Communication présentée par :

D. B. (représentée par un conseil, Vanda Durbáková)

Victime présumée :

L’auteure

État partie :

Slovaquie

Date de la communication :

4 décembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 69 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 11 octobre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

6 juillet 2020

Objet :

Discrimination fondée sur le genre pratiquée par les tribunaux dans les procédures de divorce et le partage des biens communs

Question de procédure :

Défaut de fondement des griefs

Articles de la Convention :

Article 2 c) et e), lu conjointement avec l’article premier et l’article 16 (par. 1 h)

Article du Protocole facultatif :

Article 4 [par. 2 c) ]

* Adoptée par le Comité à sa soixante-seizième session (29 juin-9 juillet 2020).

** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la présente communication : Gladys Acosta Vargas, Hiroko Akizuki, Tamader Al-Rammah, Nicole Ameline, Gunnar Bergby, Marion Bethel, Louiza Chalal, Esther Eghobamien-Mshelia, Naéla Mohamed Gabr, Hilary Gbedemah, Nahla Haidar, Dalia Leinarte, Rosario G. Manalo, Lia Nadaraia, Aruna Devi Narain, Ana Peláez Narváez, Bandana Rana, Rhoda Reddock, Elgun Safarov, Wenyan Song, Genoveva Tisheva and Franceline Toé-Bouda.

Exposé des faits

1.L’auteure de la communication est D. B., de nationalité slovaquienne, née en 1964. Elle affirme que la Slovaquie a violé les droits qu’elle tient de l’article 2) c) et e) de la Convention, lu conjointement avec l’article premier et le paragraphe 1 h) de l’article 16. La Convention et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 27 juin 1993 et le 17 février 2001, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil, Vanda Durbáková.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure a épousé Š.B. en 1987. Quatre enfants sont nés de leur mariage, dont l’un, M., est handicapé. C’est l’auteure qui s’occupe toute seule de M. Elle ne travaille pas et son seul revenu provient des prestations sociales qu’elle perçoit, pour un montant d’environ 220 euros par mois, dont 26 euros de pension alimentaire versés par Š. B. Ce revenu ne couvre pas ses besoins. Son fils aîné l’aide financièrement.

2.2Membre d’une coopérative de logement, l’auteure s’est vu attribuer un appartement à Košice. Elle a déclaré qu’elle avait dû payer à la coopérative une part d’un montant approximatif de 707 euros et qu’elle avait obtenu un prêt sans intérêt pour pouvoir s’en acquitter. L’auteure a longtemps subi les violences de Š. B. quand ils vivaient sous le même toit : il l’a agressée physiquement et verbalement à plusieurs reprises, il l’a humiliée et il a menacé de la tuer. Elle a donc été contrainte plusieurs fois de quitter le foyer avec ses enfants et d’habiter ailleurs, notamment de juillet 2004 à février 2005. Š. B. a été condamné pour violences conjugales le 4 avril 2007 et le 1er août 2008. La santé de l’auteure reste affectée par le stress auquel elle a été exposée. Elle souffre de graves maux de dos, d’arthrose, de problèmes gastro-intestinaux, d’anxiété et de troubles dépressifs et suit un traitement psychiatrique de longue durée.

2.3Le tribunal de district de Košice I a prononcé le divorce de l’auteure et de Š. B. le 23 mai 2006. Le 25 mars 2008, le tribunal de district a prononcé une injonction d’éloignement temporaire contre Š. B pour lui interdire de pénétrer dans l’appartement. En raison du comportement violent de Š. B., le tribunal de district a mis fin, le 10 mars 2010, à sa location de l’appartement et a décidé que l’auteure resterait la seule locataire et membre de la coopérative. Le tribunal a également statué que Š. B. n’avait pas droit à un logement de substitution.

2.4En l’absence d’un accord avec l’auteure sur le partage des biens communs du mariage, Š. B. a demandé que les biens soient répartis par voie de décision judiciaire. Le tribunal de district de Košice I a examiné la demande en se basant sur la valeur de la part dans la coopérative. Une fois déduit le coût des travaux de reconstruction, l’appartement a été estimé à une valeur de 53 200 euros. Le tribunal de district a estimé que l’auteure avait contribué à l’acquisition de l’appartement, puisque c’est à elle qu’il avait été attribué et qu’elle remboursait le prêt qui lui avait été accordé pour payer sa part de membre de la coopérative. Le tribunal de district a pris acte du fait qu’elle avait reçu un héritage d’un montant de 5 158,74 euros et qu’elle avait assumé seule depuis 2003 les dépenses du ménage et l’entretien des enfants, avec l’aide d’amis et de parents. Le tribunal a également pris en considération le fait que Š. B. avait désormais son propre logement. Il a aussi tenu compte des violences que Š. B. avait fait subir à l’auteure. Il a décidé d’attribuer 65 % des biens matrimoniaux à l’auteure et 35 % à Š. B. Le 2 juin 2015, le tribunal de district a condamné l’auteure à verser 16 814,44 euros à Š. B. en compensation de la perte de sa part dans la coopérative.

2.5L’auteure a fait appel de cette décision, arguant que le tribunal de district avait commis une erreur de fait et de droit. Elle a fait valoir que le tribunal avait violé son droit à un procès équitable en justifiant de manière non convaincante sa décision concernant le partage des biens matrimoniaux. L’avantage qui lui avait été donné n’était que de 15 %. Le tribunal n’avait pas expliqué son refus d’appliquer la jurisprudence, qui aurait dû le conduire à demander aux anciens époux de s’entendre sur leur séparation sans pour autant les obliger à le faire sur le plan financier. Le tribunal régional de Košice a rejeté son appel le 8 juin 2016, réaffirmant le raisonnement du tribunal d’appel.

2.6L’auteure a ensuite déposé une plainte auprès de la Cour constitutionnelle, arguant que les tribunaux inférieurs étaient tous deux arrivés à des conclusions arbitraires parce qu’ils n’avaient pas pleinement pris en compte ses arguments et que leur raisonnement n’était pas convaincant. Elle a invoqué une violation de ses droits à ne pas subir de discrimination liée notamment à son sexe ni d’ingérence dans la jouissance paisible de ses biens, ainsi que de ses droits à un procès équitable, à l’égalité des armes, à la propriété, à l’égalité des droits des époux et de son droit à la non-discrimination en liaison avec les droits susmentionnés. Elle a également invoqué une violation de l’article 2 c) et e) et du paragraphe 1 h) de l’article 16 de la Convention.

2.7Par sa décision du 12 octobre 2016, la Cour constitutionnelle a rejeté son recours, estimant que les tribunaux inférieurs avaient interprété et appliqué correctement la législation pertinente et que leurs décisions n’étaient ni arbitraires ni autrement en violation du droit à un procès équitable ou d’autres droits. Elle a estimé que les tribunaux inférieurs avaient mis en œuvre les principes juridiques relatifs au partage des biens matrimoniaux conformément à la législation nationale.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé l’article 2 c) et e) de la Convention, lu conjointement avec l’article premier et le paragraphe 1 h) de l’article 16, en ne la protégeant pas contre la discrimination fondée sur le genre pratiquée par les tribunaux. Elle estime que l’État partie n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le partage des biens matrimoniaux communs. Elle fait valoir que la manière dont les tribunaux inférieurs appliquent l’article 150 du Code civil, sur les principes de base du partage des biens, y compris l’équité, le rend vide de sens et de but. Elle explique que les décisions des tribunaux nationaux ne peuvent être considérées comme justes, étant donné que le partage concernait la valeur d’une part sociale dans une coopérative de logement, et non un appartement possédé en propre, et compte tenu du fait que Š. B. a été violent envers elle, n’a pas participé à l’éducation de leurs enfants, n’a pas contribué à l’acquisition ou au maintien du statut de membre de la coopérative, a consommé de l’alcool de manière excessive et a par conséquent perdu son emploi. Elle juge que les décisions qui ont été prises sont la conséquence d’une discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne son droit à la propriété et à l’égalité de statut après la dissolution du mariage.

3.2L’auteure affirme en outre que toutes les conditions étaient réunies pour que la part dans la coopération lui soit attribuée sans qu’elle soit obligée de parvenir à un accord financier avec Š. B. Les tribunaux inférieurs n’ont pas précisé pourquoi ils refusaient qu’il en soit ainsi, malgré l’existence de cette option légale et la demande que l’auteure avait présentée à cet effet. Le raisonnement des tribunaux ne couvre donc pas toutes les questions de droit et de fait. De plus, la procédure a duré huit ans, provoquant un état d’insécurité juridique prolongé.

3.3L’auteure fait valoir que les décisions ne reflètent pas suffisamment son statut de femme dans la société ni sa situation personnelle et économique. Premièrement, les tribunaux n’ont pas tenu compte des inégalités de genre en général en ce qui concerne le partage des biens matrimoniaux. Deuxièmement, ils n’ont pas reconnu les effets concrets de la violence de genre dont elle avait été victime. Troisièmement, ils ont ignoré les disparités entre femmes et hommes en cas de dissolution d’un mariage et ont donné la préférence au droit de Š.B. à un règlement financier malgré les circonstances de l’affaire.

3.4L’auteure fait également valoir que la législation nationale ne réglemente pas suffisamment le partage des biens matrimoniaux en cas de violence conjugale, qui est laissé à la discrétion des tribunaux au lieu d’être régi par des règles précises. En outre, ni la discrimination à laquelle les femmes font face sur le marché du travail dans l’État partie ni l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, qui était de 22,1 % dans la tranche d’âge de l’auteure en 2015, n’ont été pris en considération par la loi. La Slovaquie a obtenu une note de 52,4 sur l’Indice d’égalité des genres de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes en 2015, ce qui signifie que les conditions pour se réaliser sont presque 50 % plus mauvaises pour les femmes que pour les hommes en Slovaquie. Les violations des droits de l’auteure doivent donc être considérées à la lumière des conséquences économiques d’un divorce pour les femmes, en particulier pour celles qui ont subi des violences de genre conjugales. Le Comité a exprimé sa préoccupation à cet égard dans ses observations finales sur le rapport de l’État partie valant deuxième à quatrième rapports périodiques (CEDAW/C/SVK/CO/4).

3.5L’auteure affirme qu’il n’est pas juste de l’obliger à payer 16 814,44 euros à l’homme qui l’a maltraitée et qui n’a pas contribué à l’éducation de leurs enfants ni à l’acquisition et à l’entretien de la propriété. Elle n’est que la locataire, et non la propriétaire, de l’appartement. En outre, ce montant met en péril ses moyens de subsistance : elle a tellement souffert sur le plan de la santé des violences qu’elle a subies qu’elle est incapable d’occuper un emploi permanent. Elle dépend de l’aide financière de ses enfants adultes et de ses proches, sans laquelle elle ne pourrait même pas couvrir ses besoins essentiels. Elle ne dispose donc pas d’un revenu qui lui permettrait de payer le montant qu’on lui demande de verser.

3.6L’auteure affirme également que, dans son cas, l’État partie n’a pas tenu compte des recommandations formulées par le Comité dans ses recommandations générales no 19 (1992) sur la violence contre les femmes (HRI/GEN/1/Rev.8, p. 346) et no 29 (2013) sur les conséquences économiques du mariage, et des liens familiaux et de leur dissolution (CEDAW/C/GC/29) et dans ses observations finales sur le rapport de la Slovaquie valant cinquième et sixième rapports périodiques (CEDAW/C/SVK/CO/5-6).

3.7L’auteure souhaite qu’il soit demandé à l’État partie de lui accorder une réparation appropriée, y compris une indemnisation adéquate pour la violation des droits qu’elle tire de la Convention. Elle demande également qu’il soit recommandé à l’État partie de veiller à ce que la législation sur le partage des biens matrimoniaux soit appliquée en conformité avec la Convention et de manière à protéger les femmes contre la discrimination liée au genre. En outre, elle demande qu’il soit recommandé à l’État partie d’adopter une législation spécifique garantissant que les possibilités de revenu et les conséquences économiques et autres des violences de genre soient prises en compte dans le partage des biens matrimoniaux. Enfin, elle demande qu’il soit recommandé à l’État partie de veiller à ce que ses tribunaux et organes judiciaires dispensent une formation spécifique, approfondie et continue sur la Convention, le Protocole facultatif et les recommandations générales du Comité sur les violences de genre et leurs conséquences économiques, en donnant une large publicité aux constatations du Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Le 7 décembre 2018, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité, faisant valoir que son cadre législatif est adéquat et approprié et consacre l’égalité des droits des femmes et des hommes conformément aux obligations mises à la charge de l’État partie par la Convention. Il a fait valoir que le principe de non-discrimination est appliqué conformément à l’article 2 de la Convention et à la recommandation générale no 28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États parties au titre de l’article 2 de la Convention (CEDAW/C/GC/28). L’égalité des femmes et des hommes dans toutes les questions relatives au mariage et aux liens familiaux est inscrite dans la loi, conformément à l’article 16 de la Convention et à la recommandation générale no 29. Les deux conjoints se voient garantir les mêmes droits en matière de mariage, de divorce et de partage des biens communs, et la violence conjugale peut être prise en compte par le pouvoir judiciaire. Les tribunaux de l’État partie ont confirmé que l’auteure se trouvait dans une position avantageuse en ce qui concerne le partage des biens. L’État partie souscrit à la décision de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2016 et conclut que, compte tenu de ce qui précède, la communication doit être déclarée irrecevable. Il ne conteste pas que l’auteure a épuisé tous les recours internes disponibles.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.Le 7 février 2019, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie, affirmant qu’il n’avait présenté aucun motif d’irrecevabilité, tel qu’énoncé aux articles 2 à 4 du Protocole facultatif. Elle fait valoir que son conseil a présenté une communication signée en son nom, que la Slovaquie est un État partie à la Convention et qu’il n’est pas contesté qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles. Elle estime par ailleurs que sa communication est compatible avec la Convention et qu’elle n’est pas manifestement infondée.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 22 août 2019, l’État partie a présenté ses observations sur le fond, en demandant au Comité de rejeter la communication car aucune violation des droits de l’auteure n’avait été commise.

6.2Se référant à sa législation nationale, notamment aux articles 143 à 151 du Code civil, l’État partie rejette l’affirmation de l’auteure selon laquelle la loi est inadéquate et discriminatoire. L’égalité des droits des deux époux en ce qui concerne le partage des biens matrimoniaux est garantie par le Code civil et la loi sur la famille. En vertu du Code civil, la communauté des biens matrimoniaux est le paramètre de base des relations patrimoniales entre les époux. Le partage du patrimoine est régi par l’article 151, qui prévoit que les biens communs soient divisés en parts égales entre les époux (principe de la parité des parts). En même temps, pour déterminer les parts de chacun des deux époux divorcés, les tribunaux peuvent examiner dans quelle mesure ils se sont occupés du ménage et de la famille, en particulier en ce qui concerne les besoins de leurs enfants, s’ils ont contribué à la satisfaction des besoins communs et quelle est la part de leurs biens employée à l’acquisition et à l’entretien des biens communs. Il doit également être tenu compte du fait qu’une femme peut ne pas être en mesure de démontrer que les revenus qu’elle tirait de son emploi contribuaient de manière comparable à ceux de son mari à l’acquisition et à l’entretien des biens communs, étant donné qu’en Slovaquie, les femmes restent généralement en dehors du marché du travail pendant plusieurs années après l’accouchement. Les tribunaux peuvent donc s’écarter du principe de parité tout en préservant l’équité pour l’autre conjoint, qui était copropriétaire pendant le mariage et qui, dans la plupart des cas, a contribué à l’acquisition et à l’entretien des biens. En ce qui concerne le partage des biens matrimoniaux, les soins prodigués aux enfants et la gestion du ménage par la femme ont, selon la loi, la même valeur que le travail rémunéré de son conjoint, ce qui leur garantit de facto une égalité de statut en matière de droits de propriété.

6.3En outre, conformément au paragraphe 1 de l’article 705 du Code civil, si les époux divorcés ne s’entendent pas sur le bail d’un appartement, le tribunal décide, sur proposition des deux époux, de supprimer le bail commun et de déterminer qui utilisera l’appartement. Si l’un des époux acquiert le droit de conclure un contrat de location pour un appartement partagé avant le mariage, le droit au bail commun expire avec le divorce et c’est la conjointe ou le conjoint qui a acquis le droit initialement qui garde le droit d’utiliser l’appartement (art. 705, par. 2 et 3). Dans les autres cas de bail commun, si deux personnes qui divorcent ne sont pas d’accord, le tribunal doit décider, en mettant fin à la location commune, sur proposition d’une des parties, de la révocation du droit au bail et de la personne qui deviendra l’unique locataire. Conformément au paragraphe 8 de l’article 712a, le tribunal peut décider que l’ex-conjoint n’a droit qu’à un logement de remplacement, et non à une indemnisation, notamment dans les cas de violence conjugale. Cette disposition répond à la nécessité de protéger et de soutenir les femmes victimes de violence domestique afin qu’elles puissent conserver leur bail et ne soient pas soumises à l’obligation de fournir un logement à leur ex-mari.

6.4En outre, la Slovaquie explique qu’elle a mis en place un système d’assistance sociale pour les personnes qui n’ont pas de revenus ou dont les revenus sont faibles. Des allocations leur sont versées pour les aider à satisfaire leurs besoins matériels. L’article 6 du Code du travail consacre le droit des femmes et des hommes à l’égalité de traitement en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la rémunération et à la promotion, à la formation professionnelle et aux conditions de travail. Le taux d’emploi des femmes en Slovaquie est dans la moyenne de l’Union européenne. Le Ministère du travail, des affaires sociales et de la famille répond aux problèmes rencontrés par les mères sur le marché du travail, y compris par celles qui ont de jeunes enfants, en leur apportant une aide spécifique. En résumé, l’État partie fait valoir que sa législation et les mesures prises par ses institutions sont conformes aux obligations qui lui incombent en vertu de la Convention.

6.5L’État partie réaffirme que la communication est irrecevable puisque les tribunaux ont pris une décision qui est largement favorable à l’auteure, et qu’ils n’ont donc pas exercé de discrimination à son égard. La communication devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

6.6En ce qui concerne le grief que l’auteure tire du paragraphe 1 h) de l’article 16 de la Convention, l’État partie fait valoir que les lois régissant le partage des biens matrimoniaux communs après un divorce sont conformes aux paragraphes 45 à 47 de la recommandation générale no 29. Aux termes de la législation, les revenus respectifs des deux anciens époux et leur contribution non matérielle au ménage et aux biens communs doivent être pris en compte lors du partage des biens. C’est un moyen de garantir une forme de compensation aux femmes qui prennent des décisions de carrière en fonction de leurs projets familiaux. L’affaire à l’examen est atypique en ce que l’auteure a apporté une part de biens plus importante au mariage. Par conséquent, on pourrait croire que l’approche des tribunaux lui a été défavorable. Cependant, en lui attribuant 65 % des biens, les tribunaux sont en fait allés au-delà du principe de parité dans leur décision. L’État partie fait valoir que la remise en cause du principe de la participation égale des époux au partage des biens dans des cas particuliers créerait un dangereux précédent qui serait préjudiciable à la plupart des femmes et contreviendrait à l’article 13 de la Convention et à la recommandation générale no 29.

6.7Quant à l’argument de l’auteure selon lequel, dans son cas, les tribunaux n’auraient pas tenu compte de la question des inégalités de genre, l’État partie fait observer que le jugement du tribunal de district de Košice I était fondé sur le principe de la parité des parts des époux, auquel des exceptions peuvent être faites en cas de chômage, d’alcoolisme, de gestion des biens communs, de violence domestique et d’incarcération. Si l’acquisition et le maintien des biens sont des éléments importants, le simple fait que l’un des époux ait acquis et maintenu un revenu plus élevé ne justifie pas un partage inégal. L’État partie fait valoir que, dans le cas de l’auteure, la manière dont il a été décidé que les biens seraient partagés résulte de la prise en compte par les tribunaux des aspects spécifiques de son affaire, notamment de ses contributions financières à sa famille et de l’alcoolisme de Š. B., de sa violence familiale et de son emprisonnement. L’État partie note également que l’auteure n’a travaillé que pendant un an durant son mariage et que, si le tribunal de district n’avait pas reconnu l’éducation des enfants et l’entretien du ménage comme une contribution équivalente à celle de Š. B., qui avait travaillé pendant l’essentiel de la durée du mariage et lui avait fourni un revenu pour l’entretien du ménage, il aurait dû prononcer un partage favorable à Š. B. Contrairement à l’affirmation de l’auteure selon laquelle les tribunaux n’ont pas tenu compte des inégalités de genre, l’État partie considère que le cadre juridique pertinent a été appliqué d’une manière qui lui était favorable.

6.8En ce qui concerne le grief que l’auteure tire des paragraphes c) et e) de l’article 2, lus conjointement avec l’article premier de la Convention, selon lequel les tribunaux n’ont pas tenu compte des conséquences de la violence familiale dont elle a été victime en raison de son sexe, l’État partie note que, le 25 mars 2008, le tribunal de district de Košice I a pris une mesure provisoire contre Š. B., en prononçant contre lui une injonction d’éloignement temporaire en lui interdisant de pénétrer dans l’appartement au motif que l’auteure et les enfants risquaient de subir un préjudice immédiat du fait de sa violence. Par sa décision du 10 mars 2010, le tribunal de district a annulé le bail commun et a désigné l’auteure comme seule locataire de l’appartement et membre de la coopérative. Appliquant la législation, qui a pour but de protéger les intérêts des femmes victimes de violence domestique, le tribunal a également décidé que Š. B. ne recevrait pas de compensation pour le logement. Il a été poursuivi et condamné pour sa conduite. L’État partie conclut que l’auteure a été protégée contre les violences de genre commises par Š. B.

6.9L’État partie rejette l’argument de l’auteure selon lequel la décision qui a été prise de l’obliger à verser un montant de 16 814,44 euros à Š. B. est inéquitable et constitue une discrimination fondée sur le sexe. Conformément à la loi et comme l’a confirmé la Cour constitutionnelle, le simple fait de se trouver dans une situation économique et sociale défavorable ne constitue pas un conflit avec les bonnes mœurs et n’est pas la conséquence d’une discrimination liée au genre.

6.10L’État partie rejette également l’argument avancé par l’auteure selon lequel les femmes ne seraient pas suffisamment protégées contre la pauvreté. L’auteure n’a pas travaillé plus d’un an pendant les vingt-deux ans de son union et elle a fait le choix d’assurer son existence économique autrement que par l’emploi. L’État partie souligne que l’exercice d’une activité rémunérée est la meilleure forme de protection contre la pauvreté.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 27 novembre 2019, l’auteure a présenté ses commentaires suite aux observations de l’État partie. Se référant à ses communications antérieures, elle conteste l’argument de l’État partie sur la recevabilité, réaffirmant qu’elle a subi une discrimination car l’État partie n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour garantir que sa législation sur le partage des biens matrimoniaux protège les femmes victimes de violence de genre en obligeant spécifiquement les tribunaux à tenir compte de cette violence et de ses conséquences, notamment sur les possibilités pour les femmes de gagner leur vie. Malgré les apparences, les décisions prises par les tribunaux ne lui sont pas mathématiquement favorables. La législation slovaque n’offre pas une protection suffisante aux femmes victimes de violences de genre. Les articles 705 1) et 712a 8) du Code civil ne sont pas pertinents en l’espèce car ils ne concernent pas le partage des biens matrimoniaux communs ; l’article 150 ne cite pas explicitement les violences de genre ou leurs conséquences comme des circonstances que les tribunaux sont tenus de prendre en considération. En outre, les décisions des tribunaux ont pour l’auteure des effets d’autant plus négatifs qu’elle n’est même pas la propriétaire de l’appartement, mais seulement sa locataire, un point auquel l’État partie ne répond pas dans ses observations.

7.2L’auteure rejette l’argument de l’État partie selon lequel elle n’a choisi de travailler que pendant un an durant son mariage et que cela l’a empêchée d’indemniser financièrement Š. B. L’argument de l’État partie révèle une incompréhension des effets qu’ont eu les violences de genre sur sa situation économique, un mépris pour le travail non rémunéré que les femmes accomplissent en tant que mères et une insuffisante reconnaissance de la discrimination dont sont victimes les femmes sur le marché du travail. L’auteure élevait quatre enfants, dont un qui était handicapé, tout en subissant de graves violences physiques et psychologiques, notamment des violences économiques, et en vivant dans l’isolement et sous contrôle. Sa santé s’est détériorée à cause de ces violences. Ses moyens de gagner sa vie étaient donc limités.

7.3Enfin, s’agissant de la référence faite par l’État partie aux mesures qu’il a adoptées pour protéger les femmes contre les violences, la discrimination et la pauvreté liées au genre, l’auteure fait valoir qu’elle est la preuve que ces mesures ne sont pas correctement appliquées dans la pratique.

Délibérations du Comité

8.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif. En application du paragraphe 4 de l’article 72, il est tenu de se prononcer sur la recevabilité avant de se prononcer sur le fond.

8.2En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité note que l’État partie ne conteste pas que l’auteure a épuisé tous les recours internes utiles dont elle disposait. Il note également qu’elle a invoqué une violation de la Convention devant la Cour constitutionnelle. Le Comité estime donc que le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ne lui interdit pas d’examiner la présente communication.

8.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.4Le Comité prend note du fait que l’auteure estime qu’il y a eu violation de l’article 2 c) et e) de la Convention, lu conjointement avec l’article premier et le paragraphe 1 h) de l’article 16. Selon elle, les décisions prises par les tribunaux, en particulier celle l’obligeant à parvenir à un règlement financier avec Š. B., constituent une discrimination fondée sur le sexe car les tribunaux n’ont pas suffisamment reconnu son statut de femme dans la société et les conséquences des violences qu’elle a subies. Le Comité observe que l’auteure fait également valoir que les décisions de justice qui ont été prises ne sont pas justes, étant donné que la division concernait la valeur d’une part de membre plutôt qu’un appartement possédé en bien propre, et que Š. B. lui a fait subir des violences, qu’il n’a pas contribué à l’éducation des enfants ni à l’acquisition ou au maintien du statut de membre de la coopérative et qu’il a perdu son emploi. Le Comité observe également que l’auteure fait valoir que l’État partie n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour que sa législation sur le partage des biens matrimoniaux protège les femmes victimes de violences de genre en obligeant les tribunaux à prendre expressément en considération les violences de genre et leurs conséquences, notamment en ce qui concerne la possibilité pour les victimes de gagner leur vie.

8.5Par ailleurs, le Comité prend note des observations de l’État partie, selon lesquelles la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, car manifestement mal fondée. Le Comité note également que l’État partie fait valoir que, selon la loi, les femmes et les hommes ont des droits égaux en ce qui concerne le mariage et les liens familiaux, y compris en ce qui concerne le partage des biens matrimoniaux. En outre, selon l’État partie, en vertu du droit en vigueur, l’appareil judiciaire peut s’il y a eu violence conjugale en tenir compte lorsqu’il se prononce sur le partage des biens matrimoniaux communs, et c’est ce que les tribunaux ont fait en l’espèce, attribuant pour cette raison 65 % des biens matrimoniaux communs à l’auteure et 35 % à son ex-époux.

8.6Le Comité note qu’en substance, l’auteure conteste la manière dont les tribunaux ont apprécié les faits de la cause et appliqué le droit interne. Le Comité rappelle qu’il ne se substitue pas aux autorités nationales dans l’appréciation des faits. Il considère qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties à la Convention d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation interne dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est partiale ou fondée sur des stéréotypes de genre qui constituent une discrimination à l’égard des femmes, est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. À cet égard, le Comité considère que rien ne permet de penser que l’examen du cas de l’auteure par les tribunaux de l’État partie ait souffert d’un tel défaut. Le Comité note que la décision des tribunaux d’allouer 65 % des biens matrimoniaux à l’auteure et 35 % à Š. B. était expressément motivée par le fait que Š. B. avait été violent envers elle, qu’il n’avait pas contribué suffisamment au bien-être de la famille et qu’il avait perdu son emploi. Le Comité note également que le tribunal régional de Košice a pris note de l’argument de l’auteure, à savoir que Š. B. ne devrait recevoir aucune compensation financière, mais qu’il a déterminé que le fait que le tribunal de district ait dérogé au principe de parité en sa faveur était bien la preuve qu’il avait pris en compte comme il se doit les violences de Š. B., le fait que c’était l’auteure qui s’occupait des enfants et la situation financière dans laquelle elle se trouvait. Dans ces conditions et en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité considère que la communication n’est pas suffisamment étayée pour être recevable et est donc irrecevable au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.