Nations Unies

CAT/C/48/D/444/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

11 juillet 2012

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 444/2010

Décision adoptée par le Comité à sa quarante-huitième session (7 mai-1er juin 2012)

Présentée par:

Toirjon Abdussamatov et 28 autres requérants (représentés par un conseil, Mme Christine Laroque, ACAT-France)

Au nom de:

Toirjon Abdussamatov et consorts

État partie:

Kazakhstan

Date de la requête:

24 décembre 2010 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

1er juin 2012

Objet:

Extradition des requérants vers l’Ouzbékistan

Questions de fond:

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Questions de procédure:

Néant

Article de la convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante-huitième session)

concernant la

Communication no 444/2010

Présentée par:

Toirjon Abdussamatov et 28 autres requérants (représentés par un conseil, Mme Christine Laroque, ACAT-France)

Au nom de:

Toirjon Abdussamatov et consorts

État partie:

Kazakhstan

Date de la requête:

24 décembre 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 1er juin 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 444/2010 présentée par Mme Christine Laroque au nom de Toirjon Abdussamatov et de 28 autres requérants en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Les requérants sont 27 personnes de nationalité ouzbèke et 2 personnes de nationalité tadjike: Toirjon Abdussamatov, Faizullohon Akbarov, Shodiev Akmaljon, Suhrob Bazarov, Ahmad Boltaev, Shuhrat Botirov, Mukhitdin Gulamov, Shukhrat Holboev, Saidakbar Jalolhonov, Abror Kasimov, Olimjon Kholturaev, Sarvar Khurramov, Oybek Kuldashev, Kobiljon Kurbanov, Bahriddin Nurillaev, Bahtiyor Nurillaev, Ulugbek Ostonov, Otabek Sharipov, Tursunboy Sulaimonov, Abduazimhuja Yakubov, Uktam Rakhmatov, Alisher Khoshimov, Oybek Pulatov, Maruf Yuldoshev, Isobek Pardaev, Ravshan Tuarev, Dilbek Karimov, Sirojiddin Talipov et Fayziddin Umarov. Les requérants affirment que leur extradition vers l’Ouzbékistan constituerait une violation par le Kazakhstan de l’article 3 de la Convention contre la torture. Ils sont représentés par un conseil, Mme Christine Laroque, de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France).

1.2Conformément à l’article 114 (ancien art. 108) du Règlement intérieur du Comité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a demandé à l’État partie, le 24 décembre 2010, le 31 décembre 2010 et le 21 janvier 2011, de ne pas extrader les requérants vers l’Ouzbékistan tant que leur requête serait à l’examen. La demande de mesures provisoires a été renouvelée le 6 mai 2011 et le 9 juin 2011. Les requérants ont néanmoins été extradés vers l’Ouzbékistan le 29 juin 2011.

1.3Le 15 novembre 2011, à sa quarante-septième session, le Comité a décidé qu’en passant outre la demande faite par le Comité en application de l’article 114 de son règlement intérieur, l’État partie avait manqué à son obligation de coopérer de bonne foi en vertu de l’article 22 de la Convention et que la communication était recevable dans la mesure où elle soulevait des questions concernant l’article 3 de la Convention. Le Comité a fait droit à la demande d’être entendu de l’État partie et a décidé par conséquent d’inviter des représentants de l’État partie ainsi que le conseil des requérants à une audition au sujet du fond de la communication, qui aurait lieu à la quarante-huitième session du Comité, en mai 2012.

1.4Le 1er juin 2012, le Comité a décidé de rendre publique sa décision sur la recevabilité datée du 15 novembre 2011. La présente décision ne contient qu’un résumé des faits exposés par les requérants, de la teneur de la plainte et des observations des parties sur le fond. Pour les commentaires des parties sur la recevabilité et la décision du Comité, on se reportera à la communication no 444/2010, Abdussamatov et consorts c. Kazakhstan, décision concernant la recevabilité adoptée le 15 novembre 2011.

Résumé des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants sont des musulmans qui ont quitté l’Ouzbékistan par crainte d’être persécutés pour la pratique de leur religion. Douze requérants ont été reconnus par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) comme réfugiés relevant de son mandat entre 2005 et mars 2010. En janvier 2010 est entrée en vigueur au Kazakhstan une nouvelle loi sur les réfugiés, qui oblige tous les demandeurs d’asile, ainsi que les réfugiés sous mandat reconnus par le HCR, à s’enregistrer auprès des autorités kazakhes, et non plus auprès du HCR. Les requérants se sont dûment fait enregistrer auprès de la police de l’immigration en mai 2010.

2.2Entre le 9 et le 11 juin 2010, les requérants ont été appréhendés par la police de l’immigration kazakhe et par des agents en civil dont on pense qu’ils appartenaient au Comité de la sécurité nationale (KNB). Aucun mandat d’arrêt n’a été produit au moment de leur arrestation, mais certains des requérants s’en sont vu présenter un par la suite. En mai 2010, le Comité central chargé de la détermination du statut de réfugié a mené des entretiens avec les requérants sans que ceux-ci soient assistés d’un avocat ou d’un traducteur. Les 11 et 27 août 2010, il a rejeté les demandes d’asile des requérants, sans tenir compte du statut de réfugié sous mandat du HCR dont 12 d’entre eux bénéficiaient précédemment. L’énoncé des décisions indiquait simplement que les intéressés ne remplissaient pas les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié, sans fournir d’autre explication.

2.3Le 8 septembre 2010, le bureau du Procureur d’Almaty a annoncé que, comme suite à une demande des autorités ouzbèkes, et conformément à l’accord bilatéral du 22 janvier 1993 (Convention de la Communauté d’États indépendants (CEI) sur l’entraide judiciaire et les relations judiciaires en matière civile, familiale et pénale (Convention de Minsk)) et à la Convention de Shanghai de 2001, les requérants seraient extradés vers l’Ouzbékistan pour appartenance à des «organisations illégales» et «tentatives de renversement de l’ordre constitutionnel» en Ouzbékistan. Toutefois, les requérants n’ont pas reçu copie de l’arrêté d’extradition ni aucune autre notification écrite.

2.4Le 6 décembre 2010, le tribunal no 2 du district d’Almalinsk, à Almaty, a décidé d’examiner conjointement les recours formés par les requérants contre les décisions du Comité central de détermination du statut de réfugié.

Résumé de la teneur de la plainte

3.1Les requérants renvoient aux observations finales du Comité des droits de l’homme concernant l’Ouzbékistan, dans lesquelles le Comité s’est dit préoccupé par les limitations et restrictions imposées à la liberté de religion et de conviction et par l’application de la loi pénale pour sanctionner l’exercice apparemment pacifique de la liberté religieuse, y compris pour les membres de groupes religieux non enregistrés, ainsi que par la persistance des informations faisant état d’inculpations et de peines d’emprisonnement prononcées contre ces personnes. Ils se réfèrent aussi à un rapport de Human Rights Watch indiquant que les autorités ouzbèkes s’en prennent aux musulmans et aux adeptes d’autres religions qui pratiquent leur foi en dehors des structures officielles ou appartiennent à des organisations religieuses non enregistrées, et les jettent en prison.

3.2Les requérants font également observer qu’il existe une abondante documentation sur le bilan de l’Ouzbékistan en matière de torture et de mauvais traitements et qu’en 2010, le Comité des droits de l’homme a constaté avec préoccupation qu’il continuait d’être fait état de cas de torture et de mauvais traitements. ACAT-France, conseil des requérants, qui suit de près les dossiers de dizaines de victimes de torture, note que l’usage de la torture reste systématique en Ouzbékistan et que les musulmans pratiquant leur foi hors du cadre contrôlé par l’État sont particulièrement la cible de tortures et d’autres formes de mauvais traitements en détention.

Résumé des observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 24 juin 2011, l’État partie a soumis ses observations sur le fond et informé le Comité que 19 des requérants avaient été extradés. Il a rappelé que, du 9 juin au 14 décembre 2010, 19 étrangers contre lesquels un mandat d’arrêt pour crimes graves avait été décerné en Ouzbékistan avaient été arrêtés. Quatre d’entre eux étaient des demandeurs d’asile et 15 avaient obtenu du HCR le statut de réfugié. Depuis le 1er janvier 2010, les questions relatives à l’asile et aux réfugiés sont régies par la nouvelle loi sur les réfugiés, ce qui a entraîné le retrait du statut de réfugié reconnu par le HCR aux requérants qui en bénéficiaient précédemment. Une commission spéciale relevant du Ministère du travail et des affaires sociales (du Ministère de l’intérieur depuis le 30 septembre 2010) a examiné la question du statut des 19 requérants. Un expert du siège du HCR à Genève a participé à l’examen des dossiers et a pu assister à toutes les réunions et consulter toute la documentation. La commission a également examiné les documents communiqués par l’Ouzbékistan. La commission a rejeté les demandes d’asile et retiré ou refusé aux 19 requérants le statut de réfugié. Du 10 au 29 décembre 2010, le tribunal no 2 du district d’Almalinsk, à Almaty, a examiné les requêtes déposées par les requérants et confirmé la décision de rejet du statut de réfugié rendue par la commission. Dans le cadre d’audiences tenues du 2 février au 29 mars 2011, le tribunal de la ville d’Almaty a rejeté les recours formés par les requérants. Les pourvois en cassation de 28 requérants ont été rejetés et la décision de la commission est devenue définitive. Les requérants ont également engagé une procédure au titre de l’article 531-1 du Code de procédure pénale contre la décision du Procureur général de les extrader vers l’Ouzbékistan. Le 15 mars 2011, le tribunal no 2 du district d’Almalinsk les a déboutés. Le tribunal de la ville d’Almaty a également rejeté leur recours, et la décision du Procureur général de les extrader est devenue définitive.

4.2L’État partie fait valoir que pendant toute la durée des procédures judiciaires, un contrôle a été exercé par un représentant du HCR et un membre du Bureau des droits de l’homme de l’État partie. Aucun grief n’a été formulé devant la commission au sujet de la procédure, laquelle s’est déroulée dans la transparence, l’impartialité et le respect des normes internationales, y compris les prescriptions de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Les demandes de statut de réfugié déposées par les requérants ont été examinées conformément aux dispositions de la loi sur les réfugiés, et les requérants ont formé des recours contre la décision négative à tous les niveaux d’instance. Leur représentation a été assurée à tous les niveaux de juridiction. La décision de la commission chargée des migrations était fondée sur le fait que les requérants constitueraient une menace pour l’État partie et pouvaient porter gravement atteinte à la sécurité d’autres pays. Les requérants n’ont pas obtenu le statut de réfugié, en application des dispositions de l’alinéa c de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. L’État partie fait valoir en outre que l’Ouzbékistan est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture; par conséquent, l’enquête pénale visant les requérants sera menée conformément à la législation nationale ouzbèke et dans le respect des obligations internationales de l’État ouzbek.

4.3Les requérants ont été extradés en application de la Convention de Minsk. Les autorités ouzbèkes ont donné l’assurance qu’elles respecteraient les droits et libertés des requérants et que ceux-ci ne seraient pas soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie estime par conséquent que la présente communication est dénuée de fondement.

Résumé des commentaires des requérants sur les observations de l’État partiesur le fond

5.1Dans une note datée du 5 août 2011, le conseil des requérants relève tout d’abord que l’État partie ne fait référence qu’à 19 des 29 requérants. Elle répète par ailleurs que, pour elle, les recours ouverts aux requérants dans le cadre de la procédure d’asile n’étaient pas effectifs. Le conseil note que, selon l’État partie, les demandes d’asile des requérants ont été rejetées sur la base de l’article 12 de la loi sur les réfugiés, qui prévoit que le statut de réfugié n’est pas accordé s’il existe des doutes sérieux sur le point de savoir si le demandeur d’asile a appartenu ou appartient à une organisation religieuse interdite. Cette disposition de la loi a été critiquée comme étant contraire au droit international des réfugiés.

5.2Le conseil ajoute qu’après leur renvoi en Ouzbékistan, les requérants ont été détenus au secret. L’État partie les a extradés le 9 juin 2011, au mépris de la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité, tout en sachant que les requérants risquaient d’être soumis à la torture en cas de renvoi et en s’appuyant entièrement sur les «assurances diplomatiques non fiables» que l’Ouzbékistan lui aurait données. L’État partie a reconnu officiellement le renvoi de 28 individus; le conseil lui demande de préciser où se trouve la personne restante et quelle est sa situation.

5.3Le conseil note que la mesure d’extradition des requérants était fondée sur la Convention de Minsk. Toutefois, cet instrument ne se réfère pas à l’obligation de non-refoulement qui incombe à l’État partie au titre de la Convention contre la torture, et ses dispositions ne dispensent pas l’État partie de l’obligation qui lui est faite de ne pas renvoyer une personne dans un État où elle risque d’être soumise à la torture.

5.4Le conseil affirme en outre que l’État partie savait qu’il existait un risque pour les requérants d’être soumis à la torture en Ouzbékistan. Elle relève que plusieurs rapports concernant la pratique généralisée de la torture en Ouzbékistan ont été rendus publics par des organes des Nations Unies et des organisations non gouvernementales (ONG) internationales et nationales. Dans leurs demandes d’asile, les requérants ont fourni des détails quant au risque de torture auquel ils seraient personnellement exposés en Ouzbékistan; plusieurs ont également évoqué les tortures qu’ils avaient subies antérieurement dans ce pays. Tous les requérants sont accusés de crimes graves en Ouzbékistan, tels que l’appartenance à un mouvement religieux interdit, et tous font ainsi partie d’un groupe systématiquement exposé aux mauvais traitements. Par ailleurs, un grand nombre d’entre eux avaient été précédemment reconnus comme réfugiés par le HCR au Kazakhstan, avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les réfugiés.

5.5Enfin, à propos des assurances diplomatiques, le conseil fait remarquer que dans ses observations finales de juillet 2011 concernant le Kazakhstan, le Comité des droits de l’homme a expressément appelé l’État partie à faire preuve de la plus grande circonspection dans le recours aux assurances diplomatiques quand il envisage de renvoyer des étrangers dans des pays où ils risquent d’être soumis à la torture ou de subir des violations graves des droits de l’homme. En l’occurrence, il n’existe pas de mécanisme de suivi approprié permettant de surveiller la situation des requérants en Ouzbékistan, et il n’est pas possible de communiquer avec ces derniers.

Résumé du complément d’information fourni par l’État partie

6.1Le 23 septembre 2011, l’État partie a réaffirmé que toutes les procédures de traitement des demandes d’asile des requérants par la Commission chargée des migrations étaient légales, et que la décision des autorités de ne pas accorder l’asile aux requérants était fondée et légale. La Commission chargée des migrations a obtenu copie de tous les documents relatifs à l’extradition reçus des autorités ouzbèkes.

6.2Tous les refus de demande d’asile des requérants ainsi que toutes les décisions d’extradition des requérants vers l’Ouzbékistan ont été examinés et confirmés par une instance judiciaire, y compris en appel. Toutes les procédures ont eu lieu dans la transparence et l’impartialité. Tous les requérants se sont vu proposer les services d’avocats, à tous les stades du procès, y compris pour la représentation de leurs intérêts en appel.

6.3L’État partie souligne que les décisions de la Commission chargée des migrations étaient fondées sur l’existence d’informations fiables et vérifiées tendant à indiquer que la présence des requérants au Kazakhstan constituait une menace pour l’État partie et pouvait également causer un préjudice irréparable à la sécurité d’autres pays. L’alinéa c de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 prévoit que les dispositions de la Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser «qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies». Conformément à l’article 12 de la loi sur les réfugiés, le statut de réfugié ne peut être accordé à une personne dont on a de sérieux motifs de croire qu’elle participe ou a participé aux activités d’organisations religieuses interdites. En conséquence, après avoir étudié les pièces du dossier, le HCR a décidé d’annuler les certificats de réfugié qu’il avait délivrés précédemment à plusieurs des requérants.

6.4En ce qui concerne la situation des requérants en Ouzbékistan, l’État partie rappelle que l’Ouzbékistan est partie aux instruments internationaux fondamentaux relatifs aux droits de l’homme et que les poursuites pénales qui ont lieu sur le territoire ouzbek sont menées conformément à la législation nationale et dans le respect des obligations internationales de l’Ouzbékistan. Les autorités ouzbèkes ont donné des assurances concernant le respect des libertés et droits fondamentaux des requérants et garanti que ceux-ci ne seraient pas soumis à la torture ou à d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Réponses complémentaires des requérants sur le fond

7.1Le 29 février 2012, le conseil a fait tenir des renseignements complémentaires sur les raisons qui avaient poussé les requérants à chercher protection au Kazakhstan. Elle indique que, du fait qu’elle n’a pas pu contacter les requérants détenus au Kazakhstan ou en Ouzbékistan à la suite de leur extradition, ces informations sont fondées sur les demandes d’asile des requérants, les recours formés et les requêtes présentées par leurs avocats dans le cadre de la procédure judiciaire engagée devant les tribunaux de l’État partie en 2010 et en 2011 et les décisions rendues par les tribunaux kazakhs. Tous les requérants ont signé une procuration habilitant le conseil à agir dans le cadre de la présente communication.

Toirjon Abdussamatov

7.2En mai 1999, le requérant a adhéré au Mouvement islamique d’Ouzbékistan au Tadjikistan. Au bout d’un mois, il s’est échappé du camp où il se trouvait et s’est rendu à la police en Ouzbékistan. En avril 2000, il a été condamné à vingt ans d’emprisonnement. En février 2005, il a été amnistié; toutefois, la police a menacé de l’arrêter une nouvelle fois s’il refusait d’espionner certains musulmans à la mosquée. En novembre 2005, son frère a été arrêté au Kazakhstan et renvoyé de force, bien qu’il ait présenté une demande d’asile, après quoi la maison de la famille a été placée sous surveillance. En décembre 2005, le requérant est arrivé à Almaty et en juillet 2007, il a été reconnu comme réfugié par le HCR. Après le départ du requérant, son beau-frère a été arrêté et passé à tabac en garde à vue; en outre, les autorités ouzbèkes ont chargé sa mère et son frère de retrouver le requérant et ont exercé des pressions sur eux pour qu’ils le fassent rentrer en Ouzbékistan.

Faizullohon Akbarov

7.3Le 18 juin 2009, le requérant a été arrêté par des agents du Service de la sécurité nationale. Pendant qu’il se trouvait en détention, il a été roué de coups et soumis à la pression psychologique, et on a menacé de l’inculper de terrorisme. Après qu’une ONG locale eut contacté le Ministère de l’intérieur, il a été transféré dans un centre d’accueil pour les sans-abri avant d’être libéré, le 22 juin 2009. Le 24 juin 2009, il a fui l’Ouzbékistan et a demandé l’asile au Kazakhstan, où le HCR l’a reconnu comme réfugié.

Shodiev Akmaljon

7.4Le requérant, de nationalité tadjike, avait travaillé en Ouzbékistan de 2000 à 2003. En 2007, alors qu’il travaillait en Russie, le requérant a reçu un appel téléphonique de son frère l’informant qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre lui en Ouzbékistan pour appartenance à une organisation religieuse extrémiste. Il a présenté une demande d’asile en Russie, qui a été rejetée. Le 9 juillet 2009, après son retour au Tadjikistan, il a été arrêté et les services de sécurité ont menacé de l’extrader vers l’Ouzbékistan. Grâce à son réseau de connaissances et en échange d’un pot-de-vin, le beau-père du requérant a pu obtenir sa libération, après quoi l’intéressé s’est enfui au Kazakhstan.

Suhrob Bazarov

7.5Le requérant se rendait régulièrement à la prière à la mosquée. Des agents du Service de la sécurité nationale l’ont interrogé à plusieurs reprises et ont menacé de l’arrêter. Son domicile était régulièrement fouillé par des agents armés. En 2009, un ami l’a invité à une fête où il a rencontré un dénommé Umar. En août 2009, l’ami en question a été arrêté en raison de ses liens avec Umar. Le requérant a également été interrogé par la police. Craignant d’être arrêté, il a quitté l’Ouzbékistan et le HCR l’a reconnu comme réfugié le 26 novembre 2009.

Ahmad Boltaev

7.6Le 2 avril 2000, le requérant a été arrêté lors de la vague massive d’arrestations de musulmans qui a suivi les attentats à la bombe perpétrés à Tachkent en 1999. Il a été roué de coups de matraque pendant qu’il se trouvait en garde à vue et des policiers ont dissimulé de l’héroïne dans ses vêtements et monté de toutes pièces une affaire contre lui. Il a été passé à tabac et torturé pendant vingt-six jours jusqu’à ce qu’il accepte de signer de faux aveux; il a ensuite été transféré au centre de détention avant jugement de Tachkent, où il a de nouveau été torturé. Le 15 mai 2000, il a été condamné à vingt ans d’emprisonnement pour terrorisme, incitation à la haine raciale, religieuse ou ethnique, tentatives de renversement de l’ordre constitutionnel et possession de drogue. En prison, on l’a forcé à courir nu et à faire des exercices physiques éreintants; il a également été régulièrement passé à tabac et interrogé par des agents du Service de la sécurité nationale. Le 27 décembre 2003, en raison de son état de santé critique, il a été libéré de prison avec l’obligation de se présenter deux fois par semaine au Département local du Ministère de l’intérieur; à ces occasions, il a été régulièrement roué de coups. Le 13 septembre 2006, il a été informé du fait que plusieurs membres de sa famille avaient été arrêtés. Le requérant a vécu caché jusqu’à son départ pour le Kirghizistan en novembre 2007. Le 17 mars 2009, il est parti pour Almaty et le HCR l’a reconnu comme réfugié en août 2009.

Shuhrat Botirov

7.7Le requérant, qui se rendait régulièrement à la mosquée pour la prière du vendredi, a été menacé plusieurs fois d’arrestation par les autorités locales En avril 2010, deux de ses amis avec qui il allait habituellement à la prière du vendredi ont été arrêtés par le Service de la sécurité nationale. Ils ont été condamnés respectivement à neuf ans et à vingt ans d’emprisonnement. Le requérant, craignant pour sa vie, a décidé de quitter l’Ouzbékistan. Le 5 avril 2010, il est arrivé au Kazakhstan, où le HCR l’a reconnu comme réfugié.

Mukhitdin Gulamov

7.8En 1999, trois amis du requérant avec qui il allait habituellement à la mosquée ont été arrêtés et son domicile a été fouillé. En 2001, dans le cadre d’une nouvelle vague d’arrestations visant la mosquée qu’il fréquentait, la police a perquisitionné son domicile en son absence. Après cela, le requérant a vécu caché jusqu’en 2004. Lorsqu’il est sorti de la clandestinité, il a été convoqué par le bureau du Procureur et interrogé au sujet de ses fréquentations. Entre 2005 et 2007, plusieurs de ses amis ayant été condamnés, il a de nouveau vécu caché. Au début de 2007, il a quitté l’Ouzbékistan pour le Kazakhstan où le HCR l’a reconnu comme réfugié en mars 2007.

Shukhrat Holboev

7.9En novembre 1999, des amis du requérant ont été arrêtés et forcés à signer des documents indiquant que le requérant militait pour le renversement du régime constitutionnel. En décembre 1999, le requérant a été arrêté et forcé à signer des aveux. En février 2000, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans et demi pour tentatives de renversement de l’ordre constitutionnel et pour possession illégale d’armes, de munitions et d’explosifs. Le 14 janvier 2004, il a été amnistié. En août 2009, plusieurs de ses amis ont été arrêtés. Le 9 octobre 2009, il a fui au Kirghizistan et le 11 janvier 2010, il est arrivé à Almaty où il a demandé l’asile en vertu de la loi kazakhe de 2010 sur les réfugiés.

Saidakbar Jalolhonov

7.10En 1995, plusieurs dirigeants religieux ont été arrêtés et la mosquée à laquelle le requérant avait l’habitude de se rendre a été fermée de force. Il a donc décidé de partir en Russie, où il a poursuivi ses études religieuses et est devenu imam. Il se rendait en Ouzbékistan une fois par an. En 2001, il a appris que son ancien professeur avait été arrêté, que, sous la torture, il avait révélé le nom de tous ses étudiants, notamment celui du requérant, et que le Service de la sécurité nationale s’était rendu chez le requérant à plusieurs reprises pour interroger ses parents à son sujet. Le requérant est immédiatement retourné en Russie. En 2004, il a été convoqué par les Services de sécurité de la Fédération de Russie qui l’ont informé qu’il se trouvait sur la liste noire établie par l’Ouzbékistan. Par la suite, le renouvellement de son permis de travail a été refusé et on lui a conseillé de quitter la Russie, faute de quoi il serait expulsé vers l’Ouzbékistan. Il a déménagé au Kirghizistan puis au Kazakhstan, où le HCR l’a reconnu comme réfugié le 26 août 2009.

Dilbek Karimov

7.11Le requérant travaillait dans une usine à Saint-Pétersbourg. Il a commencé à étudier l’islam. En 2009, il a appris par sa mère que son oncle et plusieurs de ses amis avaient été arrêtés et qu’ils étaient accusés d’appartenir à un groupe religieux extrémiste. Sa mère lui a également dit que le Service de la sécurité nationale s’était rendu à l’appartement de ses parents et que, sous la pression, elle leur avait donné l’adresse du requérant à Saint-Pétersbourg. Le requérant a appris que les autorités ouzbèkes le recherchaient pour appartenance à une organisation religieuse extrémiste. Le 6 janvier 2010, il a demandé l’asile au Kazakhstan. Du 10 au 25 avril 2010, son père a été détenu par le Service ouzbek de la sécurité nationale qui cherchait à exercer une pression sur le requérant pour qu’il rentre en Ouzbékistan.

Abror Kasimov

7.12En juin 2007, le Service de la sécurité nationale a arrêté 55 personnes à Kokand, dont un des amis du requérant qui a été forcé de l’incriminer dans une affaire. Le 10 juillet 2007, le requérant s’est enfui en Russie. En son absence, sa maison a été fouillée et des documents ont été confisqués. En outre sa femme et ses parents ont été régulièrement interrogés. En avril 2009, il est arrivé au Kazakhstan où il a demandé l’asile.

Olimjon Kholturaev

7.13Le requérant étudiait le Coran en arabe depuis 2004. En 2008, un de ses amis a été arrêté et a révélé le nom du requérant. Le 23 novembre 2008, le requérant a commencé à vivre caché. Il a décidé de demander l’asile au Kazakhstan après qu’un autre ami rentré du Royaume-Uni en Ouzbékistan eut été condamné.

Alisher Khoshimov

7.14Le 27 janvier 1998, le requérant a été arrêté; de la drogue avait été dissimulée dans sa poche et il a été inculpé de possession de drogue. Pendant la détention avant jugement, il a été interrogé au sujet d’un imam qu’il connaissait et des personnes qui se faisaient passer pour des détenus l’ont torturé dans sa cellule pour qu’il témoigne que cet imam avait tenté de renverser le régime constitutionnel. Le 26 janvier 2001, il a été libéré. En juin 2009, un membre de sa famille a été interrogé à son sujet; par la suite, cette personne a été condamnée à six ans d’emprisonnement. En septembre 2009, le requérant a fui au Kazakhstan. Pendant son absence, la police est allée chez lui pour essayer de savoir où il se trouvait. Son fils de 17 ans, son frère et son neveu ont été arrêtés; son fils a été condamné à quinze ans d’emprisonnement.

Sarvar Khurramov

7.15Le requérant, qui est issu d’une famille musulmane, a organisé une cérémonie religieuse pour son mariage. Après l’arrestation d’un ami (le même que celui cité par M. Kholturaev, voir plus haut), des agents du Service de la sécurité nationale se sont rendus chez ses parents pour les interroger. En février 2010, le requérant a été reconnu comme réfugié par le HCR au Kazakhstan.

Oybek Kuldashev

7.16Le requérant allait régulièrement à la mosquée de son quartier. En avril 2010, deux de ses amis ont été arrêtés et ils ont par la suite été condamnés à des peines de neuf ans et vingt ans d’emprisonnement, respectivement. Craignant pour sa vie, le requérant a quitté l’Ouzbékistan et, le 8 avril 2010, le HCR l’a reconnu comme réfugié. Il a appris que ses deux frères et un ami proche avaient été arrêtés et interrogés à son sujet pendant son absence. Ils avaient été passés à tabac.

Kobiljon Kurbanov

7.17Après les attentats à la bombe perpétrés à Tachkent en 1999, le requérant a commencé à être harcelé. En 2001, il a été condamné pour la distribution de tracts illégaux que la police avait dissimulés dans son sac. En 2004, il a été arrêté pour la possession illégale d’une arme que la police avait cachée à son domicile. En 2009, il a été illégalement détenu pendant sept jours et roué de coups par la police. Le 26 février 2010, il a demandé l’asile au Kazakhstan.

Bahriddin et Bahtiyor Nurillaev

7.18Plusieurs membres de la famille des requérants ont été arrêtés en raison de leurs pratiques religieuses. Leur frère a été torturé pendant une période de cinq mois et forcé à signer de faux aveux. Quatre de leurs cousins ont également été torturés et forcés à signer des aveux indiquant qu’ils appartenaient à des organisations extrémistes. Les deux frères, craignant de subir le même traitement, ont fui au Kazakhstan où le HCR les a reconnus comme réfugiés en octobre et novembre 2009.

Ulugbek Ostonov

7.19En 1999, le requérant est devenu un musulman pratiquant et il a accueilli un cercle d’étude sur l’islam à son domicile. En mars 2004, après les attentats à la bombe à Tachkent, trois membres du groupe ont été condamnés à des peines de seize et de dix-huit ans d’emprisonnement. Le requérant a été placé sous surveillance, et sa femme a été régulièrement interrogée à son sujet et torturée par des agents du Service de la sécurité nationale. Craignant pour sa sécurité, le requérant est allé en Russie, d’où il s’est rendu au Kazakhstan en octobre 2008. Il a appris que son frère avait été détenu au secret pendant trois mois et torturé et qu’on lui avait dit qu’il serait libéré si le requérant rentrait en Ouzbékistan. Le 13 janvier 2010, le requérant a été reconnu comme réfugié par le HCR au Kazakhstan.

Isobek Pardaev

7.20En 2006, le requérant a commencé à pratiquer l’islam et, en 2009, il s’est marié selon le rituel religieux, à la suite de quoi il a été placé sous surveillance en tant qu’extrémiste potentiel. En avril 2010, deux de ses amis ont été arrêtés à la mosquée qu’il fréquentait. Le requérant est parti pour le Kazakhstan, où il a obtenu le statut de refugié en mai 2010.

Oybek Pulatov

7.21En 2009, des amis du requérant avec qui il allait à la mosquée ont été arrêtés et le domicile ainsi que le magasin du requérant ont été placés sous surveillance. En avril 2010, un de ses amis très proches a été arrêté, puis détenu au secret pendant cinq mois et soumis à de graves tortures. Effrayé par ces arrestations, le requérant a fui au Kazakhstan.

Uktam Rhakhmatov

7.22Le requérant se réunissait avec ses amis deux fois par mois pour étudier le Coran. En 2008, il a appris que son nom figurait sur la liste des personnes considérées comme suspectes. En 2009, après l’arrestation de plusieurs de ses amis, il a été approché par le Service de la sécurité nationale à plusieurs reprises. Après son départ pour le Kazakhstan le 5 avril 2010, ses parents ont été informés qu’il était recherché par la police.

Otabek Sharipov

7.23Le 7 juin 2000, le requérant a été soumis à un interrogatoire; il a été roué de coups de pied et de coups de poing et on a voulu lui faire avouer qu’il appartenait à un groupe religieux extrémiste, ce qu’il a refusé de faire. Pendant vingt jours, il a été soumis à de graves tortures et on lui a demandé de signer des aveux, ce qu’il a fini par faire. Le 11 décembre 2000, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de neuf ans. Le 15 janvier 2003, après avoir été régulièrement torturé en détention, il a bénéficié d’une amnistie. En 2007, le requérant est parti travailler à Saint-Pétersbourg et il est rentré en Ouzbékistan en décembre 2007. En février 2008, plusieurs de ses collègues qui étaient retournés en Ouzbékistan ont été arrêtés. Le 21 août 2009, il est arrivé au Kazakhstan.

Tursunboy Sulaimonov

7.24Le requérant est un musulman de nationalité tadjike. Le 29 mars 2004, le jour des attentats à la bombe à Tachkent, ses trois beaux-frères ont été arrêtés. Quatre jours plus tard, 12 policiers se sont rendus chez lui. Sa femme a réussi à le prévenir et il a fui au Tadjikistan. Quelques jours plus tard, il a été arrêté par les autorités tadjikes qui l’accusaient d’avoir participé aux attentats à la bombe qui avaient été perpétrés en mars à Tachkent et de faire du trafic d’armes. Il a été torturé pendant trois jours, mais il a ensuite été relâché en échange d’un important pot-de-vin. En septembre 2004, un procès a été engagé contre 33 personnes, dont le requérant. Il a été présenté comme le chef de l’organisation extrémiste responsable des attentats de Tachkent et les autorités ouzbèkes ont émis un mandat d’arrêt international contre lui. Le 6 mars 2009, après avoir vécu caché au Tadjikistan et au Kirghizistan, le requérant est arrivé au Kazakhstan.

Sirojiddin Talipov

7.25Le requérant allait régulièrement à la prière. En 2007, il est parti travailler en Russie. Lors de l’une de ses visites en Ouzbékistan, il a appris que sa maison était surveillée et qu’un grand nombre de ses amis avaient été arrêtés. En 2010, sa famille lui a dit de ne pas rentrer en Ouzbékistan car il y serait arrêté. Il est donc allé au Kazakhstan où il a demandé l’asile.

Abduazimhuja Yakubov

7.26Un collègue du requérant qui avait été placé sous la surveillance du Service de la sécurité nationale a par la suite été assassiné. En 2009, le requérant et tous les autres membres de sa famille de sexe masculin ont été convoqués par le Service de la sécurité nationale. Le 28 janvier 2010, le requérant est arrivé au Kazakhstan. Il a appris que sa sœur et son neveu avaient été condamnés respectivement à neuf ans et à dix-sept ans d’emprisonnement et qu’il était accusé d’appartenir à un groupe religieux extrémiste qui aurait été fondé par son beau-père, qui a par la suite été tué par la police.

Maruf Yuldoshev

7.27En 2009, le requérant a commencé à aller à la mosquée. En avril 2010, l’un de ses amis a été arrêté et un autre de ses amis l’a informé qu’il risquait d’être arrêté et torturé. Il a fui l’Ouzbékistan et est arrivé au Kazakhstan le 5 avril 2010.

7.28Le conseil indique qu’elle ne dispose d’aucune information concernant Ravshan Turaev et Fayziddin Umarov car elle n’a pas pu contacter les requérants, détenus au Kazakhstan ou en Ouzbékistan à la suite de leur extradition.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

8.1Le 30 avril 2012, l’État partie a soumis d’autres observations concernant l’extradition des 29 requérants. Il indique que, de juin à décembre 2010, les requérants ont été extradés vers l’Ouzbékistan, où ils étaient accusés de terrorisme, de création d’organisations religieuses, extrémistes, séparatistes, fondamentalistes et autres organisations interdites ou d’appartenance à de telles organisations, ainsi que de meurtre, d’appartenance à des organisations criminelles et d’autres infractions. La décision d’extradition a été prise conformément aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et compte tenu de la gravité des accusations, afin d’empêcher que les personnes concernées ne prennent la fuite et de garantir la sécurité publique sur le territoire de l’État partie.

8.2L’État partie renvoie à ses précédentes réponses sur la légalité de la décision d’extradition et les allégations des requérants concernant des mauvais traitements et des actes de torture qui auraient été commis par les autorités de l’État partie. Il rappelle avoir reçu l’assurance écrite du bureau du Procureur général de l’Ouzbékistan que les droits et libertés des requérants seraient respectés après leur extradition et que ces derniers ne seraient pas soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Les autorités ouzbèkes avaient également assuré le Comité que des organisations internationales telles que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et un certain nombre d’organisations internationales actives dans le domaine des droits de l’homme avaient librement accès aux centres de détention pour contrôler les conditions de détention et s’entretenir avec les détenus.

8.3L’État partie explique que, les décisions prises par les autorités au sujet des griefs des requérants concernant leur extradition et leur statut de réfugié étant devenues définitives, le maintien en détention des requérants n’était pas fondé en droit mais que, par ailleurs, leur remise en liberté n’était pas possible car ils constituaient une menace pour la sécurité et les intérêts publics du Kazakhstan.

8.4L’État partie rappelle que l’Ouzbékistan est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture. Les procédures pénales engagées contre les requérants sont donc pleinement conformes à la législation nationale et aux obligations internationales de l’Ouzbékistan. Conformément à la Convention de Minsk, l’État partie a obtenu des renseignements sur les procédures pénales engagées contre 26 requérants, qui n’ont été condamnés que pour des crimes dont il est fait mention dans la demande d’extradition. Aucun d’eux n’a été condamné à la peine capitale ni à la réclusion à perpétuité.

8.5L’État partie indique que M. Rakhmatov a été condamné à trois ans de rééducation par le travail. MM. Oybek Pulatov et Maruf Yuldoshev ont été condamnés à des peines analogues, sans emprisonnement. La procédure pénale visant M. Jalolhonov a été close en application d’une loi d’amnistie. M. Abdussamatov a été condamné à douze ans d’emprisonnement le 26 septembre 2011 pour tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel. L’État partie explique qu’il sera informé par l’Ouzbékistan de l’issue de toutes les procédures pénales engagées contre les requérants. Enfin, il fait valoir que le personnel de son ambassade s’est entretenu avec les autorités ouzbèkes au sujet des conditions de détention des requérants et de leurs allégations de torture et de mauvais traitements, et qu’il fournira d’autres précisions à ce sujet.

Audition des parties

9.1Le 8 mai 2012, à la demande de l’État partie, le Comité a entendu les deux parties. L’État partie a expliqué que la décision d’extrader les requérants était fondée sur un certain nombre d’éléments. Premièrement, conformément à l’article 534 du Code de procédure pénale, la durée maximale d’emprisonnement d’une personne faisant l’objet d’une demande d’extradition est d’un an et, dans le cas des requérants, ce délai était dépassé; deuxièmement, rien ne justifiait en droit de les remettre en liberté ou de leur accorder le statut de réfugié au Kazakhstan, et il semblait impossible de les réinstaller dans un pays tiers; troisièmement, d’après les informations fournies par des partenaires à l’étranger, les requérants étaient impliqués dans l’établissement d’un réseau d’organisations terroristes internationales, dont deux sont interdites dans l’État partie et figurent sur la liste du Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité de l’ONU.

9.2L’État partie a en outre fait observer que le HCR avait retiré leur statut de réfugié aux requérants après avoir fait examiner leurs dossiers par ses experts pendant deux mois. L’État partie ne pouvait pas tolérer l’infiltration de groupes extrémistes religieux d’Asie centrale dans d’autres pays et avait pris la décision délibérée de ne pas respecter la demande de mesures provisoires du Comité afin de protéger ses citoyens et ceux d’autres pays.

9.3En ce qui concerne les procédures pénales engagées contre les requérants en Ouzbékistan et l’état de santé de ces derniers, l’État partie a expliqué que, d’après les informations fournies par le Procureur général de l’Ouzbékistan le 5 mai 2012, 25 requérants avaient été reconnus coupables et condamnés; trois d’entre eux avaient été condamnés à des peines de trois ans de rééducation par le travail et avaient été remis en liberté après le procès. Un requérant avait été amnistié. D’après l’État partie, rien ne porte à croire que les requérants seraient soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants en Ouzbékistan. Selon les autorités ouzbèkes, les requérants sont détenus dans des conditions satisfaisantes et ne sont pas soumis à la torture. L’État partie a fait observer que, chaque année, quelque 10 000 migrants clandestins provenant d’Ouzbékistan entraient sur son territoire et que 5 000 d’entre eux étaient renvoyés. L’État partie coopère avec l’Ouzbékistan et extrade chaque année une quarantaine d’individus impliqués dans des procédures pénales. Depuis 2007, le HCR a réinstallé 215 ressortissants ouzbeks dans des pays tiers.

9.4Répondant aux questions des membres du Comité, l’État partie a indiqué qu’en vertu de l’article 18 de la loi sur les réfugiés et de l’article 532 du Code de procédure pénale, nul ne peut être renvoyé vers un pays tiers si sa vie ou sa liberté est menacée et s’il risque d’être soumis à la torture. S’agissant de la régularité de la procédure dont les requérants avaient fait l’objet au Kazakhstan, l’État partie a rappelé ses observations écrites et a indiqué que les pièces documentaires montraient que des avocats et des interprètes avaient pris part à la procédure et qu’aucune plainte n’avait été déposée par les requérants, leurs avocats, les représentants du HCR ou le Bureau des droits de l’homme de l’État partie. En ce qui concerne les procédures en Ouzbékistan, l’État partie a indiqué que tous les requérants étaient défendus par des avocats de leur choix et qu’aucune allégation de torture n’avait été formulée.

9.5En ce qui concerne la situation en Ouzbékistan et les risques encourus par les requérants, l’État partie a fait observer que les autorités kazakhes collaboraient avec leurs homologues ouzbeks pour recevoir l’assurance qu’aucun des requérants ne serait soumis à la torture et que des organisations internationales seraient autorisées à leur rendre visite. En cas de non-respect de ces garanties, l’État partie se réservait le droit de réexaminer sa coopération avec l’Ouzbékistan. L’État partie a aussi indiqué qu’il avait connaissance des rapports d’ONG internationales sur les droits de l’homme en Ouzbékistan, des rapports des rapporteurs spéciaux de l’ONU et des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies. Il a évoqué d’autres rapports selon lesquels la situation des droits de l’homme s’était améliorée en Ouzbékistan. Il a par ailleurs indiqué que M. Yakubov avait été condamné à dix-huit ans d’emprisonnement et M. Boltaev à douze, et non à trente comme les médias l’avaient affirmé.

9.6Pour ce qui est de savoir si les requérants figurent nommément sur la liste du Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité de l’ONU, l’État partie a indiqué que les deux organisations dont il avait parlé figuraient sur la liste. L’une d’elles compte environ 5 000 membres et tous les noms ne peuvent pas figurer sur la liste.

9.7L’État partie a en outre expliqué qu’il assurait un suivi régulier de la situation des requérants et qu’il avait été informé que ceux-ci n’avaient pas été soumis à la torture à leur retour en Ouzbékistan.

9.8L’État partie a confirmé qu’il avait adopté une loi contre le terrorisme mais qu’il avait décidé d’extrader les requérants parce qu’ils représentaient une menace pour la sécurité nationale et la sécurité de la région ou d’autres pays.

9.9Interrogé sur ce qu’il était advenu des requérants, l’État partie a indiqué que quatre d’entre eux avaient été remis en liberté et que les autres étaient soit en prison, soit dans un lieu de détention avant jugement.

10.1Le conseil des requérants a indiqué que l’État partie n’avait pas expliqué pourquoi il n’avait pas respecté la demande de mesures provisoires, ce qui constituait une violation de l’article 22 de la Convention, induisant une inversion de la charge de la preuve au détriment de l’État partie, qui devait justifier l’extradition des requérants.

10.2Le conseil a fait observer qu’avant l’extradition des requérants, l’État partie disposait de nombreuses informations concernant le risque considérable que les requérants couraient d’être torturés à leur retour en Ouzbékistan. Le bilan de ce pays en matière de torture est catastrophique, comme il ressort clairement des documents d’ONG internationales telles que Human Rights Watch, des rapports du Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, des observations finales du Comité des droits de l’homme de 2010 concernant l’Ouzbékistan et des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la Russie. Il est notoire que la torture est couramment ou systématiquement pratiquée contre les détenus en Ouzbékistan et que les personnes détenues pour des motifs religieux ou liés au terrorisme risquent encore plus d’en être victimes. Le conseil a rappelé que les requérants étaient tous de fervents pratiquants de l’islam et qu’ils avaient été inculpés sur la base de l’article 244 du Code pénal ouzbek («publication, conservation et distribution de matériels incitant à l’extrémisme religieux» et «appartenance à une organisation religieuse extrémiste, séparatiste ou fondamentaliste, ou à une autre organisation interdite») et de l’article 159 du Code pénal ouzbek («tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel»). Comme des milliers d’autres fidèles pratiquant leur religion de façon pacifique en dehors du strict contrôle de l’État en Ouzbékistan, les requérants ont été pris pour cible par le Gouvernement et étiquetés comme «extrémistes religieux» et «membres d’organisations religieuses interdites». Nombre d’entre eux avaient été détenus et torturés avant de s’enfuir de leur pays.

10.3Le conseil a indiqué que les requérants avaient décrit en détail leur situation personnelle et expliqué les risques qu’ils couraient d’être torturés à leur retour lors des recours formés devant les juridictions de l’État partie, et qu’ils s’étaient constamment référés à la Convention contre la torture, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et aux rapports d’ONG sur la pratique de la torture en Ouzbékistan. Pourtant, les juridictions de l’État partie n’ont procédé à aucune évaluation des risques de torture encourus par chacun des requérants. En outre, des ONG internationales telles que ACAT-France, Amnesty International, Human Rights Watch et d’autres ont adressé de nombreuses lettres et appels aux autorités kazakhes entre 2010 et 2011, leur demandant de ne pas extrader ces personnes compte tenu du risque de torture auquel elles seraient exposées. Le conseil a fait valoir que l’État partie était informé du danger que couraient les requérants.

10.4Le conseil a fait observer que le principe de non-refoulement était un principe fondamental et absolu qui devait primer les conventions d’extradition bilatérales. Elle a aussi indiqué que la question du retrait du statut de réfugié ne devait pas entrer en ligne de compte face au risque de torture. Même les terroristes avaient le droit de ne pas être torturés.

10.5S’agissant des assurances diplomatiques qui auraient été fournies par l’Ouzbékistan, le conseil ne les jugeait pas fiables et a fait observer qu’il n’existait pas de mécanisme de suivi indépendant et efficace de la situation après une extradition en Ouzbékistan. Elle a indiqué que le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et la Cour européenne des droits de l’homme estimaient que les assurances diplomatiques fournies par le Gouvernement ouzbek n’exonéraient pas les États de leur obligation de ne pas expulser une personne lorsqu’il existait un risque de torture. Dans ses observations finales concernant le Kazakhstan, le Comité des droits de l’homme a recommandé à l’État partie «de faire preuve de la plus grande circonspection dans le recours aux assurances diplomatiques». Le conseil a également noté que le Kazakhstan n’avait pas fourni au Comité copie des prétendues assurances diplomatiques. En ce qui concerne les mécanismes présumés de suivi de la situation, le conseil a indiqué que le mandat et les règles de confidentialité du Comité international de la Croix-Rouge faisaient qu’aucun rapport sur la situation en Ouzbékistan ne pouvait être transmis au Kazakhstan. En outre, le conseil a contacté l’OMS qui a confié n’avoir jamais reçu d’instruction des autorités ouzbèkes pour suivre la situation des requérants et n’avoir pas accès aux prisons. «Les autres organisations internationales actives dans le domaine des droits de l’homme» n’avaient pas accès aux lieux de détention en Ouzbékistan.

10.6Le conseil a tenté de suivre la situation des requérants mais personne n’a pu leur rendre visite ou obtenir des informations sur ce qu’il était advenu d’eux et sur la façon dont ils avaient été traités. D’après des articles de presse, cinq des requérants ont été condamnés à de longues peines entre août et novembre 2011. Ainsi, Ahmad Boltaev a été condamné à treize ans d’emprisonnement. D’autres ont été jugés mais l’on ne sait rien de l’issue des procédures en l’absence de couverture médiatique ou de mécanisme de suivi indépendant des procès. Selon le conseil, les requérants n’ont pas eu accès à des avocats indépendants et leur droit à un procès équitable n’a pas été respecté.

10.7Le conseil a également considéré que l’État partie n’avait pas pris des mesures efficaces pour prévenir les actes de torture en l’espèce, en violation de l’article 2 de la Convention contre la torture. Il n’avait pas non plus fourni aux requérants un accès à des recours utiles pour contester leur extradition, en violation de l’article 22 de la Convention.

10.8Au sujet de la lutte contre le terrorisme, le conseil a fait observer qu’elle devrait être menée dans le respect du droit des droits de l’homme et que l’obligation de l’État partie de ne pas expulser une personne lorsqu’il existe un risque de torture est absolue. Si les requérants représentaient un danger pour la sécurité de l’État partie, les autorités auraient dû les inculper et les faire juger par les tribunaux nationaux.

10.9S’agissant des recours, le conseil a fait référence aux Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes. Elle a demandé d’ordonner à l’État partie de garantir le retour des requérants, et de veiller à ce que ceux-ci bénéficient d’une indemnisation et d’une réadaptation conformément à l’article 14 de la Convention. L’État partie devrait aussi revoir son système d’assurances diplomatiques et son système judiciaire afin d’éviter que des violations similaires ne se reproduisent.

Renseignements complémentaires communiqués par l’État partie

11.1Le 11 mai 2012, comme suite à une demande formulée par le Comité durant l’audition des parties, l’État partie a fourni copie des garanties obtenues auprès des autorités ouzbèkes et d’un certain nombre de décisions rendues par le tribunal de district. Il ressort de ces documents que, le 6 septembre 2010, l’État partie a sollicité des garanties concernant les 29 requérants et a demandé en particulier qu’ils ne soient pas poursuivis pour des motifs politiques et qu’ils ne soient pas soumis à des mesures discriminatoires, à la torture ni à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, et que, si nécessaire, les autorités de l’État partie puissent rendre visite aux requérants à tout moment durant la procédure afin de s’assurer que leurs droits étaient respectés. Les 7, 11, 12 et 20 octobre 2010 et le 10 janvier 2011, le Procureur général de l’Ouzbékistan a fourni des garanties concernant chacun des requérants, indiquant que l’Ouzbékistan est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture. Il a en outre indiqué que, conformément aux articles 16 et 17 du Code pénal ouzbek, la justice est rendue dans le respect du principe de l’égalité de moyens («égalité des armes»), sans discrimination aucune, et que nul n’est soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants. Tout acte ou décision contraire à la dignité humaine et menaçant la santé physique ou mentale d’autrui est formellement proscrit. Le Procureur général de l’Ouzbékistan a également autorisé les autorités kazakhes à rendre visite à chacun des requérants placés en détention et à recevoir des renseignements sur les procédures pénales engagées contre eux. Les autorités ouzbèkes ont en outre fourni la garantie que les procédures pénales concernant les requérants étaient conformes aux dispositions du Code de procédure pénale ouzbek et aux obligations internationales de l’Ouzbékistan.

11.2Le 5 mai 2012, le Procureur général de l’Ouzbékistan a informé l’État partie que, sur les 29 individus extradés, 25 avaient été condamnés. MM. Rakhmatov, Yuldoshev et Pulatov ont été condamnés à trois ans de rééducation par le travail sans privation de liberté. Les autorités ouzbèkes ont proposé une aide juridictionnelle à tous les requérants et certains d’entre eux ont été représentés par leurs propres avocats. Un requérant a refusé l’aide juridictionnelle et s’est défendu lui-même. Aucune plainte pour torture ou mauvais traitements n’a été déposée. Les procédures pénales ont été publiques. Les autorités ouzbèkes disent aussi étudier la possibilité d’autoriser les autorités kazakhes à rendre visite aux requérants en détention. Elles indiquent en outre qu’elles ont mis en place un mécanisme pour donner suite aux recommandations des organes conventionnels de l’ONU.

Commentaires supplémentaires du conseil

12.1Le 16 mai 2012, le conseil a transmis d’autres commentaires. Elle indique que la communication a été soumise en décembre 2010 et qu’à cette époque tous les documents présentés par l’État partie le 11 mai 2012 étaient déjà en sa possession et que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi il ne communiquait ces documents qu’à cette étape finale de la procédure.

12.2S’agissant des décisions du tribunal, le conseil note qu’elles prouvent que les requérants ont soulevé la question du non-refoulement et du risque de mauvais traitement à leur retour en Ouzbékistan, mais que leurs arguments ont été rejetés de façon sommaire, sans être examinés. Le conseil relève aussi que le tribunal n’a pas contesté les arguments des requérants selon lesquels leur droit à un procès équitable n’avait pas été respecté, et que l’État partie n’a pas examiné ces allégations.

12.3Le conseil fait aussi valoir que les assurances diplomatiques ont été obtenues tardivement et qu’elles sont vagues et imprécises, et qu’aucun mécanisme efficace de suivi n’est prévu. Les garanties ont été données à la suite d’une demande formulée par le Procureur général de l’État partie, dans laquelle il affirme que les autorités ne doutent pas que l’Ouzbékistan se conformera à ses obligations internationales. Par ailleurs, le texte des assurances diplomatiques sollicitées figurait dans la lettre du Procureur général du Kazakhstan et constituait donc une pure formalité, sans aucun effet sur la décision de l’État partie concernant l’extradition des requérants.

12.4Le conseil fait valoir en outre que les autorités de l’État partie ont reçu l’autorisation de rendre visite aux requérants dès octobre 2010, alors que c’est seulement dans ses observations complémentaires du 11 mai 2012 que l’État partie a informé le Comité qu’il envisageait de rendre visite aux requérants. Il n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas cherché à le faire plus tôt. Le conseil renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et note que des assurances diplomatiques ont été considérées comme une garantie suffisante contre la torture dans une seule affaire, où le suivi de la situation dans le lieu de détention a été confié à une ONG indépendante qui s’occupe des droits de l’homme.

Délibérations du Comité

Examen au fond

13.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties.

13.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants en Ouzbékistan, l’État partie a manqué à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité doit se prononcer sur la question à la lumière des renseignements que les autorités de l’État partie avaient ou auraient dû avoir en leur possession au moment de l’extradition. Les événements ultérieurs sont utiles pour apprécier ce que l’État partie savait ou aurait dû savoir au moment de l’extradition.

13.3Pour déterminer si l’extradition des requérants vers l’Ouzbékistan a constitué une violation des obligations de l’État partie au titre de l’article 3 de la Convention, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle que l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un tel risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations fragrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

13.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1996) sur l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle il dit que l’existence d’un risque de torture «doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable», mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans de précédentes décisions que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel.

13.5Le Comité note que le conseil fait valoir que les requérants et les autres personnes renvoyées en Ouzbékistan comme suite à des demandes d’extradition sont détenus au secret et exposés de ce fait à un risque de torture et de mauvais traitements. Le conseil affirme aussi que la pratique de la torture et des mauvais traitements reste systématique en Ouzbékistan et que les musulmans qui pratiquent leur foi hors du cadre du contrôle de l’État ainsi que les personnes accusées d’extrémisme religieux ou de tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel sont particulièrement visés. Le Comité note en outre que l’État partie a rejeté les demandes d’asile ou de rétablissement du statut de réfugié des requérants au motif qu’ils constitueraient une menace pour l’État partie et pourraient porter gravement atteinte à sa sécurité et à celle d’autres pays. Il prend note par ailleurs des arguments du conseil selon lesquels la procédure qui a abouti à l’extradition des requérants n’était pas équitable car aucun service d’interprète n’avait été fourni, les requérants avaient eu un accès limité à des avocats et ces derniers n’avaient pas eu accès aux dossiers. Le Comité prend note également de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les procédures ont été contrôlées par le HCR, que les responsables du Bureau des droits de l’homme de l’État partie n’ont reçu aucune plainte et que les services d’un avocat et d’un interprète ont été garantis. En ce qui concerne la crainte de subir des tortures en Ouzbékistan invoquée par les requérants, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui fait valoir que l’Ouzbékistan est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture, et qu’il a donné des assurances diplomatiques garantissant que les requérants ne seraient pas soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il note également que, selon l’État partie, l’Ouzbékistan lui a donné l’assurance que des organisations internationales pouvaient surveiller les établissements de détention. Le Comité constate que le conseil a rejeté cette affirmation, indiquant que les règles du CICR faisaient qu’aucun rapport ne pouvait être soumis aux autorités de l’État partie et que les autres organisations mentionnées n’avaient pas accès aux lieux de détention. Le Comité prend note enfin de l’affirmation du conseil selon laquelle, en ce qui concerne quatre des 29 requérants, le HCR s’était prononcé contre leur extradition et que le conseil n’avait eu accès à aucune information concernant la position du HCR sur les autres cas.

13.6S’agissant de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, le Comité rappelle ses observations finales concernant le troisième rapport périodique de l’Ouzbékistan, dans lesquelles il a relevé avec préoccupation des allégations nombreuses, persistantes et cohérentes faisant état d’un recours systématique à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par des agents de la force publique et des enquêteurs, ou à leur instigation ou avec leur consentement, et noté que des personnes renvoyées dans le pays après avoir cherché refuge à l’étranger avaient été placées en détention dans des lieux secrets et peut-être soumises à des actes contraires à la Convention.

13.7Le Comité note que les 29 requérants sont des musulmans qui pratiqueraient leur religion en dehors des structures officielles ouzbèkes ou appartiendraient à des organisations extrémistes religieuses. Il relève aussi que les requérants ont été extradés comme suite à une demande de l’Ouzbékistan, qui les accusait de crimes graves, notamment d’extrémisme religieux et de tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel, et parce que l’État partie estimait qu’ils représentaient une menace pour la sécurité de ses citoyens et celle des citoyens d’autres pays. Le Comité réaffirme la préoccupation qu’il a formulée dans ses observations finales au sujet des personnes renvoyées de force vers l’Ouzbékistan au nom de la sécurité régionale, et notamment de la lutte contre le terrorisme, dont on ignore ce qu’elles sont devenues, dans quelles conditions elles vivent et quel traitement elles ont reçu. Il fait également observer que le principe de non-refoulement consacré par l’article 3 de la Convention est absolu et que la lutte contre le terrorisme n’exonère pas l’État partie de son obligation de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Dans ce contexte, le Comité observe également que le principe de non-refoulement consacré par l’article 3 de la Convention est absolu même si, après une évaluation au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, un réfugié voit son statut annulé en vertu de l’alinéa c de la section F de l’article premier de la Convention de 1951.

13.8Dans les circonstances de l’espèce, le Comité estime qu’il a été suffisamment établi, dans ses propres observations finales, de même que dans les informations qui lui ont été présentées, qu’il existait un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, ainsi qu’un risque important de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants en Ouzbékistan, en particulier pour des personnes pratiquant leur foi en dehors du cadre officiel. De surcroît, il constate que les requérants ont affirmé qu’ils avaient subi des persécutions religieuses, notamment, dans certains cas, des placements en détention et des actes de torture, avant de s’enfuir au Kazakhstan.

13.9Le Comité rappelle qu’en vertu de son Observation générale no 1 sur l’application de l’article 3 de la Convention, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et qu’il est habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément de preuve, par écrit ou oralement, pour réfuter les griefs des requérants selon lesquels ils n’avaient pas eu droit à une procédure régulière dans le cadre de leur extradition (par exemple, suffisamment de temps pour préparer leur défense, accès limité aux services d’un avocat et d’un interprète), et qu’il n’y avait pas eu d’évaluation individualisée du risque que courait personnellement chaque requérant d’être torturé à son retour en Ouzbékistan. Le Comité constate que le tribunal de première instance (certaines décisions ont été communiquées au Comité) a fait référence à la législation nationale et à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés mais qu’il n’a procédé à aucune évaluation individualisée du risque de torture conformément à l’article 3 de la Convention ou du principe de non-refoulement dans la législation nationale. Par ailleurs, l’État partie n’a pas respecté les mesures provisoires demandées par le Comité. Il n’a pas non plus examiné les arguments invoqués par les requérants concernant l’absence de procès équitable et le risque de torture à leur retour en Ouzbékistan. Le Comité conclut que l’État partie n’a pas convenablement examiné les griefs des requérants selon lesquels ils couraient un risque prévisible, réel et personnel d’être torturés en cas de renvoi en Ouzbékistan. Dans les circonstances de l’espèce, compte tenu des observations écrites et orales présentées par les parties, le Comité conclut que les requérants, qui ont tous été accusés d’extrémisme religieux ou d’appartenance à des organisations extrémistes ou terroristes en Ouzbékistan et ont été extradés par l’État partie sur la base, entre autres, de ces accusations, ont suffisamment démontré qu’ils couraient un risque prévisible, réel et personnel d’être torturés en cas de renvoi en Ouzbékistan. Au vu de ces éléments, le Comité conclut que, dans les circonstances de l’espèce, l’extradition des requérants par l’État partie vers l’Ouzbékistan constituait une violation de l’article 3 de la Convention.

13.10Par ailleurs, l’État partie a estimé que les assurances diplomatiques qu’il avait obtenues constituaient une protection suffisante contre le risque de torture manifeste. Le Comité rappelle que des assurances diplomatiques ne sauraient être utilisées pour éviter l’application du principe de non-refoulement. Le Comité constate que l’État partie n’a pas expliqué suffisamment en détail s’il avait entrepris un suivi quelconque et s’il avait pris des mesures pour faire en sorte que ce suivi soit objectif, impartial et suffisamment fiable.

14.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, décide que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 3 et 22 de la Convention.

15.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à assurer réparation aux requérants, y compris à organiser leur retour au Kazakhstan et à les indemniser. Il souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite à la présente décision.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]