possibilité de révision et, éventuellement, de libération conditionnelle.

iv.Gestion interne

78.Dans les trois établissements visités, la gestion interne de la prison est laissée aux détenus eux-mêmes, selon un système hiérarchique bien établi de chefs de cellules et de quartiers parfois bénéficiant d’adjoints. Les agents pénitentiaires ne sont pas toujours présents au sein des quartiers et y entrent occasionnellement. De manière générale ce sont les détenus qui gèrent la vie quotidienne de la prison, de la distribution des tâches d’entretien comme la cuisine, le nettoyage des lieux publiques et les vidanges des fosses septiques. De ce fait, les chefs de cellules et de quartiers de chaque prison bénéficient de certains privilèges étendus quant à leur régime de détention.

79.Le manque de moyens matériels et financiers dans les établissements pénitentiaires conduit à une situation où la corruption détermine la quantité de « privilèges » dont jouit tel ou tel détenu, notamment la possibilité de ne pas être assigné dans une cellule surpeuplée ou le droit de ne pas se faire battre. Par ailleurs, le système d’autogestion permet aux plus forts de monnayer ou d’échanger des droits fondamentaux contre des services ou faveurs, par exemple sexuelles.

80.Le SPT est préoccupé par le pouvoir que ces chefs détiennent et peuvent exercer de manière arbitraire sur les plus faibles et les plus pauvres, notamment en matière de discipline et de sanctions disciplinaires. Ce système d’autogestion implique également que tout rapport entre le détenu et l’administration pénitentiaire passe, et est filtré, par les chefs internes, empêchant toute possibilité de plainte d’un détenu à l’encontre de ces derniers.

81.Un certain degré d’autogestion par les détenus eux-mêmes peut certes s’avérer bénéfique s’il ne se substitue pas aux responsabilités incombant à l’administration pénitentiaire en général et au régisseur/directeur de la prison, en particulier. Cependant, un système d’autogestion sans surveillance des autorités pénitentiaires, n’est pas acceptable.

82. Les autorités pénitentiaires devraient superviser étroitement le fonctionnement des chefs de cellules et de quartiers − étant donné qu’ils sont en dernier ressort responsables de leurs actes − et assurer qu’elles soient les seules à même de prononcer et d’appliquer les sanctions disciplinaires. Les tâches fondées sur l’exercice d’un pouvoir officiel devraient par ailleurs être accomplies par le personnel. Les autorités devraient faire de telle sorte que tous les détenus soient traités sur un pied d’égalité et que les avantages accordés aux chefs n’aillent pas au-delà de ce qui est raisonnablement nécessaire pour leur permettre d’exercer leurs fonctions. L’ Etat partie devrait par ailleurs éradiquer la corruption en sanctionnant les auteurs et en informant les détenus et les familles de leurs droits.

v.Séparation des détenus

83.La séparation des détenus par catégories n’est pas uniforme dans les prisons visitées. De manière générale, les prisons ont des quartiers spécifiques pour la détention des femmes qui leur offrent globalement de meilleures conditions matérielles et la possibilité d’accéder librement à la cour qui leur est réservée. Le SPT est cependant préoccupé par l’absence de séparation entre mineurs et adultes, ce qui entraîne de graves abus, notamment sexuels. La délégation a par ailleurs constaté qu’il n’y avait pas de séparation entre prévenus et inculpés d’une part et prisonniers condamnés, de l’autre.

84. Le SPT recommande à l’ Etat partie de garantir la séparation des différentes catégories de détenus, en particulier une stricte séparation des mineurs et adultes, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

viLes enfants

85.Le SPT s’inquiète de l’approche punitive actuellement suivie à l’égard des jeunes délinquants, dont témoigne leur fréquent placement en détention pour des infractions mineures. Le SPT est par ailleurs préoccupé de ce que l’accent ne soit pas mis sur la dimension socioéducative du système pour mineurs. Dans la pratique, peu ou pas d’activités éducatives et de soutien psychosocial étaient mises en œuvre pour permettre la réinsertion des enfants ou des adolescents dans la société.

86. Le SPT recommande de ne priver les enfants et les adolescents de liberté qu’en dernier ressort, pour une durée la plus courte possible , et sous réserve du réexamen régulier de cette mesure. Le SPT recommande aux autorités d’assurer un soutien psychosocial et de développer les possibilités de formation scolaire et professionnelle offertes aux enfants et aux adolescents en détention afin de faciliter leur réinsertion dans leur communauté et dans la société .

vi. Accès aux soins

87.Le SPT a visité les infirmeries des prisons de Libreville, Port-Gentil et Lambaréné et a pu constater le dévouement du personnel médical pénitentiaire qui travaille pourtant dans des conditions extrêmement difficiles. Le SPT regrette qu’il n’existe pas de réponse structurée aux besoins de santé dans les prisons du pays. Les soins reposent sur l’initiative du Directeur de l’établissement, la bonne volonté du personnel et la contribution financière des familles de détenus.

88.Les infirmeries sont mal équipées et manquent de personnel qualifié. Sur le plan médical, seules deux pathologies sont réellement prises en charge par le système carcéral, la malaria et la tuberculose, quoique de manière souvent inadéquate en ce qui concerne la tuberculose (voir ci-dessous). Les autres soins médicaux, y compris les hospitalisations, sont à la charge des familles des détenus. Les seuls médicaments effectivement distribués gratuitement sont la quinine et le paracétamol, qui sont inadaptés pour répondre aux besoins les plus courants (problèmes dermatologiques, infectieux, parasitaires, gastroentérologiques et neurologiques liés aux carences vitaminiques). La prison de Lambaréné fait néanmoins exception, en raison d’initiatives personnelles du Directeur. Les extractions médicales sont peu nombreuses au vu de la population carcérale et de l’absence de soins réguliers.Certaines prisons ne disposent par ailleurs pas de moyens de transport pour emmener les détenus à l’hôpital si bien qu’une « contribution » est prélevée auprès des visiteurs pour alimenter un fonds servant à offrir des services aux détenus, comme le taxi.

89.Le SPT est alarmé par la forte prévalence de certaines maladies en milieu carcéral, notamment la tuberculose. En 2012, par exemple, plus de 18% de la population carcérale de la prison centrale de Libreville souffrait de tuberculose. Les efforts du personnel infirmier se heurtent à des obstacles liés aux conditions carcérales, notamment l’absence de quartiers d’isolement pour les malades, la promiscuité, le manque de ventilation et un accès limité à des soins médicaux appropriés. Le SPT s’inquiète de l’émergence de souches résistantes devenant de plus en plus difficile à traiter.

90.Le SPT a noté que l’équipement médical était obsolète, le personnel insuffisant, peu qualifié, sous-payé et surchargé et qu’il n’y avait pas de spécialistes de la santé mentale (psychiatre ou psychologue) malgré des taux alarmants de suicides, ni de programme pour détenus toxicomanes. Le SPT est en outre préoccupé par l’ignorance du personnel médical vis-à-vis de sa responsabilité à documenter les cas de torture.

91.Au vu de la prévalence de certaines maladies infectieuses en milieu carcéral, le SPT s’inquiète de l’absence de traitements préventifs comme les vaccins et de dépistages réguliers pour le personnel médical et de sécurité pénitentiaire. Il considère qu’il est inacceptable que la santé du personnel soit ainsi mise en danger et note par ailleurs que cette situation contribue à la propagation de maladies au sein même de la population.

92. L’ Etat gabonais doit assurer aux personnes détenues l’accès aux s oins de santé conformément aux R ègles Minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, et, de fait, doit augmenter immédiatement le budget alloué à la santé des détenus.  L’achat des médicaments et les frais d’hospitalisation des détenus devraient être couverts par les autorités pénitentiaires. L’ Etat partie devrait prendre les mesures nécessaires afin que chaque établissement pénitentiaire dispose des services réguliers d’un médecin qualifié qui doit examiner chaque détenu aussitôt que possible après son admission et surveiller la santé physique et mentale des détenus, notamment par l’établissement de dossiers médicaux pour chaque personne écrouée. Des stratégies pour prévenir le suicide chez les détenus devraient par ailleurs être élaborées en consultation avec les services de soins de santé mentale et de protection sociale . L’ Etat partie devrait également fournir des moyens de transport adéquats pour l’acheminement des détenus nécessitant une hospitalisation. Les personnes handicapées devraient par ailleurs être détenues dans des conditions décentes compatibles avec leur handicap.

93. Le SPT recommande à l’ Etat gabonais de faire un dépistage systématique de la tuberculose. A la suite de cet examen, les détenus malades devront recevoir gratuitement les médicaments nécessaires à leur traitement. Afin de prévenir la propagation des maladies en milieu carcéral et de de favoriser le traitement des malades, toutes les prisons du pays devraient par ailleurs prévoir des quartiers pour malades et convalescents. Le SPT engage instamment le Gabon à vacciner tout le personnel médical et de sécurité pénitentiaire et à entreprendre des examens médicaux de dépistage qui devront être répétés à intervalles régulières. Il recommande aux autorités de solliciter l’assistance et la coopération de l’Organisation Mondiale de la Santé afin de mettre en œuvre ces actions.

94. Le SPT recommande à l’ Etat partie de former le personnel médical pour l’examen des victimes présumées d’actes de torture ou de mauvais traitements et la détection de tels cas, conformément aux dispositions du Protocole d’Istanbul. Le SPT recommande également de consigner dans des registres tous les examens médicaux pratiqués sur les détenus, en indiquant le nom du médecin et les résultats de l’examen . Le Protocole d’Istanbul doit être utilisé comme un instrument pour améliorer la qualité des rapports médicaux et psychologiques et renforcer la prévention de la torture.

C.Hôpital psychiatrique

95.Le Gabon ne compte pas d’unités psychiatriques dans les hôpitaux et les patients sont par conséquent systématiquement dirigés vers l’hôpital de Melen, qui est le seul établissement du pays à accueillir des malades mentaux. Au sein de l’hôpital le personnel ne porte généralement pas de blouses et les patients bénéficient d’un régime ouvert. Les malades sont en principe accompagnés constamment par un des membres de leur famille, ce qui semble avoir un effet positif sur le traitement, et surtout facilite le retour et la réinsertion du malade dans sa famille et dans sa communauté.

96.Le SPT est gravement préoccupé par l’état d’hébétude des malades rencontrés provoqué par l’administration uniforme et quasi systématique de neuroleptiques à forte dose (Haldol principalement). Il note que ces traitements sont administrés sans avoir effectué un bilan de santé complet lors de la prise en charge et souvent sans que le consentement préalable du malade ou de sa famille. Le SPT relève que les traitements médicamenteux des patients qui ne seraient pas inscrits auprès de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et de Garanties Sociales (CNAMGS) sont entièrement à la charge des familles.

97.Le SPT est également préoccupé par les cellules d’isolement dans lesquelles les malades en crises aiguës sont placés et qui sont dotés de barreaux et dépourvus de matelas, si bien que le malade git à même le sol.

98.Le SPT est alarmé par les conditions de vie inacceptables dans le pavillon fermé de l’hôpital de Melen qui se caractérisent par une situation sanitaire déplorable, avec notamment l’absence de douches, une odeur putride d’excréments, l’absence de mobilier, notamment de lits et de matelas. Il note par ailleurs l’information recueillie durant sa visite selon laquelle le Gouverneur de Libreville demanderait parfois que les « gens errants » soient « ramassés » et placés sans leur consentement en quartier d’isolement à l’hôpital psychiatrique. Le SPT note que les malades placés dans le pavillon sont de fait détenus parfois pendant plusieurs mois dans des conditions inhumaines et dégradantes pouvant être assimilées à de la torture.

99. Le SPT recommande d’améliorer les conditions de vie dans l’hôpital psychiatrique de Melen et d’abolir immédiatement le pavillon fermé. Il appelle les autorités à établir des procédures claires pour déterminer du placement d’un patient en cellule d’isolement. Le SPT recommande également d’adopter une approche multidisciplinaire lors du développement du plan de traitement qui doit être adapté à chaque patient et de limiter les doses de médicaments neuroleptiques au stricte nécessaire. Les traitements médicaux des patients ne bénéficiant pas de la CNAMGS devraient être pris en charge par l’hôpital. Il recommande également de consacrer des ressources humaines et financières suffisantes au secteur de la santé mentale, de recruter davantage de psychiatres qualifiés et de doter l’hôpital d’infrastructures de loisirs et de travail satisfaisantes.

100. Le SPT recommande aussi aux autorités d’adopter une politique de santé mentale en conformité avec les obligations souscrites par le biais de la ratification en 2007 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et de développer un plan str atégique national à cet effet.

VII.Répercussions de la visite et conclusion

Répercussions de la visite

101.Dans certains lieux visités, notamment les PJ de Libreville et Port-Gentil, la peur de représailles était omniprésente. Le SPT a constaté à plusieurs reprises que des détenus craignaient de s’exprimer librement avec la délégation et certains ont même affirmé qu’ils subiront certainement des mauvais traitements du fait d’avoir parlé aux membres du SPT.

102.Le SPT craint également que des mesures disciplinaires soient prises à l’encontre de la Commandante du Commissariat Central de Port-Gentil, qui a pris l’initiative – sans l’assentiment de son supérieur - de coopérer avec le SPT et d’octroyer à ce dernier l’accès aux détenus.

103.Le SPT tient à souligner que toute forme d’intimidation ou de représailles contre les personnes privées de liberté constitue une violation de l’obligation de coopération qui incombe à l’Etat partie en vertu du Protocole facultatif. Le SPT demande aux autorités gabonaises de faire en sorte qu’aucune représailles ne soient exercée à la suite de sa visite et de lui fournir des informations détaillées sur ce qui a été entrepris afin de prévenir et empêcher les représailles à l’encontre du personnel et des détenus qui se sont entretenus avec les membres du SPT.

Conclusion

104.Le SPT rappelle que ce rapport ne constitue que le début d’un dialogue constructif de coopération avec les autorités gabonaises en ce qui concerne les défis énumérés ci-dessus.

105. Le SPT demande au Gouvernement gabonais de lui adresser, dans un délai de six mois à compter de la date de transmission du présent rapport, une réponse avec une description détaillée de mesures prises par l’État partie pour donner suite à ses recommandations. L’État partie est invité à répondre aux demandes de renseignements spécifiques formulées par le SPT dans le présent rapport et en autoriser la publication.

Annexe I

[Français uniquement]

Lieux de privation de liberté visités par le SPT

Gendarmeries

Direction Générale des Recherches (DGR), Libreville

Compagnie de Libreville /Compagnie de l’Estuaire

Compagnie de Port-Gentil

Brigade de Lambaréné

Brigade de Bifoun

Commissariats de police

Province de l’Estuaire

- Commissariat de Police du Vème Arrondissement (Lalala)

Commissariat Central de Police d’Owendo

Commissariat Central de Police de Libreville (Préfecture de police)

Commissariat de police de Kembo

Bureaux de la police judiciaire (PJ) de Libreville, Port-Gentil et Lambaréné

Office central de lutte anti-drogue

Province de l’Ogooué-Maritime

Commissariat Central (Port-Gentil)

Bureau de la police judiciaire (PJ) à Port-Gentil

Province de l’Ogooué-Moyenne

Commissariat Central de Lambaréné

Commissariat d’Isaac de Lambaréné

Bureau de la police judiciaire (PJ) à Lambaréné

Prisons

Prison centrale de Libreville

Prison centrale de Port-Gentil

Prison civile de Lambaréné

Institution psychiatrique

Hôpital Psychiatrique de Melen, Libreville

Centres de rétention

Direction Générale de la Documentation et de l’Immigration, Libreville

Direction Générale de la Documentation et de l’Immigration, Port-Gentil

Forces armées gabonaises

Direction Générale des Contres Ingérences et de la Sécurité Militaire de Port-Gentil

Base militaire de la Marine de Port-Gentil

Annexe II

[Français uniquement]

Liste des personnes rencontrées par le SPT

I. Autorités

Ministère des Affaires Etrangères

S.E.M. Alfred Moungara Moussotsi, Directeur Général des Affaires Etrangères

M. Rahim J. Nguimbi, Chef de Division des Traités multilatéraux

M. Fernand Yalis, Chef de Division des Nations Unies

Mme Virginie Koumba Boussougou : Chargée d’Etudes à la Direction Générale des Affaires Etrangères

Mme Marjorie Mbazogho : Chargée d’Etudes à la Direction Générale des Affaires Etrangères

Mme Anouchka Mvou Louba Ialegue : Chargée d’Etudes à la Direction Générale des Affaires Etrangères

Ministère de la Justice et des Droits Humains

Mme Edna Paola Biyogou epse Minko : Directeur de la Promotion des Droits humains

M. Guy Kebila-Birinda : Conseiller du Ministre de la Justice, Gardes des Sceaux

M. François Mangari : Conseiller du Ministre de la Justice, Gardes des Sceaux

Général Mohamed Mandza : Commandant en Chef de la Sécurité pénitentiaire

Mme Nding Muetse : Procureur adjointe au Tribunal de Première Instance de Libreville

M. Anicet-Gervais Ondo Nguema : Directeur de la Protection des Droits humains

Ministère de l’Intérieur

M. Paul Bovis Ngome Ayong : Secrétaire Général adjoint 1Ministère de la Défense Nationale

Ministère de la Défense Nationale

Lieutenant Juste-Arsène Emboubadi : Chef du Service de l’emploi Ministère des Affaires Etrangères

Ministère de la Santé, Centre National de Santé Mentale

Dr. Alexandre Okouni D’Omenilt : Directeur Général du Centre Nationale de santé mentale

II. Commission Nationale des Droits de l’Homme

M. Etienne L. Boudzanga

Mme Marie-Louise Enie

M. Joseph Ondo Eva

M. Bertrand Homa Moussavou

M. Alphonse Ndimangoye-Nguenegue

Mgr Patrick Nguema Edou

Pr Guy Rossatanga-Rignault

Mme Marie-Anne Quenum épouse Mboga

III. Organismes des Nations Unies

équipe de l'ONU au Gabon (UNCT)

UNICEF

UNHCR

IV. Société civile

Association de lutte contre les crimes rituels

Centre pour la promotion de la démocratie et la défense des droits de l’homme au Gabon (CDDH-Gabon)

Cri des femmes

Défense sociale repensée

Humanité avant tout (HUMAT)

Jeunesse sans frontières

Réseau des Défenseurs des Droits Humains au Gabon (REDDHGA)

Réseau des Organisations Libres de la société civile pour la Bonne Gouvernance au Gabon (ROLBG)